chapitre un - The Foundation of Buddhist Thought

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CHAPITRE UN
INTRODUCTION AUX QUATRE NOBLES VERITES
I- Les raisons d’étudier les Quatre Nobles Vérités
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1) Les avantages d’étudier les Quatre Nobles Vérités
a) l’avantage minimal
b) l’avantage moyen
c) l’avantage supérieur
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II- A propos des Quatre Nobles Vérités
1) Les différentes manières d’aborder chacune des Quatre Nobles Vérités
a) les trois « tours » et les douze manières
2) La raison de l’ordre des Quatre Nobles Vérités
3) La définition de « Vérité » et de « Noble »
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III- Les deux groupes de cause et d’effet
1) fonctionnement des causes et des effets
2) Comment la Vérité de l’Origine est la Cause et comment la Vérité de la Souffrance
est le résultat
3) Comment la Vérité du Chemin est la cause et comment la Vérité de la Cessation
est le résultat
4) Logique ou dogme bouddhique ?
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IV- Etre son propre refuge
1) Personne ne peut purifier autrui
2) Les deux extrêmes à éviter
3) La voie du milieu
4) Observer cet instinct
5) Etre responsable de soi et d’autrui
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CHAPITRE UN
INTRODUCTION AUX QUATRE NOBLES VERITES.
« Celui qui remplit sa lampe d’eau ne dissipera pas l’obscurité, et celui qui essaye d’allumer un feu
avec du bois pourri n’y parviendra pas. Et comment quelqu’un peut-il se libérer du soi en menant une
vie misérable, s’il ne parvient pas à assouvir les feux du désir, s’il rêve encore soit de plaisirs matériels
soit de plaisirs célestes. Mais celui en qui le soi a disparu est libre du désir ; il ne désirera ni les plaisirs
matériels, ni les plaisirs célestes, et la satisfaction de ses besoins naturels ne le souillera pas. Toutefois
qu’il soit modéré, qu’il mange et boive selon les besoins de son corps.
La sensualité est débilitante, l’homme complaisant est esclave de ses passions, et la recherche du
plaisir est dégradante et vulgaire.
Mais satisfaire les besoins vitaux n’est pas mal. Garder son corps en bonne santé est un devoir, sinon
nous serons incapables de moucher la lampe de la sagesse, et de garder notre esprit fort et clair. L’eau
entoure la fleur de lotus mais ne mouille pas ses pétales. »
LE SERMON DE BENARES *
A présent envisageons l’enseignement bouddhique à propos des Quatre Nobles Vérités. La
première question que l’on peut poser est pourquoi les Quatre Nobles Vérités sont-elles considérées
comme si fondamentales, et pourquoi, en fait, le Bouddha les avait enseignées.
Afin de répondre à cela, nous devons établir une relation entre les Quatre Nobles Vérités et
notre propre expérience d’être humain particulier. Il est un fait (un fait naturel de la vie) que chacun de
nous a le désir inné de rechercher le bonheur et de dépasser la souffrance. C’est quelque chose de très
instinctif, et il n’est pas besoin d’en prouver l’existence. Le bonheur est une chose à laquelle nous
aspirons tous, et bien sûr nous avons naturellement tous droit à répondre à cette aspiration. De la
même manière, la souffrance est une chose que tout le monde souhaite éviter, et nous avons également
le droit d’essayer de dépasser la souffrance. Donc si cette aspiration d’accéder au bonheur et de
vaincre la souffrance est notre état naturel d’être, et notre quête naturelle, la question est de savoir
comment nous y prendre pour répondre à cette aspiration. Ceci nous conduit à l’enseignement des
Quatre Nobles Vérités, qui apporte une compréhension de la relation qu’entretiennent deux séries
d’évènements : les causes et leurs effets.
LES QUATRE NOBLES VERITES ** par Sa Sainteté Le Dalaï Lama
I- LES RAISONS D’ETUDIER LES QUATRE NOBLES VERITES
Pourquoi nous intéressons-nous à la vie spirituelle et en particulier à l’étude du bouddhisme ?
Je pense que c’est le genre de question que nous devons poser au début de ce cours. Dans son livre
Les Quatre Nobles Vérités, Sa Sainteté Le Dalaï Lama dit que notre intérêt pour la vie spirituelle est :
« …quelque chose de très instinctif, et dont il n’est pas nécessaire de prouver l’existence. Le bonheur
est une chose à laquelle nous aspirons tous et bien sûr nous avons naturellement le droit de répondre à
cette aspiration. »
Je pense que c’est le fondement même de ce que nous avons besoin de comprendre. Pas uniquement
intellectuellement, ni parce que quelqu’un tel que Sa Sainteté l’a dit, mais nous devons connaître la
réponse pour nous-même. Souhaitons-nous vraiment être heureux ? Sa Sainteté affirme que c’est
instinctif. Si c’est le cas, ce sentiment instinctif est-il toujours avec nous ? Comment procédons-nous
pour y répondre ? Je pense que les réponses à ces questions sont vraiment les bases de ce que nous
devons savoir avant de commencer notre étude et notre pratique.
-------------------------------------------------*extrait de « The Gospel of Buddha » (ed. Paul Carns) Alcove Press 1915 (revu en 1974)
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** “The Four Noble Truths” by Ven. Lobsang Gyatso –Snow Lion Publication
Sa Sainteté dit que le Bouddha débuta par les Quatre Nobles Vérités car en chacun de nous réside le
sentiment instinctif de rechercher le bonheur et d’éviter les problèmes et les difficultés. Avant de pouvoir
considérer comment satisfaire ce désir d’être heureux, nous devons vraiment ressentir s’il en est ainsi
ou non.
Nous devons faire l’expérience par nous-même de la vérité de ce fait – pas parce que c’est dans les
écritures, ni parce que quelqu’un nous l’a dit. C’est notre point de départ.
1) Les avantages de l’étude des Quatre Nobles Vérités
a) L’avantage minimal
Mon sentiment est que l’avantage minimal d’étudier les Quatre Nobles Vérités est que nous gagnerons
une certaine assurance que les problèmes et les difficultés de nos vies peuvent être arrêtés. En ce
moment nos vies sont tellement conditionnées par des facteurs hors de notre contrôle, mais en
percevant clairement quelles choses sont les causes réelles de nos problèmes et en voyant qu’elles
peuvent être éliminées par la compréhension de la dernière Noble Vérité, la Vérité du Chemin, nous
constaterons qu’il y a un remède pour guérir cette vie « conditionnée ». Si nous acquérons une certaine
assurance – au moyen de ce cours, par la lecture des livres, la méditation, la discussion et les devoirsalors je pense que nous obtiendrons sans aucun doute un résultat. C’est là l’avantage minimal.
b) L’avantage moyen
Puis, si nous pouvons voir que notre vie actuelle peut être arrêtée, que le fait de suivre le Noble Octuple
Sentier a le pouvoir d’arrêter notre vie conditionnée, nous sommes plus près d’envisager le second des
Trois Refuges, qui est le Dharma, les enseignements du Bouddha. Et en voyant les êtres qui pratiquent
ce Dharma, nous contemplons en fait le premier et le troisième des refuges, le bouddha et le sangha.
Ceux qui ont parachevé le chemin sont des bouddha et ceux qui sont en train de pratiquer ainsi sont le
sangha. En étudiant les Quatre Nobles Vérités nous établissons les Trois Refuges.
Et ce n’est pas tout, nous nous rendons compte également que nous sommes capables de le faire. La
meilleure façon de prendre refuge dans le Dharma est de le mettre en pratique. Finalement, nous
deviendrons nous-même ce refuge, en devenant un bouddha. Pendant que nous pratiquons, nous
sommes le Sangha – pas nécessairement en prenant des vœux de moine ou de moniale, le sens réel
de « Sangha » est : un être qui a une réalisation directe de la vacuité. En étudiant les Quatre Nobles
Vérités, en méditant sur ces points, nous devons arriver à ce type de compréhension et gagner cette
certitude intérieure. Voilà le second avantage, l’avantage moyen.
c) L’avantage supérieur
L’avantage supérieur est de percevoir soi-même, la relation de cause à effet et la véritable nature de la
souffrance, ainsi que comment nous sommes tombés dans cette situation ; puis de voir comment tous
les autres êtres ont agi exactement de même. Ensuite, en comprenant que si nous mettons en pratique
la dernière Noble Vérité, nous deviendrons à même d’être utile non seulement à nous-même, mais
aussi aux autres êtres sensibles, quelle que soit la relation actuelle que nous entretenons avec eux,
sans aucune discrimination ni intérêt personnel. Ce type d’activité peut être accompli par la
compréhension et la pratique des Quatre Nobles Vérités à un niveau très profond.
En pratiquant la voie, sans tomber dans les deux extrêmes du nihilisme ou de l’éternalisme –le
nihilisme, où nous avons le sentiment que rien n’est réel et que par conséquent nous n’avons aucun
pouvoir d’agir, et l’éternalisme, où nous avons le sentiment que les choses sont solides et inaltérablesalors nous pouvons vraiment être efficaces pour aider les autres.
Entre ces deux extrêmes notre compréhension deviendra de plus en plus subtile, et notre
compréhension de la loi de cause à effet deviendra de plus en plus profonde.
La cessation de notre souffrance ne nous est pas donnée par quelqu’un telle un don mais doit émerger
de la pratique du Chemin Véritable. En accédant à une compréhension de cette nature, la distance
entre la vie conditionnée et incontrôlée que nous menons, et l’essence qui est la paix pure et parfaite,
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diminuera. Bien qu’il puisse être difficile d’atteindre ce centre, nous nous en approcherons de plus en
plus par notre pratique.
Par l’étude, le développement de la compréhension et la pratique des Quatre Nobles Vérités dans
notre vie quotidienne, l’avantage supérieur peut également profiter à tous les autres êtres sensibles.
Non seulement nous pouvons mettre un terme à notre propre souffrance, et à ses causes, mais nous
pouvons mettre un terme aux souffrances des autres et à leurs causes.
II- A PROPOS DES QUATRE NOBLES VERITES.
La Roue de la Loi
Dhamma-Cakkappavattana-sutta
(Le premier enseignement du Bouddha)
« Ainsi ai-je entendu. Le Bienheureux se trouvant au Parc des Gazelles à Isipatana près de Bénarès,
s’adressa ainsi aux cinq bhikkhus (moines) :
Il est deux extrêmes, ô bhikkhus, qui doivent être évités par un moine. Quels sont-ils ? S’attacher aux
plaisirs des sens, ce qui est bas, vulgaire, terrestre, ignoble et engendre de mauvaises conséquences, et
s’adonner aux mortifications, ce qui est pénible, ignoble et engendre de mauvaises conséquences.
Evitant ces deux extrêmes, ô bhikkhus, le Tathagataa découvert le Chemin du Milieu qui donne la
vision, la connaissance, qui conduit à la paix, à la sagesse, à l’éveil et au Nibbana.
Et quel est, ô bhikkhus, ce Chemin du Milieu que le Tathagata a découvert et qui donne la vision, la
connaissance et conduit à la paix, à la sagesse, à l’éveil et au Nibbana ? C’est le Noble Octuple
Sentier, à savoir : la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, le moyen d’existence
juste, l’effort juste, l’attention juste, la concentration juste.
Voici, ô bhikkus, la Noble Vérité sur dukkha. La naissance est dukkha, la vieillesse est dukkha, la
maladie est dukkha, la mort est dukkha, être uni à ce qu’on n’aime pas est dukkha, être séparé de ce
que l’on aime est dukkha, ne pas avoir ce que l’on désire est dukkha, en résumé, les cinq agrégats
d’attachement sont dukkha.
Voici, ô bikkhus, la Noble Vérité sur la cause de dukkha.
C’est cette « soif » (désir, tanha) qui produit la re-existence et le re-devenir, qui est liée à une avidité
passionnée et qui trouve une nouvelle jouissance tantôt ici, tantôt là, c’est-à-dire la soif des plaisirs des
sens, la soif de l’existence et du devenir, et la soif de la non-existence (auto-annihilation).
Voici, ô bhikkhus, la Noble Vérité sur la cessation de dukkha.
C’est la cessation complète de cette « soif », la délaisser, y renoncer, s’en libérer, s’en détacher.
Voici, ô bhikkhus, la Noble Vérité sur le Sentier qui conduit à la cessation de dukkha.
C’est le Noble Sentier Octuple, à savoir : la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, le
moyen d’existence juste, l’effort juste, l’attention juste et la concentration juste.
Avec la compréhension : « Ceci est la Noble Vérité sur dukkha », ô bhikkhus, dans les choses qui
n’avaient pas été entendues auparavant, s’élevèrent en moi la vision, la connaissance, la sagesse, la
science et la lumière.
Avec la compréhension : « Cette Noble Vérité sur dukkha doit être comprise »… « Cette Noble Vérité
sur dukkha a été comprise », ô bhikkhus, dans les choses qui n’avaient pas été entendues auparavant,
s’élevèrent en moi la vision, la connaissance, la sagesse, la science et la lumière.
Avec la compréhension : "Ceci est la Noble Vérité sur la cause de dukkha »… « Cette Noble Vérité
sur la cause de dukkha doit être détruite »… « Cette vérité sur la cause de dukkha a été détruite » ô
bhikkhus, dans les choses qui n’avaient pas été entendues auparavant, s’élevèrent en moi la vision, la
connaissance, la sagesse, la science et la lumière.
Avec la compréhension : « Ceci est la Noble Vérité sur la cessation de dukkha» … « Cette Noble
Vérité sur la cessation de dukkha doit être comprise. »… « Cette Noble Vérité sur la cessation de
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dukkha a été comprise. » ô bhikkhus, dans les choses qui n’avaient pas été entendues auparavant,
s’élevèrent en moi la vision, la connaissance, la sagesse, la science et la lumière.
Avec la compréhension : « Ceci est la Noble Vérité sur le Chemin qui conduit à la cessation
de dukkha »…
« Cette Noble Vérité sur le Chemin qui conduit à la cessation de dukkha doit être développée et
pratiquée. »… « Cette Noble Vérité sur le Chemin qui conduit à la cessation de dukkha a été
développée et pratiquée », ô bhikkhus, dans les choses qui n’avaient pas été entendues auparavant,
s’élèvent en moi la vision, la connaissance, la sagesse, la science et la lumière.
O bhikkhus, tant que cette connaissance réelle des Quatre Nobles Vérités sous leurs trois aspects et
dans leurs douze modalités n’était pas absolument claire en moi, aussi longtemps que je n’ai pas
proclamé à ce monde avec ses dieux, Mara et Brahmâ, ses troupes d’ascètes et de brahmanes, ses êtres
célestes et humains, que j’avais obtenu l’incomparable et suprême connaissance.
Et la connaissance profonde s’éleva en moi : inébranlable est la libération de mon esprit, ceci est ma
dernière naissance et maintenant il n’y aura plus d’autre existence.
Ainsi parla le Bienheureux, et les cinq bhikkhus, contents, louèrent ses paroles. »
1) Les différentes manières d’aborder chacune des Quatre Nobles Vérités
Comme vous pouvez le voir d’après le Dhamma-Cakkappavattana-Sutta, lorsque le Bouddha enseigna
les Quatre Nobles Vérités, il décrivit chaque Noble Vérité d’une façon légèrement différente. Il affirma
que la première Noble Vérité devait être comprise, que la seconde Noble Vérité devait être
abandonnée, que la troisième Noble Vérité devait être réalisée et que la dernière Noble Vérité devait
être cultivée.
Ce qui souligne que, bien que les Quatre Nobles Vérités soient un sujet unique, la manière dont nous
étudions et méditons chacune d’entre elles est légèrement différente. La première Noble Vérité, la
Vérité de la souffrance, doit être comprise, alors que la quatrième Vérité, la Vérité du Chemin, doit être
cultivée. Il existe une petite différence dans notre façon d’aborder chacune d’entre elles.
Le Bouddha dit que nous devons comprendre la Vérité de la Souffrance. La libération de la souffrance
survient avec les autres Nobles Vérités mais vous devez d’abord comprendre ce qu’est la souffrance.
C’est logique. Avant de prendre un médicament, on doit connaître la nature de sa maladie ; avant
d’abandonner la souffrance, on doit la comprendre réellement. A ce stade, donc, comprendre la Vérité
de la Souffrance est ce qu’il y a de plus important. Comment comprenons-nous pleinement ? Quelle
démarche devons-nous avoir ? Pourquoi est-ce important de procéder ainsi ? Pour arriver à cette
découverte il est nécessaire de lire les ouvrages et de discuter avec les autres étudiants.
Quant à la seconde Noble Vérité, La Vérité de l’Origine, il dit qu’elle devrait être abandonnée. Donc là,
nous devons chercher une sorte de méthode pour abandonner l’origine de la souffrance. Quelle est la
meilleure façon de l’abandonner ? Quelles étapes devons-nous suivre ? Ceci nécessite une autre
manière d’étudier et de méditer.
Quant à la Vérité de la Cessation, il dit qu’elle devrait être réalisée. En d’autres termes, elle devrait être
atteinte. Alors dans ce cas, comment ? Quelles sont les méthodes pour réaliser cette Noble Vérité ?
Et la dernière : la Vérité du Chemin qui mène à la Cessation de la Souffrance, comment fonctionne-telle ? Comment devrions-nous générer ce Chemin ? Comment le cultiver ?
a) Les trois « tours » et les douze manières
Comme nous pouvons le constater dans l’enseignement du Bouddha lui-même, à propos des Quatre
Nobles Vérités, bien qu’il ait enseigné chacune des Nobles Vérités en trois « tours », à chaque fois il y
avait une légère différence. Le premier tour a eu pour but d’expliquer simplement ce qu’est la Noble
Vérité. Le second tour a été pour expliquer sa fonction, par exemple pour la Noble vérité de la
Souffrance, la fonction de la Noble Vérité de la Souffrance. Le troisième tour a expliqué le résultat de
cette Vérité. Donc pour chacune des Nobles Vérités, on a :
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a) son identité
b) sa fonction
c) son résultat
Bien que les trois tours soient semblables de façon générale (identité, fonction et résultat) il a enseigné
chaque Noble Vérité d’une façon légèrement particulière, c’est pour cela qu’on les nomme
collectivement « les douze manières ».
Le Bouddha a expliqué à propos de la première Noble Vérité, la Noble Vérité de la Souffrance, qu’elle
devait être admise. Le premier tour consacré à la première Noble Vérité a pour simple but de noter
l’existence de la souffrance, car si nous ne reconnaissons pas qu’il y a de la souffrance dans notre vie,
alors il est difficile de la dépasser.
Avec le second tour de la Première Noble Vérité, il a affirmé que la fonction de la Vérité de la
souffrance devait être comprise. Non seulement elle doit être reconnue comme dans le premier tour,
mais ce que fait la souffrance dans notre vie quotidienne, la manière dont elle affecte notre vie, doit être
comprise.
Le troisième tour : lorsque nous réalisons l’existence de la souffrance et sa fonction, alors nous
devrions totalement dépasser cette souffrance en la comprenant.
A propos de la seconde Noble Vérité, dans le premier tour, il a affirmé que l’origine de la souffrance
devrait être abandonnée. Notez la différence. Dans la première Noble Vérité, il a affirmé que le fait qu’il
y a de la souffrance devait être compris, mais dans la Seconde Noble Vérité, il n’affirme pas qu’il y a
une origine de la souffrance à comprendre, mais que cette origine devrait être abandonnée.
Au deuxième tour de la seconde Noble Vérité, l’abandon de l’origine de la souffrance devrait avoir lieu.
En d’autres termes, afin d’abandonner l’origine de la souffrance, nous devons passer à l’action.
Au troisième tour, lorsque nous abandonnons l’origine de la souffrance, c’est le résultat. L’origine de la
souffrance est totalement abandonnée, elle ne surgira plus dans notre vie.
A propos de la troisième Noble Vérité, la Noble Vérité de la Cessation, au premier tour le Bouddha a
affirmé que la cessation devait être réalisée. Il voulait dire simplement que nous devons réaliser cette
qualité de cessation. Au second tour, nous devons prendre l’initiative, nous devons passer à l’action afin
de réaliser la cessation de la souffrance. Puis, au troisième tour, lorsque nous l’avons pleinement
réalisée, nous avons atteint le but ultime. Il n’est pas nécessaire de reprendre encore et encore, car si
nous réalisons la cessation de la souffrance, ça y est. Elle ne ressurgira jamais plus.
Quant à la dernière des Nobles Vérités, au premier tour, il a dit qu’elle devait être cultivée. C’est
quelque chose que nous devons développer en nous. Au second tour, il dit que nous devons agir, nous
devons vraiment faire quelque chose pour cultiver ce chemin qui nous mènera jusqu’au bout, à la
cessation complète et permanente de notre souffrance. Et la dernier tour, lorsque nous l’avons cultivé
pleinement, c’est le résultat, il est final, nous n’aurons pas besoin de recommencer.
Voilà la façon dont le Bouddha a enseigné les Quatre Nobles Vérités dans son premier enseignement.
Il a enseigné chacune des Nobles Vérités en trois tours, mais d’une manière légèrement différente
chaque fois. Il a enseigné chaque Noble Vérité d’une manière unique. La première Noble Vérité devrait
être comprise, la seconde Noble Vérité devrait être abandonnée, la troisième Noble Vérité devrait être
réalisée, et la dernière Noble Vérité devrait être cultivée. Chaque Noble Vérité possède une spécificité
suivant laquelle elle doit être étudiée, méditée et intégrée dans la vie quotidienne.
2) La raison de l’ordre des Quatre Nobles Vérités
Dans son livre « The Four Noble Truth » Sa Sainteté Le Dalaï Lama explique très clairement les raisons
justifiant l’ordre dans lequel les Quatre Nobles Vérités sont présentées.
« Une fois que nous avons compris que c’est pour cela que le Bouddha a enseigné les Quatre Nobles
Vérités nous pouvons nous interroger sur ce qui justifie leur ordre de succession. Pourquoi les Quatre
Nobles Vérités sont-elles enseignées dans un ordre précis, commençant par la souffrance, poursuivant
avec l’origine de la souffrance et ainsi de suite ? A ce propos nous devrions comprendre que l’ordre
suivant lequel les Quatre Nobles Vérités sont enseignées n’a rien à voir avec l’ordre selon lequel les
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choses surviennent en réalité, en fait, il est plutôt lié à la façon dont on doit procéder dans la pratique
de la voie bouddhique afin d’atteindre les réalisations fondées sur cette pratique.
L’ordre logiquement est, premièrement la Vérité de l’Origine puis la Vérité de la souffrance, car
l’origine est la cause et la souffrance est le résultat. Ensuite en second, vient la Vérité du Chemin puis
la Vérité de la Cessation. Ceci est la succession logique, mais lorsque le Bouddha a enseigné, il l’a fait
dans l’autre sens. D’abord il a enseigné la Vérité de la Souffrance, puis la Vérité de l’Origine. »
Cet ordre est vraiment lié au processus qui se met en place dans notre esprit. Le fait de
renverser l’ordre général, de commencer par le résultat et de revenir à la cause reflète le
fonctionnement habituel de notre esprit. Par exemple, lorsque nous voyons qu’une affaire « marche »
(profit), nous pouvons décider de nous y associer. Ou bien, si nous voulons suivre des cours au collège
ou à l’université nous prenons d’abord en considération le résultat que nous pourrons atteindre. Nous
faisons ceci, en vue d’obtenir cela, ainsi le résultat est la motivation qui nous met en route. Notre esprit
fonctionne de cette façon.
La cause vient avant le résultat mais lorsque des pratiquants –des gens comme nous- commencent à
chercher à se libérer de la souffrance, nous devons suivre l’ordre indiqué par le Bouddha afin d’obtenir
des réalisations. Nous devons d’abord comprendre le résultat puis naturellement nous rechercherons la
cause, comment les choses ont mal tourné.
L’évier de mon appartement est plein de tasses et de récipients donc je pense que je dois faire la
vaisselle. Mais lorsque je tourne le robinet d’eau chaude, j’attends, j’attends encore, rien…Il n’y a pas
d’eau chaude. Je vais au cumulus et j’aperçois un voyant rouge. Quelque chose ne va pas alors
j’appelle le plombier pour qu’il vienne le réparer. C’est un enchaînement naturel. Quand nous
découvrons un problème, nous revenons en arrière et cherchons où il a commencé. Lorsque nous
considérons le résultat, naturellement nous nous mettons à la recherche de la cause. C’est pourquoi le
Bouddha a enseigné les Quatre Nobles Vérités dans cet ordre particulier.
Peut-être que ça ne fonctionne pas comme cela pour vous. Pour vous cela fonctionne peut-être mieux
dans l’autre sens. Examinez ces questions, et trouvez peut-être d’autres sources qui vous apporteront
des éclaircissements.
Dans mon monastère, nous avons étudié plusieurs textes à propos des Quatre Nobles Vérités et la
plupart d’entre eux donnaient exactement le même ordre que celui enseigné par le Bouddha dans son
premier enseignement. Par contre dans quelques textes la succession était inverse –d’abord l’origine de
la souffrance, puis la souffrance pour la première paire, et ensuite le chemin et la cessation pour la
seconde. Nous avons étudié ce sujet à quatre reprises. La première fois, nous l’avons étudié, nous
avons examiné les listes, telles que les trois tours et les différents types de souffrance, etc. puis après
deux ou trois ans, nous les avons étudiées à nouveau en allant cette fois un peu plus en profondeur.
Puis à chaque nouvelle étude, nous avons approfondi encore.
Je crois que la raison en est que bien que nous connaissions tous les souffrances humaines
principales, telles que la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort, nous sommes très loin de
comprendre pleinement ce qu’est la souffrance. Et le Bouddha a mis l’accent sur le fait que la première
Noble Vérité devait être comprise.
3) La définition de « Vérité » et de « Noble »
Il est peut-être nécessaire de clarifier ce qu’est vraiment une « Noble Vérité », parce que le terme de
« vérité » a plusieurs sens, suivant les divers contextes : « les deux vérités », « les Quatre Nobles
Vérités ». Il semble qu’il y ait plusieurs vérités différentes. Il faut être très prudent. Nous ne devons pas
croire que le mot « vérité » aura toujours une signification unique.
Ici dans « Noble Vérité », « Noble » (ou arya en sanskrit) fait référence aux êtres, les arya, qui ont
obtenu certaines réalisations, particulièrement une réalisation directe de la réalité. Ce ne sont pas
nécessairement des bouddha –ils peuvent être des êtres éveillés- mais qui ont une réalisation directe
de la vacuité, c’est-à-dire de la façon dont les choses et les évènements existent en réalité. Ces êtres
ont perçu les quatre sujets – la souffrance, l’origine, la cessation et la voie- tels qu’ils sont en réalité. Ils
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n’ont pas une compréhension déformée. Ils peuvent percevoir que l’association du corps et de l’esprit –
ce que le bouddhisme appelle les cinq agrégats - est de la nature de la souffrance. L’enseignement des
Quatre Nobles Vérités est vraiment réel pour eux.
Nous n’avons pas vraiment une compréhension claire. Parfois nous pensons que des choses qui sont
en réalité de la nature de la souffrance, sont désirables.
« Vérité », ici signifie ces quatre choses : souffrance, cause, cessation et résultat, considérés tels qu’ils
sont, sans compréhension déformée, tels qu’ils sont vus par ces êtres « Nobles ».
III- LES DEUX GROUPES DE CAUSE ET D’EFFET
J’ai découvert que la compréhension des deux groupes de cause et d’effet est la clé pour saisir ce que
sont les Quatre Nobles Vérités. Ici nous parlons de l’ensemble du mécanisme des Quatre Nobles
Vérités.
Dans les Quatre Nobles Vérités il y a deux groupes de cause et d’effet.
Souffrance- Résultat
Origine - Cause
Cessation – Résultat
Chemin – Cause
Bien que ces deux groupes de cause et d’effet soient très particuliers, ils suivent la loi de toutes les
causes et les effets. Dans le premier groupe, la Vérité de l’origine est la cause et la Vérité de la
Souffrance le résultat. Il est assez facile de voir que la souffrance et sa source sont liées aux sentiments
humains et aux émotions.
Dans le second groupe, la Vérité du Sentier est la cause et la Vérité de la Cessation est le résultat.
Ceci est peut-être moins évident, mais à nouveau, le résultat et la cause sont en relation avec nos
sentiments humains et nos émotions. C’est la loi générale selon laquelle fonctionnent les causes et les
effets et ces deux groupes ne font pas exception.
1) Fonctionnement des causes et des effets
Si j’expose brièvement le fonctionnement des causes et des effets, comment la cause joue un rôle dans
la production d’un résultat, alors il sera facile d’arriver à comprendre ces deux groupes.
D’un point de vue bouddhique, toutes les choses et les évènements, qu’ils soient liés à nos
sentiments, ou non, proviennent d’autres conditions. Ce sont ce qu’on appelle les phénomènes « par le
pouvoir d’autre ». Ils ne sont pas nécessairement en relation aux êtres humains. Toutes les choses
innombrables et les évènements qui constitue l’ensemble du monde extérieur, arrivent à exister par le
pouvoir d’autres facteurs. Rien ne vient à exister sans cause. Ceci est très clair d’un point de vue
bouddhique.
Dans le Soutra du Plant de Riz, le Bouddha fit trois affirmations :
« En raison de l’existence de ceci, cela est produit.
Ceci est la première étape.
En raison de la production de ceci, cela est produit.
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Ceci est la seconde étape.
Il en est ainsi : En raison de l’ignorance, il y a la volition.
Ceci est la troisième étape. »
Ces trois affirmations sont liées les une aux autres. Il donna d’abord un sens très large puis il
alla en restreignant de plus en plus.
Nous pouvons appliquer la première affirmation – En raison de l’existence de ceci, cela est produit - à
tous les phénomènes, permanents et impermanents. Dans cette affirmation il parle de la production
dépendante. Ces choses existent, alors cela arrive.
La seconde étape, - En raison de la production de ceci, cela est produit - ne peut être appliquée qu’aux
phénomènes impermanents. Afin de produire quelque chose, le producteur doit être impermanent. C’est
uniquement dans ce cas qu’il aura le potentiel de produire quelque chose qui n’existe pas déjà. Les
phénomènes permanents ne possèdent pas ce type de potentiel. « Permanent » signifie fixe,
immuable, donc comment pourrait-il passer d’un état à un autre, telle une graine devenant une fleur ?
C’est uniquement si quelque chose est impermanent et donc a le potentiel de changer lorsque les
circonstances et les conditions s’unissent, que des résultats et des phénomènes différents surviennent.
La troisième affirmation – En raison de l’ignorance, il y a volition - devient plus restreinte. Les choses
impermanentes n’ont pas la capacité de produire des choses sans rapport avec elles. Afin de produire
quelque chose, la cause doit être similaire au résultat. La cause doit posséder le potentiel de produire
un résultat similaire. L’ignorance ne produit pas l’amour. Il produit l’attachement ou l’aversion, et cet
esprit erroné crée ce souhait d’agir, la volition.
2) Comment la Vérité de l’Origine est la cause et comment la Vérité de la Souffrance est le
résultat
La seconde Noble Vérité recherche d’où vient la souffrance, pourquoi nous souffrons. Puisque nous ne
comprenons pas la réalité, nous possédons un esprit qui est qualifié – en termes bouddhiques d’ignorant, c’est-à-dire ignorant de la véritable nature des choses. C’est là la cause de l’anxiété. Nous
percevons les choses comme permanentes alors qu’elles ne le sont pas, et nous nous cramponnons à
elles, ou nous les repoussons si elles portent atteinte à notre concept erroné de permanence.
L’ignorance, les émotions créées par cette ignorance et les actions du corps, de la parole et de l’esprit
que nous engageons à cause de ces émotions sont les causes. Que produisent-elles, de quoi sont-elles
l’origine ? De la souffrance, la première Noble Vérité. C’est le premier groupe de cause et d’effet.
3) Comment la Vérité du Chemin est la cause, et la Vérité de la Cessation le résultat.
Le premier groupe est aisément compréhensible car les deux sont impermanents. A un niveau,
le deuxième groupe, le chemin et la cessation, est aussi logique et facile à comprendre que le premier.
La Vérité du chemin est la cause et la Vérité de la cessation est le résultat. Le Chemin est toute la
pratique que nous mettons en œuvre pour éliminer toutes nos perturbations, pour accroître toutes nos
qualités, jusqu’à ce que toutes nos négativités aient cessé – que nous ayons atteint la cessation
véritable. Voilà, ce sont la cause et l’effet.
Mais la cessation elle-même n’est pas un résultat, car elle n’est pas impermanente. Elle est
permanente. Pour être soit une cause, soit un résultat, une chose doit être impermanente. C’est un
point extrêmement important. Pour affirmer que quelque chose est un résultat, il faut que ce soit
quelque chose d’impermanent car la définition d’un résultat est que la simple existence de la chose ellemême provient du pouvoir de causes et de conditions.
Quant aux choses permanentes, nous ne pouvons affirmer que ceci est une cause ou que ceci est un
résultat. Si un phénomène est permanent, il n’est pas venu à exister en raison de causes et de
conditions. Par contre, il peut être venu à exister par d’autres circonstances telles que
l’interdépendance.
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Ceci est très philosophique. D’un point de vue bouddhique, « permanent » qualifie des choses qui ne
changent absolument jamais, qui ne sont jamais produites par quelque chose d’autre. Habituellement
c’est une sorte d’état, ce n’est ni un objet physique, ni un objet mental, avec des causes définies, tel
qu’une partie de notre corps ou de nos pensées.
La cessation elle-même est un exemple de quelque chose qui est permanent. Alors pourquoi avonsnous placé la cessation dans le second groupe de causes et d’effets alors que la cessation elle-même
n’est pas un résultat et n’est pas impermanente ?
Je vais vous donner un exemple. Une tasse remplie de thé ; je jette le thé ; le thé est versé quelque
part. C’est ce qui se passe, l’action, la cause. Lorsque cela se passe (la cause), quel est le résultat ? La
tasse est vide. La tasse est vide signifie simplement vide de thé. Cet état vide n’est pas un produit, c’est
simplement l’état d’être vide de thé. Il n’y a rien dans la tasse, et ce manque de thé, ce simple état
d’être vide de thé n’est pas vraiment un produit. Comment rien peut-il être le produit de quelque chose ?
C’est un état causé par le fait d’avoir jeté le thé, donc il possède cette dépendance, mais ce n’est pas
un résultat. Le simple état d’être vide n’est pas le résultat. Ce n’est que cet état, cet état vide. Mais il est
devenu vide comme résultat d’avoir jeté le thé.
Il en est de même ici. Dans le deuxième groupe, par la pratique du Chemin, telle que la pratique du
Noble Octuple Sentier, par la réduction de nos négativités, nos souffrances diminuent et finalement
nous atteindrons un état libre des problèmes, de l’ignorance et des perturbations qui sont les graines de
ces problèmes. La simple libération, ou absence de ces problèmes ou difficultés est appelée Cessation
Véritable.
Et cette cessation est un état, pas un produit. Il n’est pas produit par le Chemin. Ce qu’a fait le Chemin,
c’est d’éliminer les négativités et de cultiver des qualités positives. Et finalement, lorsque nous sommes
libres de la souffrance, il y a un état, un simple état, appelé cessation qui est l’état d’être libre de tout
problème.
Nous devons savoir cela, car souvent lorsque les gens s’interrogent à propos du Nirvana ils ont des
idées étranges. Ils pensent souvent que tout a complètement cessé –non seulement la souffrance, mais
également la personne qui essaie d’atteindre cet état.
Le Nirvana est simplement l’expérience d’être complètement libre de souffrance. La souffrance a
cessé ; c’est un état de cessation. Le but de toute la pratique bouddhique n’est pas d’arrêter la
continuité de la personne elle-même. C’est de stopper la souffrance et les causes de la souffrance.
Tandis que nous sommes sur le chemin, toute notre pratique est l’antidote à l’ignorance et aux
perturbations, pas à la personne qui fait l’expérience de ces souffrances et de ces perturbations.
Donc, de ce point de vue, selon le bouddhisme du Mahayana, lorsque nous avons réalisé la cessation,
quand la souffrance et ses causes ont cessé, au moment de la mort les agrégats cessent, et donc ce
corps physique aussi, et la cessation sans reste est atteinte. En d’autres termes, nous avons atteint le
Nirvana, mais il n’y a aucune raison que cette personne doive cesser. Car tout au long de notre pratique
nous n’avons rien fait pour arrêter la continuité de la personne.
Dans l’Enseignement du Bouddha, Walpola Rahula dit :
« Nous devons donc noter clairement et soigneusement et nous souvenir que la cause, le germe de
dukkha (souffrance) se trouve dans dukkha, elle-même, et pas à l’extérieur. »
Il dit que la cessation doit prendre naissance au sein de la souffrance. Ce qui veut vraiment dire que le
Nirvana, la cessation ne se trouve pas quelque part là-bas dans l’espace. Ca ne tombe pas du ciel.
Nous ne pouvons pas aller et l’atteindre. La cessation émergera du cœur du développement de notre
sagesse. C’est un très beau passage. La plupart d’entre nous ont une sorte de notion de l’éveil, ou de la
Bouddhéité, comme étant un état extérieur. Nous pratiquons et nous atteindrons cet endroit. Bien que
les enseignements bouddhiques affirment que la Bouddhéité est un état ici, à l’intérieur,
inconsciemment nous avons ce genre de sentiment. C’est cela vraiment la vue erronée.
Le second groupe de cause et d’effet est également impliqué dans notre vie quotidienne. Chaque jour
nous voulons cet état. Nous essayons de le gagner, et normalement nous finissons par regarder
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totalement dans la mauvaise direction. Je pense que le Bouddha a commencé tout son enseignement à
partir de ce point car nous sommes constamment impliqués dans ces deux groupes.
Bien que ces deux groupes – la souffrance et la cause, la cessation et le sentier - soient appelés les
deux groupes de cause et d’effet dans les Quatre Nobles Vérités, en fait ce n’est pas tout à fait vrai, car
comme je l’ai dit précédemment, la Vérité de la Cessation n’est pas un résultat de la Vérité du Sentier
qui conduit à la Cessation. C’est parce que la cessation est permanente, non impermanente, et que
pour être un résultat quelque chose doit être impermanent. Mais comme elles ont un lien très fort,
comme dans l’exemple précédent, celui de la tasse de thé, alors nous pouvons utiliser l’étiquette
« cause et effet ».
3) Logique ou dogme bouddhique ?
D’après le premier groupe – la Vérité de la Souffrance et la Vérité de l’Origine- nous pouvons
comprendre que le Bouddha parlait réellement de notre vie. Mais avec le second groupe – la Vérité de
la Cessation et la Vérité du Sentier - est-il vraiment possible d’obtenir ce type de résultat ? Le sentier
décrit par le Bouddha peut-il vraiment mener à la cessation complète de la souffrance ? Ou s’agit-il
simplement d’un dogme bouddhique, quelque chose qu’on nous demande d’accepter uniquement parce
que le Bouddha l’a dit.
Lorsque le Bouddha décrivait la Véritable Cessation, il parlait du potentiel que nous possédons tous
de satisfaire ce sentiment instinctif et essentiel d’être heureux. Tout d’abord nous devons considérer le
premier groupe de cause et d’effet, qui est notre vie quotidienne, regarder comment cela fonctionne,
puis aborder le second groupe et voir si le sentier facilite vraiment certains de nos problèmes
quotidiens. Ensuite finalement nous devons agir, pour éliminer totalement les problèmes et les
difficultés auxquels nous nous trouvons confrontés.
Donc est-il possible que quelqu’un parvienne réellement à ce genre de cessation ? Ou bien s’il y
parvient, cesse-t-il complètement d’exister, s’éteint-il ? Ou bien s’il existe encore, est-ce d’une façon
différente de nous ? C’est ce genre de questions que vous devez prendre en considération.
IV- ETRE SON PROPRE REFUGE.
1) Personne ne peut purifier autrui
« Chacun est son propre refuge ; quel autre refuge peut-il y avoir ? La pureté et l’impureté
dépendent de nous. Personne ne peut purifier autrui. »
Ces paroles extraites du Dammapada nous indiquent où chercher pour combler ce sentiment instinctif
d’être heureux. Nous sommes notre propre refuge. Cela établit clairement que si nous voulons
sérieusement satisfaire ce sentiment instinctif, nous devons chercher en nous-même. La clé pour
combler notre besoin instinctif de bonheur réside en nous, pas à l’extérieur.
« Chacun est son propre refuge ; quel autre refuge peut-il y avoir ? » C’est si puissant et si réaliste.
C’est également très pratique. Ici en nous se trouve tout ce dont nous avons besoin. Nous n’avons pas
besoin de chercher à l’extérieur. Et encore une bonne nouvelle. Ce n’est pas cher ! Nous n’avons pas
besoin de payer pour notre bonheur !
Je ne pourrai jamais insister assez sur la puissance et la réalité de ce vers. Tout le monde essaye tout
le temps de satisfaire ce sentiment instinctif. Nous voulons tous constamment le bonheur et nous
voulons éviter la souffrance. Donc ici est la vérité. La source de notre propre bonheur réside en nousmême.
Le Bouddha a dit que nous devrions explorer cette source et la comprendre pleinement, mais nous ne
sommes pas vraiment conscient d’elle. Nous n’avons encore obtenu le refuge donc nous ne pouvons
pas encore exploiter cette source. Nous recherchons toujours le bonheur à l’extérieur. Jusqu’à ce que
nous développions le refuge interne, il n’y a pas moyen de satisfaire notre sentiment instinctif.
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S’il se trouve en nous, comment l’explorer, comment l’accroître ? Comment amener cette source dans
la vie ? Voilà la question.
A nouveau dans un autre vers du Dammapada, le 276, le Bouddha lui-même affirme très clairement
que nous devrions travailler à notre propre libération, car les Tathagata ou les Bouddha ne peuvent que
montrer la voie. Voilà donc le point de départ. Nous devrions travailler par nous-même pour nous libérer
de nos problèmes et de nos difficultés. Ce que les autres personnes, telles que le Bouddha ou un
Tathagata peuvent faire, est de nous montrer la voie. Ils peuvent nous montrer la méthode pour rendre
vivant ce refuge intérieur qui réside en chacun de nous.
2) Les deux extrêmes à éviter
Ainsi pour éprouver ce sentiment instinctif, nous devons travailler dans sa direction par nous-même, en
utilisant le conseil du Bouddha comme guide. Voici un point important qu’il a soulevé dans son premier
enseignement : il y a deux extrêmes qui ne devraient pas être pratiqués.
« Moines, ces deux extrêmes ne devraient pas être pratiqués par celui qui s’est retiré de la vie d’un
maître de maison. Quelles sont-ils ? On trouve la dévotion à se livrer aux plaisirs des sens, ce qui est
bas, commun, le lot des gens ordinaires, indigne et qui n’est pas rentable ; et on trouve la dévotion aux
mortifications, ce qui est douloureux, indigne et non rentable. »
Quand nous débutons dans la pratique du Dharma, il est très facile de tomber dans l’un de ces deux
extrêmes, et il est important de ne pas le faire. C’est pourquoi le Bouddha a insisté sur ce fait au tout
début de son enseignement, lorsqu’il a enseigné aux cinq moines.
L’attachement aux plaisirs des sens est un extrême et l’attachement à la mortification – en d’autres
termes le déni de soi, le fait de se refuser le minimum vital- est l’autre. Quand il a affirmé que ces deux
extrêmes ne devaient pas être pratiqués, il s’adressait aux moines, mais je pense que c’est vrai même
si on extrait cette assertion du contexte monastique. Même dans notre vie quotidienne cela a du sens.
Si nous tombons d’un côté dans la jouissance des plaisirs sensoriels, en menant notre vie dans le but
d’éprouver du plaisir, nous consacrons notre vie à quelque chose d’inutile et il ne nous restera plus
d’énergie pour quelque chose d’utile.
L’autre côté peut ne pas paraître tellement dangereux de nos jours. Parmi les gens que je connais, peu
vont vers cette extrême : punir son corps, ne pas manger, ne pas boire d’eau, ne pas donner à son
corps ce dont il a besoin et affirmer que l’on cherche un certain salut de cette façon. Par contre
certaines personnes vont trop loin dans leur quête spirituelle et finissent malades et malheureux. Le
déni de soi est aussi conduit par l’ego.
Mais la recherche du plaisir des sens est sans aucun doute le danger principal pour la majorité d’entre
nous. Notre société, les média – particulièrement la publicité - paraissent admirer vraiment ce besoin de
se livrer aux plaisirs des sens. Les publicités annoncent toujours « vous avez besoin de ceci, vous avez
besoin de cela ». Et lorsque nous regardons si en réalité nous en avons besoin nous nous apercevons
qu’il est en fait question d’assouvir les plaisirs des sens.
Je ne suis pas en train de dire que nous devons nier nos besoins vitaux. Si vous lisez le dernier
paragraphe du Samyuttanikaya-suttra, le Bouddha dit :
« Mais répondre aux besoins vitaux n’est pas un pêché. Garder le corps en bonne santé est
un devoir car sinon nous ne pourrons moucher la lampe de la sagesse et garder notre esprit fort et
clair. »
Et le résumé indique :
« L’eau encercle la fleur de lotus, mais ne mouille pas ses pétales. »
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Bien que la fleur de lotus pousse dans l’eau, l’eau elle-même n’en dérange pas vraiment les pétales. Ce
qui signifie : tant que nous sommes dans ce royaume du désir nous sommes entourés par tous les
objets des sens – à voir, à entendre, sentir, goûter, toucher - qui accroissent les plaisirs des sens. Nous
possédons toutes les consciences sensorielles qui ont la capacité de connaître ces choses. Ainsi, avec
tout cela, nous devons apprendre à ne pas être submergés par elles. Mais si nous sommes submergés,
tout d’abord nous n’aurons peut-être pas de temps pour pratiquer le Dharma, et deuxièmement, plus
nous cherchons à les obtenir, plus nous en avons besoin. C’est la nature du désir des sens. On le
compare souvent au fait de vouloir étancher sa soif en buvant de l’eau salée : plus on boit, plus on a
soif.
3) La Voie du Milieu.
Avant de démarrer toute pratique du Dharma, nous devons apprendre à rester sur cette Voie du Milieu.
Nous sommes dans ce monde, qui est le royaume du désir, nous possédons toutes ces consciences
sensorielles et tous les objets des consciences sensorielles dont nous avons besoin sont présents.
Alors comment parvenir à demeurer au milieu ? Nous devons apprendre car si nous tombons dans l’une
de ces deux extrêmes nous n’aurons sans doute ni le temps ni l’énergie de satisfaire ce sentiment
instinctif. Vivre dans la Voie du Milieu, sans tomber dans ces deux extrêmes est la meilleure façon de
vivre.
Le Bouddha a mis le même accent sur les deux extrêmes car à son époque, je crois, les deux côtés
étaient très actifs. Il y avait beaucoup de pratiquants qui se torturaient délibérément, ignorant les
besoins de leur corps, en pensant pouvoir gagner le salut de cette manière.
Le Bouddha lui-même a agi ainsi. Après avoir quitté sa vie luxueuse de prince il passa six années en
tant qu’ascète religieux. Il pratiqua l’auto discipline en reniant son corps. Si vous vous penchez sur
l’histoire de cette époque, pour la plupart des religions, la pratique principale était l’ascétisme, se rendre
dans la jungle et y vivre sans le minimum vital. Au commencement de la vie religieuse du Bouddha,
c’est exactement ce qu’il a fait. Si vous lisez certains de ses soutras, il dit assez clairement qu’en faisant
ce genre de pratique seul, vous ne parviendrez pas à la satisfaction totale. Ce n’est pas la manière de
combler cette soif instinctive de bonheur parfait, libre de souffrance et de difficulté.
Il trouva que la meilleure manière d’accomplir cela est ce qu’il a appelé la Voie du Milieu. Et cette Voie
du Milieu suivait le Noble Octuple Sentier. C’est la voie que nous devons tous suivre si nous voulons le
bonheur et éviter les problèmes et les difficultés.
Nous verrons le Noble Octuple Sentier lors de la quatrième Noble Vérité, la Vérité du Sentier qui Mène
à la Cessation. Mais avant d’aller plus en détails dans la façon de chercher une manière de satisfaire ce
sentiment instinctif, tout d’abord nous devons être vraiment convaincu que ce sentiment est
authentique. Ce sentiment est-il contrôlable, ou est-il basé sur une notion erronée ? S’il est vrai, comme
le Bouddha l’a dit, que notre instinct le plus fondamental est de posséder le bonheur et d’éviter la
souffrance, alors quel genre de vie devons-nous mener ?
Le conseil du Bouddha est que la vie que nous devons mener doit éviter ces deux extrêmes et suivre la
Voie du Milieu. Etre clair sur le fait que cela mène réellement au bonheur, nous donnera une grande
motivation pour le pratiquer sincèrement. Il n’y a aucun doute dans mon esprit qu’il en soit ainsi et si le
dharma du Bouddha possède au moins le potentiel de réduire les problèmes et les difficultés auxquels
nous faisons face actuellement, alors il est de notre responsabilité de faire notre maximum pour le
pratiquer.
4) Observer cet instinct
Quand on regarde, les autres êtres, même les animaux réagissent physiquement si on leur nuit même
légèrement, on peut observer qu’ils essaient de se protéger. Les scientifiques affirment que c’est là une
réaction biologique. Ils ont cet instinct de se protéger ; l’instinct de survie. Mais notre existence est plus
qu’un processus biologique. C’est la combinaison d’une existence biologique, de sentiments, de
sensations, et également d’éléments mentaux. La chose principale à observer dans notre expérience
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quotidienne, si nous sommes vraiment attentifs, est ce que nous faisons et quel but nous poursuivons
en agissant.
Il peut arriver que nous agissions parfois accidentellement, ou sans réfléchir, sans avoir aucune
intention particulière. Par l’attention, on peut attraper cette action. Et si nous remontons au pourquoi de
cette action, alors nous verrons en effet, qu’il y a cet instinct, ce sentiment naturel de vouloir accroître
notre bonheur ou de vouloir obtenir un plaisir sensoriel ; ou bien de l’autre côté nous voulons réduire
une difficulté que nous rencontrons.
Donc par l’attention, il est possible d’avoir un aperçu de l’expérience que nous faisons à cause de cet
instinct. Sans prendre en compte les différences superficielles, nous possédons tous cet instinct
profondément en nous. Il est très utile de rechercher son propre but et ce faisant de savoir qu’il en est
de même pour tous les autres êtres. Alors nous pouvons commencer à aider les autres.
5) Etre responsable de soi et d’autrui.
Suivre la Voie du Milieu afin de satisfaire cet instinct qui désire le bonheur nécessite un engagement de
notre part. Le Bouddha lui-même a affirmé très clairement dans le Samyuttanikaya soutra qu’il était de
notre devoir de garder notre corps en bonne santé, sinon nous ne serions pas capable ni de moucher la
lampe de la sagesse ni de maintenir notre esprit fort et clair. Afin d’accomplir cela, de cultiver un
bonheur réel et profond, il est très important de mener une vie libre des deux extrêmes.
Lorsque notre style de vie est sain, qu’il évite les extrêmes, par où commençons-nous à chercher les
sources qui permettront de satisfaire cet instinct ? Il a dit que nous devions chercher en nous-même. Il
ne peut que nous montrer la voie. Il peut nous montrer comment explorer notre moi intérieur pour
chercher cette source.
C’est un processus. Il y a des étapes bien précises à garder à l’esprit. Ce cours est structuré de cette
façon, du premier module des Quatre Nobles Vérités à la vacuité. C’est une approche pas à pas afin
d’acquérir la connaissance du lieu où trouver la source.
Nous voulons tous avoir du bonheur pour nous-même et éviter la souffrance, mais j’aimerais
approfondir un peu plus. Pourquoi seulement pour nous-même ? Pourquoi pas également pour les
autres ? Comment pouvons-nous aussi aider les autres à atteindre cet état de bonheur que nous
recherchons ? A ce point il est bon de revenir à la citation de Sa Sainteté le Dalaï Lama, extraite de
Sagesse Ancienne, Monde Moderne que je trouve très, très puissante :
« Mon opinion personnelle, qui ne repose pas seulement sur la foi religieuse, ni même sur une idée
originale, mais plutôt sur le bon sens commun, est que l’institution de principes éthiques est possible
lorsque nous prenons pour point de départ la constatation que nous désirons tous le bonheur et
souhaitons éviter la souffrance. Nous n’avons aucun moyen de discerner le bien du mal si nous ne
prenons pas en compte les sentiments d’autrui, leur souffrance… Une conduite éthique n’est pas une
chose dans laquelle nous nous engageons car elle est en quelque sorte juste en elle-même, mais parce
que, comme nous, tous les autres désirent le bonheur et veulent éviter la souffrance. »
J’ai le sentiment que dès le départ, nous devrions garder à l’esprit ce qu’il a dit : « Nous n’avons aucun
moyen de distinguer le bien du mal si nous ne prenons pas en compte les sentiments des autres. » Dès
le départ, nous devrions essayer de voir que les sentiments et les droits d’autrui sont importants. Non
seulement il est important de satisfaire cet instinct pour -désirer le bonheur, ne pas souhaiter
l’insatisfaction- nous–même, mais il est important de le combler aussi pour autrui. Je souhaite vraiment
souligner ce fait.
Sans dogme religieux ou autre, en ayant simplement recours au bon sens, il est important de juger de
ce qui est bien et de ce qui est mal, de ce qu’est le bonheur, de ce qu’est l’insatisfaction. Pour juger de
ce genre de choses, les sentiments, les droits et les besoins d’autrui sont aussi importants que notre
propre instinct.
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CHAPITRE DEUX
LA VERITE DE LA SOUFFRANCE
page
Pourquoi le Bouddha a-t-il commencé par la souffrance ?
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LES TROIS TOURS
1) La reconnaissance de la Vérité de la Souffrance
2) La reconnaissance de la fonction de la Vérité de la Souffrance
3) La reconnaissance de ce qui a été accompli en relation avec
la Vérité de la Souffrance
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LES TROIS TYPES DE SOUFFRANCES
1) La souffrance de la souffrance
2) La souffrance du changement
3) La souffrance omniprésente
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LES CINQ AGREGATS
LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA VERITE DE LA SOUFFRANCE
1) impermanence
2) souffrance
3) vacuité
4) non-soi
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L’attachement aux cinq agrégats est dukkha
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Comprendre la Vérité de la souffrance dans notre vie quotidienne
1) Les Courants des Quatre rivières violentes de Lama Tsong Khapa
2) Comment la compréhension de la Vérité de la Souffrance est une aide pratique
3) Lâcher prise de la saisie
4) Comment nous pouvons comprendre la Vérité de la Souffrance
5) Méditer sur la première Noble Vérité.
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CHAPITRE DEUX
LA VERITE DE LA SOUFFRANCE
« La Noble Vérité de la souffrance (dukkha) est ainsi : la naissance est souffrance ; la vieillesse est
souffrance ; la maladie est souffrance ; la mort est souffrance ; la peine, les lamentations, la douleur, le
chagrin et le désespoir sont souffrance ; l’association à ce qui est désagréable est souffrance ; la
séparation de ce qui est agréable est souffrance ; ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance. En
bref, les cinq agrégats de l’attachement sont souffrance. »
Dhammacakkappavattana-sutta
Pourquoi le Bouddha a-t-il commencé par la souffrance ?
Pourquoi le Bouddha a-t-il commencé son premier enseignement par un examen des souffrances
humaines fondamentales ? Il aurait pu commencer par de nombreuses aspirations humaines telles que
d’aller à la plage, passer de bonnes vacances, posséder une grande maison, mais il a débuté par le
contraire, par la souffrance. Pourquoi ? Mon sentiment personnel est que cette question devrait être
prise très au sérieux.
Il avait été élevé au milieu de richesses, de beauté et de splendeur –c’est ce qu’il connaissait- et
pourtant il commença ses enseignements par la souffrance. Le fait de posséder toutes ces choses :
suffisamment de nourriture, un toit, de la compagnie, des enfants, un travail, le minimum vital et le
confort - même avec tout cela, il reste encore quelque chose de vide à l’intérieur, quelque chose que
l’on perçoit comme incomplet. Mon sentiment est que si nous voulons sérieusement faire quelque chose
pour réduire l’insatisfaction que nous ressentons profondément, alors nous devons vraiment poser les
questions que le Bouddha a posées à propos de la nature de cette insatisfaction.
LES TROIS TOURS
Comme je l’ai dit dans le premier chapitre, chaque Noble Vérité possède trois tours qui peuvent être
étudiés, ce qui fait douze en tout. Pour la première Noble Vérité, les trois tours sont :
1) La reconnaissance de la Vérité de la Souffrance
2) La reconnaissance de la fonction de la Vérité de la Souffrance
3) La reconnaissance de ce qui a été accompli en relation avec la Vérité de la souffrance.
J’ai utilisé ici le mot le plus commun de souffrance, mais de nombreux érudits préfèrent garder le
terme sanskrit original de dukkha, parce qu’ils ont souvent le sentiment que le mot anglais ou français
ne porte pas l’ensemble de la signification du terme sanskrit. Certains traducteurs anglophones essaient
d’utiliser « insatisfaction » ou « frustration » car ces mots ont un sens plus large et plus profond que
celui de souffrance.
Dans le bouddhisme, lorsqu’on parle de souffrance ou de dukkha comme dans la Noble Vérité de la
Souffrance, le sens est très profond. Ce n’est pas vraiment la souffrance de tous les jours. Bien sûr, la
souffrance quotidienne est là - la douleur, les difficultés, la maladie, l’inconfort, toutes ces souffrances mais ici le sens plus profond a trait à la souffrance psychologique, ce sentiment d’insatisfaction qui est
enraciné très profondément dans notre psyché. Puisque ce genre de souffrance est à la base de la
première Noble Vérité, je pense que ces érudits ne trouvent pas que ce mot de « souffrance » soit
suffisamment exact.
Le mot tibétain, douk-nguèl dèn-pa est utilisé d’une manière ordinaire, comme en français le mot
souffrance, mais en même temps, il peut être utilisé dans un sens très philosophique.
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1) La reconnaissance de la Vérité de la Souffrance
Avec la reconnaissance de la Vérité de la souffrance, le Bouddha dans le Dammacakkappavatana
soutra (p122), a listé tous les différents types de souffrance ou dukkha. La première façon de connaître
les Quatre Nobles Vérités alors est d’avoir une connaissance détaillée de toutes les formes de
souffrances existantes.
Il n’est pas en train de dire : « souffre ! » Le Bouddha ne nous dit pas de souffrir. Ce qu’il affirme c’est
que nous avons besoin de comprendre la souffrance telle qu’elle est. Il y a tellement de types de
souffrance à connaître. Le Bouddha en a recensé de nombreuses, mais si nous y réfléchissons nous
pouvons en trouver d’autres. Il termine par :
« ...être uni à ce que l’on n’aime pas est dukkha, être séparé de ce que l’on aime est dukkha, ne pas
avoir ce que l’on désire est dukkha. »
A la dernière ligne du paragraphe, il dit : « En résumé, les cinq agrégats d’attachement sont dukkha. »
Ces vers résument vraiment ce qui se passe dans notre vie en montrant les divers niveaux de
souffrance.
Traditionnellement ces différents niveaux de souffrance sont classés en trois catégories : la souffrance
de la souffrance, la souffrance du changement et la souffrance pénétrante, qui seront expliquées plus
loin.
« La séparation de ce qui est agréable est souffrance et ne pas obtenir ce qu’on veut est souffrance.»
Comment pouvons-nous nous libérer de ces types de souffrance ? Y-a-t-il un moment où nous pouvons
nous sentir libre de ce genre d’angoisse ? Nous pouvons prendre du bon temps, nous sentir bien, mais
au fond de nous demeure toujours un certain sentiment de vide. Les gens prétendent si souvent aller
bien en surface et n’affrontent jamais les problèmes qu’ils ont au fond d’eux-mêmes. La connaissance
de la Vérité de la Souffrance est notre compréhension de ces niveaux de souffrance plus profonds.
Le premier tour d’enseignement à propos de la Première Noble Vérité est simplement comme le
Bouddha l’a dit, reconnaître la souffrance dans toutes les formes sous lesquelles elle se manifeste,
reconnaître son identité. Le pratiquant doit non seulement reconnaître qu’il y a souffrance, mais aussi
qu’il y a différents degrés de souffrance.
2) La reconnaissance de la fonction de la Vérité de la Souffrance.
Dans le Dammacakkappavattana-sutta, le Bouddha a dit :
« Ceci est la Noble Vérité de la Souffrance » : telle fut la vision, la connaissance, la sagesse, la
science, la lumière, qui s’éleva en moi par rapport aux choses non entendues auparavant. »
Ensuite il affirma que cette souffrance devrait être parfaitement comprise comme une Noble Vérité. La
connaissance de la fonction de la souffrance se réfère ici à ce que le Bouddha a voulu exprimer en
disant : « Cette souffrance devrait être pleinement comprise comme une Noble Vérité ». Ceci ne signifie
pas simplement comprendre les différents niveaux de souffrance en détails, savoir que nous avons tel
ou tel problème, mais comprendre également leurs fonctions – ce qu’ils font. C’est la connaissance de
la fonction de la souffrance.
En ce qui concerne le second tour de la première Noble Vérité, le Bouddha a dit, cette souffrance et les
degrés de souffrance ne devraient pas être seulement reconnus, comme à la première étape, mais ils
devraient être parfaitement compris, en ceci que le pratiquant doit acquérir la connaissance des divers
degrés de souffrance et de leurs fonctions.
3) La reconnaissance de ce qui a été accompli en relation avec la Vérité de la Souffrance.
Plus loin dans le même paragraphe du soutra, le Bouddha dit :
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« Cette souffrance a été pleinement comprise comme une Noble Vérité, telle fut la vision, la
connaissance, la sagesse, la science, la lumière qui s’éleva en moi par rapport aux choses non
entendues auparavant. »
Donc ce troisième tour va plus loin. Ici nous ne considérons pas simplement la souffrance, le premier
aspect, ou la fonction de la souffrance, le second aspect, mais la nature fondamentale de la souffrance.
Cette connaissance est encore plus profonde. C’est le résultat.
LES TROIS TYPES DE SOUFFRANCE
« Il est très important de comprendre le contexte de l’importance accordée par le bouddhisme à la
reconnaissance du fait que nous sommes tous dans un état de souffrance, sinon il y aurait un danger de
se méprendre sur la conception bouddhique et l’on pourrait penser qu’elle implique une façon de
penser plutôt morbide, un pessimisme fondamental et qu’elle est quasiment obsédée par la réalité de la
souffrance. »
Les Quatre Nobles Vérités par Sa Sainteté le Dalaï Lama
« Le concept de la souffrance (dukkha) doit englober à la fois l’environnement dans lequel nous
vivons, et les individus qui y vivent. »
Citation de Sa Sainteté le Dalaï Lama du Manuel de Connaissance d’Asanga.
Dans son enseignement consacré à la première Noble Vérité, le Bouddha enseigna à propos des
différents niveaux de souffrance que les êtres sensibles peuvent subir. Nous les classons en trois
niveaux :
1) La souffrance de la souffrance
2) la souffrance du changement
3) la souffrance omnipénétrante
1) La souffrance de la souffrance.
Même les animaux peuvent comprendre ce niveau de souffrance. Il est désagréable, indésirable et
devrait être évité. Nous ne nécessitons pas une explication très approfondie pour comprendre ce type
de souffrance. Une analyse habile n’est pas non plus requise quant à la manière de l’éviter car même
les animaux en connaissent les moyens, même si (comme nous) ils ne réussissent pas toujours. Nous
souhaitons tous être libre de cette souffrance grossière. Lorsque le Bouddha affirmait que la souffrance
devait être comprise, il est clair qu’il ne parlait pas de ce niveau de souffrance.
J’étais à Séra quand le monastère fut implanté dans le sud de l’Inde en 1970. A quelques mètres de
l’endroit où vivaient les moines se trouvait une jungle dense, pleine d’animaux sauvages et de dangers,
et le gouvernement indien a nettoyé l’endroit afin que nous puissions faire pousser de quoi nous nourrir.
Pour ce travail, les éléphants étaient le meilleur moyen pour rassembler les troncs abattus, et les
charger dans les camions, parce qu’ils étaient très forts et bien entraînés. Entre Séra et le camp tibétain
coulaient deux cours d’eau que traversaient seulement deux ponts de bois. Quand les éléphants
parvenaient à un pont, ils refusaient d’avancer d’un pas tant qu’ils n’en avaient pas vérifié la solidité de
leur trompe. Cela m’a vraiment montré, qu’ils savaient que le fait de tomber de ce pont engendrerait de
la souffrance, et qu’ils essayaient d’éviter cette souffrance. Ce qui signifie que les animaux peuvent
comprendre ce niveau de souffrance et comment l’éviter.
Donc le premier niveau de souffrance dont nous faisons l’expérience, tel que la douleur physique et
mentale, est simple à reconnaître et relativement facile à solutionner. Pour être libre de ce type de
souffrance, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de chercher dans le royaume spirituel. Elle peut être
éradiquée ou évitée par des méthodes banales incluant une compréhension ordinaire. Quand le
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Bouddha a dit que la souffrance devait être comprise, bien sûr il incluait ce genre de souffrance, mais il
était surtout concerné par les niveaux de souffrance plus profonds.
2) La souffrance du changement
Le second niveau de souffrance est la souffrance du changement. A nouveau, comprendre ce niveau
de souffrance et chercher une méthode pour l’éviter n’est pas difficile si nous avons assez d’attention.
Par l’attention nous pouvons voir que la souffrance se produit quand les choses changent. Au stade
initial, les choses et les évènements (tels que les relations et les biens, etc..) apparaissent désirables,
ils ont l’air porteurs de bonheur à venir, sinon nous ne serions pas attirés par eux. Pourtant, à mesure
que le temps passe et que les circonstances changent, ce même objet désirable, beau, superbe se
transforme en quelque chose de laid, d’indésirable ou bien en quelque chose que nous voulons éviter.
Nous avons tous fait ce genre d’expérience et si nous sommes assez attentifs, cela devient assez
évident. C’est la souffrance du changement –à cause de la situation qui change, notre point de vue sur
les objets et les évènements change également.
Le bouddhisme affirme que tout est impermanent, et que le changement apporte la souffrance car nous
voulons que les choses demeurent telles qu’elles sont, du coup nous sommes sans cesse confrontés à
des problèmes, que nous les percevions comme problèmes à ce moment ou non.
Pour acquérir une réalisation de ce processus, il est nécessaire de comprendre les niveaux grossiers
d’impermanence, comment les choses viennent à exister, demeurent puis cessent, par le pouvoir
d’autres. Ils surgissent par le pouvoir d’autres, pendant qu’ils demeurent, ils sont toujours sous le
pouvoir d’autres et leur cessation dépend du pouvoir d’autres. Rien n’arrive de façon indépendante.
Si nous comprenons vraiment ce niveau très grossier d’impermanence, et comment nous avons si peu
de liberté, cela nous aide à comprendre les niveaux plus subtils d’impermanence.
Ce processus de changement est de nature à produire une certaine souffrance. Nous savons tous que
les choses changent, mais il est nécessaire que nous le sachions plus qu’intellectuellement ; ça doit se
passer au niveau du cœur. Les choses changent et ces processus changeants (que des émotions
humaines ou des actions soient impliquées ou non) ont le potentiel d’apporter de l’insatisfaction.
Je ne suis pas en train de dire que la nature même du changement est souffrance. Il y a une grande
différence. Le changement de l’automne à l’hiver n’est pas en lui-même souffrance mais il est de nature
à apporter une certaine souffrance car nous nous accrochons à ce qui est présent et nous ne voulons
pas le perdre. Il n’y a pas de mal à avoir du plaisir mais quand nous sommes attirés par quelque chose,
nous devons garder à l’esprit que cette chose changera. Si nous ne sommes pas réellement conscient
de cette nature changeante, alors quand le changement viendra, comme il se doit, ce sera un grand
choc.
Les explications bouddhiques sont toujours rationnelles. Notre esprit n’est pas toujours rationnel. Il y a
l’émotion qui est très irrationnelle, très spontanée. Néanmoins une compréhension rationnelle peut
aider. Par un effort constant, nous pouvons éviter de devenir la proie d’émotions fortes qui conduisent à
une forte souffrance.
3) La souffrance omnipénétrante
« Il est vrai que dans l’usage courant le mot pali dukka (ou dukkha en Sanskrit) a le sens de
« souffrance », « douleur », « peine », « misère », par opposition au mot sukka, qui signifie
« bonheur », « aise », ou « bien-être ». Mais le terme dukkha en tant qu’il exprime la première Noble
Vérité, qui exprime le point de vue du Bouddha sur la vie et sur le monde, revêt un sens plus
profondément philosophique et comporte des significations beaucoup plus étendues. On admet que le
mot dukkha dans l’énoncé de la première Noble Vérité, comporte évidemment le sens courant de
« souffrance », mais qu’en plus il implique les notions plus profondes d’«imperfection » et
d’ « impermanence », de « conflit », de « vide », de « non—substantialité ».
L’Enseignement du Bouddha. (p. 36) de Walpola Rahula.
Le troisième niveau de souffrance est la souffrance omniprésente. C’est le niveau le plus
important du point de vue bouddhique et pour le comprendre réellement, nous avons besoin d’une
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explication approfondie. Je pense que c’est le niveau auquel le Bouddha se référait, lorsqu’il affirmait
que la souffrance devait être comprise.
« Cette souffrance devrait être pleinement comprise en tant que Noble Vérité » : telle fut la vision, la
connaissance, la sagesse, la science, la lumière qui s’éleva en moi par rapport aux choses nonentendues auparavant. »
Dans l’enseignement du Bouddha sur les Quatre Nobles Vérités, il conclut la première Noble Vérité en
disant, « en bref, l’attachement aux cinq agrégats est souffrance. » C’est un point très important. Notre
existence n’est rien de plus que ces cinq agrégats, donc ce qu’il dit, c’est que notre existence ellemême est réellement souffrance.
Afin que l’on comprenne ce niveau de souffrance et les causes et les conditions qui l’entraînent, il a
enseigné les niveaux subtils d’impermanence, car ils nous aident à comprendre les niveaux plus
profonds de souffrance dont il est question ici, la souffrance pénétrante. « Pénétrante » signifie vraiment
que la souffrance pénètre toute notre existence.
Ce troisième niveau est présent où que nous naissions dans l’existence cyclique. Nous ne pouvons
l’éviter. Il nous est très difficile à nous, personnes ordinaires, même de reconnaître que nous avons ce
type de souffrance, car elle est enracinée très profondément du point de vue des causes et des
conditions.
Ce n’est qu’à partir du moment où nous la reconnaissons que nous pouvons commencer à comprendre
comment l’abandonner. Puisque le résultat lui-même est très sophistiqué, et que les causes sont ces
origines qui sont tellement enracinées dans notre conscience de tous les jours, se débarrasser de la
souffrance pénétrante nécessite beaucoup d’efforts.
Dans son livre, les Quatre Nobles Vérités, Sa Sainteté dit :
« Enfin, nous parvenons au troisième type de souffrance, la souffrance du conditionnement. Ceci
aborde la question principale : pourquoi la nature des choses est-elle ainsi ? La réponse est, parce que
tout ce qui se produit dans le samsara est dû à l’ignorance. »
Et plus loin il dit :
« Ici donc le troisième niveau de souffrance se réfère au simple fait de notre existence non-éveillée. »
Y-a-il quelque chose dans notre existence qui soit exclu de ce troisième niveau de souffrance ? Ce que
Sa Sainteté affirme est que ce troisième niveau de souffrance est en fait notre existence non-éveillée,
elle-même, qui est sous l’influence de cette confusion fondamentale et du karma négatif. Pour
comprendre dukkha, le meilleur outil que nous puissions utiliser est la compréhension de
l’impermanence.
Dans l’Enseignement du Bouddha, W. Rahula dit :
« C’est dukkha, non pas parce qu’il y a souffrance dans le sens commun du mot, mais parce que tout
ce qui est impermanent est dukkha. »
Il est littéralement en train de dire que vous souffrez en ce moment, alors que vous lisez ces mots,
parce que vous êtes impermanent.
Dans le bouddhisme tibétain nous ne le formulerions pas vraiment ainsi. Nous dirions : puisqu’une
chose est contaminée donc elle est dukkha. Mais dans le livre de Rahula et également dans d’autres
enseignements théravadins, il est dit très vigoureusement : c’est dukkha, parce que c’est impermanent.
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Sa Sainteté a très clairement divisé l’impermanence en des niveaux différents, affirmant que pour
comprendre le troisième niveau de souffrance, il fallait comprendre les niveaux subtils d’impermanence.
Si nous considérons les niveaux grossiers d’impermanence – la manière dont nous vieillissons, dont
nos biens s’usent - alors il pourrait sembler que toutes les choses impermanentes sont souffrance, nous
allons voir qu’il n’en est pas exactement ainsi.
Si nous nous trouvions dans la cour des débats d’un monastère tibétain, et si notre propos était que
toutes les choses impermanentes sont souffrance, nos adversaires répliqueraient : « vous avez
complètement tord. Que va-t-il advenir de bodhicitta quand elle deviendra un esprit éveillé ? Est-elle
impermanente ou est-elle permanente ? » Elle est impermanente, car c’est un esprit, d’accord ?
Lorsque nous disons qu’une personne, par la pratique, devient un être éveillé, utilisant cet argument
avec certitude, nous devons affirmer que l’esprit, qui est un esprit éveillé, est dukkha, parce qu’il est
impermanent.
Une des différences fondamentales entre la tradition théravada et la tradition des Bodhisattva réside
dans le concept que selon la tradition théravada, lorsqu’un individu atteint la libération totale ou nirvana,
cette personne cesse complètement. Quand par la pratique, on parvient à surmonter toute souffrance,
on meurt littéralement, on s’éteint complètement.
Dans la tradition des Bodhisattva, cela n’est pas vraiment accepté. Cette tradition affirme que l’esprit
continue, libre de perturbations. Ce sont les perturbations qui ont cessé. Souvenez-vous de mon
exemple, au chapitre précédent, à propos de la tasse vide de thé. La cessation de la souffrance est un
état, il est permanent. L’esprit est libre de souffrance, mais cela ne signifie pas qu’il cesse d’exister.
La souffrance omniprésente se rapporte à cet état d’insatisfaction qui imprègne notre existence nonéveillée dans sa totalité. Nous n’en serons pas libérés avant de nous libérer du samsara, avant d’être
un bouddha.
LES CINQ AGREGATS
Nous ne sommes rien de plus que notre corps et notre esprit. Traditionnellement on les divise en cinq
« groupes » ou agrégats. Il est très utile d’analyser ces cinq agrégats et de voir leur importance dans le
contexte de la compréhension de la nature de la souffrance.
Les cinq agrégats sont :
a) la forme
b) la sensation
c) la discrimination
d) les formations volitionnelles
e) la conscience
J’ai utilisé les termes bouddhiques tibétains, tels que la forme, la sensation... dans les textes théravada,
ils utilisent d’autres termes tels que la perception…mais le sens est le même.
Il est important de comprendre ces cinq agrégats afin de saisir la vérité de la souffrance, car si nous
analysons ces cinq agrégats, un à un, que reste-il d’un « moi », en tant que « je », en tant qu’un « je qui
souffre » ?
L’agrégat de la forme inclut tous les aspects physiques de notre corps. L’agrégat de la sensation
rassemble toutes les choses qui provoquent nos plaisirs de tous les jours, les désagréments ou les
sensations neutres liés aux consciences sensorielles ou mentales.
Par le contact nous recevons une certaine impression que nous avons tendance à interpréter en
« agréable », « désagréable », « juste », « faux », qui est l’agrégat de la discrimination (ou pour les
Théravadins, « la perception ».)
Le quatrième, les formations volitionnelles (appelés « formations mentales» par Rahula) comprend
de nombreux types différents de processus mentaux tels que le doute, le désir, la détermination, la
suffisance etc. La volition ou karma est tout particulièrement importante.
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Puis le cinquième, la conscience, comprend les cinq consciences sensorielles, et la sixième
conscience, la conscience mentale.
Excepté la forme, les quatre agrégats restant sont tous des niveaux différents d’activité mentale. Donc
nous pouvons affirmer que notre existence non-éveillée actuelle ne comprend rien d’autre que ces cinq
agrégats.
Si nous considérons tous ces aspects d’existence non-éveillée, y-a-t-il quelque chose d’autre, séparé
d’eux qui constitue « moi », en tant qu’individu ou en tant qu’être samsarique ?
Prenons l’agrégat de la forme. Nous pouvons dire que notre corps physique actuel a commencé dès
notre conception dans la matrice maternelle, de la rencontre de l’ovule et du spermatozoïde. Toutefois,
au sein de ce même processus, dès la conception, il a changé. Le fait de naître se transforme
naturellement en vieillesse et en mort. Normalement, pourtant, nous essayons de séparer la maladie, et
la vieillesse du corps, comme des questions à part, plutôt que de les considérer comme des
composantes du processus naturel du corps.
Par-dessous tout, dans notre vie quotidienne, à quel point avons-nous conscience de ces cinq
agrégats ? A quel point avons-nous conscience que notre existence se compose de ces cinq agrégats ?
S’il est vrai que notre existence est composée de ces cinq agrégats physiques et mentaux, alors elle est
assurément sujette au changement, et donc sujette à la souffrance. Bien que nous puissions avoir le
sentiment de ne pas mériter de souffrir, nous y sommes sujets car c’est notre nature. Ainsi il est utile
d’avoir conscience que la nature de notre existence est d’être totalement sous l’influence des causes et
des conditions qui mûrissent en raison de notre disposition karmique, ce qui est désigné dans le
bouddhisme tibétain par « sous le pouvoir d’autre ».
D’un point de vue bouddhique, ces cinq agrégats actuels, qui constitue la totalité de notre existence,
sont « contaminés », contaminés en termes de causes et de conditions. En raison de ces causes, qui
sont l’ignorance et les perturbations, les cinq agrégats apparaissent et puisqu’ils sont contaminés, nous
souffrons.
LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA VERITE DE LA SOUFFRANCE
« Les Quatre Nobles Vérités devraient être méditées suivant 16 aspects :
Les quatre aspects de la Vérité de la Souffrance :
1) Les phénomènes tels que les agrégats physiques et mentaux, à cause de leur caractéristique
qui consiste à subir la production momentanée, continue et la désintégration, sont impermanents.
2) Puisque ce processus de changement est poussé par le karma et les perturbations, les
agrégats sont de la nature de la souffrance.
3) Puisqu’il n’y a pas de soi indépendant qui existe séparément des agrégats, ils sont vides.
4) Puisqu’ils sont dépourvus de l’existence d’une personne auto-suffisante, ils sont sans soi. »
Ces points sont extraits de l’Abhisamayalankara, (l’Ornement de la réalisation claire), de Maitreya.
Dans la tradition des Bodhisattva, chaque Noble Vérité possède quatre caractéristiques. Bien que
certains commentateurs, tel que Lobsang Gyatso, les nomment les quatre « aspects », il a également
utilisé le mot quatre « caractéristiques », terme par lequel je vais les désigner pour éviter toute
confusion avec les trois aspects et les douze manières.
Il est très important de comprendre et de développer la réalisation des quatre caractéristiques de la
Noble Vérité de la Souffrance. Si vous lisez des textes comme l’Abhisamayalankara ou d’autres textes
mahayana ou des commentaires, chaque Noble Vérité est expliquée en relation avec ses quatre
caractéristiques afin de guider le pratiquant dans sa pratique au long du sentier jusqu’à la libération ou
l’éveil. Parfois elles sont appelées collectivement les 16 attributs. J’expliquerai les quatre différents
groupes de quatre caractéristiques à la fin de chaque Noble Vérité.
Les caractéristiques de la Première Noble Vérité sont :
a) impermanence
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b) souffrance
c) vacuité
d) non-soi
a) L’impermanence.
La première des quatre caractéristiques de la Vérité de la souffrance est l’impermanence.
Le bouddhisme parle souvent de l’impermanence comme d’un moyen pour comprendre la mort mais en
fait ce n’est pas la seule raison de donner cet enseignement. Bien sûr, la mort est un signe
d’impermanence et si nous avons quelque idée de l’impermanence nous pouvons affronter la mort plus
aisément, mais la raison principale de la compréhension de l’impermanence est simplement de
comprendre que l’attachement aux cinq agrégats est souffrance.
Pour comprendre la souffrance pénétrante, nous devons comprendre le fonctionnement de ces
différents niveaux d’impermanence. De manière générale nous pouvons comprendre que les choses
vont et viennent. Elles viennent, en raison de causes et de conditions, elles demeurent jusqu’à ce que
leur durée de vie se termine et elles s’éteignent. A ce niveau, il n’est pas difficile de comprendre que
ces choses sont impermanentes.
Au-delà de ce point, on trouve les niveaux subtils d’impermanence désignés par « changeants d’instant
en instant », se référant au fait que les choses ne demeurent pas les semblables, même pour un
moment. Ceci n’est pas trop difficile à comprendre.
Par contre l’aspect plus difficile à comprendre pour nous, dans la philosophie bouddhique, est
que lorsque les phénomènes viennent à exister en raison de causes et de conditions, ces mêmes
causes et conditions qui les produisent, au même moment, contiennent les graines de leur propre
destruction.
Il y a quelques années, dans un programme de la BBC consacré au corps humain, un scientifique
disait que les gènes se détruisent eux-mêmes à travers le processus de création ; au moment de leur
formation simultanément, ils commencent à se désagréger. C’est tout à fait similaire à l’idée bouddhique
qui affirme que dans l’acte de création en lui-même, se trouve la graine de la destruction.
Si nous considérons une table, par exemple, elle est impermanente. Nous savons tous qu’elle vient à
exister par l’ensemble de ses causes et ses conditions. Elle est ici maintenant, mais disparaîtra un jour,
soit naturellement par le processus de désintégration, soit par d’autres forces –telles que si quelqu’un la
brûle.
Dès le moment de sa création en tant que table, d’un point de vue bouddhique, non seulement elle
change moment après moment, mais à l’instant même de sa création, elle ne reste pas statique, elle
s’achemine vers sa désintégration. Ce qui signifie que les causes et les conditions qui produisent ce
phénomène contiennent la graine de sa destruction.
Par la compréhension de ce type de processus, on a une indication du potentiel que détient le
processus de produire de la souffrance.
La table, tout au début, vient à exister par le pouvoir d’autres choses. La chose elle-même n’a aucun
pouvoir de venir à exister par elle-même. De la même manière, tout est « par le pouvoir d’autre ». Dans
ce contexte rien n’est vraiment libre ; tout repose sur d’autres pouvoirs, sur d’autres facteurs pour venir
à exister.
Par exemple je n’ai pas le choix de rester à Jamyang (centre bouddhique de Londres). Le fait que je
reste à Jamyang est totalement dû au pouvoir d’autres. Ce qui me donne une sorte de problème. Que
j’apprécie ou non, est une toute autre question, impliquant d’autres types d’émotions, mais en lui-même,
si le fait que je reste à Jamyang est complètement par le pouvoir d’autres, alors je n’ai pas de choix.
Voyez-vous comment, que j’apprécie ou non, c’est une sorte de souffrance ?
Je ne suis pas en train de dire que la table est malheureuse, ou bien que je suis malheureux, mais
simplement que puisque je suis sous le contrôle d’autres forces, il y a un niveau de souffrance subtile
impliqué ici.
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Il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin que de considérer la vacuité de la table ou de Guéshé Tashi. Si
nous considérons simplement l’existence seule, nous verrons comme Sa Sainteté le formule,
« l’existence non éveillée ». Notre existence non-éveillée actuelle est totalement sous le pouvoir de
l’ignorance et des perturbations. Et si tel est le cas, alors nous pouvons comprendre que notre état nonéveillé actuel est dukkha.
b) La souffrance
D’un point de vue bouddhique, notre existence actuelle, elle-même, est venue à être en raison de
l’ignorance et des émotions perturbatrices. C’est là le second des quatre aspects : la souffrance.
Nous devons clairement comprendre cela. Le simple fait de posséder cinq agrégats, en soi est
souffrance. Pourquoi ? Parce que ces agrégats sont produits par l’ignorance et les émotions
perturbatrices, ou nous pourrions dire par une confusion fondamentale, et donc, il est impossible de
connaître un bonheur pur. Non seulement dans cette vie, mais aussi dans la vie prochaine.
D’un autre côté nous cherchons à nous libérer du samsara. Nous devons comprendre également qu’au
plus profond de cette souffrance, il y a une chance que nous puissions produire les causes et les
conditions requises pour la libération.
Notre vie quotidienne est pleine de confusion : qu’est-ce qui est vraiment du bonheur, qu’est-ce qui est
vraiment de la souffrance ? Dans de nombreux domaines, nous ne pouvons discerner l’un de l’autre,
donc cette caractéristique arrive à ce moment pour nous aider à faire la différence.
Par exemple, en Inde dans les temps anciens, de nombreuses traditions non-bouddhistes pensaient
que le simple fait de développer la concentration faisait cesser les sensations ordinaires et ainsi mettait
un terme aux niveaux sensoriels de souffrance. Ils croyaient que c’était ça la réalisation totale.
En se concentrant pour réduire l’entrée des objets sensoriels, on peut réduire et finalement rejeter
toutes nos sensations, auditives, visuelles etc. En poussant ce processus à son point ultime, on prendra
une renaissance dans un royaume sans objets sensoriels. Est-ce cela la fin de notre souffrance ?
Le niveau le plus profond de souffrance réside dans le fait de posséder les cinq agrégats contaminés.
Dans le bouddhisme, il y a trois royaumes : le royaume du désir, de la forme et du sans forme. Le
royaume du désir est celui dans lequel nous vivons. Dans ces royaumes, on a les objets des six sens
(voir, entendre, sentir, goûter, toucher et penser). On pourrait dire que notre monde est défini par nos
sens car à chaque instant, notre esprit va vers l’un d’eux avec un désir insatiable de sensation sous une
forme ou sous une autre.
C’est pourquoi il est appelé royaume du désir.
Dans le royaume de la forme, il y a peu d’objets sensoriels et dans le royaume du sans forme aucun.
Pour certaines traditions non-bouddhiste, c’est là le plus haut niveau de réalisation. Pour le
bouddhisme, ça ne l’est pas. Le royaume du sans forme se situe toujours dans l’existence cyclique,
dans le samsara, toujours sujet à la souffrance.
Par le développement de certains niveaux de concentration, l’on développe certains niveaux de
réalisation. On pourrait renaître dans un royaume où l’on ne trouve pas de niveau grossier de
souffrance, pas d’objets sensoriels, mais nous serions toujours sujets à la souffrance. La seconde
caractéristique, « la souffrance », souligne que peu importe le lieu où nous naissons, dans les trois
royaumes, la souffrance est présente.
c) La vacuité
La troisième caractéristique de la première Noble Vérité est la vacuité.
Vacuité, ici, se réfère au fait d’être vide d’un soi dont la réalité serait permanente, unique et indivisible.
Nombreux sont ceux qui ont la notion d’une âme ou d’un soi individuels, qui pensent qu’il existe quelque
chose dans ces agrégats changeant sans cesse, en dehors du corps et de l’esprit, quelque chose qui
ne change pas et qui garde l’essence de « moi ». La notion de vacuité dans cette troisième
caractéristique –qu’il n’y a pas de « je » en dehors des agrégats- est un niveau très grossier de non-soi.
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Nous nous identifions au « je », et le « je » est toujours associé à l’un des cinq agrégats. C’est cet
attachement aux agrégats qui devrait être compris comme souffrance et abandonné. Afin de
comprendre cela, nous devons comprendre ce qu’est le « je ». Ce que nous appelons « être » ou « un
individu » ou le « je », n’est, selon la philosophie bouddhique, qu’une combinaison des forces physiques
et mentales qui changent sans cesse, ou énergie, et qui peut être divisée en cinq agrégats.
d) Le non-soi
La quatrième caractéristique de la première Noble Vérité est le non-soi. Ici, non-soi se réfère au fait
d’être vide d’une personne auto-suffisante ; c’est l’absence d’existence d’une personne indépendante,
existant substantiellement.
Ceci est en relation avec le fait que nous sentons instinctivement que nous sommes plus que la
combinaison des agrégats physiques et mentaux. Bien que le soi ne soit pas complètement
indépendant des cinq agrégats, nous avons le sentiment qu’il y a là quelque chose qui est une
personne auto-suffisante ou une identité, un soi qui est une réalité auto-suffisante et substantielle.
La caractéristique précédente, la vacuité, consistait à réfuter la notion erronée que le soi est
complètement indépendant des cinq agrégats. Celle-ci consiste à réfuter la notion erronée que le soi
peut être trouvé au sein des cinq agrégats et pourtant qu’il est aussi auto-suffisant et substantiel. Du
point du vue du bouddhisme, ce type de soi n’existe pas donc il est appelé non-soi.
Je vais vous donner un exemple facile de ce que veut dire « personne indépendante ». Dans notre
concept habituel de « moi et mes cinq agrégats », très souvent j’ai l’impression que « moi-même » est
un contrôleur et que les agrégats sont sous mon contrôle. L’exemple traditionnel est celui du roi et de
ses sujets. Le roi se trouve dans son château, absolument différent de ses sujets, et possédant un
contrôle absolu sur eux. De cette manière, la troisième caractéristique, la vacuité, réfute la conception
erronée que le soi serait totalement indépendant des agrégats, et affirme qu’il est vide d’existence
indépendante.
Un exemple de la quatrième caractéristique est celui d’un homme d’affaires et de ses employés. Il
travaille au bureau, il fait partie de l’affaire et pourtant il possède le contrôle. Dans la vie, il y a toujours
quelqu’un qui est le patron, mais il est exactement semblable à nous. Donc ici est soulignée la notion
erronée que bien que le soi ne soit pas complètement indépendant des agrégats, il est d’une certaine
façon auto-suffisant au sein des agrégats. La quatrième caractéristique, le non-soi, affirme que c’est
faux, qu’il n’y a rien qui soit une « personne indépendante ».
La troisième caractéristique est plus grossière et la quatrième plus subtile. La troisième est plus facile à
comprendre car vous pouvez aisément et logiquement voir que le « je » existe en dépendance des cinq
agrégats, qu’il n’y a pas de « je » qui soit un possesseur, « le roi », contrôlant les cinq agrégats, en tant
que « sujets ». Il est beaucoup plus difficile de voir que même au sein des cinq agrégats, il n’y a pas du
tout de « je » existant par lui-même.
Si la différence entre quelque chose qui est « vide de soi » et « non-soi » paraît être mince, nous
devrions nous souvenir qu’à mesure que nous avancerons plus profondément dans la psychologie
bouddhique et les théories de la vacuité, comme ce sera le cas dans le futur, plus cette distinction sera
importante. Alors que toutes les différentes écoles philosophiques bouddhiques sont d’accord pour
affirmer que le « je » est les cinq agrégats, les écoles inférieures, les Vaïbashika et les Sautrantika,
affirment qu’il y a une entité « existant substantiellement » que l’on peut avancer en tant que « je ».
Si l’on considère la vue des écoles les plus hautes, toutefois, on peut analyser chacun des agrégats un
par un, et poser la question : est-ce le « je » ? Notre forme est-elle le « je » ? Evidemment, non. La
sensation ?
Ainsi on peut découvrir qu’il n’y a pas d’agrégat individuel qui soit le « je ». En fait, si on analyse
suffisamment profondément, on rejoint la vue de la plus haute école, c’est-à-dire que le « je » n’est rien
de plus qu’une étiquette pour cet ensemble changeant sans cesse et composé du corps et de l’esprit.
Nagarjouna utilise le terme « simple étiquette ».
Nous étudierons dans le prochain module, les Deux Vérités, la signification exacte de ce
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concept philosophique très important.
Alors, comment ces deux caractéristiques nous aident-elles à comprendre la nature de la Vérité de la
Souffrance ? Si nous avons la conception que « je » est le roi et les agrégats, les sujets gouvernés,
comment cela cause-t-il de la souffrance ? Nous devons réaliser que les agrégats sont souffrance, ou
plutôt que notre attachement pour eux est souffrance, au lieu de croire que parce que nous avons des
agrégats, nous souffrons.
Il n’y a pas de doute, que nous rendons les choses encore plus confuses pour nous-mêmes, en
identifiant l’un des cinq agrégats comme étant « moi », et ensuite nous souffrons.
Mais ce sont là les clés du problème, et certaines d’entre elles, comme le Bouddha l’a dit, requièrent
vraiment de la sagesse pour analyser leur vraie nature. A un niveau moins subtil, on peut percevoir cela
par l’attention, sans aller aussi loin que la sagesse qui réalise la vacuité. Analyser ces caractéristiques
une à une, nous aide sans aucun doute à comprendre notre vie plus clairement, et ne nous montre pas
uniquement notre perception ordinaire des choses, mais vraiment comment les choses sont en réalité.
L’attachement aux cinq agrégats est dukkha
Si le soi n’est qu’une simple étiquette sur les cinq agrégats et qu’ils ne sont rien d’autres que de la
souffrance, le tableau est sombre. Afin d’éliminer la souffrance, nous devons éliminer les agrégats, et
ainsi cesser d’exister ! A ce propos, existe une différence d’opinion fondamentale entre les traditions
théravada et mahayana.
W. Rahula dit qu’il doit être compris très clairement que dukkha et les cinq agrégats ne sont pas
différents. Les cinq agrégats, eux-mêmes sont dukkha. C’est la vue détenue par la plupart des
philosophes théravada. Le Bouddha dit :
« Oh, bhikkus, qu’est-ce que dukkha ? Il devrait être dit que ce sont les cinq agrégats d’attachement. »
Il semble donc que les cinq agrégats eux-mêmes ne soient pas dukkha. Si nous prenons le sens littéral,
c’est l’attachement aux agrégats qui est dukkha. Rahula pourtant prend comme signification que les
agrégats eux-mêmes sont dukkha. A mon avis, si c’était le cas, il n’y aurait alors aucune façon
d’affirmer que la combinaison des cinq agrégats est le soi. Il apparaît ici une certaine contradiction, car
on nous enseigne que le soi peut être libéré de la souffrance, et pourtant ici, il affirme que le soi est
souffrance.
Toutes les traditions bouddhiques acceptent le non-soi, mais quand elles en viennent à l’expliciter, les
explications sont différentes. D’un point de vue bouddhique, aucun doute n’est soulevé quant à
l’existence ou non du soi. Il est tout à fait clair qu’il existe. Il existe car nous faisons l’expérience de
quelque chose. Le concept du non-soi réfute l’erreur de compréhension que nous avons en général,
d’un soi existant indépendamment.
Mais si le soi est les agrégats et que les agrégats sont souffrance, comment vais-je atteindre la
bouddhéité ? Si mes cinq agrégats sont souffrance, et que j’essaie d’éliminer toute souffrance, alors il
ne restera rien. Ceci génère au fond de moi une certaine forme de peur qui indique qu’au fond de moi,
je crois que mes cinq agrégats sont moi.
C’est cette idée du soi, que nous avons en tête qui n’existe pas. C’est là vraiment le malentendu. Le
troisième et quatrième aspect de la Vérité de la souffrance traitent de cela –le type de soi qui n’existe
pas.
Selon la tradition théravada, lorsque le Bouddha historique, le Bouddha Shakyamouni, atteignit l’Eveil
sous l’arbre de la bodhi, son corps physique, ses cinq agrégats étaient toujours dukkha. Mais au sein du
Mahayana, et particulièrement du Tantrayana, les cinq agrégats ont des niveaux différents nombreux.
Certains sont très subtils. Par exemple, dans le Tantrayana, à un certain niveau, les cinq agrégats
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représentent les cinq Dyani Bouddha, les cinq énergies primordiales. Nous devons explorer toutes ces
différentes idées.
Dans l’ouvrage du vénérable Ajhan Sumedo, les Quatre Nobles Vérités, à la section consacrée à la
souffrance et à la vue du soi, il donne une explication très habile du soi, particulièrement pour les
Occidentaux. Il dit : « Il y a souffrance », plutôt que « je souffre ». Ne pensez pas « je souffre », pensez
« il y a souffrance ». Il ne dit pas que les cinq agrégats sont souffrance. Si nous méditons sur « je
souffre », alors nous devons localiser le « je ». Il nous dit d’oublier cela et de simplement méditer sur le
fait qu’il y a de la souffrance. C’est une manière très douce, discrète d’expliquer le non-soi. La vieillesse
et la mort sont souffrance –ce sont des symptômes très grossiers –mais où est la souffrance
fondamentale ? Je trouve que c’est très habile.
Parmi les quatre principales écoles philosophiques indiennes étudiées dans le bouddhisme tibétain, on
trouve un courant d’une des écoles inférieures qui affirme que les cinq agrégats sont le « je ». Toutes
les autres disent qu’ils ne sont pas le « je ». Quand on en vient au point de vue de Nagarjouna, qui est
le plus subtil, le « je » n’est rien de plus qu’une simple étiquette. Ce qui peut-être relativement
effrayant !
COMPRENDRE LA VERITE DE LA SOUFFRANCE DANS LA VIE QUOTIDIENNE.
1) Les Courants des Quatre Rivières Violentes de Lama Tsong Khapa
Dans son enseignement à propos des trois principaux aspects de la voie, Lama Tsong Khapa composa
une strophe magnifique décrivant notre situation actuelle :
« Ils sont entraînés dans les courants de quatre rivières violentes,
Enchaînés bien serré à des actes passés, difficiles à dénouer,
Gavés dans la cage d’acier de la saisie du « soi »,
Etouffés dans la nuit noire de l’ignorance. »
Voilà la manière dont il décrit la situation réelle des êtres non-éveillés. Au premier vers, notre situation
actuelle prend naissance en même temps que ces quatre différents types de souffrance : la naissance,
la vieillesse, la maladie et la mort. Notre vie débute par la naissance, qui est souffrance et se termine
par la mort, qui est évidemment aussi souffrance. Que notre vie soit courte ou longue, entre ces deux
extrémités, la maladie et la vieillesse ne cessent de nous punir. Nous sommes dans les courants de ces
quatre rivières, brinqueballés par de fortes vagues.
Au second vers, non seulement nous sommes entraînés, mais nous sommes liés fermement par les
émotions accablantes inévitables. Le troisième vers poursuit : plus que d’être liés par des problèmes
extérieurs, nous sommes les prisonniers de la compréhension erronée de l’ego. Le quatrième vers
considère notre confusion fondamentale plus profonde, l’ignorance de ne pas connaître la réalité des
choses et des évènements. Il y a beaucoup de niveaux de souffrance dans la situation des êtres nonéveillés.
2) Comment la compréhension de la souffrance aide pratiquement.
Cela paraît désespéré, non ? Mais nous devons vraiment comprendre combien nous souffrons tous
avant de pouvoir y faire quelque chose. Ensuite, avec cette connaissance, nous pouvons vraiment
commencer à changer le centre d’intérêt de notre vie.
Auparavant, nous n’avions aucune idée de l’état de notre vie. Depuis que nous avons été en contact
avec le bouddhisme, que nous avons entendu ces choses, étudié et médité, quelle différence cela faitil ? La souffrance et les problèmes sont là, que vous soyez bouddhiste ou non. Puisque la source est là,
que les causes et les conditions sont là, intérieurement et extérieurement, donc la souffrance est là.
Mais maintenant la différence importante est que nous avons quelque compréhension de la première
Noble Vérité et que nous avons donc le potentiel de percevoir ces choses autrement. Mais en réalité, le
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faisons-nous ? Parvenons-nous à mieux affronter les problèmes qu’auparavant, ou est-ce toujours
pareil ?
Je pense que ce sont là les choses pragmatiques que nous devons comprendre. Nous savons tous ce
qui se passe habituellement lorsque nous sommes confrontés à des difficultés. Nous continuons à être
impatient, à nous mettre en colère, à rejeter la faute sur les autres. Bien que les autres puissent
contribuer à nos difficultés, nous les rendons si souvent entièrement responsables de nos problèmes.
Ceci continue à se produire car nous ne connaissons pas parfaitement la Vérité de la Souffrance ainsi
que les autres Nobles Vérités.
Le Bouddha ne s’est pas arrêté avec le premier groupe de causes et d’effets (la Vérité de la Souffrance
et la Vérité de la Cause). Si ça avait été le cas, je crois que la plupart des pratiquants bouddhistes
auraient été sombres comparés aux autres pratiquants spirituels, à l’idée qu’il n’y a rien d’autre dans ce
monde que la souffrance. Il a continué. Après avoir enseigné le premier groupe de causes et d’effets, il
a enseigné le second groupe, la Vérité de la Cessation et la Vérité du Chemin. Ces deux vérités nous
donnent vraiment de l’espoir et nous incitent à souhaiter faire quelque chose de plus que simplement
nous sentir déprimé. Et comme il a enseigné le second groupe de causes et d’effets, nous pouvons voir
qu’il n’y a aucune raison de s’impatienter, puisqu’il y a une méthode pour guérir le problème.
Mais il est évident que nous devons travailler sur notre esprit pour intégrer réellement cette
connaissance dans notre quotidien. Nous devons examiner tous les points que nous avons étudiés à
propos de la Vérité de la souffrance et les méditer.
Prenez les cinq agrégats, par exemple. Avant de méditer en se concentrant en un point, il est
nécessaire de pratiquer la méditation analytique, pour analyser, pour débattre de la façon dont le
premier agrégat, l’agrégat de la forme, sert de fondement à tous les problèmes. Ensuite, nous passons
à l’agrégat suivant. Tout d’abord nous devons affûter notre esprit. En tibétain, nous avons une
expression plaisante : « Bien qu’il pleuve à torrent sur tout le toit, quand la pluie tombe, elle arrive par
une seule gouttière. »
Au début, nous devons penser de manières diverses. Il est très facile de comprendre comment
l’agrégat de la forme sert de source à tous nos problèmes quotidiens. Tous nos problèmes physiques,
tels que les maladies, les maux de tête et la vieillesse, etc., sont des aspects du processus naturel de
notre corps, et viennent tous à exister parce que le corps est là. C’est le corps qui possède le potentiel
d’engendrer tous ces problèmes. Il est nécessaire de réfléchir à tout cela, de passer ensuite aux autres
agrégats et de voir comment il en est de même pour l’esprit.
3) Lâcher prise de la saisie
Notre exploration de l’agrégat de la forme peut être liée à la première des six souffrances générales du
samsara : l’incertitude. L’état futur de notre corps est incertain. Bien que nous puissions penser que
notre corps est fort et en bonne santé aujourd’hui, qui sait comment il sera d’ici quelques années ?
C’est très incertain. Ceci génère beaucoup d’anxiété, même si c’est à un niveau inconscient. C’est le
genre de choses auxquelles nous devons réfléchir encore et encore.
Penser de cette façon est ce que l’on appelle habituellement la méditation analytique. Par ce type de
raisonnement, on peut doucement rendre ces idées de plus en plus proches, finalement les canaliser en
un point et être convaincu que l’agrégat de la forme est réellement le fondement de tous nos problèmes.
Pas à un niveau simplement conceptuel, mais vraiment par une compréhension profonde. C’est ainsi
que nous devons procéder avec notre méditation.
En comprenant que notre existence a débuté avec la souffrance de la naissance et se terminera par la
souffrance de la mort, et qu’entre les deux, nous connaissons de nombreux types de souffrance, nous
acquérons la force de ne pas être découragé lorsque ces choses surviennent. C’est simplement le
processus naturel de notre vie, ça va, ça vient.
A ce propos je trouve que l’explication théravada est appropriée : « lâchez prise. » Il est très difficile de
lâcher prise, mais cela facilite pourtant beaucoup plus que de saisir ces problèmes. Si nous saisissons
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un problème, bien sûr le problème ne s’en va pas. Ca s’aggrave. Le problème extérieur peut ne pas
s’aggraver, mais notre ressenti, notre impatience empire et peut engendrer un sentiment de haine
envers les circonstances extérieures, ou parfois envers nous-mêmes.
L’impatience peut conduire facilement à la colère et même à la haine. Tout d’abord, il y a une sorte
d’agitation, puis cette agitation gagne et la haine surgit. Il est évident que lorsque nous sommes sous le
pouvoir de la haine et des émotions négatives, la situation empire.
A ce propos, je trouve qu’il est préférable de suivre le conseil de « lâcher prise ». J’ai vérifié à plusieurs
reprises ce que « lâcher prise » signifie et pour moi, il semble que nous ne devrions pas nous
cramponner à la situation. Nous devrions faire de notre mieux pour essayer de résoudre la situation, et
ne pas penser que ce problème ne va jamais disparaître, qu’il sera toujours là.
Ne pas saisir ce genre de situation est, bien sûr, un bon conseil, mais comment lâcher prise ? Une
technique utile est de considérer le problème sous différents angles : comment il a surgi, quelles sont
les causes et les conditions. Regarder et utiliser notre connaissance, et considérer le problème sous
des angles différents, plutôt que d’en être obsédé, voir comment nous pouvons nous en débarrasser le
plutôt possible, nous pouvons analyser le genre de rôle que nous avons joué dans la création de cette
situation. Si nous considérons le problème sous tous ses angles, il y a plus de chance que nous
parvenions à le lâcher. Sinon, ce peut être très difficile.
Ne prendre en compte que les causes et conditions extérieures, le fait qu’il semble que d’autres
personnes ont créé la situation, nous empêchera de voir la cause réelle. Par contre au lieu de nous
concentrer sur les facteurs extérieurs, si nous nous tournons vers nous-mêmes, si nous regardons le
rôle que nous avons joué – en bref, en utilisant notre sagesse - alors il y a de grandes chances que
nous lâchions prise.
4) Comment pouvons-nous comprendre la Vérité de la Souffrance ?
Dans le soutra, le Bouddha a dit que la Vérité de la Souffrance devait être pleinement comprise, alors
comment pouvons-nous la comprendre ? Dans le plus court des trois textes de Lam Rim de Lama
Tsong Khapa, Les Lignes de l’Expérience, il dit que si vous ne faites pas d’effort pour réfléchir à la
souffrance véritable, mais que vous renoncez uniquement aux plaisirs samsariques, vous ne
développerez pas convenablement de motivation intense, pour travailler à la libération.
Je pense que cela signifie qu’en réfléchissant à la souffrance véritable et en voyant ses inconvénients,
nous renoncerons à tout ce qui nous fait souffrir, par contre nous priver uniquement de plaisir revient à
supprimer le désir, et cela ne fonctionnera jamais.
Quand le Bouddha a dit que la Vérité de la Souffrance devrait être comprise, dans un sens cela signifie
que nous devrions voir que la fonction de la souffrance est de détruire notre bonheur et celui d’autrui. Si
nous comprenons les inconvénients de la souffrance véritable alors nous avons une chance d’éviter ces
choses. Et si nous mettons tous nos efforts pour éviter la souffrance véritable, le résultat sera la
libération.
En comprenant les inconvénients de la souffrance véritable, nous devons voir qu’il y a des niveaux
différents. Il est nécessaire que nous méditions sur la multitude d’inconvénients de l’existence cyclique,
telle que nous la trouvons dans le Lam Rim, la Voie Graduée vers l’Eveil.
Pour certaines personnes, il est utile de méditer sur les souffrances des êtres infernaux, des esprits
affamés ou des animaux. Pour elles, il est plus facile de méditer sur les problèmes des autres que sur
les leurs. Mais pour d’autres personnes, elles trouvent plus de sens à méditer sur leurs propres
problèmes. Dans le Lam Rim toute une panoplie de souffrances est exposée, mais cela ne signifie pas
qu’il faille absolument méditer sur chacune d’entre elles.
Utilisez toute souffrance qui rend la méditation plus efficace pour nous dans notre quotidien, et essayez
de voir les effets destructifs de cette souffrance, physiques, mentaux, à court terme et à long terme. Si
nous procédons ainsi, la motivation de vouloir se libérer de ce type d’état, sera créée.
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5) Méditer sur la première Noble Vérité.
Pour comprendre la première Noble Vérité, nous devons la comprendre plus qu’intellectuellement, afin
qu’elle soit profitable à notre vie quotidienne. C’est pourquoi je souhaite expliquer brièvement quelques
unes des nombreuses manières de méditer.
Quelques fois, nous nous concentrons sur l’esprit en train de méditer, donc l’esprit lui-même devient
l’objet de méditation. Parfois, l’esprit qui médite et l’objet de concentration sont séparés, conservés
comme sujet et objet. Dans cette pratique, l’esprit qui médite ne devient pas l’objet de méditation luimême.
Peut-être devrais-je clarifier cela par un exemple. Si nous méditons, nous méditons sur la compassion
ou la bonté aimante, une façon de faire est de laisser notre esprit lui-même devenir cet esprit de
compassion. Dans ce cas, nous ne considérons pas la compassion comme un objet séparé de l’esprit,
mais l’esprit de compassion lui-même est l’objet.
Mais pour méditer sur l’impermanence, qui est une méditation très courante dans le bouddhisme, nous
n’essayons pas de devenir cet esprit, plutôt, nous essayons de réaliser la nature de l’impermanence,
son caractère passager. Je pense qu’il est très important de connaître la différence entre ces deux
types de méditation.
Quand vous méditez sur les trois niveaux de souffrance, le second niveau est la souffrance du
changement. Là, notre méditation est vraiment du type, sujet et objet. L’esprit qui médite est le sujet et
la souffrance du changement est l’objet. Ensuite vous essayez de le réaliser. Ce n’est pas que votre
esprit devienne la souffrance du changement, mais plutôt qu’il essaye de la réaliser.
Notre vie possède trois paires d’attributs contraires :
. satisfaction / insatisfaction
. attraction / aversion
. liberté / manque de liberté
Il est important de se souvenir que quand il y a attraction, il y a aussi aversion ; et l’insatisfaction va
avec la satisfaction ; si nous avons la liberté, il y a aussi manque de liberté. ( Je parle ici de liberté
relative dans le samsara – de liberté de la domination, des soucis financiers, des maladies, etc. – je ne
parle pas de liberté ou de libération qui est le nirvana.)
Le même objet qui apporte une certaine satisfaction, apportera aussi de l’insatisfaction. Et le même
objet qui nous lie, qui nous maintient dans le samsara, a également le pouvoir de nous libérer.
Comme nous l’avons vu d’après les citations du Bouddha ainsi que d’après les commentateurs ou les
érudits postérieurs, dans la première Noble Vérité, la Noble Vérité de la Souffrance, on trouve le
message très clair qu’il faudrait reconnaître que cette Noble Vérité existe dans notre vie, non seulement
à un niveau superficiel, mais au niveau le plus profond.
Il est dit aussi très clairement que notre souffrance provient de malentendus fondamentaux, tels que la
compréhension erronée de l’impermanence. Il y a une forte supposition que les choses sont
permanentes, qu’elles vont durer longtemps. Il y a un malentendu à propos de notre identité. Comme
nous l’avons vu, divers niveaux de non-soi doivent être compris afin de comprendre les niveaux très
profonds de souffrance.
Donc la première Noble Vérité nous montre que nous avons besoin de comprendre qu’au sein de notre
existence se trouve une souffrance aiguë et profondément enracinée, dukkha.
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CHAPITRE TROIS
LA VERITE DE L’ORIGINE (1)
IGNORANCE, EMOTIONS PERTURBATRICES ET ACTIONS KARMIQUES
page
32
La Vérité de l’Origine devrait être abandonnée
Les causes et conditions qui mènent à la souffrance
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IGNORANCE
1/ L’ignorance prend racine dans la confusion fondamentale
2/ Les deux sortes d’ignorance
1- ignorance de la loi de causalité
a/ ignorance acquise
b/ ignorance innée.
2- ignorance de la nature ultime de la réalité (n’est pas
abordée dans ce chapitre)
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EMOTIONS PERTURBATRICES
1/ Emotions perturbatrices racines et secondaires
2/ Les trois sortes de Soifs
1- La Soif de plaisirs sensoriels
2- La Soif des agrégats transitoires
3- La Soif d’exister
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ACTION KARMIQUE
1/ Comment fonctionne la loi de cause à effet
2/ Causes et conditions (causes substantielles et coopératives)
3/ Karma
a/ le karma est la cause, non le résultat
b/ les trois stades du karma – Intention, Action, Satisfaction
c/ le poids d’une action
d/ karma propulsif et karma complétif
1- Karma propulsif
2- Karma complétif
4/ L’origine de la souffrance se trouve à l’intérieur même
de la souffrance
LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA VERITE DE
L’ORIGINE
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CHAPITRE TROIS
LA VERITE DE L’ORIGINE (1)
IGNORANCE, EMOTIONS PERTURBATRICES ET ACTIONS KARMIQUES
La vérité de l’origine devrait être abandonnée
Dans le Dhammacakkappavattana-sutta, quand le Bouddha a décrit les Quatre Nobles Vérités, il a dit à
propos de la seconde :
« En tant que Noble Vérité cette Origine de la Souffrance devrait être abandonnée. »
A cause de cela, l’étude de la seconde Noble Vérité est sensiblement différente de l’étude de la
première Noble Vérité où notre objectif principal est de la comprendre. Nous allons maintenant observer
comment, s’il y a souffrance, celle-ci est arrivée, quelles en sont les causes et conditions et, enfin, ce
que nous pouvons faire pour les éliminer.
Bien sûr, abandonner ces causes et conditions est la deuxième étape. Mais en premier lieu,
nous devons les comprendre, même de façon très sommaire.
Les causes et conditions qui mènent à la souffrance
PERTURBATIONS MENTALES
EMOTIONS
IGNORANCE
PERTURBATRICES
du non-soi de la
personne et des
attachement
phénomènes
aversion
ACTION
KARMIQUE
physique
mentale
verbale
LA VERITE
DE L’ORIGINE
SOUFFRANCE
VERITABLE
souffrance
LA VERITE DE
SOUFFRANCE
LA
Adapté du tableau sur « the Four Noble Truths » par Lobsang Gyatso (page 34, en anglais)
Ce que nous expérimentons est la souffrance : c’est le résultat. Dans ce tableau, Lobsang
Gyatso montre le processus qui mène à la souffrance : ses causes. Cela commence par une ignorance
fondamentale du non-soi de la personne et des phénomènes. Cette ignorance fondamentale entraîne la
naissance de nos émotions perturbatrices que sont l’attachement et l’aversion.
Sous l’influence de ces émotions perturbatrices, nous créons des actions karmiques qui vont engendrer
la souffrance. Ainsi, dans ce tableau, la dernière colonne concerne la Vérité de la Souffrance et les trois
autres la Vérité de l’Origine.
Ceci étant dit, dans notre vie quotidienne, en l’espace même d’une seule heure, d’une seule minute,
d’une seule seconde, toutes ces forces sont présentes, simultanément. Il semble ne pas y avoir
d’enchaînement, mais il y en a forcément un, à cause de la nature causale de la souffrance.
Il ne peut y avoir de résultat sans cause et c’est par l’interaction de l’ignorance, des émotions
perturbatrices et des actions karmiques qu’advient le résultat : la souffrance. Dans notre vie de tous les
jours les quatre facteurs sont là, à tous moments, mais il nous faut beaucoup de vigilance pour
appréhender comment, bien qu’ils semblent simultanés, il y a forcément enchaînement.
32
L’IGNORANCE
En premier lieu, nous allons examiner ce qu’est l’ignorance. “Ignorance” est un mot très
courant. Dans les enseignements bouddhiques, nous disons toujours que la racine du samsara est
l’ignorance, et la discussion est close. Nous devrions cependant être certains que nous savons
précisément ce que cela signifie. On peut définir l’ignorance à de nombreux niveaux différents :
exactement comme dans notre vie quotidienne il y a de nombreux niveaux de méprises. Certaines
formes d’ignorance nous mènent à la confusion. Nous agissons avec maladresse tout simplement parce
que nous n’avons pas pleinement compris quelque chose. Il y a une autre forme d’ignorance qui n’est
pas aussi simple : c’est une mauvaise compréhension à un niveau très subtil, une confusion subtile.
L’ignorance est la « clé de contact », le point de départ. A cause de la pensée, l’émotion naît,
grossière ou subtile ; cela s’enchaîne ainsi. Parce que la pensée a une compréhension erronée de la
réalité, les émotions qui naissent sont perturbées –nous les appelons « émotions perturbatrices » – et
elles sont encore une méprise. Ensuite, sous leur emprise, nous réagissons, nous agissons,
physiquement, mentalement ou verbalement. Alors survient le résultat : la souffrance.
1) La racine (de l’ignorance) réside dans la confusion fondamentale
Pour moi il est très clair que, quelle que soit la tradition, Théravada ou Mahayana, il y a une
commune acceptation de ce qu’est l’origine de la souffrance. Le Bouddha a dit que la soif (le désir
insatiable) est l’origine de la souffrance. En pali c’est tanha, qui se traduit littéralement par « soif ».
Toutes les traditions Théravada insistent très fortement sur ce point, traduisant le mot par « soif » ou
« désir ». Nous possédons cette sorte de convoitise, qui est l’origine de la souffrance. Ils ne disent pas
que c’est la seule origine de la souffrance, mais ils insistent sur ce point.
Dans Les Quatre Nobles Vérités du Vénérable Lobsang Gyatso, le point est un peu plus
nuancé pour dire que l’ignorance fondamentale (ou confusion fondamentale) est l’origine de la
souffrance. Bien qu’il soit d’accord sur le fait que le désir, ou la soif, (ce sentiment de vouloir ou
d’attendre quelque chose) est bien une origine, l’accent, ici, est mis sur notre ignorance fondamentale.
Il est utile de garder à l’esprit les lectures puisées dans les différentes traditions et de les
rapprocher les unes des autres, sans mettre au rebut l’une, parce qu’elle fait partie du Mahayana et que
cela ne nous convient pas personnellement, ou l’autre, parce qu’elle est Théravada et que nous nous
disons bouddhistes tibétains. De l’assemblage des deux émerge une base commune qui peut être
mieux adaptée à notre façon de vivre actuelle.
Certaines personnes peuvent seulement trouver de l’intérêt à rendre leurs conditions de vie
actuelles aussi bonnes que possible. Elles peuvent ne pas avoir le temps ou l’énergie d’entrer dans de
tels détails, mais vouloir simplement maîtriser les choses et apporter un certain niveau de paix dans leur
vie. D’autres peuvent vouloir aller un peu plus loin. Nous avons tous des intérêts et des inclinations
différents. Certaines personnes peuvent avoir plus d’opportunités pour étudier, méditer, et mettre les
enseignements en pratique de façon plus profonde. Il est donc très utile de lire les écrits des différentes
traditions, de chercher leur base commune (du tronc commun) et, à partir de là, de choisir ce qui
correspond le mieux à notre propre personnalité et façon de vivre.
Sa Sainteté dit :
« Nous avons découvert qu’à la racine de la situation se trouve une confusion
fondamentale, ou, selon la terminologie bouddhique, une ignorance
fondamentale. Cette confusion ne s’applique pas seulement à la façon dont les
choses existent, mais aussi à la façon dont les causes et les effets sont reliés les
uns aux autres. C’est pourquoi dans le bouddhisme nous parlons de deux types
d’ignorance, et donc l’accent est mis non seulement sur la soif (le désir) mais
également sur la racine, l’ignorance, la confusion fondamentale. »
De même, le Vén. Lobsang Gyatso dit :
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« Il est dit dans le bouddhisme que la souffrance a deux causes : le karma et les
perturbations mentales, cependant, en remontant à la source de toutes les causes karmiques
de la souffrance on trouve les perturbations mentales. »
Dans les enseignements bouddhiques, vous entendrez souvent dire que la souffrance est
causée par le karma et les perturbations mentales. Il est dit que ce sont les deux causes de tous nos
problèmes. Utilisé de la sorte, le terme « perturbations mentales » signifie à la fois nos émotions
perturbatrices et leur cause qui est cette ignorance fondamentale. Lorsque le terme « tanha » -soif ou
désir- est utilisé dans un sens général, il couvre également tout ces points.
2) Les deux types d’ignorance
Quand nous parlons de la cause de la souffrance, nous utilisons des termes tels que perturbations
mentales ou émotions perturbatrices ou encore souillures. Ces termes sont employés très couramment,
mais la cause sous-jacente de la souffrance est cette ignorance fondamentale. Elle peut être divisée en
deux :
1- l’ignorance de la loi de causalité
2- l’ignorance de la nature ultime de la réalité.
Pour le moment, nous n’aborderons pas la seconde ignorance –l’ignorance de la nature ultime
des phénomènes- qui revient en fait à parler de la vacuité. Nous examinerons la première, qui est
l’ignorance de la loi de causalité.
1- l’ignorance de la loi de causalité
Vous pouvez trouver fréquemment ce terme dans l’Abhidharma, ainsi que dans les textes du Mahayana
qui parlent de la soif des objets de désir, de la soif des agrégats transitoires, et de la soif d’existence et
de non existence. Ces termes sont légèrement différents de ceux que l’on trouve dans les soutras et
dans d’autres traditions Théravada. Comment se fait-il que nous nous méprenions sur la loi de
causalité ? De quelle sorte d’ignorance s’agit-il ? En général, il y en a deux sortes :
a/ l’ignorance acquise
b/ l’ignorance innée.
a/ l’ignorance acquise
La première n’arrive pas naturellement, elle n’est pas innée mais se manifeste lorsque nous
sommes influencés par les croyances d’autres personnes ou par notre culture. La confusion qui envahit
notre esprit par rapport à la loi de causalité est principalement due à ces théories ou croyances qui nous
viennent de la culture dans laquelle nous évoluons. Parce que c’est la croyance commune de cette
culture, naturellement, nous la considérons comme vraie, pensant que c’est ainsi que les causes et
conséquences fonctionnent et que c’est ainsi que les choses et les évènements prennent forme, y
compris notre propre existence, nos propres sentiments ou expériences.
Si on essaie d’observer si cette ignorance est effectivement acquise de cette façon là, nous
devons explorer, nos propres perceptions, sentiments et expériences. Ce sont nos ressources les plus
importantes lorsque nous traitons ce sujet. Si nous ne le faisons pas, alors notre étude sera sèche et
sans goût.
Un exemple simple de la facilité avec laquelle nous nous emparons des croyances des autres
est la façon dont nous accordons volontiers notre confiance à la science. De nos jours les théories
scientifiques sont très populaires et, en général, nous les acceptons, que nous les comprenions
vraiment ou non.
A l’heure actuelle il existe un courant scientifique influant qui soutient que notre mental –nos
pensées, sentiments et sensations- ne sont rien d’autre que des réactions chimiques dans le cerveau et
le corps. Lorsque ces réactions chimiques cessent de fonctionner, il semble que cela soit la fin de l’être.
Bien sûr, ce n’est pas l’unique vue scientifique mais il semble qu’elle soit prédominante en ce
moment. Et parce que des scientifiques érudits ont publié des livres épais à ce sujet, beaucoup de gens
34
y croient. Je dirais que cette forme d’ignorance est l’ignorance de la loi de causalité due aux croyances
ou aux théories d’autres personnes et qu’elle n’est ni spontanée, ni innée, ni naturelle.
Des croyances traditionnelles ou religieuses peuvent aussi être à l’origine de cette forme
d’ignorance. Beaucoup de gens croient que Dieu nous a créés. Je ne dis pas que c’est complètement
faux mais si l’on considère le point de vue bouddhique quant à la façon dont les choses et les
événements se produisent, ce n’est pas exactement ainsi. Ce sont les idées dominantes de notre
culture et nous les acceptons et y croyons même très fort.
Avec ce type de croyances, beaucoup de gens font du très bon travail, sont bénéfiques à des
millions de personnes, siècle après siècle, mais il leur reste pourtant cette confusion fondamentale
quant à la manière dont les choses se produisent.
b/ l’ignorance innée.
A d’autres moments, notre ignorance ne provient pas seulement de ce que les autres nous
racontent mais elle apparaît naturellement. Elle est innée : nous l’avons en nous. En dehors de tout
raisonnement, nous ressentons simplement spontanément que c’est ainsi que les choses et les
événements semblent apparaître, y compris notre propre existence.
Même sans que la culture ne vienne mettre la confusion dans nos têtes, nous pouvons quand
même être trompés par notre ignorance innée. Nous avons en quelque sorte une tendance naturelle à
voir les choses de manière erronée. J’ai été élevé dans une famille bouddhiste et j’ai étudié dans les
écoles et les monastères bouddhistes. Intellectuellement et rationnellement j’accepte le fait qu’il y ait eu
une vie antérieure durant laquelle des causes et des conditions furent accumulées et que c’est pour
cela que je fais à présent l’expérience de choses sensiblement différentes de celles vécues par d’autres
personnes. C’est ce que je pense quand je suis rationnellement le processus de pensée des croyances
bouddhiques, mais de façon innée, intérieurement, très spontanément, c’est plutôt difficile.
Par exemple, lorsque nous sommes confrontés à des difficultés, nous nous mettons à blâmer
immédiatement quelqu’un d’autre, nous cherchons la responsabilité à l’extérieur de nous-mêmes. Nous
souffrons : quelqu’un d’autre que nous-mêmes est à blâmer. Il y a cette tendance spontanée à blâmer
les autres. C’est inné, très naturel, ce n’est pas quelque chose que quelqu’un nous aurait mis en tête.
Là encore il s’agit de l’ignorance de la loi de causalité.
LES EMOTIONS PERTURBATRICES
A cause de cette confusion fondamentale une angoisse naît en nous, peu importe son degré de
subtilité. Cette émotion est perturbatrice ou trompeuse parce qu’elle n’appréhende pas son objet
correctement. Le tableau de la page 32 montre les émotions perturbatrices comme l’attachement et
l’aversion. Dans le bouddhisme, ces deux termes ont un sens plus vaste que dans le vocabulaire de
tous les jours. Quand nous employons le mot attachement dans notre langage quotidien, nous faisons
habituellement référence à un niveau très grossier d’attachement, aux choses matérielles ou à des
personnes. Dans ce contexte attachement n’a pas ce sens. Dans le bouddhisme le problème de
l’attachement – qu’il soit question du désir/attachement (deu tchak en tibétain) ou de la soif (tanha en
pali) – est bien plus profond que cela. Nous devons donc affiner notre compréhension de ce que signifie
attachement selon les différents contextes.
1) Emotions perturbatrices racines et secondaires
L’attachement peut être une émotion perturbatrice racine ou faire partie des émotions
perturbatrices secondaires. Elles sont appelées émotions perturbatrices secondaires parce que cette
sorte d’attachement ne se révèle que dans certaines situations spécifiques alors que le terme émotions
perturbatrices racines induit le fait qu’elles produisent des émotions perturbatrices secondaires. Elles
sont citées page 32 du livre de Lobsang Gyatso. (voir annexe I)
35
Que sont les émotions perturbatrices ? Où plaçons-nous la ligne de démarcation ? Pouvonsnous éprouver des émotions qui ne soient pas des perturbations ?
Les émotions qui surgissent dues à l’ignorance sont celles qui, par leur seule présence,
troublent immédiatement notre esprit. Si ce genre d’émotion surgit, c’est une émotion perturbatrice
selon le point de vue bouddhique.
On les classe de grossières à subtiles parce qu’il existe différents niveaux d’ignorance.
L’ignorance subtile, bien sûr, produit des émotions perturbatrices subtiles. Elles sont très difficiles à
reconnaître en tant que perturbations et de ce fait difficiles à éliminer.
Il existe, toutefois, des émotions qui ne sont pas dues à l’ignorance. Il s’agit de toutes les
formes d’émotions qui viennent d’un sentiment authentique de compassion ou d’amour. Si cette
émotion n’est pas contaminée par l’ignorance, alors c’est une émotion mais pas une émotion
perturbatrice. Nous avons un certain degré d’amour et de compassion, bien sûr, mais encore contaminé
par nos esprits perturbés en ce qui nous concerne.
2) les trois sortes de soifs
Le Bouddha a dit :
« La Noble Vérité de l’origine de la souffrance est cela : c’est cette soif (ce désir)
qui produit la re-naissance et le retour à l’existence sous l’emprise de l’avidité passionnée.
Elle trouve ici et là de nouveaux plaisirs. Il s’agit de la soif des plaisirs sensoriels ; de la soif
de l’existence et du devenir ; et de la soif de l’auto-annihilation. »
Lorsque l’on considère ces trois sortes de soif dans la perspective bouddhique tibétaine, l’enchaînement
différera légèrement de la façon dont le Bouddha les a exposées dans le soutra. Dans le bouddhisme
tibétain, l’enchaînement est :
1- la soif des plaisirs des sens (Pali: kama tanha, Tibetain: deu sè))
2- la soif des agrégats transitoires (Pali: vibhava tanha, Tibetain: djig.sè)
3- la soif d’existence (Pali: bhava tanha, Tibetain: si.sè)
Comme le dit Rahula :
« Tanha (la soif) n’est pas la première ni la seule cause de l’émergence de dukkha (la
souffrance). »
Dans les textes pali et la tradition Théravada, je pense que l’on insiste beaucoup sur ce désir ou cette
soif comme étant l’origine de la souffrance parce que c’est une cause très forte de souffrance. A cause
de son importance dans la compréhension de la souffrance ils la mettent en avant mais, comme on peut
le voir dans les propos tenus par Rahula, ce désir, cette soif, ne sont pas les seules causes de
l’émergence de dukkha.
1- la soif des plaisirs des sens
C’est très clair. Nous autres, êtres humains, possédons les cinq consciences sensorielles et sommes
entourés de toutes parts par les objets sensoriels externes. En conséquence, l’attraction pour les
plaisirs des sens est très forte et, en plus, elle est présente tout le temps, de nuit comme de jour. Il
n’existe pas d’instant, même dans notre sommeil, où nous n’éprouvons pas cette attraction pour les
plaisirs des sens. Il y a des plaisirs sensoriels très puissants – comme le désir irrésistible d’avoir une
nourriture délicieuse ou des amis adorables – qui ne sont pas présents tout le temps, mais en général,
la soif pour les plaisirs des sens, nous accompagne vraiment à chaque instant.
Cette soif nous apporte vraiment des tas d’angoisses, des tas de soucis, des tas de difficultés,
des tas de souffrances. Nous en avons tous fait l’expérience. Nous n’avons pas vraiment besoin
d’expliquer dans le détail comment elle entraîne la souffrance.
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Le terme pali, kama tanha, clarifie bien cela– kama (karma en Sanskrit), c’est agir–donc, au
travers de tanha ou de la soif, nous agissons. A cause de cette soif pour les plaisirs des sens nous
agissons et le fait d’accomplir ces actions entraîne souffrances et difficultés.
2- la soif des agrégats transitoires
Nous devons observer de façon plus détaillée la seconde soif : la soif pour les agrégats transitoires. En
tibétain, djig signifie transitoire et sè est le désir, mais, comme vous le verrez dans la description de
Ajahn Sumedo (the Four Noble Truths, voir annexe II), dans la tradition pali cette soif est vue comme un
désir de se défaire des choses. Rahula utilise le terme soif de non-existence (auto-annihilation). En pali
c’est vibhava tanha.
L’explication mahayaniste de la soif pour les agrégats transitoires est très subtile. Bien que
nous puissions dire que cette soif comprend le désir de se débarrasser des choses que nous n’aimons
pas, comme la compagnie de personnes que nous n’apprécions pas, comme notre colère ou notre
jalousie, – en bref, les choses dont aucun d’entre nous ne veut et donc éprouve un fort désir de se
débarrasser – cette soif est plus vaste que cela. Dans la tradition mahayaniste, au lieu de « soif de nonexistence » on utilise le terme « soif des agrégats transitoires », afin de montrer qu’à un certain
moment, pendant le processus de la mort, quand la personne est très près de mourir, il apparaît très
clairement qu’elle ne peut plus vivre avec ses agrégats présents. Lorsque vient cet instant se manifeste
un désir de se débarrasser des agrégats de cette vie.
C’est la façon dont cette soif est appréhendée dans le bouddhisme tibétain. C’est un point très
important. La soif pour les agrégats transitoires peut être un attachement à nos agrégats actuels beaux
et sains mais cela peut être aussi la soif de se débarrasser de ces agrégats transitoires. Pendant le
processus de la mort, quand il est clair qu’il n’y a aucun moyen de conserver les agrégats présents,
alors se manifeste un puissant désir de nous en débarrasser. Ce fort désir de nous séparer de ces
agrégats correspond à l’idée de soif de non-existence dans la tradition théravada.
Il est très important d’établir les différences, mais en fin de compte on en revient au même
point. L’explication d’Ajahn Sumedo s’accorde bien avec la perspective de notre époque – regarder les
choses que nous n’aimons pas dans cette vie. Dans le bouddhisme tibétain, ce n’est pas seulement
cela, c’est aussi observer l’aversion que nous développons à l’égard de nos agrégats lorsqu’il est clair
qu’en mourrant nous les perdons. Tant que nous avons un corps sain, que nous sommes jeunes et non
atteints par la maladie, nous éprouvons un désir très fort de conserver nos agrégats. Mais à un certain
stade, quand cela n’est plus possible, alors s’élève un fort désir de nous en débarrasser.
3- la soif de l’existence
La troisième soif est appelée « soif d’exister » dans le bouddhisme tibétain parce que lorsqu’il n’y a plus
d’espoir de continuer à vivre dans cette vie, alors se développe un désir très subtil mais très fort de
continuer à exister, qu’il y ait une suite. Pas un désir de continuer à vivre cette vie-ci qui touche à sa fin
mais la soif de vivre, ce qui signifie à ce stade la prochaine vie.
L’explication tibétaine est très subtile. Le bouddhisme tibétain voit plus loin que le besoin d’être
quelque chose dans cette vie, du côté du lien essentiel qui unit les différentes vies. Il est très important
d’examiner l’explication subtile de cette soif parce que c’est cette soif qui fait le lien entre cette vie et la
suivante. Comme vous le verrez lorsque nous considérerons les Douze Liens d’Origine
Interdépendante, dans le chapitre 4, des douze liens de la chaîne de cause à effet qui nous
maintiennent dans le samsara, le dixième est l’existence. C’est de cela dont nous parlons ici. Cette soif
fait le lien avec la vie prochaine et détermine quelle sorte d’existence nous allons avoir dans cette
prochaine vie. Cette soif est donc semblable à un pont entre cette vie et la suivante.
Ajahn Sumedo dit:
« Nous sommes pris dans ce mouvement de lutte pour trouver le bonheur, pour chercher à
devenir riches ; ou nous pouvons essayer de faire des choses pour que notre vie semble
importante en faisant tout notre possible pour que le monde aille bien. »
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Son explication se rapporte vraiment à cette soif de s’accomplir, de devenir quelque chose,
dans cette vie. Dans le bouddhisme tibétain, on peut bien sûr l’expliquer dans ce contexte, mais dans
un contexte plus subtil c’est plus que cela : c’est la soif qui se produit quand une personne passe de
cette vie à la suivante, ce désir pour une continuation de l’existence. En tibétain c’est si.sè – si vient de
samsara (si.pa en tibétain). Sè signifie désir ou soif. Cela signifie littéralement « soif du samsara »
Notre besoin le plus fort est le besoin d’exister. Au moment de la mort il se manifeste sous la forme du
désir de rester dans le samsara, de passer de cette vie à la suivante.
L’ACTION KARMIQUE
1) Comment fonctionnent la cause et l’effet
Avant d’examiner le thème important du karma, la loi de cause à effet, il nous faut comprendre
globalement comment fonctionnent la cause et l’effet. Sans cela il est très difficile d’arriver à
comprendre le karma.
Trois conditions doivent être présentes pour qu’une chose se produise. Ce sont :
1- la condition de l’existence d’une cause
2- la condition de l’impermanence
3- la condition de potentialité
La première est la condition de l’existence d’une cause. Sans cause il n’y a pas de
possibilité de dire que quelque chose se produit, existe. Nous ne pouvons parler de choses qui se
produiraient à partir de rien. Il doit y avoir une cause. Vous pourriez vous poser la question de savoir
pourquoi il faut une cause pour que quelque chose se mette à exister. C’est simplement la loi naturelle
– c’est comme cela, il n’y a pas d’explication vraiment rationnelle. Sa Sainteté le Dalaï Lama, dans the
Four Noble Truths (page 84), parle du karma et du monde naturel. Il présente les quatre principes à
partir desquels nous pouvons tout expliquer de façon rationnelle. Développant ces quatre principes, il
montre que puisque le premier (pour produire un résultat il doit y avoir une cause) est le principe
fondamental de la nature, il ne peut y avoir d’autre explication rationnelle. Si vous demandez pourquoi,
c’est tout simplement comme cela.
La seconde condition qui doit être présente est la condition de l’impermanence. Sans elle,
comment quoi que ce soit pourrait-il produire un résultat ? Il doit y avoir ce processus de changement
par lequel la cause se transforme en résultat. C’est l’impermanence. Si la cause était permanente, elle
ne pourrait pas produire un résultat. En fait, le terme “cause permanente” serait un non-sens.
La troisième condition : il n’est pas suffisant qu’il y ait une cause et qu’elle soit impermanente,
cette cause impermanente elle-même doit avoir la condition de potentialité, elle doit avoir le potentiel
de produire le résultat correspondant. Par exemple, un pommier est une cause et est impermanent mais
il n’a pas le potentiel de produire des ananas ou autres fruits – un pommier a uniquement le potentiel de
produire des pommes. Le potentiel doit concorder avec le résultat.
Nous devons nous familiariser avec ce type de raisonnement logique, le même genre de
logique évidente que celle qui nous montre qu’un pommier ne peut produire des ananas. Ce type de
logique nous pouvons l’appliquer à tous les cas de cause à effet.
2) Causes et Conditions (causes substantielles et causes coopératives)
Il est important de connaître ces trois conditions pour comprendre comment la cause et l’effet marchent
ensemble, comment une cause produit un effet. Mais pour vraiment comprendre la loi de causalité,
nous devons connaître les deux différents types de causes qui sont :
1- la cause matérielle ou substantielle
2- la cause coopérative (ou contributrice)
Nous utilisons le terme “cause matérielle” mais il ne s’agit pas nécessairement d’un objet
physique matériel ou d’une substance concrète. On parle ici de la cause substantielle principale qui va
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se transformer en le résultat, que cette cause soit matérielle ou non. Comme par exemple la graine qui
est la cause principale qui va produire une fleur ou bien le stress qui va causer un mal de tête.
L’eau, l’humidité, la chaleur, la terre, sont toutes les causes contributrices qui vont aider la
graine à devenir une fleur. Une graine sèche qui va rester dans la réserve pendant une centaine
d’années a bien le potentiel de produire une jolie fleur mais parce qu’elle reste dans la réserve, qu’elle
ne rencontre pas toutes les causes contributrices, elle ne produira pas son résultat. Pour que le résultat
se produise les causes substantielles et les causes contributrices doivent toutes deux être réunies.
C’est le même processus pour les choses non matérielles comme l’esprit. Pour qu’un état
d’esprit particulier s’élève dans notre continuum, il faut qu’il y ait une cause substantielle, qui est le
producteur principal de cette cause, dans ce cas un esprit précédent. Puis il y a une cause contributrice
qui ne doit pas être forcément mentale. Ce peut être l’environnement ou un événement qui aide à
provoquer cet état d’esprit particulier.
Ainsi, dans ce mécanisme qui provoque de nouvelles choses à travers des causes et des
conditions il y a toujours une cause principale et une cause secondaire ou contributrice. Il en est ainsi
pour toutes choses.
Il est très important de comprendre cela parce que, très souvent, quand nous faisons face à
une situation, particulièrement à un problème, nous avons tendance à nous fixer sur une seule cause.
Nous pensons que c’est cette cause qui a produit ce problème et que rien ne peut être changé. Mais
considérer à la fois les causes substantielles et contributrices nous laissera une chance. Pour que le
résultat complet se produise, les causes contributrices doivent nécessairement faire partie du
processus. Savoir cela nous aidera.
Disons par exemple que je travaille dans une usine et que je sois licencié. Bien sûr je déprime.
Je considère le licenciement comme la cause principale de cette dépression et je ne peux rien y faire.
En fait, la cause principale est plus profonde, elle est fondée sur des soucis et des sentiments
d’insécurité profondément enracinés. En comprenant toutes les causes et les conditions dont la réunion
a créé ma dépression, je peux réellement commencer à faire quelque chose, en changeant les
conditions qui peuvent être changées et en évitant de me faire du souci vis à vis de celles qui ne
peuvent pas l’être.
Les choses naissent naturellement par ces deux éléments que sont les causes
substantielles et contributrices. Si nous examinons des aspects spécifiques tels que nos sentiments,
nos expériences, notre vie, notre karma, nous prendrons conscience que toutes les choses suivent
exactement ce même schéma.
3) Karma
Toutes les choses, non seulement les choses extérieures mais également nos sentiments, viennent
d’une cause substantielle et de causes contributrices ou secondaires. Si nous n’avons pas une
compréhension de cela alors nous pouvons croire que la théorie du karma a été inventée par les
bouddhistes plutôt que de la considérer comme simplement la loi naturelle qui fait que les choses et les
événements se produisent.
S’il en est ainsi, pourquoi le karma a t-il la caractéristique unique d’apporter le bonheur et la
souffrance ?
Prenez l’exemple d’un jour de soleil. Imaginez qu’aujourd’hui il fait une très belle journée. Le
temps est parfait, le soleil brille, le ciel est clair, il fait très doux, etc. On a tout cela. Tous ces facteurs
ont été produits grâce à des causes et des conditions. Le mouvement de la terre, le mouvement du
soleil, le vent et l’absence de nuages, etc. Mais quand nos sentiments commencent à intervenir, c’est là
que notre bonheur ou malheur se décident. Nous pouvons nous sentir très frustrés. Il fait si beau et
nous voulons sortir mais nous sommes enfermés dans un bureau mal aéré. Ou, inversement, nous
pouvons nous sentir très heureux parce que c’est le week-end et que nous pouvons profiter du beau
temps.
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Ainsi le karma commence à jouer un rôle dans notre existence quotidienne quand nos
sentiments sont impliqués. Je peux utiliser le mot volition (volonté) ou intention. Quand notre volonté
commence à s’impliquer dans les événements d’aujourd’hui alors le karma commence à agir.
Le karma a cette caractéristique unique d’apporter le bonheur ou la souffrance parce que
l’intention intervient. Généralement, il n’y a pas d’intention qui soit impliquée dans le mouvement du
soleil, de la terre ou des étoiles. Tout cela est naturel (je dis généralement parce que, spécialement en
Occident, vous êtes très conscients de la façon dont notre environnement est affecté par des choses
comme le réchauffement de la terre. Mais c’est un autre sujet.)
Si nous observons comment l’intention change un processus naturel, nous voyons que de cette
capacité vient la possibilité d’apporter la souffrance ou le bonheur. A chaque fois qu’il y a intention alors
le karma opère.
C’est le point décisif. L’existence de mon corps actuel, la simple existence de ce corps, n’a rien
à voir avec mon karma. L’existence de ce corps est purement et simplement la continuation des
molécules, comme nous l’avons appris en biologie. Mais au moment où il y a contact entre mon corps
actuel et mes sentiments, alors il y a karma. Je peux alors penser en termes de « mon karma
précédent » ou comment je suis en train de créer du nouveau karma.
C’est la même chose avec notre conscience. Dans notre vie actuelle il y a deux types de
phénomènes : mentaux et physiques. Notre conscience elle-même, la simple continuation de notre
conscience, n’a rien à voir avec le karma. C’est la loi naturelle. Mais à partir du moment où cette
conscience commence à ressentir que quelque chose est plaisant, déplaisant ou neutre alors soit mon
karma commence à entrer en jeu, soit le résultat de mon karma créé auparavant commence à se
manifester. Par exemple, si aujourd’hui je commence à ressentir un violent mal de tête, sans aucun
doute, du point de vue bouddhique, c’est qu’il y a des causes. A cause d’une certaine chose faite dans
le passé (les actions karmiques passées, la cause) maintenant on a un mal de tête (le résultat).
En ce qui concerne uniquement la continuité de notre conscience, ou de notre corps physique,
c’est exactement la même chose que pour la continuité d’une fleur. Si mes émotions ne s’impliquent
pas dans cette fleur, elle n’a rien à voir avec mon karma. Quand je pense « comme c’est une jolie
fleur », alors il y a une connexion avec mon karma. C’est la même chose pour mon corps physique et
pour la continuité de ma conscience : c’est simplement une loi naturelle mais à partir du moment où,
inconsciemment, vous réagissez, le karma commence à jouer un rôle.
a/ le karma est la cause, pas le résultat
Qu’est donc le karma ? Quand nous, tibétains, devons faire face à des difficultés, très souvent dans
notre langage quotidien nous disons « oh, c’est le karma ».
Utiliser une telle expression de cette manière semble suggérer que nous avons une mauvaise
compréhension du karma lui-même. Car dans ce cas nous parlons du résultat et non de la cause. Si
nous disons « c’est le karma » quand nous faisons face à un problème, cela signifie en fait que nous
considérons le résultat (le problème) comme étant le karma. Je veux donc avant tout que cela soit clair :
le karma est la cause et non le résultat.
Très souvent, dans les traductions des textes Pali, au lieu d’utiliser le terme “actions
composées ” il est dit “actions volitionnelles ”. Et cela donne une autre image du karma. L’action
volitionnelle est le point culminant de l’ignorance et de la soif. Si nous utilisons ce terme, quelle
impression obtenons nous ? Il y a une sorte de volonté qui est impliquée. La soif implique une volonté,
un désir.
A travers ces deux éléments que sont l’ignorance et la soif, le troisième, le karma ou action
volitionnelle, prend naissance en opérant à travers une action soit physique soit mentale. C’est cela le
karma. Le karma est ce qui est impliqué par l’intention, alors, à travers cette intention nous agissons,
physiquement ou mentalement.
Dans la tradition du mahayana, le karma est divisé en deux, karma contaminé et karma noncontaminé. Le karma contaminé est une action causée par une perturbation. Le karma non-contaminé
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est une action motivée par une réalisation de la vacuité ou par une compassion authentique, comme
dans le cas d’un pratiquant qui, à partir d’une réalisation de la vacuité, voit les souffrances des autres et
fait quelque chose pour les soulager. Quand nous parlons du karma, nous parlons en fait presque
toujours du karma contaminé, ces actions accomplies sous l’emprise de l’ignorance et des
perturbations. En tibétain c’est sagtché kyi lè. Sagtché signifie contaminé, lè signifie karma.
b/ Les trois stades du karma – Intention, Action, Satisfaction
Trois étapes déterminent si une action karmique est complète ou incomplète :
1- intention
2- action
3- satisfaction
Parfois on inclut une quatrième catégorie : l’objet lui-même.
Le premier stade est donc l’intention, qui est la volonté, le désir de faire quelque chose, que ce
soit positif, négatif ou neutre, et que ce soit conscient ou inconscient. Il y a une forte envie d’agir d’une
certaine manière.
En second lieu vient l’action elle-même. Elle peut être physique, verbale, ou mentale.
Finalement, quand nous avons accompli cette action, il y a un sentiment de soulagement ou de
satisfaction. Parfois on dit «réjouissance» mais «satisfaction» convient peut-être mieux.
Si dans une action volitionnelle ces trois choses sont réunies –l’intention de faire quelque chose,
l’accomplissement de l’action elle-même et le sentiment de satisfaction quand elle est accomplie –
alors, du point de vue bouddhique, c’est une action complète.
Nous semblons souvent faire les choses sans véritable intention, mais c’est prendre le mot
« intention » trop littéralement. Ce mot n’a pas ici sa connotation grossière ; il peut s’agir d’un niveau
inconscient. Bon nombre de nos actions sont commises à ce niveau habituellement.
Par exemple, si quelque chose tombe d’un toit nous levons immédiatement le bras pour nous
protéger, sans même en avoir eu l’intention. Nous faisons cela très spontanément parce qu’il y a cette
sorte d’habitude instinctive. Bien sûr, au niveau physique, le système nerveux donne un signal pour que
l’on se couvre la tête, parce que la tête est importante. Mais au niveau mental le « je » est important. Il
s’agit de ce schéma habituel. Même si dans nos actions quotidiennes il se peut que l’intention ne se
situe pas à un niveau très grossier qui fait que nous déciderions consciemment d’agir de telle manière,
cependant, à un niveau très inconscient, à un niveau très habituel (un niveau réflexe) c’est ce qu’il se
passe tout le temps.
c/ le poids d’une action
Si ces trois stades ne sont pas réunis dans une action que se passe-t-il ? Faire une action et en tirer
une satisfaction, mais sans avoir eu l’intention initiale, ne revient pas à la même chose que laisser
accidentellement tomber, dans un jardin, une graine qui va pousser en flèche. Ce n’est pas pareil parce
que les sentiments humains sont impliqués. Bien que l’intention initiale manque, le sentiment fait
pourtant partie de cette action et de son accomplissement. C’est encore du karma. Il y a encore un
enchaînement et même sans cette intention initiale, alors même que nous commettons l’action il y a
pourtant intention. Du moment que notre esprit est là, il y a intention. Notre esprit ne peut pas être
séparé de l’intention.
Selon le bouddhisme, aussi longtemps qu’il y a l’esprit, il y a un minimum de six différentes
sortes d’esprit (de facteurs mentaux) qui opèrent, et cela peut aller jusqu’à trente-deux (j’ai lu dans un
texte de l’Abhidharma qu’il peut y avoir un maximum de soixante-huit différents types d’esprit à l’œuvre
mais en tous cas toutes les sources tibétaines sont d’accord sur un minimum de six).
L’un d’eux est l’intention. Donc comme tous ces facteurs mentaux sont présents simultanément
cela implique qu’il n’y a pas besoin d’y avoir d’enchaînement (d’abord l’intention, puis l’action).
L’intention peut encore être présente pendant que nous agissons. Et parce que l’intention est là, c’est
du karma.
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Il y a pourtant une différence. Si, quand nous agissons, l’enchaînement est évident –d’abord
l’intention, puis l’action, puis la satisfaction – le résultat sera alors différent de celui d’une action où
l’enchaînement est indéfini. Par exemple, si nous volons sous l’impulsion du moment, sans aucune
préméditation, le résultat ne sera pas aussi lourd que si nous avions prémédité ce vol.
Comparez deux personnes, l’une a l’esprit perturbé et l’autre est tout a fait normale. Elles
commettent toutes deux un meurtre. La personne à l’esprit perturbé a agi sans réflexion, sans intention
première, le résultat sera différent de celui obtenu par l’autre personne qui aura longuement prémédité
son crime, avec une ferme intention. Pour la première personne, elle a bien commis un crime, mais il
manque une des trois étapes, le résultat sera donc un peu plus léger.
De la même manière, si vous regrettez sincèrement ce que vous avez fait au lieu d’en ressentir
de la satisfaction, le résultat sera moindre. Mais cela ne signifie pas simplement prononcer des paroles
de regret comme « oh ! j’ai fait cela. Je dois ressentir du regret sinon je vais expérimenter le résultat
complet ». Vous ne pouvez pas tricher avec la loi du karma comme vous pouvez le faire avec la loi
humaine.
d/ karma propulsif et karma complétif
1- karma propulsif
Le karma propulsif est le karma qui nous projette dans le futur. En tibétain le terme est pèn tché
ki lè. Pèn tché est traduit soit pas introducteur soit par propulsif. Propulsif signifie ici qu’il a le pouvoir de
nous propulser dans notre vie future. C’est donc ici fortement connecté à la troisième soif, la soif de
l’existence.
Naturellement, la soif d’existence est très active juste avant notre mort, quand nous réalisons,
consciemment ou inconsciemment que cette vie est en train de nous échapper. Cette soif d’existence
apparaît fortement avec évidence à ce moment là, mais ce n’est pas le seul moment où elle est
présente ; en fait elle est là tout le temps. Ce besoin d’exister est fortement enraciné en chacun de
nous.
Je sais que chaque jour des gens se suicident, mais pourtant naturellement, tout au fond d’eux,
ils ont cette soif de vivre. Que ce soit dans cette vie ou dans la prochaine, quel que soit le cas, nous
voulons vivre. Cette sorte de désir est là. Ce désir nous pousse à faire quelque chose. Et cette action
est le karma propulsif.
2- karma complétif
Parmi les trois soifs, la première, la soif des objets de désir, est toujours en nous. Il ne suffit pas
d’exister, nous avons besoin d’obtenir les objets que nous désirons dans cette existence. Ce désir nous
pousse à agir pour obtenir ces objets désirés, encore et encore plus.
Mon sentiment est que c’est la réunion de notre karma propulsif et de notre karma complétif
qui fait que nous ne sommes pas seulement un être humain mais un être humain particulier, avec les
caractéristiques mentales et physiques qui nous sont propres. Un être humain n’est pas seulement ce
corps physique mais aussi la conscience et les autres agrégats. Les deux différents types de karma se
réunissent donc pour faire une personne complète.
Nous voyons souvent dans les livres tibétains que le karma propulsif est le karma que nous
avons commis et qui nous propulse dans la vie future et que le karma complétif engendre le mode de
vie que nous avons dans cette vie. Mon sentiment est que c’est un peu plus que cela. Je pense que
nous pouvons observer ces deux sortes de désirs –la soif de l’existence et la soif pour les objets de
désir – pour voir comme cela marche dans cette vie.
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4) L’origine de la souffrance est dans la souffrance elle-même
Origine
véritable
Souffrance
véritable
(schéma adapté de « The Four Noble Truths »
de Lobsang Gyatso, p44)
Rahula a mis l’accent sur un point que je pense très important. Il a dit :
« Voici l’un des points les plus importants et essentiels des enseignements du Bouddha.
Nous devons nous rappeler clairement et avec attention que la cause de la naissance de
dukkha (la souffrance) se trouve dans dukkha elle même et non à l’extérieur. »
La cause de dukkha (la souffrance) se trouve dans dukkha elle-même. En d’autres mots,
vous ne pouvez séparer ces deux choses ; elles sont complètement imbriquées.
Dans ce cas qu’est donc la souffrance et qu’est donc l’origine de la souffrance? Rahula dit que
l’origine de la souffrance naît au sein de la souffrance elle-même. Elles ne sont pas séparées. L’origine
de la souffrance et la souffrance elle-même sont nécessaires l’une à l’autre pour exister.
Par exemple, nos agrégats présents, dans notre vie actuelle, sont le résultat de nos
précédentes perturbations et de notre karma. Cela implique que notre vie présente est de la nature de
la souffrance (de dukkha). Mais en même temps notre vie présente n’est pas passive mais active. Elle
est sous le pouvoir des perturbations, elle est donc l’origine de la souffrance ; nous sommes en train de
créer les causes dont les résultats mûriront dans notre prochaine vie. En conséquence l’origine de la
souffrance et la souffrance elle-même ne sont pas clairement séparées, on ne peut pas dire ceci est la
souffrance et ceci est l’origine de la souffrance. Dans de nombreux cas, bien qu’elles soient cause et
effet, elles sont co-existantes. Nous ne pouvons pas vraiment séparer les événements de cette vie
entre vérité de la souffrance et vérité de l’origine. Ce qui est souffrance (le résultat) est en fait
simultanément en train de créer les causes d’une souffrance future (est donc aussi l’origine). La vérité
de l’origine est en action à l’intérieur de la vérité de la souffrance.
C’est un point très important que Rahula a soulevé. Le comprendre nous aidera vraiment à
comprendre ce qu’est le samsara (ou existence cyclique). La vérité de l’origine opère à l’intérieur de la
vérité de la souffrance. Bien que ce que nous faisons crée une graine qui mûrira dans le futur, c’est
aussi le résultat de ce que nous avons fait dans une vie précédente. Si vous comprenez cela, alors
vous pouvez voir le cercle complet.
LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA VERITE DE L’ORIGINE
J’aimerais expliquer un peu ce que sont les quatre caractéristiques de l’origine de la souffrance :
1- les causes
2- l’origine
3- la forte production
4- la condition
Ces quatre caractéristiques expliquent comment cette seconde Noble Vérité cause la
souffrance en montrant comment le karma et les perturbations agissent pour l’amener.
43
Par exemple, la première caractéristique, les causes, montre que le karma contaminé et les
perturbations s’élèvent constamment en tant que souffrances. Ils ont la qualité d’être les causes de la
souffrance. Nous avons besoin de bien comprendre cela.
La seconde caractéristique, l’origine, nous aide à comprendre la seconde Noble Vérité, où il
s’agit des émotions perturbatrices et du karma contaminé, en voyant ces deux choses comme la
véritable origine de la souffrance, pas seulement comme ses causes. Ils ont la qualité d’être l’origine de
la souffrance. La seconde vérité ne parle pas seulement de quelque sorte de causes, mais de la
véritable origine de notre souffrance.
La troisième caractéristique est la forte production. A cause de cela, ils agissent avec vigueur
comme les causes de la production de la souffrance. Les perturbations et le karma sont les causes les
plus puissantes pour apporter la douleur, la souffrance et les problèmes.
La quatrième, la condition, dit que ces deux ne sont pas seulement les causes substantielles,
pas seulement l’origine, ils sont aussi les conditions qui amènent la souffrance. Ils sont les causes
contributrices autant que les causes principales. On insiste vraiment ici sur le fait que les perturbations
et le karma contaminé sont la raison essentielle de notre souffrance – ils n’en sont pas seulement la
cause principale mais également les conditions.
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CHAPITRE QUATRE
LA VERITE DE L’ORIGINE (2)
VAINCRE LES EMOTIONS PERTURBATRICES
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VAINCRE L ES EMOTIONS PERTURBATRICES
1/ Eliminer les émotions perturbatrice qui sont produites rationnellement
2/ Eliminer les émotions perturbatrices qui naissent inconsciemment
3/ Les actions karmiques sont la réaction aux émotions perturbatrices
4/ S’attaquer d’abord aux plus grossières
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LES DOUZE LIENS D’ORIGINE INTERDEPENDANTE
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1/ Comment les douze liens opèrent à travers trois vies
2/ L’ordre d’apparition des douze liens
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CHAPITRE QUATRE
LA VERITE DE L’ORIGINE (2)
VAINCRE LES EMOTIONS PERTURBATRICES
VAINCRE LES EMOTIONS PERTURBATRICES
La Vérité de l’Origine, a deux aspects : l’origine des émotions perturbatrices et l’origine des actions
karmiques. Bien que tous deux contribuent à être la source de nos souffrances, ce sont les émotions
perturbatrices qui jouent le rôle le plus important nous maintenant dans cet état non-éveillé. Bien sûr,
les deux sont connectés. Quand nous essayons d’éliminer l’un, cela a un effet sur l’autre.
Toutes les émotions perturbatrices ont un certain degré d’ incompréhension de la réalité. Les
pensées négatives comme l’attachement, la colère ou la jalousie sont toutes des perceptions erronées
mais le niveau de ce qui est considéré comme une mauvaise compréhension de la réalité variera selon
les différentes écoles. L’école Madhyamika Prasangika pourra considérer certains états d’esprit comme
une émotion négative alors que ce ne sera pas le cas pour les écoles inférieures.
Pour illustrer cela, prenons l’exemple du non-soi, qui est un concept clé dans le bouddhisme, où
l’existence d’un « soi » véritable, intrinsèque est réfutée. Les deux écoles inférieures croient qu’il y a
quelque chose là, quelque chose qui existe intrinsèquement, parce qu’ils croient que quand un être
ordinaire perçoit les choses et les événements, il y a un certain degré de validité. Mais les deux écoles
supérieures disent qu’il n’y a pas de phénomène qui existe intrinsèquement. Considérer que les choses
et les évènements existent de leur propre côté est une conception fausse.
Nous sommes attirés par une jolie fleur : les deux écoles inférieures diraient qu’il y a une jolie
fleur qui existe intrinsèquement. Il n’y a rien d’erroné dans la façon dont notre conscience visuelle
perçoit la fleur, c’est l’attachement qui est l’émotion perturbatrice. Les deux écoles supérieures, quant à
elles, diraient qu’il y a quelque chose d’erroné au niveau de la perception elle-même.
Nous verrons cela plus en détail dans la dernière Noble Vérité, la Vérité du Chemin, mais je l’ai
mentionné maintenant parce que pour abandonner les émotions perturbatrices, nous devons savoir
comment elles s’élèvent en nous.
Elles peuvent avoir été acquises à travers les différentes formes de croyance de notre culture
ou à travers l’apprentissage, ou bien elles peuvent être innées, s’élevant tout à fait inconsciemment,
sans aucune raison apparente – nous ne faisons aucun effort conscient mais cependant, elles sont là.
Des deux, les émotions perturbatrices acquises (qui naissent de façon rationnelle) sont plus faciles à
éliminer que celles du second type, celles qui s’élèvent sans raison, spontanément.
1) Eliminer les émotions perturbatrices qui naissent rationnellement
Comme je l’ai mentionné quand j’ai parlé de l’ignorance de la causalité, ce premier type d’émotions
perturbatrices est acquis ; il provient des croyances de la culture dans laquelle nous vivons. Cette
émotion perturbatrice s’élève de cette sorte d’ignorance.
Si une émotion perturbatrice s’est élevée à cause d’un point de vue culturel ou philosophique, il
est alors possible, en faisant un examen rationnel, de l’éliminer. Prenons un exemple très simple, celui
des sacrifices d’animaux. Même de nos jours, en Inde, dans certaines religions, on sacrifie des animaux
et on offre leur sang aux dieux. Ceux qui font cela pensent bien faire. Leur culture ou les livres leur ont
appris que faire de telles choses leur apportera la fortune ou la renommée ou plaira aux dieux de qui ils
pourront alors obtenir ce qu’ils désirent. Ces croyances les ont influencés et ils ont adopté ces vues.
Mais s’ils peuvent utiliser le raisonnement et comprendre que ces sortes d’actions, au lieu de leur
apporter davantage de bonheur, vont en fait accroître leurs souffrances, ils vont arrêter de commettre
ces actes et les perturbations correspondantes vont cesser.
La façon directe d’éliminer ces sortes d’émotions négatives qui sont des conceptions fausses
basées sur une mauvaise compréhension, est d’explorer, grâce au raisonnement, la façon de penser
opposée. Quand les gens se rendent compte que tuer les animaux ne conduit pas au bonheur, ils
46
abandonnent progressivement cette vue. Comparativement, cette sorte d’émotion perturbatrice est
facile à abandonner.
2) Eliminer les émotions perturbatrices qui s’élèvent inconsciemment
Les émotions perturbatrices qui s’élèvent inconsciemment sont causées par notre ignorance innée.
Elles n’ont pas besoin de raisonnement, et parce qu’elle s’élèvent sans pensée rationnelle, elles mettent
du temps à changer. Elles sont le résultat de nos vies antérieures, de nos habitudes, croyances et
actions. Sous leur emprise, dans cette vie-ci, nous réagissons sans aucune influence extérieure. Ces
émotions perturbatrices sont complètement intégrées à notre processus de pensée. Il faut beaucoup
d’effort pour les éliminer.
Cependant, le processus est le même. Tout d’abord il nous faut comprendre, par la logique,
que l’attachement aux plaisirs entraîne la souffrance et non le bonheur. Une fois que nous avons
compris cela nous devons travailler à l’intégrer à notre courant de conscience.
Comme nous en avons discuté dans la première Noble Vérité, pour nous tous qui sommes
dans un état non-éveillé, notre existence entière est sous la domination des émotions perturbatrices. Il
est très important de voir que, aussi longtemps qu’il en sera ainsi, il n’y aura pas moyen de jouir d’un
bonheur complet. Nous allons alors commencer à considérer les émotions perturbatrices comme le
véritable ennemi. Elles sont vraiment ce qui produit tous les problèmes et difficultés.
Dans un texte de Shantidéva, il est dit qu’avoir cette sorte de sentiment est comparable à avoir
un cobra lové dans notre giron. Aussi longtemps que le cobra sera là nous ne pourrons aucunement
nous sentir en sécurité. Il nous faut développer cette sorte de sentiment. Habituellement, dans notre vie
quotidienne, nous entendons « abandonner » au sens physique, au sens de « jeter quelque chose» ,
mais nous abandonnons ces émotions perturbatrices par une attention constante vis à vis de ce que
nous faisons, et la connaissance que nous sommes sous leur pouvoir depuis très longtemps et que tant
qu’il en sera ainsi nous ne pourrons aucunement jouir du bonheur. Nous devons considérer ces
émotions perturbatrices qui nous gouvernent comme à éliminer, dès maintenant, tout de suite !
J’aime l’analogie dont se sert Shantidéva. Peut-être, si vous n’avez jamais vu de cobra, ne le
ressentirez-vous pas, mais c’est vrai. Pour nous, être non éveillés, dès la première seconde de notre
réveil, nous sommes sous le pouvoir de ces émotions perturbatrices et aussi longtemps qu’elles seront
présentes, il n’y aura aucune possibilité de ressentir un bonheur véritable, d’avoir une liberté véritable. Il
est très important de voir combien puissantes sont ces émotions perturbatrices et combien nous
sommes sous leur pouvoir. Nous devons être conscients de cela, constamment.
Abandonner les émotions perturbatrices qui surgissent de l’inconscient, qui peuvent n’être que
sous la forme d’un potentiel (également appelé « racines » ou « tendances » ) requiert vraiment
l’application constante des antidotes, telles que méditer constamment sur la vacuité. Cette sorte de
constance et de puissance est nécessaire afin d’éliminer les tendances très subtiles et profondément
enracinées, qui agissent en tant qu’origine de la souffrance.
3) Les actions karmiques sont la réaction aux émotions perturbatrices
Les actions karmiques sont les réactions à nos émotions perturbatrices. Bien qu’il semble
logique que si nous agissons sur nos émotions perturbatrices nous aurons alors aussi agi sur nos
actions karmiques, ce n’est pas de cette manière que cela fonctionne en réalité. Les émotions
perturbatrices sont bien plus ancrées. Nos habitudes sont si enracinées. En réduisant nos actions
karmiques nous pouvons petit à petit réduire l’emprise que nos émotions perturbatrices ont sur nous.
C’est pourquoi, dans notre vie quotidienne, nous devons tout d’abord nous occuper de nos actions
karmiques.
Les actions karmiques peuvent être créées à travers nos trois portes : corps, parole et esprit.
Pour nous qui sommes de complets débutants, il est très important de prêter attention aux actions de
ces trois portes. Nous devons surveiller quels types d’actions nous entreprenons avec notre corps et
47
quelles sortes de choses nous disons dans notre vie de tous les jours. Et bien sûr nous devons
également être conscients des pensées qui s’élèvent dans notre esprit.
Si vous demandez comment commencer à abandonner les actions karmiques négatives, ma
réponse sera : « en essayant d’éviter les dix non-vertus ». Nous ne devons pas penser qu’éviter les dix
actions non-vertueuses est simplement une pratique élémentaire. Ce serait une énorme erreur. Peutêtre que les êtres qui ont atteint un haut niveau n’ont pas besoin de leur prêter attention, mais en ce qui
nous concerne, il nous faut vraiment faire attention à les éviter, et cela constamment.
Le dix non-vertus sont :
1. tuer
2. voler
3. l’inconduite sexuelle
4. mentir
5. les paroles qui divisent
6. les propos blessants
7. le bavardage
8. la convoitise
9. la malveillance
10. les vues fausses
corps
parole
esprit
(Pour une brève explication des dix non-vertus, consultez le chapitre 6, page 74 sur les Trois Entraînements.)
Il faut commencer par le début. Il est très difficile d’abandonner la saisie des vues erronées de
la réalité. En fait c’est même impossible, si nous sommes encore incapables de ne pas commettre les
autres non-vertus. Aussi longtemps que nous nous engageons dans les actions néfastes, il y a la
conception très forte que les choses existent de façon inhérente, indépendamment. Posséder la vue
correcte de la réalité et commettre des actions non-vertueuses sont deux choses incompatibles. Il est
impossible que ces deux choses coexistent dans le continuum mental d’une même personne.
4) S’attaquer d’abord aux niveaux les plus grossiers
Nous devons donc être attentifs à nos trois portes, corps, parole et esprit, dans notre vie de
tous les jours afin de réduire les non-vertus et de contrôler nos actions karmiques. Nous devons jouer
avec nos pensées, tricher un peu avec elles si nécessaire. C’est comme pour les gens qui veulent
abandonner leur dépendance à la nicotine et qui pour cela portent un patch. Que ce soit la substance
chimique dans le patch qui agit ou que ce soit simplement une ruse pour aider l’esprit, peu importe
pourvu que cela fonctionne. Il nous faut parfois tromper nos pensées. Quand nous arrivons à réduire les
actions karmiques négatives, la possibilité de maîtriser nos émotions perturbatrices est alors bien plus
grande. Si nous ne les réduisons pas, il n’y a aucune possibilité.
C’est cela l’ordre à suivre. Notre besoin ultime est de couper la racine de notre souffrance qui
est notre ignorance de base, mais de nombreux maîtres indiens recommandent de faire cela petit à
petit. Il est irréaliste de penser que nous pouvons aller directement à la racine.
Quand j’étais à Séra nous avons dû couper un très vieil arbre, un banyan, pour pouvoir
construire notre cour de débats. Les branches d’un banyan descendent et s’enracinent. (En Inde du
Sud, dans un lieu touristique, se trouve un banyan qui s’étend sur dix acres). Les jeunes moines bien
musclés pensaient que la première chose à faire était de couper la racine principale mais les aînés
disaient que ce n’était pas la meilleure solution, l’arbre possédant des tas de branches cela pourrait
causer des dommages. La méthode qu’ils préconisaient était donc de couper les branches en premier
lieu, pour qu’il devienne plus petit, et puis de s’attaquer au tronc principal.
A cette époque, nous étions en train d’étudier les émotions perturbatrices et il y avait un moine,
de trois ans mon aîné, dont l’opinion était de couper la racine principale de l’arbre tout de suite. L’un des
moines plus âgé lui rétorqua que son argument ne pouvait s’appliquer à ce type d’arbre. Comme dans
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cet exemple, quand nous devons nous occuper de notre esprit, il faut commencer à nous attaquer
d’abord aux perturbations les plus grossières avant de nous en prendre aux subtiles.
C’est ainsi qu’il faut procéder pour abandonner les deux origines, l’origine des émotions
perturbatrices et l’origine des actions karmiques – les niveaux grossiers d’abord puis les niveaux plus
subtils.
Dans ses Quatre cents stances Aryadéva parle précisément de la façon de traiter les niveaux
grossiers en premier lieu. Il est par exemple impossible d’enrayer le fait de s’adonner à des actions
négatives avec notre corps, aussi longtemps que nous ne sommes pas conscients de ce corps. Il nous
faut le traiter habilement. Peut-être ne sommes nous pas capables instantanément d’abandonner une
action négative.
Par exemple, un fumeur invétéré sera incapable d’abandonner la cigarette en un seul instant,
mais il pourra s’arrêter progressivement. Quelqu’un de très colérique, même s’il comprend combien la
colère est nocive, ne pourra pas s’empêcher définitivement de se mettre en colère, mais cette
compréhension l’aidera à se contrôler. Il vous faut abandonner la manifestation physique ou verbale de
la colère avant d’abandonner la colère dans votre esprit. Là encore, on commence par le plus grossier
pour aller au plus subtil.
Pour nous, être ordinaires qui disons vouloir abandonner la Vérité de l’origine, la priorité doit
être donnée à son premier aspect, à savoir l’origine des actions karmiques. Si nous avons une certaine
compréhension, cela nous aidera à réduire nos négativités. Se laisser aller complètement à commettre
des actions négatives et essayer de découvrir quelle est la racine, est un processus qui tout simplement
ne fonctionne pas.
LES DOUZE LIENS D’ORIGINE INTERDEPENDANTE
Pour comprendre comment la Vérité de l’origine fonctionne pour produire la Vérité de la souffrance, il y
a un enseignement nommé Les Douze Liens d’Origine Interdépendante. Il explique tout le mécanisme
qui produit les deux séries de cause et effet (la souffrance et l’origine ; la cessation et la chemin). Les
douze liens sont liés dans une chaîne, un cercle fermé, qui représente l’existence cyclique, le samsara.
La première série produit un cercle, où il y a un stade causal qui produit un stade résultant, qui lui49
même est la cause qui produit un résultat, et ainsi de suite, indéfiniment. Il est très profitable de lire des
enseignements sur les douze liens, pour comprendre clairement de quelle manière nous tournons sans
cesse en proie à des souffrances sans fin. Aussi longtemps que nous serons sous le pouvoir de ces
deux choses – le karma et les perturbations –notre errance n’a pas de fin.
Je pense qu’il est important d’étudier ces douze liens après avoir étudié les deux premières
Nobles Vérités, pour voir de quelle manière la seconde Noble Vérité, l’origine de la souffrance, est la
cause de la première Noble Vérité.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Les douze liens d’origine interdépendante sont les suivants :
ignorance
7.
karma (actions contaminées)
8.
conscience
9.
nom & forme
10.
bases sensorielles (6 sphères)
11.
contact
12.
sensation
appropriation (désir)
soif (saisie)
existence (devenir)
naissance
vieillissement et mort
Afin de comprendre comment la première série de cause et effet fonctionne (i .e. la Vérité de
l’origine et la Vérité de la souffrance) considérons comment le premier lien (l’ignorance) conduit au
second (le karma) et ainsi de suite jusqu’au douzième (le vieillissement et la mort). Ensuite, pour
comprendre la seconde série (la Vérité de la cessation et la Vérité du chemin) et comment la Vérité du
chemin coupe cette existence cyclique, nous pouvons renverser l’ordre des douze liens, en mettant le
dernier lien (le vieillissement et la mort) en premier. Si nous ne voulons pas du vieillissement et de la
mort, il nous faut éliminer le onzième lien (la naissance) et pour cela il nous faut éliminer le dixième
(l’existence ou devenir) etc.
Dans l’ordre premier nous pouvons voir la première série de cause et effet, dans l’ordre inverse
la seconde série de cause et effet.
1/ Comment les douze liens opèrent à travers trois vies
Le Soutra du Plant de Riz est l’enseignement de l’origine interdépendante. Nous en avons parlé
brièvement dans le premier chapitre quand nous avons regardé comment fonctionnent cause et effet. Il
est dit dans ce soutra :
« A cause de l’existence de ceci, cela s’élève.
A cause de la production de ceci, cela est produit.
Il en est ainsi, à cause de l’ignorance, il y a action contaminée ;
A cause de l’action contaminée, il y a conscience. »
Et ainsi de suite jusqu’au vieillissement et la mort. Cette chaîne de causes et résultats est appelée
l’origine interdépendante et constitue l’important sujet que nous nommons les douze liens d’origine
interdépendante.
Dans un sens, écouter les enseignements sur les douze liens, ainsi qu’en discuter, les lire et les
méditer, est un complément à l’étude des deux premières Nobles Vérités.
Nous pourrions discuter longuement de l’origine interdépendante, mais ce n’est pas notre sujet
principal dans ce module, nous allons donc seulement considérer brièvement le tableau afin d’essayer
de voir comment nos vies passées, présentes et futures sont connectées aux douze liens d’origine
interdépendante. Comme vous pouvez le voir, le tableau est divisé en trois vies : la vie passée, la vie
présente et la future.
Le tableau nous donnera une idée du concept bouddhique du fonctionnement de l’existence
cyclique. Ce serait bien de l’observer selon deux perspectives : d’abord, comment les deux premières
50
Nobles Vérités sont connectées ; ensuite comment le concept bouddhique de l’existence cyclique
fonctionne, dû aux deux premières Nobles Vérités.
Nous regarderons d’abord la partie du milieu, notre vie présente. Dans cette partie vous pouvez
voir qu’il y a trois couleurs différentes pour six « cases ». Vous pouvez voir également que les six cases
totalisent les douze liens au complet, et qu’elles sont partagées en deux séries. Au dessus des deux
cases de gauche, il y a le titre « résultat » et au dessus des quatre de droite « cause ». Le total de ces
douze liens existe dans notre vie présente, mais ils sont divisés en deux : résultat et cause.
En partant des cases du milieu (les jaunes), le premier lien est l’ignorance (en bas). Puis de
l’ignorance (1) on va à la boîte de droite, les actions contaminées (ou karma) (2). Puis quand ces deux
entrent en action elles créent l’attachement et la soif (8 & 9), dans la case du milieu (jaune), en haut.
Vient ensuite l’existence (ou devenir) (10) en haut à droite.
Nous pouvons voir clairement que les deux cases du milieu, l’ignorance ainsi que l’attachement
et la soif sont des perturbations. Les boîtes de droite, les actions contaminées et l’existence, sont soustitrées « karma ». Le titre au dessus (cause) montre que les perturbations et le karma sont la cause.
Bien sûr nous pouvons expérimenter certains résultats de ces deux causes durant cette vie-ci,
mais nous les expérimenterons principalement dans nos vies futures. La partie droite du tableau
intitulée « futur » a deux cases, la naissance (11), le vieillissement et la mort (12) ; et la conscience (7),
le nom et la forme (4), les bases des sens (5), le contact (6), la sensation (7). Ainsi, à partir de la partie
centrale « présent », en commençant par l’ignorance, puis en continuant dans la partie « futur », on veut
voir l’ensemble complet des douze liens d’origine interdépendante.
Revenons au « présent », et regardons le résultat, il y a la conscience (3), le nom et la forme
(4), les bases des sens (5), le contact (6) et la sensation (7) ; puis la naissance (11) et le vieillissement
et la mort (12). Ceux-ci sont le résultat de la vie précédente. Sous le titre de « passé » vous pouvez voir
une série comprenant les perturbations (ignorance, soif et attachement) et le karma (existence et
actions contaminées). De nouveau, en regardant le « présent », en dessous de « résultat » et en
l’ajoutant à ce « passé » qui est la cause, on obtient un ensemble complet de douze liens.
C’est ainsi, en réalité, qu’opèrent les douze liens dans notre existence. Dans notre existence
présente, bien que tous les douze fonctionnent, ils le font de façon légèrement différente. Certains
agissent en tant que résultat des perturbations et du karma de notre vie précédente, et d’autres
agissent en tant que causes des liens de notre vie future (comme la naissance, le vieillissement et la
mort). Il nous faut vraiment comprendre comment ils sont connectés. Je pense qu’il est très important
d’observer cela sur ce tableau.
2) Les douze liens dans leur ordre d’apparition
Si nous regardons à nouveau, à partir de la partie centrale du tableau, le présent, nous verrons
les douze liens dans l’ordre.
1/ ignorance
Dans la boîte inférieure et centrale, “ignorance” se trouve sous le titre “cause”. Il y a de nombreux
niveaux différents d’ignorance. Ici cela fait référence aux niveaux les plus subtils de cause et effet et à
l’ignorance de la vue du non-soi..
2/ karma
Le second lien est le karma, qui dans le tableau est appelé « actions contaminées ». Il peut également
être appelé « actions volitionnelles », nous pouvons le voir dans la boîte à droite de l’ignorance. Nous
avons déjà beaucoup parlé du karma, il n’est donc pas utile maintenant de détailler davantage. En
parlant généralement, il y a deux sortes de karmas, le karma contaminé et le karma non contaminé. Ici il
est exclusivement question du karma contaminé.
51
3/ conscience
Si nous suivons l’ordre normal des douze liens d’origine interdépendante, nous continuons maintenant
avec la case supérieure gauche (en rouge), sous le titre « résultat » le troisième lien est la conscience.
De nouveau, il y a différentes sortes de conscience et ici il s’agit principalement des niveaux subtils de
la conscience qui agissent comme un pont d’une vie à la suivante.
4/ nom et formes
Le nom et la forme font ici référence à la conscience d’un individu qui a été conçu (dans la matrice de
sa mère). Ensuite, l’agrégat de la forme commence à se développer d’une certaine façon. « Nom » fait
référence au moment de la conception dans notre prochaine vie, quand tous les cinq agrégats
commencent à se développer. Certains types d’êtres n’ont pas d’agrégat de la forme, à ce moment-là
ce sont seulement les quatre autres agrégats (les agrégats mentaux) qui commencent à se former. Si
nous sommes cette sorte d’être, avec seulement quatre agrégats mentaux, ceux-ci sont
appelés« nom ».
5/ bases des sens
C’est quelquefois traduit par “les six sphères des sens”. En d’autres termes, il s’agit du développement
de nos consciences sensorielles.
6/ contact
Après que nos consciences sensorielles se soient développées, il y a contact avec les objets sensoriels
ou mentaux.
7/ sensation
Dès que les agrégats physiques et mentaux de cette vie sont développés et dès que nos consciences
sensorielles entrent en contact avec un objet, nous commençons à avoir des sensations.
8/ désir
Le huitième lien, le désir est dans la case supérieure au centre. L’attachement peut également être
appelé « désir ». C’est à vous de choisir le mot qui vous semble le plus explicite. C’est plus fort que la
sensation, cela peut être une forte envie, un fort désir, cela peut être aussi de l’aversion.
9/ soif ou saisie
Le neuvième est la soif ou saisie. L’attachement peut devenir très fort. Le désir peut devenir très
profond, c’est alors appelé la soif. Ce qui différencie ces deux liens est le niveau d’intensité. Le
neuvième est plus intense.
10/ existence
Le dixième, l’existence (ou devenir) est la case supérieure droite (en orange). Au moment de notre
mort, quand le lien précédent (la soif ou saisie) devient très intense, cela se transforme en le dixième
lien, l’existence ou devenir, pour se rapprocher du résultat, notre vie prochaine.
11/ naissance
Nous nous déplaçons vers la partie suivante “futur”. Le lien en haut de la case supérieure est la
naissance. La forte soif devient l’existence qui crée le résultat, renaître.
12/ vieillissement et mort
Puis, immédiatement après la naissance, le vieillissement commence, qui conduit à la mort. Le
vieillissement et la mort sont réunis en un seul lien.
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Nous avons seulement considéré un tour des douze liens d’origine interdépendante. Pour voir comment
cela fonctionne, comment une cause produit un effet, nous devons commencer au milieu de la partie
« présent » sous le titre « cause » puis aller vers le « futur ». Nous verrons alors que l’ordre est très
logique.
Cette explication était très brève mais si vous voulez étudier le sujet plus en détail vous pouvez
consulter « Le Sens de la Vie -réincarnation et liberté » de Sa Sainteté le Dalaï Lama de la page 25 à la
page106, ainsi que La roue de la vie, un commentaire des 12 liens de Gueshé Tengyé.
Il y a aussi un excellent site web qui explique chaque lien en utilisant le symbolisme des illustrations.
C’est : www.buddhanet.net/depend/htm.
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CHAPITRE CINQ
LA VERITE DE LA CESSATION
page
CESSATION, LIBERATION ET EVEIL
1- Qu’est-ce que la cessation de la souffrance ?
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2- Cessation Symbolique, résiduelle et non-résiduelle
1) Cessation symbolique
a- en marche vers une complète cessation
b- s’occuper tout d’abord des perturbations les plus intenses
2) Cessation résiduelle
3) Cessation non-résiduelle
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3- Libération et Eveil
a- La libération et l’Eveil sont-elles identiques ?
b- La cessation selon les textes du Théravada
c- La cessation selon les textes du Mahayana
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LES DEUX TYPES DE CESSATION
1- Les deux voiles
2- Les deux cessations
3- Les deux Kayas
a- Le Dharmakaya, corps de vérité
b- Le Roupakaya, corps de forme
c- Le corps de forme d’un Bouddha est impermanent
4- La relation entre libération et vacuité
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LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA CESSATION VERITABLE
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CHAPITRE CINQ
LA VERITE DE LA CESSATION
CESSATION, LIBERATION ET EVEIL
Durant l’étude de cette troisième Noble Vérité : la Vérité de la Cessation, un bon nombre d’idées vont
peut-être sembler très intellectuelles. Il est toujours bon de nous rappeler que, quel que soit ce que
nous étudions intellectuellement – toutes les connaissances que nous gagnons de ce cours, de notre
travail personnel ou de notre méditation – cela vient améliorer notre compréhension de la réalité, c’està-dire comment les choses fonctionnent dans notre vie quotidienne. Puis, grâce à cette compréhension,
rendre notre cœur très doux, très attentionné, très sincère, et prendre soin de nous-mêmes autant que
des autres. C’est là notre principal objectif.
En développant les qualités positives d’un bon cœur et en comprenant la nature de la réalité, nous
pouvons atténuer ces émotions qui provoquent des problèmes et des difficultés et progressivement en
venir à maîtriser notre esprit.
1- Qu’est-ce que la cessation de la souffrance ?
Selon les lectures que vous avez ou la tradition que vous suivez, des termes variés sont utilisés pour
parler de la vérité de la cessation. Toutefois, le sens que recouvre la vérité de la cessation est
communément accepté.
La cessation de la souffrance est la vérité absolue ou la réalité ultime. Différentes personnes
peuvent employer différents termes, mais c’est ce que tous signifient. Rahula utilise « vérité absolue »
et « réalité ultime » ; Sa Sainteté emploie souvent les termes de « vacuité » ou de « vérité ultime ».
Les termes qui sont utilisés – vérité ultime, vérité absolue, réalité ultime, vacuité – sont à peu
près similaires. Qu’est-ce que la vérité ultime, la vérité absolue, la réalité ultime, la vacuité ? Nous
devons analyser ces termes.
Nous devons également considérer les différents niveaux de cessation. En disant que la
cessation de la souffrance est vérité absolue ou réalité ultime, ils parlent de la cessation définitive et
complète de la souffrance. Cependant, avant d’atteindre ce stade, il existe différents niveaux de
cessation. Aussi, le fait d’analyser ces niveaux peut-il nous aider à comprendre ce qu’est la cessation
définitive de la souffrance.
Le Bouddha a dit :
« La Noble Vérité de la cessation de la souffrance est cela : c’est la cessation complète de
cette soif intense, l’abandonner, y renoncer, s’en affranchir, s’en détacher. »
Il n’a pas utilisé tous les termes que nous employons de nos jours. Il n’a pas dit que la Vérité de
la cessation est vérité absolue ou réalité ultime. Il a simplement dit qu’il s’agit de la cessation complète
de cette soif intense. La racine, l’origine de la souffrance est la soif. Dès lors que chacun des trois types
de soif cesse, c’est la cessation de la souffrance.
Rahula, dans « L’enseignement du Bouddha », (page 57), dit que : « Il existe une
émancipation, une libération de la souffrance, de la continuité de dukkha. Elle est appelée la Noble
Vérité de la cessation de dukkha qui est le nibbana, plus connu sous son nom sanskrit de nirvana. »
Il dit ensuite :
« La nature véritable de la vérité absolue ou réalité ultime est nirvana. »
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Rahula dit que la cessation de la souffrance est vérité absolue ou réalité ultime. Comme il est un grand
érudit, il approfondit en détail chaque type de cessation, fournissant des explications provenant des
vues philosophiques supérieures (telles que celles données par l’école des Prasangika), aussi bien que
des écoles inférieures.
Nous devons, d’autre part, prendre garde au fait que les limites du langage peuvent conduire à
des malentendus en ce qui concerne des choses qui se trouvent au-delà du langage. Lorsque l’on
parle, par exemple, d’entrer en Parinirvana : à cause du langage, cela évoque l’idée qu’il existe quelque
part, une sorte d’état où entrer, où aller vivre. Or, bien sûr, le nirvana n’est pas cela. Langage et
pensées conceptuelles vont toujours de pair. Dès que l’on emploie le langage, la pensée est là. Donc,
quand vous lisez ses explications, vous devriez garder à l’esprit le fait que l’explication qu’il donne de la
troisième Noble Vérité demeure très générale.
Quand Sa Sainteté le Dalaï Lama, dans « the Four Noble Truths », (p. 96), décrit les différents
types de vacuité selon les différentes écoles en relation avec la cessation de la souffrance, il dit :
« Comme le dit Nagarjuna, la compréhension véritable de la libération doit être fondée sur la
compréhension de la vacuité, car la libération n’est rien d’autre que l’élimination totale ou la cessation
totale des perturbations et de la souffrance, grâce à la réalisation de la vue de la vacuité. Le concept de
libération est donc très étroitement lié à celui de vacuité et de la même façon que la vacuité peut être
déduite, il en va de même pour moksha (libération). »
Ici, le Dalaï Lama fait un parallèle entre la vacuité et la libération, en disant que les deux sont
pratiquement identiques. En même temps, il dit que la vacuité peut être comprise par la raison et donc,
que la libération peut également être comprise par la raison.
2- Cessation symbolique, résiduelle et non-résiduelle
On peut classer la libération, la cessation et le nirvana dans une même catégorie. Tous ces termes
signifient la même chose. Si vous lisez des textes traditionnels, vous trouverez environ vingt types
différents de cessation. Comme bien des sujets du bouddhisme, il existe de nombreuses listes
compilées différemment en fonction de la manière dont on analyse ce sujet. Dans la Vérité de la
cessation, ce qui peut cesser, ce sont nos obscurcissements à la libération, ou nos obscurcissements à
l’Eveil (ce que nous verrons ultérieurement).
Ces deux aspects comportent différents niveaux de cessation, que l’on divise généralement en trois :
1) cessation symbolique
2) cessation résiduelle
3) cessation non-résiduelle
1) La cessation symbolique
On appelle parfois la cessation symbolique « cessation temporaire ». On la désigne ainsi parce que
l’expérience peut être réversible (elle n’est pas définitive).
Nous pouvons tous faire l’expérience d’une cessation temporaire ou symbolique. Prenons un
exemple dans notre quotidien. Si nous faisons de notre mieux pour gérer habilement notre colère, en
moins de deux ou trois mois, il ne fait aucun doute que nous obtiendrons un état de moindre colère. La
question, cependant, est de savoir si nous avons employé la bonne méthode pour traiter le problème.
Notre colère s’atténuera dans le temps si nous y travaillons, mais alors, à un certain point, si
nous cessons de mettre en application ces techniques, que va-t-il se produire ? Il existe alors un risque
que tout ce processus s’inverse à nouveau et que nous nous remettions en colère. C’est ce que l’on
appelle la cessation symbolique ou temporaire car, bien que nous ayons obtenu quelque réalisation
grâce aux efforts que nous avons fournis, ce n’est pas vraiment définitif.
56
On dit, traditionnellement, que grâce à la méditation concentrée en un point (ou méditation de
shamata), on peut faire l’expérience temporaire d’un état de calme parfait. Nous pouvons retirer toutes
nos consciences sensorielles des objets des sens, de sorte que les phénomènes externes ne suscitent
plus aucune distraction ; notre esprit est alors vraiment parfaitement calme. Ce stade est
traditionnellement appelé cessation symbolique ou cessation temporaire.
Ce qui s’est en fait produit, c’est que notre esprit s’est simplement mis en retrait des objets
extérieurs, sans pour autant vraiment traiter le problème à la racine. Nous ressentons une sorte de
cessation – cessation qui vient du retrait de notre esprit par rapport aux objets externes – et aussi
longtemps que nous demeurons dans cet état, nous ressentons un état de calme, mais cet état n’est
pas une cessation durable. Du moment que notre esprit va se diriger à nouveau vers les objets
externes, nous perdrons ce calme.
Il existe même des pratiquants capables de garder cet état d’esprit jusqu’à la mort, leurs
consciences sensorielles complètement en retrait des objets extérieurs et faisant l’expérience de ce
calme intérieur. Mais ce qui se produit ensuite est que lorsqu’ils démarrent une nouvelle existence, leurs
toutes nouvelles consciences sensorielles vont à nouveau commencer à rechercher les objets
extérieurs. Dans ce cas encore, il s’agit d’une cessation symbolique (ou temporaire), parce qu’elle n’est
pas permanente.
Quand Sa Sainteté le Dalaï Lama parle du fait de savoir s’il est possible ou non d’obtenir une
parfaite cessation, il dit :
« Si nous répondions que nous devons accepter que la libération est possible sur les terres dont
le Bouddha a parlé dans les écritures, je ne pense pas que cette réponse soit très satisfaisante. »
Pour parler de sujets tels que la libération et l’Eveil, nous devons savoir s’il est possible
d’obtenir une certaine cessation. A notre niveau, je pense très utile de nous concentrer sur la première
cessation : la cessation symbolique, afin de voir, d’après notre propre expérience, si cette cessation est
réalisable ou pas. Si nous analysons comment réduire ou même stopper notre colère, même durant un
court moment, nous nous rendrons compte que nous pouvons véritablement faire l’expérience d’un
certain niveau de cessation.
a/ en marche vers une complète cessation
Nous pouvons, en toute logique, tirer la conclusion de notre expérience que, s’il est possible d’obtenir
une cessation temporaire, alors, par extension, il doit bien être possible d’obtenir une cessation
complète (définitive).
On dit, traditionnellement, qu’il y a quatre étapes à faire pour atteindre la cessation complète :
• voir que les perturbations et la souffrance sont impermanentes
• voir qu’il existe des méthodes pour travailler dessus
• voir que ces méthodes sont disponibles
• voir que nous sommes à même d’utiliser ces méthodes
Nous devons tout d’abord considérer la soif, les perturbations et les souffrances et voir si elles
peuvent effectivement être atténuées ou éliminées. Le fait est qu’elles sont impermanentes, ce qui
implique qu’elles se transforment. Si elles étaient permanentes, nous serions dans l’incapacité de
changer quoique ce soit.
La première étape consiste donc à considérer que les perturbations et la souffrance sont
impermanentes et comprendre que nous pouvons non seulement les atténuer, mais les éradiquer
complètement.
Ensuite, la deuxième étape, après avoir considéré leur impermanence – et de ce fait leur
caractère changeant – consiste à voir qu’il existe des méthodes pour les traiter, pour analyser s’il
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existe ou non des moyens de les atténuer ou de les éliminer et voir ensuite que des méthodes (des
moyens d’approche) existent pour nous aider. Nous appelons traditionnellement ces moyens des
antidotes.
Ensuite, la troisième étape, après avoir réalisé qu’il existe des méthodes permettant de
travailler sur les perturbations, consiste à voir que ces méthodes sont disponibles. Puis, le pas
ultime revient à l’individu : « Suis-je capable de le faire ? Ces perturbations sont impermanentes, elles
sont changeantes, elles peuvent être réduites puis finalement éradiquées et il existe des méthodes pour
y parvenir. Alors, suis-je capable d’utiliser efficacement ces méthodes ? » Le fait de considérer que
nous sommes capables d’utiliser ces méthodes nous donne la confiance nécessaire pour les
utiliser. Le fait d’avancer pas à pas pour expliquer rationnellement cela semble très intellectuel, mais il
est, pourtant, important de s’encourager afin d’acquérir la confiance nécessaire dans ce que nous
faisons. Afin de savoir si la quatrième étape – « Suis-je capable de le faire ? » – fonctionnera pour nous,
nous devons cerner les capacités humaines. En effet, les êtres humains sont beaucoup plus capables
que les autres êtres, mentalement et physiquement.
Lorsque l’on a réalisé le potentiel incroyable que nous possédons en tant qu’êtres humains,
nous avons besoin alors de voir si ces perturbations, telles que la soif et la confusion, sont inséparables
de notre esprit ou pas. Le bouddhisme dit que bien qu’elles représentent certains aspects de notre
esprit, elles ne font pas complètement un avec lui. Nous devons nous demander s’il en est vraiment
ainsi. Sont-elles un avec notre esprit ou, bien qu’intégrées à ce dernier, peuvent-elles en être
séparées ? Je trouve cette question plutôt intéressante. Nous en reparlerons ultérieurement.
Il est quelquefois utile de regarder plus réalistement quelles sont nos attentes en tant que pratiquants
bouddhistes et plus particulièrement en tant que pratiquants du bouddhisme Mahayana. Dans nos
récitations de prières, nous rencontrons partout la locution « tous les êtres sensibles ». Nous récitons
des prières et faisons des prosternations afin d’être bénéfiques à « tous les êtres sensibles » et, alors
que nous vivons au sein de cette société, nous nous sentons coupables de ne jamais en faire
suffisamment. Je trouve cette espèce de frustration compréhensible mais très irréaliste. Ce que nous
essayons de faire est beaucoup trop ambitieux, et ne correspond peut-être pas à ce que voulait dire le
Bouddha par « être bénéfique à tous les êtres sensibles ». Dans nos esprits, être bénéfique à tous les
êtres sensibles signifie aller au devant de tous et les aider, mais c’est vraiment idéaliste. Etre bénéfique,
ne serait-ce qu’à un seul être sensible, avec un esprit pur et un cœur pur est, je pense, suffisant. Bien
sûr, si on peut l’être pour deux, voire trois êtres, c’est encore mieux, mais ça va. Je pense qu’il nous
faut abandonner cette attente irréaliste concernant toutes ces choses que nous voulons faire pour
l’environnement ou pour « tous les êtres sensibles », ce à quoi nous ne pouvons parvenir au stade où
nous en sommes.
b/ s’occuper tout d’abord des perturbations les plus intenses
Ainsi que je l’ai mentionné au chapitre précédent, nous devrions travailler tout d’abord sur notre
perturbation la plus forte. Bien que chacun de nous ait de la colère, de la haine, de la jalousie, de
l’attachement, leur degré d’intensité diffère selon les personnes. Certains ont une colère très forte mais
moins de jalousie que d’autres. D’autres ont une jalousie très intense mais moins des autres
perturbations. Essayez donc de reconnaître quel est le facteur qu’il vous est le plus urgent de traiter.
Je pense très utile de pouvoir considérer ces quatre étapes – voir que les perturbations et la
souffrance sont impermanentes, qu’il existe des méthodes pour y travailler, qui sont disponibles et que
l’on peut nous-mêmes mettre en œuvre – puis demandez-vous, en arrivant à la dernière étape : « Suisje capable de le faire ? ». C’est, en effet, de là que vous devez partir. Voyant que vous pouvez le faire,
alors la véritable pratique commence. Bien que nous parlions de la cessation complète de toutes les
perturbations, à ce point précis vous n’avez pas à utiliser les quatre étapes en ce qui concerne toutes
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les perturbations. Appliquez-la à la perturbation qui vous pose le plus de problème dans votre vie
quotidienne – telle que la colère. Travaillez alors sur votre colère en employant les quatre étapes.
Avec le temps, d’ici quelques semaines peut-être, nous nous rendrons compte qu’au lieu d’une
personne très coléreuse, grâce au fait d’utiliser les différentes méthodes et approches, nous serons
devenu quelqu’un de moins coléreux. Cela ne signifie pas qu’il y a moins d’émotion, moins d’esprit.
L’esprit est encore là, mais la colère est moindre.
C’est le signe qui montre que la colère et l’esprit peuvent être disjoints. Par l’application de moyens
habiles, la colère va commencer à s’atténuer, alors que l’esprit sera toujours là. Si la colère et l’esprit
étaient inséparables, alors que nous commençons à travailler sur notre colère et qu’elle décroît, l’esprit
devrait décroître lui aussi.
Je pense donc que la cessation symbolique est vraiment utile pour appréhender ce qu’est la
cessation véritable. Si nous faisons vraiment l’expérience de la cessation temporaire de la colère et
voyons que c’est possible, nous pouvons nous rendre compte qu’il n’existe aucune raison pour que
nous ne puissions en faire autant avec les autres perturbations, telles que la jalousie ou l’attachement,
même si l’approche peut différer légèrement.
2) La cessation résiduelle
Les deux traditions, Théravada et Mahayana, s’accordent à penser qu’il est possible pour une personne
dotée d’un corps physique, de réaliser la cessation complète. En réduisant systématiquement nos
perturbations mentales, nous pouvons finalement parvenir à les éradiquer totalement. Il se passe, alors,
que nous restons encore avec ce corps physique, produit sous l’influence de karmas et de perturbations
causés lors de vies précédentes. L’esprit a été purifié de toutes perturbations mais cependant, le corps
reste encore sujet à des souffrances qui sont inhérentes à sa nature.
Cette cessation est appelée cessation résiduelle, ce qui signifie que la cessation se produit au
sein de ce réceptacle qu’est ce corps qui est encore le résultat de karmas et de perturbations. La
cessation résiduelle signifie, donc, que le résultat karmique du corps demeure encore présent, alors que
la cessation mentale a été réalisée.
3) La cessation non-résiduelle
Une personne peut réaliser la cessation complète de la souffrance, alors même que son corps physique
demeure encore le résultat de karmas et de perturbations provenant de vies passées. Quand cette
personne meurt, le corps causé par le karma et les perturbations – d’où ses perturbations et karmas
résiduels – disparaît, ce qui signifie que la cessation devient pure cessation dans la mesure où,
désormais, rien ne demeure plus. C’est ce que l’on appelle la cessation non-résiduelle.
En d’autres termes, bien qu’un individu puisse avoir obtenu la cessation complète dans son
corps, ce corps reste empreint du résidu d’avoir été causé par les perturbations et le karma. Tant que la
personne est en vie, cette cessation est une cessation résiduelle. La ligne de démarcation se situe à la
mort de la personne. Alors, cette cessation devient une cessation non-résiduelle.
Un autre corps est-il produit après la cessation non-résiduelle ? Une des théorie, dans la
tradition Théravada, dit que lorsqu’un pratiquant atteint la libération ou la cessation complète de la
souffrance, lorsqu’il meurt, tout cesse. Non seulement son corps physique et ses cinq agrégats cessent,
mais également le continuum de la personne.
Cette théorie n’est pas celle de la tradition Mahayana, où il est dit qu’après qu’un pratiquant ait
atteint la libération individuelle en tant qu’arhat, quand il meurt, son continuum ne cesse pas pour
autant. Bien sûr, le continuum du samsara et des perturbations a cessé mais l’individu, quant à lui, ne
cesse pas. Où qu’ils prennent renaissance, ces êtres peuvent demeurer pendant de très longues
périodes de temps, voire pendant des éons, dans un état d’absorption méditative, au lieu de jouer un
rôle actif à être bénéfiques aux autres êtres sensibles.
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3- Libération et Eveil
a/ La libération et l’Eveil sont-ils identiques ?
Pratique
A éradiquer
But
Véhicule de libération individuelle Véhicule de libération universelle
voiles des perturbations
+ voiles à la connaissance
libération
Eveil
Dans ce tableau on peut voir, d’une part : un véhicule de libération individuelle où le pratiquant doit
éradiquer les voiles des perturbations pour atteindre la libération et d’autre part : un véhicule de
libération universelle où le pratiquant doit, non seulement éradiquer les voiles des perturbations
(représenté par le signe +), mais également les voiles à la connaissance, pour atteindre l’Eveil.
Cela montre que la libération et l’Eveil sont deux choses différentes, en termes de méthode
employée pour les réaliser et en ce qui concerne les perturbations elles-mêmes, sur lesquelles on
travaille.
Les personnes qui ne recherchent que la libération s’occupent surtout des voiles des
perturbations (ou obscurcissements), tandis que pour celles qui recherchent l’Eveil, les voiles majeurs
qui doivent être abandonnés ne sont pas les voiles des perturbations, mais ceux à la connaissance qui
les empêchent d’atteindre l’omniscience ou la bouddhéité.
La méthode employée diffère également, ce dont je crois utile de parler. Si nous fondons notre
cheminement spirituel sur le bouddhisme – pas seulement en termes de désignation mais en le
pratiquant avec sincérité – alors que nous commençons, nous distinguons en général deux types
d’aspirations. La première consiste à vouloir se libérer de cette situation qu’est l’existence conditionnée.
Cela n’a pas grand chose à voir avec les autres, mais avec le simple fait que « Je ne supporte plus
cette existence conditionnée qui continue vie après vie ». Par exemple, si l’on examine comment les
Douze Liens d’Origine Interdépendante fonctionnent, d’un certain point de vue, c’est plutôt déprimant : il
semble, en effet, qu’il n’y ait pas de fin. Voyant cela, le pratiquant est dans l’incapacité de supporter
cette existence conditionnée ; il désire ardemment briser cette chaîne et se libérer de cet état. Cette
aspiration n’est pas vraiment empreinte du désir de faire des choses en faveur d’autrui, mais seulement
pour soi.
Cependant, certaines personnes peuvent pousser plus loin leur raisonnement, analyser les
Douze Liens et voir que ce processus est sans fin non seulement pour elles, mais également pour tous
les êtres. « Je fais l’expérience de cette existence conditionnée vie après vie, et il en est de même pour
tous les êtres, c’est pourquoi je dois absolument faire quelque chose pour eux également ». Le
pratiquant commence alors sa pratique, empreint de cette aspiration. Donc, les deux types principaux
de pratiques dépendent de ces deux aspirations différentes.
Si vous lisez des écritures et des textes relevant de la tradition Mahayana, ils disent que,
quelque soit le choix du chemin que l’on choisit (qu’il s’agisse du chemin de libération individuelle ou du
chemin de libération universelle), en fin de compte, tout le monde devra continuer jusqu’à l’atteinte de
l’Eveil. Cependant, je ne sais honnêtement pas si cela est vrai ou pas. Nous pouvons en parler et en
débattre, mais d’après la tradition Mahayana, malgré les différents chemins qui mènent à la libération
ou à l’Eveil, au bout du compte, les personnes qui ont atteint la libération continueront jusqu’à réaliser
l’Eveil.
Même après la libération, ils ne cesseront jamais, leur continuum ne cessera pas d’exister, ils
continueront. Cependant, continuer et atteindre l’Eveil parfait prendra beaucoup, beaucoup de temps,
parce qu’arrivé à ce stade, il n’y a plus de sens ou de sensations. Dans l’objectif d’atteindre l’Eveil, vous
devez avoir de la compassion. Or, pour avoir de la compassion, vous devez ressentir les choses. Mais
je ne sais vraiment pas si ça se passe comme cela. Il s’agit d’arguments fondés sur la tradition
Mahayana très sommaires que j’ai entendus depuis que j’ai dix-huit ans.
60
Certains textes Théravadin ou Pali ne sont pas d’accord avec cela. Ils disent soit, qu’un
pratiquant qui a atteint la libération n’aura pas nécessairement à continuer pour atteindre l’Eveil, soit
que la libération est l’Eveil – qu’il n’y a pas d’autre Eveil que la libération. En revanche, dans la tradition
Mahayana, il est très clairement établi qu’il existe une différence entre la libération et l’Eveil.
Qu’à la fin il y ait une différence ou pas, que le pratiquant qui réalise son but ultime de libération
ait finalement à continuer ou non jusqu’à réaliser l’Eveil, dans tous les cas, en ce qui concerne le
commencement, il existe vraiment une différence. Donc, si cette différence existe depuis le départ, mon
sentiment est que, compte tenu de cette motivation initiale différente, l’action doit être différente et par
conséquent, je pense que le fruit de cette action doit également différer de quelques manières.
D’après notre propre expérience, ainsi qu’en regardant autour de nous, lorsque nous
commençons notre pratique, nous pouvons constater une différence en ce que, dans la pratique des
bodhisattva, l’accent est mis sur le fait de faire les choses en faveur des autres êtres sensibles, alors
que dans les textes théravadins ou pali, il n’y a pas une telle insistance. Cela ne signifie pas qu’ils nous
disent d’oublier les autres, mais l’accent est mis sur la réalisation individuelle ou la libération
individuelle.
Bien sûr, un pratiquant du chemin de libération individuelle doit traiter avec les autres. Pour
progresser vers la libération, la patience nous est nécessaire. Or, comment pratiquer la patience s’il n’y
a personne autour de nous ? Comment traiter avec notre colère s’il n’y a personne pour nous mettre en
colère ? Nous avons aussi besoin d’amour et, par conséquent, nous avons besoin d’êtres à qui donner
également cet amour.
La différence entre ces deux chemins ne consiste pas en ce que l’un néglige le monde alors
que l’autre le considère, mais ils n’insistent pas sur les mêmes choses. Pour les personnes qui suivent
le chemin Mahayana, l’accent n’est pas mis sur sa propre libération, mais sur la réalisation de tous les
autres êtres. Dans la tradition Théravada, on ne dit pas que ce n’est pas important, mais simplement
que réaliser la libération pour soi-même est le but essentiel. Il ne s’agit pas du tout de considérer les
pratiquants théravadins comme des égoïstes et ceux du Mahayana comme des gens altruistes.
Vraiment pas.
Nous pouvons avoir un esprit égoïste positif ou un esprit égoïste négatif. L’esprit égoïste négatif
désire réaliser son propre but tout en négligeant les droits et le bonheur des autres. L’esprit égoïste
positif a besoin d’un sentiment fort de sa propre valeur pour aider les autres. Sans ce fort sentiment de
soi, je ne pense pas que nous puissions faire quoique ce soit pour les autres. Je ne pense donc pas
que nous devions nous détruire pour atteindre la libération. Cependant, nous devons détruire l’esprit
égoïste négatif.
b/ La cessation selon les textes théravadins
Bien que je n’ai pas étudié les textes théravadins, j’aimerai vous parler un peu de la libération, qu’ils
appellent également cessation ou nirvana. Ils emploient le terme de vérité absolue pour décrire le
nirvana.
Bien que le terme de vérité ultime (ou réalité ultime) soit très semblable à celui utilisé dans la
tradition Mahayana, nous devons nous demander si le sens en est le même.
Avec ce corps qui est le résultat du karma et des perturbations, nous pouvons réaliser le
nirvana parfait. Les deux traditions (Théravada et Mahayana) sont d’accord par rapport à cela. Par
conséquent, qu’est-ce que ce nirvana ? Dans la tradition Théravada, lorsqu’ils disent qu’il s’agit de la
vérité absolue (ou réalité ultime), il me semble qu’ils disent que l’individu est complètement libre des
perturbations et du karma. Après cette vie, cette personne n’aura plus à prendre une autre naissance.
C’est, par conséquent, absolu, ultime. C’est une réalité ultime parce que, bien qu’à ce niveau les
pratiquants ont encore leur corps, après la disparition de ce dernier, les personnes ne reviendront plus
jamais dans ce cercle des renaissances, du vieillissement et de la mort. C’est pourquoi ils réalisent la
vérité absolue.
61
A la page 64 de « L’enseignement du Boudhha », Rahula dit que :
« Certaines expressions populaires et impropres, comme, par exemple, « le Bouddha est entré
dans le nirvana ou dans le parinirvana après sa mort, » ont donné naissance à beaucoup de
spéculations imaginaires sur le nirvana. Dès que vous entendez dire que « le Bouddha entra
dans le nirvana ou le parinirvana », vous avez tendance à prendre le nirvana pour un état, ou
un domaine, ou une situation où il y a une existence d’une certaine sorte et vous essayez de
l’imaginer dans un sens que peut suggérer le mot « existence » telle que celle-ci vous est
connue. On ne rencontre, dans les textes originaux, rien qui ressemble à l’expression
populaire : « il est entré dans le nirvana ». Il n’y a pas d’équivalent à « entrer après la
mort dans le nirvana». Il y a un mot qui est employé pour indiquer la mort d’un bouddha ou
d’un arhat qui a atteint (compris) le nirvana, c’est « parinibbuto » ; mais il n’a pas la
signification « d’entrée dans le nirvana ». Parinibbuto veut simplement dire « entièrement
trépassé », « entièrement soufflé » (image de la flamme éteinte), « entièrement éteint », parce
que le Bouddha (ou un arhat) n’a pas de re-existence après la mort. »
A la page précédente, page 63, il dit :
« Les gens demandent souvent : Qu’est-ce qu’il y a après le nirvana ? Cette question est non
fondée puisque le nirvana est la vérité ultime. Or, si c’est ultime, il ne peut rien y avoir après.
S’il y avait quelque chose au-delà du nirvana, ce serait donc cela la vérité ultime et non le
nirvana. Un moine nommé Radha posa cette question au Bouddha d’une façon quelque peu
différente : « dans quel but (ou à quelle fin) est le nirvana ? Cette question présuppose quelque
chose après le nirvana puisqu’il postule un but (ou fin) au nirvana. Le Bouddha répondit alors :
« Oh Radha, cette question ne peut trouver sa limite » (elle manque sa cible). On mène la vie
sainte ayant le nirvana comme (pour y faire le) plongeon final, l’ayant pour but, pour fin
ultime. »
Donc, la fin ultime (ou la réalité ultime signifie), dans la tradition Théravada, que l’individu qui a
réalisé le nirvana (ou la réalité ultime) est libre de toute perturbation et du karma, et ne prendra plus de
renaissance future.
c/ La cessation selon les textes du Mahayana
Les textes du Mahayana utilisent les termes de nirvana ou de cessation, mais quand ils parlent de
cessation complète, ils se réfèrent à la vacuité. Bien sûr, il existe différentes écoles philosophiques au
sein de la tradition Mahayana et ici, je me réfère au point de vue de l’école philosophique la plus
élevée : les Madhyamika Prasangika. Selon leur point de vue, la cessation est vérité ultime, mais pas la
vérité ultime dont parle Rahula ou la tradition Théravada.
Bien que les mots employés (vérité absolue ou réalité absolue) soient similaires dans les deux
traditions, pour la tradition Mahayana « vérité ultime » ou « réalité ultime » fait référence à la vacuité et
la vacuité dans ce contexte ne signifie pas « libre des renaissances », mais plutôt « absence
d’existence inhérente ».
Nous en parlerons plus longuement dans d’autres modules.
LES DEUX TYPES DE CESSATION
1- Les deux voiles
Quand, grâce au développement de notre sagesse, notre souffrance commence à décroître, la
cessation commence naturellement à émerger. Les deux types de cessation que nous obtiendrons
finalement sont la libération ou l’Eveil. De la même façon, nous devons surmonter deux types de voiles :
62
• les voiles des perturbations
• les voiles à la connaissance
Le premier (en tibétain nyeun.mong.pè drip.pa) consiste en ce qui nous empêche d’atteindre
l’état d’arhat ou la libération. Le second (en tibétain ché tché drip.pa) est ce qui nous empêche
d’atteindre l’Eveil complet. Nous en parlons également comme de « voiles à l’omniscience ». D’une
façon très générale, le premier type de voile est plus grossier que le second – grossier en termes de
difficulté à éliminer. Le second type est plus difficile à éradiquer.
Comme le tableau page 60 sépare ces deux types de voiles, il peut sembler que les personnes
qui s’occupent d’éliminer un type de voile, n’ont pas à s’occuper de l’autre. En fait, bien qu’une
personne suivant le chemin de libération individuelle n’a besoin de s’occuper que des voiles des
perturbations, quelqu’un qui suit le chemin de l’Eveil doit travailler sur l’ensemble.
Les voiles des perturbations sont liés à notre côté émotionnel. Amoindrir notre colère, notre
attachement, notre jalousie, etc., agit sur nos voiles des perturbations. Les voiles à la connaissance font
référence aux perturbations très, très subtiles, telles que les tendances à concevoir la réalité d’une
manière erronée. Ceux qui réalisent la libération en suivant le premier chemin possèdent encore un
certain niveau d’obscurcissements à la connaissance.
Dans ce cas, qu’est-ce que la libération ? La libération, dans ce contexte, est la libération du samsara,
la libération de prendre renaissance sous l’influence du karma et des perturbations. Si certains
atteignent ce stade, c’est donc sûrement qu’ils sont bouddha. N’est-ce pas ? Selon la tradition
Mahayana, bien qu’ils soient libérés de l’existence cyclique, bien qu’ils aient atteint la libération, ils ne
sont pas encore des bouddha.
Pour être un bouddha ces personnes doivent également se libérer des voiles à la
connaissance. Les personnes qui sont libres des voiles des perturbations ne sont plus des êtres
samsariques, s’étant affranchis de la roue de la vie, mais cependant, ils ne sont pas des bouddha. Ils ne
sont pas, non plus, des dieux ou des êtres du royaume du sans forme, parce que ces états font encore
partie du samsara.
Chacun de ces deux niveaux d’obscurcissements (les obscurcissements à la libération et les
obscurcissements à l’omniscience) comprend deux niveaux différents. Le premier niveau apparaît à la
suite d’un processus d’apprentissage intellectuel ; l’autre est inné, au sens où il est sous-jacent, ne
provenant ni d’un système de croyances, ni de la raison, mais d’une sorte de croyance spontanée qui
nous empêche d’atteindre la libération. Il existe de nombreuses méthodes permettant de travailler sur
ces deux niveaux d’obscurcissements, en particulier au sein de la littérature mahayana. Ces niveaux
d’obscurcissements sont d’intensité différente.
2- Les deux cessations
Les quatre écoles philosophiques indiennes importantes dans le bouddhisme tibétain affirment qu’il y a
deux types différents de cessation qui sont les suivantes :
- la libération du samsara
- l’Eveil parfait
Bien que cela puisse sembler assez philosophique, cela vaut la peine de pointer les différences existant
entre les écoles.
Les deux écoles inférieures croient que, par la pratique et la réalisation de la première
cessation, les pratiquants n’iront pas plus loin ; ils n’atteindront jamais l’Eveil parfait. Bien qu’ils
acceptent l’idée qu’il existe une cessation qui va plus loin, un Eveil parfait, ces deux écoles inférieures
pensent que certains êtres ne l’atteindront pas car ils s’arrêtent à la première cessation. C’est l’une des
différences majeures.
63
Les deux écoles supérieures acceptent également le fait qu’il existe deux cessations, mais ils
affirment que tous les êtres sensibles, en fin de compte, atteindront la seconde cessation, soit : l’Eveil
parfait.
La première cessation, la libération du samsara, peut émerger de ces cinq agrégats
contaminés, alors même qu’on les possède encore. C’est ce que l’on appelle le nirvana avec restes, ce
qui revient au même que la cessation résiduelle, dont nous avons parlé. Selon les écoles inférieures,
alors que le pratiquant se trouve dans cet état, il prend la décision, soit d’aller plus loin, soit de s’en tenir
là en considérant qu’il a atteint son but final : c’est la fin de son voyage. Si ce pratiquant prend cette
dernière décision, lorsqu’il meurt, alors tout est fini, plus rien n’existe, à jamais.
Dans les soutras, un arhat, après sa mort, est souvent comparé au feu qui a fini de se
consumer quand les réserves de bois sont épuisées, ou à la flamme d’une lampe à beurre qui s’est
éteinte une fois qu’il ne reste plus de mèche ni d’huile. Ces analogies signifient que tout est fini, que rien
n’existe plus après cet état. Les deux écoles inférieures citent ainsi les soutras pour dire que certains
êtres n’atteindront pas le plein Eveil car, fort de leur décision, ils s’en tiendront là. Quand ils arrivent à
terme avec ce corps, rien ne reste plus. Moi même, je ne sais pas ce qui se passera si j’atteins le
nirvana.
Pour ces écoles, au moment où une personne atteint ce type de nirvana, elle passe en
parinirvana et les cinq agrégats disparaissent, non seulement l’agrégat de la forme, mais également
ceux du mental. Dès lors, en ce qui les concerne, il n’y a pas lieu de discuter d’un continuum de
conscience. Ils ne voient pas non plus de contradiction ni de conflit à cela.
Cependant, si l’on situe le débat en se référant au point de vue de l’école la plus élevée : les
Madhyamika Prasangika, il y a quelque chose d’erroné. En effet, ils disent que ce n’est pas
complètement la fin, que le pratiquant réalise les deux corps : le corps de vérité qui est l’aspect Eveillé
de l’esprit, et le corps de la forme qui est l’aspect Eveillé du corps. Or, pour l’école la plus élevée, c’est
ce qui revient à réaliser la cessation véritable.
Dans le soutra, le Bouddha a dit que la cessation de la souffrance devrait être réalisée comme une
Noble Vérité. En français, que signifie « réaliser » ? Cela signifie-t-il : « atteindre quelque chose » ?
« Comprendre quelque chose » ?
Il me semble qu’en français cela peut vouloir dire les deux et, en fait, c’est la même chose en tibétain.
Dans ce contexte, nous disons : gog.dèn ngueun.tou.tché. Gog.dèn signifie « cessation ». Ngueun.
tou.tché a deux sens qui sont, d’une part, « comprendre » et d’autre part, « atteindre ».
Dans ce contexte, je pense que le Bouddha voulait signifier les deux – comprendre autant qu’atteindre.
Pour atteindre la cessation, nous devons comprendre ce que c’est. Ces deux aspects dépendent
toujours l’un de l’autre. Sans comprendre la cessation, nous n’avons aucune chance de la réaliser.
Inversement, sans réaliser la cessation, nous n’avons pas plus de chance de la comprendre clairement.
3- Les deux Kayas
a/ Le Dharmakaya, corps de vérité
D’après la tradition Mahayana, qu’arrive-t-il à un être qui réalise la cessation complète après la mort ?
Si un individu atteint l’Eveil, il n’a pas seulement réalisé le nirvana (ou cessation), mais il possède
également d’autres traits et, en particulier, le corps de vérité et le corps de forme.
Si tout s’éteint quand un pratiquant meurt après avoir réalisé le nirvana, ainsi qu’il est dit dans
la tradition Théravada, à mes yeux, cela montre que ces perturbations font complètement partie
intégrante de l’esprit : aussi longtemps que l’esprit demeure, les perturbations demeurent ; si les
perturbations disparaissent, l’esprit doit également disparaître. C’est ce que je pense, mais en fait, je
n’en sais vraiment rien.
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Le bouddhisme Mahayana pense qu’aucune perturbation ne fait complètement un avec notre esprit.
Elle ne sont pas intégrées totalement, mais ne sont que temporaires. Plus encore, la nature de l’esprit
n’est jamais intégrée aux perturbations. La nature de l’esprit est pure. Voilà ce qu’est le corps de vérité,
en sanskrit : dharmakaya. En d’autres termes, le corps de vérité est la vacuité.
Lorsque nous atteignons l’Eveil, notre esprit – empli de compassion, de toutes les réalisations et libre
de toutes perturbations – est vide de toute existence intrinsèque, rien de plus que cela. C’est cela, le
corps de vérité. Dès lors que l’on réalise par soi-même cette nature fondamentale, alors cette dernière
devient corps de vérité, et l’individu devient un être Eveillé. Parfois, on l’appelle aussi « corps de
sagesse », parce que cette nature a été réalisée par la sagesse.
b/ Le Rupakaya, corps de forme
Selon moi, le concept de corps de forme témoigne de l’une des différences majeures entre les deux
traditions (Théravada et Mahayana). Quand un individu réalise la libération, l’état obtenu n’est pas
exactement celui du corps de vérité mais il lui est similaire. Dans la tradition Théravada, on ne parle
jamais du corps de forme, alors que dans la tradition Mahayana l’accent est mis sur les deux corps
d’une façon équivalente.
Le corps de forme (roupakaya) ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit de notre forme matérielle. Il
fait référence, en fait, à la sagesse d’un bouddha, à sa compassion, à son esprit omniscient et à
comment ces qualités se manifestent sous différentes formes. Un corps de bouddha peut, à la fois, être
un corps d’émanation (nirmanakaya en sanskrit) ou un corps de jouissance parfaite (sambhogakaya).
Ces deux corps représentent l’esprit omniscient d’un bouddha qui se manifestent sous l’aspect de
différents corps de forme, en fonction de la capacité des êtres sensibles à les voir. Certains êtres ont la
capacité de voir des formes plus subtiles de corps de bouddha, telles que le corps de jouissance
parfaite, et ils peuvent communiquer avec ce bouddha sous cet aspect et recevoir de lui des
enseignements. En fait, un bouddha qui revêt l’aspect du sambhogakaya est constamment en train
d’enseigner. Ces êtres suffisamment réalisés pour recevoir ces enseignements sont des arya, qui sont
déjà parvenus sur le chemin de la vision (dont nous aurons un aperçu dans la quatrième Noble Vérité).
Il est possible pour certains êtres ordinaires de voir et de recevoir des enseignements d’un autre type
de corps qui est le corps d’émanation ou nirmanakaya. Du point de vue Mahayana, le Bouddha
historique, Bouddha Shakyamouni, était un corps d’émanation suprême, car les êtres ordinaires ont pu
le voir et recevoir des enseignements de lui. Ce qu’ils virent, en fait, fut la manifestation de l’esprit
omniscient du bouddha manifesté dans un corps d’émanation.
Un bouddha est capable d’émaner continuellement et simultanément sous des formes multiples, dans
de nombreux endroits différents. Le but essentiel des bouddha consiste, au départ, à vouloir être
bénéfique aux êtres, et bien sûr, une fois le résultat obtenu, c’est ce qu’ils font, autrement ce serait de la
tromperie !
Dans la tradition Mahayana, il est dit que, lorsqu’un individu atteint l’Eveil, les deux corps (de vérité et
de forme) se manifestent simultanément. Le corps de vérité est l’état libre de tout obscurcissement et le
corps de forme est la manière dont cet individu est perçu par les autres êtres.
Donc, on met fortement l’accent sur le fait de pratiquer conjointement sagesse et méthode. Pratiquer
l’aspect de la sagesse a pour effet de produire le corps de vérité et pratiquer l’aspect de la méthode
produit le corps de forme. Bodhicitta, la générosité, l’éthique, la patience et la tolérance appartiennent à
l’aspect de la méthode qui conduit au corps de forme d’un Bouddha. S’évertuer à parachever la
sagesse qui réalise la vacuité et l’impermanence représente l’aspect de la sagesse qui conduit au corps
de vérité (ou de sagesse).
c/ Le corps de forme d’un Bouddha est impermanent
Dans le bouddhisme mahayana, nous parlons du corps de forme alors que le corps de forme est un
être. Or, si c’est un être, cela signifie qu’il est impermanent. Cela veut-il dire également qu’il est dans le
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samsara ? La réponse est non. Examinez les Quatre Sceaux, les préceptes fondamentaux du
bouddhisme, qui sont les suivants :
1. Tous les phénomènes composés sont impermanents
2. Tous les phénomènes contaminés sont, par nature, souffrance
3. Tous les phénomènes sont vides d’existence inhérente
4. Le nirvana est la paix véritable.
Nous pouvons nous rendre compte, une fois encore, de la légère différence qui existe entre la
tradition Théravada et la tradition Mahayana, en considérant le deuxième sceau.
Dans la tradition Théravada, ils disent, pratiquement, que si quelque chose est impermanent, il est
contaminé et il est donc souffrance. En revanche, la tradition Mahayana dit que tous les objets
contaminés sont souffrance, mais que tous les objets impermanents ne sont pas nécessairement
contaminés. Il y a ici une différence. En d’autres termes, les choses et les événements produits sous
l’influence d’émotions perturbatrices et du karma sont souffrance, car ils sont contaminés. Cependant,
les autres phénomènes impermanents (tels que le corps de forme d’un bouddha) ne sont pas
nécessairement souffrance.
4- La relation entre libération et vacuité
La nature fondamentale de la table est vacuité. Il n’existe aucune différence entre la nature
fondamentale de la table et la nature fondamentale de mon esprit. Tous deux sont vides d’existence
inhérente (ou intrinsèque). Il n’existe absolument aucune différence objective entre les deux.
Cependant, d’un point de vue subjectif, la différence est grande.
Une citation célèbre de Chandrakirti dit :
« Que le Bouddha vienne dans ce monde ou pas, la vacuité existe déjà. »
Que le Bouddha soit venu ou pas dans ce monde, cela ne change pas le fait que tous les phénomènes
et les événements, y compris notre propre existence, sont vides d’existence inhérente. Ce qui fait la
différence, c’est que quand le Bouddha est venu dans ce monde pour nous guider à travers son
enseignement, il nous a aidé à réaliser que les objets n’ont pas d’existence inhérente.
Nous devons comprendre que, d’un point de vue objectif, la vacuité de la table et la vacuité de l’esprit
répondent à un même processus. Il n’y a aucune différence entre ces vacuités. Cependant, lorsque
j’examine conceptuellement mon esprit pour essayer de comprendre la nature véritable de mon esprit,
cela ne semble pas aussi simple. Il y a, d’un point de vue subjectif, des différences importantes.
Mon esprit est empli de perturbations adventices, telles que la colère, la jalousie, la peur et toutes ces
choses causées par le soi nombriliste qui se chérit lui-même, ce dont la table est dépourvue. Aussi
longtemps que mon esprit sera recouvert de toutes ces choses, il sera très difficile de pénétrer cette
nature fondamentale qui est l’absence d’existence inhérente. C’est ce qui fait la différence. Cependant,
cela ne signifie aucunement que c’est impossible.
Il existe une relation très étroite entre la libération et la vacuité. Ainsi que Rahula l’a pointé, pour
comprendre le concept de libération, nous devons comprendre celui de vacuité, car autrement, il nous
est impossible de voir où nous sommes piégés. La libération signifie que nous sommes libres de
quelque chose, de quelque part. La compréhension de la vacuité va nous montrer quelles sont nos
limites, c’est-à-dire le second type d’ignorance, non pas l’ignorance de la loi de cause à effet, mais
l’ignorance fondamentale.
LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA CESSATION VERITABLE
Comme les autres Nobles Vérités, la Noble Vérité de la Cessation de la Souffrance comporte quatre
caractéristiques qui lui sont propres :
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1- la cessation
2- la pacification
3- la satisfaction totale
4- le renoncement
Ces caractéristiques aident à expliquer clairement la cessation véritable. Par exemple, la première, la
cessation, a la qualité de cessation : la cessation des perturbations, soit un état où les perturbations et
l’ignorance ont été abandonnées. Il y a en quelques sortes une qualité qui donne l’assurance que la
souffrance ne sera plus produite, que les causes et les conditions ont cessé, se sont vraiment éteintes.
La deuxième caractéristique explique qu’elle a la qualité de pacification parce qu’elle pacifie des
tourments de la souffrance. La cessation a la particularité de pacifier complètement la souffrance.
La troisième caractéristique, la satisfaction totale, est également une qualité, celle d’être satisfait, d’être
la source de la santé et du bonheur. C’est le bonheur véritable. C’est une qualité fiable, sans
changement, qui ne se transforme jamais en autre chose.
La quatrième caractéristique, l’émergence définitive, dit que la cessation a la qualité d’extraire
définitivement du samsara. Elle signifie être totalement délivré du samsara.
Telles sont les quatre caractéristiques qui peuvent nous aider à mieux comprendre la cessation
véritable.
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CHAPITRE SIX
LA VERITE DU CHEMIN
QUI MENE A LA CESSATION DE LA SOUFFRANCE
page
LA VERITE DU CHEMIN
1/ Quelle sorte de chemin mène à la cessation véritable ?
LE NOBLE CHEMIN OCTUPLE ET LES TROIS ENTRAINEMENTS
1/ Les nombreux chemins dans le bouddhisme
2/ Les trois entraînements : L’éthique, la concentration et la sagesse
a- L’éthique
b- La concentration
c- La sagesse
3/ L’éthique : Parole juste, Action juste, moyen d’existence juste
a- La parole juste
b- L’action juste
c- Les moyen d’existence juste
4/ Concentration : Effort juste, attention juste, concentration juste
a- L’effort juste
b- L’attention juste
c- La concentration juste
5/ La sagesse : vue juste, pensée juste
a- La vue juste
b- La pensée juste
6/ Nihilisme et éternalisme
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70
71
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LES CINQ CHEMINS
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1/ Les cinq chemins
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a- Le Chemin de l’Accumulation
b- Le Chemin de la Préparation
c- Le Chemin de la Vision
d- Le Chemin de la Méditation
e- Le Chemin de l’au-delà de l’Apprentissage
2/ La différence entre un pratiquant du véhicule de libération individuelle et un pratiquant du véhicule
des Bodhisattva
3/ Pratiquants dont les facultés sont « lentes » et ceux dont les facultés sont « vives »
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4/ Quand sommes-nous effectivement sur le Chemin ?
82
LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA VERITE DU CHEMIN
1/ Les quatre caractéristiques
a- Le chemin
b- La connaissance
c- L’accomplissement
d- La délivrance
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83
83
2/ Les seize caractéristiques englobent tout
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CHAPITRE SIX
LA VERITE DU CHEMIN
La dernière des Nobles Vérités est la Vérité du chemin qui mène à la cessation de la souffrance. Alors
que l’on suit le sentier bouddhique, il est très intéressant de partir des conseils que Sa Sainteté le Dalaï
Lama donne dans son livre « the Four Noble Truths » (page 124).
« Un autre facteur important concerne votre détermination. Vous ne devriez pas imaginer que
tous ces développements peuvent prendre place en l’espace de quelques jours ou de quelques
années. En effet, ils peuvent même prendre plusieurs éons, c’est pourquoi la détermination est
un élément manifestement essentiel. Si vous considérez que vous êtes bouddhiste et que vous
vouliez vraiment pratiquer le Bouddha Dharma, alors, dès le début vous devez prendre la
décision d’agir ainsi jusqu’à la fin sans vous soucier que cela prenne des millions ou des
milliards d’éons.
Après tout, quel est le sens de notre vie ? En soi, il n’y a pas de sens intrinsèque. Cependant, si
nous utilisons cette vie de manière positive, alors les jours, les mois et même les éons peuvent
devenir significatifs. D’un autre côté, si votre vie est gaspillée sans but, alors même un seul
jour paraît trop long. Vous vous rendrez compte qu’une fois que vous aurez une détermination
ferme et un objectif clair, alors le temps sera sans plus d’importance.
Ainsi que Shantidéva l’a écrit dans cette magnifique prière :
« Aussi longtemps que durera l’espace
Aussi longtemps que des êtres demeureront
Puissé-je demeurer, moi aussi
Afin d’éliminer la souffrance du monde. »
Ses paroles me transmettent véritablement une certaine compréhension et elles sont si
inspirantes.
Mon dernier point est que plus vous vous montrez impatient et plus vous souhaitez emprunter
le chemin le plus rapide, le moins coûtant ou le meilleur, plus vous avez de chances d’obtenir
un piètre résultat. Je vous suggère donc de considérer cela comme une approche erronée. »
Je trouve les paroles de Sa Sainteté très encourageantes. En effet, pour chercher un chemin
qui conduit à la libération et à l’Eveil, je pense que nous avons besoin de deux choses : une forte
détermination et, avec cela, un objectif qui soit très clair. Comme nous le savons tous, ce que nous
recherchons est un moyen de lutter contre les émotions perturbatrices qui nous habitent. Or, ces
émotions nous accompagnent depuis le tout début où nous communiquons avec les autres. Par
conséquent, pour travailler sur des émotions aussi profondément enracinées, la détermination n’y suffit
pas. Nous avons également vraiment besoin d’un objectif clair. Il nous faut avoir une idée claire de que
nous cherchons. Sans cela, notre détermination sera vraiment très faible.
Notre objectif doit vraiment être celui de chercher la cessation véritable et complète de nos émotions
perturbatrices – pas seulement de quelques unes, pas seulement à un certain niveau, mais à long
terme et complètement. Notre objectif doit être celui de la cessation véritable, de la destruction
complète de nos tourments, de nos peurs et de notre anxiété. Si c'est ce que nous cherchons, alors le
chemin qui y conduit doit se montrer très efficace. Il doit posséder un tel pouvoir.
1) Quelle sorte de chemin mène à la cessation véritable ?
En bref, le chemin qui nous mène à la cessation complète est le chemin qui nous mène jusqu’à la
racine même de nos problèmes. Pour parvenir jusque là, nous devons, bien entendu, travailler à des
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solutions immédiates, afin de résoudre nos difficultés quotidiennes, mais notre but doit toujours
s’étendre au-delà. Donc, le chemin que nous recherchons doit posséder ce type de qualité –la qualité
de conduire à la cessation véritable et complète.
Encore une fois, selon que l’on suit la tradition Théravada ou la tradition Mahayana, il existe une
différence. Si vous considérez les livres « Les Quatre Nobles Vérités du Bouddha » de S.E. Longri
Namgyal, « L’enseignement du Bouddha » de Walpola Rahula, « the Four Noble Truths » de Sa
Sainteté le Dalaï Lama, et « the Four Noble Truths » du Vénérable Lobsang Gyatso – alors vous verrez
qu’ils disent tous que le Bouddha a affirmé que le chemin qui mène à ce type de cessation complète est
le Noble Chemin Octuple.
Dans « L’enseignement du Bouddha », Rahula a dit que :
« En pratique, l’enseignement du Bouddha dans sa totalité (auquel il s’est lui-même dévoué
durant quarante cinq années) traite, d’une manière ou d’une autre, de ce chemin. Il l’a expliqué
de différentes manières et en termes différents, pour des personnes différentes, en fonction de
leurs niveaux de développement et de leur capacité à le comprendre et à le suivre. Cependant,
on retrouve l’essence de ces milliers de discours qui sont rassemblées dans les écritures
bouddhiques au sein du Noble Chemin Octuple. »
Rahula dit que, bien que le Bouddha ait enseigné de nombreux chemins différents conformément aux
différentes dispositions mentales et en fonction des différents niveaux, nous pouvons regrouper tous
ces chemins différents dans le Noble Chemin Octuple.
Le Noble Chemin Octuple est enseigné dans le soutra des Quatre Nobles Vérités. Dans un autre
soutra, celui de la Prajnaparamita (la Perfection de la Sagesse) qui traite principalement de la vacuité,
on trouve un autre ensemble de chemins : les Cinq Chemins.
Dans « the Four Noble Truths », Sa Sainteté le Dalaï Lama dit, d’après l’explication des Madhyamika,
que le Chemin Véritable devrait être compris en termes de développer la réalisation directe et intuitive
de la vacuité. Il met l’accent sur le fait que c’est ce qui peut véritablement conduire à la cessation
complète de toutes les émotions perturbatrices. Puis il poursuit en disant que :
« C’est parce que la réalisation directe et intuitive de la vacuité mène directement à l’obtention
de la cessation. »
LE NOBLE CHEMIN OCTUPLE ET LES TROIS ENTRAINEMENTS
1/ Les nombreux chemins dans le bouddhisme
A propos du Chemin qui mène à la cessation, la tradition Théravada parle du Noble Chemin
Octuple, alors que la tradition Mahayana parle des Cinq Chemins. Si nous considérons les deux, bien
qu’ils paraissent totalement différents, il n’existe aucune contradiction à mes yeux. Il s’agit seulement de
deux manières différentes d’observer la même chose.
En fait, le bouddhisme comprend de nombreux ensembles tels que ceux là. Sept ensembles comme
ceux là forment les Trente Sept Aspects du Chemin vers l’Eveil. La tradition Théravada décrit ces
aspects du chemin d’une manière très distincte. Dans la tradition Mahayana, ils sont inclus dans les
Cinq Chemins.
Les sept ensembles qui forment les Trente Sept Aspects du Chemin vers l’Eveil sont les suivants :
1/ Les quatre attentions
2/ Les quatre abandons complets
3/ Les quatre facteurs de pouvoirs miraculeux
4/ Les quatre facultés
5/ Les cinq pouvoirs
6/ Les sept branches du chemin vers l’Eveil
7/ le noble chemin octuple
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Par exemple, dans les Trente Sept Aspects du Chemin vers l’Eveil (le premier ensemble) est appelé les
quatre attentions. Dans la tradition Théravada, on met vraiment l’accent sur cette pratique, alors que
dans la tradition Mahayana, elle n’existe pas de façon séparée, mais comme une pratique contenue au
sein des Cinq Chemins. De la même façon, le dernier (le Noble Chemin Octuple) est aussi inclus dans
les Cinq Chemins. Aucun des Trente Sept Aspects du Chemin vers l’Eveil n’est explicite dans les
enseignements mahayana, alors qu’ils le sont chez les théravadins. Néanmoins, si nous examinons
plus en détail les enseignements tels que ceux concernant les Cinq Chemins, nous les y trouverons
tous.
2/ Les trois entraînements : l’éthique, la concentration et la sagesse
Les deux traditions insistent sur le fait qu’il y ait, dans le bouddhisme, trois entraînements :
a- L’éthique (sila)
b- La concentration (samadhi)
c- La sagesse (panna)
La totalité du Noble Chemin Octuple est inclue dans ces trois divisions.
Dans le soutra du Noble Chemin Octuple, il est fait état de : la parole juste, de l’action juste, des
moyens d’existence justes, de l’effort juste, de l’attention juste, de la concentration juste, de la vue juste
et de la pensée juste. (Rahula emploie le terme de compréhension juste au lieu de vue juste, mais dans
la tradition tibétaine, vue juste est plus usitée, indiquant qu’elle se situe du côté de la sagesse). Tel est
le Noble Chemin Octuple. Ces huit points représentent ce que nous pouvons mettre en pratique dans
notre vie quotidienne. Nous pouvons les regrouper dans ces trois entraînements.
Parole juste
Action juste
Moyens d’existence justes
Effort juste
Attention juste
Concentration juste
Vue juste
Pensée juste
Ethique
Concentration
sagesse
a- L’éthique
Le premier entraînement, l’éthique (également appelée conduite éthique ou discipline morale),
est très important. Il est crucial pour développer les deuxième et troisième entraînements (la
concentration et la sagesse). Dans ce sens, il constitue le véritable fondement des deux autres.
Toute culture possède une idée de l’éthique. Chacun de nous a le sentiment de ce qui est moralement
juste ou erroné, même si cela ne nous a pas été inculqué par nos parents ou nos enseignants. La
pratique de l’éthique doit être fondée sur la compassion, et non sur quelque engagement qui nous
oblige, simplement parce que nous sommes bouddhistes et que l’on nous a enseigné de la pratiquer.
Grâce au fait de comprendre la compassion, nous réaliserons combien la conduite éthique est
nécessaire et inversement, à mesure que nous développerons la compassion, l’éthique va apparaître
quasi spontanément.
Comme vous le savez, rien n’est immoral de façon intrinsèque, de son propre côté. On peut
déterminer ce qui est moral et immoral en fonction de comment l’individu communique avec les autres,
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communication qui peut être non seulement directe, mais qui comprend également la façon dont nous
percevons mentalement les autres.
Donc, la conduite morale, c’est-à-dire le fait d’avoir une bonne moralité de vie, n’est pas quelque chose
qui se fait objectivement. On doit posséder quelque compréhension subjective concernant ce qui est
moral et ce qui ne l’est pas.
A cet égard, parler subjectivement de quelque chose comme étant moral ou immoral revient finalement
au fait de savoir si l’on prend ou pas en considération les sentiments des autres, leurs droits ou leurs
pensées. Si tel n’est pas le cas, il devient alors très difficile de déterminer ce qui est moral et ce qui ne
l’est pas.
Par conséquent, c’est la compassion qui fait la différence. En effet, si nous vivons notre vie tout en
tenant compte des sentiments des autres, alors nous la passons tout simplement en nous comportant
d’une manière très morale.
Peut-être qu’au stade initial et en particulier au sein de cette société moderne, des trois entraînements,
c’est l’éthique qui est pour nous le plus pertinent, car c’est à ce niveau là que nous nous méprenons le
plus souvent dans notre vie quotidienne.
Pour vivre dans l’éthique, nous avons besoin d’exercer notre attention : ces deux sont
interdépendantes. Cependant, pour les personnes laïques qui mènent une vie active standard, je pense
que l’accent doit être mis davantage sur la conduite morale, car ce à quoi nous devons faire face
quotidiennement concerne comment vivre notre vie aussi moralement que possible.
J’ai fait état des personnes laïques parce qu’elles ont à s’occuper d’une famille, elles ont des enfants à
élever, elles ont des engagements sociaux à tenir – toutes sortes de choses variées que ceux qui vivent
une vie monastique n’ont pas à s’occuper. Je ne suis pas en train de dire, cependant, que les nonnes et
les moines sont plus capables que les laïques de pratiquer l’éthique, mais ils se trouvent moins
exposés. En fait, il existe davantage d’opportunités pour les personnes laïques de se laisser impliquer
dans des activités inappropriées. Pour nous tous, bien que notre but principal consiste à réaliser la
véritable et parfaite cessation, afin d’y parvenir, il nous faut d’abord faire face aux problèmes immédiats
auxquels nous sommes confrontés.
La conduite morale (ou éthique) est une chose vraiment fondamentale qui ne consiste pas
simplement en quelque chose qu’un maître quelconque nous aurait dit de faire. Ce dont je parle ici
concerne ce que nous considérons être, dans le monde conventionnel, une attitude vertueuse. Un
engagement donné par votre maître, tel que les vœux de pratimoksha, fait partie d’une autre étape. Ici
c’est plus général. Par exemple, tromper quelqu’un, que vous croyiez ou non dans le bouddhisme ou
dans une autre religion, est, en général, considéré comme contraire à l’éthique.
Un moine pleinement ordonné a pris un vœu qui dit qu’il doit éviter de frapper quelqu’un à l’aide d’une
paille. En effet, bien que l’action par elle-même ne fasse pas grand mal, la motivation consiste à vouloir
blesser, c’est pourquoi on considère cela comme dommageable. L’éthique consiste à éviter ce genre de
choses. La conduite éthique devrait être comprise de cette manière, plutôt que comme un simple
engagement que nous avons pris auprès de quelqu’un.
b- La concentration
Il est clair que quelqu’un qui vit sa vie d’une manière très immorale trouvera très difficile de
développer la concentration. Ici, concentration fait davantage référence à l’attention, au calme constant,
à la discipline mentale, etc. Accorder notre esprit à nos souhaits, le centrer et obtenir de la clarté,
revient à parler de concentration et d’attention.
Donc, pour obtenir ce type d’esprit concentré en un point, il est très important de vivre d’une manière
éthique (ou morale). Alors, ayant gagné une certaine stabilité grâce à la pratique de l’éthique, nous
pouvons apprendre à faire quelques méditations très simples de concentration, telles que la méditation
assise. Il existe de nombreuses pratiques simples de concentration, sur lesquelles la tradition
Théravada met l’accent, telles que simplement observer la posture du corps ou la respiration, utilisées
dans le but de développer ces qualités de l’esprit.
72
Ensuite, nous pouvons aller un peu plus loin, en observant non plus seulement notre souffle et notre
posture corporelle, mais en apportant davantage de clarté et de durée à notre concentration. Nous
pouvons alors étendre doucement notre méditation, tout en nous assurant simultanément que la clarté
et la netteté sont toujours présentes et que nous demeurons encore concentrés sur notre objet. Il existe
de nombreux modes d’approches que nous pouvons apprendre pour arriver à ce type d’état d’esprit. Il
existe, par exemple, dans les deux traditions, une technique pour développer le calme mental (ou
shamata). Sur la base de ces techniques, nous pouvons cultiver une concentration et une attention de
très grande qualité.
c- La sagesse
La sagesse consiste dans la compréhension de l’impermanence. C’est la compréhension de la réalité.
Cependant, une fois encore, développer ce type de sagesse dépend en grande partie du fait d’avoir
maîtrisé le deuxième entraînement : la concentration. Sans cela, il s’avère difficile d’obtenir la sagesse.
La sagesse provient de l’attention et de la concentration.
La sagesse croît à mesure que l’on gagne en connaissance et que l’on dissipe les concepts erronés.
Donc, pour acquérir une sagesse vraiment grande, nous avons besoin à la base d’une bonne
compréhension des phénomènes, tels que la loi de cause à effet.
Bien entendu, les trois entraînements sont interdépendants. Afin d’avoir la sagesse, nous avons
besoin de la concentration ; pour avoir la concentration, il nous faut l’éthique. Mais pour développer
l’éthique, une certaine somme de sagesse et de concentration sont aussi nécessaires. Nous n’avons
pas à parfaire le premier entraînement avant d’entreprendre le deuxième. En fait, on doit les développer
ensemble, bien qu’il y ait un ordre à suivre en fonction de l’accent que l’on met sur chacun d’entre eux.
Si vous observez la roue bouddhique du Dharma (ou Dharmachakra), l’anneau central autour du moyeu
représente la conduite éthique. Il figure que l’éthique est le fondement de tout l’ensemble. Les huit
rayons représentent la sagesse et le bord externe symbolise la concentration qui tient la sagesse qui
tient elle-même tout l’ensemble.
Il est bien entendu qu’avoir la vue juste nous aiderait énormément à comprendre pourquoi nous devons
éviter de mentir et de faire toutes ces sortes de choses. Mais je pense que cela prendra trop de temps
avant de se produire. Or, c’est maintenant que nous avons besoin d’éthique. C’est maintenant qu’elle
peut réellement nous aider. C’est la chose fondamentale que nous avons la chance de pouvoir pratiquer
tout le temps et qui produit un résultat dès lors que nous la mettons en pratique. Donc, une fois que l’on
fait ce qu’il faut pour préserver purement une conduite éthique élémentaire, on doit ensuite voir si l’on
est capable d’aller un peu plus loin.
Par exemple, si vous êtes fumeur ou que vous buvez beaucoup, garder les huit préceptes du Mahayana
pour vingt-quatre heures représente un véritable défi. Mais, si vous y parvenez et constatez qu’il y a des
résultats, alors vous vous sentirez inspiré pour franchir un nouveau cap et garder votre conduite éthique
un peu plus longtemps.
3) L’éthique : la parole juste, l’action juste et les moyens d’existence justes
Parole juste
Action juste
Moyens d’existence justes
éthique
Les trois premiers aspects du Noble Chemin octuple – parole juste, action juste et moyens d’existence
justes – font partie du premier entraînement : l’éthique.
Il ne fait aucun doute que vivre avec éthique tout en pratiquant ces trois aspects nous donnera le
fondement nécessaire pour faire d’autres pratiques. Sans cela, en vivant notre vie sans aucune
discipline, il est très difficile de développer la concentration et la sagesse.
73
Quelles que soient les pratiques que nous voulons faire, de la plus élémentaire jusqu’au plus haut
niveau de tantra, si nous ne vivons pas notre vie en nous appliquant à la parole juste, à l’action juste et
aux moyens d’existence justes, alors il devient très difficile de trouver les moyens d’approches ou les
techniques dont nous avons besoin pour développer un chemin qui nous conduira à la cessation. Même
si nous pratiquons la méthode de visualisation la plus sophistiquée qui soit ou la méditation
correspondant au plus haut niveau de tantra, nous n’y parviendrons pas.
a- La parole juste
La parole juste signifie comprendre les conséquences de ce que nous disons et de comment nous le
disons. La parole est l’un de nos principaux outils de communication. A travers elle, nous exprimons nos
pensées aux autres, c’est pourquoi le fait d’avoir la parole juste est une pratique vraiment importante.
Traditionnellement, dans le bouddhisme, des dix non-vertus, quatre sont relatives à la parole :
- dire des mensonges
- dire des paroles qui sèment la discorde
- tenir des propos blessants
- les bavardages
Il nous faut abandonner ces quatre modes d’expression pour pratiquer la parole juste. Il est très utile de
les examiner et d’exercer notre attention afin de ne pas s’y engager. Ces quatre non-vertus reviennent
toutes à blesser les autres. Dire des mensonges, par exemple, est négatif à cause de l’effet produit sur
les personnes auxquelles ils sont adressés. C’est une non-vertu parce que cela peut blesser les autres
et leur causer des problèmes.
b- L’action juste
L’action juste concerne les activités du corps. C’est le fait d’éviter les actions négatives, commises au
moyen de notre corps, qui causent directement du tort aux autres.
On considère traditionnellement trois de ces non-vertus :
- tuer
- voler
- l’inconduite sexuelle
De toutes, tuer constitue la plus grande non-vertu parce que prendre la vie de quelqu’un est
l’action la plus nuisible que nous puissions faire. La vie est la chose la plus précieuse pour tout un
chacun.
Une personne peut aimer sa maison ou ses autres possessions, cependant, sa vie est la chose la plus
précieuse qu’elle possède. C’est la dernière chose dont un être veut être séparé, c’est pourquoi prendre
sa vie est une action vraiment très négative. Le fait de tuer s’applique à toutes sortes d’êtres et pas
seulement aux seuls humains. Bien que la majorité d’entre nous ne commettrait jamais un tel acte
destructeur, même nuire au corps d’autrui va dans ce sens, donc, nous devons aussi abandonner cela.
La deuxième non-vertu du corps est le vol. Commettre un tel acte physique, prendre sans leur
consentement des objets appartenant à d’autres, que leur valeur soit infime ou grande, cause des
problèmes aux autres. Nous devons donc abandonner le vol.
L’inconduite sexuelle signifie, fondamentalement, nuire à quelqu’un par l’intermédiaire du sexe.
Il est fréquent dans nos vies quotidiennes que l’inconduite sexuelle provoquent de grands préjudices
d’ordre émotionnel aux autres, autant qu’à nous-mêmes.
c- Les moyens d’existence justes
De manière identique, les moyens d’existence justes représentent une chose très importante. Pour
vivre, nous devons gagner un salaire, en particulier dans ce type de monde très compétitif. J’ai pu
évalué combien il est important d’essayer de vivre une vie où notre travail est un moyen d’existence
juste. Le travail que nous faisons pour gagner notre vie doit être aussi pur que possible – pur au sens
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où nous obtenons les choses dont nous avons besoin pour vivre sans nuire consciemment aux autres,
sans les tromper consciemment, sans détruire consciemment leur vie.
Il se peut que dans certaines situations cela s’avère impossible – il est très difficile, même dans un
métier simple, de se rendre compte des effets sur les autres. Même en essayant d’éviter de nuire aux
autres, cela peut néanmoins se produire. C’est parfois inévitable. Par exemple, le fait de manger des
légumes semble moins nuisible que de manger de la viande. Pourtant, les fermiers utilisent des produits
chimiques pour faire pousser les légumes qui tuent les insectes et les oiseaux.
Si nous pouvons éviter de nuire aux autres, faisons le. Si ce n’est pas possible, alors, essayons de
nuire le moins possible. Etre soucieux de telles choses représente une part importante de notre
pratique.
J’ai parlé récemment à une dame qui est vraiment honnête. Elle était au chômage depuis deux ans et
avait postulé pour un emploi. Elle s’est rendu compte que si elle répondait honnêtement à certaines
questions qu’on lui posait, elle n’aurait pas le poste, alors que si elle se montrait légèrement
malhonnête, elle avait une chance. Cet emploi représentait beaucoup à ses yeux. Elle était vraiment
inquiète et me demanda conseil.
Je ne savais pas comment l’aider. Les choses sont rarement toutes blanches ou toutes noires. Elle
devait analyser ce qui serait globalement le plus bénéfique, alors peut-être se devrait-elle de répondre
aux questions de la façon qui lui permettrait d’obtenir le poste. D’un autre côté, peut-être que le fait de
rester strictement honnête s’avèrerait la meilleure chose à long terme.
Des moyens d’existence justes ne signifient pas nécessairement que tout ce que nous faisons pour
gagner notre vie doit être précis et scrupuleusement droit quelles que soient les circonstances. Parfois,
nous devons inévitablement prendre des décisions difficiles. Cependant, en prêtant consciemment
attention à la façon dont nous vivons et à ce que nous devons faire pour développer notre spiritualité,
alors quoi que nous fassions pourra être qualifié de moyens d’existences justes.
Lorsque Rahula discute des moyens d’existence justes, il parle de s’abstenir de gagner sa vie d’une
quelconque manière qui puisse nuire à autrui. L’exemple qu’il donne est de vendre des armes. Bien sûr,
nous ne sommes pas mêlés à ces grosses affaires de vente d’armes à l’Irak ou à d’autres contrées
semblables, par exemple, mais nous nuisons néanmoins aux autres à travers de nombreuses petites
choses.
Il nous faut bien vivre et nous avons besoin de choses matérielles pour survivre, mais nous pouvons les
obtenir sans employer de moyens erronés. Le fait est que, même si notre sentiment est de ne rien faire
de mal tandis que nos moyens d’existence sont, ne serait-ce que très légèrement immoraux, alors,
même si nous ne ressentons consciemment aucune nuisance, quelque chose se passe néanmoins au
niveau de notre inconscient. Or, cet état mental perturbera continuellement notre esprit.
Ces trois points : les moyens d’existence justes, la parole juste et l’action juste, sont des pratiques très
importantes qui ont la capacité véritable d’asseoir le fondement de notre cheminement vers la libération.
Ces trois points sont, en ce qui concerne les trois entraînements, liés aux aspects de l’éthique (ou
moralité).
4) La concentration : l’effort juste, l’attention juste et la concentration juste
Effort juste
Attention juste
Concentration juste
Concentration
L’effort juste, l’attention juste et la concentration juste sont classés dans le Noble Chemin Octuple avec
la concentration (ou discipline mentale). Vivre une vie morale sur la base de ces trois points,
particulièrement l’attention juste, représente le facteur clé dans le développement de la concentration.
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a- L’effort juste
Pour développer l’attention juste, nous avons besoin de l’effort juste. Pour nous qui sommes des
débutants, même apprendre une technique simple et persévérer s’avère parfois chose très difficile, c’est
pourquoi nous avons besoin de l’effort juste pour obtenir la stabilité nécessaire pour développer ces
types de pratiques.
L’effort juste peut s’employer de diverses manières. Cependant, si nous prenons l’exemple de
l’attention, bien que cette technique soit très simple en soi, du fait de nos habitudes, elle ne se produit
pas instantanément. Notre esprit est tout le temps dispersé, même pendant notre sommeil. Donc,
lorsque nous essayons de développer l’attention, c’est très difficile. C’est pourquoi nous avons besoin
de l’effort juste, ou nous échouerons.
On appelle parfois cette pratique l’effort joyeux. La joie est nécessaire pour cela, une joie authentique et
sincère qui nous vient du cœur. Pour se faire, nous devons connaître le but et nous avons besoin de
connaître quel sera le résultat.
Dans tout développement spirituel, tel que l’abandon des non-vertus, nous avons besoin de
l’effort juste, non seulement pour nous réfréner de telles actions, mais également pour renforcer notre
attitude de ne pas nuire. Bien que dans ce contexte l’effort juste soit intégré à l’entraînement de la
concentration, il peut aussi s’allier à toutes nos pratiques.
b- L’attention juste
Dans la tradition Théravada, l’accent est mis très fortement sur la pratique de l’attention. J’ai réalisé que
c’est une méthode très puissante dont nous avons vraiment besoin dans notre vie quotidienne. En fait,
pour pratiquer la parole juste, l’action juste et les moyens d’existence justes, nous avons besoin de
l’attention juste. Sans cela, nous commettrons tellement d’erreurs.
Cependant, dans la mesure où l’attention juste consiste seulement à observer ce qui se passe dans
notre quotidien, je ne suis pas vraiment certain que le fait de pratiquer uniquement cela puisse nous
conduire vers notre objectif principal : l’atteinte de la cessation complète. Je ne sais pas dans quelle
mesure le simple fait d’observer peut se montrer efficace pour venir à bout de nos émotions
perturbatrices.
Cela dit, l’attention juste est vraiment importante car il est vital de se rendre compte de ce qui
se passe dans notre esprit. Il existe de nombreuses méthodes pour développer une attention de base
simple, telles que, à un stade initial, celle d’apprendre comment intégrer notre esprit à notre corps.
Ainsi, nous amenons notre esprit dispersé au point où nous pouvons ressentir que nous sommes ici,
dans notre corps, à ce moment présent. Cette technique est vraiment simple.
A partir de là, nous avons besoin d’apprendre comment faire durer cette constance et de là,
nous développons une certaine clarté où l’esprit est moins obscurci, moins confus. Nous pouvons le
faire en observant simplement notre attitude corporelle, sans lui donner de nom s– bien, pas bien,
douleur, plaisir – mais juste en étant avec notre corps. Nous pouvons, parfois, simplement nous
concentrer sur notre respiration, en compter les cycles, utiliser cette technique simple pour développer
notre concentration.
c- La concentration juste
La concentration juste fait référence à l’esprit concentré en un point. Nous avons besoin de cette
conscience. Sur cette base, quoique nous fassions sera efficace et concentré. Sans cela, même si nous
faisons une méditation sur la compassion, elle ne sera pas concentrée. Il est également évident que,
pour méditer sur le non-soi, il nous faut avoir l’esprit concentré en un point. Avec l’esprit concentré en
un point, il ne fait aucun doute qu’il y aura un résultat. Autrement, cela prendra vraiment très, très
longtemps. Donc, la concentration est extrêmement importante.
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Il existe de nombreuses méthodes différentes pour développer la concentration. Dans la tradition
tibétaine, nous avons la pratique de shiné (shamata en sanskrit). Mais l’expliquer en détail ici
demanderait tout un livre !
5) La sagesse : la vue juste et la pensée juste
Vue juste
Pensée juste
sagesse
Les deux derniers points du Noble Chemin Octuple : la vue juste et la pensée juste, font référence au
développement de la sagesse.
a- La vue juste
On peut distinguer trois niveaux de vue juste. Un niveau élémentaire de vue juste ressortant simplement
du bon sens, consiste à voir les choses qui sont bien, qui sont bonnes à faire, telles que croire dans la
loi de causalité. Même sans comprendre véritablement, il s’avère cependant bénéfique d’avoir foi en le
Bouddha et en d’autres grands maîtres qui ont enseigné que suivre la loi de causalité est une bonne
chose à faire.
Détenir ce type de vue revient à avoir une notion de base de ce qu’est le samsara, du fait que
nous sommes dans le samsara à cause des perturbations et du karma et que si nous ne faisons rien à
l’encontre de ces deux états de fait, nous vivrons dans ces conditions pour toujours. Bien qu’une
personne puisse ne pas avoir de compréhension claire, dans la mesure où elle croit de grands maîtres,
cela peut constituer une vue juste de base.
Ensuite, on peut progresser au delà de cette vue fondée sur la confiance accordée aux maîtres,
en développant véritablement par soi-même une certaine compréhension : en étudiant, par exemple, les
Quatre Nobles Vérités et à partir de là, en acquérant vraiment une certaine vue de la loi de causalité.
Détenir ce type de vue peut être une vue juste, comme peut l’être le fait d’avoir une certaine
compréhension des niveaux les moins subtils du non-soi (ressentir, par exemple, qu’il n’existe aucune
personne véritable existant de manière complètement séparée de ses agrégats) ou que toutes les
choses contaminées n’entraînent que de la souffrance. C’est une vue juste, du deuxième niveau, une
vue juste de niveau intermédiaire.
La vue juste la plus subtile consiste à détenir la vue que tous les phénomènes et les
événements sont vides d’existence intrinsèque. Il n’y a pas le moindre phénomène dont l’existence ne
dépende des autres. « Autres », dans ce contexte, ne se réfère pas nécessairement à une personne : il
peut également s’agir d’un concept ou d’un nom.
Ce type de vue ou de pensée peut constituer soit une vue juste, soit une pensée juste, cela dépend du
processus en cours.
b- La pensée juste
La pensée juste concerne également la compréhension de la vacuité. Par conséquent, quelle est la
différence ? Je pense que cela a à voir avec le processus. Ainsi que Sa Sainteté le Dalaï Lama le dit, la
réalisation intuitive de la vacuité découle de la compréhension conceptuelle. Le processus va du
rationnel à l’intuitif.
Je souhaiterai donc placer dans cet ordre : la pensée juste, puis la vue juste. La pensée juste constitue
la première phase du processus qui permet d’acquérir une compréhension conceptuelle de la vacuité,
alors que la vue juste qui découle de là, constitue la réalisation intuitive de la vacuité.
Rahula procède avec une légère différence. Dans « L’enseignement du Bouddha » (page 73), il dit que :
« La pensée juste concerne les pensées de renoncement, de détachement non-égoïste, les
pensées d’amour et de non-violence, qui s’étendent à tous les êtres. »
77
Cette explication de la pensée juste est très bien décrite du côté de l’amour et de la compassion. Il
décrit la vue juste (qu’il appelle la compréhension juste) comme la compréhension des choses telles
qu’elles sont et dit que l’on trouve cela dans les Quatre Nobles Vérités.
Par conséquent, la compréhension juste est, en définitive, réduite à la compréhension des Quatre
Nobles Vérités. Cette compréhension est la sagesse la plus grande qui perçoit la réalité ultime. Donc, si
j’interprète cela du point de vue du bouddhisme mahayana, la compréhension juste (ou la vue juste) est
la compréhension de la vacuité.
Cette réalisation est également appelée la vue juste parce qu’elle est libre des deux extrêmes que sont
le nihilisme et l’éternalisme. Nous en reparlerons quand nous aborderons la vacuité, mais je vais
cependant en dire quelques mots tout de suite.
6) Nihilisme et éternalisme
Avoir une vue correcte de la réalité requiert une grande compréhension rationnelle, car autrement, nous
pouvons très aisément tomber dans l’un ou l’autre de ces extrêmes. Le premier extrême est le nihilisme
qui croit que rien n’existe en réalité. Bien que de nombreuses choses se produisent autour de moi, elles
ne sont que mes illusions. Il n’y a rien à quoi se fier. Si vous tomber dans ce type de vue, c’est d’un plus
grand danger que le scepticisme car, dans la mesure où votre vue de ce qui existe devient de plus en
plus subtile, en fin de compte, il ne reste plus rien à quoi vous fier et vous commencez à voir que tout
n’est qu’illusion. Il est possible, même pour des personnes très érudites, très instruites, de nourrir de
telles vues.
D’autre part, l’éternalisme consiste à avoir une croyance très ferme dans le fait qu’il existe
quelque chose qui reste éternellement immuable, sans dépendre d’autres choses : quelque chose qui
est toujours là de son propre côté. Immuable signifie exister sans dépendre de quoique ce soit d’autre.
Les personnes qui tombent dans cet autre extrême ne possèdent, en général, que peu de
connaissances ; elles peuvent être très superstitieuses.
Entre ces deux extrêmes, il existe de nombreux niveaux différents. Tracer la ligne du chemin du
milieu, se garder de tomber dans l’un ou l’autre des extrêmes est délicat et requiert une compréhension
très subtile. Par conséquent, avoir la vue juste nécessite de nombreuses explications rationnelles, et
peu d’implication émotionnelle.
Même quand les gens ont la vue juste, ils peuvent encore éprouver des difficultés à la rattacher
au monde extérieur. L’analogie consiste à porter des lunettes de soleil alors que l’on se rend sur une
montagne enneigée. Dans notre esprit, nous savons que les montagnes sont blanches. C’est certain.
Rationnellement, elles sont blanches. Cependant, ce que nous voyons, du fait des lunettes de soleil, est
de la couleur des verres, brun, vert ou peut-être jaune. Nous ne voyons jamais du blanc.
Ce processus qui consiste à développer la vue juste qui voit vraiment tout tel qu’il est, est un
processus très difficile qui demande beaucoup de temps.
LES CINQ CHEMINS
1) Les Cinq Chemins
Si vous demandez à un maître théravadin d’enseigner la dernière Noble Vérité, il utilisera, pour ce faire,
le Noble Chemin Octuple. Si vous demandez à un maître tibétain, il entrera immédiatement dans le vif
du sujet : les Cinq Chemins.
Les Cinq Chemins sont les suivants :
a- Le Chemin de l’Accumulation
b- Le Chemin de la Préparation
c- Le Chemin de la Vision
d- Le Chemin de la Méditation
e- Le Chemin au delà de l’Apprentissage
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On les place dans cet ordre, dans la tradition tibétaine, parce que cette liste montre le
processus exact par où passer. Le Noble Chemin Octuple ressemble à ces sujets que l’on peut étudier
à l’université et les Cinq Chemins représentent, dans ce cas, les différents niveaux de cette étude
(baccalauréat, maîtrise, doctorat). Selon moi, la seule différence entre ces deux présentations de la
Vérité du Chemin consiste dans ce que le Noble Chemin Octuple est principalement exposé d’un point
de vue substantiel, tel que : « nous avons besoin de la Vue Juste, nous avons besoin de l’Effort Juste,
etc. » En revanche, si nous considérons les Cinq Chemins, tels qu’ils sont présentés dans les
enseignements mahayana, alors la présentation part du processus à travers lequel nous devons passer
pour atteindre la libération ou l’Eveil. Pour cela, nous devons progresser pas à pas.
Cela semble vraiment différent et de nombreuses personnes m’ont demandé pourquoi, dans le
bouddhisme tibétain, le Noble Chemin Octuple n’est pas exposé comme faisant partie des Quatre
Nobles Vérités. Pourtant, selon moi, il n’existe aucune différence en dehors de la façon dont ils sont
présentés. Dans la tradition Mahayana, lorsque l’on présente le Chemin qui mène à la cessation de la
souffrance (dans le contexte des Cinq Chemins), le Noble Chemin Octuple est compris dedans. Comme
nous l’avons vu avec les Trente Sept Pratiques, la dernière est le Noble Chemin Octuple. C’est la
substance et les Cinq Chemins représentent le processus. Sur le premier Chemin : le Chemin de
l’Accumulation, nous devons faire telle et telle chose qui nous conduisent au deuxième Chemin : le
Chemin de la Préparation et ainsi de suite.
Donc, il n’existe à mes yeux aucune contradiction dans les différentes manières de les lister. On
peut, soit inclure le Noble Chemin Octuple dans les trois entraînements (de l’éthique, de la
concentration et de la sagesse), et le voir comme un moyen pour développer ces trois entraînements,
ou alors, en fonction de notre manière de procéder, on peut discuter de ces huit pratiques différentes en
tant qu’elles nous montrent les différentes étapes par chacune desquelles nous devons passer. Cela
constitue alors les Cinq Chemins.
a- Le Chemin de l’Accumulation
Le premier Chemin est celui de l’Accumulation. Dans ce contexte, « accumulation » est expliqué
comme le fait de collecter l’information juste (pas seulement dans la tête), mais aussi de développer des
qualités telles que l’attention. Nous devons comprendre quelles sont les bonnes choses que nous
devons « accumuler » et, bien sûr, quelles sont les choses erronées que nous devons éviter. Pour cela,
référons-nous à ce que nous avons vu concernant le Noble Chemin Octuple. De plus, ce n’est pas
seulement ce que nous devons accumuler, mais aussi comment développer les aptitudes à le faire.
Nous devons collecter le nécessaire de base pour notre voyage vers la libération et l’Eveil, tel
que le renoncement ou la détermination à nous libérer du samsara, et de la compréhension de
l’impermanence, pas nécessairement à un niveau intuitif qui viendra au stade ultérieur, mais à un
niveau conceptuel, et avoir shiné (shamata ou le calme mental). Réunir ensemble – « accumuler » –
les réalisations de base, principalement à un niveau très conceptuel.
D’abord, nous voyons ce qu’il est nécessaire de développer, puis nous approfondissons plus en
détail – nous « accumulons » l’information nécessaire et les compétences requises au niveau
conceptuel. En même temps, nous accumulons de très nombreux mérites.
b- Le Chemin de la Préparation
Ensuite, quand nous avons suffisamment d’informations, alors que nous contemplons tranquillement,
nous nous préparons à aller au delà d’une compréhension conceptuelle du sujet, ce qui constitue le
Chemin de la Préparation. Cela signifie que nous sommes à présent prêts à réaliser directement la
vacuité et l’impermanence, à un niveau intuitif.
Nous avons déjà une compréhension de l’impermanence à un niveau conceptuel. Nous
possédons également l’union du calme mental et de la vue pénétrante sur la vacuité. La
« préparation », dans ce contexte, consiste à affermir encore et encore cette compréhension
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conceptuelle. Cette répétition va déboucher sur la compréhension de l’impermanence et de la vacuité à
un niveau intuitif.
Sur le Chemin de la Préparation, qui est l’union du calme mental et de la vue pénétrante qui
réalise la vacuité, cette réalisation signifie vraiment l’abandon de notre compréhension très intellectuelle
erronée de la réalité des choses et des événements. Ce Chemin lutte principalement contre cette vue
intellectuelle erronée.
A ce stade, il s’agit encore de notre esprit conceptuel qui réalise la vacuité, à travers le
raisonnement ou autre. Pendant cette période, entre l’objet (la vacuité) et le sujet (l’esprit conceptuel), il
existe encore quelques obscurcissements au fait de voir la vacuité directement. La pratique principale,
sur le Chemin de la Préparation, consiste à méditer encore et encore sur l’union du calme mental et de
la vue pénétrante sur la vacuité, jusqu’à ce que la réalisation devienne directe.
c- Le Chemin de la Vision
Lorsque nous nous préparons en méditant encore et encore sur la vacuité, nous développons un esprit
qui va finalement la réaliser directement. Cela va nous amener à voir directement la vacuité, ce qui
constitue le troisième Chemin : le Chemin de la Vision. Lorsque nous en sommes à ce stade, nous
pouvons estimer que nous sommes un arya, parce que nous possédons la réalisation directe de la
vacuité.
Pendant ce troisième Chemin, cette réalisation directe de la vacuité constitue le véritable
antidote pour éliminer les graines de nos vues intellectuelles erronées. A l’aide de cette réalisation,
nous faisons tous nos efforts pour abandonner, non seulement la vue intellectuelle erronée elle-même,
mais aussi ses graines.
Dès lors que nous éradiquons la vue intellectuelle erronée ainsi que ses empreintes en
réalisant la vacuité directement, nous nous avançons en direction de l’étape suivante qui consiste à
commencer à abandonner la notion erronée innée de la réalité des choses et des événements, ainsi
que les graines de ces vues erronées innées. Cela nous conduit alors sur le quatrième Chemin : le
Chemin de la Méditation.
d- Le Chemin de la Méditation
Avoir la réalisation directe de la vacuité n’est cependant pas suffisant. Pour éliminer toutes les
perturbations subtiles jusqu’à l’Eveil complet, telles que les empreintes des tendances des perturbations
innées, nous avons besoin de la réalisation directe constante de la vacuité. Nous méditons
constamment sur la réalisation directe de la vacuité, d’instant en instant. A ce stade, nous n’avons plus
de saisie grossière du soi, ni aucune vue erronée, mais il reste, cependant, ces empreintes des
perturbations innées.
Donc, voyez-vous, la méditation, ici, ne devrait pas seulement être comprise au sens où nous
l’entendons normalement : elle est beaucoup plus avancée. Par la répétition de la méditation
conceptuelle, nous avons obtenu une compréhension intuitive de la vacuité, mais il est nécessaire de
renouveler encore et encore cette méditation, jusqu’à ce que les empreintes des perturbations innées
aient complètement cessé. C’est ce que l’on appelle le Chemin de la Méditation.
e- Le Chemin de l’au delà de l’Apprentissage
Grâce à cette méditation constante, même ces empreintes vont être éradiquées. Alors, l’au delà de
l’apprentissage est atteint : « au delà de l’apprentissage » au sens où il n’existe plus aucune
perturbation. Notre réalisation est alors complètement libre de toutes perturbations.
Lorsque toutes les perturbations subtiles sont éliminées, leurs empreintes ne sont plus. « Au delà de
l’apprentissage » et « Eveil » sont une même chose. L’au delà de l’apprentissage décrit des fonctions,
alors que l’Eveil décrit l’état à atteindre.
Lorsque nous parlons de la réalisation intuitive de la vacuité, nous nous situons, de fait, du côté
de la sagesse. Nous pouvons alors nous rendre compte combien l’approfondissement de notre
80
compréhension conceptuelle peut conduire à une compréhension intuitive de l’aspect de la sagesse.
Mais qu’en est-il du côté de la méthode ? A quel moment le côté émotionnel de la pratique va-t-il
devenir intuitif (ou direct) ? C’est une question importante lors des débats dans les monastères. De
nombreux grands maîtres pensent que notre compassion altruiste, c’est-à-dire le côté émotionnel de
notre pratique, ne devient directe qu’au moment où nous atteignons le dernier Chemin, au delà de
l’Apprentissage.
2) La différence entre un pratiquant du véhicule de libération individuelle et un pratiquant du
véhicule des Bodhisattva
Ainsi que je l’ai déjà mentionné, il existe une différence d’approche fondamentale entre le pratiquant qui
suit le chemin de libération individuelle et celui qui suit le chemin qui mène à l’Eveil : le véhicule des
Bodhisattva.
Les deux pratiquants doivent cheminer selon le même processus des Cinq Chemins de
l’Accumulation, de la Préparation, de la Vision, de la Méditation et au delà de l’Apprentissage, mais
cependant, la différence essentielle se situe au dernier stade : celui au delà de l’Apprentissage. Sur le
Chemin individuel, ce terme évoque le fait que les pratiquants ont réalisé la libération du samsara. Une
fois qu’ils ont atteint ce stade, il n’y a plus rien à apprendre.
Donc, quelle est la différence ? Les deux types de pratiquants ont besoin de l’aspect de la
sagesse, ils ont tous deux besoin d’avoir réalisé directement la vacuité. Jusqu’à ce point, il n’est guère
de différence.
La différence réside dans la pratique du côté de la méthode. Le pratiquant individuel n’a pas
besoin de bodhicitta pour atteindre l’au delà de l’Apprentissage, dont les écritures disent qu’il peut être
atteint en l’espace de plusieurs vies. La pratique d’un pratiquant du véhicule des bodhisattva consiste,
quant à elle, à développer bodhicitta. Cela peut nécessiter des éons. Vous pouvez donc voir combien il
est difficile de détruire notre esprit d’auto-chérissement. Je ne suis pas en train de dire que les
pratiquants du véhicule de libération individuelle possède la saisie du soi, mais qu’ils ne travaillent pas
vraiment sur l’esprit d’auto-chérissement.
Les pratiquants du véhicule des bodhisattva essaient de développer un esprit qui chérit à
égalité soi-même et les autres, où il n’existe plus de différence entre soi-même et les autres. Si je
souhaite obtenir la libération, pourquoi en serait-il autrement pour les autres ? Dans le véhicule de
libération individuelle, ils se sentent concernés par les problèmes des autres, mais ils ne prennent pas
la responsabilité de les aider ni de les servir. Ils ne considèrent pas vraiment de la même façon le fait
que s’ils désirent la libération, les autres aussi la souhaitent. Parfois, ils repoussent consciemment et
délibérément cette responsabilité.
Il existe de nombreux niveaux différents d’auto-chérissement. On ne peut en aucun cas
comparer l’esprit d’auto-chérissement de pratiquants authentiques du Chemin de libération individuelle
avec l’esprit d’auto-chérissement que nous possédons à l’heure actuelle. Notre esprit d’autochérissement est si grossier, alors que le leur peut revêtir, au stade final, sa forme la plus subtile.
En fait, si vous êtes une personne très avisée, alors votre auto-chérissement peut devenir un
auto-chérissement utile. Si vous vous chérissez habilement, alors cet auto-chérissement ne causera
pas le moindre problème. Dans un certain sens, les pratiquants du véhicule des bodhisattva ont bien de
l’auto-chérissement, mais un auto-chérissement vraiment habile. La responsabilité qui les engage vis à
vis des autres devient une source de bonheur, pour eux-mêmes autant que pour autrui. Cela procure
du bonheur à chacun. Si vous servez les autres, cela vous apportera du bonheur à vous-même.
Parvenir au bonheur n’est pas vraiment la motivation, mais cela fonctionne dans ce sens. Il s’agit donc
d’une façon habile de se chérir. La méthode malhabile de se chérir soi-même consiste à toujours se
mettre en avant, en négligeant les autres.
La saisie du soi est toujours négative, toujours une vue fausse, parce nous avons le sentiment
que notre identité existe de son propre côté.
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Où se fait vraiment la séparation entre les deux types de pratiquants ? Pour atteindre le
commencement du Chemin de l’Accumulation, les deux types de pratiquants ont besoin de la
détermination spontanée de se libérer soi-même du samsara, mais un pratiquant du véhicule des
bodhisattva nécessite également une ferme détermination de réaliser la bodhicitta authentique, en vue
d’atteindre l’Eveil parfait pour le bien de tous les êtres sensibles. Ce type de sentiment doit apparaître
spontanément.
Une bodhicitta pleinement développée constitue le minimum requis pour accéder au chemin
des bodhisattva. Lors d’une initiation tantrique, un grand lama donnera habituellement les vœux de
bodhisattva, transmettant ainsi aux gens la bodhicitta d’aspiration. Pour nous, cela fait partie de la
cérémonie, c’est quelque chose à quoi nous aspirons pour plus tard. Mais ici, il s’agit de l’esprit véritable
(de bodhicitta).
3) Pratiquants dont les facultés sont « lentes » et ceux dont les facultés sont « vives ».
En plus de la compréhension de la vacuité qui est, bien sûr, nécessaire, il existe deux manières
distinctes d’approcher bodhicitta. L’une est plutôt intellectuelle, mais cependant sincère. Il ne s’agit pas
d’un esprit de type universitaire mais d’une compréhension quelque peu intellectuelle, associée à un
désir sincère de pratiquer. L’autre vient du côté émotionnel. Il s’agit du simple sentiment de vouloir aider
les autres, mais qui n’est pas motivé par une compréhension intellectuelle.
Dans les Ecritures, ces deux types sont appelés « vif » et « lent ». Il ne convient peut être pas
vraiment de parler de « lent », mais c’est employé, dans ce contexte, pour ceux dont le moyen
d’approche n’est pas intellectuel mais qui souhaitent sincèrement pratiquer dans le but d’aider les
autres.
Les personnes aux facultés « vives » développent bodhicitta grâce à la compréhension de
l’asservissement au samsara, de la saisie du soi, de l’auto-chérissement, et de telles choses. Alors,
comprenant intellectuellement que bodhicitta doit être développée, ils la développent.
Ils essaient de comprendre pourquoi tous ces problèmes se produisent, pourquoi les êtres souffrent et,
à partir de cette analyse intellectuelle, ils découvrent que l’erreur que font les êtres est liée à la saisie du
soi : la vue fausse ultime. Cela signifie qu’ils comprennent la vacuité. Grâce à cela, ils développent
bodhicitta. Dès lors qu’ils ont développé la bodhicitta authentique, ils entrent sur le Chemin de
l’Accumulation.
En revanche, ceux qui ne sont pas très intellectuels ne cherchent pas tellement les causes de
toutes les souffrances, mais ils se rendent compte qu’ils doivent prendre cette responsabilité vis à vis
des êtres, car les autres souffrent de la même façon qu’ils souffrent eux-mêmes. Alors, par leur
pratique, ils développent bodhicitta, sans vraiment comprendre la vacuité. Ils entrent dès lors sur le
premier Chemin et progressent jusqu’à la compréhension de la vacuité.
4) Quand sommes-nous effectivement sur le Chemin ?
Quand sommes-nous vraiment sur le Chemin ? Lama Tsong Khapa dit très clairement qu’une personne
qui a une détermination spontanée de se libérer du samsara se trouve sur le Chemin de l’Accumulation.
C’est la délimitation que nous pouvons établir. Tant que vous n’avez pas un désir puissant et spontané
de vous libérer du samsara, peu importe la connaissance que vous détenez, vous ne pouvez prétendre
vous trouver sur le Chemin. Pour le pratiquant sur le Chemin du véhicule des bodhisattva, cependant,
cette démarcation consiste dans la réalisation de la bodhicitta authentique.
De nombreux enseignements bouddhiques traitent du fait de trancher le désir, mais ici, ce que
je suis en train de vous dire est qu’il vous est nécessaire d’avoir un désir fort de vous libérer du
samsara. Est-ce qu’il y a une contradiction ? Je ne le pense pas : le désir peut être, soit positif, soit
négatif. Je dirai même donc que le désir de se libérer du samsara est un désir positif. Ce désir ne vous
décevra jamais. En revanche, avoir de forts désirs pour les choses du samsara, quelles qu’elles soient,
vous amènera tôt ou tard de l’insatisfaction.
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Il est impossible d’avoir en même temps du désir pour le samsara et le désir de se libérer du
samsara. Au Tibet, nous consommons une nourriture appelée tsampa qui est constituée de farine
d’orge. Le petit déjeuner de nombreux tibétains est fait de simple farine d’orge et d’une tasse de thé. On
la mange en mettant la farine d’orge dans un bol et, sans y ajouter du thé, on met la farine directement
dans la bouche. A ce moment là, avec la bouche remplie de farine, essayez de jouer de la flûte en
même temps. N’est-ce pas impossible ? Il faut faire un choix, car vous ne pouvez avoir les deux. Si
vous voulez jouer de la flûte, alors arrêtez de manger la farine !
C’est un exemple traditionnellement employé qui signifie qu’une détermination très forte et spontanée
de se libérer du samsara et l’attachement aux choses samsariques ne peuvent se faire en même
temps.
L’attachement est un problème, alors que le désir n’en est pas forcément un. En français, on
fait souvent la confusion entre ces deux termes. En tibétain, ils sont complètement différents. Pour
« désir », nous disons « deu pa ». Pour « attachement », nous utilisons le terme « deu.tchak ». Seule la
première syllabe : deu, est la même. L’attachement est toujours négatif. Le désir peut être l’un ou
l’autre. Selon moi, si nous avons le désir, la forte détermination d’atteindre la bouddhéité ou la
libération, si c’est vraiment sincère, il n’y a alors plus de place pour l’attachement. Aspirer à cela est
positif.
Comme je l’ai dit précédemment, il existe deux moyens fondamentaux de cultiver cette
détermination. Le premier consiste à se rendre compte de ce qu’est la racine du samsara, ce qui signifie
comprendre la vacuité et comprendre la nécessité de se libérer des vues fausses de la saisie du soi.
L’autre moyen est de voir les inconvénients d’être dans le samsara, les véritables. On peut cultiver l’une
ou l’autre de ces deux méthodes. En fin de compte, elles ne feront plus qu’une. Ce dont je parle ici
concerne le point de départ.
LES QUATRE CARACTERISTIQUES DE LA VERITE DU CHEMIN
1 Les quatre caractéristiques
Comme pour les autres Nobles Vérités, la Vérité du Chemin qui mène à la Cessation de la souffrance
comprend quatre caractéristiques spécifiques qui sont :
a- le chemin
b- la connaissance
c- l’accomplissement
d- la délivrance
a- Le chemin
La première est appelée la qualité d’être un chemin. Ici, cela se réfère aux choses telles que le Noble
Chemin Octuple ou les Cinq Chemins. Ils possèdent la qualité d’être un chemin qui mène à la
cessation, de la même façon qu’une certaine rue conduit à la destination que nous cherchons. Ces
chemins variés possèdent cette qualité.
b- La connaissance
La deuxième caractéristique est la connaissance. Les différents chemins possèdent tous une qualité de
connaissance. Cela se réfère au fait d’aller au plus profond des problèmes, au fait d’être conscient de
ce en quoi consiste la racine de cette existence cyclique. En empruntant ces chemins, nous pouvons
parvenir à cette racine et être conscients des méthodes qui nous mèneront hors du samsara.
c- L’accomplissement
La troisième caractéristique est l’accomplissement. Elle est similaire à la deuxième caractéristique, mais
ici, elle est présentée du point de vue de l’état résultant, ce qui signifie que grâce à ces chemins variés,
nous pouvons vraiment atteindre le résultat de la libération ou de l’Eveil.
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Connaissance signifie savoir ce qui est juste et ce qui est erroné. Accomplissement signifie que si l’on
pratique ce chemin, on obtiendra la libération de la souffrance et des difficultés.
Ces deux termes ne se réfèrent pas complètement à la même chose. Si quelqu’un m’appelle
Guéshé Tashi ou s’il emploie mon deuxième nom qui est Lhundrup Pelba, dans ce cas, il se réfère à la
même personne, tout en employant différents termes. Dans le monde conceptuel, cela génère peut-être
des images légèrement différentes – non pas des images de personnes différentes mais des aspects
différents de la même personne. Ici, la connaissance est ce qui vous amène au résultat et
l’accomplissement est ce que vous obtenez.
d- La délivrance
La quatrième caractéristique est appelée délivrance parce qu’elle détruit la cause principale du
samsara. Elle possède la qualité de la délivrance, de nous délivrer de la prison de notre existence
conditionnée. Le Noble Chemin Octuple possède cette qualité spécifique de nous mener hors de
l’existence cyclique.
Telles sont les quatre caractéristiques de le quatrième Noble Vérité : le Chemin Véritable.
LES SEIZE CARACTERISTIQUES INCLUENT TOUT
La première Noble Vérité
La Vérité de la souffrance
1/ impermanence
2/ souffrance
3/ vacuité
4/ non-soi
La deuxième Noble Vérité
La Vérité de l’origine
5/ causes
6/ origine
7/ forte production
8/ condition
La troisième Noble Vérité
La Vérité de la cessation
9/ cessation
10/ pacification
11/ satisfaction totale
12/ renoncement
La quatrième Noble Vérité
La Vérité du chemin
13/ chemin
14/ connaissance
15/ accomplissement
16/ délivrance
Dans la tradition Mahayana, on développe la réalisation des Quatre Nobles Vérités à travers ces Seize
Caractéristiques. Chacune des Nobles Vérités peut être comprise grâce à ses quatre caractéristiques
spécifiques respectives. On peut aussi développer les Seize Caractéristiques tout au long des Cinq
Chemins, depuis le Chemin de l’Accumulation jusqu’au Chemin de l’au delà de l’Apprentissage.
Comme nous l’avons vu, on peut les comprendre selon différents niveaux. Pendant le Chemin de
l’Accumulation, on les comprend à un niveau très initial ; lors de l’étape du Chemin de la Préparation,
plus profondément et ainsi de suite. C’est ainsi que c’est présenté dans la tradition Mahayana.
Etudier les Quatre Nobles Vérités, en développer une compréhension, les contempler avec
attention et, à partir de là, développer une réalisation profonde de ce sujet ; tout cela est vraiment très
important pour un pratiquant bouddhiste. C’est la raison pour laquelle il s’agit du premier enseignement
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que le Bouddha ait donné et à maintes occasions et c’est également pourquoi il a été son dernier
enseignement avant qu’il ne passe dans le Parinirvana.
En tant que pratiquant bouddhiste, le fait d’avoir une compréhension des Quatre Nobles Vérités
représente vraiment l’instruction majeure, si je puis le dire ainsi, pour établir la pratique bouddhique
dans son entier. Cet enseignement des Quatre Nobles Vérités englobe tout l’enseignement bouddhique.
C’est pourquoi, pour nous qui suivons ce chemin, c’est un sujet extrêmement important.
Glossaire
Abhidharma
Arhat
Arya
Bodhicitta
Bodhisattva
Bodhisattvayana
Bouddha Dharma
Bouddha (un)
Bouddha (le)
Bouddhéité
Vie conditionnée
Dharma
Dharmakaya
(corps de vérité)
Dukkha (souffrance)
Dyani Bouddha (cinq)
Géloug/Gélougpa
Pratiquant de
libération individuelle
Kamma tanha karma
Lama Tsong Khapa
Madhyamika
Mahayana
Moksha (libération)
Nirmanakaya
(corps d’émanation)
Nirvana
Sous le pouvoir d’autre
Pali
Parinirvana
Prasangika /
Une des “trois corbeilles” d’enseignements (à partir) des soutras – celle de la
métaphysique.
Pratiquant qui a atteint l’état de l’au delà de l’Apprentissage du véhicule de libération
individuelle.
Etre “supérieur”qui a obtenu la réalisation directe de la vacuité.
Esprit qui souhaite spontanément atteindre l’Eveil pour le bien de tous les êtres.
Pratiquant qui a l’esprit de bodhicitta
“Véhicule” des bodhisattva – chemin qu’ils suivent.
Enseignements du Bouddha
Etre Eveillé, illuminé
Le Bouddha historique : Bouddha Shakyamouni
Etat d’être un bouddha
existence non Eveillée – notre vie est toujours sous l’influence (ou soumise à la
condition) d’autres phénomènes ou événements.
Littéralement, « ce qui détient » - souvent considéré comme les enseignements du
Bouddha, mais d’une façon plus générale, tout ce qui nous aide en faveur de la
libération
Un des deux corps obtenus lorsqu’un être atteint la libération. Il s’agit
du résultat de la pratique de l’aspect de la sagesse. (corps de la Loi)
Mot sanskrit pour souffrance, parfois traduit par insatisfaction
Les cinq familles de Bouddha, représentant les cinq énergies primordiales. Ils sont :
Vairochana, Amitabha, Akshobya, Ratnasambava, Amogasiddhi
Une des quatre écoles du bouddhisme tibétain, fondée par Lama Tsong Khapa. Les
autres sont : Les Sakya, les Nyngma et les Kargyu.
Pratiquant sur le chemin de la libération (en opposition à universel : un des chemins
vers l’Eveil)
la soif des plaisirs des sens – la première des trois actions volitionnelles de soif, qui
produit un potentiel (ou graine) sur le courant de conscience et qui est la cause d’un
résultat à venir.
Grand enseignant tibétain et fondateur de la tradition gélougpa (14ème siècle)
La plus haute des quatre écoles philosophiques indiennes qui est enseignée dans les
monastères tibétains.
La plus récente des deux voies en lesquelles le bouddhisme est généralement divisé.
Littéralement le « grand véhicule ». Etudié au Tibet, en Mongolie, en Chine et au
Japon. L’accent porte sur l’Eveil et bodhicitta.
(Sanskrit) état qui consiste à être libre du samsara, à être au nirvana.
Des deux corps d’un bouddha, c’est le corps de forme (roupakaya) qui peut être
perçu par les êtres ordinaires.
Etat qui consiste à être libre de toutes les perturbations et du karma, une fois
l’existence cyclique (samsara) abandonnée.
Fait référence au fait que tous les phénomènes viennent à l’existence en dépendance
de cause et de conditions – sous le pouvoir d’autres choses.
Langue indienne ancienne usitée dans les anciens textes (théravadin)
Etat que le Bouddha a atteint à sa mort.
La plus subtile des deux subdivisions des Madhyamika. (L’autre est le
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Madhyamika
Prasangika
Roupakaya
(corps de forme)
Sambhogakaya
Samsara
Sanskrit
Etres sensibles
Shamata
Shastra
Soutra
Soutrayana
Tanha (soif)
Tantra
Tantrayana
Tathagatha
Théravada /
Théravadin
Pratiquant du
véhicule universel
Sautantrika – cf. le module des deux vérités.)
L’un des deux corps qu’un bouddha obtient au moment de l’Eveil.
(L’autre est le dharmakaya.) C’est le résultat de la pratique de l’aspect de la méthode.
Des deux corps d’un bouddha, c’est le corps de forme (roupakaya) que
(corps de jouissance) peuvent percevoir les êtres supérieurs (aryas).
(L’autre est le dharmakaya.) C’est le résultat de la pratique de l’aspect de la méthode.
Existence cyclique, état de renaître constamment à cause des perturbations et du
karma.
Langue indienne ancienne usitée dans les textes les plus récents (Mahayana).
êtres dotés de sens, i.e. tout être doté d’un esprit, d’où leur désir d’être heureux et
d’éviter la souffrance.
Méditation concentrée en un point.
Commentaires des enseignements du Bouddha
Paroles effectives du Bouddha.
Dans le Mahayana, il s’agit du véhicule le plus « ordinaire ». Les autres sont le
Vajrayana et le Bodhisattvayana.
(Pali) La confusion fondamentale qui nous maintient dans le samsara, selon la
tradition Théravada.
Chemin utilisant les énergies subtiles et la pratique de la déité en vue
d’atteindre promptement l’Eveil.
(également appelé Mantrayana) Le véhicule des tantra
Epithète pour un bouddha – littéralement « Celui ainsi allé ».
La plus ancienne des deux voies en lesquelles le bouddhisme est
généralement divisé. Le but est la libération, plutôt que l’Eveil.
Pratiquant sur le chemin mahayana, travaillant en vue de l’Eveil.
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