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ETHIQUE
ET ECONOMIE
Les ateliers d’inspiration Balint destinés aux
étudiants de 4ème doctorat
Balint minded workshops for second cycle finishing
students
D. Piquard
D.M.G.-U.L.B.
RESUME
ABSTRACT
Depuis 1988, des ateliers d’inspiration Balint sont
proposés aux étudiants de quatrième doctorat par
le Département de Médecine Générale de l’Université libre de Bruxelles. Le contexte, le cadre,
les objectifs, les résultats, les limites en sont
décrits.
Since 1988, the family practice department of the
Brussels Free University organizes Balint minded
workshops for second cycle finishing students.
The context, the frame, the goals, the results, the
limits are described.
Rev Med Brux 2006 ; 27 : S 401-3
CONTEXTE
Relire Balint aujourd’hui nous confronte à un
paradoxe. Les situations décrites dans son livre
princeps 1 sont délicieusement désuètes dans les
moyens techniques évoqués et la terminologie utilisée,
mais terriblement d’actualité par la solitude du patient,
la difficulté du colloque singulier, l’inefficacité des
procédures cliniques et paracliniques mises en œuvre.
La méthodologie des groupes Balint est définie
comme suit par la Société Balint belge2 : elle a pour
objectif l’étude de la relation médecin-patient, par
l’analyse du transfert et du contre-transfert, de favoriser
la formation psychologique continue du soignant. Elle
vise à améliorer, par la parole, la qualité thérapeutique
lors de la rencontre entre le soignant et son patient.
Depuis 18 ans, sous l’égide du Pr Paul Cnockaert,
Maître de Stages au Département de Médecine Générale
(D.M.G.) et délégué de la Société auprès de l’U.L.B., et de
Mme Jacqueline Janssens, psychologue psychanalyste au
Centre de Santé Mentale de l’U.L.B., ont été organisés des
séminaires d’inspiration Balint, pour les étudiants de
4ème doctorat qui se destinent à la médecine générale.
Le constat était que la formation académique
théorique et pratique privilégiait plus le savoir et le
savoir-faire, axés vers une pratique hospitalière, au
Rev Med Brux 2006 ; 27 : S 401-3
Key words : Balint,
psychological problem
medical
education,
détriment du savoir-être qui permettrait le
développement d’une capacité d’écoute aux émotions
de la personne consultante et à ses propres affects.
Ce constat est toujours d’actualité, malgré les modestes
adaptations intervenues dans les programmes.
La très grande place des problèmes
psychologiques dans la pratique de la médecine
générale est très largement et très régulièrement
soulignée.
Le Conseil supérieur d’Hygiène du Ministère de
la Santé Publique a, par exemple, organisé en 2004 un
groupe de travail3 pour aborder les moyens d’aide aux
médecins généralistes, praticiens de première ligne sur
la question de la santé mentale.
Les constats sont les suivants :
1. une réponse trop fréquemment exclusivement
médicamenteuse aux difficultés psychologiques et
relationnelles rencontrées en consultation de
première ligne, avec le problème de la
consommation et prescription abusive des
anxiolytiques ;
2. un manque de collaboration entre la médecine
générale et les psys ;
3. une formation médicale insuffisante sur la question
de prévention et des soins en santé mentale ;
4. une absence de valorisation d’une formation
Rev Med Brux - 2006
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continue spécifique en santé mentale ;
5. l’obstacle que représente la priorité d’apprentissage
plus technique.
fonctionnement par rappor t aux autres activités
habituelles, plus directives, d’enseignement du
département et greffées sur celles-ci.
Les recommandations formulées prennent en
compte :
1. l’instauration d’une meilleure communication entre
la première et la deuxième ligne ;
2. une révision des structures de soins ;
3. des recommandations relatives à la formation des
médecins généralistes en santé mentale, dont
l’utilisation de la technique des groupes Balint.
Le cadre interne, dont les animateurs sont les
garants, vise à créer la confiance et à garantir la
confidentialité, bannit l’exposé de cas personnels ou
familiaux, permet à tous les participants de s’exprimer
dans un respect mutuel. Le rappel de la non-évaluation
est fait. La première séance permet aux animateurs de
préciser la méthode et les règles et aux participants
d’exprimer leurs attentes, motivations et objectifs. Le
travail de groupe s’axe sur des situations
professionnelles amenées par les par ticipants,
situations où ils se sont trouvés en difficulté ou qui leur
ont posé questions. Souvent des intervenants traînent,
comme un boulet, des histoires traumatisantes dont,
jamais, nulle part, ne leur a été offerte la possibilité de
s’en débarrasser. Deux cas sont discutés par séance,
séparés par une pose de 30 minutes durant laquelle
les étudiants se retrouvent ensemble hors de la
présence des animateurs. Souvent les cas évoqués
s’inscrivent dans une dialectique mise en perspective
dans la synthèse proposée en fin de séance. L’objectif
n’est pas de trouver une solution de type opérationnelle
mais une mise en commun, en partage, des réflexions,
questions, associations, évocations dégagées par les
membres du groupe. Cette démarche amène
progressivement les participants à s’ouvrir aux enjeux
inconscients du travail en atelier mais aussi de la
consultation.
La question de la for mation, de base et
continuée, en santé mentale est ainsi, à nouveau,
officiellement posée. L’initiative des ateliers Balint en
1988 répondait déjà de façon prophétique, mais limitée
par les moyens disponibles, en temps et en
financement, aux conclusions rendue en 2004 par cette
commission.
Les situations, en médecine générale, où le
relationnel intervient pour une part prépondérante dans
la création des conditions d’une prise en charge
adéquate sont légions. Citons par exemple l’abord de
situations de difficultés psychiques lors de crises de
vie, la prise en charge de patients qui présentent des
difficultés psychologiques plus spécifiques et avérées,
les situations médicales chroniques qui offrent
nécessairement un impact psychologique, les
différentes somatisations lors de phénomènes
dépressifs et anxieux, les prises de décision avec un
impact éthique…
CADRE ET OBJECTIFS
L’enseignement en cours traditionnel ex cathedra
ou en séminaire semi directif ne permet que très
imparfaitement d’ouvrir à cette réalité multiforme. Les
étudiants s’y sentent mal préparés et risquent donc de
scotomiser ces aspects dans leur pratique
professionnelle. Les stages en médecine générale sont
organisés durant l’année en cours mais l’approche des
problèmes relationnels est fonction de la sensibilité des
maîtres de stages fréquentés à cette dimension.
La possibilité a donc été offerte aux étudiants de
fréquenter un séminaire de six séances de trois heures.
Celles-ci se tiennent sur six semaines consécutives en
début de quatrième doctorat. Les étudiants s’y
inscrivent de façon volontaire avec un engagement de
présence. Le groupe est fermé. L’atelier ne donne pas
lieu à une évaluation mais la présence est valorisée
pour le quota des heures de séminaire spécifique de
formation en médecine générale.
Le séminaire est animé actuellement par une
psychiatre travaillant en Centre de Guidance : le
Dr Nicole Calevoi et un Maître de Stages en médecine
générale, le rédacteur du présent article.
Le cadre externe est donc une activité organisée
par le D.M.G. mais originale dans son mode de
S 402
Rev Med Brux - 2006
De séance en séance se construit ainsi un
questionnement sur l’identité professionnelle du
généraliste et sur l’aspect multiforme de la consultation
médicale, un partage d’émotions portées par le groupe.
Mettre des mots, le soutien du groupe, l’écoute active
et empathique, l’identification chez les autres des
mêmes types de difficultés sont les outils utilisés pour
la levée des défenses.
Déconstruction de fantasme de toute-puissance
et capacité à fixer ses limites, acceptation et
cicatrisation de blessure narcissique, mise en évidence
par l’exemple des situations exposées de la signification
du mécanisme du transfert et contre-transfert, au sens
le plus large du terme, avec le contre-transfert le plus
souvent premier, lecture symbolique du symptôme4,
appréhension de combien l’idéologie interfère avec les
décisions, difficulté de fixer une bonne distance et
approche de ce que empathie veut dire sont quelquesunes des thématiques abordées au hasard de la
casuistique.
Une illustration des quelques aphorismes
balintiens peut aussi apparaître. Par exemple :
• A une question, on n’obtient, au mieux, qu’une
réponse.
• Quand un médecin se résout à prescrire un
anxiolytique, c’est qu’il ferait bien d’en prendre luimême.
• Le médicament de beaucoup le plus fréquemment
utilisé en médecine générale est le médecin lui-
même, sans qu’il existe une pharmacologie de ce
médicament essentiel, dans la méconnaissance de
ses risques possibles et de ses effets indésirables.
L’un des effets secondaires les plus importants du
remède médecin consiste dans sa réponse aux
offres du malade.
classiques du cursus de quatrième doctorat et aux
séminaires de pratique médicale accompagnée
organisés pour les assistants en médecine générale
au cours de leurs stages de troisième cycle.
Les aspects spécifiques constitutifs du burn-out5
des étudiants en médecine sont généralement
largement évoqués : climat compétitif du numerus
clausus, statut de “ sous-fifre ”, dévalorisation du choix
de la médecine générale dans le climat académique
ambiant contrastant avec une idéalisation fantasmée
de la médecine générale, impossibilité de trouver un
lieu de parole pour les difficultés rencontrées dans les
stages, absence de décodage dans les services lors
de situations problématiques, harcèlement dont ils
peuvent être victimes de la part du personnel et des
patients, modèle rébarbatif de médecins hospitaliers
cyniques et carriéristes, etc.
Dans une période où la médecine générale
traverse une crise des vocations, il est important que le
futur généraliste soit en possession de moyens de choix
de cette voie pour concilier les enjeux professionnels
avec son développement personnel, “ pour que la
médecine reste un plaisir ”6.
RESULTATS ET LIMITES
1. Balint M : Le médecin, son malade et la maladie.
Paris, Petite bibliothèque Payot, 1966
Lors de la dernière séance, un tour de table
synthétise les apports et les limites de l’atelier. Un
retour sur les objectifs et motivations exprimés en
première séance permet de mesurer le parcours suivi.
Un fil conducteur s’ébauche qui peut donner sens à
l’itinéraire futur des participants. Les brins en sont les
paroles dites et reçues, les émotions exprimées,
partagées et ressenties, les situations évoquées et
intégrées.
Une évocation de l’après est esquissée. De
nombreux participants regrettent la durée limitée de
l’atelier et l’organisation tardive dans le cursus. Pointent
aussi le deuil de l’atelier, le sentiment d’abandon,
l’inquiétude du futur, mais aussi le soutien possible des
pairs. L’expérience du travail en groupe offre des pistes
pour élaborer une méthode propre à briser l’isolement
professionnel, prévenir le burn-out, imaginer demain.
Une analyse plus fine du travail produit en
séminaire d’inspiration Balint devrait faire appel à la
mise en œuvre de techniques sophistiquées, comme
celle par exemple de focus group.
Un résultat concret est une par ticipation
ultérieure plus active aux cours et séminaires
CONCLUSIONS
Le département de médecine générale est
persuadé que la méthodologie des ateliers d’inspiration
Balint est un des instruments efficaces pour tendre vers
ce but.
BIBLIOGRAPHIE
2. Revue de la Société
[email protected]
Balint
belge
:
www.balint.be,
3. Conseil Supérieur d’Hygiène, Service Public Fédéral Santé Publique : section santé mentale, groupe de travail temporaire
N°7814 “ Aide aux médecins généralistes, praticiens de première
ligne sur les questions de santé mentale ” : Constats et Recommandations, juin 2004
4. Cahiers de psychologie clinique 26 : le symptôme.
Louvain-la-Neuve, Editions De Boeck Université, 2006
5. Delbrouck M : Le burn-out du soignant, le syndrome d’épuisement professionnel.
Louvain-la-Neuve, Editions De Boeck Université, 2003
6. Journée d’étude de la Société Balint belge du 18/11/2003 :
“ Pour que la médecine reste un plaisir ”
Correspondance et tirés à part :
D. PIQUARD
Avenue de l’Héliport 20 bte 44
1000 Bruxelles
Travail reçu le 2 mai 2006 ; accepté dans sa version définitive le
21 mai 2006.
Rev Med Brux - 2006
S 403
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