parlent même d’une « spiritualisation
rampante du politique »). Quant aux
défenseurs de l’écologie et de l’environ-
nement dans les États frappés de plein
fouet par la crise industrielle, ou dans
ceux de l’Ouest, Alaska compris, ils
savent aussi se faire entendre.
Autre élément à prendre en compte, le
basculement du centre de gravité
démographique et politique, dont on
peut voir un signe dans la région d’ori-
gine des présidents successifs. Au XIXe
siècle et durant la première moitié du
XXe, à l’exception d’Andrew Johnson en
1865 et 1869, qui venait du Tennessee,
et de Hoover en 1928, issu de
Californie, tous étaient originaires d’un
État situé dans l’Est. Depuis 1976,
ils viennent de Géorgie (Carter),
de Californie (Reagan), de l’Arkansas
(Clinton) et du Texas (Bush père et fils).
Pour compléter le paysage, il faut rappe-
ler la forte mobilité entre États, et le fait
que quelque 10 % des électeurs sont
des Américains intégrés récemment à
l’Union, venus de l’étranger, et pour les-
quels les messages politiques n’ont pas
forcément de sens. Enfin, en matière
d’élection, la constitution fédérale donne
d’importantes prérogatives aux États :
ce sont eux qui organisent le scrutin
(seul le nombre des grands électeurs,
des représentants et des sénateurs, ainsi
que le calendrier des élections fédérales,
sont fixés par Washington). Aux États-
Unis, la perception politique est donc
assez « locale ».
Ainsi mises à l’épreuve par les trans -
formations sociologiques et démographi-
ques, les institutions politiques sont
actuellement critiquées de l’intérieur.
Le système des « primaires » induirait des
choix qui ne sont pas issus d’un débat
vraiment populaire et collectif, mais d’in-
dividus regroupés pour la circonstance.
Les candidats seraient devenus les repré-
sentants d’une sorte de « political and cor-
porate America », prêts à se faire soutenir
par tout lobby un peu influent. De plus, le
système des « grands électeurs » est
contesté (voir encadré).
Ces critiques trouvent une confirma-
tion dans la baisse à peu près constante
du taux de participation électorale,
pour le scrutin présidentiel, depuis qua-
tre décennies. En 1992, l’arrivée sur la
scène politique d’un tiers-parti puissant
avec Ross Perot l’avait fait progresser
de 5 %, mais il est retombé ensuite en
dessous de la barre des 50 %. Beaucoup
pensaient que ce taux allait remonter
en 2000 du fait d’un véritable combat
électoral entre Gore et Bush : effective-
ment, un peu plus de 51 % des adultes
ont voté. On est cependant très loin
des 63 % de participation obtenus en
1960. Cette année-là, 68,8 millions d’a-
dultes avaient voté, plus de 40 millions
s’étaient abstenus. En 1996, il y eut pour
la première fois plus d’abstentionnistes
que de votants (100 millions contre
96,3). Enfin, si le taux de participation
est de quelque 50 % à la présidentielle,
il est de 40 % pour les élections de mid-
term et de 15 à 20 % dans les élections
« hyper-locales » comme celle du gou-
verneur, ou lors des référendums.
L’amérique
en « bLeu et rouge »
L’Amérique politique et électorale
d’aujourd’hui est plus que jamais divi-
sée, une division nourrie par les efforts de
marketing politique des deux grands par-
tis qui paraissent sclérosés dans des cam-
pagnes sans compromis. Selon la plupart
des analystes politiques, le résultat très
serré de l’élection présidentielle de 2000
a créé une sorte d’impasse à la Maison
Blanche mais également au Congrès, avec
un Sénat à 50/50 et une majorité républi-
caine étroite à la Chambre des représen-
tants. Cet équilibre reflète une nouvelle
géographie politique, une « Amérique en
bleu et rouge ».
Selon un article récent et remarqué
de Hans Noel, un politologue de l’Uni -
ver sité de Californie (« The Road to Red
and Blue America »), l’Amérique est bien
un pays de classes moyennes, aux opi-
nions politiques plutôt modérées ; mais
depuis quelques années, on assisterait
à une polarisation autour des positions
des conservateurs du Parti républicain et
des « libéraux » démocrates (qui repré-
sentent la gauche du parti) ; la tendance
plus conservatrice du Parti démocrate,
qui était apparue au cours des années
1980 (les « Reagan Democrats »), serait
à présent en voie de disparition au profit
de cette « nouvelle gauche ». Selon John
Kenneth White, auteur de The Values
Divide1, les « rouges » (les républicains)
Sociétal N° 45 g3etrimestre 2004
4LIVRES ET IDÉES
4CONJONCTURES
4REPÈRES ET TENDANCES 4DOSSIER
ÉTATS-UNIS
Le système controversé des grands électeurs
Avec le système du winner takes all (« le vainqueur prend tout »), un candidat à la pré-
sidence doit recueillir 270 voix de Grands électeurs pour l’emporter. En fait, ce nom-
bre ne correspond pas à celui des voix issues des urnes : ainsi, aux élections de 1960,
Kennedy n’a obtenu que 118 500 voix d’avance (sur 68,3 millions de votants) sur son
adversaire, le vice-président sortant Richard Nixon. Il fallut attendre tard dans la nuit
pour que les suffrages de l’Illinois, étroitement contrôlés par le maire de Chicago,
apportent à JFK les suffrages qui ont fait pencher la balance en sa faveur. De fait,
il aurait suffi que 13 000 électeurs votent différemment dans cinq États pour faire
basculer le résultat. Pourtant, le collège électoral a donné 303 voix à Kennedy contre
219 à Nixon. Cela s’est produit à d’autres reprises dans l’histoire.
Ce système des grands électeurs est qualifié par beaucoup de commentateurs
comme Bill Frenzel d’« anachronique, une négation d’un système électoral démocra-
tique ». La composition globale n’a pas changé depuis cent ans, mais la répartition des
grands électeurs entre les États évolue en fonction de la population. Aujourd’hui 13
États en détiennent moins de 5 du fait de leur faible représentation à la Chambre des
représentants, alors que 7 États « poids lourds » en comptent plus de 20 (Californie,
Texas, New York State, Floride, Illinois, Pennsylvanie, Ohio) et entrent pour plus de
36 % dans la composition du collège électoral. Le record est détenu par la Californie
avec ses 55 grands électeurs, soit plus de 10 % du collège électoral. Un net bascule-
ment démographique et politique s’est produit au profit des États qui forment le
grand croissant périphérique et dynamique allant du Nord-Ouest au Sud.