13 La figure précédente montre l`évolution de la puissance

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La figure précédente montre l’évolution de la puissance spécifique en fonction de la
fréquence de contraction, pour une valeur donnée de contrainte et déformation (donc, pour
une quantité donnée de travail mécanique).
Les colibris ont une fréquence de battement de 30-50 Hz, ce qui est spectaculaire pour des
vertébrés. Des animaux volants plus petits, comme les mouches ou les abeilles, ont de
fréquences de battement d’ailes dans les centaines de Hz, et les moucherons produisent des
rumeurs audibles par les humains, de quelques kHz : si le travail mécanique spécifique était le
même pour tous ces animaux, la puissance devrait se rapprocher de la limite théorique
supérieure dans la figure. Ce qui n’est pas tout à fait le cas.
En effet, les estimations courantes sont basées sur des critères métaboliques, exprimés en
puissance par unité de poids, et non mécaniques, en puissance par unité de masse musculaire.
La conversion est compliquée, mais des indications générales nous disent que la puissance
dans les insectes ne dépasse pas les 200 W/kg, moins que ¼ de la limite indiquée dans la
figure pour des très hautes fréquences. La fréquence de battement augmente de plus en plus
que l’animal devient petit, mais par contre la puissance délivrée par unité de masse
musculaire atteint une valeur asymptotique. Donc, le travail mécanique (W=P/v) par cycle
doit diminuer en proportion avec la taille de l’animal.
Une possibilité de limiter le travail est qu’il existe une limite supérieure à "˙ , le taux de
déformation admissible, par exemple imposé par la fréquence maximale à laquelle les
molécules de myosine s’attachent aux actines.
Si l’on écrit le taux de déformation dans un démi-cycle de période τ = 1/ν comme :
!
[24]
"˙ =
"
= 2"$
# 2
Pour les grands animaux on considérait, plus haut, que la déformation ε était fixée. Par contre,
si l’on imagine qu’il soit plutôt le taux "˙max limité, la déformation ε doit progressivement
!
diminuer avec l’augmentation de la fréquence, comme :
[25]
"=
"˙max
2#
!
ce qui est explicable, des muscles qui se contractent à des fréquences de plus en plus élevées
font une excursion plus courte. Il est énormément difficile de déterminer une valeur réaliste
! de "˙ . Des estimations conservatives suggèrent qu’il pourrait prendre une valeur dans
max
l’intervalle 10-20 s-1 pour les insectes.
!
Si l’on prend donc 20 s-1 comme valeur limite du taux e déformation, l’eq.[25] nous donne la
règle pratique ε = 10/ν comme estimation de la limite de déformation cyclique. Une mouche
qui bat ses ailes à 250 Hz aurait le temps suffisant pour contracter ses muscles d’un ε =
10/250 = 0.4% à chaque cycle. Mais des insectes encore plus petits ne peuvent pas avoir assez
d’excursion musculaire pour bouger les ailes directement : ils doivent se ressortir à des
mécanismes de relais, les muscles provoquant une déformation du thorax, qui est transformée
en une plus ample excursion des ailes. Ceci est bien ce qu’on observe dans les insectes plus
évolués, qui utilisent des combinaisons complexes de paires antagonistes arrangées de
13
manière croisée, pour exploiter la traction ou compression additionnelle exercée par la
coquille rigide du thorax.
Les grillons qui sautent doivent réaliser des déformations extrêmes, dans des temps très
courts, même si non cycliques : d’autant plus qu’un animal est petit, d’autant plus court est le
temps (~1/v) disponible pour la déformation. Si l’extension était réalisée directement par les
muscles, le taux "˙ serait probablement au-delà de tout limite acceptable. Contrairement aux
croyances populaires, les pouces sont des très mauvais sauteurs. Ce qui devrait être vraiment
incroyable est bien qu’elles puissent du tout sauter !
!
6.8 - Muscles synchrones et asynchrones
Au cours de l’évolution, les animaux (et surtout les insectes) ont développé des stratégies
différentes pour satisfaire la nécessité de muscles qui puissent travailler à des fréquences de
contraction ν très élevées : a) une solution notamment quantitative, qui consiste à accélérer
toutes les phases du cycle de travail musculaire, de manière cohérente, ou plutôt, b) une
solution qualitative, dans laquelle quelques étapes (les plus longues) du cycle sont éliminées.
La solution quantitative est réalisée par les muscles synchrones, pour lesquels à chaque
impulsion excitatoire nerveuse correspond un cycle de contraction (c.-à-d., la fréquence des
excitations nerveuses est identique à la fréquence de contraction v). La solution qualitative
est, par contre, trouvée dans les muscles asynchrones, pour lesquels une seule impulsion
nerveuse donne origine à plusieurs (5 à 10, env.) contractions musculaires en séquence. Alors
que les vertébrés utilisent des muscles synchrones, dans presque tous les insectes on trouve
des muscles asynchrones.
Comme il est expliqué dans la figure suivante, l’impulsion électrique nerveuse qui commande
la contraction volontaire d’un muscle est transmise du nerf au muscle via un grand nombre de
jonctions : les « synapses neuro-musculaires ». Le potentiel électrique de la cellule neuronale
prend la forme d’un pic de voltage de quelques dizaines de mV, qui transporte l’information
jusqu’au muscle. A l’échelle microscopique, l’actionnement mécanique de la contraction (c.à-d. l’initiation de la contraction des sarcoméres, liée aux déplacements relatifs des filaments
d’actine et de myosine qui composent chaque sarcomére), est activé par un flux d’ions Ca2+.
Pourtant, comme il est dit dans la figure, le procès de diffusion des ions Ca2+, de la borne
terminale du nerf, à la borne du muscle, n’est pas du tout direct, mais il se fait par le biais des
nombreuses étapes élémentaires. En tout cas, on trouve que l’étape liée à la diffusion
membranaire des ions Ca2+ est la phase plus lente du procés (rate-limiting step).
Or, dès que le coefficient de diffusion D a des dimensions de [L2]/[T], ou bien le produit
[surface][fréquence], pour accélérer la diffusion à une fréquence donnée, il faut augmenter la
surface de contacte à travers laquelle les ions peuvent diffuser. Mais cela implique que la fibre
musculaire serait de plus en plus envahie par le reticulum sarcoplasmique, qui forme les
jonctions, ainsi laissant de moins en moins de volume disponible pour les myofibrilles. Donc,
une augmentation de la diffusion pour s’ajuster à des fréquences très élevées impliquerait
moins de fibres dans le volume, et donc une réduction de la puissance disponible. Cela n’est
pas, évidemment, la meilleure stratégie.
La solution adoptée par la sélection naturelle avec les muscles asynchrones est donc celle de
découpler la fréquence d’arrivée des impulsions nerveuses (et donc, le cycle de diffusion du
14
Ca2+), de la fréquence (bien plus élevée) de la contraction musculaire : à la place d’une seule,
chaque impulsion nerveuse provoque des nombreuses contractions musculaires.
Schéma de la jonction synaptique
neuromusculaire. La borne terminale de
la cellule neuronale, en blanc (dite borne
préjonctionnelle) contient beaucoup de
vésicules (synaptic vesicles). Chaque
vésicule est un paquet de
neurotransmetteur acétylcholine (ACh).
L'espace entre membrane pré et
postjonctionnelle (synaptic cleft) est de
l'ordre de 15-30 nm. L'arrivée d'une
impulsion électrique (potentiel d'action,
PA) dans le nerf ouvre les canaux de la
membrane qui laissent diffuser les ions
Ca2+, du coté du nerf. Le Calcium permet
aux vésicules de rentrer la membrane de
la cellule du muscle. Le contenu des
vésicules est ainsi libéré dans la cellule,
et le ACh va ouvrir les canaux Sodium de
la membrane musculaire. Cela provoque
le déclenchement d'un potentiel d'action
dans le muscle, qui ouvre à son tour les
canaux Ca2+ de la membrane du muscle.
Le Ca2+ diffuse dans le sarcomére
(indiqué sur le coté de la figure) et
permet la contraction musculaire.
L’étude reporté dans le TD suivant (« Power output by an asynchronous flight muscle from a
beetle », Journal of Experimental Biology, vol. 203, p. 2367 (2000)) est un des meilleurs
exemples d’étude de recherche sur des muscles d’insectes, pour mesurer la force produite par
les muscles actionneurs des ailes, le travail mécanique W résultant (en fait, l’intégral cyclique
de la force multipliée par la déformation du muscle durant le cycle), et la puissance P=Wv.
Les mesures ont été effectuées sur des muscles dissectés de l’animal mort, et placés dans un
système de micro dynamométres permettant d’imposer des charges constantes et de mesurer
le retour de force (donc la force exercée par le muscle), en fonction de la fréquence de la
stimulation mécanique (variation cyclique de ε), de la température (à traduire en la
température du corps de l’animal), et d’autres variables encore. La stimulation électrique
(provenant du nerf) était simulée par l’introduction dans le muscle de deux électrodes
d’argent (des fils de diamétre 100 µm) connectés à un générateur d’impulsions en forme de
sin(x). Aussi, des mesures réalisées sur des insectes vivants, battant les ailes mais
immobilisés, sont également reportées dans l’étude.
15
Fig. 1 : Contrainte en fonction du temps d’application du stimulus, pour une stimulation de type spasme
istantané (courbe bas) et une stimulation tétanique (courbe large). NOTE : une stimulation « tétanique » consiste
en l’application prolongée d’impulsions électriques à des fréquences de 100-200 Hz. Dans une telle condition, le
muscle n’a pas le temps de se relaxer, et l’effet des impulsions est superposé et amplifié, conduisant à une
contraction continue.
Fig. 2 : Contrainte isométrique (force/surface), durant un cycle d’extension/contraction sur des longueurs du
muscle L=x% de la longueur L0, pour la contraction tétanique et la contraction passive.
16
Fig. 3 - Variation de force du muscle au cours d’un cycle de élongation et relache. Courbes foncées : muscle
stimulé en tétanique (durée de la stimulation répresentée par la ligne foncée horizontale en A). Courbes minces :
muscle non stimulé (réponse libre, de type visco-élastique). En C, élongation en allée-retour (voir courbe
« strain », en bas du C), et réponse de force correspondante. En stimulation tétanique, la force continue à
augmenter meme après le plafonnement de la déformation (par contre, la courbe mince cesse d’augmenter à ce
moment là). Ce qui montre la « asynchronicité » de l’action du muscle, par rapport à la stimulation.
Fig. 4 - Portance aérodynamique (« lift ») mésurée sur des insectes vivants durant des cycles de battement
d’ailes, exprimé en % du poids de l’animal, et trace correspondante de la stimulation neuro-musculaire
(EMG=electro-myographic frequency) mésurée par des electrodes insérés dans le corps de l’animal. On voit très
clairement que les deux fréquences sont bien différentes : d’ici le concept de « asyncronicité » entre stimulus
neuronal et contraction musculaire.
17
Fig. 9 - Gauche : courbes du travail mécanique, W=intégral du cycle FLdε, pour des fréquences v de cyclage
entre +ε et –ε (voir fig. supérieure, B) allant de 30 à 100 Hz. On peut observer que W atteint un maximum en
fonction de e, mais ce maximum est différent pour chaque fréquence de stimulation électrique.
Fig. 10 - Droite : position du maximum dans les courbes de W, et de la puissance P=Wv, en fonction de la
frequénce de cyclage. Dès que la puissance est le produit de W fois la fréquence, les deux maxima sont décalés :
le W est optimum à des fréquences autour de 50 Hz, mais la puissance est optimale pour des fréquences autour
de 60-80 Hz. NOTE : la fréquence du cyclage entre ±ε simule la fréquence de battement des ailes.
18
Fig. 11 - Gauche : Effet du changement de la fréquence du cycle de elongaation/contraction ±ε sur la puissance
P, à des températures croissantes.
Fig. 12 - Droite : Variation avec la température, de la fréquence pour la quelle on observe le maximum de
puissance livrée, et de la valeur absolue de puissance pour cette fréquence.
Fig. 13 – Résultats de l’application en même temps d’un cycle de élongation/contraction à 90 Hz, et d’une
stimulation électrique à fréquence variable (en abscisse). Contrainte isométrique (en fait, différence de la
contrainte par rapport à la valeur mesurée en absence de stimulation électrique) et puissance livrée, mesurée à
T=35 C. A noter que l’exercice est « en moyenne » isométrique, car l’élongation entre ±ε maintient en moyenne
la même longueur du muscle. Le tableau de gauche montre que durant le vol, l’insecte atteint des fréquences
autour de 90-100 Hz à une température d’env. 35 C. En fait, l’étude montre bien que ses muscles asynchrones
sont optimisés pour obtenir le maximum de puissance exactement autour de cette fréquence de battement et
température.
6.9 – Aérodynamique simplifiée : le vol des insectes
La solution évolutive des muscles asynchrones réside dans l’adaptation de la fréquence de
contraction à la fréquence propre de la charge mécanique, plutôt qu’à la fréquence de la
stimulation nerveuse (comme c’est le cas des muscles synchrones). La figure ci dessous
19
montre le schéma d’une poutre encastrée, simulant la flexion d’une aile, et une version
simplifiée des forces aérodynamiques agissant sur une aile.
L
!
La fréquence propre de la charge est, en fait, liée à l’oscillation de l’aile, que l’on peut
assimiler, de manière simpliste, à la poutre vibrante encastrée par une extrémité. Le matériau
dont l’aile est composé, est une cuticule protéique très spécialisée, caractérisée par un module
de Young E~1.5 GPa.
Les équations de base pour arriver à la mécanique d’une poutre qui simule une aile d’insecte
sont : l’équation de Stoney, qui donne l’ampleur δ de l’oscillation (dans l’approximation de
faibles oscillations) :
[26]
"=
3# (1$ % ) & L )
( +
't*
E
2
et l’équation de la constante de raideur efficace de l’oscillateur :
!
[27]
keff =
F Ewt 3
=
"
4L3
Dans les équations précédentes, L, w et t sont, respectivement, la longueur, largeur et
épaisseur de la poutre (avec le volume V=Lwt), E et v les modules élastiques de Young et de
! Poisson, σ et F la contrainte voire la force appliquée.
En particulier, la constante keff est liée à la fréquence propre, ω0 , par l’équation ordinaire de
l’oscillateur harmonique :
[28]
"0 =
keff
=
m
Et 2
4 #L4
avec ρ=m/V la densité du matériau, qu’on peut prendre de l’ordre de ρ~1000 kg/m3. Pour une
aile avec longueur L=2x10-2 m et épaisseur t=2x10-4 m, on obtient une fréquence propre v0 =
! ω /2π ~ 50 Hz, comparable aux valeurs observées.
0
L’équation de l’oscillateur harmonique libre, en approximation de petites ampleurs voire pour
des petits angles de déflection θ, i.e. sinθ ~θ, est la bien connue :
[29]
!
d 2"
2
,
2 = #$ 0"
dt
" (t) =
A
sin $t
2#
!
20
La charge externe (le muscle qui applique la contraction) est décrite comme une force externe
additionnelle F0. Le modèle c’est ainsi celui d’un oscillateur harmonique forcé. Dans le cas de
l’aile battante avec fréquence v=ω/2π, la force du muscle peut être schématisée comme
sinusoidale :
[30]
d 2"
F0
2
sin #t
2 + # 0" =
dt
m
L’oscillation imposée par la force externe, à une fréquence ω différent de ω0, peut porter à
une amplification des oscillations, par le phénomène de résonance mécanique. La solution de
! l’équation du second ordre [30] est, en fait :
[31]
" (t) =
F0
sin #t
m(# 02 $ # 2 )
qui peut porter à une déflection infinie pour ω → ω0. Dans tous les cas pratiques, les
oscillations forcées sont, en fait, amorties par une force dissipative, qui oppose l’oscillation, et
! l’ampleur d’oscillation est ainsi maintenue à des valeurs propres. Pour le cas de l’aile battante,
la résistance aérodynamique de l’air représente cette force dissipative.
Donc, l’équation de l’oscillateur harmonique forcé et amorti contient encore un terme
supplémentaire, dépendant de la vitesse (dθ/dt) ainsi que de la constante (adimensionnelle)
d’amortissement, Z :
[32]
d 2"
d"
F
+ # 02" = 0 sin #t
2 + 2Z# 0
dt
dt
m
ayant comme solution générale :
!
[33]
" (t) =
F0
m (2Z## 0 ) 2 + (# 02 $ # 2 ) 2
sin #t
(à noter que nous avons négligé ici la phase de l’onde sinusoidale, pour simplicité). Le
coefficient Z exprime la réaction de traînée induite par la poussée et la résistance. Pour Z=0
! on retrouve la [31].
La résistance aérodynamique R , ou traînée (ayant les dimensions d’une force) pour une aile
rectangulaire de longueur L et surface S=Lw peut se calculer via l’expression approximée :
[34]
R=
f2
2
2
1
8 " air u #L
f la portance aérodynamique (une force, voir schéma précédent), ρair la densité de l’air, u la
vitesse horizontale de vol. On peut montrer que, pour une géométrie donnée de l’aile (masse
! et fréquence propres, eq. [28]), le coefficient d’amortissement Z est, en fait, proportionnel au
ratio entre la résistance aérodynamique et la vitesse de vol :
21
[35]
Z=
R
2m" 0 u
La figure 4 du TD précédent nous suggère une valeur de f 2 = (4 Mg / 2) 2 , avec Mg le
une vitesse de vol de l’ordre de u=1 m/s, L=0.02 m,
! poids de -3l’insecte. Si l’on prend
M=4x10 kg, ρair=1.25 kg/m3, on estime R~64 N.
On peut donc estimer le coefficient d’amortissement, avec m=ρ(Lwt)=2x10-5 kg la masse de
!
l’aile, comme Z=5095 (adimensionnel). Encore de la figure 4 du TD, on peut prendre que la
fréquence de stimulation soit ω ~ ω0/5. Donc, l’ampleur des oscillations forcées avec un
amortissement Z, peut se calculer de l’eq. [33] comme :
[36]
A=
F0
m (2Z"" 0 ) 2 + (" 02 # " 2 ) 2
= 0.01 F0 m
Si de la figure 3 du TD, on prend F0~1 N, on trouve A~1 cm. C’est une valeur raisonnable
pour une aile de L=2 cm qui bat à 50 Hz.
! A noter que, par contre, une telle ampleur d’oscillation est déjà assez importante, donc le
traitement que nous avons fait en approximation de petites oscillations serait, en fait, trop
approximé. En plus, il ne faut pas oublier que notre description de la super complexe
aérodynamique d’une aile d’insecte, dans la réalité un outil battant et tournant en même
temps, est grossièrement simplifiée.
En tout cas, notre analyse approximative nous permet de comprendre pas mal de choses. Entre
autres, l’effet de rapprocher encore plus ω de ω0, par exemple ω ~ ω0/2, donnerait une
ampleur encore plus réduite, de l’ordre de 4 mm, alors que un ω trop loin de ω0 porte à des
ampleurs d’oscillation irréalistes. Donc, on peut déduire que l’adaptation de la fréquence de
stimulation ω à la charge mécanique représentée par l’aile, travaillant contre une force
aérodynamique R, résulte d’un équilibre très délicat entre les dimensions et la masse de
l’animal et de ses ailes (qui fixent la fréquence propre ω0), pour atteindre une vitesse de vol
souhaitée, u.
6.10 – Forces et couples. Mouvement des organismes unicéllulaires.
Le mouvement dans les organismes unicellulaires se fait, évidemment, en défaut de structures
musculaires. Nous allons décrire plus avant plusieurs mécanismes de mouvement cellulaire,
qui se réalisent par polymérisation des filaments, ou par voie du déplacement de moteurs
moléculaires. Le tableau suivant donne un récapitulatif :
Type de mouvement
croissance filaments d’actine
protrusion de pseudopodes
déplacement de myosine sur actine
croissance de microtubules
retrait de microtubules
transport rapide sur axone
transport lent sur axone
vitesse (µ m/s)
0.01 – 1
0.01 – 1
0.01 – 1
jusqu’à 0.3
0.4 – 0.6
1–4
0.001 – 0.1
22
exemple
fibroblaste
kinesine sur microtubules
Pourtant, les cellules utilisent aussi plein d’autres mécanismes « presque-musculaires » pour
dépasser la résistance visqueuse du fluide intracellulaire (eau + protéines). Pour des objets
sphéroïdaux à faible vitesse, la loi de Stokes donne une estimation de la force de freinage :
[25]
F = 6πRη v
avec R=rayon de la sphère. Un objet ayant une vitesse initiale v0 s’arrête sur une distance :
[26]
x0=mv0/(6πRη)
( F=m(Δv/Δt)=6πRη(Δx/Δt) )
Les viscosités des fluides couvrent des valeurs assez extrêmes, de η=10-3 pour l’eau, à 1.34
pour la glycérine, jusqu’à η ~1013 kg/(m s) pour le glucose !
Par exemple, une vésicule de R=50 nm dans le cytoplasme, pour lequel on prend un fluide
~100 fois plus visqueux que l’eau, η=0.1 kg/(m•s), transporté par une kinesine le long d’un
microfilament à la vitesse v=0.5 mm/s, doit dépasser une force de freinage de :
[27]
F = 6π (5•10-8) 0.1 (0.5 •10-7) = 5•10-14 N = 0.05 pN
une valeur bien à la portée des forces produites par les moteurs moléculaires.
Mouvement par cils et flagelles
Les mouvements de natation de certaines cellules peuvent s’accomplir à l’aide de structures
appropriées, placées dans la membrane cellulaire. Des structures de ce type, ressemblant à des
fouets, sont les cils (nombreux petits fouets tout autour du périmètre) et les flagelles (une
sorte de queue fouettant sur une extrémité de la cellule).
L’architecture d’un de ces organelles est l’axonéme, une structure semi-rigide formée par 9 +
2 microtubules (protéines filamentaires). L’axonéme sert à la fois comme (i) échafaudage de
support, et (ii) propagateur du mouvement oscillatoire. Dans les cils, les microtubules sont
reliés par des dyneines, des protéines moteurs qui provoquent la flexion du MT en faisant
glisser un MT par rapport à l’autre.
Dans les eucaryotes, les cils (L~10nm) et les flagelles (L~40nm) sont utilisés, par exemple,
pour expulser le mucus des poumons, pour propulser les spermatozoïdes, etc.
Quel type de forces sont nécessaires pour fournir un tel mouvement ?
23
(Gauche) Image en microscopie à transmission de l’empreinte en relève d’un Aquaspirillum metamorphum
(marqueur=500 nm), par T. Beveridge, Penn State University. (Droite) Structure transversale de l’axonéme.
Mouvement rectiligne avec freinage
On considère un organisme unicellulaire de forme sphérique avec R=1 µm, se déplaçant en
eau, η=0.001 kg/(m•s). La densité de la cellule est presque égale à celle de l’eau, ρ=103
kg/m3. Donc on a :
[28a] Masse de la cellule
= ρ (4/3πR3) = 103 4/3π (10-6)3 = 4.2 • 10-15 kg
[28b] Constante de freinage =
6πRη
= 6π 10-3•10-6 = 1.9 • 10-8 kg/s
Une cellule propulsée par plusieurs flagelles peut nager à la vitesse de 20 µm/s. La force de
freinage serait donc :
[29]
F = 1.9 •10-8 v = 3.8 • 10-13 N ~ 0.4 pN.
Si l’on calcule une estimation pour la distance d’arrêt,
[30]
x = mv / (6πRη) = 4.2 •10-15 • 2 •10-5 / 1.9 •10-8 = 4.4•10-12 m = 0.04 Å
on s’aperçoit que cette distance est presque nulle par rapport à la taille de la cellule. C’est-àdire que la propulsion ne résulte pas en natation libre, mais le mouvement est plutôt dominé
par la résistance visqueuse. Pour dépasser cette résistance, la cellule doit appliquer
constamment la force nécessaire à la natation. La consommation d’énergie, ou puissance, est :
[31]
P = F v =3.8•10-13 2•10-5 = 8 •10-18 watts (1 watt = 1 J/s)
Puisque chaque molécule d’ATP transformée en ADP+HPO4 donne ~ 30.5 kJ/mole, soit
5.07•10-20 J, il est nécessaire de consommer entre 100-200 molécules d’ATP par second pour
maintenir la propulsion de la cellule.
(RAPPEL : l’ATP n’est pas une source d’énergie, mais seulement un vecteur. L’ATP est
toujours consommé et reconstruit dans l’organisme, par conversion des carbohydrates dans le
cycle catabolique).
24
Mouvement rotatif avec freinage
On considère une bactérie qui s’avance par rotation d’un flagelle, poussé par la rotation en
sens opposé de son flagelle, dans un milieu visqueux. Le couple mécanique agissant sur un
objet qui tourne avec vitesse angulaire ω est :
[32]
T=Fω
Pour une sphère, le freinage rotationnel est proportionnel au cube de R,
[33]
F = 8πR3η
En utilisant les mêmes valeurs de R, η, etc., ci dessus :
[34]
F = 8π 10-3 (10-6)3 = 8π •10-21 kg m2/s
Des expériences sur des bactéries monoflagellaires donnent des valeurs de vitesse ω ~ 10 s-1,
ou ω=20π rad/s. Le couple typique résultant est de :
[35]
T = 8π • 10-21 20π = 1.6 •10-18 N m
et la puissance typique consommée :
[36]
PT = T ω = 1.6 •10-18 20π = 1 •10-16 J/s
semblablement 10 fois plus élevée que pour un mouvement rectiligne. Cela, par contre ne
nous dit rien sur la vitesse translationelle atteinte par la cellule. À vrai dire, les bactéries
rotatives sont capables de vitesses translationnelles beaucoup plus élevées que les cellules
eucaryotes (comme globules blancs ou fibroblastes), donc bien qu’il consomme plus
d’énergie, le moteur rotatifs semble plus efficace que le moteur rectiligne.
Un modèle juste un peu plus riche nous permet d’obtenir des informations comparables aux
expériences (voir : Y. Magariyama et al., Biophys. J., vol.69 (1995) p. 2154). Ici nous allons
operer une distinction entre la ωf du flagelle et la ωc de la cellule. Donc, les éqs.[29] et [32] se
transforment en:
[37]
Fc = αc v
[38]
Tc = βc ωc
pour la force et couple sur la cellule, et :
25
[39]
Ff = αf v + γf ωf
[40]
Tf = βf ωf + γf v
pour le flagelle, avec v la vitesse de natation, et les α, β, γ des coefficients de resistance
visqueuse. Les équations de balance à remplir sont évidemment :
[41]
Fc + Ff = 0
et
Tc + Tf = 0
Les coefficients de freinage de la cellule sphérique sont egales à αc=6πRη et βc=8πR3η (voir
eqs.[28b] et [33]. Les coefficients du flagelle, par contre, contiennent la longueur L, le rayonde-vis r, le pas-de-vis p, du flagelle. Avec des valeurs de L=5µm, r=0.15µm, p=1.5µm,
typiques des bacteries, on a : αf ~(4/7)πηL, βf ~(2/5)πηr2L, γf ~(-4/21π)pηL .
La solution de la [41] pour les forces donne la relation linéaire entre vitesse de natation et
vitesse angulaire du flagelle, ce qui est réellement observé dans les experiences conduites sur
des bactéries et virus avec un flagelle polaire (voir fig. suivante) :
[42]
v ="
#f
%f
$c + $ f
Il est interessant de souligner que le rapport v/ωf ne
depend pas de la viscosité. En plus, la solution de la
! [41] pour les couples donne le rapport entre les
vitesses de rotation du flagelle et de la cellule :
[43]
# c (% c + % f )
"f
#c
=
=
* $ 2f & # f (% c + % f )
" c ' $ 2f
& # f ,,
))
(%c + % f
+
Correlation à differentes temperatures entre
vitesse de natation, v (swimming speed), et
vitesse de rotation du flagelle ( ωf) pour
Vibrio alginolyticus. Triangles T=25°C,
points T=30°C, carrés T=35°C. Noter la
saturation horizontale à haute temperature.
La [42] semble donner une bonne explication des
données experimentales, sauf que aux plus hautes
! temperatures, pour lesquelles on observe une saturation du rapport v/ω vers une valeur
f
constante. Ce dernier phénoméne peut etre expliqué seulement en faisant appel à une étude
plus détaillé du mécanisme microscopique d’actuation mécanique du flagelle, c’est-à-dire de
sa structure moléculaire.
Le flagelle des bactéries est tout à fait différent du flagelle ou des cils des procaryotes (un
faisceau de microtubules actionné par la traction de la dyneine, alimenté par l’ATP, fig. cidessous, gauche). Les flagelles des bactéries sont composés de protéine flagelline, et sont des
tubes creux de taille ~20 nm. La structure est hélicoïdale, et a un coude fermé juste en dehors
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de la membrane externe appelée le "crochet", qui permet à la spirale de se diriger directement
loin de la cellule. Un axe fonctionne entre le crochet et le corps basique, passant par des
anneaux de protéines à travers de la membrane qui agissent en tant que roulements (fig. cidessous, droite).
Le flagellum bactérien est alimenté par un moteur rotatoire composé de protéines situées au
point d'ancrage du flagelle sur la membrane intérieure de cellules. Le moteur est actionné par
l'écoulement des protons (c.-à-d., ions d'hydrogène) à travers la membrane bactérienne due à
un gradient de concentration installé par le métabolisme des cellules (dans les bactéries de
type Vibrio cholerae le moteur est une pompe d'ion de sodium, plutôt qu'une pompe de
proton). Le rotateur transporte des protons à travers la membrane, et est tourné dans le
processus. Le rotateur par lui-même peut fonctionner à 6.000 à 17.000 t/mn, mais avec un
filament joint il atteint habituellement pas plus que 200 à 1000 t/mn.
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