Communication
E
´pide
´miologie du trouble bipolaire
Bipolar disorders: Epidemiology
F. Rouillon
Clinique des maladies mentales et de l’ence
´phale, ho
ˆpital Sainte-Anne, universite
´Paris Descartes,
Inserm U 894 (centre psychiatrie et neurosciences), 100, rue de la Sante
´, 75674 Paris, ce
´dex 14, France
Disponible sur Internet le 3 novembre 2009
Re
´sume
´
La pre
´valence sur la vie du trouble bipolaire, assez proche de celle sur un an puisqu’il s’agit d’une pathologie chronique, se situe autour de 1 %
en population ge
´ne
´rale. L’incidence est plus diversement appre
´cie
´e (0,3 a
`3 pour 10 000 par an). Cette morbidite
´re
´elle est plus e
´leve
´e que celle qui
s’exprime aupre
`s d’institutions de soins, les patients bipolaires n’e
´tant pas ne
´cessairement pris en charge, surtout ceux de type II. Le trouble
bipolaire affecte autant les hommes que les femmes, quels que soient leurs origines ethnoculturelles ou leurs niveaux socioe
´conomiques. Il est en
revanche plus fre
´quent en zone urbaine que rurale et chez les sujets divorce
´s, se
´pare
´s et les ce
´libataires jamais marie
´s que chez les gens marie
´s
n’ayant jamais divorce
´. C’est un trouble du sujet jeune, l’a
ˆge moyen de de
´but e
´tant d’environ 20 ans. De plus, il semble plus fre
´quent chez les
personnes ne
´es depuis 1930–1940. Enfin, il est souvent associe
´a
`d’autres troubles mentaux, notamment l’alcoolisme ou la toxicomanie.
#2009 Publie
´par Elsevier Masson SAS.
Mots cle
´s: E
´pide
´miologie ; Trouble bipolaire
Abstract
The lifetime prevalence of bipolar disorders is 1.5% in the general population which is similar to that for one year since this is a chronic disease.
Estimates of incidence vary (0.3 to 3 cases per 10 000). This general morbidity is less important that what is found in institutions, since patients
presenting with bipolar disorders are not necessarily in care. Bipolar disorder affects men and women in equal proportions, and independently of
ethnic and cultural background or of socioeconomic status. It is nevertheless more prevalent in urban than in rural areas, and is more common in
subjects who are divorced, separated or have never married than in married subjects who have never divorced. It mainly affects younger subjects,
with the mean age of onset being about 20 years. Furthermore, it appears to be more common in subjects born since 1930–1940. Finally, it is often
associated with other mental disorders, particularly alcoholism and drug dependence.
#2009 Published by Elsevier Masson SAS.
Keywords: Bipolar disorder; Epidemiology
1. Pre
´valence
1.1. Morbidite
´
La pre
´valence a
`un an, en population ge
´ne
´rale, du Trouble
Bipolaire (TB) se situe entre 0,1 et 1,7 % dans les e
´tudes
internationales, selon les crite
`res des diffe
´rentes e
´ditions du
DSM. Le TB e
´tant une pathologie chronique, sa pre
´valence sur
la vie est assez comparable a
`la « life time prevalence » et
comprise entre 0,2 et 1,6 % selon le Groupe Technique National
de De
´finition des Objectifs (GTNDO) de la Loi de Sante
´
Publique de 2004 [4,9].
Les e
´tudes e
´pide
´miologiques en population ge
´ne
´rale se
focalisent ge
´ne
´ralement sur le trouble bipolaire de type I (acce
`s
maniaques francs alternant e
´ventuellement avec des e
´pisodes
de
´pressifs). La prise en compte du TB type II (hypomanie) et du
trouble cyclothymique aboutit a
`des taux beaucoup plus e
´leve
´s
(3,1 %) comme le soulignent Angst et al. [2]. Ce chiffre est
d’ailleurs tre
`s comparable a
`celui trouve
´par Hirschfeld et al. [5]
dans la population ge
´ne
´rale nord-ame
´ricaine. On retient
ge
´ne
´ralement une valeur me
´diane, pour la pe
´valence des
troubles bipolaires ne
´cessitant une prise en charge the
´rapeu-
tique, de 1 a
`1,5 %, taux correspondant d’ailleurs aux chiffres
Annales Me
´dico-Psychologiques 167 (2009) 793–795
E-mail address: [email protected].
0003-4487/$ – see front matter #2009 Publie
´par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.amp.2009.09.015
des deux grandes e
´tudes en population ge
´ne
´rale nord-
ame
´ricaine : la NCS (National Comorbidity Survey) [6] et
l’ECA (Epidemiologic Catchment Area) [10] pour les troubles
bipolaires de type I et II, dans la population adulte. Il y aurait
donc en France environ 4 a
`500 000 patients bipolaires, en
pe
´riode maniaque, de
´pressive ou en re
´mission [14].
La pre
´valence du trouble bipolaire en me
´decine ge
´ne
´rale a
e
´te
´e
´value
´e, en France, avec le MDQ (Mood Disorder
Questionnaire) introduit par Hirschfeld et al. [5]. Elle est de
3,7 % [12] dans la population des omnipraticiens. Elle atteint
15 % en consultation spe
´cialise
´e, avec des taux sensiblement
comparables selon le type d’activite
´prive
´e ou publique [11].
La pre
´valence du trouble bipolaire a e
´te
´assez constante a
`
travers le temps si ce n’est une diminution sensible de l’a
ˆge de
de
´but (autour de 30 ans selon les publications de Kraepelin, 20 ans
en moyenne dans l’ECA). La seule tendance qui puisse e
ˆtre
souligne
´e est l’inte
´re
ˆt porte
´, depuis une vingtaine d’anne
´es, aux
formes mineures (hypomanie, tempe
´rament, cyclothymie...).
Par effet de « halo » autour de la forme paradigmatique (le trouble
bipolaire de type I), il y a eu un e
´largissement sensible de la
population conside
´re
´e comme bipolaire.
1.2. Mortalite
´et conse
´quences
Le taux de mortalite
´, notamment suicidaire, est ge
´ne
´rale-
ment e
´value
´avec celui des troubles de
´pressifs. Globalement,
les troubles de l’humeur (uni ou bipolaire) sont conside
´re
´s
comme responsables d’environ deux tiers des de
´ce
`s par suicide.
Le ratio bipolaire/unipolaire e
´tant d’environ un sur quatre, on
peut estimer la pre
´valence du suicide des patients bipolaires a
`
15 %, soit environ 1500 morts par an. C’est la proportion
qu’avaient mentionne
´e Goodwin et Jamison, au de
´cours d’une
revue des e
´tudes de mortalite
´suicidaire, dans leur ce
´le
`bre livre
Manic Depressive Illness, publie
´en 1990. Des e
´tudes re
´centes
ont pluto
ˆt eu tendance a
`re
´viser a
`la baisse ce taux de mortalite
´
suicidaire, probablement du fait de l’ame
´lioration de la prise en
charge the
´rapeutique de ces patients. De fait, la mortalite
´
suicidaire des bipolaires a baisse
´depuis l’introduction des sels
de lithium en the
´rapeutique. C’est la seule donne
´e sur laquelle il
y ait un relatif consensus international sur la question « suicide
et trouble de l’humeur » (ce n’est pas parfaitement e
´tabli pour
les antide
´presseurs).
Il convient d’ajouter a
`la mortalite
´suicidaire les de
´ce
`s par
accident (les patients bipolaires en phase maniaque y sont plus
expose
´s) ainsi que l’aggravation du pronostic d’autres maladies
(en cas de comorbidite
´) et les accidents iatroge
`nes. Ainsi, dans
leur revue de litte
´rature sur 331 000 cas rapporte
´s (dont
2500 patients bipolaires), Roshanaei-Moghddam et Katon [13]
e
´tablissent que les patients maniacode
´pressifs ont une baisse
significative de l’espe
´rance de vie principalement due a
`des
affections cardiovasculaires, par rapport a
`la population ge
´ne
´rale.
Les autres conse
´quences majeures du trouble bipolaire sont
l’abus et la de
´pendance a
`l’alcool et aux drogues et l’aggravation
de la maladie par augmentation du nombre de cycles ou l’absence
de traitement. Apre
`s 20 ou 30 ans d’e
´volution, il n’y a plus de
phase intercritique chez une majorite
´de patients, voire des cycles
rapides, comme en attestent les e
´tudes e
´pide
´miologiques
longitudinales. Certains facteurs pre
´dictifs d’une e
´volution
de
´favorable ont e
´te
´identifie
´s. Par exemple, dans une e
´tude
prospective de deux ans, Azorin et al. [1] ont montre
´que les e
´tats
mixtes (34 % de leur e
´chantillon de 771 patients) avaient un plus
mauvais pronostic que les formes maniaques pures.
Lorsqu’il n’est pas traite
´, le trouble bipolaire a une
importante re
´percussion sur la qualite
´de vie ; par exemple,
il multiplie par trois le risque de divorce et entraı
ˆne une
de
´sinsertion professionnelle d’autant plus regrettables que les
bipolaires traite
´sete
´quilibre
´s ont de bonnes capacite
´s
d’inte
´gration socioprofessionnelle et familiale.
La consommation de soins des bipolaires, en hospitalisation
ou en ambulatoire, est mal connue en France. Ils ne repre
´sentent
toutefois pas un contingent important de la file active des
secteurs, comme c’est le cas pour le trouble schizophre
´nique.
Aux USA, le million de bipolaires traite
´s chaque anne
´e a eu en
moyenne 14,7 contacts avec une institution de soins (en
ambulatoire) par an [14].
2. Facteurs de risque
Le trouble bipolaire concerne aussi bien les hommes que les
femmes, quels que soient leur classe sociale et leur lieu de
re
´sidence ; il de
´bute autour de l’a
ˆge de 20 ans et la population a
`
risque pour le de
´pistage a donc de 15 a
`25 ans. Toutes les classes
sociales sont concerne
´es de manie
`re sensiblement comparable,
me
ˆme s’il fut longtemps dit que la psychose maniacode
´pressive
(PMD) e
´tait un peu plus fre
´quente parmi les personnes
socioe
´conomiquement favorise
´es. Son pronostic est proba-
blement plus mauvais dans les milieux de
´favorise
´sou
`les
conse
´quences du trouble (par exemple financie
`res en cas
d’achat pathologique ou de licenciement) ont des re
´percussions
plus marque
´es, ce qui retentit ine
´vitablement sur l’e
´volution
(cho
ˆmage, abandon du conjoint, endettement...).
Le trouble bipolaire est probablement la maladie mentale ou
`
le de
´terminisme ge
´ne
´tique est le plus fort, me
ˆme si sa nature
polyge
´nique le rend difficile a
`identifier, d’autant que son
phe
´notype ne
´cessite d’e
ˆtre mieux caracte
´rise
´. Pour autant, les
e
´tudes d’e
´pide
´miologie ge
´ne
´tique, que ce soit celle d’agre
´ga-
tion familiale, de jumeaux ou d’adoption, concourent toutes a
`
souligner l’he
´ritabilite
´de ce trouble et de nombreux
polymorphismes ont e
´te
´identifie
´s comme y contribuant.
La mauvaise qualite
´du de
´veloppement psychoaffectif et ses
avatars (deuil parental pre
´coce, maltraitance dans l’enfance...)
sont des facteurs de risque de trouble bipolaire comme d’autres
troubles mentaux. De plus, certains traits de personnalite
´
pathologique sont pre
´dictifs de ce trouble. Dans une cohorte
finlandaise, il a e
´te
´montre
´sur 213 443 personnes que la
dimension d’extraversion au moment du service militaire e
´tait
associe
´e avec un trouble bipolaire a
`l’a
ˆge adulte [7].
Les facteurs d’environnement jouent e
´galement un ro
ˆle, que
ce soient les difficulte
´s de vie ou les facteurs de stress
psychosociaux qui pre
´cipitent les re
´cidives, l’intensite
´des
e
´ve
´nements de vie stressants diminuant au gre
´des re
´cidives ;
cette constatation e
´pide
´miologique, de
´ja
`rapporte
´e par Emile
Kraepelin, fut a
`l’origine de la the
´orie du « Kindling »,
introduite par Robert Post dans les anne
´es 1980, qui sugge
´rait
F. Rouillon / Annales Me
´dico-Psychologiques 167 (2009) 793795794
que les rechutes maniacode
´pressives rendaient les patients
bipolaires plus vulne
´rables a
`un « embrasement » maniacode
´-
pressif ulte
´rieur, sur le mode
`le e
´pileptologique ou
`la re
´pe
´tition
des crises abaisse le seuil e
´pileptoge
`ne.
Enfin, l’association forte a
`l’usage pathologique d’alcool ou
de drogue chez ces patients pose la question du ro
ˆle de l’apport
toxique comme facteur de
´clenchant le de
´but du trouble ou ses
re
´currences. De surcroı
ˆt, la comorbidite
´avec l’alcool ou la
drogue est le facteur aggravant majeur de la maladie et de ses
conse
´quences (par ex. : criminelles). Elle explique a
`elle seule
les comportements me
´dicojudiciaires des patients maniacode
´-
pressifs, comme l’atteste la NESARC (National Epidemiologic
Survey on Alcohol and Related Conditions) qui, dans une
population de 34 653 sujets, montre que les comorbidite
´s
addictives a
`elles seules expliquent les comportements anti-
sociaux des patients [3].
Par ailleurs, l’avis des experts est unanime pour conside
´rer
que la multiplication des re
´cidives aggrave le pronostic et que le
retard a
`l’institution d’un traitement est particulie
`rement
pre
´judiciable. Or il se passe actuellement dix ans entre les
premiers sympto
ˆmes et la premie
`re prise d’un thymore
´gulateur.
3. Conclusion
Avec une pre
´valence de 1 a
`1,5 % et un retentissement
important sur la vie sociale, le trouble bipolaire est une
pathologie lourde de conse
´quences en termes de sante
´publique.
Dans l’e
´tude mesurant le nombre d’anne
´es de vie perdues ou
ve
´cues en invalidite
´(DALYs, Disability adjusted life years),
l’e
´cole de sante
´publique d’Harvard situe le trouble bipolaire
dans les dix premie
`res maladies les plus cou
ˆteuses dans le
monde, parmi toutes les pathologies physiques ou mentales. Il
serait responsable de 1 % de l’ensemble des DALYs toutes
maladies confondues [8].
Conflit d’inte
´re
ˆt
Honoraires et subventions de recherche rec¸ues des labora-
toires BMS, Biocodex, Janssen, Lundbeck, Sanofi et Servier.
Re
´fe
´rences
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Discussion
Dr N. Besnier –Lede
´lai se
´parant le de
´but des troubles et le
diagnostic de trouble bipolaire est extre
ˆmement long. Dans la
mesure ou
`les me
´decins ge
´ne
´ralistes prennent en charge la
majorite
´des syndromes de
´pressifs, ne faudrait-il pas de
´velopper
et diffuser aupre
`s d’eux des outils de de
´pistage, qui sont simples
et rapides d’utilisation et permettent de repe
´rer des signes
d’hypomanie ou d’atypicite
´?
Re
´ponse du Rapporteur
DOI de l’article original : 10.1016/j.amp.2009.09.015
0003-4487/$ – see front matter #2009 Publie
´par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.amp.2009.09.016
F. Rouillon / Annales Me
´dico-Psychologiques 167 (2009) 793795 795
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