Les œuvres
[1875-1937]
Le Tombeau de Couperin. Suite pour orchestre [1914-1917]
Prélude – Forlane – Menuet – Rigaudon
3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France.
À l’imagae de l’immense majorité de la population
française, le monde musical entend participer à sa
manière à la mobilisation de toutes les forces vives
du pays. Ainsi, durant les premiers mois du conflit,
les initiatives visant à contrer l’influence de la culture
allemande dans la vie musicale française sont
nombreuses. Camille Saint-Saëns, trop âgé pour
pouvoir se battre les armes à la main, dénonce par
exemple avec ardeur, dans une série d’articles intitulée
”Germanophilie”, “l’attachement coupable du public
français à Goethe, Schiller et Wagner” et en appelle
à la conscience des musiciens, invités à écarter les
compositeurs d’Outre-Rhin des programmations
de concert et à promouvoir la tradition nationale.
Maurice Ravel, sans toujours céder à ces élans de
nationalisme musical – il refusera notamment de
participer à l’éphémère Ligue pour la défense de
la musique française et dénoncera l’ostracisme
dont font alors l’objet ses confrères allemands –,
souhaite lui aussi contribuer à l’effort de guerre.
Jugé trop chétif pour servir dans les forces armées,
le compositeur doit pourtant se contenter du rôle
de conducteur au service des voies automobiles du
qu’il parcourt à partir du mois de novembre 1915 le
front du côté de Verdun, observant avec un mélange
de fascination et d’horreur cette guerre qui s’installe
dans la durée.
Le Tombeau de Couperin, auquel Ravel commence
à travailler dans les premiers mois de la guerre,
reflète bien l’état d’esprit du compositeur durant
cette période pleine de tensions et de contradictions.
C’est une déclaration du pape Pie X recommandant
d’interdire le moderne et par trop langoureux tango
pour le remplacer par l’ancienne forlane qui, semble-
t-il, attira l’attention du musicien sur cette danse du
siècle de Louis XIV. Au même moment, il découvre
dans un article de la Revue musicale la transcription
de la Forlane du quatrième des Concerts royaux
(ca. 1710) de François Couperin, sur laquelle il se
“Je vais m’occuper, écrit-il alors dans une lettre à
Cipa Godebski, de la faire danser au Vatican par
Mistinguett et Colette Willy en travesti.” À l’origine, la
Forlane du Tombeau semble donc n’être guère plus
qu’un pied-de-nez à la papauté. Ce n’est qu’avec
l’arrivée de la guerre que la Suite, initialement écrite
pour le piano, se meut en hommage à l’un des plus
grands compositeurs français du passé et, avec lui,
à l’esprit à la fois brillant et subtil du XVIIIe siècle.
Ce faisant, Ravel, à la suite de Debussy, contribue à
faire revivre une tradition française peu à peu tombée
dans l’oubli. Le Prélude, avec son ostinato continu
de doubles croches, semble ainsi faire référence à
la grande époque du clavecin français tandis que
les autres pièces reprennent la forme et la structure
rythmique des danses qui composent les suites
baroques. Comme souvent, Ravel ne se contente
composent le Tombeau sont en réalité des danses
stylisées qui invitent à la rêverie et au dialogue entre
passé et présent. En dédiant chacune des six pièces
de la suite à la mémoire de ses amis morts au combat,
concrète et tragique. Le Tombeau de Couperin
devient un lieu de réflexion et de recueillement,
comme le suggère également la page de garde de
la partition originale sur laquelle est représentée une
urne cinéraire juchée sur un socle drapé.
La Suite pour piano est créée le 11 avril 1919 par
Marguerite Long, veuve du musicologue Joseph de
exécution rencontre un tel succès salle Gaveau
qu’elle se voit obligée de bisser l’ensemble de l’œuvre.
La même année, Ravel lui-même orchestrera quatre
des pièces qui composent le Tombeau.
Sophie Picard