guidant son choix au moment de la réponse. Il doit donc
utiliser les données présentées avant le délai. Pour réaliser
cette tâche, le singe devra alors maintenir une trace (ou
représentation interne) de l’information pertinente et prépa-
rer mentalement l’action à venir. Il s’agit donc de tâches
« prototypiques » de mémoire de travail. Après une lésion
bilatérale du CPFL, le déficit est tellement sévère que le
comportement du singe paraît dicté par le hasard [12-16].
Plus précisément, au sein du CPFL, des lésions circonscrites
à sa partie moyenne, c’est-à-dire au cortex préfrontal dorso-
latéral englobant un sillon cortical, le sillon principal, suffi-
sent à produire un déficit massif [14, 17-21]. En revanche,
les lésions d’autres régions corticales associatives (frontales
ou plus postérieures) entraînent peu ou pas de déficit à cette
épreuve [12, 13, 15, 22]. Il faut bien noter que ces singes
frontolésés et présentant un déficit aux épreuves de répon-
ses différées n’ont pas de paralysie motrice ou de troubles
sensoriels primaires pouvant expliquer leur difficulté. Enfin,
lorsqu’ils effectuent cette épreuve en l’absence de délai, la
performance redevient normale, indiquant bien que le défi-
cit est lié à une difficulté à effectuer les opérations mentales
mises en jeu pendant le délai, c’est-à-dire la mémoire de
travail.
Toutefois, les données lésionnelles ci-dessus pourraient
suggérer, du moins chez le primate non humain, que le rôle
du CPFL est au moins aussi important pour le maintien en
mémoire à court terme que pour l’administrateur central. En
effet, dans les réponses spatiales différées, le choix se fait
entre deux stimuli. Pour répondre correctement, il suffit
donc de maintenir active la représentation du stimulus per-
tinent pendant le délai. Aucune manipulation de l’informa-
tion n’est utile. Ainsi, les lésions du CPFL chez le macaque
rhésus induisent un déficit qui peut être expliqué par un
défaut de maintien de l’information en mémoire à court
terme sans faire intervenir l’administrateur central [20].
Néanmoins, les données issues de l’enregistrement unitaire
de neurones du CPFL chez le singe pendant le délai des
réponses différées ont permis de mettre en évidence des
activités neuronales en relation avec diverses opérations
élémentaires typiquement dépendantes de l’administrateur
central. Outre les activités associées au maintien pendant
quelques secondes de l’information présentée sous la
forme d’une représentation mentale, suggérant que le
CPFL intervient dans le stockage en mémoire à court
terme (quelques secondes) [6, 7, 23], d’autres activités
sont en relation avec la préparation de l’action à venir
[24, 25], l’inhibition d’une action réflexive ou d’une infor-
mation non pertinente [24], au codage temporel d’un sti-
mulus dans une séquence [26] et à la sélection parmi plu-
sieurs réponses plausibles, suggérant leur implication dans
la construction de règles comportementales complexes
[27]. Au total, chez le primate non humain, il semble que
le CPFL joue un rôle essentiel pour le maintien en mémoire
à court terme, mais qu’il possède aussi, en termes d’activité
neurale, l’ensemble des outils permettant d’effectuer les
fonctions d’administrateur central. Ainsi, en suivant
Goldman-Rakic [28], le CPFL combinerait les fonctions
d’administrateur central et des systèmes tampons du
modèle de mémoire de travail de Baddeley.
Néanmoins, les activations du CPFL observées lorsque
le singe doit maintenir « passivement » l’information en
mémoire à court terme ne signifient pas nécessairement
que le maintien s’effectue dans le CPFL. En effet, le CPFL
est connecté de façon réciproque par des boucles réverbé-
rantes aux cortex associatifs rétrorolandiques, et il peut
envoyer vers ces régions un signal tonique durable permet-
tant le maintien à disposition de la représentation mentale
(sans transfert représentationnel vers le CPFL). Plusieurs
arguments plaident dans ce sens. Tout d’abord, lors des
tâches différées, des co-activations, en tout point identiques
à celles observées dans les neurones du CPFL, sont obser-
vées dans le cortex pariétal postérieur et le cortex temporal
inférieur avec lesquels le CPFL entretient des relations ana-
tomiques réciproques [29-34]. Ces observations indiquent
que la mémorisation à court terme est aussi effectuée dans
d’autres régions corticales en relations anatomiques direc-
tes avec le CPFL. De façon intéressante, Miller et Desimone
[35] ont comparé les profils d’activité des neurones dans
deux régions dans lesquelles les neurones ont la capacité
de maintenir une activité soutenue pendant la phase de
délai de tâches à réponses différées : le cortex inférotempo-
ral et le CPFL. Dans cette expérience, les singes voyaient
défiler une série de stimuli visuels séparés les uns des autres
par un bref délai. Ils avaient pour consigne de relâcher un
levier de pression quand un stimulus cible réapparaissait à
l’écran. Ce stimulus cible ne réapparaissait qu’après la pré-
sentation de plusieurs stimuli interférents. Des neurones
activés par le stimulus cible et maintenant leur activité de
façon soutenue pendant le délai étaient détectés dans le
cortex inférotemporal et le CPFL. Toutefois, dans le CPFL,
cette activité se maintenait jusqu’à la réapparition du stimu-
lus cible (et par conséquent jusqu’à la réponse comporte-
mentale), tandis que dans le cortex inférotemporal l’activité
cédait dès l’apparition du stimulus suivant. Ces données
suggèrent donc que dans le CPFL, l’activité de maintien
est dirigée vers la réponse comportementale, et qu’il ne
s’agit pas uniquement d’une activité liée à la mémorisation
per se. Chez l’homme, en imagerie fonctionnelle, Paulesu
et al. [36] ont montré que l’un des systèmes tampon de la
mémoire de travail, la boucle phonologique, était organisé
entre l’aire de Broca et une région du cortex pariétal posté-
rieur gauche, le gyrus supramarginal (BA 40). Cette dernière
région étant impliquée dans le maintien passif du matériel
verbal (phonological buffer), tandis que l’aire de Broca ali-
mente activement ce système passif de maintien à court
terme par la répétition sous-vocale. Ces données expéri-
mentales sont renforcées par la clinique. En effet, une
forme clinique de la maladie d’Alzheimer à début posté-
rieur, appelée aphasie progressive logopénique ou phono-
logique [37], commençant par l’atteinte symptomatique du
lobule pariétal postérieur gauche se manifeste initialement
par un trouble majeur de la boucle phonologique altérant
les capacités de maintien en mémoire de travail verbale et
se répercutant sur les capacités de compréhension et de
Article de synthèse
R
EVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
N
EUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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