1 Communication, migration et santé : souffrances psychiques et

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Communication, migration et santé : souffrances psychiques et communication. Comment dire sa
souffrance en situation d’insécurité linguistique et socioculturelle ?
Marie Eugénie Molina
« Maintenant, on va lui couper la langue ». Moi,
je n’ose pas rentrer ma langue et le voilà qui
arrive tout près avec son canif, la lame ne va pas
tarder à toucher la langue. Au dernier moment, il
retire sa main et dit : « Non, pas aujourd’hui,
demain ». Il referme le canif et le remet dans sa
poche. Par cette porte, nous pénétrons chaque
matin dans le vestibule rouge, la porte d’en face
s’ouvre, et l’homme souriant paraît. Je sais ce
qu’il va dire et j’attends qu’il m’ordonne de tirer
la langue. Je sais qu’il finira par me la couper et
j’ai de plus en plus peur.1
Cette analyse s’inscrit dans une recherche interdisciplinaire intitulée « Communication entre
soignants et patients migrants : quels moyens pour quelle efficacité ?2. Ce projet, se basant sur les
données récoltées sur le terrain, réseau hospitalier de Saint-Imier (JB), vise une meilleure
compréhension de la communication ou Malcommunication entre soignants et patients migrants.
Dans le monde hospitalier perçu dans sa globalité, nous savons, eu égard aux
particularités de cette recherche et d’autres3 (Lambert et al. 1999), que le partage d’une langue
commune entre soignants et soignés, n’est pas toujours possible et que cette absence met en péril
la garantie d’un partage bilatéral du sens. Les spécificités du contexte hospitalier –situation où les
enjeux de pouvoirs liés à des savoirs non partagés, aux conditions particulièrement fragilisantes
de la maladie, aux trajectoires individuelles, aux représentations de la souffrance physique et
psychique, … rendent essentielle, une bonne compréhension mutuelle – nous ont conduits à
appréhender la notion de communication comme celle de parole, en la rendant insécable du
milieu où elle est énoncée (Massé, 1995 ; Goffman, 1975 ; Gumperz 1989). À partir de ces
remarques, je suis tentée de dire à l’instar d’autres qu’il n’y a pas de communication, mais des
communications tout comme il n’y a pas un soin, mais des soins (Weiss & Stuker, 1998).
1 Canetti, E. . Histoire d’une jeunesse : La langue sauvée. In Ecrits autobiographiques. Albin Michel :1985.
2 Financée par le FNS, la CTI et des fonds privés dans le cadre de l’action DO-RE 8programme fédéral pour
encourager la recherche HES).
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Enjeux généraux et spécifiques de la communication dans le secteur psychiatrique
Partant de ces remarques préliminaires, dans les lignes qui suivent, je vais tenter d’exposer les
singularités les plus prégnantes des modes et enjeux de la communication orale en psychiatrie,
domaine, s’il en est un, où l’interaction verbale dans la relation soignant/soigné n’est pas
seulement souhaitable, mais essentielle.
Brièvement, du point de vue de la méthode, nous n’avons pas eu accès aux consultations
en psychiatrie. Notre corpus de textes pour l’analyse que je vais vous présenter repose donc sur
une série d’entretiens réalisés auprès de psychiatres et soignants en psychiatrie exerçant dans les
différents services du réseau hospitalier de Saint-Imier. Compte tenu des limites inhérentes à
notre corpus, je ne peux vous exposer qu’une vision locale de la complexité du phénomène sur le
terrain. Ainsi il ne m échappe pas que si mon analyse porte essentiellement sur le discours des
psychiatres et des soignants en psychiatrie à propos de leur expérience de la consultation en
l’absence partielle ou complète de langue commune, cette même analyse, par exemple, ne rend
pas compte des stratégies sociales et institutionnelles poursuivies par les thérapeutes tout comme
par les patients. Il ne s’agit pas d’une négligence mais d’un choix que j’imputerais aux
contraintes de la recherche, c’est-à-dire, mener une recherche et rendre un rapport en six mois.
En quelques mots, tels étaient mes objectifs principaux au moment de l’analyse :
-Tâcher de décrire des situations pour lesquelles les enjeux liés à la communication sont
déterminants
-Comparer les différents entretiens ; voir s’il y a une continuité
-Troisième objectif, repérer des lieux de communication, particulièrement intéressants du point
de vue du linguiste et, peut-être, pour le thérapeute.
Comme toute pratique sociale, la consultation médicale est médiatisée par des
instruments symboliques, en psychiatrie parmi ces instruments le langage sous sa forme écrite
tout comme orale occupe une place centrale. En effet, si les patients y ont recours pour traduire
en mots leur état psychique, celui-ci contribue également à la construction de ces réalités mêmes
qu’elles soient internes ou externes (Gajo, 2000). Enfin, au même titre, il participe à toute
l’interaction entre le patient et le thérapeute. D’ailleurs, ne pourrait-on pas penser l’entretien
3 Recherche menée au CHUV, Lausanne : P.N :R 39 « Migration et relations interculturelles ». Migrants et réseaux
de soins :pour une adaptation interculturelle. P. Guex ;P. Singy (dir. Projet). M. Molina ; O. Weber (chargés de
rech.). Rapport final (2000)
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psychiatrique comme une conversation au cours de laquelle patients et psychiatres verbalisent un
certain nombre d’éléments en partant de leur perspective et en négocient ensuite les significations
en les confrontant, en les co-construisant (Apothéloz & Grossen, 1995).
37 D c’est notre problème c’est-à-dire qu’en psychiatrie (le/notre ?) véhicule de travail c’est
quand même la langue… mais peut-être euh pour les autres professionnels de la san
hôpital physique un geste chez nous par exemple un geste ça peut être mal interprété..
donc c’est vrai que par notre métier donc par notre métier la langue c’est très très
important. (DOMI.4.MPS)
Ainsi, une des principales attentes implicites des acteurs impliqués dans une interaction verbale
est que la communication fasse sens pour tous les partenaires. Le degré de compréhension
mutuelle est difficile à évaluer. Toutefois, partant de l’observation que l’interaction n’est pas
interrompue, et que celle-ci se traduit par un processus d’échange duquel chacun semble satisfait,
on est porté à penser que l’ajustement réciproque, linguistique et/ou comportemental des acteurs,
est au moins satisfaisant. Toutes les remarques qui suivront doivent être considérées comme le
point de vue d’une non-spécialiste de la discipline.
En premier lieu, je prendrais pour point de départ l’évidence selon laquelle, dans ce
cadre, toute thérapie pensée sur le long terme et ayant pour objectif la diminution progressive des
souffrances psychiques du patient est compromise en l’absence de langue commune, étant
entendu, que sans compréhension mutuelle, la parole perd sa valeur thérapeutique.
En deuxième lieu, je parlerai volontiers d’espace de communication - espace partagé par
les différents acteurs du terrain - en me basant sur le discours produit par les soignés migrants
ainsi que par les soignants en psychiatrie de la région de St-Imier. Je tâcherai de décrire celui-ci
selon deux axes : horizontal et vertical. En effet, la vision bidimensionnelle de l’espace me
permettra, d’une part, de mieux mesurer en termes de distance (de proximité ou d’éloignement) la
relation entre patient et soignant voire la relation triangulaire soigné-tiers (traducteur ou autre)-
soignant et, d’autre part, de rendre compte de l’asymétrie des positions qu’occupent les acteurs
dans le champ étudié, a fortiori, quand le moyen assurant la compréhension mutuelle n’est plus
du tout ou partiellement efficient.
Le face à face de la consultation psychiatrique est une relation ritualisée, le plus souvent évoquée
comme une relation à deux, protégée de la « publicité », se déroulant dans un espace non public,
et ayant pour cadre un espace de communication défini par les critères du secret et de la
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confidentialité. Si l’on se propose d’examiner cette dyade, en demeurant sensible au statut, à la
place que les deux acteurs en présence occupent dans le contexte précis de l’interaction verbale,
l’on finit, assez rapidement, par entrevoir que soignants et soignés ne parlent pas depuis « le
même endroit », et que les enjeux de ce type de face à face soulèvent une série de
questionnements non seulement quant à la place que chacun des acteurs occupe dans l’interaction
mais aussi des interrogations en termes de reconnaissance des discours produits par les deux
types d’acteurs, sachant que ceux-ci ne partagent pas des situations d’énonciation égalitaires.
Autre asymétrie, celle comprise en termes d’attentes et des conséquences des attentes déçues. Si
les attentes à l’égard des résultats de la thérapie entre patient et psychiatre convergent vers le
souhait de la guérison, la position du patient n’est pas celle du soignant. En effet, si le patient
n’est pas entendu, cette conversation à vide a un grand impact en termes de souffrances. Le
soignant, quant à lui, s’il n’est pas entendu, cela a certainement un impact sur sa pratique, en
termes de questionnements, de remise en cause et cela n’est guère négligeable. Toutefois, les
enjeux ne sont pas les mêmes pour le soignant que pour le patient, a fortiori lorsque celui-ci
demeure étranger non seulement dans l’aire géographique l’accueillant, mais aussi dans l’espace
à l’intérieur duquel il espère bénéficier de soins.
Ainsi, lorsque l’interaction à deux s’étend à trois acteurs, tous les items précédemment
exposés sont modifiés et mériteraient, par conséquent, d’être redéfinis : … pour un tête à tête ce
n’est plus un tête-à-tête déjà ce n’est plus une thérapie… (DOMI.4.MPS). Enfin, dans ce cadre analytique,
nous interrogerons par la même occasion la fonction de la communication :
-Établir le contact, le maintenir et aboutir à un échange
-Traduire en mots les souffrances psychiques et/ou physiques
-Soigner. Il nous semble qu’à bien des égards cette troisième fonction présuppose les deux
premières. De plus, si sa définition comprend 2 acceptions : a) la communication est un support
pour les soins (parler tout en soignant) ; b) la communication est un soin, dans le sens où elle
configure et détermine celui-ci (le soin par la parole), c’est, avant tout, « soigner » entendu
comme le soin par le dialogue, qui fait l’objet de notre observation.
La confrontation patient-soignant dans un espace où les ancrages communs sont fragiles
aboutit très souvent à un sentiment de frustration, qu’exprime cette soignante dans cet extrait de
citation.
36 B moi je dirais que ça m’est eu arrivé et ça peut être source de malentendus ça m’est eu
arrivé avec des patients qui parlaient le-d’origine yougoslave et qui parlaient un ptit peu
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l’allemand alors j’ai essayé de faire plus ou moins les entretiens en allemand mais j’étais
ja-j’étais jamais sure de vraiment comprendre le message tel qu’ils auraient voulu m’le
faire passer donc je trouve des fois.. c’est pas évident ça reste vraiment un peu à ras les
pâquerettes j’trouve pour certaine-j’avais du mal vraiment à aller au fond des choses quoi
faut vraiment bien maîtriser la langue du patient pour euh être sur(e ?)de le comprendre
vraiment moi je pense c’est quand même un obstacle et source de malentendus (silence)
(DOMI.4.MPS).
Quant à lui, le patient mesure son isolement et la distance qui lui reste à parcourir dans l’espoir
d’obtenir, non seulement une amélioration de la qualité de sa prise en charge, mais aussi un
« remède » adapté à son symptôme. En ce sens, pouvoir dire son mal, être écouté et entendu
représente non seulement son principal objectif mais aussi le moyen de sa guérison.
Les thérapeutes rencontrés au cours de la récolte des données sur le terrain choisissent
d’ordinaire des stratégies de substitution afin de contourner l’impression de vacuité dans l’espace
qu’ils partagent avec le patient migrant. Le plus souvent, soucieux de protéger la confidentialité
inhérente à leur pratique, ils recourent à des palliatifs (dessins, gestes, protocoles de traduction)
où le « faire tout seul » (entendu comme : sans l’aide d’un autre) semble être privilégié : Ce n’est
qu’en deuxième lieu, qu’ils disent faire appel à l’aide d’un tiers. Appelés à se prononcer sur la
nouvelle configuration de la relation thérapeutique, les psychiatres rencontrés livrent, au cours
des différents entretiens, une vision pour le moins hétérogène de la relation triangulaire.
Néanmoins, ils s’accordent à penser que celle-ci n’est opérationnelle que sur le court terme :
119 D moi je vois bien pour le court terme donc pour l’intervention donc rapide hein donc une
personne neutre qui sache traduire tout simplement mot à mot ce qui est dit.. comme je
dois voir les choses à long terme là j’y vois pas très bien la troisième personne en tout cas
dans notre métier dans ce qu’on fait ça peut être tout au plus un soutien hein donc pour le
temps qu’il le faut mais pas dans le vrai sens d’une thérapie… (DOMI.4.MPS).
En matière de stratégies de communication (Bange, 1992), au vu des observations
effectuées sur le terrain, nous serions tentés de dire que la substitution, du point de vue du
médecin, c’est la déclaration d’intention, alors que l’évitement en est le résultat. Ainsi, quant à
lui, le patient contourne une partie de ses appréhensions exacerbées par son sentiment
d’insécurité à l’égard de l’univers hospitalier en général et psychiatrique, en particulier, en
surinvestissant le rôle du MCI. Dans d’autres cas4, le médecin de même origine géographique,
peut également occuper, au plan des représentations des distances socio-économiques, une place
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