le rôle du microbiote dans les maladies rhumatismales

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RHUMATO
ORTHO-RHUMATO | VOL 15 | N°2 | 2017
LE RÔLE DU MICROBIOTE
DANS LES MALADIES RHUMATISMALES*
Céline Mortier1,2, Jens Van Praet1,2,3, Michael Drennan1,2, Massimo Marzorati4, Dirk Elewaut1,2,
Tom Van de Wiele4
1. Laboratorium voor Moleculaire Immunologie en Inflammatie, UZ Gent
2. Center for Inflammation Research, Vlaams Instituut Biotechnologie
3. Service de Néphrologie et des Maladies infectieuses, AZ Brugge
4. Centrum voor Microbiële Ecologie en Technologie, UGent
L’intestin humain abrite une communauté microbienne extrêmement vaste et
variée, qui est non seulement associée à différents processus liés à la santé, mais qui
est en plus capable de les moduler. Au niveau des surfaces muqueuses notamment, on
observe une importante interaction entre l’hôte et les micro-organismes. Grâce à une compréhension plus approfondie de la composition spécifique et de la fonctionnalité du microbiote muqueux, il a été démontré que ce dernier joue un rôle dans l’intégrité de la barrière
intestinale et le fonctionnement de notre système immunitaire. Les micro-organismes sont
non seulement impliqués dans des processus pro- et anti-inflammatoires au niveau épithélial, mais agissent également sur des organes éloignés tels que les articulations. Dans cet
article de synthèse, nous examinons le rôle du microbiote intestinal dans le contrôle des
réponses immunitaires locales et systémiques, ainsi que l’influence des troubles de l’interaction entre l’hôte et le microbiote sur le développement et l’évolution des maladies
rhumatismales. La meilleure compréhension de l’homéostasie entre l’hôte et les microorganismes pourrait contribuer à l’élaboration de nouvelles stratégies de prévention ou de
traitement pour ces affections.
INTRODUCTION
Le corps humain est colonisé par une vaste population
microbienne très diverse sur le plan génétique, appelée microbiote. Ainsi, notre corps abrite 10 fois plus
de micro-organismes que de cellules humaines. En outre,
le microbiome (terme désignant le génome de l’ensemble
du microbiote) code 100 fois plus de gènes que le génome
humain.
OR1084F
Le microbiote humain joue vraisemblablement un
rôle majeur dans la santé, d’une part via une influence
directe, et d’autre part par le biais d’une interaction avec
d’autres facteurs tels que la génétique, l’alimentation, le
mode de vie, les soins médicaux, l’hygiène et des facteurs
environnementaux.
Grâce au développement de plusieurs techniques
«omiques» et à leur utilisation dans des projets de
recherche à grande échelle, comme le Human Microbiome
Project (1) aux États-Unis, ce domaine a récemment connu
une évolution fulgurante. C’est ainsi que la corrélation
entre l’état de santé et la composition du microbiome a pu
être étudiée de manière plus approfondie. L’idée selon
laquelle l’influence du microbiote sur la santé ne se limiterait pas à l’intestin prend de plus en plus d’ampleur. Il a par
exemple été démontré que jusqu’à 30% de la flore intestinale est constituée de bactéries appartenant aux groupes
IV et XIVa des Clostridium (2), qui possèdent plusieurs
propriétés immunomodulatrices (3).
L’une des principales missions du système immunitaire muqueux consiste à maintenir l’équilibre entre les
micro-organismes potentiellement nuisibles et la tolérance
vis-à-vis des antigènes alimentaires. Des nodules lymphoïdes organisés, tels que les plaques de Peyer, jouent un
rôle essentiel à cet égard. L’altération de l’intégrité des surfaces muqueuses peut entraîner une inflammation, aussi
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bien au niveau de l’intestin qu’à d’autres endroits du corps.
Le microbiote contribue aux effets immunologiques systémiques consécutifs à l’inflammation locale de la muqueuse,
ainsi qu’aux pathologies qui en découlent.
Il a ainsi été constaté que l’inflammation de l’intestin et le
microbiote sont associés à des affections de l’appareil musculo-squelettique telles que les spondylarthropathies (SpA)
et la polyarthrite rhumatoïde (PR). Différents éléments
probants issus de modèles animaux et d’études observationnelles humaines montrent l’existence d’une relation
entre le microbiote et les maladies rhumatismales. Le lien
manifeste entre les maladies inflammatoires de l’intestin
(MII) et les SpA corrobore cette hypothèse.
L’intestin n’est pas le seul organe à héberger un microbiote
abondant; la peau aussi abrite un grand nombre de bactéries commensales qui, dans des conditions normales,
vivent en homéostasie avec le corps humain. L’altération
de cet équilibre est associée à la pathogenèse du psoriasis (4).
MICROBIOTE ET SYSTÈME IMMUNITAIRE
IMPORTANCE DU MICRO-ENVIRONNEMENT
POUR LA COLONISATION MICROBIENNE
Dans le cadre de la recherche scientifique sur le lien entre
le microbiome intestinal et la santé, il faut bien avoir à
l’esprit que ce microbiome n’est pas constitué que d’une
seule population homogène. Il s’agit plutôt d’une association de différents écosystèmes qui colonisent divers microenvironnements au sein de l’intestin. Ainsi, les différences
longitudinales entre l’iléon terminal, le côlon proximal et
le côlon distal engendrent des variations de composition
et de fonctionnalité du microbiote. Par ailleurs, en raison
des gradients muqueux transversaux d’oxygène, de peptides antimicrobiens et d’immunoglobuline A sécrétoire,
la population microbienne de la muqueuse diffère sensiblement de celle présente dans la lumière. Des travaux de
recherche sur des prélèvements intestinaux, ainsi que des
études in vivo et in vitro plus poussées sur le plan mécanique révèlent que les organismes issus des groupes IV et
XIVa des bactéries Clostridium productrices de butyrate
sont plus abondants que le phylum des Bacteroidetes (5).
Il s’agit d’une donnée importante à trois égards:
- le butyrate est la principale source d’énergie des
colonocytes;
-les Clostridia productrices d’acide butyrique peuvent
renforcer la barrière intestinale via la stimulation des
protéines associées aux jonctions serrées;
- ces mêmes Clostridia productrices d’acide butyrique peuvent également stimuler les lymphocytes T
régulateurs.
Il est dès lors intéressant de constater que la muqueuse
intestinale des patients souffrant de la maladie de Crohn,
de colite ulcéreuse ou de MII abrite généralement des
Clostridia productrices d’acide butyrique moins nombreuses ou moins actives.
MODULATION MICROBIENNE DE L’IMMUNITÉ INTESTINALE
Le lien entre microbiome et santé n’a pas seulement été
mis en évidence dans des études corrélationnelles. Dans
des modèles animaux de colite, des chercheurs ont constaté
que l’administration de Clostridia productrices de butyrate,
telles que Faecalibacterium prausnitzii, réduit l’apparition
de lésions macroscopiques au niveau de la muqueuse (6).
Dans la mesure où ces bactéries colonisent avant tout l’environnement muqueux, elles peuvent aussi être en contact
plus étroit avec l’épithélium intestinal. Les résultats obtenus sont intéressants: chez des souris stériles, autrement
dit sans germes, la mono-association de Clostridia productrices de butyrate entraîne une régulation positive de
FOXP3, une protéine essentielle pour la fonction des lymphocytes T régulateurs et la régulation du système immunitaire (3). Un autre exemple de contrôle microbien de
l’immunité intestinale concerne une souche de Bacteroides
fragilis qui produit un antigène spécifique, le polysaccharide A (PSA). Chez les souris stériles, l’immunité est surtout dominée par une immunité humorale contrôlée par les
TH2 (production et sécrétion d’anticorps), ce qui contribue
au développement d’une sensibilité à Helicobacter hepaticus. Un traitement par PSA ou par souches de Bacteroides
fragilis productrices de PSA stimule toutefois l’immunité cellulaire contrôlée par les TH1, qui offre une protection contre les infections à Helicobacter hepaticus (7). Ces
exemples, parmi d’autres issus de la littérature, montrent
bien que le microbiote muqueux joue un rôle majeur dans
l’immunité intestinale; même le développement d’une
auto-immunité systémique à l’âge adulte s’avère lié à la colonisation microbienne au cours de la période néonatale.
CONSÉQUENCES POUR L’IMMUNITÉ SYSTÉMIQUE
L’étude de souris stériles en comparaison avec des souris conventionnelles montre que le microbiote contribue aussi à la régulation de l’immunité systémique. En
l’absence de microbiote intestinal, les animaux de laboratoire produisent nettement moins de molécule anti‑
microbienne REGIIIγ, ce qui rend les souris plus sensibles
aux infections à Listeria monocytogenes (8). En outre, le
développement des neutrophiles dépend de la colonisation
microbienne au niveau de l’intestin, si bien qu’une réponse
immunitaire précise peut être déclenchée, notamment
contre Escherichia coli K1 (9). Enfin, des études réalisées
sur des jumeaux monozygotes et dizygotes ont révélé que
des facteurs non héréditaires, tels que le microbiome intestinal, jouent un rôle crucial dans la variabilité immunitaire
observée chez les êtres humains (10).
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LIEN AVEC LES MALADIES RHUMATISMALES
DONNÉES PROBANTES ISSUES D’EXPÉRIENCES
SUR DES ANIMAUX
Des expériences réalisées à l’aide de modèles murins d’arthrite ont montré que le score pathologique est plus faible
en conditions stériles ou SPF (specific pathogen free) (11).
L’introduction de bactéries filamenteuses segmentées
(SFB pour segmented filamentous bacteria) chez les souris K/BxN stériles a provoqué l’apparition d’arthrite. La
modulation de la flore intestinale par un traitement antibiotique a contribué à une diminution de la quantité de
lymphocytes TH17 et à l’atténuation de la pathologie (11).
À l’inverse, un traitement par enrofloxacine, un anti‑
biotique dirigé contre les bactéries à Gram négatif, a
entraîné une aggravation des symptômes chez des souris souffrant d’arthrite induite par le collagène (CIA pour
collagen-induced arthritis) (12). On ne sait pas pourquoi
les deux modèles ont répondu différemment aux anti‑
biotiques, mais il est possible que cela soit dû à une différence au niveau des micro-organismes en cause.
Dans le modèle murin HLA-DRB1, les chercheurs ont
constaté une différence de composition du microbiote
fécal entre les souris porteuses du gène de la sensibilité à
l’arthrite et celles porteuses de la variante génétiquement
résistante. Cette différence était associée à une plus grande
perméabilité intestinale (13).
Chez des rats transgéniques HLA-B27, des chercheurs
ont observé une association entre la présence de l’antigène HLA-B27 et une modification de la composition du
microbiote intestinal (14). Hoentjen et al. (15) ont démontré que l’administration de prébiotiques à ces rats faisait
baisser le degré de colite et prévenait le développement de
l’arthrite. Cet effet était associé à une modification du
microbiote intestinal. Ces études suggèrent que les gènes
HLA peuvent jouer un rôle dans la colonisation microbienne de l’intestin et que les animaux génétiquement sensibles présentent probablement une dysbiose.
SPONDYLARTHROPATHIES
Environ 20% des patients souffrant de MII développent
de l’arthrite ou une inflammation de la colonne vertébrale, autrement dit des symptômes typiques des SpA. La
spondylarthrite ankylosante (SA), le prototype des SpA,
touche jusqu’à 10% des personnes souffrant de MII (16).
Il convient de noter qu’environ 50% des patients atteints
de SpA présentent des signes microscopiques d’inflammation aiguë ou chronique de l’intestin, qui ne sont pas
associés à des symptômes gastro-intestinaux (17). La
rémission clinique de l’arthrite est associée à la disparition de l’inflammation intestinale, tandis que la présence
d’une inflammation de l’intestin est associée à une arthrite
persistante (18). La présence d’une inflammation chronique de l’intestin est un facteur de risque de développement de la maladie de Crohn (18).
Le microbiote intestinal a été analysé en détail dans plusieurs études sur des patients souffrant de MII. Un
constat récurrent dans ces études concerne la réduction
de la diversité de la flore intestinale (19). Les observations
typiques incluent une présence accrue de protéobactéries
et une diminution du nombre de Firmicutes, telles que
F. prausnitzii (20). Malgré le lien manifeste entre inflammation intestinale et SpA, on en sait étonnamment peu sur
la relation complexe entre le microbiote, la génétique et
l’inflammation dans le cadre des SpA. Un certain nombre
d’études ont révélé que les patients souffrant de SpA et les
individus en bonne santé présentaient un profil différent
en termes de microbiome. Ainsi, Stoll et al. (21) ont montré une diminution de la présence de F. prausnitzii dans les
selles de patients souffrant d’une SpA juvénile, tandis que
les espèces du genre Bacteroides étaient des agents associés à la maladie. D’autres études seront nécessaires pour
comprendre totalement les implications biologiques de ces
constatations.
POLYARTHRITE RHUMATOÏDE
Outre la génétique, des facteurs environnementaux
semblent aussi jouer un rôle majeur dans le développement de la PR. La production d’anticorps anti-protéines
citrullinées (ACPA pour anti-citrullinated protein anti‑
bodies), qui sont très spécifiques de la PR, a déjà lieu avant
l’apparition de la maladie et est liée à des facteurs environnementaux tels que le tabagisme (22). Cette découverte
a fait naître l’hypothèse selon laquelle d’autres surfaces
muqueuses que celles de l’intestin pourraient contribuer
à la pathogenèse de la PR. Ces dernières années, différentes études ont révélé que des modifications de la composition du microbiote au niveau de la cavité buccale, de
l’intestin et probablement des poumons peuvent favoriser le développement de la PR. Ainsi, une étude a par
exemple mis en évidence un lien entre les affections parodontales et l’apparition ainsi que la sévérité de la PR. Dans
cette étude, les chercheurs se sont essentiellement intéressés à P. gingivalis, étant donné que cette bactérie est
capable de citrulliner des protéines et qu’elle est associée
à la production d’ACPA (23). Une forte corrélation a également été constatée entre la PR, d’une part, et la présence de Prevotella copri et une diminution du nombre
de Bacteroides dans le microbiote fécal, d’autre part (24).
Aujourd’hui, on s’intéresse de plus en plus à la relation
entre la PR et la muqueuse respiratoire, qui abrite aussi
un microbiote caractéristique. Le tabagisme, un important facteur de risque de la PR, est associé à une inflammation des voies respiratoires ainsi qu’à des modifications
du microbiote respiratoire (25).
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Figure 1: Modèle multidirectionnel de l’interaction entre l’hôte et les micro-organismes.
Dans ce modèle, la relation entre la génétique, les facteurs environnementaux,
le microbiote et l’immunité est flexible. La rupture de l’équilibre mutuel entre ces
facteurs conduit au développement de la maladie. La contribution relative de ces
4 composantes varie d’une affection à l’autre. Ainsi, le facteur génétique est plus
prononcé dans la SA que dans la PR ou les MII (reproduction de Van de Wiele et al.,
2016, Nature Reviews Rheumatology).
an
ky
los
an
Sclérodermie
Génétique
te
Microbiome
Immunité
Facteurs
environnementaux
Microbiome
Génétique
Immunité
Immunité
Microbiome
Immunité
Génétique
Po
lya
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rite
Microbiome
rhu
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L’ŒUF OU LA POULE?
L’essentiel est de déterminer de quelle manière le microbiote, le mode de vie et/ou les facteurs environnementaux
interagissent précisément avec les facteurs liés à l’hôte, tels
que la génétique et les réponses immunitaires. Quels facteurs sont des causes et lesquels sont des conséquences? Ce
paradoxe de l’œuf ou de la poule n’a pas encore été résolu,
mais un certain nombre de principes généraux peuvent
être déduits, principalement du domaine des MII.
La réponse thérapeutique observée chez les personnes
souffrant de MII en réaction à la modification du microbiote indique que ce dernier joue un rôle dans la pathogenèse. Les auteurs d’une méta-analyse de 35 études sont
arrivés à la conclusion que l’ajout de probiotiques au traitement standard conduisait à une hausse des taux de rémission chez les patients souffrant de colite ulcéreuse, mais
pas chez ceux atteints de la maladie de Crohn (26). À l’inverse, les antibiotiques peuvent favoriser la rémission chez
les patients souffrant de la maladie de Crohn, alors que
leur effet est moins évident en cas de colite ulcéreuse (27).
Nous proposons deux modèles possibles pouvant expliquer la relation entre le microbiote et l’hôte. Le premier est
ammatoires de l’intest
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4
le modèle linéaire ou unidirectionnel, dans
lequel une cause première donne lieu à un
processus unidirectionnel. Dans ce cas-là, la
maladie apparaît, par exemple, chez une personne présentant un patrimoine génétique
spécifique, à la suite de son exposition à un
facteur environnemental déclencheur. Cela
peut entraîner une modification du microbiote, qui peut à son tour influencer la réponse
immunitaire locale au niveau de l’intestin.
Ces événements finissent par engendrer une
altération des réponses immunitaires systémiques, une perte de tolérance et la survenue
d’une auto-immunité systémique.
Une autre possibilité est le modèle multidirectionnel, dans lequel la relation entre la
génétique, le microbiote, l’environnement et
les réponses immunitaires est plus flexible
(Figure 1). L’interaction entre l’hôte et les
micro-organismes se stabilise en fonction
de l’équilibre entre les différentes variables.
Dans certaines maladies (comme la SA),
la composante génétique prédomine, mais
la survenue d’une évolution clinique dépend
de changements dans l’environnement, le
mode de vie (par ex. alimentation, statut
tabagique) ou le microbiote. En revanche,
dans d’autres cas (par ex. arthrite réactive), la
composante génétique est bien moins présente et la composante microbienne constitue le facteur déclenchant dominant. En cas de PR, les facteurs de risque connus tels que
le tabagisme et le sexe ont une influence sur le microbiote
intestinal. À cet égard, l’effet du tabagisme sur la production d’ACPA est surtout visible chez les patients porteurs
de certaines variations des allèles HLA-DRB1 (28).
La principale différence entre les deux modèles est la
réversibilité du modèle multidirectionnel. La rupture de
l’équilibre entre les 4 composantes essentielles (génétique, microbiote, environnement et réponse immunitaire) conduit au développement de la maladie. En
théorie, il devrait être possible de rétablir l’homéostasie
en agissant de manière ciblée sur n’importe laquelle de ces
composantes.
COMMENT RÉTABLIR L’HOMÉOSTASIE?
Le facteur génétique est la composante la plus difficile à
moduler dans la relation entre l’hôte et le microbiote. C’est
la raison pour laquelle d’autres stratégies ont été explorées
pour influencer cette interaction, comme la modulation
des facteurs environnementaux, de la réponse immunitaire et du microbiote.
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Des changements dans le mode de vie peuvent être utiles,
mais sont parfois difficiles à réaliser dans la pratique. En
outre, certains éléments laissent penser que les facteurs
environnementaux peuvent exercer un effet plusieurs
années avant que la maladie ne soit cliniquement visible.
L’étude des propriétés immunomodulatrices potentielles
de différents micro-organismes intestinaux, tels que des
souches de Bacteroides fragilis ou des bactéries appartenant aux groupes IV et XIVa des Clostridium, constitue
une approche intéressante. Même s’il convient de poursuivre les recherches dans ce domaine, l’administration
de souches de Clostridia, par exemple, a déjà donné des
résultats prometteurs dans des modèles murins (29). Les
résultats du Human Microbiome Project (1), entre autres,
ont confirmé que la flore microbienne résidente joue un
rôle crucial dans notre santé. À l’inverse, une dysbiose est
associée à des problèmes de santé potentiels. Dès lors, les
stratégies biothérapeutiques visant à préserver ou à rétablir le microbiote humain représentent une approche intéressante dans le traitement des maladies rhumatismales.
Ces 20 dernières années, les pré- et probiotiques ont fait
l’objet de nombreux travaux de recherche. L’utilisation
de prébiotiques vise à enrichir les nutriments destinés
aux micro-organismes bénéfiques pour la santé. Avec les
probiotiques, les micro-organismes immunomodulateurs
favorables sont directement administrés. L’application la
plus simple de ce concept est la transplantation fécale, une
technique qui consiste à administrer du matériel microbien
fécal provenant d’un donneur en bonne santé à un individu
malade dans le but de remplacer le microbiote dysbiotique
de ce dernier. Toutefois, le risque de transmission de maladies pose un certain nombre de questions quant à l’utilisation de cette technique en cas d’affections n’engageant pas
le pronostic vital du patient. Une option alternative consiste
à utiliser des systèmes microbiens synthétiques contenant
les principaux taxa des bactéries intestinales, comme dans
l’exemple précité où un mélange de souches de Clostridia
a été utilisé pour le traitement de MII (29). La démonstration de l’efficacité de cette approche et la production,
par la suite, de moyens thérapeutiques constituent un défi
pour les années à venir, même s’il faudra avant tout prouver l’existence d’un lien de causalité entre l’altération du
microbiote et l’apparition de la pathologie (30).
CONCLUSION
De plus en plus d’éléments prouvent que le microbiote
exerce une influence sur différentes maladies rhumatismales, telles que les SpA, l’arthrite psoriasique et la PR.
Pour l’instant, il semble peu probable que la modulation
du microbiote ne devienne, à elle seule, une solution pour
le traitement de ce type d’affections. Toutefois, lorsque la
maladie est d’origine multifactorielle, une approche théra‑
peutique multifactorielle peut être une stratégie utile.
Outre la modulation d’autres facteurs (génétique, immunité et environnement), la modulation du microbiote et de
son interaction avec son hôte peut constituer une stratégie intéressante pour le contrôle ou la prévention des affections rhumatismales.
À l’heure actuelle, on ne sait pas si les modifications du
mode de vie qui influencent les micro-organismes (tels que
l’hygiène, la prise d’antibiotiques, l’alimentation et le tabagisme) contribuent au développement et à l’évolution de la
maladie. La recherche sur les mécanismes via lesquels des
micro-organismes «thérapeutiquement» modifiés peuvent
moduler des affections rhumatismales, par exemple en
activant les cellules immunitaires régulatrices, n’en est
qu’à ses balbutiements, mais il s’agit là d’une piste intéressante à explorer.
* T raduction de l’article: Van de Wiele T, Van Praet JT, Marzorati M,
Drennan MB, Elewaut D. How the microbiota shapes rheumatic
diseases. Nature Reviews Rheumatology 2016;12:398-411.
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