La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n
o
2 - mars-avril 2004
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MISE AU POINT
L’
histoplasmose est une mycose granulomateuse profonde
due à Histoplasma capsulatum. H. capsulatum comporte
deux variétés : H. capsulatum var. capsulatum (Hc) et
H. capsulatum var. duboisii (Hd). Il s’agit d’un champignon
dimorphique avec une forme filamenteuse (forme infectante),
présente dans le milieu extérieur et dans les milieux de culture,
et une forme levure présente uniquement dans les tissus infec-
tés de l’homme et des animaux.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Répartition géographique
Hc est présent dans de nombreuses régions tempérées ou tro-
picales du globe, limitées par 45 ° de latitude Nord et 30 ° de
Actualités sur l’histoplasmose à Histoplasma capsulatum
variété capsulatum
Update on histoplasmosis caused by Histoplasma capsulatum
var. capsulatum
A. Therby
1
, A. Lefort
2
, B. Dupont
2
, O. Lortholary
2, 3
1
Service de médecine interne, hôpital Beaujon, 92118 Clichy Cedex.
2
Service de maladies infectieuses et tropicales, hôpital Necker, 75743 Paris
Cedex 15.
3
Unité de mycologie moléculaire et centre national de référence des mycoses
et des antifongiques, Institut Pasteur, 75724 Paris Cedex 15.
RÉSUMÉ.
L’histoplasmose est une mycose tropicale endémique, notamment dans certaines régions des États-Unis (vallées de l’Ohio et du
Mississipi), mais elle peut aussi être importée en Europe. Son expression clinique est très variée : souvent asymptomatique au cours de la primo-
infection, elle prend une forme pulmonaire aiguë chez l’immunocompétent (ou chronique en cas de bronchopathie sous-jacente), des formes loca-
lisées après réactivation tardive ou une forme disséminée, parfois grave, chez l’immunodéprimé. Elle est plus particulièrement observée chez les
patients infectés par le VIH, chez qui elle représente actuellement la mycose la plus fréquente en région endémique. Son
diagnostic s’appuie avant tout sur la mise en évidence de levures caractéristiques à l’examen direct et, parfois, sur la positivité de la culture.
L’analyse histologique, bien que plus rapide que la culture, reste moins sensible et difficile à interpréter chez l’immunodéprimé. La détection de
l’antigène polysaccharidique de Histoplasma capsulatum, très sensible et spécifique, est actuellement encore l’apanage de laboratoires de réfé-
rence aux États-Unis. Le traitement antifongique est indiqué dans les formes localisées sévères, les formes chroniques et disséminées avec signes
de gravité. Il repose sur l’amphotéricine B en cas d’histoplasmose aiguë sévère ou disséminée. L’itraconazole est une alternative efficace et bien
tolérée dans les formes de gravité modérée ou en relais oral. Son utilisation a également été validée chez les personnes infectées par le virus VIH,
en prophylaxie primaire dans certaines régions endémiques, mais ce n’est guère réalisé en pratique courante. La prévention secondaire reste indi-
quée tant que persiste l’immunodépression, même si certains auteurs évoquent la possibilité de l’interrompre en cas de restauration immunitaire
prolongée. Enfin, quelques observations de syndrome inflammatoire lié à une reconstitution immunitaire ont été décrites au cours du sida.
Mots-clés :
Histoplasma capsulatum - Histoplasmose pulmonaire aiguë - Histoplasmose disséminée - Immunodépression - VIH -
Amphotéricine B - Itraconazole - Prophylaxie.
ABSTRACT.
Histoplasmosis is an endemic tropical systemic mycosis, especially in US areas such as Mississipi and Ohio valleys, somehow impor-
ted cases have been described in Europe. Various clinical presentations can be seen : asymptomatic primary infection, acute pulmonary infection
in non-immunocompromised patients, chronic form in case of underlying respiratory disease, focal infection after reactivation or disseminated
histoplasmosis in immunocompromised hosts, especially those with cell-immune deficiency. Histoplasmosis is also the most common systemic
mycosis among HIV-infected persons in endemic areas. Diagnosis is based on direct examination using appropriate fungal stains and, sometimes,
on cultures. It should be noted that granuloma may not be present in immunocompromised hosts. Detection of specific antibodies is valuable for
the diagnosis of histoplasmosis in HIV seronegative individuals. Antigen detection is a very sensitive and specific test but is still restricted to refe-
rence lab in USA. Antifungal therapy is required for severe focal, chronic and disseminated infections. Amphotericin B is the treatment of choice
for severe disseminated manifestations. Itraconazole is also effective and well tolerated in mild or moderate cases, including disseminated forms.
Furthermore, itraconazole has been recommended for primary prophylaxis, in some endemic areas, for HIV-infected persons but isn’t used in
practice since the avaibility of highly active antiretroviral treatment. Secondary prophylaxis is necessary as long as immunosuppression exists,
even if US investigators recently suggested its interruption after lasting immune recovery. At last, several cases of immune reconstitution inflam-
matory syndrome, due to either Histoplasma capsulatum or Histoplasma duboisii, have been described during HIV infection.
Keywords:
Histoplasma capsulatum - Acute pulmonary histoplasmosis - Disseminated histoplasmosis - Immunosuppression - HIV -
Amphotericin B - Itraconazole - Prophylaxis.
latitude Sud. Il est fortement endémique dans la moitié Est des
États-Unis, notamment dans les vallées de l’Ohio et du Mis-
sissipi, et jusqu’aux grands Lacs au Nord. La maladie est éga-
lement fréquente en Amérique centrale (Panama, Honduras,
Costa Rica, Mexique), en Amérique du Sud (Colombie, Équa-
teur, Guyane, Brésil, Paraguay, Uruguay, Argentine, Chili,
Venezuela) et aux Caraïbes (Porto Rico, Trinité, Cuba, Antilles
françaises). Quelques cas sporadiques ont été décrits en Europe
(notamment en Italie), en Afrique noire, en Asie du Sud-Est
et en Australie. Il faut noter enfin qu’en Europe, en dehors de
l’Italie où quelques cas apparemment autochtones ont été rap-
portés (1), il s’agit de cas d’importation. En France, les cas
importés sont observés en France métropolitaine, la Guyane et
les Antilles restant les principaux pourvoyeurs d’histoplasmose
à l’échelle nationale.
En 1969, Edwards estimait déjà à 40 millions le nombre d’Amé-
ricains ayant été infectés par Hc. La prévalence de l’histoplas-
mose, proche de 500 000 cas par an, la place au premier rang
des mycoses systémiques aux États-Unis. Ainsi, dans certaines
régions, 20 % des adultes ont une intradermoréaction à l’his-
toplasmine positive, et ce chiffre peut atteindre 80 % en zone
hyperendémique, comme l’Indiana ou le Kansas, l’âge moyen
de positivation du test se situant habituellement entre 10 et
15 ans (2).
La maladie a connu par ailleurs un essor important avec l’ap-
parition de l’infection par le VIH. En 1990, Wheat et al. rap-
portaient une prévalence de 2 à 35 % de l’histoplasmose dis-
séminée chez les patients au stade sida vivant en région
endémique, ce qui en faisait la deuxième cause d’infections
opportunistes. Cette infection, qui arrivait généralement à un
stade avancé de leur immunodépression, constituait dans plus
de la moitié des cas l’entrée dans la maladie. Actuellement,
depuis l’introduction de thérapies antirétrovirales efficaces,
on assiste à un effondrement du nombre des cas (3, 4). Pour
Hajjeh et al., recevoir un traitement antirétroviral, quel qu’il
soit, est associé de manière indépendante à une réduction signi-
ficative du risque d’histoplasmose au cours de l’infection par
le VIH (5).
Mode de contamination
Hc est un champignon tellurique, particulièrement présent
autour des poulaillers, dans les sols enrichis en déjections d’oi-
seaux ou dans les sols humides contaminés par le guano des
chauves-souris (fermes, pigeonniers, grottes, granges). Ces
déjections constituent en effet des facteurs propices à la crois-
sance et à la sporulation de Hc.
La contamination humaine se fait le plus souvent sur un mode
respiratoire, par inhalation de poussières riches en spores ; plus
rarement, elle se fait par voie digestive ou par le biais d’une
excoriation cutanée. Des cas exceptionnels de transmission par
transplantation rénale ou hépatique via un greffon infecté ont
été rapportés (6, 7), de même que des localisations cutanées
primitives après inoculation accidentelle. Il n’existe pas de
transmission interhumaine, ni de l’animal vers l’homme.
Le risque d’infection dépend de l’activité exposante ainsi que
de la durée et de l’intensité de l’exposition aux poussières tel-
luriques. Les zones rurales sont évidemment plus à risque, mais
des activités de nettoyage, construction, démolition, rénova-
tion ou excavation des sols ont été impliquées. Parfois, la simple
manipulation de sols où se sont accumulés des déchets orga-
niques (fientes d’oiseaux) suffit à la contamination ; ainsi,
récemment, l’utilisation d’un terreau enrichi pour des plantes
d’intérieur fut responsable d’une épidémie familiale de quatre
personnes immunocompétentes en Colombie (8). La spéléolo-
gie ou la visite touristique de grottes sont des activités à haut
risque, en cause dans plusieurs épidémies. Ainsi, en 1999, un
groupe d’adolescents chiliens en voyage en Équateur, ayant
visité pendant quelques minutes l’intérieur d’une grotte héber-
geant des chauve-souris, avait été atteint (9). En 1994, il s’agis-
sait de 24 spéléologues assistant à un congrès national de spé-
léologie au Texas (10). Enfin, récemment, une équipe française
rapportait une épidémie d’histoplasmose pulmonaire aiguë
parmi les 13 membres d’un groupe ayant traversé un tunnel
empli de chauves-souris, à l’occasion d’un trekking en Marti-
nique (11).
Bien que souvent peu ou pas symptomatique chez le sujet
immunocompétent, la maladie pulmonaire peut revêtir une
forme sévère après une exposition prolongée ou une inhalation
massive de conidies. Les âges extrêmes de la vie ou une immu-
nodépression cellulaire profonde potentialisent les formes dis-
séminées. C’est le cas des sujets séropositifs pour le VIH à un
stade avancé d’immunodépression, des sujets porteurs d’une
hémopathie lymphoïde, sous corticothérapie par voie générale,
sous chimiothérapie ou autres immunosuppresseurs. Le rôle
favorisant de l’allogreffe de moelle et de la transplantation d’or-
gane est discuté, avec une incidence identique chez ces patients
par rapport à celle rencontrée dans la population locale, même
en zone endémique (12).
PHYSIOPATHOLOGIE
Après inhalation, les spores produites par Hc se déposent dans
les alvéoles et se transforment pour former des levures. Ces
levures sont ingérées par les macrophages alvéolaires, dans les-
quels elles vont se multiplier. Elles atteignent ensuite les gan-
glions hilaires et médiastinaux à partir desquels elles gagnent
les différents organes via la circulation générale. Environ 10 à
14 jours après l’exposition contaminante, les macrophages du
sujet immunocompétent parviennent à détruire les levures,
entraînant la formation de nécrose au niveau des sites infectés
(poumons, ganglions, foie, rate, moelle), de caséum, puis de
fibrose avec dépôt de calcium. Plusieurs années après la primo-
infection, les granulomes calcifiés apparaissent. Chez le sujet
présentant une immunodépression cellulaire, l’infection pro-
gressera vers la dissémination parfois létale.
Hc est un champignon dimorphique saprophyte parfaitement
adapté à la compétition au sein de l’écosystème polymicrobien.
Sa forme levure en fait un pathogène intracellulaire facultatif
pour les macrophages des mammifères. Pour survivre et se mul-
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tiplier au sein de ces macrophages, il est capable de moduler
son microenvironnement (modification du pH, résistance aux
dérivés oxygénés et nitrés et aux enzymes de dégradation de
l’hôte, acquisition de fer et de calcium, synthèse de précurseurs
d’acides nucléiques…). Ainsi, comme le bacille tuberculeux,
il exploite sa cellule hôte en s’y multipliant pendant la phase
aiguë de l’infection et en y persistant quiescent pendant la phase
latente, sans perdre sa capacité de réactivation (13, 14).
Hc a également été retrouvé dans les polynucléaires neutro-
philes et les cellules mononucléées du sang périphérique, dans
lesquels il peut survivre. Selon l’hypothèse émise par Medei-
ros et al., Hc induirait un état antiapoptotique des leucocytes,
lié à une diminution de l’expression de surface de Mac-1. Ce
mécanisme, en retardant la mort cellulaire, prolongerait ainsi
la propre survie de Hc au sein des leucocytes (15).
Chez les sujets VIH+, la fréquence des formes disséminées
s’expliquerait par une altération de la fonction monocytes-
macrophages. D’une part, les macrophages des patients infec-
tés par le VIH sont moins performants pour la reconnaissance
et la phagocytose de Hc, et ce d’autant moins que le taux de
CD4 est bas. En effet, la gp120, en se liant au récepteur CD4
des macrophages, réduit leur capacité à lier et à ingérer Hc. De
plus, l’infection des macrophages par le VIH pourrait entraî-
ner une dérégulation de l’expression et du fonctionnement de
leur récepteur CD18. Enfin, la croissance de la levure semble
accélérée dans les macrophages des patients infectés par le VIH,
quel que soit leur taux de CD4 (16).
CLINIQUE
Primo-infection et histoplasmose pulmonaire aiguë
La primo-infection est le plus souvent asymptomatique chez le
sujet immunocompétent. Elle peut se traduire radiologiquement
par un nodule pulmonaire isolé parfois calcifié, des adénopa-
thies hilaires ou médiastinales ou, plus rarement, une image
excavée.
La forme pulmonaire aiguë, dont l’incidence et la sévérité
décroissent au fur et à mesure de l’acquisition de l’immunité
cellulaire, touche essentiellement les enfants dans les pays d’en-
démie. Elle se manifeste sept à quatorze jours après l’exposi-
tion, par un tableau pseudo-grippal associant céphalées, fièvre,
frissons, toux sèche, douleurs thoraciques, myalgies, anorexie
et amaigrissement. Dans les formes sévères liées à un fort ino-
culum, on observe parfois une dyspnée hypoxémiante. L’examen
clinique, souvent sans particularités, peut révéler une hépato-
splénomégalie, des adénopathies périphériques ou un érythème
noueux. La biologie montre inconstamment une polynucléose
neutrophile ou une élévation des phosphatases alcalines et des
transaminases (hépatite granulomateuse). Sur la radiographie
pulmonaire, il existe des infiltrats non spécifiques prédominant
aux bases, des adénopathies hilaires ou médiastinales, voire,
dans les formes sévères, un aspect réticulo-micronodulaire dif-
fus de type “miliaire” ou un épanchement pleural. L’évolution
se fait généralement vers la guérison en trois semaines, l’as-
thénie pouvant persister plus longtemps. À distance, des calci-
fications, généralement sous-pleurales, peuvent apparaître.
L’histoplasmose pulmonaire aiguë peut se compliquer de phé-
nomènes immuno-allergiques à type de polyarthrite symétrique,
d’érythème noueux ou polymorphe ou de péricardite (en cas
d’atteinte ganglionnaire médiastinale). Les adénopathies
médiastinales et hilaires peuvent, par ailleurs, se développer
pour leur propre compte sur un mode inflammatoire, et évoluer
vers la formation de caséum, même après guérison de l’atteinte
pulmonaire parenchymateuse. Elles sont alors responsables de
toux avec hémoptysie, de douleurs thoraciques et de dyspnée,
par compression des vaisseaux et des bronches (médiastinite
granulomateuse). La médiastinite fibreuse est une entité rare
et de pathogénie mal connue. Elle se manifeste par un engai-
nement fibreux compressif des structures adjacentes : veine
cave supérieure, vaisseaux pulmonaires, trachée, bronches,
œsophage…
Histoplasmose pulmonaire chronique
Elle survient chez des hommes d’âge moyen sur un terrain de
bronchopathie chronique obstructive ou d’emphysème centro-
lobulaire. Elle fait généralement suite à une infection pulmo-
naire traînante et sa présentation est proche de celle de la tuber-
culose pulmonaire commune, sous une forme moins sévère. En
l’absence de traitement, les lésions progressent vers la nécrose
et la destruction du parenchyme pulmonaire, conduisant à une
insuffisance respiratoire terminale. La réponse au traitement
est souvent médiocre, avec un taux important de rechutes.
Histoplasmose disséminée
Rare et souvent létale, elle se développe à la faveur d’une immu-
nodépression : surtout l’infection par le VIH avec moins de
150 CD4/mm3, mais aussi le diabète, les hémopathies malignes,
la corticothérapie systémique, la chimiothérapie anticancéreuse
et la transplantation d’organe. Dans 20 % des cas, elle fait suite
à une inoculation massive chez un sujet sain. Enfin, elle s’ob-
serve volontiers chez les enfants de moins d’un an ou chez les
sujets âgés. Elle représente soit une infection aiguë rapidement
évolutive (0,1 % des histoplasmoses pulmonaires aiguës), soit
une réactivation tardive (16). La symptomatologie peut com-
mencer sur un mode subaigu, voire latent, ou sous une forme
bruyante et fulminante, particulièrement chez les malades très
immunodéprimés ou les enfants.
Chez les patients séropositifs pour le VIH, l’histoplasmose est
la mycose endémique la plus fréquente et se présente sous sa
forme disséminée dans 90 à 95 % des cas (5, 17). L’histoplas-
mose disséminée fait d’ailleurs partie des pathologies classées
sida depuis 1987. Dans une étude menée par Hajjeh et al. chez
92 patients, entre 1996 et 1999, il ressort, en analyse multiva-
riée (âge et CD4 comparables), que le seul facteur de risque
identifiable est le travail au contact de la terre souillée par des
fientes d’oiseaux ou de chauves-souris (OR : 3,3 ; CI
95
: 1,5-
7,2). À l’opposé, la prise d’un traitement antirétroviral, un anté-
cédent de pneumocystose et un traitement par triazolé dans les
deux mois précédant l’inclusion seraient associés à un risque
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moindre d’histoplasmose (5). Si l’on compare cette période à
celle précédant l’introduction des traitements antirétroviraux
efficaces, il semble que ni le tableau clinique de l’histoplas-
mose disséminée chez le sujet VIH+, ni sa morbidité, ni même
sa mortalité précoce n’aient été modifiées (5). Pour les patients
infectés après 1996, le développement d’une histoplasmose tra-
duit la découverte de la séropositivité, un échec thérapeutique
ou une mauvaise observance ou, enfin, un accès difficile aux
soins.
La présentation clinique est peu spécifique et se résume généra-
lement à une fièvre traînante dans un contexte d’amaigrissement.
Les signes respiratoires (toux, dyspnée) sont présents dans envi-
ron la moitié des cas. Les symptômes digestifs (diarrhée, dou-
leurs abdominales) sont moins fréquents (3-12 %), mais peuvent
se compliquer d’hémorragie digestive, d’occlusion, voire de per-
foration colique (18). L’examen clinique met en évidence une
hépatosplénomégalie avec des adénopathies périphériques dans
30 % des cas et de fréquentes lésions cutanéomuqueuses (érup-
tion diffuse polymorphe, ulcérations oropharyngées…). Enfin,
il peut exister dans 5 à 20 % des cas une atteinte du système ner-
veux central sous forme de méningite et/ou encéphalite avec de
possibles signes focaux (histoplasmomes). L’envahissement
médullaire avec pancytopénie et l’altération des fonctions hépa-
tiques sont souvent observés. Les anomalies radiologiques sont
décrites dans 50 à 70 % des cas sous forme d’opacités nodulaires
ou de syndrome interstitiel diffus (16). Enfin, des observations
exceptionnelles d’abcès surrénaliens avec maladie d’Addison,
de localisations thyroïdienne, pancréatique, génito-urinaire ou
d’endocardite ont été rapportées (19-22).
Dans 10 à 20 % des cas, l’évolution est d’emblée fulminante
avec choc septique initial, défaillance multiviscérale, pancyto-
pénie et coagulopathie de consommation (23). Dans une série
portant sur 155 patients au stade sida entre 1988 et 1995, Wheat
et al. ont étudié les facteurs associés à ces formes sévères d’his-
toplasmose : en analyse multivariée, l’élévation de la créati-
nine (OR : 9,5 ; CI
95
: 1,7-52) et une albuminémie inférieure à
35 g/l (OR : 4,8 ; CI
95
: 1,0-22) étaient prédictives d’une évo-
lution péjorative (17).
Plusieurs cas de syndromes de restauration immunitaire pré-
sumés ont été notés, associant une fièvre récurrente, des infil-
trats pulmonaires, une aggravation du bilan hépatique ou une
atteinte neurologique, et dont les biopsies montraient la for-
mation de granulomes (24, 25 et Wheat, données non publiées).
Quatre observations ont, par ailleurs, été faites récemment en
France (soumis pour publication).
Réactivation tardive
C’est la forme la plus fréquemment observée en France, par-
fois très longtemps après la contamination (jusqu’à 56 ans dans
l’étude française que nous avons coordonnée). Elle comprend
volontiers une atteinte pulmonaire, à laquelle peuvent s’asso-
cier des ulcérations muqueuses chroniques (buccales et parfois
digestives), une éruption maculopapuleuse, une hépatospléno-
mégalie, des abcès surrénaliens, une endocardite, une atteinte
du système nerveux central… L’infection peut aussi être stric-
tement localisée (ulcération buccale), et représente alors un
piège diagnostique important.
DIAGNOSTIC POSITIF
L’interrogatoire recherche avant tout la notion de séjour en zone
d’endémie et d’exposition contaminante, parfois plusieurs
années avant les premiers signes. Le meilleur argument du dia-
gnostic positif est l’identification de la levure à l’examen direct,
combiné avec la culture, mais il n’est pas toujours contributif.
La place occupée par les différentes méthodes diagnostiques
varie en fonction de la forme clinique d’histoplasmose
(tableau I).
Diagnostic microbiologique
Les prélèvements les plus contributifs sont les expectorations,
le liquide de lavage alvéolaire, les aspirations bronchiques, mais
aussi les urines, le liquide céphalorachidien, les frottis d’ulcé-
rations cutanées, de ponction sternale, les biopsies d’organes,
les pièces opératoires… Les hémocultures, sur milieu Isolator®
et après leucoconcentration, ne poussent que dans les formes
disséminées (notamment chez les sujets infectés par le VIH) et,
inconstamment, en cas d’endocardite.
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MISE AU POINT
Histoplasmose
pulmonaire aiguë pulmonaire chronique disséminée
Examen direct[a] +/- +/- +
Culture[b] +/- + +
Hémoculture Isolator®--++
et leucoconcentration
Anatomopathologie / - ++
Sérologie[c] ++++
Antigénémie et antigénurie[d] +/- - ++
[a] Diagnostic immédiat en cas de lésion accessible (peau, muqueuses) ou de leucoconcentration.
[b] Culture lente (2-4 semaines) ; rentabilité supérieure du lavage bronchoalvéolaire par rapport aux expectorations dans la
forme aiguë.
[c] Séroconversion tardive ( 4 semaines) ; technique en immunodiffusion plus spécifique que la fixation du complément.
[d] Dépend de la masse fongique ; sensibilité 75 % dans les formes aiguës diffuses, 90 % dans les formes disséminées ;
antigénurie plus sensible que l’antigénémie ; réactions croisées possibles.
Tableau I. Intérêt des différentes
méthodes diagnostiques.
…/…
Le diagnostic repose alors sur la mise en évidence, à l’examen
direct et après coloration de Giemsa et Gomori-Grocott, de
petites levures caractéristiques de 3 à 5 microns de diamètre,
ovalaires et entourées d’un halo clair. Les cultures sont réali-
sées à 25-30 °C sur milieu de Sabouraud et conservées pendant
deux à six semaines. Elles se présentent sous forme de colo-
nies blanches dont l’examen après coloration au bleu montre
de nombreux filaments et spores spiculées associés aux micro-
conidies. Ces formes, très contaminantes, représentent un dan-
ger pour le personnel des laboratoires, qui devra être informé
de toute suspicion avant la manipulation des prélèvements. La
culture reste la méthode de référence, bien que le délai pro-
longé d’incubation en limite l’intérêt dans les formes sévères
et que sa sensibilité soit faible en cas de manifestations locali-
sées (forme pulmonaire aiguë, atteinte articulaire, péricardite).
De plus, à la différence de l’examen direct, elle ne permet pas
le diagnostic d’espèce.
Examen histologique, immunofluorescence
L’analyse histologique des prélèvements, après coloration au
May-Grünwald-Giemsa, montre, chez l’immunocompétent,
une réaction inflammatoire avec des cellules mononucléées
contenant de nombreuses petites levures à membrane pourpre
en PAS et brun-noir en coloration argentique. Les levures sont
entourées d’un halo clair qui apparaît brillant au microscope à
contraste de phase. Chez les patients immunodéprimés, on
observe un très grand nombre de levures au sein des tissus infec-
tés, à la différence des sujets immunocompétents, chez qui les
granulomes tuberculoïdes sont calcifiés et les levures moins
nombreuses.
L’identification définitive de la levure peut se faire en immuno-
fluorescence grâce à des anticorps conjugués spécifiques. Cette
technique microscopique constitue une méthode rapide, mais
la sensibilité est inférieure à celle des cultures ou de la détec-
tion d’antigène. Cependant, elle permet une identification dans
60 % des cas d’histoplasmose disséminée (jusqu’à 75 % s’il
s’agit de prélèvements de moelle osseuse) (16, 26).
Sérologie d’histoplasmose
Le sérodiagnostic, détectant la présence d’anticorps anti-His-
toplasma sp, repose sur deux méthodes : l’immunodiffusion
(apparition de bandes M et/ou H) et la fixation du complément.
Il est rapide, possède une relativement bonne sensibilité, mais
une médiocre spécificité. Les faux négatifs surviennent chez
les patients immunodéprimés (notamment infectés par le VIH)
et durant une période de six semaines suivant l’exposition
(fenêtre sérologique). Les faux positifs sont liés à une réaction
croisée avec d’autres champignons (Blastomyces, Cocci-
dioides). Enfin, du fait de la persistance de taux élevés d’anti-
corps (parfois jusqu’à cinq ans après), la sérologie ne permet
pas de différencier une infection active d’une infection
ancienne, ni même de dépister les rechutes.
Antigénémie, antigénurie
La détection de l’antigène polysaccharidique de Hc dans les
liquides physiologiques est une méthode immunoenzymatique
rapide, actuellement encore réservée au Laboratoire de réfé-
rence de l’histoplasmose, à Indianapolis. Elle est très sensible,
particulièrement pour le diagnostic des formes disséminées et
chez les patients infectés par le VIH. Elle permet, par ailleurs,
un suivi évolutif de l’infection sous traitement et le dépistage
des éventuelles rechutes. Ainsi, sa sensibilité est de 90 % dans
l’histoplasmose disséminée et de 75 % dans l’histoplasmose
pulmonaire aiguë (elle est, en revanche, très faible dans la forme
pulmonaire chronique et dans les formes localisées). La détec-
tion de l’antigène dans les urines est d’une sensibilité supé-
rieure à celle obtenue dans le sérum et atteint 95 % chez les
patients VIH+ ayant une forme disséminée. La spécificité est
proche de 98 %. Il existe de rares réactions croisées avec
d’autres mycoses endémiques (blastomycose, pénicilliose,
paracoccidioidomycose) ainsi qu’en cas d’activité de type
facteur rhumatoïde dans le sérum (27).
Intradermoréaction à l’histoplasmine
Le test cutané à l’histoplasmine présente surtout un intérêt épi-
démiologique, rarement diagnostique. En effet, il est très fré-
quemment positif en zones endémiques, témoignant d’un
contact antérieur, mais il peut aussi être faussement négatif,
notamment au cours de l’histoplasmose pulmonaire chronique.
Par ailleurs, il peut positiver la recherche d’anticorps dans le
sérum. Actuellement, le réactif n’est plus disponible en France.
Biologie moléculaire
Plus récemment, des techniques moléculaires de PCR ont été
mises au point. Les cibles utilisées étaient des gènes codant
pour l’ADN ribosomal 18S ou pour une protéine de 100 kDa,
spécifique à Hc, présentant des homologies avec la protéine
humaine p100 et essentielle à la survie de Hc dans les cellules
(28, 29). Dernièrement, Guedes et al. ont développé une tech-
nique de PCR, amplifiant certaines régions du gène codant pour
l’antigène M de Hc, avec une sensibilité et une spécificité de
100 % (30). Ainsi, à propos d’un cas d’histoplasmose dissé-
minée chez un patient VIH+, Rickerts et al. ont pu établir un
diagnostic en 24 heures par PCR sur le liquide de lavage bron-
choalvéolaire. Le diagnostic fut confirmé, dix jours plus tard,
par l’isolement de Hc dans le sang, la moelle et les prélève-
ments respiratoires (29). Cependant, l’application et l’utilisa-
tion diagnostique de ces méthodes moléculaires restent à déter-
miner en pratique clinique.
TRAITEMENT
(31-33)
Histoplasmose pulmonaire aiguë paucisymptomatique
Son évolution chez l’immunocompétent, après une faible expo-
sition, est bénigne et la résolution spontanée survient en quelques
semaines. De ce fait, il n’y a actuellement aucune indication à
traiter ces formes cliniques. En l’absence d’amélioration à un
mois ou de persistance de la fièvre plus de trois semaines, on
proposera cependant l’itraconazole (200 mg/j) pendant 6 à
12 semaines, bien qu’aucune étude prospective n’ait montré que
ce traitement accélérait la guérison ou prévenait les complica-
tions même tardives. Certains auteurs recommandent, par pru-
dence, l’itraconazole à titre systématique pendant 4 à 8 semaines.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n
o
2 - mars-avril 2004
57
MISE AU POINT
…/…
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