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comme Archimède, demande un point fixe ; et il n' y a que la religion qui puisse le lui donner. chapitre iii l'
âme se dit : voilà le passé ; je le comprends : mais ce passé, ce n' est pas moi. Le présent non plus n' est pas
moi. Je m' explique à merveille pourquoi ce présent ne me séduit pas, ne m' agrée pas. Mais l' avenir, sera-
ce donc moi ? Serai-je sur la terre quand la justice et l' égalité règneront parmi les hommes ? Et puisque je
n' ai à ma disposition ni le passé, ni le présent, ni l' avenir, où dois-je me réfugier, et à quoi puis-je me
rattacher ? que suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? Et d' où suis-je venue ? ainsi l' âme s' interroge, ou interroge ceux
qui lui expliquent si bien le passé et le présent de l' humanité, dans le but de lui faire pressentir l' avenir.
Quel rapport, répète-t-elle sans cesse, entre moi et cet avenir, entre l' humanité et moi ? pXVII chapitre iv il
nous faut donc, de toute nécessité, quitter le pur domaine de la politique et de l' histoire, pour chercher
ailleurs, dans la philosophie, ce point solide qui nous est nécessaire. Dieu est toujours notre base, la base où
tous les êtres viennent prendre leur point d' appui ; il est l' arc-boutant où toutes les forces viennent s'
étayer pour soulever les obstacles qu' elles ont à vaincre. Dieu lui-même, c' est-à-dire Dieu en tant qu' il se
communique à nous, c' est-à-dire, en d' autres termes, une certaine intuition de l' essence même de la vie,
peut donc seul nous donner ce point d' appui que l' âme cherche pour savoir si elle doit s' attacher aux
destins futurs de l' humanité, ou s' en distraire et s' en séparer. Hors de la religion, en un mot, nous ne
saurions trouver ce point solide qui nous est nécessaire, et sans lequel la force que nous sentons en nous n'
est pas une force utilisable. chapitre v ce point solide, je le répète, ne doit être cherché que dans la religion.
pXVIII Archimède, lui aussi, demandait un point fixe ; et, avec une force, quelque faible qu' elle fût, et un
levier, s' il avait ce point fixe, il se vantait qu' il remuerait le monde. Suivant qu' on comprend cette parole,
on fait dire à Archimède une grande vérité ou une grande absurdité. Ne voit-on pas, en effet, que demander
ce point fixe, c' était demander le monde lui-même ? Car qui donnera ce point fixe, si ce n' est l' univers
tout entier, avec la grâce de l' être au sein duquel et par lequel vit l' univers ? Il en est de même du point fixe
que nous demandons. Ce n' est ni l' histoire, ni la politique, qui peuvent nous le donner. Ce n' est pas l'
observation du passé, ce n' est pas l' observation du présent, qui le peuvent. Ce n' est rien de fini qui peut
nous le donner, pas plus que rien de fini ne pouvait donner à Archimède son point fixe où il voulait poser
son levier pour faire agir sa force. Ce qui peut nous le donner, c' est l' être infini manifesté dans nos
consciences et dans son éternelle révélation. Il s' agit de voir s' il n' y a pas quelque point fixe, en Dieu et en
nous, sur lequel nous puissions nous appuyer pour le perfectionnement de nous-mêmes, de l' humanité, et
du monde. pXIX chapitre vi une force, un levier, un point fixe : ne faut-il pas tout cela dans la mécanique
ordinaire ? Trouvera-t-on donc étrange qu' il faille aussi trois termes analogues dans la mécanique morale !
La force, c' est nous ; le levier, c' est l' idée du progrès. Donnez-moi un axiome ontologique certain : ce sera
le point fixe, le point résistant, où le sentiment et l' idée s' appuieront. L' effet, l' effet utile, suivra
nécessairement. Que nous soyons une force, qu' il y ait une force en nous, une force qui demande à s'
utiliser, et qui, pour s' utiliser, c' est-à-dire pour vivre et produire un effet, demande à s' appuyer sur quelque
vérité morale incontestable, cela est évident, cela se sent, cela est convenu pour tous. Que l' étude du fini, l'
observation du passé, l' attention à ce qui se fait actuellement dans le monde, fournissent à cette force un
levier dans la notion du progrès, du perfectionnement possible de nos facultés, de l' accroissement possible
de notre puissance sur la nature, de la possibilité d' une meilleure organisation des sociétés humaines, de la
possibilité d' une science de plus en plus grande de l' homme relativement à tous pXX les mystères qui l'
entourent, et qui cachent encore à ses yeux et les choses naturelles, et sa propre histoire, et lui-même ; cela
est encore aujourd' hui reconnu, généralement admis, consenti par tout homme qui réfléchit et qui pense.
Ce n' est, je le répète, ni la force, ni le levier, qui nous manquent. La force, c' est le besoin incessant que
nous avons de vivre. Le levier, c' est l' industrie, l' art, la science, que chacun aujourd' hui croit
incessamment perfectibles. Ce qui manque, c' est l' axiome ontologique dont je parle. C' est un axiome sur la
vie, sur l' être, qui nous manque. C' est un axiome religieux. Que sommes-nous, qu' est chacun de nous en
Dieu ? Quelle est la volonté du créateur en nous donnant l' être à chaque moment de notre existence ? Où
est notre vie, quel est l' objet de notre vie ? On voit que par ce mot d' axiome ontologique j' entends quelque
chose d' assez différent de cette science abstraite et tronquée qu' on appelle quelquefois dans les écoles
actuelles ontologie. il n' y a pas à faire de philosophie, si l' on ne brise à chaque instant les absurdes barrières
que les psychologues modernes ont établies entre leurs élucubrations abstraites et la vie, c' est-à-dire la vie
religieuse, morale et sociale à la fois. pXXI Or donc, ce point fixe, que je crois démontrable autant que la vie
peut se démontrer, autant que l' infini peut se prouver, et dont je vais essayer d' apporter une
démonstration, c' est la communion du genre humain, ou, en d' autres termes, la solidarité mutuelle des hommes.
chapitre vii l' antique mythe de la bible juive nous faisait tous solidaires en Adam. Le christianisme s' est enté
sur cette solidarité. Jésus-Christ, sauveur de l' humanité par voie de réversibilité et de solidarité, est un
mythe correspondant au mythe d' Adam, damnateur de sa race par solidarité aussi et réversibilité. La vérité,
c' est qu' en effet nous sommes tous solidaires, et vivons d' une vie commune, ou plutôt, comme dit Jésus,
d' une vie une. j' accepte donc l' idée qui est au fond de ces mythes, et je m' efforce d' en démontrer la vérité