LE TROUBLE BIPOLAIRE EN ENTREPRISE. Vécu et Représentations

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ECOLE DE PSYCHOLOGUES PRATICIENS
UNIVERSITE CATHOLIQUE DE PARIS
23, rue du Montparnasse
75006 PARIS
MEMOIRE DE RECHERCHE
en vue de l’obtention du
DIPLOME DE PSYCHOLOGUE
LE TROUBLE BIPOLAIRE EN
ENTREPRISE.
Vécu et Représentations
Effectué sous la direction du Professeur : Médina De Roux Ostermann
Par : Victoire MOTTE
Promotion : 2011
Option : Ressources Humaines
Date de naissance : 02/04/1987
Lieu de naissance : Clichy (92)
Classification informatique (mots clés 3 maximum)
Bipolaire, travail, handicap
Jury de soutenance :
Paris, le
1
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier ma famille et mes amis qui m’ont soutenue, épaulée, conseillée et supportée
tout au long de ce projet. Je remercie en particulier maman et Amélie pour leurs longues
corrections ainsi que Maude et Camille, amies et futures collègues.
Je remercie aussi Diane Flore Depachtère et Solange Sankara de m’avoir accueillie, suivie et
supervisée durant mon stage. Je n’aurais pas pu avoir cette maturité de réflexion dans ce projet
de mémoire tel qu’il est aujourd’hui.
Je remercie particulièrement les 6 participants de ma recherche, pour leur coopération, leur
disponibilité et la confiance qu’ils m’ont accordée.
Un grand merci également à Médina De Roux Ostermann qui m’a guidée en confiance dans ce
projet. Je vous remercie pour votre réflexion, votre disponibilité ainsi que votre soutien
optimiste et encourageant.
Je remercie Annie Labbé, Didier Papeta et ses patients, Christophe Docet, Claude Finkelstein,
Mathilde Blaise, George Coudray de m’avoir fait avancer dans ce projet de mémoire.
2
Je travaillais en hâte, me doutant bien que cette volonté n’était pas fixe, en hâte et
passionnément. Je frémissais de lire dans ces grands yeux tant de choses : la peur et le désir de
l’inconnu ; la mélancolie de l’amertume, expérimentée, qui est au fond du plaisir ; et le
sentiment d’une maîtrise de soi, involontaire et souveraine. (…) De tels êtres si ils se donnent,
semblent nous céder : c’est à eux-mêmes qu’ils cèdent. En eux réside une force contenue de
surhumaine, ou peut-être de divinement animale essence.
Paul Gauguin (1848-1903)
Noa Noa 1902
SPLEEN
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857
3
PLAN
REMERCIEMENTS
2
PARTIE 1
7
INTRODUCTION
7
I LE TROUBLE BIPOLAIRE
12
I.1. INFORMATIONS SUR LE TROUBLE BIPOLAIRE
12
I.1.1. DEFINITION
I.1.2. LES CHIFFRES
I.1.3. EVOLUTION DU CONCEPT
I.1.4. ETIOLOGIE
I.1.5. LES DIFFERENTES FORMES
I.1.6. SEXE RATIO
I.1.7. AGE D’ENTREE DANS LA MALADIE
I.1.8. ELEMENT DE SEMIOLOGIE
12
12
14
17
18
19
20
21
I.2. LES TROUBLES PSYCHIQUES, DU DENI A LA RECONNAISSANCE DU
HANDICAP
25
I.2.1. DEFINITION ET ETYMOLOGIE DU TERME HANDICAP
I.2.2. LES TROUBLES PSYCHIQUES, UN « VRAI » HANDICAP
I.2.3. DU DENI DES TROUBLES PSYCHIQUES A LA RECONNAISSANCE DU HANDICAP
PSYCHIQUE.
I.2.4. UNE LOI POUR LE HANDICAP PSYCHIQUE : LOI N° 2005-102 DU 11 FEVRIER 2005
POUR L’EGALITE DES DROITS ET DES CHANCES, LA PARTICIPATION ET LA CITOYENNETE
26
28
DES PERSONNES HANDICAPEES
I.2.5. LE HANDICAP PSYCHIQUE EN ENTREPRISE
I.2.6 LES REPRESENTATIONS DE LA MALADIE MENTALE
30
33
35
29
II LE TRAVAIL
38
II.1. PRINCIPES DE BASE SUR LE TRAVAIL
38
II.1.1. DEFINITION
II.1.2 UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL
38
40
II.2.TRAVAIL ET SANTE MENTALE
40
4
II.2.1. HISTORIQUE
II.2.2. LE TRAVAIL « C’EST LA SANTE » : LES EFFETS CLINIQUES DU TRAVAIL
II.2.3. LA VALEUR « TRAVAIL » POUR LES TRAVAILLEURS HANDICAPES
II.2.4. LE TRAVAIL, CREATEUR DES TROUBLES PSYCHIQUES
40
42
44
46
III L’INSERTION PROFESSIONNELLE DU TROUBLE BIPOLAIRE
48
III.1 LES DIFFICULTES SPECIFIQUES A L’EMPLOI DES PERSONNES
HANDICAPEES PSYCHIQUES
48
III.1.1. UN CONTEXTE ECONOMIQUE DIFFICILE
III.1.2. LES IMAGES ASSOCIEES AU TROUBLE PSYCHIQUE
48
49
III.2. ACCUEIL ET INTEGRATION D’UN SALARIE HANDICAPE PSYCHIQUE EN
ENTREPRISE
50
III.3. ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES SOUFFRANT DE TROUBLES
PSYCHIQUES
52
III.4. LES SIGNES REVELATEURS DU TROUBLE BIPOLAIRE
52
III.5. L’AMENAGEMENT DE POSTE DU SALARIE EN SITUATION DE HANDICAP
PSYCHIQUE
53
III.6. LE SALARIE HANDICAPE, ACTEUR DE SON INSERTION
PROFESSIONNELLE
54
III.7. LES REALITES SUR LE TERRAIN : LA MISSION HANDICAP DE VEOLIA EAU
SUR SA POLITIQUE HANDICAP. PROPOS RECUEILLIS DE MATHILDE BLAISE,
RESPONSABLE DE LA MISSION HANDICAP DE VEOLIA EAU.
55
PARTIE 2
58
I METHODOLOGIE
58
I.1. CHOIX DU SUJET
58
I.2. CADRE DE LA RECHERCHE
58
I.2.1. POPULATION D’ETUDE
I.2.2. LIEU ET DEROULEMENT
58
60
I.3. CHOIX ET PRATIQUE DE L’ENTRETIEN CLINIQUE
61
I.4. L’ELABORATION DU GUIDE D’ENTRETIEN DE L’ENTRETIEN CLINIQUE
64
5
I.5. ASPECTS ETHIQUES ET DEONTOLOGIQUES
65
II RESULTATS
67
II.1. ANALYSE DES DONNEES CLINIQUES
67
II.1.1 DELPHINE : 48 ANS
II.1.2. MARTIN : 47 ANS
II.1.3. SEBASTIEN : 50 ANS
II.1.4. SOPHIE : 52 ANS
II.1.5. AUDREY : 60 ANS
II.1.6. CHARLES : 45 ANS
67
72
75
80
84
87
II.2. SYNTHESE DES RESULTATS DES ENTRETIENS CLINIQUES
91
III. DISCUSSION
93
III.1. VALIDATION DES HYPOTHESES
93
III.2. LIMITES DE L’ETUDE
98
III.3. OUVERTURE
99
CONCLUSION
101
RESUME
104
BIBLIOGRAPHIE
105
ANNEXES
110
6
PARTIE 1
Introduction
Le trouble bipolaire a longtemps été un sujet qui appartenait au monde de la santé. Ce
thème était peu relié au monde de l’entreprise, car le milieu professionnel ordinaire
semblait incompatible et inenvisageable chez une personne souffrant de troubles
psychiques. « Leur seule issue était le retour à la vie « normale » ou le maintien dans
un système de soins qui n’hésitait pas, à l’époque à recourir à des hospitalisations à
long terme » (Baptiste, 2005, p. 15).
Il est vrai que selon les chiffres, environ 50% des personnes souffrant de troubles
psychiques sont inactives (Romans & McPherson, 1992).
Dans l’enquête « Santé mentale en population générale, images et réalité » menée en
2004 par l’ASEP (Association septentrionale d'épidémiologie psychiatrique) et le
CCOMS (Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la santé), en terme de
conséquences sur le travail, nous pouvons constater que les personnes concernées
par un trouble psychique, se déclarent gênées par leurs troubles dans 50% des cas et
ont dû s’arrêter de travailler dans 2% des cas (Agence entreprises et handicap, 2009,
p. 37).
Sur le site internet de Bipol entreprises, site crée par des personnes souffrant de
bipolarité, qui permet de faire le lien entre le monde professionnel et la maladie, nous
avons pu relever que certains personnages illustres, ayant eu une grande destinée ont
eux-mêmes souffert de troubles bipolaires. C’est le cas de Winston Churchill, Audrey
Hepburn ou encore Marie Curie. Le travail, avoir un métier, faire une carrière
professionnelle serait donc compatibles avec les troubles bipolaires.
La maladie peut être vue selon deux aspects : soit la maladie (bipolarité) est trop
intense et empêche la personne souffrant de ces troubles de travailler ; soit l’entreprise
de son côté n’a pas une connaissance suffisante des troubles psychiques pour les
accueillir en entreprise.
Sur le plan législatif, l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés dans les
entreprises date de la loi du 11 février 2005. Vis-à-vis des troubles psychiques, cette loi
7
a été une avancée ; elle a reconnu officiellement les troubles psychiques comme
pouvant entrainer un handicap.
Selon Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY, fédération des associations
d’usagers en santé mentale, une personne sur trois sera un jour touchée dans sa vie
par un trouble psychique.
Depuis la Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées, les entreprises de plus de vingt salariés ont
une obligation d’emploi de personnes souffrant d’un handicap à hauteur de 6% de
leurs effectifs. Depuis cette loi de 2005, les entreprises ont particulièrement avancé sur
le sujet du handicap de manière générale notamment sur le recrutement,
l’accompagnement et le maintien en emploi des personnes souffrant d’un handicap.
En matière de handicap psychique, l’enjeu lié au maintien dans l’emploi des salariés
faisant l’expérience de troubles psychiques est devenu fort, la compréhension de ces
troubles devient une évidence. Les entreprises ont à l’heure actuelle l’obligation de
moyens et de résultats des 6 % que nous avons évoqués précédemment, quant à la
prise en charge des problématiques humaines dans l’ensemble des services, elles
semblent donc motivées pour appréhender, comprendre et prendre en charge les
troubles psychiques. En effet, elles se rendent compte que la prise en charge des
salariés permet des perspectives de progrès et améliore les performances de
l’entreprise.
Le trouble bipolaire serait également la 6 ème cause mondiale de handicap pour la
population âgée de 15 à 44 ans selon l’étude Global Burden of Disease qui estime
l’ampleur du handicap créé par 200 maladies et causes de handicap et occuperait la
9ème place du nombre de "daly " (nombre d'années de vie perdues ou d'invalidité).
Dans les Actes du colloque de Sciences Po du 29 avril 2009 sur « l’entreprise face aux
troubles psychiques », une étude en Angleterre montre que le coût de la perte de
productivité dû à l’absentéisme pour cause de santé mentale en Angleterre a été
évalué à 21,3 milliards d’euros en 2002-2003. Ceux de l’absentéisme à 42 milliards
d’euros (Bourmaud, 2009, p. 103). C’est un défi auquel fait face l’entreprise et un enjeu
économique important.
8
Comment accompagner les personnes souffrant de troubles psychiques ?
Le handicap psychique « se situe dans une zone fluctuante et insaisissable entre les
relations interpersonnelles et les interactions sociales : il est difficile à identifier, à
définir et à cerner et nous sommes encore face à une problématique d’intégration ou
de maintien dans l’emploi où les enjeux sont très présents » (Agence Entreprises et
Handicap, 2009, p. 28).
De nombreuses structures permettent cet accompagnement de salariés en situation de
handicap psychiques comme le club Arihm, l’Œuvre Falret. Les entreprises se rendent
compte aujourd’hui que l’accompagnement et le maintien dans l’emploi des salariés est
plus rentable pour l’entreprise par rapport à l’isolement de la personne en la
« mettant » au placard.
« La principale difficulté avec le handicap psychique et donc le trouble bipolaire c’est
qu’il se situe dans le vécu professionnel quotidien propre de la personne,
contrairement à d’autres types de handicap où le champ des besoins est identifié avant
même l’intégration dans le collectif » explique Claire Le Roy Hatala (Agence
Entreprises et Handicap, 2009, p. 27).
Notre intérêt pour le handicap psychique dans le travail est né d’une expérience de
stage dans un Centre Médico Psychologique de la banlieue parisienne. C’était notre
premier contact avec la maladie psychique et dans la file active des patients venant au
Centre pour effectuer diverses activités de resocialisation après un passage en hôpital
psychiatrique, un petit nombre de patients travaillaient. La plupart en milieu protégé ou
ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) et d’autres en milieu ordinaire
de travail. Le défi pour ces personnes était de retrouver une vie sociale et
professionnelle grâce au travail et leur motivation tendait vers ce but. Nous nous
sommes demandé comment ces personnes se représentaient le fait de « travailler » et
quelles étaient leurs motivations.
Nous nous sommes ensuite intéressés aux employeurs et plus particulièrement aux
missions handicap mises en place dans les entreprises. Nous sommes actuellement
en stage dans un cabinet de conseil en ressources humaines qui intervient sur les
questions de la diversité dans l’entreprise, c’est-à-dire, le handicap, les seniors et
l’égalité hommes/femmes.
9
Concernant le handicap psychique en entreprise, nous avons mis en place au sein du
cabinet, une recherche sur ce sujet tout au long de l’année afin d’établir un « guide
pratique » à l’intention des entreprises pour les aider à mieux appréhender,
accompagner et gérer les personnes souffrant de troubles psychiques dans le milieu
professionnel.
Cette recherche nous a amené à rencontrer de nombreux partenaires (missions
handicap, managers, ressources humaines, médecins du travail, professionnels dans
l’accompagnement…) qui sont à la fois interrogatifs face aux troubles psychiques mais
volontaires pour trouver des solutions d’accompagnement et de maintien dans l’emploi
des personnes souffrant de troubles psychiques.
Il est donc intéressant de se rendre compte que du côté des patients et de l’entreprise,
la volonté d’intégration est présente. Nous nous sommes alors demandés quel « pont »
était-il possible de mettre en place pour relier ces deux mondes ?
Nous sommes tout d’abord partis sur l’hypothèse que le déni des personnes souffrant
de bipolarité pouvait être un frein ou un moteur de leur insertion professionnelle. Le
déni, mécanisme de défense qui est « l’impossibilité pour le sujet d’intégrer un élément
de la réalité jugé insupportable » (Chartier, 2003, p. 46) aurait été impossible à évaluer
chez des personnes souffrant de bipolarité. Il aurait été difficile qu’elles acceptent de
nous rencontrer. Nous nous sommes donc interrogés sur la représentation du travail
chez des personnes souffrant de bipolarité et comment ces personnes arrivaient à
« gérer » leurs troubles.
C’est pourquoi nous pouvons nous poser la problématique suivante : En quoi la
représentation de la maladie chez les personnes souffrant de troubles bipolaires
est un moyen de gérer leurs troubles ?
Nous pouvons nous interroger sur les hypothèses suivantes :
-
Dans quelles mesures, le fait de travailler en milieu ordinaire de travail est-il
compatible avec un trouble bipolaire ? (H1)
-
Pourquoi le trouble bipolaire est-il « mal vu » en entreprise ? Est-ce dû à sa
méconnaissance ? (H2)
10
-
Dans quelle mesure les changements d’organisation du travail dans les
entreprises augmentent les facteurs de stress et accentuent la survenue du
trouble bipolaire ? (H3)
-
Comment le terme « handicap » joue-t-il un rôle dans l’acceptation du trouble
bipolaire ou du handicap bipolaire ? (H4)
11
I Le trouble bipolaire
I.1. Informations sur le trouble bipolaire
I.1.1. Définition
Le trouble bipolaire (anciennement appelé psychose maniaco-dépressive) est un
trouble psychique alternant entre des phases dépressives (mélancolie) et des phases
d’excitation (manie). Entre ces deux phases, la personne souffrant de troubles
bipolaires retrouve un état normal.
Dans la quatrième édition du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux
(DSM IV), le trouble bipolaire est définit « par la présence (ou des antécédents)
d’épisodes
maniaques,
d’épisodes
mixtes
ou
d’épisodes
hypomaniaques
accompagnés habituellement de la présence ou d’antécédents d’épisodes dépressifs
majeurs » (American Psychiatric Association, 2004, p. 399).
Ces troubles font partie de la catégorie des troubles de l’humeur et peuvent avoir
plusieurs formes dont quatre essentielles que nous décrirons un peu plus bas.
I.1.2. Les chiffres
Le trouble bipolaire constitue un problème majeur de santé publique.
Selon l’OMS, il fait partie des dix maladies les plus coûteuses et invalidantes au plan
mondial (1% des DALYS toutes maladies confondues).
La prévalence du trouble bipolaire de type I (caractérisée par un ou plusieurs épisodes
maniaques ou mixtes habituellement accompagnés d’épisodes dépressifs majeurs) a
longtemps été évaluée à 1% de la population générale ce qui correspond à 500 000
patients en France et celle du trouble bipolaire de type II (un ou plusieurs épisodes
dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque) à 0,5%. Il
12
est important de noter qu’il existe également un taux important de formes mineures qui
ne sont pas prises en compte dans la prévalence des 1%.
Sur le plan mondial en population générale, « la prévalence du trouble bipolaire se
situe entre 0,3% en Ethiopie et 5,1% en Hongrie » (Leboyer, 2005, p. 2). Nous
pouvons nous demander si la différence importante entre ces deux prévalences est
liée au contexte culturel des pays ou à un dépistage de la maladie plus ou moins
accessible aux populations.
Sur le site internet de « Bipol Entreprises », il est noté qu’une personne bipolaire peut
« errer » entre 6 et 10 ans avant d’obtenir le bon diagnostic, c’est-à-dire 4 à 5
médecins consultés en moyenne, 73 % de diagnostics erronés avant le bon diagnostic
et environ 50% des dépressions cacheraient un trouble bipolaire. L’errance du
diagnostic peut s’accompagner d’une désinsertion sociale et professionnelle massive
durant cette période.
Le rythme entre deux épisodes, varie en moyenne entre 4 et 13 mois et peut survenir à
un rythme de 0,6 par an, ce qui correspond à un épisode tous les deux ans environ.
Deux tiers des patients font face à un dysfonctionnement psychosocial important
(Leboyer, 2005).
La capacité à retrouver un emploi ou une occupation diminue au fur et à mesure des
épisodes. Les taux de chômage, d’absentéisme et d’échec à retourner au travail après
un épisode sont plus élevés chez les patients bipolaires par rapport à une population
témoin (Dean, Gerner, & Gerner, 2004).
La bipolarité affecte significativement l’insertion professionnelle : 50 % des sujets sont
inactifs et seuls 16 % ont un emploi à temps plein (Romans & McPherson, 1992).
Certaines études ont remarqué que seul un patient bipolaire sur cinq qui « fonctionne
au mieux » de ses capacités réussit dans le travail (Leboyer, 2005, p. 3). Cela nous
montre que la bipolarité dont souffre une personne joue un rôle important dans ses
capacités au travail.
Aux Etats-Unis, 37% des personnes souffrant de troubles bipolaires qui sont en âge de
travailler ont un emploi. Au Royaume-Uni, le taux d’emploi des personnes souffrant de
bipolarité est de 54% (Leboyer, 2005). La différence entre les taux d’emplois signifie-telle que l’accompagnement des personnes souffrant de bipolarité est meilleur au
Royaume-Uni et que le monde de l’entreprise s’adapte mieux à la personne ou cela
13
signifie-t-il que la reconnaissance du trouble bipolaire se fait plus facilement au
Royaume-Uni qu’aux Etats-Unis ? La stigmatisation est-elle moins forte selon les pays
et permet alors une meilleure reconnaissance ?
I.1.3. Evolution du concept
Hippocrate semble être le premier au Vème siècle avant J-C à avoir décrit la forme de
dépression sévère sous le terme de « bile noire ».
Arétée de Capaddoce au premier siècle de l’ère chrétienne dans son livre premier Des
signes et des causes des maladies chroniques explique au chapitre six De la Manie
aurait mentionné à propos des maniaques : « l’accès fini, ils deviennent languissants,
tristes, taciturnes ».
Dans l’art, la mélancolie a traversé les siècles : elle est reconnaissable dans de
nombreuses iconographies « la tête appuyée sur une main (voire les deux) pour
contrebalancer sa propre lourdeur »1. Cette lourdeur s’exprime dans des locutions
comme « une tristesse de plomb » ou « se sentir les jambes de plomb » qui sont
encore utilisées aujourd’hui (Garrigue, 2004, p. 80).
Dès la Grèce Antique, nous retrouvons ce geste caractéristique dans l’Athéna
mélancolique, vêtue du péplos elle porte le casque et s'appuyant sur sa lance elle
regarde la stèle posée devant elle. C’est un style sévère car l’Athéna gravée dans la
pierre ne sourit pas.
A l’époque Rococo, nous retrouvons Watteau avec « Gilles » son clown tragique crée
en 1719. Il sera suivi par une lignée de clowns peints indifféremment jusqu’au 20ème
siècle par Rouault puis par Picasso.
Fin 19ème, nous retrouvons Edouard Munch avec « Mélancolie » peint en 1894-1895.
Au 20ème siècle, Denis Hopper nous donne une version de la mélancolie avec « New
York movies ».
1
Citation de M. Préau, 1982, Mélancolies, Paris, Herscher, cité par Ursulla Guarrigue dans son article Sur la mélancolie
dans l’art.
14
La mélancolie s’exprime différemment selon les époques : pour la Grèce classique, la
mélancolie représente à la fois, la nature des génies mais aussi un côté existant de
folie avec la « bile noire » d’Aristote. Au Moyen-âge, la mélancolie est associée de
manière moralisatrice à « l’acédie » qui est une maladie et un péché. Un « être atone,
inactif pour ne pas dire paresseux, morne, immobile, s’isolant de la société et de Dieu
est prédisposé à entrer en contact avec le diable » (Garrigue, 2004, p. 80).
Les thèmes sont mégalomaniaques, érotiques ou scatologiques. Les couleurs sont
vives ; les traits, les taches, les signes d'écriture s'entremêlent, se chevauchent et
donnent un aspect de confusion. La malpropreté, l'inachèvement traduisent la « fuite
des idées » (ibid p.80).
Au cours de la psychose maniaco-dépressive ou de la cyclothymie, les périodes
sombres alternent avec des périodes éclatantes.
Le peintre Vincent Van Gogh souffrait de bipolarité et avait des tendances suicidaires
(Brenot, 2007). Le 9 juillet 1890, peu de temps avant son suicide d’une balle dans le
ventre survenu le 27 juillet 1890, il peint à la suite, trois exemplaires des Champs de
blé aux corbeaux dont un exemplaire se trouve en annexe.
Ces trois tableaux sont peints de la même manière et à la suite. Ils sont tous identiques
sauf sur le nombre des corbeaux. Placés les uns à côté des autres, ils créent un
mouvement, comme si les oiseaux arrivaient de manière progressive. Le foisonnement
des couleurs froides et chaudes, vives et ternes est très important (Brenot, 2007).
Le peintre utilisait un couteau pour disposer les couches de peinture et nous pouvons
ressentir les mouvements frénétiques de superposition des couches de peinture dans
ce tableau.
« Avec la maladie que j’ai, je me dis que cela n’est pas un empêchement pour exercer
l’état de peinture comme si de rien n’était... Je laboure comme un possédé, j’ai une
fureur de travail plus que jamais. Et je crois que cela contribuera à me guérir » disait
Vincent Van Gogh.
La maladie maniaco-dépressive a emprunté de multiples dénominations qui viennent
rendre compte de ses aspects cliniques et de ses cours évolutifs extrêmement variés.
15
C’est au dix-neuvième siècle que l’on peut remarquer une prise de conscience de la
bipolarité comme une maladie unique caractérisée par une alternance entre deux
pôles : un versant maniaque et un versant dépressif.
En 1854, Jules Baillarger dans son Essai de classification des maladies mentales
(Baillarger, 1854) décrit d’une « folie à double forme » dans laquelle nous pouvons
remarquer deux périodes : une première période d’excitation et l’autre de dépression. Il
présente ce terme devant l’Académie de Médecine de la Pitié Salpétrière le 31 janvier
1854.
Quelques jours plus tard, au même endroit, Jean-Pierre Falret revendique la « folie
circulaire » prémonitoire du trouble bipolaire, caractérisée par trois périodes distinctes :
un état mélancolique, un épisode maniaque et un intervalle lucide qui les sépare
(Falret, 1854, p. 247).
Legrand du Saule, médecin pendant la guerre de la Commune en 1870-71, décrit un
« délire à formes alternes » où la forme se caractérise par la succession régulière
d'accès maniaques et mélancoliques et où chaque épisode est séparé du suivant par
un intervalle où le psychisme est normal.
Certains évoquent également la psychose périodique, la psychose cyclique ou la
psychose intermittente. Dans ces différents termes, nous pouvons remarquer que cette
pathologie se caractérise par une succession d’accès mélancoliques ou maniaques.
Ceux-ci envahissent la vie psychique, instinctuelle, psychomotrice et neurovégétative
du sujet, c’est pour cette raison que la bipolarité sera considérée tout au long du
vingtième siècle comme une psychose.
La « folie maniaco-dépressive » de Kraepelin en 1899, décrit des « accès
individualisés qui se distinguent de manière plus ou moins tranchée l’un de l’autre de
l’état de santé ou qui se ressemblent ou qui diffèrent l’un de l’autre constituant même
parfois des opposés presque parfaits. Nous différencions donc avant tout des états
maniaques dont les signes pathologiques essentiels sont la fuite des idées, l’humeur
exaltée et le besoin d’activité et des états mélancoliques ou dépressifs avec dysphorie
triste ou anxieuse et difficulté à penser ou à agir ». Kraepelin pose les bases d’une
conception moderne et actuelle de la bipolarité en distinguant psychose maniacodépressive et schizophrénie. Le terme de psychose fait référence à une altération
fondamentale du contact avec la réalité qui est observée lors des phases de
16
décompensation. Cette altération reste momentanée et ne dure que le temps de
l’épisode (Médard, 2009).
Camus et Deny, en 1907, créent le terme de psychose maniaco-dépressive. En 1917,
Freud évoque les rapports inconscients entre le deuil et la mélancolie.
C’est Kleist, en 1957, qui utilise le premier le terme de bipolaire. Il différencie les
formes polymorphes des troubles de l’humeur, parmi lesquels la psychose maniacodépressive bipolaire. Pour Kleist, celle-ci s’oppose aux psychoses unipolaires, qui
comprennent les manies isolées et les mélancolies isolées.
I.1.4. Etiologie
Les troubles bipolaires, ont une origine multifactorielle, et proviennent de facteurs
essentiellement génétiques, psychologiques et environnementaux.
Sur le terrain génétique, de nombreux facteurs psychiques et environnementaux
peuvent augmenter la manifestation d'un accès maniaque ou dépressif ou le début de
la maladie.
Une vulnérabilité génétique existe sur laquelle se rajoute différents types de facteurs
environnementaux comme des événements de vie précoces (carences affective,
séparation, sévices, agression sexuelle) ; des situations de stress (événements de vie
pénibles, surmenage, manque de sommeil, abus de substances, perturbations des
rythmes sociaux) (Médard, 2009).
En interagissant entre eux, ces événements
favorisent l’apparition de la maladie et la rendent plus sévère.
L’histoire, la personnalité de l’individu, son environnement sont en partie, des
catalyseurs et des déclencheurs de la maladie psychique.
Selon l’UNAFAM (Union Nationale des Amis et des Familles de maladies psychiques),
l’observation de la vulnérabilité génétique de la bipolarité montre une augmentation du
risque de déclenchement de la maladie chez les apparentés directs de premier degré à
10% par rapport à la population générale où le risque est de 1%. Le risque d’être
malade chez les apparentés directs est donc multiplié par dix. Chez les jumeaux
17
monozygotes, les « vrais jumeaux » ayant 100% des gènes en commun, 69% des cas
auront les deux jumeaux atteints de bipolarité. Chez des jumeaux dizygotes, aussi
appelés les « faux jumeaux », 13% des deux jumeaux seront tous les deux atteints de
troubles bipolaires.
I.1.5. Les différentes formes
Le DSM IV reconnaît au trouble bipolaire des formes plurielles parmi lesquelles quatre
sont essentiellement retenues :
-
le trouble bipolaire I est le plus typique, il est caractérisé par un ou plusieurs
épisodes maniaques ou mixtes habituellement accompagnés d’épisodes
dépressifs majeurs. On parlera aussi de trouble bipolaire même si l’épisode
dépressif n’est pas marqué).
-
le trouble bipolaire II qui comporte un ou plusieurs épisodes dépressifs
majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque,
-
le trouble cyclothymique (Trouble bipolaire
II ½ ) qui comprend de
nombreuses périodes d’hypomanie ne répondant pas aux critères d’un épisode
maniaque et de nombreuses périodes dépressives ne remplissant pas les
critères d’un épisode dépressif majeur pendant une période d’au moins deux
ans,
-
le trouble bipolaire III qui s’accompagne d’une dépression majeure avec des
épisodes de manie ou d’hypomanie dus au traitement
-
le trouble bipolaire IV qui correspond à une dépression majeure avec un
tempérament hyperthymique.
Les épisodes thymiques ont une sémiologie, un degré de sévérité et une évolution
dans le temps qui sont différents selon les individus.
18
I.1.6. Sexe Ratio
Le trouble bipolaire touche autant les femmes que les hommes (sexe ratio de 1).
Cependant, « les différences sont nombreuses entre les hommes et les femmes
bipolaires, dans l’âge de début, le cours évolutif, la présentation clinique et la réponse
au traitement » (Médard, 2009, p. 561).
Chez l’homme, le premier épisode est plus précoce et intervient en moyenne 3 à 5 ans
plus tôt que chez la femme. Les femmes seraient plus enclines à faire un épisode
dépressif que les hommes et seraient plus souvent diagnostiquées comme ayant un
trouble bipolaire de type II (un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés
par au moins un épisode hypomaniaque). Le diagnostic serait également plus tardif
chez les femmes : elles semblent déclarer les troubles bipolaires plus tardivement,
c’est-à-dire après 45 ans.
Le risque suicidaire est trois fois supérieur chez les femmes. On retrouve également ce
chiffre dans les statistiques de population générale. Cependant, le risque de décès
pour les hommes par suicide est de 3 contre 1 par rapport aux femmes et nous
pouvons retrouver ce chiffre autant chez les bipolaires que dans la population générale
(Slama & Bellivier, 2005).
Si les femmes sont plus nombreuses à commettre une tentative de suicide, le taux de
suicide réussi est trois fois plus élevé chez les hommes. Les hommes utilisent en effet
des moyens pour se suicider plus violents.
Nous estimons qu’entre 25% et 50% des personnes souffrant de bipolarité font au
moins une tentative de suicide au cours de leur vie et 20% décèdent par suicide
(Médard, 2009).
Concernant les conduites addictives :
 Alcool : le risque d’abus ou de dépendance à l’alcool chez les hommes bipolaires
est de 49 % et chez les femmes bipolaires, de 29 %.
 Drogues : Le risque d’abus ou de dépendance aux drogues est de 54,5 % chez les
hommes et de 37, 8% chez les femmes bipolaires.
19
Cependant, il est important de noter que le risque de développer des conduites
addictives chez les hommes bipolaires correspond à celui de la population générale
alors que celui-ci est nettement augmenté chez la femme bipolaire (Slama & Bellivier,
2005, p. 40).
L’alcool ou les drogues permettent-ils de supporter mieux les symptômes ?
Permettent-ils de les atténuer ? De les augmenter ?
I.1.7. Age d’entrée dans la maladie
L’âge d’entrée de la bipolarité peut survenir entre 15 et 80 ans.
Nous pouvons distinguer trois phases majeures :
- Une première phase de déclaration d’entrée dans la maladie importante qui
intervient entre 15 et 30 ans. Elle est associée à une augmentation du risque de
suicides considérable. Pour les personnes qui ont été diagnostiquées à cette période,
environ 35 à 45% des cas avaient des signes précurseurs de la maladie à
l’adolescence. Plus les troubles débutent tôt, plus les troubles seront sévères et le
nombre de rechutes important et la présence d’éléments psychotiques (Leboyer, 2005,
p. 11).
- Une deuxième phase entre 30 et 45-50 ans correspondant à une diminution
du nombre de personnes déclarant une bipolarité.
- Et une dernière phase, à partir de 50 ans avec une recrudescence de
déclenchements de la maladie.
L’âge influence de manière décisive la déclaration de la maladie sous le versant
maniaque ou dépressif. En effet, on peut remarquer que les épisodes qui ont lieu avant
l’âge de 25 ans sont purement maniaques. Nous retrouvons ensuite ces épisodes
maniaques vers 55 ans mais de manière sporadique. Entre 25 et 30 ans et parfois
jusqu’à 80 ans, les personnes qui déclarent une bipolarité la commencent plutôt par le
versant dépressif.
20
I.1.8. Elément de sémiologie
Selon les données du DSM IV, nous étudierons les éléments de sémiologie des deux
versants du trouble bipolaire : l’épisode dépressif majeur, l’épisode maniaque. Nous
étudierons également l’épisode mixte et l’épisode hypomaniaque.
Episode dépressif majeur :
L’épisode dépressif majeur inscrit dans le DSM IV est marqué par les éléments
suivants :
Premièrement, 5 des symptômes suivants doivent être présents dans l’épisode
dépressif majeur avec l’obligation de la présence du symptôme 1) ou du symptôme 2) :
1) « Une humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous
les jours, signalée par le sujet […] ou observée par les autres […]».
2) Une « diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque
toutes les
activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours
(signalée par le sujet ou observée par les autres) »
3) Une « perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime […], ou
diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours ».
4) Une « insomnie ou hypersomnie presque tous les jours »
5) Une « agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours
(constaté par les autres, non limité à un sentiment subjectif de fébrilité ou de
ralentissement intérieur ».
6) Une « fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours ».
7) Un « sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée
(qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou
se sentir coupable d’être malade ».
8) Une « diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision
presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres) ».
9) Des « pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées
suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis
pour se suicider » (American Psychiatric Association, 2002, p. 163).
21
Deuxièmement, « les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte ».
Troisièmement, « les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou
une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines
importants ».
Quatrièmement, « les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques
directs d’une substance […] ou d’une affection médicale générale ».
Cinquièmement, « les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est-àdire après la mort d’un être cher, les symptômes persistent pendant plus de deux mois
ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations
morbides de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un
ralentissement psychomoteur » (ibid.).
Au niveau cognitif, le versant dépressif s’exprime dans le ralentissement et la pauvreté
des idées. La personne a des difficultés au niveau de la concentration, l’attention, la
compréhension, le raisonnement, et la mémoire. « Le patient dit parfois être « décalé »
dans ses relations interpersonnelles » (Leboyer, 2005, p. 12).
Au niveau moteur, les gestes et les mimiques sont réduits. La personne reste prostrée
et lorsqu’elle se déplace, la personne a une démarche lente. Les activités élémentaires
quotidiennes sont compliquées à réaliser. Les patients se plaignent d’une fatigabilité
importante et d’une perte de motivation importante (Leboyer, 2005, p. 13). Il y a un
risque majeur de passage à l’acte suicidaire dans les épisodes dépressifs.
La durée de cet état varie entre plusieurs jours, quelques semaines, jusqu’à plusieurs
mois. Pour le Docteur Elie Hantouche, c’est un « dérèglement pathologique », c’est-àdire que « son intensité est suffisante pour entrainer une altération marquée du
fonctionnement social ou professionnel » (Hantouche, 2006, p. 54). Ces phases
maniaques peuvent se résoudre par une hospitalisation.
22
Episode maniaque :
Plusieurs éléments distincts sont répertoriés dans l’épisode maniaque selon le DSM IV.
Premièrement, il faut « une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est
élevée de façon anormale et persistante, pendant au moins une semaine ou toute
autre durée si une hospitalisation est nécessaire) ».
Deuxièmement, « au cours de cette période de perturbation de l’humeur, au moins 3
des symptômes suivants (4 si l’humeur est seulement irritable) ont persisté avec une
intensité suffisante » :
1) Une « augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur »
2) Une « réduction du besoin de sommeil »
3) Une « plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler
constamment ».
4) Une « fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent »
5) Une « distractibilité »
6) Une « augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel,
scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice ».
7) Un « engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé
de conséquences dommageables »
Troisièmement, « les symptômes ne répondent pas aux critères d’un épisode mixte ».
Quatrièmement, « la perturbation de l’humeur est suffisamment sévère pour entraîner
une altération marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales ou des
relations interpersonnelles, ou pour nécessiter l’hospitalisation afin de prévenir des
conséquences dommageables pour le sujet ou pour autrui, ou bien il existe des
caractéristiques psychotiques ».
Cinquièmement, « les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs
d’une substance […] ou d’une affection médicale générale » (ibid. p 164).
Le versant maniaque touche l’humeur, les facultés cognitives, motrices ainsi que la
motivation.
23
« L’humeur est caractérisée par une labilité émotionnelle avec une amplification des
émotions, la personne est euphorique, expansive, heureuse et optimiste » (Leboyer,
2005, p. 15).
Dans ces périodes, l’estime de Soi de la personne augmente, son discours peut être
parfois grossier et elle peut faire face à un plus grand besoin de communication.
L’agitation, la multitude d’activité, l’hyperactivité sont souvent effectuées de manière
stérile. Au niveau du comportement, l’épisode maniaque se traduit par des
« alcoolisations massives, une désinhibition sexuelle ou la transgression des interdits
sociaux ». L’enthousiasme et la motivation peuvent entraîner le sujet dans des projets
hasardeux et inadaptés (Leboyer, 2005, p. 15).
Episode mixte :
Nous retrouvons 3 critères dans l’épisode mixte selon les données du DSM IV :
1) Une réunion des critères de « l’épisode maniaque et de l’épisode dépressif
majeur, et cela presque tous les jours pendant au moins une semaine ».
2) Une « perturbation de l’humeur suffisamment sévère pour entraîner une
altération marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales ou
des relations interpersonnelles […] ».
3) Les « symptômes ne sont pas dûs aux effets physiologiques directs d’une
substance ».
Episode hypomaniaque :
L’épisode hypomaniaque est décrit dans le DSM IV selon les éléments suivants :
1) « une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est élevée de façon
persistante, expansive ou irritable, clairement différente de l’humeur non
dépressive habituelle, et ce, tous les jours pendant au moins 4 jours ».
24
2) La présence de 3 des symptômes suivants « au cours de la période de
perturbation de l’humeur » :
a. « Augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur »
b. « Réduction du besoin de sommeil »
c. « Une plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler
constamment »
d. Une « fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées
défilent »
e. Une « distractibilité »
f.
Une
augmentation
de
l’activité
orientée
vers
un
but
(social,
professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice
g. « Un engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel
élevé de conséquences dommageables ».
3) « L’épisode s’accompagne de modifications indiscutables du fonctionnement »,
4) « La perturbation de l’humeur et la modification du comportement sont
manifestes pour les autres ».
5) « La sévérité de l’épisode n’est pas suffisante pour entraîner une altération
marquée du fonctionnement professionnel ou social ».
6) « Les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une
substance ou d’une affection médicale générale » (American Psychiatric
Association, 2002, p. 166).
I.2. Les troubles psychiques, du déni à la reconnaissance du handicap
Pendant longtemps, les troubles psychiques ont été considérés comme une maladie et
non comme un handicap. Nous verrons dans cette partie, le cheminement qui a permis
d’amener la reconnaissance du handicap vers les troubles psychiques.
25
I.2.1. Définition et étymologie du terme handicap
La notion de « handicap » renvoie à de multiples réalités et à de nombreux domaines
(physique, mental, sensoriel, social…).
Dans le Grand Dictionnaire de la Psychologie, le handicap est la « situation d’une
personne qui se trouve désavantagée, d’une manière ou d’une autre, par rapport à
d’autres
personnes ».
Un
handicapé
« se
dit d’une
personne
atteinte
d’un
désavantage, infériorité résultant d’une déficience ou d’une incapacité qui interdit ou
limite l’accomplissement d’un rôle social, ce dernier étant considéré en rapport avec
l’âge, le sexe, les rapports sociaux et culturels ».
Il est intéressant de remarquer que sur le plan sémantique, le sens à l’origine du mot
handicap n’est pas le même pour lequel il est employé aujourd’hui.
Au départ, le mot « handicap » est composé de l’association de trois mots anglais :
« hand », « in » et « cap » qui signifient littéralement « la main dans le chapeau ».
C’était un jeu d’échange d’objets personnels pratiqués au XVIe siècle en Grande
Bretagne. « Le nom de handicap a été donné à une sorte de jeu comportant une part
de chance, dans lequel une personne propose d’acquérir un objet familier qui
appartient à une autre personne en lui offrant en échange quelque chose qui lui
appartient » (Hamonet, 1990, p. 7). Un arbitre, évaluant le prix des objets, était chargé
de surveiller l’équivalence des lots afin d’assurer l’égalité des chances des joueurs.
Ensuite, le mot « handicap » est utilisé dans le milieu hippique : les meilleurs chevaux
devaient porter un poids supplémentaires par rapport aux autres chevaux ou courir sur
une distance plus importante afin que tous les chevaux aient une chance égale de
gagner la course.
Le terme arrive en France en 1827, il est utilisé pour la première fois par T. Bryon dans
son Manuel de l’Amateur des courses. Il explique qu’une « course à handicap est une
course ouverte à des chevaux dont les chances de vaincre, naturellement inégales,
sont, en principe, égalisées par l’obligation faite au meilleur de porter un poids plus
grand » (Mautuit, 2009, p. 17). Retenons qu’à cette époque, le terme handicap ne
s’applique que dans le domaine hippique.
26
Le handicap est généralisé au domaine sportif vers 1854 et signifie tout désavantage
imposé dans une épreuve à un concurrent plus fort. C’est la nécessité d'être équitable
en « désavantageant » ou en annulant un avantage chez un concurrent. Le terme
handicap permettait à l’origine « d’égaliser les chances » (Mautuit, 2009, p. 17).
Ce qui est intéressant dans cette recherche de l’origine du sens du terme handicap,
c’est de remarquer qu’il s’est complètement inversé aujourd’hui. Actuellement, « la
personne handicapée n’est pas la plus performante que l’on freine, mais la moins
performante à qui l’on a essayé de diminuer les effets du handicap » (Rabischong,
2008, p. 50).
Le terme handicap prend son sens figuré « d’entrave », de « gène, d’infériorité » vers
1913 (Rey, 2006, p. 1682).
Dans le Petit Robert dans les années 1950, on parle de « désavantage, infériorité
qu’on doit supporter ». Le handicap est alors une caractéristique individuelle qui
intervient à la suite d’une incapacité ou d'une déficience.
Sur le plan législatif, les expressions « handicap » et « travailleur handicapé »
apparaissent pour la première fois dans la Loi du 23 novembre 1957. Cette loi traite de
la question du reclassement professionnel du travailleur handicapé 2.
Dans l’article 1er de cette loi, « est considéré comme travailleur handicapé pour
bénéficier des dispositions de la présente loi, toute personne dont les possibilités
d’acquérir, ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une
insuffisance ou d’une diminution de ses capacités physiques ou mentales ».
Ne sont alors reconnues « handicapées » que les personnes qui ont une
reconnaissance en tant que travailleur handicapé délivrée auparavant par la
COTOREP3, aujourd’hui remplacée par la CDAPH4. Cet organisme prend les décisions
relatives aux droits des personnes handicapées, notamment en matière d'attribution de
prestations et d'orientation. Elle est compétente pour l’ensemble des décisions
individuelles d’allocation, de prestation, de reconnaissance de la qualité de travailleur
handicapé, d’orientation scolaire, médico-sociale, professionnelle et d’attribution de
cartes d’invalidité et de stationnement.
2
Loi n° 57-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement professionnel des travailleurs handicapés
Commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel
4
Commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées
3
27
La loi du 23 novembre 1957 nous donne une définition du handicap basée sur des
procédures et non sur ce qu’est concrètement le handicap.
François Bloch Lainé dans le rapport au premier ministre, « Etude du problème général
sur l’inadaptation des personnes handicapées » de 1967, donne une définition plus
précise sur le terme de handicap en le considérant comme un problème d’écart par
rapport à une norme : « Sont inadaptés à la société dont ils font partie, les enfants, les
adolescents, et les adultes qui, pour des raisons diverses, plus ou moins graves,
éprouvent des difficultés plus ou moins grandes, à être et à agir comme les autres. De
ceux-là, on dit qu’ils sont handicapés parce qu’ils subissent par suite de leur état
physique, mental, caractériel ou de leur situation sociale, des troubles qui constituent
pour eux des handicaps, c’est-à-dire des faiblesses, des servitudes particulières par
rapport à la normale. La normale étant définie comme la moyenne des capacités et des
chances de la plupart des individus vivant dans la même société » (Mautuit, 2009, p.
22).
Les deux lois du 30 juin 1975 encadrent l’action nationale qui doit être apportée en
faveur des personnes handicapées, c’est-à-dire, « la prévention et le dépistage des
handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi,
la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et
aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux »,
afin de leur apporter « toute l’autonomie dont ils sont capables »5.
Nous pouvons définir une situation de handicap comme « le résultat de la confrontation
entre les possibilités d’une personne et son environnement (soi, les autres,
l’organisation, l’espace) nécessitant une relation d’aide (technique, médicamenteuse,
humaine) pressentie, identifiée ou faisant l’objet d’une demande. Elle est réductible par
une intervention humaine, médicamenteuse adéquate ayant fait l’objet d’un programme
individuel basé sur des objectifs négociés » (ibid p33).
I.2.2. Les troubles psychiques, un « vrai » handicap
Afin de comprendre en quoi les troubles psychiques sont un handicap, nous devons
d’abord nous pencher sur une définition des troubles psychiques.
5
Article Ier de la Loi n° 75-534 d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975.
28
« Les troubles psychiques […] sont plus ou moins intenses, ponctuels ou permanents
ou encore plus ou moins précoces. Ils entraînent des itinéraires de vie très différents
selon le degré d’autonomie (ou de dépendance des personnes). Certains malades
mènent une existence normale, d’autres vivent de manière plus ou moins permanente
en institution ou ont un besoin continu d’aides psychosociales : on parle alors de
personnes handicapées psychiques. Les handicaps psychiques sont donc des
handicaps réels, dans la mesure où ils illustrent un lien durablement perturbé entre la
personne et son environnement social et réclament des aides sociales, médicales et
psychologiques de longue durée » (Zribi & Sarfati, 2008, p. 11).
Le handicap psychique est un « dysfonctionnement de la personnalité caractérisé par
des perturbations graves, chroniques ou durables du comportement et de l’adaptation
sociale » (ibid p.10).
C’est dans le désavantage, l’inadaptation, la perte d’autonomie que les troubles
psychiques constituent un handicap. C’est dans ce désavantage par rapport à la vie
sociale que la personne souffrant de troubles psychiques a un handicap.
Ce handicap est plus ou moins important en fonction des troubles de la personne qui
s’expriment plus ou moins fortement, ce qui inclue des besoins et une dépendance visà-vis de la société plus ou moins importants. « C’est la pérennité et la qualité du lien
entre l’individu et la société qui détermine le handicap en tant que carence relationnelle
nécessitant un accompagnement particulier » (Agence Entreprises et Handicap, 2009,
p. 27).
I.2.3. Du déni des troubles psychiques à la reconnaissance du handicap
psychique.
Les troubles psychiques ont longtemps été considérés comme une maladie mais ils
sont aujourd’hui de réels handicaps.
Les lois de 1957 et de 1975 ne faisaient pas clairement allusion aux troubles
psychiques. Ils ne faisaient donc pas partie des plans d’actions mis en place dans ces
lois. A l’époque, il semble que les personnes souffrant de troubles psychiques étaient
considérées comme malades et ne pouvant donc pas bénéficier du statut d’handicapé
29
et des droits auxquels pouvaient prétendre les bénéficiaires de ces lois (Baptiste,
2005).
Les personnes souffrant de troubles psychiques avaient alors deux solutions :
-
« Un retour à la vie « normale »
-
Demeurer dans le parcours de soins » (Baptiste, 2005, p. 15)
Les troubles psychiques n’étaient alors pas considérés comme pouvant porter atteinte
à la vie sociale des personnes et ceux-ci n’avaient pas de légitimité à pouvoir
bénéficier du statut d’handicapé.
C’est la mobilisation de différents acteurs (professionnels de la psychiatrie, usagers,
familles…) qui permet une évolution de la notion des troubles psychiques vers un
handicap.
Les difficultés à vivre en société des personnes souffrant de troubles psychiques sont
prises en compte, elles sont prises en charge de manière différentes grâce notamment
à l’ouverture des unités psychiatriques dans les hôpitaux ou au raccourcissement de la
durée des hospitalisations (Baptiste, 2005).
Les troubles psychiques sont peu à peu considérés comme générateur d’un handicap
car les conséquences des troubles sur la vie sociale sont importantes.
La reconnaissance officielle du handicap psychique s’effectue sur le plan législatif
grâce à la loi du 11 février 2005 qui dans sa définition officielle du handicap inclue les
troubles psychiques.
I.2.4. Une loi pour le handicap psychique : Loi n° 2005-102 du 11 février 2005
pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté
des personnes handicapées a permis une meilleure reconnaissance du handicap
psychique. Elle vient réformer et moderniser la loi du 30 juin 1975 appelée « loi de
l’orientation en faveur des personnes handicapées ».
30
Les détériorations liées aux troubles psychiques sont, grâce à cette loi reconnues
comme pouvant générer un handicap. Dans l’article 2 de cette loi, le handicap est
défini comme « (…) toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en
société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération
substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé
invalidant. »
Cette définition donne un sens très large au handicap. Les troubles psychiques sont
pris en compte, c’est-à-dire « les répercussions de ces troubles dans la vie quotidienne
qui compromettent la scolarité, la formation, l’activité professionnelle et/ou des activités
sociales et citoyennes » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 169).
Les professionnels travaillant dans le secteur psychiatrique insistent sur les
conséquences sociales provoquées par le handicap psychique comme « l’isolement, la
stigmatisation, le risque de marginalisation, le sentiment d’étrangeté » qu’il suscite
chez les autres vis-à-vis de certains comportements. Ils insistent également sur le
« caractère imprévisible de ce handicap, la variabilité des troubles mais aussi par la
difficulté pour l’entourage d’identifier et de comprendre les manifestations de ce
handicap (handicap non visible) » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 169).
« Il est vite apparu que ces troubles peuvent être graves et persistants et demandent
un besoin d’aide et d’accompagnement des personnes handicapées psychiques dans
leur vie quotidienne et leur participation sociale, auquel ne peuvent pas seulement
répondre les actions de soins » (ibid).
Cette loi a institué un élan collectif qui pourrait contribuer à changer véritablement
notre regard sur le handicap et renforcer l’intégration des personnes en situation de
handicap psychique.
La difficulté dans le handicap psychique est d’identifier précisément ce que recouvre le
mot « psychique ». En effet, on retrouve une grande variété de troubles, un panel de
situations important et des origines très variées. Les entreprises se sentent
légitimement démunies lorsqu’elles se retrouvent face à une personne en situation de
handicap car elles ne peuvent pas prévoir à l’avance comment gérer ces différentes
situations du fait d’une grande variabilité de troubles psychiques.
Grâce à la loi, le handicap psychique est désormais reconnu, ce qui est un élément
positif car il est pour les personnes concernées, un moyen de parvenir à une vie de
citoyen plus autonome.
31
Nous retrouvons quatre grands axes dans cette loi :
-
Le droit à la compensation qui permet d’élargir les droits et de les adapter aux
besoins.
-
La Maison du handicap qui permet de simplifier les démarches en les
regroupent dans un seul lieu.
-
La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie permet de faciliter la gestion
des fonds.
-
Le développement de l’intégration sociale dans différents domaines comme la
scolarité,
l’emploi,
l’accessibilité,
la
communication,
les
nouvelles
technologies…
Face à l’insertion professionnelle et l’obligation d’emploi plusieurs domaines sont
abordés et développés :
Le principe de non discrimination implique à certaines entreprises « l’obligation de
prendre des mesures nécessaires pour permettre aux travailleurs handicapés
d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification ou
pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée » (Aït-Ali & Lesieur,
2008, p. 176). Une partie des dépenses d’aménagement des postes de travail,
d’adaptation et d’accompagnement sont apportées par l’employeur.
La priorité au travail en milieu ordinaire
Le système de pilotage de l’insertion professionnelle : « Dans la Loi, une convention de
coopération est prévue entre les fonds du public et les fonds du privé. Il ya également
une mise en œuvre de politiques concertées d’accès à la formation et à la qualification
professionnelle. Les dispositions de la loi de 1987 restent les mêmes concernant
l’obligation d’emploi à part certains ajustements et la création d’un fonds similaire à
celui géré par l’Agefiph pour le privé dans les trois fonctions publiques (hospitalière,
territoriale et de l’Etat) » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 176).
L’extension de l’obligation d’emploi : de nouveaux bénéficiaires peuvent prétendre à
l’obligation d’emploi ; les bénéficiaires de l’Allocation aux adultes handicapés ainsi que
les titulaires de la carte d’invalidité.
Deux moyens : l’incitation et la sanction : l’incitation à l’embauche est valorisée, c’està-dire que les entreprises pourront déduire les dépenses en faveur de l’insertion
32
professionnelle des travailleurs handicapés dans des domaines comme l’accessibilité,
le reclassement, l’hygiène, la sécurité et la formation.
De même, si les entreprises ne respectent pas le quota des 6% des travailleurs
handicapés dans leurs effectifs, la contribution qu’elles doivent payer sera multipliée
par trois en 2009.
Le milieu adapté et le milieu protégé : de nouveaux droits sont accordés aux
personnes travaillant en Entreprises Adaptées (EA) et en Etablissement et Services
d’Aide par le travail (ESAT) en matière de droit à la réintégration en milieu protégé,
d’accompagnement à l’insertion en milieu ordinaire de travail, de validation des acquis
de l’expérience, de congé parent
al pour les personnes travaillant en ESAT.
La réussite de toutes ces nouvelles dispositions varie selon le secteur d’activité, la
taille et la culture de l’entreprise.
La plupart du temps, les besoins des personnes souffrant de troubles psychiques ne
sont pas d’ordre matériel. Il s’agit plus d’un besoin d’accompagnement adapté grâce à
une modification de l’organisation et des pratiques professionnelles.
I.2.5. Le handicap psychique en entreprise
La loi du 11 février 2005 répond à un fort besoin d’égalité des personnes souffrant d’un
handicap à accéder aux droits, notamment en matière de droits au travail. De plus,
cette loi fait écho aux principes de non discrimination de la Convention européenne
des Droits de l’Homme et de la Charte des Droits Fondamentaux qui lutte contre toute
forme de discrimination notamment dans les articles 20, 21 et 23.
L’individu est revalorisé au travail, dans sa singularité. Il est important de prendre en
compte le salarié : ses besoins, sa santé et de renforcer la confiance mutuelle (Agence
Entreprises et Handicap, 2009).
« Il est fondamental d’intégrer la question du handicap psychique dans la politique des
ressources humaines de l’entreprise. […] Il est important d’associer les collègues de
travail au processus d’intégration, la présence d’un salarié qui souffre d’un handicap
psychique générant une pression importante auprès des autres professionnels.
Néanmoins, la sensibilisation de ces derniers atténue cette pression, améliore la
33
tolérance et induit une progression positive de la personne en situation de handicap
psychique » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 182).
Nous pouvons remarquer une grande hétérogénéité de handicaps dans la population
atteinte de troubles psychiques. « C’est le besoin d’aide, d’accompagnement et de
prise en compte de la situation singulière de la personne qui fait naitre la situation de
handicap » (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 27).
Concernant le trouble bipolaire, les personnes souffrant de ces troubles passent par
des phases de stabilisation plus ou moins longues, parfois entrecoupés de moments
plus difficiles. « Les personnes souffrant de troubles psychiques ne sont pas en phase
aigue tout le temps » nous explique Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY,
fédération des usagers en psychiatrie. Les troubles psychiques s’expriment
différemment chez chacun.
Dans le monde du travail, il y a les personnes qui souffrent ponctuellement de troubles
psychiques ayant une gravité moindre, c’est-à-dire qu’ils peuvent s’aménager des
« espaces de récupération » (congés, télétravail…) ainsi que des personnes qui sont
déstabilisés sur leur poste de travail du fait de troubles constants nécessitant une prise
en charge adaptée.
« Dans l’entreprise, le handicap psychique se situe dans l’écart qui va exister entre les
attentes de l’entreprise et le comportement du salarié » (Agence Entreprises et
Handicap, 2009, p. 27). Il est nécessaire que la politique de l’entreprise en faveur du
handicap soit en concordance avec celle du salarié souffrant de troubles psychiques.
Lorsque le salarié fait l’expérience d’une crise sur son lieu de travail, il ne remplit plus
les rôles sociaux que l’entreprise attend de lui.
Il a de fait :
-
« Une moindre capacité à s’adapter
-
Une difficulté à entrer en relation avec les autres
-
Une diminution des habiletés sociales » (Baptiste, 2005, p. 34)
« L’enjeu du handicap psychique quotidien se situe donc dans le vécu professionnel
quotidien contrairement à d’autres types de handicap pour lesquels le champ des
besoins est identifiable avant même l’intégration dans le monde de l’entreprise. Le
handicap psychique se situe dans la zone fluctuante et insaisissable des relations
34
interpersonnelles et des interactions sociales. Il est difficile à identifier, définir, cerner »
(Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 28).
La visibilité du handicap psychique en entreprise est faible. D’une part, la RQTH
(Reconnaissance de qualité de travailleur handicapé) n’énonce pas la nature du
handicap lorsqu’elle est donnée et elle peut ne pas être annoncée à l’employeur.
En troisième lieu, la plupart des personnes souffrant de troubles psychiques ne font
pas de démarches pour être déclarées travailleur handicapé. Une étude menée en
2006 par Julie Chabanais-Motin, médecin du travail, montre que sur 126 patients
souffrant de troubles psychiques, seulement 18,1% avaient une RQTH ou
Reconnaissance de Qualité du Travailleur Handicapé (Chabanais-Motin, Venier,
Lesage, & Deschamps, 2006, p. 41).
La prévalence de salariés souffrant de troubles psychiques au sein de l’entreprise et
reconnus travailleurs handicapés ne peut pas être évaluée. La plupart des salariés
souffrant de troubles psychiques taisent leur trouble au sein de leur entreprise de peur
d’être jugés pour leur handicap.
I.2.6 Les représentations de la maladie mentale
« L’approche des représentations permet d’aborder la façon dont la société réagit,
répond à la réalité et la construit » selon Denise Jodelet, psychologue sociale dans les
Actes du colloque qui s’est déroulé à Science Po sur « l’entreprise face aux troubles
psychiques le 29 avril 2009.
Selon Denise Jodelet, « La représentation relève de la connaissance ordinaire, du
sens commun ; elle sert de programme de perception, de grille de lecture de notre
monde de vie, de guide d’action et d’orientation des communications » (Agence
Entreprises et Handicap, 2009, p. 71). Certains mots comme les troubles psychiques
ont une signification forte et sont lourds de conséquences pour ceux qui en souffrent.
Ces notions viennent de la culture de la société.
Il y a souvent une confusion entre handicapé mental et malade mental. Or, ces deux
expressions ont toutes les deux un sens différent. Un handicapé mental est une
35
personne qui, « dès les premières années de la vie, a une insuffisance notable du
fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif ».
Le malade mental « souffre, lui, d’une pathologie psychiatrique, apparue au cours de la
vie, entraînant des désordres comportementaux qui constituent pendant leur durée une
situation invalidante. Si les désordres laissent des séquelles, on parlera d’handicap
psychique » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 199).
La maladie mentale et donc les troubles psychiques renvoient à une image négative :
« L’image des patients souffrant d’un handicap psychique reste déplorable dans le
public. Ils ont hélas à souffrir de silences, de préjugés profondément enracinés dans
l’imaginaire collectif », citation extraite du rapport rédigé par Michel Charzat en 2002 à
l’attention de Ségolène Royal, à cette époque Ministre Déléguée à la Famille, à
l’Enfance et aux personnes Handicapées (Charzat, 2002, p. 7).
Cette image négative est due à une méconnaissance importante de la maladie
psychique. L’UNAFAM (Union Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques)
explique que « la méconnaissance des caractéristiques de ce handicap provoque
presque
obligatoirement
des
réactions
d'incompréhension
qui
favorisent
incontestablement la stigmatisation et la crainte. Ces sentiments sont renforcés par
des idées très anciennes sur les maladies mentales. L'existence de dispositifs
d'accompagnement organisés et ouverts aux professionnels du social et des
campagnes de communication dans la cité sont de nature à combattre efficacement
ces comportements » (Charzat, 2002, p. 33)
Dans mon stage de cinquième année en cabinet de conseil en ressources humaines,
sur les questions de diversité en entreprise, nous avons organisé une table ronde en
octobre 2010 sur le handicap psychique en entreprise. Nous avons pu relever
quelques exemples cités par des interlocuteurs en entreprise sur la notion de handicap
psychique : « un schizophrène, c’est violent », « j’ai un salarié bipolaire, je fais quoi,
moi, s’il décide de se suicider sur le plateau »…
Il est important de savoir qu’en réalité, les chiffres montrent que les personnes
touchées par les troubles psychiques ne sont pas plus dangereuses ou violentes que
la population générale.
« Tout le monde a peur de la folie et de la maladie mentale. La discrimination, le rejet
et la ségrégation des personnes souffrant de troubles psychiques sont les expressions
36
brutales de la stigmatisation qui s’attache aux maladies mentales comme au dispositif
de soins psychiatriques » (Charzat, 2002, p. 33).
Face à cette méconnaissance, il est intéressant de mener un travail d’information dans
toutes les sphères de la société comme en entreprise. « Il faut combattre les a priori,
informer pour transgresser les tabous. Le regard et les mentalités doivent changer pour
que ces maladies soient mieux connues, acceptées et que cessent toutes attitudes
stigmatisantes, culpabilisantes et d’auto-défense » (Charzat, 2002, p. 7).
« Chacun peut être un jour concerné, il suffit d’un accident de la vie » (ibid).
37
II Le travail
« Aucune autre technique de la vie
n’attache aussi fermement l’individu à la réalité
que le travail car il procure une place sécurisante
dans la réalité et dans la communauté humaine »
(Freud, 1930)
II.1. Principes de base sur le travail
II.1.1. Définition
Dans le Petit Robert, le premier sens du mot « travail est un « état pénible » (période
de l’accouchement) ». Il signifie également « l’ensemble des activités humaines
orientées vers un but ». Il acquière ce sens à la fin du 15 ème siècle et fait référence à
« l’ensemble des activités humaines coordonnées en vue de produire quelque chose ;
état, situation d’une personne qui agit en vue de produire quelque chose ». Le sens du
travail en tant qu’activité laborieuse est développé au 19 ème siècle et désigne une
« activité laborieuse professionnelle et rétribuée » ou encore, « l’activité économique
des hommes (aidés ou non par les machines) organisée en vue de produire des biens
et des services répondant aux besoins individuels et collectifs ». (Dictionnaire Le Petit
Robert de la Langue Française, 2010).
Joël Jung a définit le travail en trois points :
Premièrement, le travail désigne « toute activité demandant une attention ou un effort
physique ou intellectuel ». Deuxièmement, le travail correspond selon lui aux « seules
activités rétribuées ou effectuées en vue d’un gain ». Troisièmement, le travail serait
« les activités, soutenues ou non, rétribuées ou non par lesquelles nous produisons
matériellement les objets de consommation et d’usage » (Jung, 2000, p. 11).
Au niveau étymologique, le mot « travail » a une double signification :
-
Le travail signifie peine et souffrance : il est issu du latin « tripaliare » et signifie
littéralement « tourmenter, torturer avec le « trepalium » qui est un instrument
de torture (Rey, 2006, p. 3900). C’était un appareil formé de trois pieux, utilisé
38
pour ferrer ou soigner les animaux, ou un instrument de torture pour punir les
esclaves.
-
Le travail est aussi synonyme de bien-être, de valorisation sociale, voire d’ «
opérateur de construction de santé » (Davezies, 1993, p. 33).
Le travail occupe une grande place dans la société. Selon le Conseil Economique et
social, le travail s’insère à la fois dans une « tradition économique, philosophique,
sociologique, politique qui fait du travail le fondement de la vie des hommes en société
et la condition de leur réalisation en tant qu’individus autonomes » (Boutillier &
Unzunidis, 2006, p. 301).
Christophe Dejours dans Le facteur Humain a développé la notion de travail en
distinguant tout d’abord l’activité de la tâche. Selon lui, la tâche est « ce que l’on
souhaite obtenir ou ce que l’on devrait faire » et l’activité représente ce qui, « face à la
tâche est réellement fait par l’opérateur pour tenter d’atteindre, au plus près, les
objectifs fixés par la tâche ». Le travail, dans un contexte défini, est avant tout pour
Christophe Dejours une activité ; cette notion étant « plus précise et plus spécifique »
que la notion de tâche (Dejours, 1995, p. 39).
Il ajoute également à la notion de travail, l’efficacité et l’utilitaire. Un travail doit prendre
en compte la dimension « d’efficacité », « d’utilitaire » et s’inscrire dans un contexte
économique pour « homologuer une activité au titre de travail » (ibid.).
L’utilité est le critère qui permet de faire une distinction entre loisir et travail, non-travail
et travail. En effet, lorsqu’une activité s’inscrit dans un contexte économique et à une
« utilité économique », cela est considéré comme un travail. Des activités comme
« jouer au tennis, monter à cheval » n’ont pas d’utilité économique (elles ne
« rapportent » pas financièrement), ce sont des activités de loisir. « C’est au regard de
ce critère utilitariste que l’on distingue le vacancier du moniteur » (Dejours, 1995, p.
40).
Selon Christophe Dejours « Le travail, c’est l’activité coordonnée déployée par les
hommes et les femmes pour faire face à ce qui, dans une tâche utilitaire, ne peut être
obtenu par la stricte exécution de l’organisation prescrite » (Dejours, 1995, p. 44).
Il prend en compte les termes « d’activité », « d’efficacité », « d’utilitaire » développés
plus haut ainsi que la notion de « réel ». Il insiste sur la dimension humaine du travail :
« ce qui doit être ajusté, réaménagé, imaginé, inventé, ajouté par les hommes et les
femmes pour tenir compte du réel du travail » (Dejours, 1995, p. 45).
39
II.1.2 Une nouvelle organisation du travail
Dans le monde du travail, nous assistons actuellement à de nouvelles formes
d’organisation du travail qui subissent de nombreuses transformations. Selon
Christophe Dejours, ces transformations sont « les nouvelles technologies, la
flexibilisation de l’emploi, les méthodes d’évaluation individualisée des performances et
les certifications de qualité » (Dejours, Conjurer la violence. Travail, violence et santé,
2011, p. 20).
Avant les années 1980-1990, « bien travailler consistait tout simplement à faire ce
qu’on vous avait demandé de faire » (Légeron, 2006, p. 18). A partir des années 19801990, une nouvelle vision du travail s’est mise en place. « Faire son travail ne suffisait
plus, il fallait se dépasser. C’est un peu comme dans le milieu sportif : si vous sautez
2,40 m, cela veut dire que vous êtes sans doute capable de monter un peu plus »
(ibid.). Le culte de la performance, les objectifs à atteindre sont toujours plus
conséquents.
Les changements comme les restructurations professionnelles, la mobilité, les
déménagements sont devenus une « donnée constante de notre vie au travail »
(Légeron, 2006, p. 36). Ils sont de plus en plus importants dans les entreprises car
celles-ci cherchent à tous prix à gagner en performance. Le salarié doit s’adapter à
tous ces changements parfois brutaux et douloureux, être flexible, mobile sous peine
de subir des conséquences considérables et durables dans son travail, sur sa santé et
son bien-être.
II.2.Travail et Santé Mentale
II.2.1. Historique
Le 6 décembre 1791, un rapport est adressé au département de Paris « par l’un de ses
membres » stipule « qu’un travail sagement approprié aux forces, à l’intelligence, à
l’état de chacun (des fous) serait lui-même un moyen de guérison et les vues
40
économiques s’accorderaient ici, comme il arrive presque
toujours, avec les vues
bienfaisantes et médicales » (Montès, 1993, p. 41)
Philippe Pinel, médecin et philosophe français est convaincu de la valeur thérapeutique
du travail. Il est le premier théoricien à l’écrire dans son Traité Médico-philosophique
en 1801 sur l’aliénation mentale. Il explique « qu’un travail mécanique n’a point été
seul l’objet de la sollicitude des fondateurs de cet établissement (Nuestra Señora de
Gracia). Ils ont voulu retrouver une sorte de contrepoids aux égarements de l’esprit,
par l’attrait et le charme qu’inspire la culure des champs, par l’instinct naturel qui porte
l’homme à féconder la terre et à pourvoir ainsi à ses besoins, par les fruits de son
industrie » (Montès, 1993, p. 48).
Le docteur Max Parchappe, médecin chef à l'asile Saint-Yon de Rouen, procède, en
1830, à des essais de travail. Il écrit que « le travail est dans les asiles d'aliénés,
comme dans toutes les agglomérations humaines, une condition essentielle du
maintien de l'ordre et de la conservation des bonnes mœurs. […] (Le travail) on le
considère comme un moyen hygiénique propre à entretenir la santé par le maintien de
l'équilibre des forces, soit qu'on l'envisage comme un moyen moralisateur apte à
assurer la paix de l'âme par l'éloignement de la tristesse et de l'ennui » (ibid. p.49).
Selon l’article 91 du règlement intérieur et vie quotidienne de l’Asile de Sainte Anne, «
le travail est institué dans l’asile comme moyen de traitement et de distraction ». Cette
idée est présente dès 1832 et reste d’actualité aujourd’hui dans le règlement de Sainte
Anne. A l’époque, la plupart des aliénés « s’occupaient journellement, à des ouvrages
de culture sur une exploitation de quarante-cinq hectares, sous la surveillance de trois
gardiens. Ils effectuent aussi des travaux de terrassement, de maçonnerie, de
badigeonnage, de menuiserie, de serrurerie et de charpente » (ibid). Cela permettait
notamment pour la famille, de réduire la somme à payer pour l’entretien de la personne
en hôpital psychiatrique.
A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la psychothérapie institutionnelle apparaît.
Auparavant, c’était le travail lui-même qui était salvateur. Dorénavant, ce n’est plus le
travail mais la situation du travail en tant que rencontre possible qui est thérapeutique.
Avec la loi du 30 juin 1975, la question du travail va désormais se poser à l’extérieur de
l’hôpital. Les ateliers thérapeutiques voient le jour afin de traiter les problèmes
concernant le réentrainement au travail, la rééducation et le reclassement
41
professionnel des malades mentaux à la sortie de l’hôpital. Avec cette loi, le travail
devient une fin en soi et le patient qui sort le l’hôpital psychiatrique est orienté très
souvent vers le milieu ordinaire du travail ou vers le milieu protégé (en ESAT :
Etablissement et Service d’Aide par le Travail, ou en Entreprise Adaptée).
II.2.2. Le travail « c’est la santé » : Les effets cliniques du travail
La maladie psychique éloigne les personnes touchées parfois durablement du monde
du travail. Avec de bons dispositifs, les troubles psychiques ne sont pourtant pas
incompatibles avec la notion de travail.
Les recommandations du Bureau International du Travail sur la santé mentale
valorisent le travail dans sa dimension structurante. Il est reconnu comme ayant un
impact significatif sur la santé mentale dans différents registres : il structure les
horaires car l’absence d’horaires est l’un des principaux troubles psychologiques ; il
favorise le contact social car il permet d’accéder à un environnement social à
l’extérieur de la famille ; il permet d’avoir un identité sociale car l’emploi est un élément
important de la construction identitaire ; il est source d’activité régulière car il permet
d’organiser ses journées (World Health Organization, 2000).
Le travail est donc pour plusieurs raisons prôné comme participant à une meilleure
santé mentale, dans la mesure où il peut participer à la stabilisation des symptômes.
La valeur travail est inestimable : « … certains ont cru que l’idéal pour l’homme était de
vivre dans une société des loisirs, du temps libre. Ce fut une erreur profonde. L’oisif
s’ennuie très vite et déprime, car il n’est plus « situé » dans son environnement… Le
travail a un rôle irremplaçable pour l’individu lui-même. C’est la contribution de chaque
individu à la société. Et c’est pourquoi, en retour, chacun perçoit un salaire, dont le
montant doit se rapprocher de l’utilité sociale. Le travail, c’est le ciment ultime de la
société et de la solidarité qui en est le fondement… Le travail participe au sens de la
vie, au sens du temps, comme élément central de la cohésion sociale… Une société
qui reconnaît le travail ne fonde sa reconnaissance que sur le travail accompli, qu’il soit
manuel ou intellectuel, technique ou artistique ». Citation extraite d’une chronique de
Claude Allègre dans l’Express du 9 août 2004 (Baptiste, 2005, p. 109).
42
Une étude sur l’impact du travail menée au Canada en 1999 montre que le travail
procure des avantages d’importance sur le plan psychologique par la multiplication des
contacts sociaux et la consolidation de l’estime de soi ; mais également sur le plan
clinique en favorisant la structuration de temps, la normalisation, l’autogestion des
symptômes et la prévention des décompensations et des hospitalisations (Mercier,
Provost, Denis, & Vincelette, 1999).
En France, en 1996, les résultats de l’étude de Foxonet sur l’insertion professionnelle
des jeunes malades mentaux nous montrent que le travail entraine une modification du
sentiment de valeur des personnes pouvant aboutir à une estime de Soi positive. De
même, le travail permet de structurer le temps et est même un moyen pour surmonter
les problèmes existentiels de l’être humain, par exemple la solitude et la mort. Le
travail permet aussi aux individus de s’accomplir en leur donnant des occasions de
relever des défis et de poursuivre leurs idéaux (Foxonet, 1996).
Henri Dorvil dans sa réflexion sur le rôle du travail dans les processus de réhabilitation,
met en exergue quatre cibles dans le travail :
1. « Le développement de processus de base comme le sens de la responsabilité,
le jugement et la perception,
2. L’amélioration de l’estime de soi,
3. Une baisse des hospitalisations et des incapacités secondaires,
4. Le développement d’habilités sociales et relationnelles » (Dorvil, 2007, p. 285).
Plus récemment, le travail continue à être déterminant dans la nouvelle vision du
rétablissement notamment dans les pays anglo-saxons car conçu en termes de «
recovery » (Beaulieu et al, 2002). Il devient un intégrateur social et une forme de
traitement de première importance. L’objectif soutenu par l’idée du « recovery » et celui
d’un retour à la condition dite normale d’existence et d’exercice de la citoyenneté rendu
possible par le travail à quatre niveaux (Beaulieu et Provencher, 2002)
1. L’augmentation de l’estime de soi,
2. La vision d’un futur à nouveau rempli d’espoir,
3. La réappropriation du pouvoir personnel (empowerment) et de la capacité
de faire des choix grâce à une meilleure utilisation des ressources
personnelles et environnementales,
4. La validation externe du potentiel individuel.
43
En définitive, que se soit par l’expérience sociale, identitaire, statutaire ou
psychologique sur le terrain, les mouvements de réhabilitation constatent une action
positive du travail sur la santé mentale.
Dans la médecine du travail, l’organisation du travail joue sur la santé physique et
mentale des personnes. Davezies en 1999 soutient que « le travail constitue un
opérateur de santé dans la mesure où il offre au sujet l’occasion de rejouer, dans des
contextes toujours partiellement renouvelés, la tension entre ses désirs, son histoire,
son style propre et les normes collectives qui fondent les jugements quant à l’utilité,
l’efficacité, la justice et les modalités de l’expression personnelle » (Morin, 2001, p.
101).
Warr en 1987 va jusqu’à même désigner les effets du travail « vitaminiques ». Le
travail agit comme un véritable tonique sur l’identité personnelle, en outre parce qu’il
contribue à rehausser l’estime de soi (ibid.).
II.2.3. La valeur « travail » pour les travailleurs handicapés
Selon Denise Jodelet, psychologue sociale, les travailleurs handicapés font du « travail
», un moyen d’insertion à caractère social parce qu’il autorise « la formation », «
l’adaptation », « l’acceptation » et la « reconnaissance » dans l’espace d’une
communauté. Rejetant « l’assistance » rapportée au médecin et le soutien, le «
secours » rapporté à l’amitié et sont sensibles aux bénéfices sociaux qu’accorde le
statut de travailleur (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 75).
Claire Le Roy Hatala présente six aspects principaux de ce que le travail représente
pour les personnes souffrant de troubles psychiques6 :
1. Un lieu privilégié du lien social et du statut social où elles peuvent
rencontrer de nouvelles personnes. Le travail est recherché et valorisé car il
procure un sens à sa situation sociale et à son identité grâce aux rencontres et
à la reconnaissance sociale dont il est constitutif. Le regard de la société n’est
6
Tiré du dossier Vulnérabilité psychique et emploi « Travail en milieu ordinaire, Attentes et
représentations » par Claire Le Roy Hatala dans la revue Pratiques en Santé mentale n° 4 en 2004
44
plus craint et la personne retrouve une confiance nécessaire à l’affirmation de
Soi et au sentiment d’insertion sociale « Le travail, ça m’a transformé, c’est plus
pareil, vous vous sentez utile. »
2. L’Autonomie et la reconnaissance financière. L’individu participe à un
système dans lequel il devient acteur à part entière. Malgré un niveau de
rémunération souvent faible (mi-temps…) recevoir sa fiche de paie est
valorisant pour la personne qui se sent reconnue et qui lui permet de sortir d’un
système d’assistanat et de solidarité. « C’est pas agréable de dépenser l’argent
que l’on ne gagne pas soi-même. »
3. Une vie quotidienne et sociale rythmée. Le travail impose un cadre quotidien
et une gestion du temps différente. « Ca oblige à se lever, à donner un rythme
de vie. » La personne n’éprouve plus la culpabilité de son inactivité. Le travail et
ses exigences détermine son rythme de vie et donne sens à l’ensemble de
l’organisation de la journée.
4. L’accès au « non-travail ». Le travail permet de structurer un temps vide
d’activité. Il donne sens aux périodes « libérées de travail ». Les temps libres
sont mérités !
5. Une forme de guérison : Même s’il ne signifie pas forcément guérison de la
maladie mentale, mais permet de déplacer le regard de « l’individu malade » à
l’individu « productif ». « Ce qui n’a pas de prix pour quelqu’un comme moi,
c’est que vous laissez vos problèmes à la porte, pendant 3 ou 4 heures, vous
vous sentez ordinaire. » La personne se trouve dans un environnement
professionnel démédicalisé, non spécialisé sur la maladie mentale qui permet à
l’individu de se reconnaître dans une norme dont il se sentait exclu.
6. De nouvelles relations avec l’entourage : Il existe une tension engendrée par
l’activité professionnelle entre l’apaisement dans les relations avec l’entourage
et l’incompréhension.
45
II.2.4. Le travail, créateur des troubles psychiques
Nous avons vu que le travail pouvait avoir des effets positifs, « cliniques » sur la santé
mentale. Il est « source de satisfaction et de réalisation personnelles, de contacts
humains et de sécurité financière, conditions qui sont toutes indispensables à une
bonne santé mentale » (Ivanov, 2005, p. 1).
Il s’avère que le travail a également des effets négatifs. En 2006, 10% des salariés
souffraient de dépression, d’anxiété ou de surmenage dû au travail (Légeron, 2006).
Le manque d’activité professionnelle, des périodes de chômage peuvent avoir un effet
négatif sur notre santé mentale. Il semblerait que les personnes perdant leur emploi
sont susceptibles de présenter deux fois plus de symptômes dépressifs (Ivanov, 2005).
Au travail, de trop fortes pressions concernant les connaissances et les compétences
de la personne, les fonctions occupées, la charge de travail, le rythme de travail, les
horaires, les promotions professionnelles, les salaires, les relations de travail,
l’organisation générale sont autant de facteurs qui peuvent nuire à la santé mentale
des travailleurs.
Selon Christophe Dejours, interrogé sur les solutions pour « Sortir de la souffrance au
travail » dans le journal Le monde du 21 février 2011, « parmi les dirigeants, certains
ont des doutes sur la validité des méthodes de gestion et de management dont ils
savent qu'elles sont en cause dans les ravages humains du travail ».
Chacun réagit différemment aux situations de travail et le stress ne touche pas
forcément tout le monde de la même manière. Certaines personnes sont plus
vulnérables que d’autres. Le stress favorise l’apparition des troubles psychologiques
comme « l’irritabilité, l’incapacité à se concentrer, la difficulté à prendre des décisions
ou les troubles du sommeil. Le stress à long terme ou certains événements
traumatisants dans le cadre professionnel peuvent provoquer des maladies mentales
(anxiété et dépression qui aboutissent à un absentéisme et à une incapacité au
travail » (Ivanov, 2005, p. 2).
Les émotions comme l’anxiété ou la dépression peuvent être tout à fait bonnes pour
l’être humain lorsqu’elles sont ponctuelles et peuvent même être sources de
performance. « Ces trois émotions [anxiété, dépression, colère ou agressivité] sont tout
46
à fait « normales » et font partie de la vie de tout être humain » (Légeron, 2006, p.
185). C’est leur répétition qui au fur et à mesure favorise l’apparition des troubles
psychologiques.
L’anxiété amène plusieurs sortes de troubles comme des troubles de l’adaptation,
l’anxiété généralisée, le trouble panique, le stress post-traumatique. Pour la
dépression, l’une des plus importantes complications est le suicide. En France, le
suicide est un problème de santé publique : onze mille personnes se suicideraient tous
les ans et plus de cent mille personnes tenteraient de se suicider chaque année
(Légeron, 2006).
Les raisons du suicide sont difficiles à déterminer, la dépression n’explique pas le
suicide, elle y participe. Cependant, plusieurs facteurs non exhaustifs entrent en jeux
dans le suicide :
1. L’environnement professionnel lorsque celui-ci est stressant
2. L’environnement personnel même si l’entreprise a été choisie comme endroit
du suicide.
3. La personnalité des personnes suicidées : nous réagissons différemment selon
les situations (Légeron, 2006).
Pour conclure cette partie sur le travail, voici deux citations résumant les effets du
travail :
« Il [le travail] est à la fois créateur de richesses, sources de revenu, gage d’identité et
de dignité pour les personnes, facteur d’émancipation et d’autonomie, clé de l’insertion
dans la société et vecteur du lien social entre les membres de la collectivité » tiré de
l’introduction du rapport du Conseil Economique et Social réalisé à la demande du
premier ministre sur la place du travail (Larose, 2003).
Mais il est aussi : « L’un des principaux environnements qui affectent notre santé
physique et mentale » (Ivanov, 2005, p. 1).
47
III L’insertion professionnelle du trouble bipolaire
III.1 Les difficultés spécifiques à l’emploi des personnes handicapées
psychiques
III.1.1. Un Contexte économique difficile
Nous assistons depuis trois décennies à une intensification du travail. La notion de
travail a évolué. Une étude statistique menée en 2003 sur le bonheur et le travail par
Baudelot et Gollac résume bien cette évolution du travail « Le travail s’est intensifié.
Très rapide, au cours de la seconde moitié des années 1980, l’intensification s’est
poursuivie, bien qu’un peu plus lentement, au cours des années 1990 » (Hatzfeld,
2004, p. 293).
Des exigences de plus en plus importantes sont demandées en matière de
productivité, de rendement avec une intensification générale du travail, en matière de
qualifications plus pointues ainsi qu’au plan comportemental avec des exigences de
« propreté, d’hygiène, de rigueur […], de ponctualité et de fiabilité, […], une capacité à
travailler dans un environnement pénible […], une demande d’implication, de
responsabilisation et de vigilance » (Lamanthe, 2005, p. 44).
Nous sommes actuellement dans un « contexte de recherche de flexibilité et de
chômage de masse, de transformation des modes de gestion et d’organisation du
travail ». La globalisation des entreprises a permis le développement de pratiques
d’externalisation, un recours à la sous-traitance accru et une accentuation du travail
temporaire. Toutes ces mesures fragilisent la sécurité de l’emploi et accentuent les
mobilités interentreprises (Lamanthe, 2005, p. 38).
Depuis le milieu des années 1980, on observe un développement important des
formes dites atypiques d’emploi : emplois temporaires (CDD, intérim), emplois à temps
partiel choisis ou contraints, emplois aidés, etc.
Ces nouvelles formes d’emploi apportent un degré de flexibilité en croissance dans le
fonctionnement du marché du travail et contribuent à l’enrichissement de la croissance
en emplois. « Elles demeurent mal vécues, dans la plupart des cas, parce qu’elles
apparaissent comme des succédanés d’emplois, comme des formes dégradées et
48
dégradantes de travail » (Aravis. Quel travail dans 20 ans? Variable 3 “le marché du
travail en France”).
Auparavant, le contrat à durée indéterminée et à temps plein était une norme à laquelle
se référait presque 90 % de la population active occupée en 1970. Aujourd’hui, cette
norme même si celle-ci demeure importante, faiblit au regard d’autres formes de
contrats plus courts (ibid.). De plus, la France se remet difficilement de la crise
économique et financière de 2008 où les suppressions d'emploi ont été massives au
niveau monde.
Le monde du travail est exigeant et le contexte économique est difficile. Il semble
nécessaire de s’adapter.
III.1.2. Les images associées au trouble psychique
Selon une enquête IPSOS menée pour Fondamental (Fondation de recherche et de
soins en santé mentale) en juin 2009, sur les perceptions et représentations des
maladies mentales, nous pouvons remarquer que la très forte notoriété des maladies
mentales dissimule une importante méconnaissance. Cette étude montre que nous
avons une représentation très vague des maladies psychiques (Debertrand, 2003).
Pour 47% des Français, les maladies mentales sont associées à des dénominations
négatives (débile, attardé, aliéné, dément …) (ibid.).
74% des Français considèrent qu’un schizophrène représente un danger pour luimême, 65% pour les autres (alors que seulement 0,2% des patients atteints de
schizophrénie peuvent potentiellement être dangereux pour les autres).
De la même manière, 56% des Français refuseraient de travailler avec une personne
atteinte de schizophrénie. En revanche, le taux d’« acceptation sociale » est plus élevé
pour les maladies maniaco-dépressives (67% des personnes interrogées accepteraient
de travailler avec les maniaco-dépressifs) (ibid.).
Les Français ont encore du mal à dire qu’ils sont, eux-mêmes, atteints d’une maladie
mentale (ils sont seulement 5% à déclarer être ou avoir été atteint d’une maladie
mentale) mais ils sont, en revanche, 62% à considérer qu’ils pourraient un jour être
atteint d’une maladie mentale.
49
La prévalence dans la société des maladies mentales est évaluée à sa juste ampleur.
Les Français estiment en effet à 27% la part de la population française qui a été, est ou
sera un jour touchée par une maladie mentale. C’est le chiffre officiel de la prégnance
de la maladie au niveau européen !
Enfin, un déficit d’information nourrit les doutes sur l’efficacité des traitements et la
performance de la recherche. Plus d’1/3 des personnes interrogées jugent les
traitements médicamenteux ou psychothérapies inefficaces et une large majorité (70%)
estime que le diagnostic de ces maladies est trop tardif. De plus, 51% des Français
estiment que la recherche n’est pas efficace alors même que de l’avis quasi unanime
(90%), elle doit constituer une priorité de santé publique. Quant à l’information, 2/3 des
Français s’estiment insuffisamment informés, et ce quel que soit le canal (ibid.).
III.2. Accueil et intégration d’un salarié handicapé psychique en entreprise
Pour les professionnels de l’insertion, le travail est la voie de « l’intégration ». Il
demande :
1. « Effort
2. Obligation
3. apporte une valorisation
4. donne droit à l’égalité,
5. la participation et l’appartenance au sein d’un groupe ».
Cette vision décrite par Denise Jodelet (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 75)
impose la reconnaissance sociale à l’accomplissement de devoirs sociaux.
Cependant cette vision répond à une conception importante de l’intégration sociale et
citoyenne, « elle reste un idéal et ne s’applique pas à leurs clients, lesquels relèvent
plutôt de l’assistance » (ibid.).
Les chefs d’entreprise, permettent un rapprochement entre travail et folie, handicap et
marginalité. Le « travail » désigne pour eux :
1. « accompagnement
2. soutien
3. service
4. aide qui permet d’atteindre la liberté et la vie en communauté ».
50
« Cependant, la « citoyenneté », « l’intégration » politique restent inaccessibles, dans
une vision proche de l’ancienne conception bienfaitrice de l’aide sociale aux
handicapés qui restent enfermés dans un statut restrictif » selon Denise Jodelet
(Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 75).
La société et à plus petite échelle, l’entreprise, font face à des préjugés devant le
handicap psychique et deviennent des acteurs à part entière du processus de
production du handicap psychique. Pourtant, l’accueil et le travail des personnes
handicapées sont des atouts pour les entreprises et la société civile. C’est aussi un
élément majeur de la performance et de la diversité des organisations. Il est important
de :
-
Transformer la perception du handicap par les organisations
-
Partager les pratiques et expériences
-
Diffuser les résultats de leurs actions, soutenir des initiatives nouvelles et
accompagner des démarches concrètes.
L’intégration du handicap relève de la motivation de l’entreprise au départ. Viennent
ensuite au sein de l’entreprise la sensibilisation au handicap, l’employabilité (capacité
d'un salarié à conserver ou obtenir un emploi), le maintien dans l’emploi et
l’accessibilité de cet emploi.
L’aménagement de poste pour un salarié handicapé psychique dans l’entreprise est
possible. Il ne prend pas la forme d’une compensation technique de la déficience mais
peut se réaliser autour de l’accompagnement du salarié et d’une réorganisation du
travail.
Afin d’accueillir et d’intégrer au mieux un salarié en situation de handicap psychique
dans l’entreprise, quelques pistes développées dans le Guide « Accueillir et intégrer
un salarié handicapé psychique dans l’entreprise » rédigé par Claire Le Roy Hatala
en janvier 2007 peuvent être intéressantes à prendre en compte :
- Amener la personne à se faire soigner si elle n’est pas déjà suivie en
psychiatrie ou à se faire suivre avec l’aide du médecin du travail, de l’assistance
sociale, du psychiatre de l’entreprise (lorsque c’est prévu) ou de son entourage.
51
- Envisager une réorganisation du travail pour protéger le salarié et
l’environnement de travail : éviter les situations conflictuelles, éventuellement
aménager les horaires, repérer les possibilités professionnelles du salarié, définir des
tâches précises et faire régulièrement un point avec le supérieur hiérarchique.
- Sensibiliser l’environnement de travail et les responsables hiérarchiques
aux troubles de la personne afin de ne pas laisser l’environnement de travail dans
l’incompréhension par rapport à certains comportements parfois surprenants ou
choquants.
- Accompagner l’équipe de travail à tous les niveaux pour éviter une
souffrance psychique liée à l’incompréhension de la manifestation des troubles et créer
un espace d’écoute et de parole.
III.3. Accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques
Accompagner le handicap psychique vers l’emploi ou dans l’emploi, c’est à la fois,
prendre en compte la fragilité de la personne et travailler avec elle dans le respect de
ses choix, l’évolution de ses capacités et son histoire.
Pour autant, « le salarié en situation de handicap psychique a le même droit du travail
que les autres salariés et ne peut bénéficier d’un traitement de faveur à cause de son
trouble psychique » nous explique Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY
(fédération des usagers en santé mentale).
Maintenir le cadre permet au salarié de mieux appréhender ses limites et mieux gérer
son handicap.
III.4. Les signes révélateurs du trouble bipolaire
Le début d’un épisode bipolaire peut se caractériser par différents signes révélateurs
du trouble. Il semble important de noter que l’existence d’un épisode bipolaire est
marquée par l’exacerbation des sentiments, des émotions ; toute attitude est effectuée
à l’extrême et de manière disproportionnée.
52
La liste n’est pas exhaustive mais une mauvaise gestion du sommeil, plusieurs
incohérences dans le comportement comme une communication abusive (40 coups de
téléphone dans la même journée), une énergie excessive dans le travail, une
exaltation, une euphorie importante peuvent annoncer l’arrivée d’un épisode sur le
versant maniaque. L’envie de ne rien faire, l’absentéisme, des affects dépressifs
peuvent présager de l’arrivée d’un épisode sur le versant dépressif.
III.5. L’aménagement de poste du salarié en situation de handicap
psychique
L’aménagement de poste pour un salarié handicapé psychique dans l’entreprise est lié
à l’incertitude associée à l’évolution de santé de la personne. En effet, lorsqu’il s’agit
d’un handicap psychique, l’aménagement du poste du salarié ne peut pas se faire en
fonction du type de maladie ou de trouble.
La maladie psychique est caractérisée par son intensité, la durée, la chronicité des
symptômes, entraînant des besoins plus ou moins importants et une situation de
dépendance. Ce handicap lorsqu’il est déclaré en entreprise, n’est ni concret, ni visible,
ni formellement identifiable. Il existe donc une grande variabilité dans les troubles :
ceux-ci ne s’expriment pas simultanément, ils sont épisodiques et momentanés et tous
ne mènent pas au handicap.
Le handicap psychique nécessite une compensation humaine non mesurable et non
chiffrable sur une durée inconnue ce qui rend l’aménagement de poste pour
l’entreprise plus difficile à installer.
L’entreprise doit également faire face à un type d’aménagement de postes différent en
fonction du salarié. Il y a celui qui se déclare à l’entreprise au moment de l’embauche,
il a donc une reconnaissance administrative du handicap et celui qui ne se déclare pas
et peut donc à tous moments, exprimer ses troubles.
Dans le cas d’un handicap psychique, l’aménagement se fera au niveau de
l’organisation du travail, la souplesse des horaires et une approche personnalisée qui
mobilise de nombreux professionnels (Médecin du travail, Chargé de mission
Handicap, RH et collègues de travail). Il est nécessaire de s’adapter et d’innover pour
chaque salarié car nous ne pouvons pas prévoir à l’avance l’évolution du trouble.
53
La visibilité à long terme de l’investissement effectué est incertaine et faible pour
l’entreprise elle a des difficultés à garantir le poste et à l’imaginer. Des actions pour le
handicap psychique existent déjà en entreprise mais elles ne sont pas valorisées de la
même manière que lorsqu’il s’agit d’un aménagement de poste plus « visible » pour un
fauteuil roulant.
Cet aménagement nécessite un temps long, demande une vigilance permanente et
une mobilisation collective pluridisciplinaire entre professionnels (médecins, chargé de
missions, collègues…) car l’entreprise n’a pas forcément les ressources en interne. La
valeur de l’accompagnement est liée à la qualité des interactions et de la
communication entre ces différents intervenants.
Dans le handicap psychique, le domaine personnel et professionnel sont fortement
intriqués. L’équilibre professionnel est donc fortement lié à l’équilibre personnel.
III.6. Le salarié handicapé, acteur de son insertion professionnelle
Selon Claire Le Roy Hatala, le salarié doit accepter que l’entreprise ne puisse réparer
ses troubles et que « travail » ne rime pas nécessairement avec guérison.
Il doit s’engager à être suivi à l’extérieur, continuer à prendre son traitement et être
suivi médicalement. Les professionnels doivent intégrer le fait que ces personnes
peuvent fort bien mettre des souhaits n’étant pas en accord avec leurs possibilités du
moment, voire même demander une cessation de reconnaissance en tant que
personne handicapée, tandis que celle-ci leur est pourtant manifestement nécessaire.
Il doit savoir qu’il peut s’appuyer sur des personnes ressources dans l’entreprise pour
ne pas s’isoler (médecine du travail, assistantes sociales, supérieur hiérarchique
lorsqu’une relation de confiance s’est instaurée, centres médico-psychologique). Il
s’agit de développer pour le salarié un réseau à l’intérieur de l’entreprise sur lequel il
peut compter en cas de difficultés professionnelles ou personnelles.
Le salarié est le premier à pouvoir déterminer ses besoins et reconnaître ses limites
pour son insertion professionnelle. Il peut proposer des pistes d’aménagement pour
son poste.
A l’embauche, le salarié passe un contrat avec l’entreprise et doit s’appuyer sur ses
compétence et habiletés professionnelles pour honorer ce contrat.
54
III.7. Les réalités sur le terrain : La mission handicap de Veolia Eau sur sa
politique handicap. Propos recueillis de Mathilde Blaise, Responsable de la
Mission Handicap de Veolia Eau.
Nous avons voulu appréhender les réalités sur le terrain en interviewant la mission
handicap d’une entreprise confrontée à ce type de problématiques. Nous avons
rencontré Mathilde Blaise, actuellement responsable de la mission handicap de Veolia
Eau.
Veolia Eau est une des quatre entités du Groupe VEOLIA Environnement avec Veolia
Energie, Veolia Propreté et Veolia Transport.
Veolia Eau, c’est 96 260 collaborateurs dans le monde répartis dans 67 pays pour un
chiffre d’affaires évalué à 12,128 milliards d’euros en 2010. Veolia Eau est leader
mondial des services de l’eau, de l’assainissement à la fois pour les industriels et les
consommateurs.
La politique Handicap mise en place au sein de l’entité Veolia Eau repose sur les
motifs suivants :
-
Mieux satisfaire à l’obligation d’emploi des personnes handicapées pour
atteindre à terme le quota de 6%, conformément aux lois du 10 juillet 1987 et
du 11 février 2005.
-
Prendre en compte l’impact du vieillissement de la population.
-
S’engager
dans
une
démarche
volontariste
d’emploi
des
personnes
handicapées ; favoriser l’insertion de PH et maintenir dans l’emploi les salariés
devenus handicapés.
-
Etre en conformité avec les valeurs de responsabilité citoyenne, sociale et
sociétale du Groupe Veolia Environnement, notamment promouvoir la diversité,
la non-discrimination et l’égalité de traitement.
Actuellement, le périmètre de la Mission Handicap de Veolia Eau représente 15 000
collaborateurs en France, présents dans 12 régions. L’équipe de la Mission Handicap
est composée de 4 personnes : un directeur des relations sociales, une responsable
de mission handicap, une responsable recrutement ainsi qu’une personne chargée des
contacts avec la sous-traitance. Chaque région a également un correspondant
handicap qui consacre 20% de son temps de travail à la Mission Handicap.
55
Suite à une convention signée avec l’Agefiph en 2002 pour une durée de deux ans et
renouvelée en 2004, un premier accord a été signé pour la période 2006/2008 avec
comme axe prioritaire le recrutement. L’objectif était d’embaucher 120 personnes en
CDI ou CDD de plus de 6 mois. Au total, sur cette période, 126 contrats ont été menés
dont 84 au terme de l’accord et plus de 70 cas de maintien dans l’emploi ont été
réalisés.
En 2010, Veolia Eau a signé son deuxième accord pour une durée de 3 ans, en misant
sur une politique plus soutenue de maintien dans l’emploi. La démarche se poursuit :
recruter de nouvelles compétences et tout mettre en œuvre pour maintenir dans
l’emploi les salariés, chaque fois que cela est possible.
Les différents engagements pris dans ce deuxième accord sont répartis en 6 axes :
1. Le maintien dans l’emploi : En 2010, 40 personnes ont ainsi été identifiées et
maintenues dans leur emploi en 2010 grâce à la mise en place d’une vingtaine
d’aménagements de postes organisationnels (aménagements d’horaires,
réorganisation de service…) ou techniques (prise en charge de matériel de
compensation du handicap ; logiciels en braille, prothèses auditives, fauteuils
ergonomiques….),
l’accompagnement
de
plusieurs
salariés
vers
la
reconnaissance administrative de leur handicap, l’accompagnement dans la
reconversion ou le reclassement de salariés en leur proposant des bilans de
compétences adaptés et l’aide aux déplacements domicile/ lieu de travail par
l’aménagement de véhicule (boite automatique etc.…)
2. Le recrutement d’au moins 97 personnes sur 3 ans. En 2010, 35
recrutements ont été menés dont 20 selon l’accord.
3. Accueil, Insertion, Accessibilité. Cet axe a pour but de mettre en place les
dispositifs nécessaires à l’intégration des personnes en situation de handicap.
Pour chaque nouveau travailleur handicapé, un tutorat, des bilans réguliers et
une sensibilisation à l’accueil sont mis en place pour tous types de handicaps.
4. La formation professionnelle : 2 contrats d’alternance ont été réalisés en
2010 ainsi que l’accueil de 4 stagiaires venant essentiellement de CRP (Centre
de Reclassement Professionnel). Les partenariats avec les CRP, les
associations ARPEJEH (Accompagner la Réalisation des Projets d'Etudes de
56
Jeunes Elèves et Etudiants Handicapés),
l’AFIJ (Association pour Faciliter
l’Insertion professionnelle des Jeunes diplômés) et TREMPLIN ont permis de
sensibiliser des étudiants et jeunes diplômés handicapés aux métiers de Veolia
Eau qui les ont accueillis pour des stages ou des actions de parrainage.
5. Le secteur protégé et adapté : signature d’un partenariat avec le GESAT
(Groupement des Etablissements d’Aide par le Travail)
6. Information/ Sensibilisation Cet axe consiste à accompagner la démarche
tout au long de l’accord par le biais d’une large communication afin de valoriser
l’image du handicap auprès des salariés. Différentes actions ont été menées
comme la réalisation d’une campagne nationale de communication interne par
le biais d’une affiche « Déclarer son handicap pour être accompagné »
personnalisée par région ou la diffusion avec la fiche de paie du mois de
novembre 2010, de plaquettes d’information aux 15 000 salariés avec la
possibilité de faire reconnaître leur handicap (cf. annexe 6).
57
PARTIE 2
I Méthodologie
I.1. Choix du sujet
Les questions qui ont motivé le choix de notre sujet étaient larges : Comment les
personnes souffrant de troubles bipolaires arrivent-elles à travailler en milieu
ordinaire de travail ? Quelle est leur représentation de la maladie dans le milieu
professionnel ? Comment arrivent-elles à gérer leurs troubles ?
Nous avons donc voulu rencontrer ceux qui souffrent de cette maladie, en privilégiant
l’expression de la maladie dans le milieu professionnel. Nous avons réduit le champ de
notre recherche aux personnes travaillant spécifiquement en milieu ordinaire de travail.
Sur le site internet du service-public, le milieu ordinaire de travail est défini comme ce
qui « recouvre (par référence aux établissements de travail spécialisés, regroupés
sous l'appellation générique de « milieu protégé ») : les entreprises du secteur privé et
du secteur public, les administrations, les associations, les entreprises adaptées (EA,
ex-ateliers protégés), les centres de distributions de travail à domicile (CDTD) ».
I.2. Cadre de la recherche
I.2.1. Population d’étude
Notre population de recherche est composée de 6 adultes diagnostiqués bipolaires
ayant entre 45 et 60 ans, salariés en milieu ordinaire de travail dans des domaines très
différents comme le milieu associatif, médical, en entreprise, à des postes variés allant
du salarié au dirigeant.
Nous avons rencontré notre population d’étude par différents moyens : le contact d’un
psychiatre, Didier Papeta, spécialiste des troubles bipolaires à Brest, trois associations,
Bipol Entreprises et l’UNDMD (Union Nationale des Dépressifs et Maniaco-dépressifs)
à Rennes, Argos 2001 à Paris ainsi que via nos proches et le réseau professionnel
Viadeo.
58
La tentative d’approcher les personnes souffrant de bipolarité directement dans le
l’entreprise via les missions handicap ou les services de ressources humaines fut un
échec.
En effet, soit les professionnels que nous avions sollicités n’ont pas souhaité donner
suite à notre demande qualifiant notre démarche de « trop intrusive » vis-à-vis du
salarié, soit les salariés, sollicités pour participer à notre recherche se sont sentis
« attaqués » et « en colère » de savoir que leur maladie pouvait être évoquée en
dehors de leur entreprise.
Aujourd’hui, leur refus vis-à-vis de notre démarche nous semble justifié : nous
comprenons qu’il est compliqué de parler de sa maladie sereinement et sans
« tabous » à un inconnu qui vous a approché via votre entreprise. Dans ce cas-là, le
respect de la vie privée n’est pas respecté de la part de l’entreprise.
Nous nous sommes donc orientés vers d’autres moyens pour solliciter nos sujets : par
le biais de nos proches ou grâce à des associations de patients.
Nous avons rencontré un psychiatre spécialiste du trouble bipolaire habitant à Brest
ainsi qu’avec trois associations, Bipol Entreprises, Argos 2001 et l’UNDMD (Union
Nationale des Dépressifs et Maniaco-dépressifs).
Le psychiatre Didier Papeta nous a accueillis à l’occasion de deux demi-journées à son
cabinet, durant lesquelles il a accepté de nous faire rencontrer certains de ses patients
avec leur accord préalable. Cela nous a permis d’appréhender le contact direct avec
les personnes souffrant de cette pathologie.
Nous avons également pris contact avec les associations Bipol Entreprises et Argos
2001, grâce à Internet et à des brochures, ces deux structures étant spécialisées dans
l’accueil et le soin de personnes souffrant de bipolarité.
Face à notre projet, le président de Bipol Entreprises a montré un vif intérêt mais dans
la mesure où aucun des adhérents son association ne travaillaient au moment du
rendez-vous en milieu ordinaire, il nous a orienté vers une autre association, l’UNDMD
qui nous a permis la rencontre avec un patient.
Nous avons également pu assister dans cette association, à un accueil de patients
bipolaires hebdomadaire où une vingtaine de personnes de tous âges souffrant de
bipolarité ou de dépression pour discuter de différentes problématiques liées à leur état
comme le travail, la vie sociale, les obligations quotidiennes…
59
Nous avons contacté une troisième association, Argos 2001 qui nous a également
permis de rencontrer une autre personne.
Etant donné notre difficulté à concrétiser des rendez-vous du côté professionnel, nous
avons sollicité nos proches. De cette sollicitation, nous avons pu rencontrer 3 des 6
sujets de notre population d’étude.
En dernier lieu, nous avons utilisé les moyens actuels de communication grâce au
réseau social des professionnels, Viadeo. Ce réseau réunit les professionnels qui
souhaitent augmenter leurs opportunités de business (recherche de nouveaux clients,
partenaires ou fournisseurs), gérer et développer leur réseau de contacts
professionnels et accroître leurs opportunités de carrière (être chassé, accroître leur
visibilité). Nous avons trouvé sur ce réseau, un forum sur « les troubles bipolaires » où
nous avons présenté notre recherche. Une personne a accepté de nous rencontrer.
I.2.2. Lieu et déroulement
Les entretiens ont été menés individuellement et avec l’accord préalable de nos 6
participants. Ils se sont déroulés entre mars et avril 2011.
Cinq entretiens ont pu se dérouler en face à face à Paris et à Rennes et un entretien a
été effectué par téléphone faute de pouvoir nous déplacer à Lyon où la personne était
domiciliée.
L’entretien par téléphone s’est déroulé à notre domicile. Les autres entretiens se sont
déroulés au domicile des personnes interrogées ou dans des lieux publics (café,
brasserie, salon de thé) entre Paris et Rennes. Les lieux publics ont nécessité lors des
entretiens une concentration de notre part plus importante que pour les autres
entretiens où le cadre était moins bruyant.
Les entretiens ont été effectués en fonction de la disponibilité des sujets interrogés.
Nous avons donc rencontré ces personnes après leur journée de travail, en début de
soirée ou à l’heure du déjeuner, en dehors des horaires conventionnels de travail.
La majorité des personnes que nous avons reçues en entretien n’ont pas souhaité
nous recevoir sur leur lieu de travail. En effet, la plupart n’ont pas déclaré leur maladie
à leur travail et ne souhaitent pas qu’elle soit connue. Une personne néanmoins nous a
60
donné rendez-vous sur son lieu de travail parce que sans ses collègues. Nous nous
sommes ensuite déplacés pour faire son entretien à un autre endroit.
Au début de l’entretien, nous nous sommes présentés et nous leur avons expliqué
l’objet de notre recherche.
La durée des entretiens a varié entre 1 heure et 1h30. Les personnes interrogées sont
3 femmes et 3 hommes et ont entre 45 et 60 ans.
I.3. Choix et pratique de l’entretien clinique
Nous avons choisi la pratique de l’entretien clinique de recherche afin d’évaluer la
représentation de la maladie dans le travail.
Dans le cadre de notre étude, nous avons privilégié les dimensions qualitatives de
l’entretien clinique de recherche. Nous l’avons crée et personnalisé en fonction des
données que nous souhaitions recueillir. Il présente la manière dont la personne se
figure sa maladie.
C’est un outil qui laisse une grande liberté d’expression du sujet, c’est un espace libre
de parole tout en suivant une trame précise et la même pour tous. « L’entretien est
« échange de paroles », échange complexe » (Chiland, 2005, p. 22). Chaque entretien
est différent, à la fois dans son contenu, le vocabulaire exprimé et l’implication du sujet
au projet.
Il prend en compte la communication verbale et non verbale du patient. La
communication verbale ou « digitale » s’accompagne toujours d’une communication
non verbale ou « analogique » et ces deux modes de communication peuvent
s’accorder ou se contredire » (ibid.).
Chaque rencontre avec nos sujets a été menée selon un guide d’entretien,
préalablement établi (cf. en annexe). Nous l’avons construit selon différents axes
thématiques que nous voulions évoquer avec nos sujets : nous commencions notre
entretien par une présentation globale du sujet et l’historique de sa maladie, puis, la
représentation de son trouble bipolaire et l’expression de son trouble en entreprise.
61
Le guide d’entretien est « un ensemble organisé de fonctions, d’opérateurs et
d’indicateurs qui structure l’activité d’écoute et d’intervention de l’interviewer »
(Blanchet & Gotman, 1992).
Ce questionnaire est composé de questions ouvertes, semi-ouvertes et fermées. Il n’a
aucun critère de notation ni de grille d’évaluation. Nous avons laissé les personnes
interrogées répondre de manière libre et spontanée et l’entretien clinique nous a paru
le moyen le plus pertinent pour avoir accès à la représentation du travail des
personnes souffrant de bipolarité.
En commençant notre recherche, nous voulions trouver un test en plus de l’entretien
clinique, afin d’appuyer le discours des sujets.
Nous nous sommes demandés quels outils seraient les plus appropriés pour évaluer la
représentation du travail des personnes souffrant de troubles bipolaires. A notre
disposition, nous avions de multiples outils cliniques, les tests évaluant les phases de
la maladie (maniaque ou dépressive) avec l’échelle de Beck, l’hypomanie avec
l’échelle d’Angst, ou l’échelle MADRS (Montgomery and Asberg Depression Rating
Scale) évaluant le degré de dépression du sujet.
Or, nous souhaitions évaluer l’aspect du travail et sa représentation chez les
personnes souffrant de bipolarité et selon l’article 6 du Code de déontologie des
Psychologues, il est précisé que « les dispositifs méthodologiques mis en place par le
psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement ». Ces
différentes échelles nous semblaient peu pertinentes vu l’objectif de notre étude
(AEPU, ANOP, & SFP, 1996).
A notre connaissance, aucun test n’évalue cette représentation de la maladie dans le
travail. Nous avons donc privilégié l’utilisation centrale et unique de l’entretien clinique
de recherche afin d’évaluer nos données.
L’entretien clinique de recherche n’a pas de visée thérapeutique ou diagnostique mais
son objectif consiste à l’accroissement des connaissances dans un domaine particulier.
L’entretien clinique est une rencontre prévue entre un psychologue clinicien et son
patient. « La rencontre entre un psychologue et un sujet n’est pas une rencontre
fortuite, elle est construite par le champ social et se trouve donc marqué par lui »
(Proïa-Lelouey, 2004, p. 12). Les entretiens ont chacun été uniques, organisés et
prévus à l’avance par mail ou par téléphone avec les personnes concernées selon
leurs disponibilités.
62
Parmi les 6 interviews, deux des rencontres ont dû être décalées suite à des
contretemps : un de nos interviewé a eu une réunion qui s’est rajoutée dans son
emploi du temps, l’empêchant d’être présent à l’heure de l’entretien. Le second a été
décalé de notre fait, suite à l’ajout d’un cours non prévu à l’école. Ils ont eu lieu
quelques jours après.
Il est nécessaire de prendre en compte la demande du client « dans le réseau de ses
contradictions conscientes et inconscientes […] dans le meilleur des cas venu de luimême et de son plein gré ; ou venu sur un conseil ou une pression extérieure ; ou venu
par contrainte » (Chiland, 2005, p. 15). Avant d’accepter de collaborer à notre
recherche, tous nos sujets ont émis leur accord pour y participer. Un des sujets
interviewés a ajouté qu’il participait à notre recherche, d’une part pour nous aider et
d’autre part pour « faire avancer la recherche sur ce sujet ».
Dans l’entretien clinique, le psychologue est « acteur du dispositif » (Proïa-Lelouey,
2004, p. 43), il doit faire preuve « d’empathie », de « neutralité bienveillante » et faire
face au « transfert et au contre-transfert ». Nous avons eu de nombreux entretiens par
le biais de nos stages et nous nous sommes rendu compte qu’il était nécessaire pour
bien mener un entretien d’être à la fois actif, rebondir sur les propos de notre
interlocuteur tout en lui laissant une liberté de parole importante. Chaque entretien est
différent et il est fondamental de s’adapter en premier lieu à son interlocuteur.
Selon Carl Rogers, l’empathie « consiste à saisir avec autant d’exactitude que possible
les références internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à
les comprendre comme si on était cette autre personne » (Proïa-Lelouey, 2004, p. 45).
La neutralité bienveillante est essentielle dans l’attitude du clinicien vis-à-vis de la
personne en face d’elle lors de l’entretien clinique. Il faut que « le psychanalyste
s’abstienne de toute prise de parti (jugement de valeur, expression de sympathie ou
d’antipathie pour les personnes que l’analysant évoque, etc.) afin d’éviter que ces
manifestations de sa personnalité réelle ne justifient des réactions affectives de
l’analysant vis-à-vis de l’analyste » (Doron & Parot, 2004, p. 486).
« Ni la neutralité, ni la bienveillance ne vont de soi » (Chiland, 2005, p. 18).
« La neutralité ce n’est pas seulement ne pas laisser paraitre ce qu’on éprouve, c’est
prendre conscience de ce qu’on éprouve et n’être pas gouverné par des réactions non
contrôlées dans la compréhension du patient et dans la réponse qu’on lui donnera »
(ibid.). Nous avons essayé dans la mesure du possible de ne pas nous laisser
influencer par nos émotions lors des rencontres avec nos sujets.
63
Le transfert désigne « l’ensemble des sentiments que le patient éprouve pour
l’analyste, sentiments déplacés de ses expériences antérieures, avec projection des
images parentales sur l’analyste ; et le contre-transfert au déplacement transférentiel
que l’analyste fait en réaction au matériel de son patient » (ibid.). Nous avons
remarqué que pendant certains entretiens, nous avons développé certaines attitudes
de contre-transfert vis-à-vis de nos sujets suite à des éléments de vie communs avec
ceux racontés par nos sujets interviewés.
Le contre-transfert est compris comme « les processus inconscients que le transfert de
l’analysé induisent chez l’analyste » (Proïa-Lelouey, 2004, p. 47).
Toutes ces notions dans leur aspect théorique nous semblaient claires et évidentes.
Cependant, dans la pratique, une rencontre n’est jamais la même. Nous devons
prendre en compte notre qualité d’écoute distraite par les bruits extérieurs, notre
empathie du moment, l’exaspération que nous ressentons due au retard d’un sujet à
l’heure de rendez-vous.
I.4. L’élaboration du guide d’entretien de l’entretien clinique
Afin d’élaborer un guide d’entretien conséquent, nous avons conduit trois entretiens
cliniques non directifs avec différentes personnes : un psychiatre spécialisé dans le
trouble bipolaire ainsi que deux responsables d’associations s’occupant des troubles
bipolaires et touchés eux-mêmes par deux formes différentes de bipolarité.
Au cours de ces entretiens, nous avons laissé nos trois professionnels associer de
manière libre, leur représentation de leur maladie, leur travail, ce qu’ils mettaient en
place pour gérer leur travail, les relations par rapport à leur environnement, tout en
essayant de maintenir leur discours sur la sphère « travail ».
De ces entretiens, nous avons pu relever plusieurs thèmes convergents et mettre en
place une série de questions (cf. annexe). Les grands thèmes de ce guide d’entretien
sont : le « trouble bipolaire et sa représentation par rapport au sujet interviewé » et « le
trouble bipolaire au travail », dans l’entreprise et vis-à-vis des collaborateurs.
64
I.5. Aspects éthiques et déontologiques
Le cadre déontologique de la recherche :
Le cadre déontologique de notre recherche nous oblige en tant « qu’apprenti » clinicien
à faire preuve d’une honnêteté rigoureuse dans notre démarche intellectuelle, dans la
conduite de notre étude ainsi que dans la présentation des résultats de l’analyse des
entretiens.
La participation à la recherche s’est faite sur la base du volontariat. Lorsque nous
avons sollicité les personnes pour participer à notre étude, nous leur avons demandé
au préalable leur consentement. Nous leur avons présenté de façon globale l’objectif
de la recherche, la durée de celle-ci ainsi que notre méthodologie, c’est-à-dire,
comment nous allions procéder. Nous leur avons montré les bénéfices et les
contraintes de cette recherche. En effet, l’article 9 du code de déontologie avance
qu’« avant toute intervention, le psychologue s’assure du consentement de ceux qui le
consultent ou participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il les
informe des modalités, des objectifs et des limites de son intervention » (AEPU, ANOP,
SFP. (1996)).
Les situations expérimentales, ici, nos entretiens de recherche, doivent être vus sans
« contraintes » et « reproduisant des situations que les personnes sont susceptibles de
rencontrer dans leur vie quotidienne sans leur faire courir aucun risque particulier du
point de vue de leur intégrité physique ou mentale » (Caverni, 1998, p. 88)
Dans notre étude, nous recherchons à comprendre la représentation que les
interviewés ont de leur maladie dans leur environnement professionnel.
Lors des entretiens, nous avons laissé une grande liberté aux interviewés dans leurs
réponses aux questions que nous avons posées. « Dans les situations de recherche, il
[le psychologue] les informe de leur droit à s’en retirer à tous moments doivent
également être présentées » (AEPU, ANOP, SFP. (1996) Article 9)
L’anonymat :
Dans un souci de confidentialité, le respect de la vie privée et la garantie de
l’anonymat, les noms des six sujets évoqués dans cette recherche ont été modifiés.
65
L’éthique :
L’éthique dans la recherche doit signifier « les principes et les contraintes qui
s’imposent à toute activité humaine en vue de la protection de la vie et du respect des
personnes » (Caverni, 1998, p. 84).
Selon Odile Bourguignon, la recherche expérimentale « affronte la complexité de la
réalité vivante » (Bourguignon, 2003, p. 84). Chaque participant a été prévenu de notre
démarche et nous avons reçu leur « consentement libre et éclairé » comme il est
demandé dans le code de déontologie des psychologues.
66
II Résultats
II.1. Analyse des données cliniques
II.1.1 Delphine : 48 ans
Anamnèse :
Delphine est née en France, son père est mauricien et sa mère est de nationalité
française. Elle a un frère qui a un an et demi de plus qu’elle, elle le voit peu. Ses
parents sont décédés récemment « j’ai perdu mes parents en 5-6 mois ». Elle décrit
son père comme quelqu’un d’ « autoritaire » pouvant avoir des comportements violents
« matériellement », il pouvait casser les meubles de leur appartement et une mère
« effacée »
et
« malade »
comme elle.
« J’étais assez oppressée
par cet
environnement pesant ».
Elle connaît peu sa famille paternelle car « ils sont éparpillés dans différents pays », ni
sa famille maternelle ; ses grands-parents maternels sont morts avant sa naissance et
sa mère a une sœur, qu’elle voit également peu.
Ses parents ont beaucoup déménagé lorsqu’elle était jeune. Petite, elle raconte que
ses parents les ont laissés, son frère et elle, lorsqu’ils avaient 4 ans et demi et 3 ans
pendant un an chez des amis proches pour permettre à son père d’aller faire ses
études au Maroc. Elle dit de cette expérience que « c’est perturbant pour des enfants
si jeunes ».
A l’adolescence, elle dit se sentir très seule, son père avait une attitude « dure » avec
elle, lui interdisant de sortir : « je me sentais un peu plus « enfermée » par rapport à
mes autres copines : mon père ne voulait pas que je sorte ». Elle attribue cette attitude
à la culture hindouiste de son père qu’il revendiquait beaucoup, « l’hindouisme, c’était
sa philosophie, sa culture ». « Je me demandais si c’était ça [la culture hindouiste] qui
faisait que je me sentais différente, jusqu’à ce que je comprenne que c’était ma
maladie qui faisait que j’étais différente ».
Sur le plan sentimental, elle n’a jamais souhaité « imposer sa maladie à quelqu’un »,
elle a vu que c’était difficile pour son père de supporter la maladie de sa mère : « J’ai
jamais voulu avoir de compagnon parce que je me suis dit que c’était une maladie trop
67
lourde, je ne pouvais pas avoir de projets de vie avec quelqu’un, ce n’était pas
possible. Elle a néanmoins été en couple « parce que c’est vital » : « J’ai été en couple
avec un alcoolique, un dépressif et ensuite quelqu’un qui fumait du cannabis mais qui
était quand même bien inséré et avec lequel, j’ai quand même pu vivre huit ans, ça
c’était bien ». Suite à la rupture avec ce dernier compagnon, elle a eu un accès
maniaque puis dépressif qui a permis son diagnostic.
Scolarité et monde professionnel :
Sur le plan scolaire et professionnel, Delphine a eu son baccalauréat, elle dit avoir
aimé apprendre et travailler pendant sa scolarité, malgré un mal-être toujours présent.
« J’ai vite compris [avec ma maladie] que j’aurais des problèmes d’insertion dans le
milieu professionnel, dès le lycée quoi ». Elle ne savait pas quoi faire pour ses études,
elle a cependant décidé d’entreprendre des études demandant beaucoup d’années de
préparation. Elle s’est donc orientée vers la médecine : « au moins pendant 8 ans, je
ferai ce que je sais faire, aller à l’école, apprendre, ça m’intéresse, c’est loin (de la vie
professionnelle), ça va me mettre à distance de la vie professionnelle, du travail ». Son
père lui a mis beaucoup de pression pour qu’elle fasse des études, « c’est une chance,
c’est important » Elle a mis 16 ans à avoir son diplôme parce qu’elle était très
« dépressive ».
Aujourd’hui, elle exerce dans un service de médecine scolaire en tant que médecin. « Il
était hors de question que je sois médecin généraliste avec ma maladie, j’ai donc
trouvé un poste en médecine préventive universitaire, à la fac, pour les étudiants qui
sont en première année, qui sont en bonne santé. On voit les vaccins, s’ils ont des
problèmes psychologiques, d’adaptation, on est dans une équipe avec des
psychologues, psychiatres ». Son travail lui plait, c’est « le rêve » selon elle. Son travail
est « facile » : « c’est un métier qui n’est pas très difficile par rapport à d’autres postes
de médecins, on a besoin de moins de capacités ». Elle ajoute également « j’ai bien
compris que ce travail, je pourrais le faire même quand ça ne va pas, c’est pour ça que
je le fais. Ça me permet de pouvoir y aller même quand ça ne va pas ».
Elle décrit son poste de « précaire », j’ai « cumulé des vacations, certains médecins
faisaient ce métier en plus d’une activité libérale, ce qui est ridicule car avec la
formation que j’ai fait, j’aurais pu prétendre à mieux, mais, par ma pathologie, je ne me
voyais pas faire autre chose ».
68
Elle travaille dans ce service depuis 1994, à 70%, elle a aussi exercé en médecine
scolaire pendant 10 ans « pour complément financier » et a effectué un remplacement
au centre de prévention de la sécurité sociale mais « c’était trop l’usine, c’était du pleintemps, il y avait trop de pathologies, j’ai vite arrêté le remplacement ».
Pour Delphine, le travail représente « un salaire, une autonomie, cela me permet
d’avoir une voiture pour pouvoir aller à la mer. C’est un équilibre, cela me permet de
sortir, voir des gens, des collègues, des étudiants, je ne suis pas dans un bureau toute
seule, je vois des étudiants qui ont toujours la pêche, qui ont le sourire dans le bureau,
ça fait du bien ». Il est intéressant de constater que sa volonté d’être autonome vis-àvis des autres et surtout de son père transparaît dans tout son discours et est très
importante pour elle.
Les personnes au courant de sa maladie sont les infirmières du centre médical, « mais
pas toutes ». Elle dit avoir mis longtemps avant « d’oser leur en parler » et justifie ce
choix en disant qu’elle avait peur de perdre son travail précaire et parce qu’elle ne
voulait pas qu’on sache « qu’elle [je] n’allait pas bien ». « Certaines l’ont bien senti,
elles me soutiennent et sont bienveillantes avec moi, elles ont bien compris que je suis
fragile ». Néanmoins, elle affirme que leur attitude semble différente vis-à-vis d’autres
médecins dans le service : « Elles sont peut-être plus à l’aise de discuter avec d’autres
médecins parce que eux, ils sont bien dans leur peau, les autres médecins ont des
enfants alors que moi, comme j’en ai pas, j’ai moins à parler de moi ».
Elle a également récemment mis son ancienne directrice au courant de sa bipolarité en
se préparant à notre entretien. Nous lui avions envoyé notre questionnaire afin qu’elle
puisse préparer les questions. Et à la question « Vos collègues sont-ils au courant de
votre maladie ? », Delphine a questionné son ancienne directrice, aujourd’hui à la
retraite en lui demandant si elle avait remarqué qu’elle était bipolaire. Celle-ci lui a
répondu « j’avais bien vu que tu avais des hauts et des bas mais comme tout le
monde, donc non, je ne savais pas que tu étais malade ».
Sur le plan de son évolution professionnelle, elle la voit « stagnante » et dit qu’elle est
actuellement « au maximum » de ses capacités: « J’ai toujours dit que je ne voulais
pas en faire plus, prendre plus de responsabilités ».
Grâce à ce travail au centre médical, Delphine ne considère pas son état comme un
handicap : « Si je n’avais pas trouvé ce poste, oui je pense que je me sentirais
réellement handicapée. Je ne m’imagine pas faire autre chose qu’un travail répétitif qui
69
ne demande pas trop de bien-être mental, ce travail est parfait pour moi ». Par contre,
elle nous raconte une expérience en tant que vendeuse dans une charcuterie qu’elle a
trouvée très difficile : « Là je me suis bien rendu compte que j’étais handicapée. Malgré
mon niveau intellectuel, je n’étais pas capable de porter la monnaie à la caisse, tout
me paraissait infaisable alors que cela demandait un minimum de capacités ». En
fonction des situations de travail, Delphine doute de ses capacités et est moins à l’aise
avec sa maladie.
Face à la représentation que les autres peuvent avoir de la maladie psychique, elle
conseille à chacun d’être « tolérant face à la différence de l’autre » et de se comporter
de manière « normale » comme avec n’importe qu’elle autre personne. Elle explique
que « certaines infirmières ont parfois des réactions extrêmes et peuvent être
carrément intolérantes, dures par rapport à la maladie psychique, alors que si la
personne arrive à travailler, c’est déjà bien, elle fait face ».
Description de la maladie :
Dans son discours, elle exprime un « mal-être ancien », depuis l’âge de 9 ans. Ses
troubles bipolaires ont finalement été diagnostiqués il y a 2 ans « Ma psychiatre a mis
du temps, parce que j’étais tout le temps sur le versant dépressif ».
Durant sa première année de médecine, elle avait fait un accès maniaque « j’ai eu un
premier accès maniaque en première année, j’étais bien en forme, bien efficace et puis
après j’étais le plus souvent dépressive ». C’est suite à une rupture sentimentale, il y a
deux ans où elle a enchaîné entre une phase maniaque et une phase dépressive que
le diagnostic a pu définitivement être posé.
Delphine est actuellement « en couple » avec un compagnon, avec lequel, « cela se
passe bien » qui la « stimule bien ». Elle ne souhaite pas avoir d’enfants « j’ai jamais
voulu avoir d’enfants », ne voulant pas leur transmettre « la maladie ». Elle dit aussi ne
pas avoir « la force de donner la vie, ni l’envie » et cherche notre approbation sur ce
sujet en nous disant « c’est bizarre non, de ne pas souhaiter donner la vie ? ».
Lorsqu’elle va moins bien, « les jours où ça ne va pas », elle nous explique qu’elle est
« plus lente à réfléchir », qu’elle a « l’impression de ne plus rien savoir en médecine,
de moins bien faire son travail » et que son « intellect est ralenti ».
70
« Je ne fais pas très bien mon travail dans ces moments-là, mais je ne fais rien de
grave ; je vais être plus brève avec les étudiants que je reçois, je vais moins creuser
les choses ».
Aujourd’hui, sa maladie la préoccupe moins qu’auparavant. « Là maintenant ça va
beaucoup mieux parce qu’avec le recul, au niveau professionnel, je me rends compte
que j’ai pu m’assumer un peu ».
Elle est également sereine sur le plan personnel « j’ai un compagnon avec qui ça se
passe bien en ce moment » et son traitement la soulage par rapport à l’angoisse même
s’il n’est pas encore « optimal » : « J’espère juste trouver le traitement optimal. J’ai
quand même besoin de venir à l’association, est-ce que cela signifie que je suis
préoccupée par la maladie, je ne sais pas, peut-être plus pour partager et discuter
avec les autres »
Elle conclut l’entretien en affirmant que le trouble bipolaire, « c’est une vie particulière,
qu’il faut finir par accepter ».
Posture lors de l’entretien :
Nous avons retrouvé Delphine dans les locaux de l’association de bipolaires dont elle
est adhérente. Nous avions convenu d’un rendez-vous à 18h.
Physiquement, Delphine est une femme grande et mince, elle a les cheveux longs
rassemblés en queue de cheval et légèrement grisonnants. Elle est vêtue d’un
pantalon de toile beige, d’un t-shirt blanc et d’un pull noir.
Elle ne souhaitait pas que l’entretien se déroule dans les locaux de l’association, trop
petits et occupés par d’autres adhérents pour une réunion. Nous aurions pu effectuer
l’entretien dans le bureau du président de l’association mais cela ne lui convenait pas
et elle a préféré m’emmener vers un centre commercial situé à une centaine de
mètres. Nous nous sommes installées dans une boulangerie faisant également office
de salon de thé où elle s’est acheté une viennoiserie. Quand nous sommes arrivées, il
n’y avait aucun client dans le magasin, l’endroit était calme. L’entretien a duré environ
une heure et nous avons remarqué que dès qu’un client entrait dans la boulangerie,
Delphine se penchait vers nous et parlait plus discrètement. Cette attitude s’est
reproduit de manière identique une dizaine de fois pendant notre rencontre.
71
Au départ, son visage est fermé, il s’est peu à peu détendu au fur et à mesure de
l’entretien. Durant toute la rencontre, ses jambes sont croisées, son corps est
légèrement penché et orienté vers la porte de sortie de la boulangerie, située à sa
gauche. Cette posture nous fait penser à une attitude de « fuite ».
Son discours est fluide et direct, marqué par quelques silences pendant lesquels, elle
semble réfléchir avant de rebondir sur ce qu’elle vient de dire. A chaque nouvelle
question de notre part, elle prend le temps de nous répondre, ses paroles sont
mesurées.
II.1.2. Martin : 47 ans
Anamnèse :
Martin est de nationalité française et habite à Lyon.
Sur le plan familial, il a deux enfants d’un premier mariage dont il est divorcé et vit
actuellement en concubinage. Sa vie s’est aujourd’hui « stabilisée sur le plan
personnel ». L’année 2007 semble avoir été difficile à ce niveau-là : « en 18 mois, ma
mère s’est suicidée après une grave crise dépressive, mon père est mort peu de temps
après et ma femme a demandé le divorce ».
Tous ces changements semblent avoir eu un impact négatif sur lui et ont été selon lui
« des catalyseurs et générateurs de ma maladie ».
Scolarité et monde professionnel :
Sur le plan scolaire et professionnel, Martin est diplômé d’école de commerce, il est
ensuite parti un an et demi en coopération en Malaisie.
Il a commencé sa carrière professionnelle dans une entreprise française et a
successivement tenu les postes de responsable export en Afrique anglophone, chef de
produit en Allemagne et directeur des ventes pour l’Asie et le Moyen-Orient.
72
Il est ensuite parti pour travailler dans une entreprise américaine au poste de chef de
produit sur la tuberculose puis, est devenu responsable de gamme sur le même produit
et enfin directeur des ventes et marketing pour l’Europe.
Il dit avoir aimé travailler pendant toutes ces années de travail intensif : « je travaillais à
temps plein avec des horaires de fous ».
En 2007, après les événements difficiles de sa vie personnelle, il décide en janvier
2008 de prendre une année sabbatique qui « s’est finalement transformée en deux
années » suite au déclenchement de sa maladie.
Il voulait « faire de l’humanitaire et travailler pour des causes qui lui tenaient à cœur ».
Il a donc été bénévole pendant ces deux années auprès de 3 associations.
Aujourd’hui, Martin a repris une activité professionnelle, il s’est « mis à son compte » et
« travaille dans le recrutement pour de grandes entreprises depuis fin 2009, début
2010 ». Il reste néanmoins très investi dans les 3 associations mais de manière
ponctuelle. Cette alternance humanitaire/travail en milieu ordinaire lui va « très bien ».
Son travail actuel, « c’est le bonheur », il gère comme il veut « son temps de travail »
et ne s’investit « plus comme avant dans l’entreprise ». Il veut travailler pour une
« cause qui lui tient à cœur » et non « pour gagner de l’argent ». Actuellement, il ne se
voit pas évoluer professionnellement considérant sa position actuelle parfaite : il
souhaite « rester comme ça ».
Martin ne considère pas sa maladie comme un handicap : « ma maladie n’est pas
handicapante par rapport à d’autres comme le cancer ou le diabète qui me paraissent
bien plus handicapant ». Cependant, il reste « prudent » : « je ne suis pas préoccupé
par ma maladie, je sais qu’elle [la bipolarité] reste sous-jacente, je reste prudent pour
la suite. Je ne veux surtout pas que ça recommence ».
Certains de ses collègues ont connaissance de sa maladie : « j’en ai parlé à deux ou
trois personnes avec qui je suis en confiance, ils ont eu une position d’écoute ». Un de
ses collègue lui a même dit : « On est tous malades de quelque chose un jour ou
l’autre ».
Il est aujourd’hui content d’avoir partagé ces informations avec eux. Les relations avec
ses collègues n’ont pas changé depuis qu’ils savent pour sa maladie : « Si j’avais
pensé que ça aurait pu être le cas, je ne leur aurais pas dit » [pour la bipolarité].
73
Il conseille aux personnes qui entourent les bipolaires « de ne pas avoir de craintes et
ne pas avoir peur de la maladie ». Il insiste également sur le fait d’être « à l’écoute des
personnes souffrant de la bipolarité, de les accompagner ». Le soutien de ses proches,
leur soutien est un élément important pour son état général.
Description de la maladie :
Sur le plan diagnostic, Martin souffre d’une bipolarité de type III c’est-à-dire une
dépression majeure avec des épisodes de manie ou d’hypomanie dus au traitement.
Il a été diagnostiqué en septembre 2008 suite à une grave dépression ayant mené à
une hospitalisation. Il n’arrivait à se « sortir de cette dépression » qui a commencé en
Avril et a été présente en « mai, juin, juillet, août, septembre ».
Cet été là, il « s’occupait de ses enfants en août », ça a été « dur » et dès qu’ils sont
retournés chez leur mère, le 1 er septembre, il s’est « effondré » : « je ne voulais plus
rien faire, je ne disais plus rien, je ne dormais plus, j’avais des idées noires ».
Il s’est fait hospitalisé pendant 3 mois, puis, a fait une rechute au bout de deux mois.
Sa seconde hospitalisation a duré 9 mois, il est sorti de l’hôpital en octobre 2009.
Depuis plus d’un an et demi, il se considère « stabilisé » : « Aujourd’hui, je n’ai plus
aucun symptômes depuis l’été 2009, je suis stabilisé » et se sent plus fort de cette
expérience vécue : « je me sens plus à même de gérer les quarante-cinq prochaines
années ». Il conclut l’entretien en disant « quand certaines personnes vivent des crises
graves, elles en sortent plus fortes ».
Martin est conscient de « l’immense tabou dans la société occidentale » que sont les
troubles bipolaires. Il explique que ces tabous « ne favorisent pas la guérison, le bienêtre » chez la personne touchée par cette maladie et que cela peut « mener à la
mort ».
Il raconte également que cette maladie est présente chez plusieurs membres de sa
famille et que cela est très difficile à supporter pour les proches : « Cette maladie a fait
des ravages dans mon entourage, divorces, suicide, on n’en sort pas indemne ».
Selon lui, « c’est une maladie qui peut être bien diagnostiquée et dont on peut bien
guérir, ou du moins être stabilisé », en trouvant le « bon traitement ».
74
Posture lors de l’entretien :
Martin a pris contact avec nous par le biais du site Viadeo, le répertoire des
professionnels. Nous avions posté un message sur un forum sur « les troubles
bipolaires ». Le principe d’un forum sur ce site est de rassembler autour d’un thème
précis, les personnes concernées par ce thème, ici, les troubles bipolaires. Nous y
retrouvons les professionnels de la santé ou autre, les personnes touchées par cette
pathologie psychique, les proches des malades…etc.
Martin habitait en région Rhône Alpes, il nous était impossible pour des raisons
logistique d’aller le rencontrer sur place et nous avons convenu d’un entretien
téléphonique.
Notre rencontre avec Martin a duré une heure et s’est déroulé par téléphone à notre
domicile. Nous avions convenu ensemble d’un premier horaire quelques jours
auparavant mais suite au rajout soudain d’une réunion sur le lieu de travail de Martin, il
ne pouvait plus être présent à l’horaire que nous avions prévu, nous avons fixé un
nouvel entretien téléphonique au jour suivant à 18h.
Sur le plan du discours, Martin parle lentement, il mesure ses paroles. Son débit de
paroles est cohérent mais ponctué de silences qui nous semblent parfois longs. Il
prend le temps de répondre posément à nos questions.
II.1.3. Sébastien : 50 ans
Anamnèse :
Sébastien vit en banlieue parisienne, il est marié et père de trois enfants, deux filles et
un garçon. Il a été adopté étant enfant et ne connaît pas ses parents biologiques.
Scolarité et Monde professionnel :
Sur le plan scolaire et professionnel, Sébastien a fait des études et un master
d’ingénieur. Il travaille depuis 1987, c’est-à-dire depuis 24 ans et a changé « 11 fois
d’entreprise » depuis le début de sa carrière. Selon lui, « cette recherche d’activité
permanente a surement un rapport avec ma bipolarité ».
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Sébastien est actuellement dans une entreprise des télécoms depuis 5 ans, ce qui est
selon lui, « un record » par rapport aux autres postes qu’il a tenus.
Il est responsable QSE, Qualité Sécurité Environnement et manage « une équipe
d’une cinquantaine de collaborateurs ». Il est considéré dans son entreprise comme un
« haut potentiel », c’est-à-dire un futur leader de son entreprise. Il déploie actuellement
un programme au niveau groupe pour permettre à tous les salariés d’être plus
performants dans ce qu’ils font.
Les différents postes occupés pendant son évolution professionnelle vont de la
création d’entreprise, à des changements de postes dans la même entreprise ou dans
des entreprises différentes. Il est extrêmement « motivé par la nouveauté » et cherche
toujours de « nouveaux projets, de nouveaux défis ».
Sébastien dit avoir une « grande capacité de travail » depuis toujours et se débrouille
souvent « pour faire tout très vite afin d’être libre ensuite ». Quand « tout va bien », il
peut « énormément travailler ». Il insiste également sur le fait que son poste de
manager lui laisse une « grande liberté d’horaires », ce qui est pratique lorsqu’il va
« moins bien » car cela lui permet de se libérer facilement de son travail et de rentrer
chez lui.
Il insiste sur ses « qualités humaines », importantes envers ses collaborateurs : il est
« très proche de ses équipes, très à l’écoute » et soucieux qu’il y ait « une bonne
communication entre eux et une libre expression ». Ces qualités humaines lui ont
permis de garder de bonnes relations avec ses équipes même lorsque sa maladie
l’isolait de ses salariés.
Pour montrer les bonnes relations avec ses collaborateurs, il nous explique que
lorsqu’il avait des pertes de mémoire dues à la prise de son traitement antidépresseur,
son équipe n’hésitait pas à plaisanter avec lui en le surnommant « Dori » (poisson
présent dans le dessin animé « Nemo » de Walt Disney, qui « oublie » toutes les 3
secondes ce qu’elle a précédemment dit).
Concernant la suite de son évolution professionnelle, il est en « pleine réflexion » et se
dit qu’aujourd’hui, à 50 ans, il a « envie d’autre chose ». Il est à un âge où « on se pose
des questions », se dit qu’il a encore « 20 ans de travail » devant lui et souhaiterait
« donner du sens à ce qu’il fait ».
76
Description de la maladie :
Sébastien explique que son trouble bipolaire est sous-jacent chez lui depuis de
nombreuses années, qu’il a toujours été « présent dans sa vie » mais qu’il a été
« clairement nommé il y a environ 1 an et demi ».
Dans son travail comme à la maison, il a toujours eu des phases d’excitation et des
phases dépressives « de vrais hauts et de vrais bas ». C’est suite à une grave
dépression qui a duré 3 ans, survenue après un stress important qu’il a été
diagnostiqué bipolaire. Son « traitement aux antidépresseurs ne fonctionnait pas » et il
avait d’importantes « pertes de mémoire ».
C’est sa femme qui a commencé à se douter qu’il pouvait y avoir quelque chose. Il a
donc été voir un spécialiste des troubles bipolaires qui lui a confirmé ce diagnostic. Il
souffre d’une bipolarité de type IV, correspondant à une dépression majeure avec un
tempérament hyperthymique.
Lorsqu’il allait « moins bien », il affirme que son entreprise l’a accompagné en lui
permettant de bosser de son domicile.
Il se refuse actuellement à prendre un traitement disant qu’il arrive « à gérer pour le
moment ses troubles » et qualifie sa bipolarité de « légère ». Il est suivi à l’extérieur par
un thérapeute.
Dans le travail, sa bipolarité s’exprime différemment selon les phases. En phase
maniaque, il devient d’une « exigence extrême », « déborde d’énergie », « dors peu »,
tout doit « être nickel », sinon cela peut le mener jusqu’à une « l’agressivité ».
En phase dépressive, il essaie de faire « des choses qui le détendent », il dit être très
« libre de ses mouvements au bureau » et peut « s’organiser comme il veut ».Ce qui
est pour lui, une grande liberté. Lorsqu’il a eu sa dépression pendant trois ans,
« personne ne l’a su » à son travail, il « prétextait » que sa fille ou sa femme n’allaient
pas bien et qu’il devait rentrer à la maison pour s’occuper d’elles.
Pour son équilibre, le travail et le soutien de ses proches sont nécessaires. La stabilité
que ses proches lui apportent, lui permet de se réaliser sur le plan professionnel.
Il insiste sur le soutien de ses proches en disant qu’ils l’aident à « faire la différence
entre délire et normalité ». Un de ses amis est coach et l’aide à maîtriser certains de
ses comportements qui sont, selon Sébastien, « inconsidérés » et témoignent l’emprise
de sa maladie. Ce sont des « petits trucs » qui l’aident à rester dans la réalité. Par
exemple, il va « patienter deux jours et acheter seulement deux bouquins sur internet,
77
plutôt que d’acheter tout de suite une dizaine de livres » qu’il n’aura pas le temps de
lire.
Les autres personnes au courant de sa maladie sont sa famille et les amis qu’il connaît
« depuis 10 ans ». Deux de ces amis sont entrés grâce à son aide dans son entreprise
actuelle. Ce sont les seuls au courant de sa maladie dans son entreprise ainsi que son
ancienne assistante qu’il a récemment informée de ses troubles « parce qu’elle a un
enfant trisomique et qu’elle peut comprendre ». « Leur comportement face à moi n’a
pas changé depuis qu’ils savent ».
Sébastien indique également que c’est une « chance » de comprendre qu’il souffre de
troubles bipolaires : « le fait d’avoir mis les mots sur ma maladie m’a permis de faire la
part des choses lorsque je sens que je dérape, ou de comprendre certaines attitudes
que j’ai pu avoir autrefois ». Il a compris certains traits de caractère, ou certains
comportements depuis qu’il connaît son diagnostic.
Sébastien dit également que depuis qu’il se sait bipolaire, il pose « un autre regard sur
les gens ». Si quelqu’un dans son travail « s’énerve », il va se demander pourquoi cela
lui arrive, ce qui l’angoisse, comment il peut l’aider.
Une « qualité d’écoute » importante s’est développée chez lui depuis qu’il sait ce dont il
souffre. Il explique aussi que « cet épisode difficile [lui] a permis de [se] sentir plus
fort » aujourd’hui.
Il considère sa maladie comme un handicap : « ma maladie est un handicap mais dans
mon entreprise, je ne veux surtout pas avouer que je souffre de cette pathologie ».
Dévoiler son handicap c’est pire que de ne pas le dire. Dans le monde du travail, il faut
être normal, sinon ça ne passe pas ».
Selon lui, l’entreprise ne peut pas gérer et accompagner les salariés souffrant de
troubles psychiques pour deux raisons :
La rentabilité et la productivité de l’entreprise : « en entreprise, on peut difficilement
aider parce qu’on nous demande d’être toujours plus rentables et productifs, ce qui est
incompatible avec la notion de troubles psychiques ».
L’entreprise n’est pas prête à accompagner les troubles psychiques : « Autant, le
handicap physique est plus « acceptable », pour l’entreprise alors que les troubles
psychiques pas du tout, il y a un véritable tabou autour de ce terme ». Il insiste sur le
fait que les troubles psychiques sont ponctuels et ne sont pas constants chez la
78
personne : « Entre une phase UP [d’excitation] et une phase DOWN [de dépression],
j’ai toujours une phase de stabilité où je suis tout à fait normal ».
Pour développer la tolérance entre les salariés de l’entreprise, il insiste sur la rencontre
entre tous les salariés, notamment avec ceux qui peuvent avoir plus de difficultés dans
le travail : « par la rencontre nous devons faire émerger la tolérance. Dans une
conduite de changement, il ne faut laisser personne sur la route, il faut avancer tous
ensemble même si certains ont plus de difficultés… C’est un travail de longue haleine
mais on doit y aller pas à pas et avancer petit à petit ».
Posture lors de l’entretien :
Nous avons rencontré Sébastien par le biais d’un proche qui nous a mis en contact.
Nous avions fixé un premier rendez-vous que nous avons dû décaler suite au rajout
d’un cours à notre école.
L’entretien a eu lieu une semaine après. Nous avions convenu d’une rencontre en fin
d’après-midi après nos journées de travail/stage respectives. Sachant que nous
travaillions dans la même ville, nous nous sommes retrouvés à mi-chemin dans un
café entre notre lieu de stage et son lieu de travail à 18h. L’entretien a duré 1h30.
L’endroit est calme, grand et peu rempli. Nous avons donc pu choisir une place idéale
pour effectuer cette rencontre.
Sébastien est un homme de taille moyenne, mince, son allure est décontractée. Il est
habillé d’une chemise blanche, d’un pantalon noir et d’une écharpe autour du cou. Il a
les cheveux bruns. Par rapport aux autres personnes que nous avons rencontrées, il
fait plus jeune que son âge.
Pendant l’entretien, son discours est énergique, rapide et fluide. Il semble à l’aise et
parle avec animation. Parfois, il « dévie » légèrement du sujet mais reprend
rapidement le fil de son discours. Ses réponses à nos questions sont directes et
franches mais il fait facilement des associations sur d’autres sujets.
Pendant toute la durée de l’entretien, sa posture est détendue : il est légèrement affalé
sur sa chaise, les jambes croisées à côté de la table. Nous supposons qu’il adopte
cette attitude afin d’avoir plus de place pour ses jambes.
Avant notre rencontre, nous lui avions envoyé le questionnaire avec le déroulé des
questions que nous allions lui poser. Il avait préparé ses réponses à l’écrit et nous les
79
avait envoyées avant l’entretien. Son texte est clair, précis et certaines tournures de
phrases ont des traits humoristiques.
II.1.4. Sophie : 52 ans
Anamnèse :
Sophie est de nationalité française, elle vit en banlieue parisienne, elle est divorcée et
a 4 enfants : une première fille d’une première union, puis 2 garçons et une fille de son
précédent mariage.
Aujourd’hui, ses enfants sont grands, les 3 ainés ont quitté son domicile. Elle vit avec
son dernier garçon encore au lycée et loue une partie de la maison à des étudiants qui
sont en cours à l’université située à quelques kilomètres de son domicile.
Elle a une sœur dont elle est très « proche » et voit souvent ses parents qui habitent
sur Paris.
Scolarité et monde professionnel :
Concernant sa vie scolaire et professionnelle, elle a une formation en droit qu’elle a
complétée avec un master de communication au Celsa.
Le travail semble être un élément important et vital pour elle : « J’ai toujours aimé
travailler, avoir des responsabilités. Je ne pourrais pas vivre sans ça ».
Elle attribue l’origine de ce besoin dans son enfance : « Quand j’étais petite, ma mère
nous tannait en nous disant : les filles il faut travailler pour être indépendante, c’est
super important. J’ai été élevée comme ça ».
Elle a toujours travaillé dans des postes en ressources humaines ou en communication
à Beauvais. Elle s’est ensuite « arrêtée pendant 6 ans afin d’élever ses enfants lorsque
le dernier était au CP et l’aînée au collège ». Même pendant cette période, elle s’est
investie en tant que bénévole : « je travaillais à la mission locale, j’aidais les gens à
trouver du travail ». A cette période, elle s’est « ennuyée », la période a été « dure »
pour elle, elle ne se satisfaisait pas de ne pas travailler. Elle n’a pas « apprécié d’être
femme au foyer ».
80
En reprenant le travail après 6 ans d’arrêt, elle a travaillé avec son mari en tant que
vice-présidente de la société de son mari, dont il était le directeur général. C’était une
société française d’audit et d’informatique, également centre de formation, mettant en
place des programmes de formation. Sophie dit qu’en arrivant, c’était « un chantier au
niveau administratif » et qu’il a fallu tout remettre en route. Elle a travaillé là-bas
« pendant 3 ans, 3 jours par semaine ».
Cependant, au bout de 3 ans, « ça ne se passait plus très bien avec [son] mari », ils
ont décidé de divorcer. A ce moment-là, elle dit avoir déjà « ses troubles ».
Elle a donc trouvé un autre travail dans une association, son dernier poste avant sa
crise, en tant que directrice des ressources humaines mais les relations avec le
directeur général se sont détériorées : « entre mon rythme et son rythme, c’était
difficile, ça n’avançait pas assez vite ». Elle démontre cela en disant qu’elle a
« toujours été très fatigante pour les autres, parce que plus rapide que les autres ».
Son chef n’a pas apprécié qu’elle « lui dise ce qu’il fallait faire et a décidé de [la]
virer avant de se rétracter ». Elle est partie de son « plein gré », « ne voulant pas rester
dans cette ambiance ».
Description de la maladie :
Sophie a été diagnostiquée en 2009. Elle se souvient du regard que lui renvoyaient ses
proches, ses amis et ses collègues à cette période : « vraiment tu es bizarre, tu n’es
pas normale ». Sa « situation personnelle [son divorce avec son mari] s’est surajoutée
à [ses] troubles » et a « aidé » au déclenchement de sa pathologie.
Elle parle également de manière précise de la perte de son chien comme élément
déclencheur de sa crise : « je sais exactement ce qui a déclenché la crise. On parle
souvent de choc émotionnel : 21 mars de cette année, j’avais une chienne berger
allemand qui est morte. Elle avait un cancer généralisé depuis quelques mois. Elle a
fait une hémorragie interne. J’ai rêvée d’elle, j’ai fait un cauchemar : elle se rongeait les
pattes. Je l’ai retrouvée en bas du sous-sol, couchée. Elle a dû tomber et j’ai eu une
énorme peur à ce moment-là, j’étais à la fois dans mon cauchemar et la réalité, j’ai eu
un choc. C’est ce choc-là qui a été brutal et qui a déclenché ».
Sophie est alors entrée en phase maniaque : « Quand je suis en phase où tout va bien,
je suis plus dépensière, je désinhibe les choses mais dans les limites du raisonnable
81
parce qu’au départ, je suis quelqu’un d’organisée et de très carrée. Même quand ça
déborde, je reste raisonnable ».
.
Elle est allée voir un psychiatre en juillet 2009 car elle s’est aperçue qu’elle avait des
« symptômes d’excitation », avait besoin « de peu de sommeil », faisait « beaucoup
d’activités », avait, « beaucoup d’idées » et « parlait très vite ». Elle dit n’avoir « jamais
été à ce point-là ».
La dépression est arrivée en août et « ça a dégringolé ». Elle a commencé son
traitement en septembre 2009.
L’été suivant, en 2010, « ça n’allait pas du tout » et au niveau personnel, son mari l’a
« quittée ». Elle s’est fait hospitaliser a vécu des mois « très difficiles » entre le mois de
septembre et décembre : « je n’ai pas vu les mois passer, je n’avais envie de rien, je
restais couchée, je me moquais de mes enfants, je ne pouvais plus gérer les autres
tout m’était égal ». Depuis le mois de janvier, elle dit « aller mieux ».
Elle est actuellement au chômage et cherche un travail dans le recrutement parce que
« c’est très épanouissant, il y a un rapide retour sur l’investissement. On voit vite si on
s’est trompé ».
La bipolarité est un sujet qu’elle n’a jamais évoqué dans son travail : « j’en ai jamais
parlé au bureau, c’est un sujet que je n’aborde pas du tout, c’est quand même un peu
la honte ! Je n’ai pas envie de dévoiler ce qui reste de l’ordre de ma vie privée.
Elle justifie cette attitude par une personnalité dominatrice qui serait incompatible avec
sa maladie qui la rend faible : « je suis quelqu’un dans le travail de plutôt dominante,
qui prend en charge. Je ne veux pas me trouver avec des gens qui pensent que je suis
faible, fragile ».
Seuls sa famille proche et quelques amis sont au courant de sa pathologie : « J’en ai
parlé qu’à mes amis proches, à ma famille et à ceux qui m’ont téléphoné ou qui sont
venus me voir quand j’étais hospitalisée ».
« J’ai plus insisté avec eux sur la dépression, j’ai moins évoqué la bipolarité parce
qu’une dépression, c’est bien mieux accepté qu’une bipolarité ». Sa maladie reste un
sujet sensible qui est attaché à des changements radicaux dans sa vie : « La
séparation avec mon mari, on se remet toujours en cause ».
82
Pour elle, ses troubles ne sont pas son plus grand handicap : « ce que je considère
aujourd’hui comme un plus grand handicap pour moi, c’est l’âge et mon manque de
confiance en moi pour retrouver du travail. Connaissant maintenant mon diagnostic, je
pense que je gère beaucoup mieux certains des comportements que j’ai pu avoir
auparavant et que je ne comprenais pas ». Elle est soulagée d’avoir pu mettre les mots
sur ses symptômes et d’avoir été prise en charge.
Elle regrette néanmoins ses anciens accès maniaques qu’elle trouve « grisants » : « je
trouve ça très dommage de ne plus être en phase haute comme tous les bipolaires, je
regrette parce que c’est vraiment trop bon ! On est très bien et on se fiche du regard
des autres ».
« Avec le traitement, on devient morne plaine. On a quand même des hauts et des bas
mais ils sont tellement tassés, c’est triste ! Pour l’instant, je n’arrête pas mon
traitement, c’est encore trop récent. Je ne sais pas, par contre comment je résisterai
sur la durée. C’est des médicaments que je peux garder à vie ».
Posture lors de l’entretien :
Nous avons rencontré Sophie par le biais d’un de nos proches qui nous a mis en
relation.
Physiquement, Sophie est une femme de petite taille, mince, elle a les cheveux courts
et porte des lunettes.
Pour l’entretien, nous avons convenu d’un rendez-vous à son domicile. Etant
actuellement au chômage, Sophie avait de nombreuses disponibilités d’horaires. Nous
avions prévu de nous retrouver à 9h30 à la gare où elle avait proposé de venir nous
chercher en voiture, sa maison étant située à plusieurs kilomètres de la gare. Elle nous
a avoué après l’entretien que lorsque nous l’avions appelé pour qu’elle vienne nous
chercher, elle n’était pas encore habillée « n’ayant pas vu l’heure ». Elle s’est préparée
à la hâte et s’est « habillée simplement ».
L’entretien a duré 1h30. Elle est seule chez elle, mis à part son fils qui dort à l’étage et
que nous n’avons pas croisé pendant la durée de l’entretien. Nous nous sommes
installées dans la cuisine. Sophie est restée debout durant toute la durée de la
rencontre, derrière le bar de sa cuisine pendant que nous étions assises à quelques
mètres, autour de la table de la salle à manger à prendre des notes. Elle a préparé les
boissons, puis est restée accoudée pendant le reste de l’entretien. Nous nous
83
demandons dans quelle mesure cette attitude évoque une manière d’imposer
physiquement, une distance matérielle avec le bar, entre nous-mêmes et elle.
Pendant toute la durée de l’entretien, elle semble à l’aise, parle avec animation, son
discours est fluide et direct. Elle précise au début de l’entretien qu’elle n’a pas voulu
préparer les questions, voulant rester « spontanée » dans ses réponses.
II.1.5. Audrey : 60 ans
Anamnèse :
Audrey est une femme d’origine française et habite à Paris. Elle a été mariée et a un
fils de cette union qui est lui-même marié et a des enfants. Depuis, elle a vécu
plusieurs ruptures sentimentales.
Quand elle était petite, elle raconte qu’elle était très « douée, joyeuse », qu’elle a
« sauté des classes ». Elle dit également qu’elle a « souffert d’anorexie » à plusieurs
moments de sa vie (à 9, 16 et 30 ans).
Scolarité et monde professionnel :
Sur le plan professionnel, Audrey aurait voulu être « danseuse » mais son père voulait
qu’elle ait « un vrai diplôme ». Elle a donc « fait des études de comptabilité afin d’être
comptable ».
Elle a ensuite commencé à travailler sur un poste de télécommunication mais dit
qu’elle manquait « d’autonomie », que cela ne lui « convenait pas ». Elle a ensuite
travaillé dans plusieurs entreprises privées en tant qu’attachée commerciale dans le
journal Bonjour, puis, chez France Soir, elle est ensuite devenue responsable de la
publicité au Figaro.
Lorsque son fils est né, elle a travaillé pendant 10 ans dans une entreprise qui faisait
de la rénovation de menuiseries isolantes. Audrey explique la variété des postes
occupés en disant : « j’ai toujours accepté un poste seulement s’il me motivait et si le
projet à mettre en place me plaisait. J’ai ainsi travaillé dans plusieurs domaines très
différents ». Elle s’est aussi mise à son compte pendant 5-6 ans. Elle nous dit que ce
84
qui lui a permis de travailler longtemps et ce qui l’a préservée sur ce plan, c’est
surement parce qu’elle a été la plupart du temps « autonome » dans ses différents
postes, sans « référent » au dessus d’elle.
Elle affirme qu’une personne bipolaire peut « facilement trouver du travail mais a du
mal à le tenir » et qu’il faut « aimer se remettre en question et parfois recommencer de
zéro ».
Audrey explique qu’elle a « toujours travaillé, pas toujours de manière optimale, elle
avait parfois « des lacunes » mais elle a toujours « tenu bon », le travail étant « vital »
pour elle. « Si je n’avais pas d’emploi, je serais au fond du lit ».
Elle dit que la maladie lui a également permis de « saisir des opportunités ». Sur le
plan professionnel, elle a pu s’inscrire dans des projets qu’elle n’aurait pas pu faire si
elle n’avait pas été malade.
En effet, quand elle est en phase maniaque dans son travail, elle explique qu’il y a un
« décalage » par rapport aux gens « normaux » dans l’investissement. Son activité est
décuplée : « je peux faire 72 heures de travail en 3 jours, ce qui peut être dérangeant
pour les autres ».
En phase mélancolique, elle dit avoir besoin « d’une grande autonomie ». Cela lui
permet alors « de [se] préserver par rapport aux autres ».
Elle travaille depuis 2007 dans son travail actuel, une association qui regroupe
plusieurs associations de patients. Ses collaborateurs connaissent sa pathologie car ils
savent qu’elle est adhérente à une association de bipolaires, Argos 2001. Cette
association est membre de l’association de patients où elle travaille et tous ses
collaborateurs souffrent également d’une pathologie. Elle dit apprécier cette diversité et
affirme « au moins, je ne suis pas stigmatisée, car nous avons une pathologie
différente ».
Elle a une RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) et insiste
sur son importance dans le monde du travail. Elle « encourage les personnes
bipolaires à se faire reconnaître » mais qu’il faut « accepter d’être étiqueté
handicapé ».
85
Description de la maladie :
Audrey a été diagnostiquée en septembre 2001 au moment des attentats sur les tours
du World Trade Center. Elle affirme qu’à ce moment-là, elle souffrait depuis quelques
jours, elle « n’allait pas bien », « avait des conduites suicidaires » et avait des
« hauts et des bas ». Elle ne se « reconnaissait pas, ne se voyait plus elle-même ».
Elle s’est fait hospitaliser de son plein gré et son diagnostic de bipolarité a été posé.
Elle souffre d’une bipolarité « de type II », c’est-à-dire sur le versant dépressif avec
certaines phases hypomaniaques.
Depuis qu’elle connait son diagnostic, elle essaie « pour éviter de sombrer », de
s’investir lorsqu’elle sait qu’elle peut le faire. Elle essaie de « ménager son stress et sa
fatigue » en essayant d’avoir un rythme de sommeil « régulier ». Elle dit que toute
situation de stress peut la faire « basculer d’un état vers l’autre ».
Elle affirme aujourd’hui, se « connaître bien » et arriver à « gérer sa maladie ». Dans
ce sens, elle ne prend plus de traitement depuis maintenant 4 ans.
Lorsqu’elle a des phases hypomaniaques, le soir il lui arrive de « parler plus vite et de
passer du coq à l’âne ». Elle ne s’en aperçoit pas forcément. Elle dit des « choses
qu’elle ne pense pas ». Elle a donc décidé avec ses proches d’imposer le dicton : « on
ne philosophe pas après 23 heures ».
Elle insiste sur le soutien de ses proches qui l’aident beaucoup à repérer quand elle ne
va plus très « bien » : « Lorsque ça va moins bien, ils repèrent les signaux
d’alerte comme lorsque je ne trie plus mon courrier, quand j’ai tendance à
procrastiner… ». Cela lui permet d’avoir une certaine « objectivité ». Elle a un ami de
longue date qui ne l’a « jamais considérée malade », la conseille et lui permet d’avoir
cette objectivité.
Posture lors de l’entretien :
Nous avons rencontré Audrey par le biais de l’association parisienne, Argos 2001
réunissant des personnes souffrant de troubles bipolaires.
86
Elle a accepté de participer à notre mémoire de recherche « pour faire avancer les
choses ». Concernée par ce sujet, elle veut aider à la compréhension des troubles
bipolaires.
Physiquement, Audrey est une femme de petite taille, les cheveux longs et bruns. Elle
est vêtue d’une longue jupe en jean bleu marine, d’une veste de la même couleur et
d’un t-shirt. Elle porte des lunettes, ainsi que des bijoux fantaisie, colorés et imposants.
Avant l’entretien, elle nous avait précisé que son temps « était compté » et qu’elle était
« pressée ». Elle a cependant pris le temps de répondre aux questions de manière
claire et précise.
Nous nous sommes retrouvées devant son lieu de travail et nous sommes allées
déjeuner ensembles dans un café parisien situé à proximité de son lieu de travail. Au
départ, lorsque nous sommes arrivées vers 13h30, le lieu était bondé et bruyant mais il
s’est peu à peu vidé vers 14h.
L’entretien a ensuite duré 1h30. Pendant cette rencontre, Audrey est à l’aise, parle de
manière franche et directe, son discours est fluide.
II.1.6. Charles : 45 ans
Anamnèse :
Charles habite en banlieue parisienne et vit avec sa femme. Ils sont mariés et ont un
petit garçon de 7 ans. Ils sont tous les deux professeurs, lui, de mathématiques et sa
femme d’histoire-géographie.
Il a un frère qu’il « essaie de voir le plus souvent possible » mais qui habite dans le sud
de la France. Ses parents sont décédés il y a une dizaine d’années dans un accident
de voiture.
Enfant, il décrit un père « alcoolique » et une mère travaillant « énormément ». Dans
ce sens, il dit avoir été « autonome » rapidement et qu’il a toujours été considéré
« excellent en classe ».
87
Scolarité et monde professionnel :
Sur le plan scolaire et professionnel, il a fait des études de mathématiques et a passé
son CAPES pour devenir professeur de mathématiques au collège et au lycée. Il
enseigne cette matière à des élèves de cinquième, quatrième et seconde.
Il dit apprécier le contact avec « ses élèves », que ce n’est « pas toujours facile » de
les « tenir en classe ». Il dit qu’il a toujours fait des mathématiques et ne voit pas ce
qu’il aurait pu faire d’autre : « même à l’école, j’aimais les mathématiques et j’étais bon
dans cette matière. Quand il a fallu que je décide ce que je voulais faire de ma vie, je
me suis naturellement orienté dans cette voie, ne voyant pas ce que je pouvais faire
d’autre ». Il a travaillé dans plusieurs collèges, lycées avant d’arriver dans celui dans
lequel il est en poste actuellement.
Il dit avoir appris à « gérer » ses troubles, « à les reconnaître » quand ils surviennent :
« j’ai mis longtemps à comprendre mes troubles, à les reconnaître et à les gérer ». Il se
dit aujourd’hui « apaisé » et « soulagé » d’avoir pu les « comprendre », « qu’il n’a pas
toujours été stabilisé » et qu’aujourd’hui, il se « sent mieux ».
Charles insiste sur le rôle de ses proches : j’ai toujours été « bien entouré par ma
famille et mes amis les plus proches, notamment mon épouse en particulier et certains
de mes amis, surtout 2 qui sont mes plus vieux copains qui ne m’ont jamais lâchés
même quand j’étais au plus mal. Ils m’aident à rester dans la réalité » et sont des
« piliers » dans sa vie. « Je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui sans eux »
Quand il se sent « moins bien », il fait « tout » pour ne rien montrer de ses troubles à
son travail car c’est pour lui, une importante source de stabilité : « mon boulot, c’est ma
vie, dans ces cas-là, [lors des phases de déprime], je m’oblige à tenir jusqu’au soir à la
maison ». « Quand j’arrive chez moi dans ces périodes-là, souvent je m’écroule ».
Il dit qu’actuellement, il se sent bien : « je pense que si je n’avais pas été bien comme
je suis en ce moment, je n’aurais pas accepté de vous rencontrer, ça aurait été trop
difficile pour moi de parler de ma maladie ».
La bipolarité est un sujet qu’il n’évoque pas dans son travail, « au lycée personne ne
sait ». Sa maladie reste pour lui, un sujet du domaine personnel : « Je n’ai jamais
craqué devant mes élèves, c’est une question de principe, ils ne comprendraient pas ».
Une manière de gérer ses troubles est de préparer ses cours à l’avance afin de
« prévoir » ses phases de « déprime ».
88
Il a vécu une grave période de dépression suite à la mort accidentelle de ses parents
et a dû être hospitalisé pendant 3 mois durant lesquels, il a été remplacé à son poste
de professeur : « je ne suis pas allé à l’école pendant les 3 mois d’hospitalisation ainsi
que les 3 mois suivants, avril, mai, juin. Ensuite, il y a eu les grandes vacances, j’ai
recommencé les cours à la rentrée ».
Le retour dans ce collège a été difficile mais il dit avoir « tenu bon car j’avais besoin
d’être occupé à nouveau ». Face aux questions de ses collègues, il explique en avoir
« dit le moins possible » : « j’ai dit que j’avais eu de graves soucis familiaux, ce qui est
vrai, que j’avais dû les gérer et que j’avais eu ensuite un peu de déprime. Mes
collègues n’avaient pas besoin d’en savoir plus, ils ont compris et n’ont pas posé plus
de questions ».
Charles remarque au sujet de sa maladie « Parler de dépression plutôt que de troubles
bipolaires, c’est plus facile et beaucoup mieux accepté. La dépression, c’est un sujet
commun, les gens comprennent beaucoup plus ».
Aujourd’hui, il dit « aller mieux », être « content de son emploi du temps », ses plages
horaires sont « souples » et « aménagées » de telle sorte qu’il arrive à « récupérer »
lorsqu’il va moins bien. Il dit de son travail : « c’est une entreprise bien rodée ».
Description de la maladie :
Sur le plan diagnostic, Charles souffre d’une forme de bipolarité de type II, c’est-à-dire
un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode
hypomaniaque,
Charles dit avoir été « deux fois en phase hypomaniaque ». Il dit de ces périodes que
c’était « le plaisir, tout va bien, on se sent invincible dans ces périodes-là, j’avais des
dépenses considérables et rien ne m’arrêtait », mais que « ce n’est pas la vie, pas la
réalité ». Il a d’abord fait une première crise pendant 3 semaines lors de sa première
année d’études et a été hospitalisé pendant quinze jours.
Avant sa seconde crise, il a vécu une longue période de dépression due à la mort
brutale de ses parents dans un accident de la route. Pendant cette dépression, il a fait
deux tentatives de suicide, « ne sortait plus », vivait « cloîtré ». Il s’est fait hospitaliser
une seconde fois pendant 3 mois.
89
Depuis, il dit aller mieux et se « ménager le plus possible pour éviter toute situation
brutale ». Il s’impose un « rythme de vie optimal ».
Posture lors de l’entretien :
Nous avons rencontré Charles par le biais d’un proche que nous avons en commun. Il
a affirmé au début de l’entretien être « content d’aider une étudiante pour son
mémoire ».
Le contact au téléphone pour la prise de rendez-vous s’est fait rapidement, il a eu lieu
en fin de journée, à son domicile situé en banlieue parisienne.
Physiquement, Charles est grand, maigre, il a les cheveux bruns, porte un jean foncé
et une chemise blanche.
Avant l’entretien, il souhaitait absolument avoir les questions que nous allions lui poser
afin qu’il puisse se préparer. Pendant l’entretien, Charles est souriant, son discours est
fluide et précis.
Pendant l’entretien, Charles est assis sur sa chaise, droit, les jambes croisées. A
certains moments, il tord ses mains comme s’il était stressé et les pose ensuite
doucement sur ses genoux dans une tentative de contrôle.
L’entretien a duré environ une heure.
90
II.2. Synthèse des résultats des entretiens cliniques
Les données cliniques des 6 patients rencontrés découlent de l’analyse des entretiens
de recherche.
Nous avons essayé d’appréhender de manière globale et de retranscrire concrètement
et le plus finement possible les entretiens de nos six sujets dans la partie précédente.
Nous allons maintenant tenter de donner du sens et d’apporter un éclairage à leur
discours.
Les éléments suivants sont importants à prendre en compte : nous avons rencontré
des personnes à l’occasion d’un entretien, à un moment « T » de leur existence. Cet
entretien est une photographie de leur situation à ce moment-là et nous insistons sur le
fait que les interprétations que nous faisons de leurs discours ne sont que des
hypothèses.
Nous savons aussi que toute rencontre avec l’être humain est basée sur la subjectivité,
à la fois celle du sujet et celle du clinicien. Le discours a pu être mal compris ou mal
interprété malgré une retranscription parfois au « mot » près du discours du sujet.
Le cadre peu neutre où se sont déroulés certains entretiens, comme les lieux publics,
ou le domicile des sujets a pu jouer dans la qualité des rencontres.
Tous ces éléments sont des biais que nous devons prendre en compte pour la validité
de nos hypothèses.
Notre population est composée de 6 sujets, 3 femmes et 3 hommes, âgés entre 45 et
60 ans. Nous n’avons, malgré toutes nos recherches et rencontres auprès de
professionnels obtenir plus de rendez-vous.
Dans cette population d’étude nous avons une femme, Sophie qui est actuellement au
chômage et recherche activement un travail. Un homme, Martin, travaille à la fois dans
une association en tant que bénévole et en milieu ordinaire de travail. Ces éléments
sont à prendre en compte vis-à-vis de nos critères de sélection à l’origine pour notre
mémoire.
Il est intéressant également de voir la variété des profils interviewés. Leur point
commun est de souffrir d’une même pathologie, la bipolarité et de travailler en milieu
ordinaire de travail. Cependant, ils restent tous différents dans leurs histoires
91
respectives. Une histoire familiale, professionnelle, sociale différentes et des vécus de
leur maladie variés.
Nous avons également été étonnés car la plupart des personnes que nous avons
interviewées ont été « diagnostiqués » relativement tard et récemment pour la plupart,
c’est-à-dire, il y a environ deux ans (Sébastien, Sophie, Martin, Delphine). Tous nous
ont raconté avoir eu des signes avant-coureurs, qu’ils analysent aujourd’hui comme
des signes précurseurs de la maladie. Dans cette optique, il est important de rappeler
que la durée moyenne pour poser un diagnostic de bipolarité est selon le psychiatre
Didier Papeta que nous avons rencontré à Brest entre huit et dix ans selon les cas.
Les personnes que nous avons rencontrées se disaient au moment de l’entretien « en
pleine forme ». Cependant Delphine nous a paru fatiguée : elle était courbée comme si
elle portait un poids « lourd » sur ses épaules, parlait lentement, son visage était fermé
au départ. Elle nous a d’ailleurs avoué se sentir « moins bien en ce moment ».
Nous pouvons nous demander dans quelle mesure le « moral » de tous nos sujets a
pu « influer » sur leur discours.
La variété des formes de bipolarité et l’expression différente des troubles, nous montre
l’extrême diversité des formes exprimées. Nous avons noté la présence de la bipolarité
de type II pour Audrey (un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par
au moins un épisode hypomaniaque), du type III pour Martin (dépression majeure avec
des épisodes de manie ou d’hypomanie dus au traitement) et du type IV pour
Sébastien (correspondant à une dépression majeure avec un tempérament
hyperthymique). Charles, Sophie et Delphine n’ont pas précisé de quelle forme de
bipolarité ils souffraient.
Cela nous amène à penser qu’il n’y a pas de forme typique de bipolarité qui peut
« s’adapter au travail » dans notre échantillon en particulier. Les formes de bipolarité
des personnes que nous avons interviewées sont compatibles avec un travail en milieu
ordinaire. Nous pouvons penser que ces types de bipolarité s’expriment moins
fortement que chez d’autres personnes. En effet, certains considèrent leur pathologie
« légère » par rapport à d’autres.
Nous avons pu également remarquer que ces personnes ne considéraient pas leur
maladie comme un handicap. Certains ont même été jusqu’à dire : « j’ai perdu l’usage
de mes bras après un grave accident de voiture en 2001. Pour moi, ça a été un plus
gros handicap que la bipolarité qui fait partie de moi » ou encore, « aujourd’hui, je
92
préfère avoir cette maladie qu’un cancer ou un diabète qui me paraît bien plus
handicapant » ou, « mon handicap aujourd’hui, c’est l’âge, ce n’est pas la bipolarité ».
III. Discussion
III.1. Validation des hypothèses
Après avoir analysé nos entretiens, nous allons les appuyer grâce à nos hypothèses
afin d’infirmer ou de confirmer leur validité.
Notre problématique étant « en quoi la représentation de la maladie leur permet-elle de
« gérer » leurs troubles », nous allons la vérifier à l’aide de nos 4 hypothèses.
H1 : Dans quelles mesures, le fait de travailler en milieu ordinaire de travail est-il
compatible avec un trouble bipolaire ?
Nous avons rencontré six personnes travaillant en milieu ordinaire de travail. Il est
donc possible de « travailler » tout en souffrant de bipolarité. Il est intéressant de noter
que sur les 6 personnes que nous avons interviewées, 4 ont été diagnostiqués
tardivement il y a environ de 2 ans. Elles ont donc travaillé avant le diagnostic et après
le diagnostic.
Un cadre jugé « favorable » par tous a permis à ces personnes de travailler. Ainsi
Delphine affirme que « les différents managers qui se sont succédés au centre médical
ont toujours été compétents et compatissants » vis-à-vis de ses « problèmes ». Elle
nous explique aussi que si son manager n’avait pas été comme ceux qu’elle a pu avoir,
elle aurait monté un dossier pour avoir une reconnaissance de travailleur handicapé
afin de justifier ses troubles et se « réfugier dans la légalité » si elle déclarait un arrêt
maladie. Elle nous affirme que ses collègues savaient qu’elle était fragile mais elle ne
voulait surtout pas parler de ses problèmes : « je ne voulais surtout pas les montrer,
des fois, j’allais au travail en pleurant, je pleurais sur le trajet, je séchais mes larmes,
j’allais bosser, je ressortais, je pleurais ». Elle insiste sur l’aspect structurant du travail,
elle a toujours voulu travailler disant que cela lui « fait du bien », que cela lui donne un
« rythme de vie » qui lui a permis de tenir. Etre autonome financièrement est très
important pour elle.
93
Sébastien explique pour sa part que pendant les trois ans de sa dépression, lorsqu’il
n’allait pas bien au bureau, il « prétextait » des problèmes familiaux, une de ses filles
malade, sa femme souffrant de dépression afin de pouvoir quitter son travail et aller se
reposer. Son statut de cadre lui permet également de « gérer son temps comme [je] il
l’entend », partir quand il veut, s’il a fini sa journée de travail. Il nous explique ainsi la
journée de travail qu’il vient d’avoir avant notre rendez-vous. « Aujourd’hui, j’ai réussi à
faire tout ce que je voulais : je suis arrivé au travail à 11 heures parce que j’avais des
choses à faire à la maison. Ensuite, j’ai pris 2 heures au déjeuner. Et ce soir, je suis
sorti du boulot plus tôt pour être à notre rendez-vous de 18h. Entretemps j’ai travaillé et
avancé sur mon projet comme je le voulais ».
La présence d’un conseiller peut aider une personne souffrant de troubles bipolaires à
travailler. C’est le cas d’Audrey qui écoute beaucoup un de ses proches. Celui-ci lui
donne des conseils, repère quand « ça va moins bien, les signaux d’alerte (quand elle
ne trie plus son courrier ou quand il y a procrastination) ». C’est une personne « de
confiance », qu’elle connaît depuis « 35 ans, cela [me] lui donne une certaine
objectivité ». Nous pouvons remarquer que la présence d’un proche stable et objectif
sur la maladie aide les personnes souffrant de ce trouble à « gérer » cette maladie.
Chez Sébastien et Charles, nous ressentons l’importance de la présence des proches :
« Ma famille, c’est mon roc, ce qui me fait tenir au boulot ».
Selon Sophie, les médicaments ont énormément évolué, « il y a d’énormes progrès
dans les molécules ». Aujourd’hui, elle dit avoir accepté de prendre un traitement afin
d’éviter les périodes de déprime. Elle dit quand même regretter les moments où elle
était en période « haute » : « je trouve ça très dommage de ne plus être en phase
haute comme tous les bipolaires, je regrette parce que c’est vraiment trop bon » ! Dans
ces moments-là, elle pouvait énormément travailler et se sentait bien.
Le travail est pour tous, vu comme une « nécessité ». Pour certains, il est synonyme
d’autonomie, de plaisir, alors que pour d’autres, il représente un rythme, ou encore une
valorisation sociale.
Toutes les personnes interviewées ont appris à « vivre avec » cette maladie. Charles
résume bien cette affirmation en disant : « c’est ce qui fait que je suis moi aujourd’hui
! ».
Un autre élément est souvent revenu lors des entretiens : la plupart qualifient leur
bipolarité de « légère ». Ils savent peut-être que le travail en milieu ordinaire est
réservé à une minorité de personnes souffrant de troubles bipolaires. Comme nous
94
l’avons remarqué dans les différentes études que nous avons pu trouver sur le sujet,
seul un patient bipolaire sur cinq qui « fonctionne au mieux » de ses capacités réussit
dans le travail (Leboyer, 2005, p. 3). Cela nous montre que la bipolarité dont souffre
une personne joue un rôle important dans ses capacités au travail. Cependant, sur les
six sujets que nous avons interrogés, les formes II, III, IV de bipolarité sont
représentées. Nous pouvons donc affirmer qu’il n’y a pas de forme de bipolarité « plus
compatible » qu’une autre avec un travail dans notre échantillon.
Souffrir de troubles bipolaires n’empêche pas de travailler. Un ensemble d’éléments,
seuls ou combinés entre eux (les proches, le cadre de travail, les médicaments, une
bipolarité « légère », la représentation du travail) permettent à une personne souffrant
de ce trouble de travailler en milieu ordinaire.
H2 : Pourquoi le trouble bipolaire est-il « mal vu » en entreprise ? Est-ce dû à sa
méconnaissance ?
Les troubles bipolaires sont mal vus dans le monde professionnel. Les personnes
souffrant de troubles psychiques et travaillant en entreprise sont stigmatisées. Cela
s’explique par la méconnaissance aux différents troubles psychiques, seulement
réservés à une minorité de professionnels de la santé. Les personnes qui ne sont pas
confrontées à la maladie psychique peuvent confondre les différents troubles.
Un autre phénomène correspond à la variabilité des troubles bipolaires. Sur les 6
personnes interviewées, l’expression de la maladie est différente et ce, malgré un
diagnostic identique.
Le trouble bipolaire est mal connu. Les problématiques liées à des troubles psychiques
restent souvent associées au monde médical, l’entreprise n’a donc qu’une vision
limitée de ces problématiques.
L’évolution incertaine de la maladie, le caractère invisible et imprévisible des
symptômes, leur variabilité rendent également sa compréhension plus compliquée.
Les médias jouent un rôle important dans leur manière de communiquer sur les
troubles psychiques. Nous avons retenu que la maladie psychique touche environ 25
% de la population. C’est donc une maladie répandue mais peu connue par le grand
public car son vocabulaire est connu par les spécialistes et car elle reste compliquée à
comprendre notamment par son évolution variable. L’image donnée par les médias
95
décrit souvent une personne dangereuse et violente qui touche la société et peut
provoquer un sentiment de « peur » vis-à-vis des troubles.
Les 6 personnes que nous avons interrogées n’ont jamais prévenu leur entreprise de
l’existence de leurs troubles. Elles ne voulaient pas être stigmatisées :
« C’est trop dangereux de le dire, cela stopperait et sacrifierait directement mon
évolution professionnelle ».
« Mes collègues auraient tout de suite l’image du fou en tête ».
« Le monde professionnel est très dur pour tout ce qui ne rentre pas dans la norme. Je
suis hyper prudent et préfère ne pas évoquer ma maladie ».
« Si mon patron savait que je suis bipolaire, mon poste « sauterait » direct et je
pourrais dire adieu à mon évolution professionnelle ».
La méconnaissance du trouble bipolaire et des troubles psychique est liée à la
méconnaissance de ces troubles dans le monde professionnel. Les entreprises
commencent néanmoins à s’interroger sur la question.
H3 : Dans quelle mesure les changements d’organisation du travail dans les
entreprises augmentent les facteurs de stress et accentuent la survenue du
trouble bipolaire ?
Les changements d’organisation du travail dans les entreprises augmentent les
facteurs de stress et accentuent la survenue du trouble bipolaire. Ils sont vécus et
s’expriment de manière différente selon les gens qui les vivent. Chez nos sujets
souffrant de bipolarité, nous avons insisté précédemment sur l’importance d’une
stabilité au niveau personnel ou professionnel pour « gérer » au mieux leurs troubles
dans le travail. Les proches des personnes interrogées sont souvent considérés
comme des « piliers », un « roc » sur lesquels ils peuvent compter.
Delphine nous explique que si un changement d’organisation survenait dans son travail
qu’elle ne penserait pas pouvoir supporter, elle n’hésiterait pas à se faire déclarer
travailleur handicapé pour « justifier des arrêts maladies ». Charles n’a pas hésité à
donner sa démission dans un précédent poste afin de quitter un environnement
professionnel qu’il jugeait mauvais pour lui.
Paradoxalement, nous remarquons que trois de nos sujets, Sophie, Audrey et
Sébastien ont besoin d’être sans cesse stimulés dans leur travail, notamment grâce à
de nouveaux projets. Par exemple, Sébastien a changé 11 fois de postes et plusieurs
96
fois d’entreprises. Il affirme que ces nombreux changements l’ont motivé et lui ont
donné le goût du challenge. Il explique avoir sans cesse besoin d’être motivé par de
nouveaux projets dans le domaine professionnel pour « se sentir bien ». Il est d’ailleurs
considéré comme un haut potentiel dans son entreprise.
Sophie de son côté nous explique qu’elle aime quand « les choses avancent » dans le
domaine professionnel. Elle apprécie la nouveauté, les nouveaux projets, préfère les
missions courtes qui la motivent au niveau professionnel.
Nous sommes donc face à un paradoxe. A la fois, nos sujets ont besoin d’être dans un
milieu professionnel stable et ont des difficultés à vivre un changement d’organisation
professionnel comme Delphine et Charles alors que d’autres préfèrent que leur milieu
professionnel soit en mouvement constant pour se sentir satisfaits dans leur travail.
Nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette constante insatisfaction est
synonyme de la présence sous-jacente des troubles bipolaires.
H4 : Comment le terme « handicap » joue-t-il un rôle dans l’acceptation du
trouble bipolaire ou du handicap bipolaire ?
Le terme « handicap » chez nos sujets souffrant de troubles bipolaires n’est pas
accepté. Une majorité n’a pas fait de démarche de reconnaissance afin d’être reconnu
travailleur handicapé. La plupart se considèrent « malades », mais ils ne sont pas
« handicapés ».
Nous pouvons nous demander en quoi cette subtile différence entre les termes ne
signifie pas une difficulté dans l’acceptation des troubles et même parfois un léger déni
de la maladie.
Par exemple, Audrey a eu en 2001 un accident de voiture et a perdu l’usage de ses
bras pendant un moment, elle nous a expliqué lors de l’entretien qu’elle s’était sentie
plus handicapée sans l’usage de ses bras que par rapport à sa bipolarité.
Michel, pour sa part nous affirme qu’il ne prend pas cette maladie pour un handicap,
car c'est grâce à elle qu’il est « créatif et hypersensible ».
La reconnaissance de travailleur handicapé pour les personnes souffrant de troubles
psychiques n’est pas évidente. Le psychiatre, Didier Papeta nous a expliqué qu’entre
les phases de la maladie, la personne souffrant de troubles psychiques reste normale.
La maladie n’est pas constante chez cette personne. Il est donc difficile pour elle
97
d’accepter d’avoir perpétuellement le statut de travailleur handicapé. Un de nos sujets
affirme d’ailleurs, « quand, je ne suis pas en crise, je suis tout à fait normal ».
L’expression des troubles reste souvent trop ponctuelle pour que les personnes
souffrant de troubles bipolaires et donc de troubles psychiques en général, se sentent
handicapées et fassent une démarche de reconnaissance de la qualité de travailleur
handicapé.
III.2. Limites de l’étude
En limite, nous pouvons tout d’abord nous poser la question de la taille de notre
échantillon, composé seulement de six sujets. Nous avons expliqué précédemment les
démarches qui nous ont menés à recevoir en entretien nos sujets. Nous avions prévu
au début de notre recherche, d’interroger une quinzaine de personnes. Avoir un
échantillon plus conséquent nous aurait permis d’avoir des investigations, des
comparaisons, des explications plus précises et plus variées.
Nous n’avons pas pu réaliser ce type d’intervention dans notre mémoire de recherche
malgré nos contacts avec tous les professionnels.
Notre questionnaire est un outil d’entretien clinique mais il est perfectible. Nous
sommes conscients qu’il nécessite d’être davantage approfondi, que certaines
questions n’ont peut-être pas été assez développées et assez ciblées. Notamment
pour les questions concernant le monde de l’entreprise ainsi que dans la
représentation de la maladie chez les personnes bipolaires dans leur environnement
professionnel.
Nous regrettons de ne pas pouvoir nous appuyer sur un test ou une échelle afin de
valider de manière optimale nos hypothèses, réaliser une étude plus approfondie et
aboutir à des résultats plus complets. En effet, « ce qui s’est déroulé au cours de
l’entretien est une tranche de vie ». Cette réflexion de Jean Bergeret nous rappelle que
l’entretien survient à un moment « T » de la vie du sujet, dans un contexte particulier.
Nos sujets peuvent également dire ou omettre de dire ce qu’ils souhaitent.
Le contexte de passation et son outil, l’entretien clinique, sont à prendre en
considération. Nous avons reçu nos sujets dans des lieux publics, parfois bruyants ou
98
à leur domicile. Le cadre de l’entretien n’était pas forcément neutre et nous espérons
que cela a biaisé au minimum l’entretien.
Nous souhaitons discuter également de notre expérience encore débutante des
entretiens en tant que future psychologue et qui a pu nous faire défaut. Nous espérons
avoir bien retranscrit le discours des sujets que nous avons interviewés, d’avoir été le
plus fidèle au discours des sujets et le plus objectif possible.
Nous sommes également conscients qu’une recherche est toujours perfectible et que
la nôtre pourrait faire l’objet d’un travail complémentaire.
III.3. Ouverture
La réalisation de cette recherche nous amène à ouvrir notre réflexion sur le lien entre
troubles bipolaire et travail et de manière plus générale, entre troubles psychiques et
monde professionnel. Nous nous sommes rendu compte que ces deux mondes se
côtoient et se mélangent. En effet, le monde du travail semble pour certains, initiateur
de l’apparition d’un trouble psychique. Ces deux mondes n’arrivent pas à travailler de
concert car il reste un côté « tabou » à l’évocation de ce trouble dans le monde
professionnel.
Cette étude a été enrichissante et formatrice pour comprendre la représentation de la
maladie
des personnes souffrant
de
troubles bipolaires dans
leur activité
professionnelle, saisir l’expression de ce trouble psychique et le parcours de ces
personnes dans le milieu du travail.
Son aboutissement nous permet de nous interroger sur la continuité de ce travail dans
des recherches futures :
Nous pensons que le lien entre handicap et maladie mériterait d’être exploré : la
plupart des sujets interrogés nous ont affirmé que, « oui, ils se sentaient malades »
mais que « non, ils n’étaient pas handicapés ». La reconnaissance en tant que
travailleur handicapé pourrait leur permettre de bénéficier d’aides dans leur entreprise
mais elle n’est pas évidente pour eux.
Dans le cadre de notre stage de cinquième année en cabinet de conseil en ressources
humaines auprès de grandes entreprises sur les questions de la diversité et
notamment sur le handicap, nous avons été amené à interviewer de nombreux acteurs
99
du handicap de différentes entreprises comme le médecin du travail, le responsable
mission handicap, les services de ressources humaines et nous nous sommes rendu
compte qu’ils considéraient les troubles psychiques comme un handicap pour travailler.
Nous nous rendons compte que les raisons du salarié souffrant de troubles bipolaires
et des acteurs de l’entreprise diffèrent : pour le salarié, il ne souhaite pas annoncer son
diagnostic au sein de son entreprise pour de nombreuses raisons allant de la
stigmatisation, à l’incompréhension ou à la peur d’être jugé ou de ne plus évoluer
professionnellement. L’entreprise pour sa part peut seulement accompagner les
personnes qui ont une reconnaissance en tant que travailleur handicapé et manque
encore de solutions à la fois pour accompagner les salariés qui se déclarent et ceux
qui ne se déclarent pas.
Certaines entreprises sont plus avancées que d’autres sur le sujet mais elles restent
encore démunies face aux situations. Cette différence de point de vue entre le salarié
qui ne se sent pas handicapé et l’entreprise qui souhaite aider mais n’a pas forcément
les ressources pour aider, peut être intéressante à développer.
Nous avons évoqué la stigmatisation vécue par les salariés dans leur entreprise dans
le paragraphe précédent. Nous pouvons nous demander comment permettre à un
bipolaire de travailler en milieu ordinaire sans être stigmatisé ? Quelles actions
spécifiques sur la maladie psychique sont à mettre en place au sein de l’entreprise et
de la société en général pour diminuer les préjugés à l’égard de la maladie ?
De ces différents témoignages sur la perception et le vécu de la bipolarité dans le
travail, comment pouvons-nous améliorer la qualité et adapter les modalités de prise
en charge de la part de l’entreprise ? Que devrait-elle faire pour permettre au
maximum de personnes souffrant de troubles psychiques d’être accompagnés dans un
milieu ordinaire de travail ?
Comment prévenir et surveiller la survenue des troubles chez des sujets souffrant de
troubles bipolaires dans l’entreprise ?
100
CONCLUSION
Notre recherche nous a permis d’appréhender le handicap dans le monde de
l’entreprise. Elle a soulevé chez nous des questionnements qui sont aujourd’hui de
plus en plus d’actualité au sein des entreprises car l’homme est une ressource pour
l’entreprise et elle a tout intérêt à le prendre en charge le mieux possible. Le choix de
notre sujet correspondait à une volonté d’évoquer la représentation de personnes
souffrant de troubles bipolaires dans un milieu ordinaire de travail, le monde de
l’entreprise.
Nous souhaitions nous représenter leur façon de « gérer » la maladie dans le travail, le
regard vis-à-vis de leurs collègues et celui qu’ils portent sur leur maladie.
Nous avons essayé d’avoir une position la plus objective possible face aux sujets que
nous avons interviewés, en nous dégageant de tout jugement pour travailler avec cette
diversité de profils d’hommes et de femmes bipolaires travaillant en entreprise. Par
notre expérience en cabinet de conseil en ressources humaines, nous avons pu
appréhender le monde de l’entreprise et interviewer dans le cadre d’une étude pour le
cabinet, différents acteurs du handicap dans l’entreprise. Nous avons donc vu les deux
« côtés », à la fois celui des salariés souffrant de bipolarité avec nos 6 sujets ainsi que
la vision des acteurs du handicap dans l’entreprise.
Cette recherche nous a permis d’investiguer ces différents domaines. Notre travail de
recherche théorique a montré que la notion de troubles bipolaires est synonyme de
handicap chez de nombreux professionnels. Nous avons donc insisté sur la notion de
handicap et son évolution, sur la notion de travail, puis nous avons lié l’insertion
professionnelle par rapport à cette maladie.
Notre étude au sein d’un environnement comme l’entreprise nous a permis de prendre
conscience de la réalité du travail et la difficulté de l’accompagnement dans un milieu
pareil.
Après avoir pris connaissance des outils qui se présentaient à nous pour cette
recherche et tenant compte du principe de réalité, nous avons pu rencontrer différents
sujets souffrant de bipolarité et travaillant au sein de différentes entreprises. Chaque
rencontre avec les sujets et l’analyse de leurs entretiens fut à chaque fois source de
découvertes, d’expériences humaines riches.
101
Il est important de noter que ces entretiens ont eu lieu à un moment précis dans un
contexte différent et particulier pour chaque sujet. En effet, les rencontres ont toutes
été différentes et nous aurions pu encore les élaborer davantage.
Nous avons également été prudents en essayant de garder à l’esprit les questions
d’éthiques et de déontologie et de respecter au mieux ces personnes interrogées.
Nous nous sommes rendu compte que le handicap psychique commence tout juste à
être évoqué dans l’entreprise. Auparavant, l’entreprise semblait avoir beaucoup plus
avancé sur le sujet du handicap physique et moteur. Néanmoins, aujourd’hui,
l’entreprise doit prendre en compte la prise en charge des troubles psychiques. Dans
un monde économique où l’homme est une ressource productive dans l’entreprise,
celle-ci se doit prendre en charge et de viser au bien être de ses salariés et de lui
permettre ainsi d’être garante de son bon fonctionnement.
Nous avons remarqué que les grandes entreprises sont motivées pour comprendre ces
troubles, apprendre à les gérer et à accompagner les personnes souffrant de troubles
psychiques. Sachant qu’une personne sur quatre fera l’expérience d’un trouble
psychique dans sa vie, l’entreprise commence à comprendre qu’il devient urgent
d’apprendre à accueillir, accompagner et maintenir en emploi les personnes souffrant
de troubles psychiques.
En effet, pour ces personnes, le travail est souvent un lieu d’épanouissement et de
réhabilitation sociale. C’est un élément important pour elles, synonyme de leur
rétablissement.
Nous nous sommes rendu compte dans ce travail de la difficulté des personnes
souffrant de troubles psychiques d’évoquer leur maladie. Lorsque les troubles sont
connus, les personnes malades sont discriminées et victimes de préjugés importants.
Cette discrimination est due à une méconnaissance conséquente de la maladie. Ainsi,
dans la partie pratique, les sujets que nous avons interviewés nous ont affirmé ne pas
évoquer leur maladie sous peine de discrimination à leur égard pouvant aller jusqu’à
l’arrêt de leur évolution professionnelle. Seuls les proches de ces personnes, quelques
« amis » sont au courant de leur maladie et représentent pour nos sujets des « piliers »
sur lesquels ils peuvent d’appuyer.
Un élément nous a marqué dans la partie pratique sur le fait que les sujets que nous
avons interviewés ne se considéraient pas handicapés. Ils se savent « malades » mais
ne se sentent pas handicapés. Selon eux, la maladie leur permet de travailler et de
vivre « normalement ». Ils insistent sur l’importance d’un environnement et des
102
conditions de travail saines, pour qu’ils puissent se réaliser de manière optimale dans
le travail ainsi que la présence des proches qui est importante, nécessaire et
synonyme de stabilité pour ces personnes.
Nous nous sommes confrontés à deux points de vue différents vis-à-vis des troubles
psychiques durant cette recherche : un côté avec l’entreprise et les professionnels que
nous avons rencontrés par le biais de notre étude en cabinet de conseil en ressources
humaines et l’autre côté, les salariés souffrant de troubles psychiques et travaillant en
milieu ordinaire de travail que nous avons interviewés dans le cadre de notre mémoire
de recherche. Ces deux groupes ont un avis distinct sur les troubles psychiques. Le
premier souhaiterait mieux accompagner, favoriser le recrutement, maintenir en emploi
les personnes souffrant de troubles psychiques tandis que l’autre [les salariés] ne
souhaite pas être « montré du doigt » et ne souhaite pas être assisté par son
entreprise.
Les salariés interrogés ont eu des réactions similaires par rapport à leur maladie. Pour
la plupart, ils la qualifient de « légère », ils ont appris à vivre avec et semblent avoir
accepté cet état. Certains ont même été « soulagés » de comprendre certains de leurs
comportements passés, en apprenant qu’ils souffraient de bipolarité.
103
Résumé
Notre recherche concerne les personnes souffrant de troubles bipolaires et travaillant
en milieu ordinaire de travail, afin de savoir quelle est leur représentation de la
maladie, comment celle-ci s’exprime dans leur travail et vis-à-vis de leurs collègues et
comment les salariés souffrant de ces troubles arrivent à gérer dans leur travail.
Problématique de la recherche : En quoi la représentation de la maladie chez les
personnes souffrant de troubles bipolaires est un moyen de gérer leurs troubles ?
Méthodologie : Afin de répondre à cette problématique, nous avons utilisé comme outil,
l’entretien clinique à l’aide d’un guide d’entretien que nous avons construit au
préalable. Nous avons mené cet entretien auprès de 6 personnes souffrant de troubles
bipolaires et travaillant en milieu ordinaire de travail. Nous les avons rencontrées en
dehors de leurs horaires de travail, à leur domicile et dans des lieux publics.
Résultats :
Le travail en milieu ordinaire de travail est compatible avec un trouble bipolaire :
l’ensemble des sujets interviewés travaillent en milieu ordinaire de travail. Ils insistent
également sur d’autres éléments qui les aident à se sentir bien dans leur travail : la
présence des proches, le cadre de travail, les médicaments, une bipolarité plus
« légère » que chez d’autres sujets, le travail vu comme une nécessité.
Le trouble bipolaire est mal vu en entreprise du fait de sa méconnaissance : les
troubles psychiques font peur car ils sont variables, imprévisibles et mal connus. Nos
sujets n’évoquent pas leur maladie dans le travail afin d’éviter d’être stigmatisés.
Les changements d’organisation du travail dans les entreprises sont à la fois
stimulants pour certains de nos sujets qui les voient comme de nouveaux challenges et
pour d’autres ils augmentent les facteurs de stress dans la sphère du travail.
Le terme handicap n’est pas accepté chez nos sujets et seule une personne sur
6 a fait une démarche de reconnaissance. Pour certains, la maladie fait partie
intégrante de leur personnalité et beaucoup plus facile à gérer que d’autres maladies
ou handicaps. Chez nos sujets, la bipolarité s’exprime de manière ponctuelle et ne
peut donc pas constituer un handicap.
Conclusion : Les sujets souffrant de troubles bipolaires ont une représentation de leur
pathologie qui n’est pas incompatible selon eux avec le fait de travailler. Leur maladie
fait partie de leur quotidien et elle est vécue de manière différente chez chacun d’eux.
104
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