La lettre économique - Répertoire des Chambres de Commerce

Le «mal hollandais»
Introduction
Un boom
énergétique qui
détériore la
compétitivité du
secteur
manufacturier
Une réalité
québécoise complexe
et un risque de
désindustrialisation
Novembre 2007
Un secteur manufacturier à la sauce hollandaise
Avec un secteur manufacturier dont la production, la main-d’œuvre et l’investissement
diminuent vis-à-vis l’appréciation rapide du dollar, le Québec pourrait bien être en train
d’attraper un syndrome économique appelé le « mal hollandais » ou du moins
quelques-uns de ses symptômes.1
Comme son nom l’indique, le « mal hollandais » fut pour la première fois diagnostiqué à
la fin des années 70s aux Pays-Bas. Après des années de prospérité et d’abondance,
suite à la découverte et l’exploitation de champs gaziers dans la Mer du Nord,
l’économie néerlandaise s’est mise à péricliter. D’une part, la croissance de l’économie
s’amenuisait au rythme de l’épuisement des ressources énergétiques; d’autre part, la
croissance économique ne pouvait être soutenue et relancée par le secteur
manufacturier qui avait subi des années de désindustrialisation.
L’effervescence dans le secteur énergétique avait porté le florin (la monnaie
néerlandaise de l’époque) à la hausse à un point où les exportations du secteur
manufacturier diminuèrent de manière importante. De plus, la croissance dans le
secteur énergétique drainait à la fois les capitaux et la main d’œuvre de l’économie
néerlandaise, rendant ces ressources plus rares - et plus dispendieuses - pour les
autres secteurs de l’économie, secteur manufacturier y compris. Bref, après plus de
quinze ans de ce régime, le secteur manufacturier néerlandais s’était sensiblement
affaibli (i.e. désindustrialisé) et ce, bien que la prospérité économique ait été forte et
soutenue aux Pays-Bas grâce au lucratif secteur énergétique.2
Évidemment, au Québec, l’appréciation du dollar n’explique pas à elle seule les récents
déboires du secteur manufacturier. La concurrence étrangère des pays à faible coût de
main-d’œuvre, le ralentissement économique aux États-Unis, le conflit sur le bois
d’œuvre résineux et la diminution des droits de coupes ne sont que quelques-uns des
facteurs qui ont échaudé le secteur au cours des dernières années. À vrai dire, la
réalité est toujours plus complexe que le monde des modèles économiques. Ce que
nous observons au Québec se qualifierait plutôt de « secteur manufacturier à la sauce
hollandaise ». On trouve plusieurs symptômes du « mal hollandais » dans l’économie
québécoise, mais il est trop tôt pour déterminer avec certitude s’il y a réellement un
mouvement de désindustrialisation au sein du secteur manufacturier québécois. Pareil
phénomène s’observe sur de plus longues périodes. Il n’est jamais futile, cependant, de
s’inquiéter – plus tôt que sur le tard – lorsqu’il en va de la structure industrielle du
Québec et de la croissance à long terme de notre économie.
1 Le «mal hollandais» est une traduction de «Dutch disease», expression qui fut pour la première fois utilisée en 1977
dans un article de The Economist intitulé The Dutch disease.
2 Pour une description plus formelle du concept économique du «mal hollandais», veuillez vous référer à l’article :
Corden. W.M. and Neary, J.P. (1982). « Booming sector and De-industrialisation in a small open economy », The
Economic Journal, vol.92.
La lettre économique
Un secteur
manufacturier qui se
détériore
Un secteur des
services qui soutient
la croissance
l’économie
Un déclin inquiétant
du secteur
manufacturier
Des investissements
qui ne sont pas au
rendez-vous
Des conditions
d’affaires peu
intéressantes, des
entrepreneurs qui
vieillissent et des
multinationales en
réflexion
L’investissement et
la productivité
En octobre 2002, le dollar canadien était à 0,63 dollar américain. Sous l’impulsion, entre
autres, de la hausse du prix des matières premières (métaux, pétrole et gaz naturel), le
dollar s’est apprécié à un taux de croissance annuel moyen de plus de 10% pour
atteindre aujourd’hui un niveau record de plus d’un dollar américain. Au cours de cette
période (2002 à 2007), la production du secteur manufacturier a été moribonde et a
diminué d’un milliard de dollars, soit une décroissance annuelle moyenne d’environ
0,4%. Pendant ce temps, 115 000 emplois ont été coupés dans le secteur
manufacturier, une décroissance annuelle moyenne d’environ -3,8%. Une grande partie
de ces pertes a été réalisée au cours de la dernière année et demie : depuis janvier
2006, la production manufacturière a chuté de 1,4 milliard de dollars et la main-d’œuvre
manufacturière a diminué de 58,600 emplois.
À l’image des Pays-Bas des années 60-70, ce sont les secteurs orientés vers
l’économie domestique qui ont supporté et supportent présentement l’économie
québécoise. C’est la belle performance de ce secteur qui explique le faible taux de
chômage. Le secteur des services avec son industrie du commerce de détail & de gros
et avec son industrie de la finance, des assurances & des services immobiliers, et le
secteur de la construction ont plus que compensé pour les pertes enregistrées dans le
secteur manufacturier. Et il faut l’admettre, l’économie domestique avec son taux de
chômage historiquement bas et ses dépenses de consommation élevées donne
l’impression d’être en santé, mais sous ces chiffres se cache un secteur manufacturier
mal en point.
S’il est normal pour un pays industrialisé de voir l’importance de son secteur
manufacturier diminuer en termes relatifs par rapport au secteur des services et par
rapport à l’ensemble de l’économie en général, il est cependant inquiétant qu’en termes
absolus, le secteur manufacturier d’un tel pays décline. Cette tendance au Québec est
d’autant plus inquiétante que les investissements dans le secteur manufacturier ont
diminué en 2004, 2005 et 2006.
En effet, contrairement à une idée reçue, l’appréciation fulgurante du dollar canadien
n’a pas incité les manufacturiers québécois à accroître leurs investissements. La réalité
est que la capacité de générer des marges de profit et la confiance en l’avenir pèsent
davantage dans la décision d’investir que le prix de revient de l’équipement importé.
Pour les entreprises manufacturières, la question est de déterminer si le Québec détient
les meilleurs conditions d’affaires pour faire fructifier leur investissement. Avec trois
diminutions consécutives de l’investissement dans le secteur (-5,6% en 2004, -6,8% en
2005 et -7,8% en 2006), il y a lieu de croire que non.
Outre les conditions d’affaires, deux autres facteurs pourraient expliquer la diminution
des investissements et la tendance émergente vers une probable désindustrialisation.
D’une part, plusieurs entrepreneurs, sur le point de prendre leur retraite, n’ont pas de
relève et prévoient vendre leur entreprise. Ces entrepreneurs sont, par conséquent, peu
enclins à l’endettement et à l’investissement dans la productivité à long terme de leur
entreprise, d’autant plus que la valeur d’une PME, pour un acquéreur potentiel, repose
souvent sur le bassin de clients de celle-ci et pas nécessairement sur ses actifs
tangibles (bâtiments, machines, équipements, etc.). D’autre part, les décisions
d’investissement des multinationales ayant des usines au Québec risquent d’être
influencées négativement par un dollar à parité. Avec un coût relatif d’investissement et
de main-d’œuvre qui s’est accru, il est inévitable que des multinationales se
demanderont pourquoi investir et produire au Québec alors qu’elles exportent la
majorité de leur production aux États-Unis.
Comme si la situation n’était pas suffisamment inquiétante, ce sont ces investissements
qui permettent d’accroître la productivité : particulièrement ceux en machines et
matériel. Est-ce nécessaire de rappeler que, dans un contexte de vieillissement de la
Des attentes élevées
à l’égard de la
stratégie
manufacturière de
du MDEIE
Conclusion
population et de finances publiques précaires où les besoins d’investissement sont
croissants en santé, en infrastructures et en éducation, la planche de salut passe par
un accroissement de la productivité? Inutile aussi de mentionner qu’il en va de la
croissance à long terme de l’économie québécoise et de notre niveau de vie.
En tant que plus important regroupement d’entreprises et de gens d’affaires au Québec,
la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) a alerté son réseau en
juin dernier afin de mettre sur pied un comité de manufacturiers regroupant des
industriels de partout au Québec. Les travaux du comité ont mené à la rédaction d’un
mémoire présentant plusieurs pistes d’action afin de sortir le secteur manufacturier
québécois de ses difficultés. Ce mémoire avait pour but d’informer le gouvernement sur
la situation du secteur manufacturier québécois et d’aider le Ministère du
développement économique, de l’innovation et de l’exportation (MDEIE) dans
l’élaboration de sa stratégie manufacturière, qui devrait être publiée sous peu.
L’engagement des membres du comité a été remarquable, au reflet du sentiment
d’urgence qui les animaient. Les attentes à l’égard de la stratégie manufacturière du
MDEIE et des autres actions qui suivront – le prochain budget notamment – sont très
élevées.
Bref, il est à espérer que la stratégie manufacturière du MDEIE vienne rééquilibrer
l’acidité corrosive de la sauce hollandaise sur notre secteur manufacturière.
Pour tout complément d’information
Jean Laneville, Économiste
(514) 844-9571 #3244
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