S'agit-il uniquement d'une capacité de nuisance ? Dans quelle mesure la
Russie est-elle capable de débloquer des situations complexes et de faire
avancer les choses (particulièrement à la lumière de la position des USA à son
égard) ?
Je ne vois pas véritablement quelles « situations complexes » que la Russie pourrait
contribuer à dénouer. Dans l’affaire iranienne, le rôle de Moscou était secondaire et
son pouvoir était surtout celui gâcher la négociation (le « pouvoir de nuisance »
évoqué plus haut). Quand bien même Poutine eût voulu exercer un tel pouvoir, il lui
aurait fallu prendre en compte la position de la Chine, dont il cherche à se rapprocher
(sans grand succès in fine), et préserver sa quasi-alliance avec l’Iran. Téhéran est un
allié régional de la Russie, sur un certain nombre de questions géopolitiques à tout le
moins, mais certainement pas un subordonné. Moscou doit prendre en compte les
intérêts de cet allié. C’est d’ailleurs le cas dans l’engagement militaire en Syrie. La
zone géographique couverte par Moscou en Syrie correspond aux positions
géostratégiques russes (ports et littoraux de Syrie), aux intérêts vitaux du régime de
Bachar Al-Assad (le « réduit alaouite »), et elle couvre le Liban-Sud (voir les positions
du Hezbollah, dont les milices sont engagées en Syrie même).
Si l’on prend en compte d’autres « situations complexes », comme l’Ukraine
(Donbass, Crimée), et les conflits dits « gelés » dans l’espace post-soviétique (la
Transnistrie en Moldavie ; l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en Géorgie), la Russie n’est
pas une puissance arbitrale, ou un tiers pacificateur. Elle est partie prenante de ces
conflits, et même en situation d’agresseur. Les « conflits gelés » ont été manipulés
par Moscou pour consolider ses positions sur place et installer dans les esprits l’idée
d’un démembrement inéluctable, en attendant de revenir en force ou de saisir des
opportunités. Si l’on se reporte au Donbass, le scénario qui s’installe est celui d’un
nouveau conflit gelé qui, du point de vue de Moscou, permettrait de consolider ses
acquis et de disposer d’un levier de pression sur Kiev. En attendant, la
« désescalade » dans le Donbass et le thème d’une grande alliance contre l’« Etat
islamique » sont utilisé pour faire accepter de manière implicite le rattachement manu
militaride la Crimée à la Russie. La ficelle est grosse.
Plus généralement, l’idée selon laquelle la Russie serait capable de dénouer des
« situations complexes » repose sur l’hypothèse selon laquelle elle y serait encline.
Or, depuis la saisie de la Crimée et la guerre au Donbass, il est évident que la
Russie est une puissance révisionniste, un « Etat perturbateur » pour citer l’amiral
Castex. Elle est prête à employer les armes pour modifier par la force les frontières,
et ce non pas sur un théâtre périphérique, mais au cœur de l’Europe. Et les
dirigeants politiques russes n’hésitent pas à dresser un parallèle entre l’« Europe de
Versailles », celle de l’entre-deux-guerres, et l’Europe post-Guerre froide. Cette
posture géopolitique explique que les différents Etats européens, membres de
l’Union européenne et de l’OTAN, aient fait bloc. La menace russe sur la paix en
Europe n’exclut pas certaines convergences tactiques sur d’autres théâtres, mais la
prudence est de rigueur, et toute relation de confiance est exclue.
Si Vladimir Poutine détient les clefs du conflit syrien, cela fait-il de la Russie
une superpuissance comparable aux Etats-Unis ? Militairement, la Russie peut-
elle rivaliser ?