La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
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Différentes anomalies de l’ECG
ont été rapportées : le plus
souvent, l’ECG initial présente un sus-décalage de ST dans les
dérivations précordiales, fréquemment associé à des ondes T
négatives ; parfois, seule l’inversion diffuse et ample des ondes
T est observée. Des ondes Q dans les dérivations V1 à V3, un
microvoltage des dérivations standard et un allongement de l’es-
pace QT sont également signalés (3).Toutes ces modifications de
l’ECG sont évocatrices d’une pathologie coronaire, d’autant
qu’elles apparaissent dans le contexte d’une douleur thoracique
rétrosternale. Par comparaison avec les infarctus du myocarde,
l’inversion des ondes T et l’allongement de l’espace QT, d’au-
tant plus important que les ondes T sont profondes, sont plus mar-
qués pour le tako-tsubo (6).
Au stade aigu de la pathologie,
l’échocardiographie trans-
thoracique
peut aider au diagnostic en objectivant la déforma-
tion caractéristique du ventricule gauche : importants troubles de
la cinétique avec ballonnisation des deux tiers apicaux du ven-
tricule respectant sa portion basale hyperkinétique. Ces anoma-
lies de cinétique segmentaire ne correspondent pas à des terri-
toires vasculaires coronaires et leur étendue est disproportionnée
par rapport à la faible ascension enzymatique (seuls 7 patients
sur 88 de la série de Tsuchihashi [4]ont un pic de créatines phos-
phokinases [CPK] > 1 000 UI/l). Face à une douleur thoracique
associée à un sus-décalage du segment ST, ces constatations sont
donc atypiques pour retenir le diagnostic d’infarctus du myo-
carde. En outre, l’échocardiographie authentifie certaines com-
plications : obstruction intraventriculaire gauche, thrombus api-
cal... Enfin, elle sert de référence non invasive pour le suivi
ultérieur. En fonction de leur disponibilité rapide, les explora-
tions scintigraphiques et l’IRM, qui confirme la présence d’un
myocarde viable, peuvent aussi participer au diagnostic et au
suivi du syndrome du tako-tsubo.
Cependant, le plus souvent, la présentation initiale explique
le recours à une coronarographie d’emblée face à la suspi-
cion d’infarctus du myocarde
. Cet examen constate
l’absence
de lésion coronaire significative
; de rares cas de spasmes mul-
tifocaux ont été décrits (3).
La ventriculographie gauche met
en évidence l’aspect caractéristique de ballonnisation api-
cale ventriculaire gauche
avec une hypokinésie sévère ou une
akinésie des segments moyens et apicaux du ventricule gauche,
le respect des segments basaux hyperkinétiques, une fraction
d’éjection réduite et, parfois, une obstruction intraventriculaire
gauche (12 patients sur 72, soit 18 %, avec gradient > 30 mmHg
pour Tsuchihashi [4]).
La prise en charge initiale justifie
une surveillance en unité de
soins intensifs
sous scope et les traitements administrés visent
à gérer les complications de la phase aiguë. Une anticoagulation
efficace est logique compte tenu de l’importance des troubles
cinétiques ventriculaires gauches et de la description de throm-
bus in situ et d’évènements thromboemboliques.
Passées l’instabilité initiale et les éventuelles complications sévères,
le suivi authentifie à brève échéance (de quelques jours à
quelques semaines) la normalisation de la cinétique et de la
fonction systolique ventriculaire gauche
en imagerie (contrôles
de ventriculographie gauche ou d’échocardiographie, examens
scintigraphiques, ou IRM), la fraction d’éjection ventriculaire
gauche passant de 41 % à 64 % dans la série de Tsuchihashi (4).
Par rapport au stade initial de la pathologie,Abe et al. (7) objec-
tivent la disparition des anomalies échocardiographiques après un
délai de 18 jours en moyenne. Des récidives sont mentionnées
dans 0 % à 8 % des cas (5),2,7 % pour Tsuchihashi (4).
Parmi les hypothèses physiopathologiques avancées pour tenter
d’expliquer le syndrome du tako-tsubo, l’implication des artères
coronaires, le rôle d’une obstruction intraventriculaire gauche,
une myocardite sont en définitive peu probables. En fait, les publi-
cations les plus récentes convergent vers
la relation entre syn-
drome du tako-tsubo et cardiopathies catécholaminergiques
.
La publication de Sharkey et al. (3) regroupe 22 patientes origi-
naires d’Amérique du Nord, atteintes du syndrome du tako-
tsubo : la présentation de ces patientes est très proche de celle
des sidérations myocardiques non ischémiques rapportées lors de
pathologies non cardiaques, des phéochromocytomes, des hémor-
ragies subarachnoïdiennes. Wittstein et al. (8) ont comparé les
taux de catécholamines plasmatiques pour 13 patients atteints du
syndrome du tako-tsubo et pour 7 patientes hospitalisées à la suite
d’un infarctus du myocarde en classe Killip III : lors des deux
premiers jours d’évolution, les patients ayant un syndrome du
tako-tsubo ont des taux de catécholamines plasmatiques deux à
trois fois supérieurs à ceux des témoins ayant un infarctus du
myocarde, et 7 à 34 fois plus élevés que les valeurs normales.
Ueyama et al. (9, 10) ont publié deux travaux réalisés sur des rats
femelles : le développement du syndrome du tako-tsubo a pu être
prévenu par blocage préalable des récepteurs cardiaques α- et β-
adrénergiques, et il est démontré que l’activation de ces récep-
teurs constituait le trigger initial des modifications moléculaires
induites au niveau du coeur par le stress. Une augmentation bru-
tale (et probablement transitoire) des catécholamines circulantes
expliquerait le syndrome du tako-tsubo par le biais d’anomalies
de la vasomotricité coronaire ou d’une toxicité directe sur les
myocytes. La localisation des troubles de la cinétique segmen-
taire respectant la base du ventricule gauche peut correspondre
à une réponse exacerbée de sa portion apicale à la stimulation
sympathique (11), expliquée en partie par une plus forte densité
de récepteurs adrénergiques et/ou une réponse accrue à la sti-
mulation adrénergique. Des différences régionales de vasculari-
sation myocardique, la structure même de la pointe ventriculaire
gauche, plus sujette à perdre son élasticité, ont été également citées
pour tenter de comprendre la déformation caractéristique du ven-
tricule gauche. Enfin, il reste à expliquer la prédominance du syn-
drome du tako-tsubo chez des femmes ménopausées : une sup-
plémentation en estradiol atténue la réponse pathologique du
ventricule gauche au stress chez des rats femelles ovariectomi-
sées (12). Pourraient intervenir des altérations de la fonction endo-
théliale après la ménopause, liées à la diminution de l’imprégna-
tion estrogénique, et des troubles de la microcirculation en réponse
aux stimuli catécholaminergiques.
CONCLUSION
L’évolution récente des connaissances permet de mieux définir
le syndrome du tako-tsubo et de proposer des
critères diagnos-
tiques
(5, 13) (tableaux I et II). Avant toute exploration hémo-
dynamique, sont particulièrement évocateurs le contexte de stress,
CAS CLINIQUE