Santé
Richard
Béliveau
On perçoit souvent le cancer
comme un corps étranger complè-
tement autonome, capable de se
développer par lui-même dans
l ’organisme. Ce n’est pourtant pas
le cas: malgré toute leur puissance,
les cellules cancéreuses sont
a bsolument incapables d’envahir
les organes du corps sans l’étroite
collaboration du milieu dans lequel
elles se trouvent.
Une tâche difficile, car cet
e nvironnement est composé d’un
très grand nombre de cellules nor-
males, notamment les fibroblastes,
qui possèdent une forte activité
a nticancéreuse capable de freiner
le développement des tumeurs.
C’est d’ailleurs la présence de cet
environnement anticancéreux qui
explique pourquoi la plupart des
cancers qui se forment spontané-
ment en nous ne parviennent pas à
se développer et demeurent dans
un état latent et inoffensif.
Pour évoluer, le cancer doit donc
trouver un moyen de prendre en
otage cet environnement, c’est-à-
dire de le forcer à collaborer avec
lui pour lui apporter les ressources
indispensables à sa croissance.
La formation de nouveaux
v aisseaux sanguins à l’intérieur
des tumeurs par le processus
d ’angiogenèse est un des meilleurs
exemples de cette collaboration.
Pour pouvoir progresser, le cancer
doit en effet absolument pouvoir
compter sur un approvisionnement
constant en oxygène et en
é léments nutritifs par le sang.
Les cellules cancéreuses sécrè-
tent alors certains signaux biochi-
miques (notamment une protéine
appelée VEGF), qui vont attirer
vers la tumeur les cellules d’un
vaisseau sanguin situé à proximité
et le pousser à former suffisam-
ment de nouvelles cellules pour
f abriquer un nouveau vaisseau
sanguin.
Un cercle vicieux s’installe alors:
plus il y a de nouveaux vaisseaux
sanguins, plus la croissance de la
tumeur s’accélère et plus cette
masse tumorale augmente, plus de
signaux sont produits pour former
de nouveaux vaisseaux et détour-
ner la circulation sanguine vers la
tumeur.
Même s’il est maintenant bien
c aractérisé, ce processus d’angio-
genèse demeure néanmoins
m ystérieux: en effet, pourquoi les
cellules saines du tissu conjonctif
entourant les vaisseaux sanguins
(les fibroblastes) demeurent-elles
aussi passives et n’empêchent-
elles pas cette nouvelle vasculari-
sation? Autrement dit, comment
ces nouveaux vaisseaux parvien-
nent-ils à se former dans un envi-
ronnement qui leur est normale-
ment totalement inhospitalier?
Les résultats récemment obte-
nus par une équipe de scienti-
fiques britanniques permettent de
mieux comprendre ce phénomène
et montrent, encore une fois, à
quel point les cellules cancé-
reuses possèdent plus d’un tour
dans leur sac pour parvenir à
leurs fins1.
Ils ont tout d’abord observé que
la présence de cellules cancé-
reuses à proximité des fibro-
blastes provoquait d’importantes
modifications dans le fonctionne-
ment de ces cellules, en particu-
lier sur les mécanismes impliqués
dans la production des protéines
sécrétées par ces fibroblastes.
Alors que dans des conditions
normales, la principale fonction
des fibroblastes est de produire
de grandes quantités de collagène
de type I, les cellules cancéreuses
m odifient complètement ce pro-
gramme et forcent les fibro-
blastes à sécréter plutôt un autre
type de collagène (collagène de
type II), normalement retrouvé
dans le cartilage.
Cette modification est impor-
tante, car les auteurs ont montré
que cette forme de collagène II
o ffre un support mécanique idéal
pour la formation de nouveaux
vaisseaux sanguins et la crois-
sance tumorale.
Ces observations sont très
i mportantes, car elles indiquent
que les cellules normales de l’orga-
nisme qui entourent les cellules
t umorales participent activement
au développement du cancer. En
matière de prévention, cela signifie
qu’il faut préserver l’intégrité des
cellules normales de l’organisme
pour empêcher autant que possible
qu’elles collaborent avec les micro-
tumeurs dont nous sommes tous
porteurs.
L’inflammation chronique, par
exemple, est un agent déstabili -
sateur par excellence de l’environ-
nement tumoral, et l’adoption d’un
mode de vie capable de réduire au
minimum cette inflammation
r eprésente une priorité absolue
pour empêcher cette coopération
entre les tumeurs et les cellules
saines et pour diminuer les risques
de cancer.
Adopter une alimentation plus
riche en végétaux, maintenir un
poids corporel normal et faire ré-
gulièrement de l’activité physique
demeurent les meilleurs moyens
de stabiliser l’environnement
e ntourant les tumeurs naissantes
et de les maintenir dans un état
inoffensif.
Curr Biol
Les cellules cancéreuses
sont incapables d’envahir
les organes sans la
collaboration du milieu
dans lequel elles se
trouvent
Le cancer, une prise
D’OTAgE cELLULAiRE
JM LUNDi LE JOURNAL DE MONTRÉAL
48 LUNDI 15 AOÛT 2016
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