Santé samedi17 octobre 2009 Bientôt votre dossier médical en ligne Par Sylvie Arsever La stratégie «e-health» de la Confédération vise à interconnecter tous les acteurs de la santé d’ici à 2015. Pour le moment, cela démarre très lentement. Mais si les premiers pas paient, le mouvement pourrait s’accélérer C’est une solution d’avenir, personne n’en doute. Qui permettra de mieux coordonner et valoriser les possibilités d’un système de santé honorable, voire très bon mais lourd, cher et dispersé. La décision de l’adopter est prise: le passage à la cybersanté est agendé, de façon très optimiste, à 2015. Mais à quoi pourrait donc ressembler cette petite révolution? Et d’abord, en est-ce une? Portrait d’un ovni toujours moins mystérieux. Les pharmacies ont fait le premier pas. Depuis des années, elles établissent et communiquent leurs factures aux caisses par voie électronique. Sur cette base, leur coopérative de facturation, OFAC, a développé plusieurs services pionniers: bases de données concernant, notamment, les médicaments et la médecine des voyages, dossier pharmaceutique en ligne pour les membres du réseau Abilis. L’usage de dossiers électroniques partagés se répand dans les hôpitaux. De plus en plus de prestations de santé s’élaborent sous forme électronique – échographies, radios, analyses, entre autres – et la quasi-totalité du travail administratif lié aux factures est traité de même. Mais les échanges d’information, souvent, empruntent d’autres voies. «On tire une copie sur l’imprimante et on la faxe», résume Pierre-Alain Schneider, radiologue, président de l’Association des médecins du canton de Genève (AMG). C’est plus simple et, surtout, plus sûr pour les praticiens qui ne disposent pas d’une connexion protégée. A l’avenir, la protection des données médicales devrait être assurée par l’usage de cartes à puce – une pour le patient et une autre pour les prestataires de soins auxquels le premier aura décidé de donner accès à tout ou partie des informations le concernant. C’est le modèle qui va être testé à Genève dans le cadre d’un essai pilote, c’est aussi celui qui pourrait s’imposer, à terme, au niveau suisse. D’ici là, précise Adrian Schmid, responsable de l’organe de coordination Confédération-cantons pour la cybersanté qui gère le processus, de nombreux points devront être précisés, dont le cadre légal. Et, plus important: il faudra créer le climat de confiance indispensable à une évolution rapide. Deux partenaires de la relation de santé sont particulièrement concernés: les patients et les médecins. Les sentiments des premiers ont été sondés en 2008 par le Centre d’évaluation des choix technologiques, au moyen de groupes de discussion. Ils saluent la possibilité d’accéder à une meilleure maîtrise de leur dossier médical et voient dans le dossier électronique une innovation adaptée à leurs pratiques – mobilité accrue qui les conduit à changer souvent de médecin, usage toujours plus important d’Internet pour leurs achats et leurs opérations bancaires. Les problèmes de sécurité, estiment-ils, ne devraient pas être plus insolubles que pour les banques – avec un intérêt potentiel nettement moins important de la part d’éventuels hackers. Cela n’implique toutefois pas une mise à l’écart du médecin. Ce dernier reste indispensable, selon les personnes interrogées, pour expliquer les informations consignées dans le dossier, pour annoncer les résultats d’examens – surtout s’ils sont mauvais – et bien sûr pour discuter du traitement. Les réticences sont nettement plus marquées du côté des praticiens. Moins d’un sur dix, estimet-on, utilise un dossier électronique. Les autres devront changer non seulement leurs habitudes en matière de communication mais leur façon de prendre des notes. On n’écrit pas la même chose en travers d’une feuille de papier et sur un fichier Word. Et physiquement, on n’a pas le même rapport avec son patient lorsqu’on regarde un écran d’ordinateur – un point que MarcAndré Raetzo, coresponsable du réseau de soins Delta, relativise: «On ne note pas tout et il reste largement le temps de regarder le patient», assure-t-il. Mais la question principale, au début, sera ailleurs: que verser dans le dossier électronique? De nombreux médecins sont réticents à l’idée de livrer toutes leurs observations à des patients mal préparés, hypocondriaques ou quérulents. Et tous craignent le poids pratique d’un archivage électronique de tous leurs dossiers. Sur ce dernier plan, Adrian Schmid se veut rassurant: «Nous ne voulons pas constituer des cimetières de données. L’idée est de démarrer avec des informations de base et de laisser le dossier électronique se consolider au fil du temps.» Même option pour l’essai pilote lancé à Genève, où l’on a également renoncé à concevoir, à ce stade, de dossier médical partagé, utilisant un logiciel et une mise en forme uniques que chacun pourrait alimenter: le pas serait trop grand. C’est pourtant ce pas franchi, estime Marc-André Raetzo, que le dossier électronique devient vraiment intéressant pour les médecins. «Au Groupe médical d’Onex, que je dirige, nous avons un dossier électronique qui suit le patient et fournit également aux médecins une aide au diagnostic. C’est un outil performant que tout le monde est content de pouvoir utiliser.» L’utilité pratique du nouveau système, pour Pierre-Alain Schneider, sera la clé du succès. Les praticiens, qui voient leurs revenus stagner, voire régresser, veulent du retour sur investissement. Pour le moment, cela signifie toutefois qu’ils sont réticents à investir dans des systèmes qui pourraient devenir rapidement inutilisables si d’autres options sont retenues dans le cadre de la stratégie «e-health» suisse. Mais les choses bougent. Le dossier électronique, estime le président de la FMH, Jacques de Haller, accélérera une évolution bienvenue et déjà amorcée du rapport entre les médecins et leurs patients. Moins paternaliste, plus axé sur la coresponsabilité et la discussion ouverte des problèmes. L’entrée en fonction en 2010 d’une carte d’assuré et d’une carte de professionnel de santé destinées avant tout à la vérification des données administratives sera un premier pas. Il s’agira de le faire dans le bon sens. Le patient devra, estime-t-il, pouvoir décider en connaissance de cause d’annoncer sa visite à sa caisse ou d’y renoncer, quitte à la payer de sa poche. Question de protection du secret médical. © 2009 Le Temps SA