ÉDITO
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Idées de droite, espoir de gauche
LA REVUE
DU PROJET
NOVEMBRE 2014
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es idées de droite semblent occuper tout le terrain.
La parole patronale est omniprésente en économie.
Les technocrates piétinent la démocratie à coups de
chiffres définitifs. L’inégalité et la brutalité seraient
redevenues la règle dans les rapports humains. La
misère de masse prend ses quartiers d’hiver. Des intégristes
en tous genres brandissent censure et interdits. C’est comme
si on entrait dans la Grande Régression. Et ne parlons pas de
l’image donnée du monde, dominée par des bruits de bottes,
des sauvageries sans nom et des menaces d’épidémies
soudain venues du fin fond des âges. On voudrait nous imposer
un imaginaire réactionnaire qu’on ne s’y prendrait pas
autrement.
L’essentiel des média est dans ce tempo de droite, et les rares
séquences différentes (on pense ici au téléfilm sur France 2
d’Yves Gaonac’h, Tête haute, sur la lutte des ouvriers de la
Fonderie du Poitou) ont des airs d’étoiles filantes, d’ovni dans
un paysage uniformément débilitant. La banalisation de
l’extrême droite participe de ce courant, avec, dernier exemple
en date, le lamentable opuscule du socialiste Serge Moati, Le
Pen, vous et moi.
Du Monde au Figaro, de Libération à TF1, le catastrophisme
est aujourd’hui le sentiment le mieux partagé. On nous martèle
que la société française est sur le point d’imploser, si ce n’est
déjà fait ; on glose (on rêve) sur d’imminents affrontements
intercommunautaires, d’inéluctables victoires des fachos-
bobos du FN… et les mêmes en tirent, en chœur, argument
pour imposer toujours plus de potion libérale, toujours moins
de social et de démocratie. Une surenchère sidérante se livre
entre le pouvoir Hollande/Valls, qui pratique sans vergogne
une politique de droite, et une opposition de droite qui en
rajoute, histoire aussi de ne pas être en reste.
Les débats tournent souvent à la caricature comme ce récent
face-à-face Alain Minc/Éric Zemmour ; le premier a écrit Le
Mal français n’est plus ce qu’il était, l’autre Le Suicide français
(à moins que ce ne soit l’inverse, mais quelle importance ?) ;
on dirait une joute mondaine entre l’avenue Foch et l’avenue
Victor-Hugo, le reste du pays devant contempler ce chahut
de nains et compter les points, comme si la France de 2014
se réduisait à ça.
La pensée unique est plus unique que jamais. Cela n’est pas
sans effet sur les mentalités. L’institut TNS/SOFRES, qui publie
tous les deux ans une enquête intitulée «le Baromètre des
valeurs des Français », juge que le Français moyen version
2014, c’est «Moi, beau et méchant», soit un personnage
nombriliste, provocateur et bling-bling. Du Sarkozy après
Sarkozy. Les idées libérales (individualisme, fric, risque, etc.)
n’en finiraient plus de s’incruster.
Cela n’est pas faux mais cela n’est pas tout. Même éparpillée,
intimidée, marginalisée, culpabilisée, blessée, désenchantée,
la gauche est là. Et ses idées itou. Le journal L’Humanité publiait,
le jour de sa fête, une intéressante enquête IFOP dont il
ressortait que l’opinion, en ce début d’automne, sait
parfaitement ce que c’est qu’être de gauche. Un mot l’incarne :
c’est «plus», plus de droits, plus d’égalité, plus de solidarité,
plus de social. Et à gauche, ils sont très largement majoritaires
ceux qui pensent que «la gauche peut, si elle le veut, défendre
ses idées et ses principes sans se renier quand elle est au
pouvoir». À gauche, on reste attachés à de grandes notions,
comme la liberté, la solidarité, la laïcité, l’égalité. À gauche, on
est tout à fait d’accord pour dire que les richesses ne doivent
pas être accaparées par une minorité. À gauche, on aurait
tendance à penser que les chantiers prioritaires à ouvrir, ce
n’est pas la dilapidation de fonds publics aux patrons, aux
banques ou à la finance, mais une meilleure redistribution
des richesses ou l’égalité des droits entre toutes les catégories
de la population.
Cette opinion de gauche, si malmenée dans le débat public,
commence à mieux se faire entendre depuis l’été. L’idée de
remettre la gauche sur ses pieds fait son chemin. Des signes
se multiplient. Il y eut l’accueil réservé au secrétaire national
du PCF par les militants socialistes lors de l’université d’été
du PS à La Rochelle ; il y eut les débats nombreux et
encourageants lors de la Fête de l’Humanité ; il y eut de
premiers rapprochements, de gauche, lors des joutes
parlementaires ; il y eut la participation de Pierre Laurent aux
travaux de «Maintenant la gauche» de Marie-Noëlle Lienemann
et Emmanuel Maurel, où l’on put entendre un participant
qualifier le dirigeant communiste de «trait d’union entre les
gauches» ; il y eut la présence de Pierre Laurent encore à cet
autre courant de gauche du PS, «Un monde d’avance» ; il y
eut cette envie, affirmée aux journées d’étude des
parlementaires communistes et Front de gauche, de créer
des convergences avec d’autres. Autant de traces d’un
rassemblement anti-austéritaire qui se cherche et d’un espoir
qui reprend forme. À gauche. n
L
GÉRARD STREIFF,
vice-rédacteur en chef