SDV-reimp:SDV3 26/03/08 10:32 Page 39 II Pouvez-vous situer le shivaïsme tantrique par rapport à l’hindouisme traditionnel ? Le shivaïsme du Cachemire est une des manifestations de l’hindouisme tantrique. Les formes que cette écoute de la vie a prises se sont manifestées de manières très diverses. L’hindouisme sacralise tous les moments de la vie et voit chaque geste comme un rite, l’occasion d’une émotion esthétique, d’une vibration qui met le pratiquant en harmonie avec le cosmos. L’hindouisme, que l’on appelle en Inde le Sanâtana Dharma, la religion éternelle, revêt de multiples formes dont le shivaïsme. Sans forme fixe, ni d’Église qui lui soit attachée, le Sanâtana Dharma s’exprime par le culte que l’on rend aux divinités qui représentent certains aspects de notre potentiel céleste. Cette religion se caractérise par sa plasticité, son aptitude à créer, absorber et intégrer des doctrines ou cultes différents. Le shivaïsme n’est qu’une de ses formulations, tout comme différents courants existent au sein de l’Islam ou du christianisme. Le shivaïsme tantrique cachemirien exprime une éminente disponibilité vis-à-vis des modalités de l’existence. Tout ce qui est amour, plaisir, bonheur, expression de la joie, rapproche du divin. Ainsi, tous les accessoires de l’érotisme et du plaisir font partie du culte. Danse, musique, parfums, lumières, fleurs, nourritures, vins, beauté des images et des rites permettent de vénérer les dieux. 39 SDV-reimp:SDV3 26/03/08 10:32 Page 40 Lorsque vous parlez du tantrisme cachemirien, vous en parlez comme d’une évidence... Oui, il y a une évidence quand vous cessez de mettre l’accent sur la différence, sur les opinions, laissant émerger un pressentiment de l’unité sous-jacente à toutes les opinions et à toutes les différences. Pour cette raison, tout le monde peut se reconnaître dans une approche traditionnelle, si elle se réfère vraiment au sens profond de la Tradition. Le tantrisme cachemirien est un des reflets de la Tradition, il y en a d’autres, mais tous les reflets de la Tradition primordiale, par leur nature même, sont englobants. Rien n’est à l’extérieur, toutes les facettes de la vie, tous les comportements sont inclus dans le regard profond sur l’existence. Quand vous parlez de religion éternelle, l’évoqueriez-vous comme émanation d’une Tradition primordiale, de même que l’on retrouve le culte du phallus en Grèce... Concernant le tantrisme, et sans trop entrer dans les détails historiques, vers trois mille ans avant J.-C., à Mohenjo Daro, existaient déjà des éléments évoquant un culte du lingam comme élément fondamental, conjointement à un culte de la déesse. Se lancer dans l’antériorité du culte du phallus ou de la féminité n’apporte rien, car ces éléments sont simultanés et ces deux approches expriment la même chose. D’un point de vue métaphysique, l’élément phallique évoque l’ultime, où le féminin paraît anecdotique, alors que du point de vue religieux, l’élément féminin est l’ultime, car il évoque la réintégration vers la Conscience. Donc aucune prévalence de l’un par rapport à l’autre. De par les différentes régions du monde, ces symboles se retrouvent. Il est bien sûr très difficile de distinguer ceux de ces cultes qui se réfèrent à une intuition profonde du divin dans l’homme, de ceux qui se perdent dans les aspects de puissance virile, de dieu créateur, c’est-à-dire dans la religiosité. 40 SDV-reimp:SDV3 26/03/08 10:32 Page 41 Quelle place occupe le shivaïsme tantrique par rapport au Yoga ? Il n’y a pas de classement dans le Yoga. Au début du siècle, à des fins explicatives, Vivekananda a subdivisé le Yoga en bhakti, karma, râja, etc... Mais dans les shâstras (textes sacrés), cela représente plus des étapes, des points de vue différents sur la même chose, que des contradictions. Le Yoga est une totalité. Chaque école ou enseignant met plus ou moins l’accent sur telle ou telle facette, mais tous ces fragments sont intégrés dans une seule et même orientation. Le bhaktiyoga (célébration du divin) est l’expression de la compréhension du sacré de la vie, le karma-yoga (l’action juste) est l’évidence de l’absence d’un soi-même dans l’action, l’acte sans acteur, le râja-yoga (l’approche de l’énergie du souffle) s’élabore aussi à travers l’observation intime du fonctionnement de la corporalité subtile. Tous les yogas expriment une intuition fondamentale qui ne saurait se fragmenter. Les huit étapes du Yoga classique se retrouvent dans toutes les écoles, parfois sous des noms différents et dans des ordres variés. L’enseignement est transmis de façon pédagogique, sans méthode absolue. Il s’agit, en définitive, de laisser s’actualiser ce qui est potentiel : une prise de conscience de ce qui est. Le shivaïsme du Cachemire a particulièrement accentué le yoga de l’écoute, c’est-à-dire la prise de conscience que toute perception surgit de et s’engloutit dans la Conscience. La lecture attentive des œuvres du grand Abhinavagupta montre, sans aucun doute, sa familiarité avec les subtilités de tous les aspects du Yoga classique. L’enseignement oral dans ces techniques, avec son impressionnant développement de l’intégration sensorielle, célèbre la sensorialité comme ouverture au divin, tout en se référant constamment au silence, arrière-plan de toutes perceptions. Jean Klein, ayant été dûment initié à ces arcanes, a ramené, puis reformulé grâce à sa sensibilité, cet enseignement pour le rendre accessible aux Occidentaux. 41