l’Empire Ottoman un puzzle inachevé La candidature de la Turquie à l’entrée dans l’Union Européenne dépend officiellement de la pratique démocratique et de l’attitude d’Ankara dans les domaines des droits de l’homme et des minorités. En réalité, le débat est plus large : si sa candidature était retenue, la Turquie deviendrait le premier État musulman d’une Union, certes laïque, mais dont les membres sont tous des pays chrétiens. Et puis, la Turquie est-elle ou non européenne ? La question se pose par la géographie, par la culture, mais surtout par l’histoire. (d'après "le Dessous des Cartes" – sept. 2004) la Fin d’une gloire Au milieu du XVIe siècle, l'empire ottoman est alors à son apogée : en Afrique, en Europe, et en Asie. Mais les choses vont basculer progressivement à partir de la fin du XVIe siècle. le Recul des Ottomans face à la Sainte Ligue Les défaites face aux chrétiens en Moldavie, en Hongrie, et surtout à Lépante, en octobre 1571, montrent les premières faiblesses. Les Ottomans sont vaincus par la flotte coalisée de la Sainte Ligue qui réunit l'Espagne, Venise et le Saint-Siège. la Perte du commerce maritime Avec le contrôle de la route des Indes par les Portugais, le commerce maritime rapporte désormais moins d'argent aux Ottomans. les Problèmes intérieurs Des querelles de succession à la tête du sultanat, des rébellions au sein de l'armée, la corruption d'une administration qui se délite, un net retard sur les Européens pour moderniser l'économie et la forte dévaluation de la monnaie entraînèrent des difficultés économiques et des révoltes dans des provinces du territoire européen de l'Empire. les Pertes territoriales en Europe En 1683, les Ottomans sont battus à Vienne, ils perdent la Hongrie, la Transylvanie et la Podolie, avec le Traité de Karlowitz en 1699. Puis avec le traité de Passarowitz en 1718, ils cédèrent le Nord de la Serbie et la Valachie occidentale. le Recul face aux Perses La situation se renverse face aux Perses chiites qui reprennent plusieurs provinces. les Pertes face aux Russes Les Russes prennent le contrôle de la Crimée et d'une partie du littoral de la Mer Noire. C’est le début de ce qu’on a appelé “la Question d'Orient”, car pendant plusieurs décennies, cette question va désigner les rivalités russes et européennes sur l'Empire ottoman. les Conquêtes russes Tout le long du XVIIIe siècle, la Russie poursuit la formation de son propre Empire, elle veut accéder aux mers chaudes et aux détroits ouvrant sur la Méditerranée, ce qui l'amena à vouloir s'emparer des terres ottomanes. Au terme de la guerre russo-ottomane de 1768-1774, les Ottomans furent contraints d’accepter le Traité de Kütchük-Kaynardji. l’Inquiétude des Anglais L'annexion de la Bessarabie en 1812 par la Russie commence à préoccuper sérieusement les Britanniques face à un éventuel contrôle russe sur le Bosphore et les Dardanelles. En effet, les Anglais veulent protéger leur route des Indes, en contrôlant la péninsule Arabique et l’Égypte. l’Indépendance de la Grèce Selon l'expression du Tsar Nicolas Ier, l'Empire ottoman est "l’homme malade de l'Europe". L’Empire se disloque un peu partout. Dans les Balkans, la répression des Ottomans ne fait qu'attiser les nationalismes régionaux où l'on voit poindre l'idée de nation. La Conférence de Londres finira d’ailleurs par reconnaître en 1830 l'indépendance de la Grèce. le Traité de San Stefano Des conflits éclatent vers 1870 en Bulgarie, en Serbie, en Bosnie, et en Roumanie. Mais le traité de San Stefano en mars 1878 confirme l'émergence des puissances orthodoxes dans les Balkans. le Recul définitif en Europe En septembre 1878, les grandes puissances se réunissent à Berlin pour procéder à une redistribution territoriale au détriment de l'Empire ottoman. le Recul définitif en Europe La Serbie, le Monténégro et la Roumanie deviennent indépendantes ; un Royaume de Bulgarie est créée ; la Grèce annexe la Thessalie et une partie de l'Épire ; l'Autriche occupe la Bosnie et l'Herzégovine ; l'Angleterre obtient l'île de Chypre ; et la Russie gagne les régions de Kars, d’Ardahan et de Batoum. l’Émancipation de l’Égypte L'Égypte devient autonome grâce à Mehmed Ali qui se fait proclamer gouverneur. De plus, ce dernier s'imposer au Hedjaz, en Arabie et au Soudan. le Morcellement de l’empire par la France, l’Angleterre et l’Italie En 1869, l'ouverture du canal de Suez est un symbole de plus de la perte de souveraineté ottomane sur la région. le Morcellement de l’empire par la France, l’Angleterre et l’Italie En effet, le canal est construit et contrôlé par des capitaux français puis anglais, et les Ottomans ne retirent rien de cette nouvelle voie commerciale majeure. Quant en l’Afrique du Nord, la France prend pied en Algérie en 1830, puis en Tunisie, alors que les Italiens débarquent en Tripolitaine en 1891. l’Impérialisme européen Dès la fin du XIXe siècle, les Ottomans sont vaincus. Les réformes lancées pour moderniser le sultanat et son administration sont bien trop tardives, et la domination occidentale est nette dans les secteurs scientifique et industriel. De plus, l'Etat Ottoman dépend de la "banque ottomane", certes à capitaux turcs, mais surtout à capitaux franco-anglais. l’Impérialisme européen Les Ottomans sont donc endettés et contraints de céder aux Européens des concessions sur l'exploitation des ressources, la construction des routes, la gestion du chemin de fer de Bagdad, et l'exploitation des premiers gisements pétroliers. le Démantèlement de 1914-1918 En raison de l’alliance entre les Ottomans et les Allemands pendant la première guerre mondiale, du génocide arméniens en 1915, et de la découverte de gisements de pétrole, la Grande-Bretagne et de la France vont soutenir les mouvements nationalistes arabes mais aussi négocier un partage de la région à travers l’accord Sykes-Picot en 1916. le Démembrement de l'Empire Les accords de Sèvres du 10 août 1920 oblige l’Empire : à créer un État arménien, à accorder l’autonomie aux Kurdes, à céder la Thrace et la région de Smyrne à la Grèce, . à placer les nations arabes sous mandat de la Société Des Nations qui les confie à la France et à la Grande-Bretagne, et à perdre le contrôle des Détroits qui sont désormais internationaux. l’Arrivée de Mustafa Kemal Face à l'impuissance d'Istanbul pour résister au dépeçage du territoire ottoman, un officier ottoman, Mustafa Kemal, décide d'organiser l'indépendance de la Turquie. Il est soutenu par la classe politique et par une population humiliée. Il fonde un gouvernement à Ankara, il rejette les clauses du traité de Sèvres et il reprend le combat. la Reconquête de territoires Les troupes turques, en 1921, reprennent Kars et Ardahan à l'Arménie, ainsi que la Cilicie au Sud. la Renégociation des accords de Sèvres Les troupes turques chassent les Grecs d'Anatolie en 1922. Un armistice est conclu en octobre de la même année, et le traité de Lausanne est signé en juillet 1923, fixant ainsi les frontières actuelles de la Turquie. la Renégociation des accords de Sèvres Par ce traité, les Turcs reconnaissent l'indépendance des anciennes provinces arabes, ils procèdent à l'échange des populations turques de Grèce avec les Grecs d'Anatolie, et ils mettent fin à la création d’un État arménien et d’un État kurde comme il était prévu dans les accords de Sèvres. la Création de la Turquie Le sultanat et l'Empire ottomans disparaissent définitivement le 29 octobre 1923 avec la proclamation de la République laïque de Turquie : sa capitale est Ankara, et son premier président de la république est Mustafa Kemal. Ce survol est trop rapide, pour une histoire militaire et diplomatique extrêmement complexe. Mais cette combinaison entre guerre, occupation, religion, pétrole, humiliation des peuples en rappelle une autre : les Balkans hier, le Proche et le Moyen-Orient aujourd'hui... Comme si le puzzle de l'ex-Empire Ottoman n’en finissait pas de se défaire et de se refaire. La connaissance de l'histoire donne un sens très particulier à l'hypothèse de l'entrée de la Turquie en Europe.