Libéralisation du marché britannique des services juridiques

LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS
Page 1482 LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 27 AOÛT 2012
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AVOCATS
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Libéralisation du marché
britannique des services juridiques
Le Legal Services Act (LSA) adopté en
2007 est l’aboutissement en Angleterre
et aux Pays de Galles d’une réfl exion
nourrie et riche sur l’avenir et la réforme
des services juridiques, initiée en 1997 par
le gouvernement travailliste. Cette loi a no-
tamment créé les Legal Disciplinary Practice
(LDP), des cabinets multidisciplinaires où
des professionnels de différentes branches
du droit peuvent s’associer mais aussi ouvrir
le capital de leur cabinet à des non-juristes à
concurrence de 25 % maximum.
Au mois d’octobre 2011, une des disposi-
tions les plus radicales du LSA a vu le jour :
les Alternative Business Structures (ABS). À
la différence des LDP, ces structures d’entre-
prises alternatives seront des cabinets déte-
nus et gérés par des non-juristes. L’objectif
de ces structures alternatives est bel et bien
de révolutionner le marché des services juri-
diques : une force de frappe nancière conju-
guée à une gestion plus entrepreneuriale
que partenariale confèreraient aux ABS les
atouts nécessaires pour fournir des services
juridiques diversifi és à des consommateurs
peu sophistiqués. Les 65 candidatures reçues
n janvier 2012 par la Solicitors Regulation
Authority témoignent de l’engouement des
avocats pour ces nouveaux véhicules.
Cette initiative d’accueil des investisseurs
au sein des cabinets d’avocats n’est pas
unique au monde. En levant 22 millions
d’euros sur le marché australien en 2007,
le cabinet Slater & Gordon inaugurait une
pratique fructueuse puisqu’il publiait, au 30
juin 2010, un chiffre d’affaires et un résultat
en hausse de respectivement 21 % et 16 %.
L’autre mesure remarquable instaurée par
le LSA consiste à avoir séparé les fonctions
de régulation et de représentation en instau-
rant une autorité de régulation unique pour
tous les services juridiques, le Legal Services
Board . Voilà qui mérite d’être examiné,
nous qui formulons depuis longtemps le
souhait de créer une grande profession du
droit avec une structure de régulation sim-
plifi ée pour se substituer aux nombreuses
structures professionnelles existantes.
Outre-Manche, cette réforme n’est pas pré-
sentée comme une n en soi, mais bel et bien
comme un moyen de nature à faciliter l’accès
à la justice, aujourd’hui trop coûteux et trop
dif cile. D’un point de vue du justiciable, les
avantages escomptés de ce bouleversement
sont multiples : des services plus diversi-
és, géographiquement plus accessibles
(magasins du droit : one-stop shopping ), de
meilleure qualiet beaucoup moins chers.
Fournir un service à l’endroit même où il est
attendu représenterait en effet une avancée
remarquable en terme d’accès au droit pour
des personnes isolées et/ou peu exibles.
Ainsi, le client pourrait se voir conseiller à
l’endroit il en a besoin, c’est-à-dire par
un avocat dans l’enceinte même du magasin
d’un loueur de voiture consécutivement à un
accident par exemple.
Du point de vue des avocats, ils pourront à
travers les ABS diversifi er leur offre en pro-
posant des services juridiques et l’ensemble
des services annexes dans un secteur d’acti-
vité donné. À travers le capital des action-
naires, les avocats pourront nancer leur
développement et mieux répartir le risque
afférent à leurs activités. En diminuant le
rendement d’un investissement désormais
moins risqué, les prix devraient baisser. En-
n, les ABS apparaissent comme un outil de
gestion permettant d’attirer et de conserver
les talents des cadres non-juristes, typique-
ment les fonctions supports en fi nance, rela-
tions humaines, informatique et marketing.
Que doit faire la France pour être armée
face à ces nouveaux véhicules qui offrent
outre-Manche une force de frappe nan-
cière considérable à leurs avocats ?
POINTS-CS
Frédéric Pelouze,
avocat
Que doivent faire les avocats français ?
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LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 27 AOÛT 2012
LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS 883
La France a, au terme d’un processus gislatif
et glementaire laborieux, introduit les soc-
s de participations fi nancres de profes-
sions libérales (SPFPL). Introduites par la loi
MURCEF du 11 décembre 2001, les SPFPL
étaient, faute de décret d’application, reses
des holding mono-professionnelles, c’est-à-
dire ne permettant pas à des professions dif-
rentes de se regrouper. Dix ans plus tard, c’est
sormais chose faite avec la loi 2011-331
du 28 mars 2011 qui a véritablement consacré
l’inter-professionnalisme capitalistique. Dé-
sormais, des professionnels libéraux pourront
être associés d’une SPFPL qui pourra détenir
une participation minoritaire dans une SEL
ayant une activité autre que la leur.
Néanmoins, ces structures demeurent inter-
dites d’être dirigées par un gérant extérieur
et interdisent un plus large recours aux fonds
extérieurs. Pour l’instant, les États-Unis non
plus ne permettent pas à des non-avocats
d’investir dans un cabinet. Mais pour com-
bien de temps ? Un triple litige entre, d’une
part, le cabinet Jacoby & Meyers et d’autre
part, l’État de New York, l’État du Connecti-
cut et l’État du New Jersey, est en effet actuel-
lement pendant relativement à l’interdiction
de lever des fonds extérieurs. Si la révolution
britannique se révèle concluante, les amé-
ricains pourraient décider de rejoindre le
mouvement. Que ferons-nous alors ?
Le pouvoir croissant des avocats en France et
l’attrait qu’ils exercent dans l’opinion donne
l’illusion d’une profession en pleine santé.
Pourtant, elle n’a peuttre jamais été aussi
fragile économiquement et son unité autant
en péril. À l’examen, la profession appart
scine et prise dans une véritable nasse : d’un
, les cabinets à forte dominante conten-
tieuse, assez souvent sous perfusion d’aide
juridictionnelle et d’assurance juridique, sont
menas par la stagnation de l’activité judi-
ciaire et sa perte de rentabilité, dans un do-
maine qui leur est pourtant servé par la loi ;
de l’autre, les cabinets majoritairement déds
au conseil et intervenant sur des domaines
à forte valeur ajoue sont confrontés à une
multitude de concurrence (notaires, experts-
comptables, banquiers…).
La conjoncture économique et la révolution
technologique, qui ont impul la réforme
outre-Manche, risquent d’intensifi er encore
cette pression concurrentielle. La pression
des clients sur les honoraires incite les ac-
teurs à imaginer des solutions d’externali-
sation des fonctions à moindre valeur ajou-
tée qui ne représentent pas, à l’inverse du
conseil et de la plaidoirie, le cœur de métier
de l’avocat. Ainsi, les fonctions de process
(travaux d’audit ou de rédaction) seront
demain offertes par des cabinets spécialisés
afi n d’assurer compétitivité tarifaire et qua-
lité de prestation au client. Nul doute que les
anglo-saxons, qui le proposent déjà à travers
des liales à l’étranger (fonctions assurées
par des juristes indiens excellemment bien
formés par exemple), seront parfaitement
équipés pour embrasser ce mouvement.
Le développement fulgurant de l’informa-
tique représente également autant d’oppor-
tunités que de futurs bouleversements pour
notre profession. Songeons à la mutation
sans précédent qui se dessine avec le déve-
loppement de l’informatique et l’avène-
ment de logiciels et d’algorithmes ultraso-
phistiqués d’un point de vue de la rédaction
des contrats ou de la réponse en ligne à
des questions standards. Dans ce contexte,
Richard Susskind, dans un essai remarqué,
s’interroge sur la disparition des lawyers
Dans cet environnement en mouvement,
les anglais ont favoriune approche trans-
versale focalisée sur les besoins du justi-
ciable : proposer des services tels qu’ils sont
attendus par le client, pas tels que l’avocat
souhaite les fournir. Il nous faut nous aussi
réformer notre profession dans une direc-
tion qui nous permette de nous ouvrir et
d’innover dans un contexte de concurrence
notamment européenne sans jamais rompre
avec notre identité et nos valeurs qui font la
force et l’unide notre profession. La fri-
losité par rapport au changement fait dire
à certains détracteurs des ABS que l’entrée
au capital de non-juristes risque de pousser
les avocats à favoriser leurs investisseurs par
rapport à leurs clients. Si l’indépendance de
l’avocat est une condition de l’état de droit
qui doit nous inciter à la prudence, la pro-
fession doit s’armer pour s’adapter et faire
face à la concurrence. À ne rien faire, nous
prenons le risque de renforcer davantage une
profession britannique puissante, pérenne,
relativement homogène et internationale
par rapport à son homologue française, peu
robuste, morcelée et faiblement internatio-
nalisée. Notamment, la paupérisation d’une
partie de la profession tributaire d’une acti-
vité judiciaire à la rentabilité incertaine pose
un risque réel qu’il faut endiguer car c’est
la fense des libertés, la mission que nous
assurons, qui est en jeu.
L’élection du bâtonnat de Paris est le
moment idéal pour s’approprier pleine-
ment ces sujets et débattre sans tabou. Des
réformes sont nécessaires pour améliorer
l’accès au droit. La concurrence et l’inno-
vation sont de puissants leviers qui peuvent
être mis au service des justiciables. Pour
cela, il convient d’identifi er l’ensemble des
barrières au sein de notre profession et de
supprimer celles qui conduisent à une aug-
mentation des prix sans amélioration de la
qualité.
Il serait évidemment injuste de réduire les
craintes de certains de nos confères à des
soucis de nature purement corporatistes.
Il est évident qu’à force de rogner sur ces
règles, c’est l’existence même de la profes-
sion qui est en cause. Il est dont urgent de
mettre notre intelligence au service d’une
stratégie et trouver le subtil équilibre qui
assure l’état de droit.
Il se joue une partie mondiale à laquelle les
avocats français vont être confrontés, qu’ils
le veuillent ou non. Cette partie est forte-
ment teintée de darwinisme. La profession
française a d’indéniables atouts, au rang
desquels des acteurs de grande qualité tech-
nique qui font preuve de souplesse intel-
lectuelle. Unis, nous pouvons dessiner les
contours d’une profession moderne, res-
pectueuse de ses traditions et tournée vers
le justiciable.
« Si l’indépendance de l’avocat est une
condition de l’état de droit qui doit nous inciter
à la prudence, la profession doit s’armer pour
s’adapter et faire face à la concurrence. »
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