Document 3 : La naissance de la science s’effectue dans une culture de l'écrit et s’avère être une
expression de cet usage de l'écriture.
Ce qui n'est pas vers est prose, et la prose grecque exista à partir du moment où les
progrès de l'écriture permirent aux cités de constituer des archives, des listes de
magistrats, des recueils de lois. Ces documents, que la vanité municipale amplifiait
volontiers en les faisant remonter très haut dans le passé, sont utilisés dès le VIe siècle,
surtout en pays ionien, et servent, en même temps que la tradition orale, à établir des
généalogies et des chroniques, qui ont pour base des calculs tout à fait artificiels de
«générations» de trente ou de quarante ans, et dont les résultats arbitraires ont
longtemps encombré l'histoire des premiers siècles de Rome et de la Grèce. Ces
«enquêtes», d'où est née l'histoire, ne sont pas les seules où se soit exercée la curiosité
des Ioniens. Hécatée de Milet, en même temps qu'une Généalogie, composait un Voyage
autour de la terre, illustré d'une carte. L'univers n'apparaît plus comme un ensemble de
choses dangereuses ou profitables dont il faut conjurer les unes et utiliser les autres,
mais comme un objet d'études désintéressées. À coup sûr, il manque aux physiciens du
vie siècle, comme à tous les savants de l'antiquité, le sens, non point, à proprement
parler, de l'expérience, mais de la méthode expérimentale, qui analyse le phénomène à
interpréter et en isole les éléments. Ils y suppléent autant que possible par une curiosité
sans cesse en éveil, une observation attentive, et un grand effort logique. Pour la
première fois dans l'histoire de la pensée humaine se manifeste L'idée, fausse peut-être,
mais en tout cas féconde, qu'il convient de chercher à l'univers un principe originel, que
ce soit l'eau, comme le veut Thalès de Milet, ou l'air, comme le prétend Anaximène ; et,
comme il ne s'agit pas seulement d'affirmer ce principe, mais de montrer comment les
choses en découlent, Anaximandre, qui croit à l'existence d'un élément primitif
indéterminé, arrive à formuler des théories grossières, mais audacieuses, qui rejoignent
les hypothèses de Laplace sur la formation du système solaire, et celles de Lamarck sur
le transformisme. Ces méditations sur le principe des choses amènent Xénophane - un
autre Ionien - à concevoir l'existence d'un dieu unique et parfait qui n'a plus aucun
rapport avec les dieux à formes et à passions humaines du polythéisme d'Homère et
d'Hésiode. Abandonnant sa patrie de Colophon pour la Grande-Grèce, il y fait des
disciples, entre autres Parménide, qui, le premier, formule l'opposition entre la réalité
intelligible et l'apparence préparant ainsi la voie aux constructions métaphysiques des
siècles suivants. Un autre grand savant, Pythagore de Samos, quitte, lui aussi, le publie
d'Ionie pour celui des villes de Grande-Grèce, peut-être plus enclin aux sérieuses
spéculations, et il étudie à Crotone, devant des auditeurs enthousiastes, les propriétés du
nombre et de l'étendue. Il enlève à l'arithmétique et à la géométrie le caractère utilitaire
que ces sciences avaient conservé en Égypte et en Babylonie, où elles n'avaient jamais
comporté autre chose que des tables à calculer destinées aux opérations commerciales
et bancaires, et des procédés empiriques pour l'orientation des édifices sacrés et pour
l'établissement d'un cadastre permanent. Il formule les lois qui régissent les rapports des
nombres entre eux, et un grand nombre de théorèmes relatifs aux lignes, aux angles et
aux surfaces. Appliquant ces résultats à l'acoustique et surtout à l'astronomie, il est le
premier à affirmer que la terre est une sphère et non un disque, et tente une explication
géométrique des éclipses, pour lesquelles les savants ne connaissaient encore que les
tables établies par les astronomes babyloniens d'après des listes d'observations
plusieurs fois séculaires. Jean Hatzfeld
Histoire de la Grèce ancienne, 1963
Document 4 : L'écrit est la condition de l'Histoire au sens de la discipline des sciences humaines chargée
de retracer et d’expliquer le passé. À tel point que, dans un certain sens, la grandeur des nations est
fonction de ses écrivains car sans eux les faits historiques seraient oubliés.
À coup sûr, en toute chose la fortune est maîtresse souveraine ; c'est son caprice plutôt
que la justice qui, toujours, fait connaître les grands faits ou les passe sous silence.
L'histoire d'Athènes a de la grandeur et de l'éclat, sensiblement moins pourtant qu'on ne
le dit. Mais, comme il y eut là-bas une ample moisson de grands écrivains, les exploits
des Athéniens sont réputés dans le monde entier comme inégalables. Ainsi, le courage
de ceux qui agissent passe pour avoir toute la grandeur que lui ont donnée dans leurs
récits les hommes de génie. Salluste (86-35 AJC)
Conjuration de Catilina, 41 AJC
Association ALDÉRAN - © - Conférence 1600-200 : “Lʼécriture et lʼaventure de lʼHumanité “ - 28/03/2007 - page 5