un si proche-orient - débats 39
Avec
Samedi 21 novembre – Cinéma Jean Eustache/Salle Fellini – 16H00
Débat animé par Valérie Hannin, directrice de la rédaction de L’Histoire, et Thomas Verclytte, président de l’APHG d’Aquitaine.
Les participants : Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient, et Gabriel Martinez-Gros, professeur d’histoire
médiéval du monde musulman à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
Dans le cadre de l’Université populaire d’Histoire et en écho au débat, projection à 14H00 du film Maintenant, ils peuvent venir de Salem
Brahimi et à 18H00 du film Daech, naissance d’un état terroriste (2014) de Jérôme Fritel et Stéphane Villeneuve.
Le terme djihad vient de la racine arabe jhd qui désigne l’effort. Dans
son sens originel, le « grand djihad », tel que le définit le Prophète,
tel qu’il est codifié dans le droit musulman ou que les grands
mystiques soufis l’ont pratiqué, est avant tout une soumission de
l’âme à Dieu, un effort sur soi pour devenir le meilleur musulman
possible. Par extension, cet effort vise à tout mettre en œuvre pour
favoriser la propagation de l’islam à travers le monde, au besoin
par les armes : c’est la guerre sainte.
Certains théologiens ont considéré le djihad comme le sixième pilier
de l’islam doté, par ailleurs, de la particularité de relativiser certaines
règles de dogme ou de rite. Le président Bourguiba, qui avait fait de
la croissance économique un djihad, a ainsi cherché à convaincre
les Tunisiens que la stricte observation du ramadan entraînait
une baisse de la production. Aussi apparut-il, à la télévision, en train
de boire, en pleine journée, un verre de limonade.
Seul un uléma, un théologien versé dans l’exégèse des textes sacrés à
la compétence reconnue par ses pairs peut, en principe, proclamer
le djihad. Mais il n’est pas toujours simple d’user de ce privilège.
Quand lancer le djihad contre un mauvais gouvernement ?
Les ulémas égyptiens s’y étaient refusés contre Anouar el-Sadate qui,
en 1979, avait signé la paix avec Israël. Ils furent alors débordés par
les militants radicaux de l’Organisation du djihad, qui finirent par
assassiner le chef de l’État. Farag, leur idéologue, avait accusé les
docteurs de la Loi islamique d’avoir trahi leur devoir le plus sacré,
celui de prononcer le djihad contre le président « impie ».
Il considérait donc qu’il lui revenait, avec son modeste brevet
d’électricien, de reprendre le flambeau abandonné par les gardiens
du dogme.
Mais, parce qu’il bouleverse les règles de l’organisation sociale, on ne
sait pas quand et où s’arrête le djihad. L’islam n’ayant pas d’appareil
hiérarchique, un djihad lancé par une autorité religieuse peut être
contredit par une autre. A priori, le djihad défensif, prononcé
lorsque l’islam est menacé de l’extérieur, paraît susceptible d’être
suivi sans réserve. Mais pendant la Première Guerre mondiale,
le sultan-calife ottoman, allié aux Puissances centrales, l’avait
proclamé contre la France et l’Angleterre en misant sur un soulèvement
des musulmans colonisés par ces deux États. Il n’en fut rien,
les spahis et les tirailleurs ne bronchèrent pas dans les tranchées.
C’est d’ailleurs en « remerciement » de cette loyauté que fut édifiée en
1926 la mosquée de Paris.
Aujourd’hui, le djihad a été réactivé par les différents courants
radicaux de l’Algérie à l’Afghanistan. Dans tous les cas, il mobilise
les énergies et met tous les moyens au service d’une même fin,
qu’il s’agisse du renversement du pouvoir « apostat » d’Alger ou du
Caire, de l’éradication de la présence « sioniste » en Palestine ou
de l’élimination du régime « athée » à Kaboul lors de l’occupation
soviétique.
Mais, depuis les années 1980, un bouleversement s’est produit : grâce
à la modernisation des moyens de communication – télévision par
satellite, Internet –, le djihad est proclamé par des individus qui sont
de moins en moins des ulémas. Tout est parti d’Afghanistan, où s’est
formée, à la faveur du combat contre l’invasion soviétique, une légion
djihadiste internationale, sans emploi après le départ de l’Armée
rouge en 1989 et qui a donné naissance au mouvement
ben-ladeniste. Après les guérillas-djihad des années 1990, qui ont
essayé, en vain, d’imiter le modèle afghan pour faire tomber les
régimes en place en Égypte, Algérie, Bosnie, Tchétchénie, le djihad
s’est retourné vers l’ennemi lointain, dans la perspective de mobiliser
les masses par des opérations spectaculaires, et ce sont les attentats du
11 septembre 2001.
Or, dans la doctrine islamique, la notion de djihad, positive, va de
pair avec son antonyme négatif, la fitna, la guerre qui brise l’islam de
l’intérieur, ce que les masses musulmanes pourraient reprocher aux
radicaux : la population irakienne fut ainsi la première victime
des attentats. Et si Bagdad fut occupée par des soldats impies,
la catastrophe a été rendue possible par les terroristes du 11 septembre.
© Gilles Kepel « Qu’est-ce que le djihad ? », Les Collections de
L’Histoire n° 30, janvier 2006, pp. 22-23.
Page de gauche : combattant de Daech participant à une parade militaire au nord de la province de Raqqa (Syrie), le 30 juin 2014 (d.r.).
LES RACINES HISTORIQUES DU
DJIHADISME