On nous demande toujours de raconter ce qui est arrivé dans la ville de Barcelone, en
terme de transformation urbaine et ce qui a provoqué autant d’attention du monde entier.
Mais avant de vous raconter quelques-unes des choses que nous avons faites à
Barcelone, je voudrais vous faire part de quelques réflexions, parce qu'il me semble que
nous nous trouvons à présent dans un contexte très différent de celui qui existait lorsque la
ville de Barcelone a effectué sa grande transformation dans les années quatre-vingt et
quatre-vingt-dix et même durant la première décennie du XXIe siècle.
Si les problèmes à Barcelone, dans les années quatre-vingt, étaient propres à une ville
qui sortait d'une très longue période de dictature politique, les difficultés qu’elle rencontre
aujourd’hui, ressemblent sûrement beaucoup plus à celles de Marseille, de Paris, de Berlin
et de n'importe quelle ville européenne d'aujourd'hui, dans un contexte où la crise
économique est accompagnée d'une crise sociale, d'une crise des valeurs, d'une crise
politique extrêmement importante et, d'une certaine manière, aussi d'une crise culturelle.
Nous avons parlé de la culture comme élément de transformation de la ville. Je vais
faire une autre proposition : il n'y a pas de ville sans culture, et pas de culture sans
ville. C'est radical, j'en conviens. Ce n'est pas que l'un soit le transformateur de l'autre,
mais il s'agit plutôt des deux faces d'une même pièce de monnaie. La culture comme
chemin vers la liberté, la véritable culture, libérée de l'autorité de la famille, de la
tribu ou du poids de la religion a besoin de l'environnement urbain pour se
développer. Enlever cette culture de la ville, c'est comme sortir un poisson hors de l'eau.
Par ailleurs, la ville sans culture devient pure urbanisation. Mais une première
question se pose : il y a aujourd'hui dans le monde une grande part de l'urbanisation qui
est urbaine, mais qui ne fait pas « ville » : quelle est la différence ? L'absence de culture
d'un point de vue collectif. Lorsque nous arrivons dans ces zones urbaines, urbanisées,
nous avons la sensation qu'on en a extrait l'ADN citoyen, qu'on leur a extirpé la vitalité de
ce que nous avons toujours connu comme ville.
Je vais donner un exemple extrême: quelques-uns d'entre vous connaissent
probablement l'Amérique latine. Les ensembles en copropriété brésiliens fermés sur eux-
mêmes ou les grands espaces urbains à la périphérie des grandes capitales latino-
américaines sont des environnements urbains présentant une très haute qualité de vie,
mais ce n'est pas la ville. Ces lieux n'ont pas la diversité, la vitalité, l'espace pour que la
culture puisse se développer comme chemin vers la liberté. De la même manière, il se
produit exactement la même chose au Brésil que ce soit en copropriété fermée ou dans la
favela misérable à l'extrémité d'une grande ville comme Sao Paulo, ou dans le centre de
Rio de Janeiro. De ce point de vue, c'est exactement le même phénomène : la qualité de
vie d'un lieu à l'autre est radicalement différente, mais ce sont des zones urbaines
auxquelles on a enlevé la condition de ville.
Par conséquent, en cette période de crise, où c’est pour ainsi dire la mode de déclarer
qu'il faut sauver des choses, quand la crise éclate, comme elle a éclaté en Europe, nous
essayons tous de sauver ce que nous pouvons. Nous voulons sauver l'État providence,
nous voulons sauver l'Europe, nous voulons sauver l'euro, nous voulons sauver les
conditions de vie, le système public de santé, l'éducation publique. Moi, je vous propose de
considérer ce que probablement l'alliance entre la culture et la ville nous permet, c'est-à-
dire de sauver l’un et l’autre. En d’autres mots, si nous sauvons la ville, au sens
propre du terme, nous sauverons la culture, et si nous sauvons la culture, ce ne sera
probablement qu'en sauvant la ville.
Que lui arrive-t-il aujourd'hui, à la ville ? Nous avons entendu parler aujourd'hui à
maintes reprises de la transformation de la ville. Et j'entends de nombreux politiciens nous
parler de la ville — quel politicien ne se présentera pas à des élections sans dire
« comment je vais transformer ma ville », « je vous propose une transformation de la
ville ». Je vais vous dire une chose : il me semble que les villes aujourd'hui sont déjà
transformées, qu'elles sont déjà absolument différentes de ce qu'elles étaient à la fin du
siècle dernier, il y a à peine plus de trente ans. Que leur est-il arrivé ? Quelle est cette