Le Sacre du dragon vert

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II
Pouvez-vous situer le shivaïsme tantrique par rapport à
l’hindouisme traditionnel ?
Le shivaïsme du Cachemire est une des manifestations
de l’hindouisme tantrique. Les formes que cette écoute de la
vie a prises se sont manifestées de manières très diverses.
L’hindouisme sacralise tous les moments de la vie et voit
chaque geste comme un rite, l’occasion d’une émotion
esthétique, d’une vibration qui met le pratiquant en harmonie avec le cosmos. L’hindouisme, que l’on appelle en Inde
le Sanâtana Dharma, la religion éternelle, revêt de multiples
formes dont le shivaïsme. Sans forme fixe, ni d’Église qui lui
soit attachée, le Sanâtana Dharma s’exprime par le culte que
l’on rend aux divinités qui représentent certains aspects de
notre potentiel céleste. Cette religion se caractérise par sa
plasticité, son aptitude à créer, absorber et intégrer des
doctrines ou cultes différents. Le shivaïsme n’est qu’une de
ses formulations, tout comme différents courants existent
au sein de l’Islam ou du christianisme. Le shivaïsme
tantrique cachemirien exprime une éminente disponibilité
vis-à-vis des modalités de l’existence. Tout ce qui est amour,
plaisir, bonheur, expression de la joie, rapproche du divin.
Ainsi, tous les accessoires de l’érotisme et du plaisir font
partie du culte. Danse, musique, parfums, lumières, fleurs,
nourritures, vins, beauté des images et des rites permettent
de vénérer les dieux.
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Lorsque vous parlez du tantrisme cachemirien, vous en parlez
comme d’une évidence...
Oui, il y a une évidence quand vous cessez de mettre
l’accent sur la différence, sur les opinions, laissant émerger
un pressentiment de l’unité sous-jacente à toutes les
opinions et à toutes les différences. Pour cette raison, tout le
monde peut se reconnaître dans une approche traditionnelle, si elle se réfère vraiment au sens profond de la Tradition.
Le tantrisme cachemirien est un des reflets de la Tradition, il y en a d’autres, mais tous les reflets de la Tradition
primordiale, par leur nature même, sont englobants.
Rien n’est à l’extérieur, toutes les facettes de la vie, tous
les comportements sont inclus dans le regard profond sur
l’existence.
Quand vous parlez de religion éternelle, l’évoqueriez-vous
comme émanation d’une Tradition primordiale, de même que l’on
retrouve le culte du phallus en Grèce...
Concernant le tantrisme, et sans trop entrer dans les
détails historiques, vers trois mille ans avant J.-C., à
Mohenjo Daro, existaient déjà des éléments évoquant un
culte du lingam comme élément fondamental, conjointement à un culte de la déesse.
Se lancer dans l’antériorité du culte du phallus ou de la
féminité n’apporte rien, car ces éléments sont simultanés et
ces deux approches expriment la même chose.
D’un point de vue métaphysique, l’élément phallique
évoque l’ultime, où le féminin paraît anecdotique, alors que
du point de vue religieux, l’élément féminin est l’ultime, car
il évoque la réintégration vers la Conscience.
Donc aucune prévalence de l’un par rapport à l’autre. De
par les différentes régions du monde, ces symboles se retrouvent. Il est bien sûr très difficile de distinguer ceux de ces
cultes qui se réfèrent à une intuition profonde du divin dans
l’homme, de ceux qui se perdent dans les aspects de puissance virile, de dieu créateur, c’est-à-dire dans la religiosité.
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Quelle place occupe le shivaïsme tantrique par rapport au
Yoga ?
Il n’y a pas de classement dans le Yoga. Au début du
siècle, à des fins explicatives, Vivekananda a subdivisé le
Yoga en bhakti, karma, râja, etc... Mais dans les shâstras
(textes sacrés), cela représente plus des étapes, des points de
vue différents sur la même chose, que des contradictions.
Le Yoga est une totalité.
Chaque école ou enseignant met plus ou moins l’accent
sur telle ou telle facette, mais tous ces fragments sont intégrés dans une seule et même orientation. Le bhaktiyoga
(célébration du divin) est l’expression de la compréhension
du sacré de la vie, le karma-yoga (l’action juste) est
l’évidence de l’absence d’un soi-même dans l’action, l’acte
sans acteur, le râja-yoga (l’approche de l’énergie du souffle)
s’élabore aussi à travers l’observation intime du fonctionnement de la corporalité subtile.
Tous les yogas expriment une intuition fondamentale
qui ne saurait se fragmenter.
Les huit étapes du Yoga classique se retrouvent dans
toutes les écoles, parfois sous des noms différents et dans des
ordres variés. L’enseignement est transmis de façon pédagogique, sans méthode absolue. Il s’agit, en définitive, de laisser s’actualiser ce qui est potentiel : une prise de conscience
de ce qui est.
Le shivaïsme du Cachemire a particulièrement accentué
le yoga de l’écoute, c’est-à-dire la prise de conscience que
toute perception surgit de et s’engloutit dans la Conscience.
La lecture attentive des œuvres du grand Abhinavagupta
montre, sans aucun doute, sa familiarité avec les subtilités
de tous les aspects du Yoga classique.
L’enseignement oral dans ces techniques, avec son
impressionnant développement de l’intégration sensorielle,
célèbre la sensorialité comme ouverture au divin, tout en se
référant constamment au silence, arrière-plan de toutes
perceptions. Jean Klein, ayant été dûment initié à ces arcanes, a ramené, puis reformulé grâce à sa sensibilité, cet
enseignement pour le rendre accessible aux Occidentaux.
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