UNIVERSITE PARIS VAL-DE-MARNE FACULTE DE MEDECINE DE CRETEIL **************** ANNEE 2005 N° THESE POUR LE DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE Discipline : Médecine Générale --------------Présentée et soutenue publiquement le A CRETEIL (PARIS XII) ---------------Par Fabrice MARCHAL Né le 8 juin 1973 à Paris TROUBLES BIPOLAIRES ET ADDICTIFS : ELEMENTS D’ANALYSE D’UNE ETUDE FRANCAISE DIRECTEUR DE THESE : Mr le DR Samir TILIKETE LE CONSERVATEUR DE LA BIBLIOTHEQUE UNIVERSITAIRE PRESIDENT DE THESE : Signature Cachet de la bibliothèque universitaire 2 3 A Mr LE Dr SAMIR TILIKETE Pour avoir accepté d’être mon Directeur de thèse Pour ses qualités professionnelles et personnelles Pour sa patience durant ces années 4 A Mme le Pr MARION LEBOYER et Mr le Dr Franck BELLIVIER Pour m’avoir permis de travailler sur ce sujet et bénéficier de leurs travaux 5 A mes Parents, à ma famille, A Claire, A Fabrice, Fred et Jérôme pour leur amitié, A Perig, Cécile, David, Benoît, Marie, Boris, Magalie, Sébastien, Carine, Ingrid, Mathieu… 6 Au Dr DEMOUCRON et Au Dr BREUIL NENERT Pour avoir été les premiers à me faire confiance dans l’exercice de mes remplacements 7 SOMMAIRE INTRODUCTION 10 I. LES TROUBLES DE L’HUMEUR 11 A. QU’EST-CE-QU’UN SYNDROME DEPRESSIF ? 11 1. LA DEFINITION 11 2. LA SEMIOLOGIE D’UN SYNDROME DEPRESSIF 11 B. a. L’humeur dépressive 11 b. Les symptômes psychomoteurs 12 c. Les troubles conatifs 12 d. Les troubles cognitifs 12 e. Les signes végétatifs 12 f. La critériologie du DSM IV 13 QU’EST-CE QU’UN SYNDROME MANIAQUE ? 14 1. LA DEFINITION 14 2. SEMIOLOGIE D’UN SYNDROME MANIAQUE 15 C. a. L’altération de l’humeur 15 b. L’altération cognitive 15 c. Les troubles moteurs 15 d. Les perturbations somatiques 15 e. La critériologie du DSM IV 16 QU’EST CE QUE LA MALADIE MANIACO DEPRESSIVE ? 16 1. LA DEFINITION 16 2. LE TROUBLE BIPOLAIRE 18 a. Le trouble bipolaire de type I (BP I) 18 b. Le trouble bipolaire de type II (BP II) 18 c. Le trouble bipolaire type III (BP III) 19 8 d. Le trouble unipolaire 19 e. La prévalence 19 II. LA CONSOMMATION ABUSIVE DE SUBSTANCES A. QUELQUES DEFINITIONS SEMANTIQUES 20 20 1. L’USAGE 20 2. L’ABUS 20 3. LA DEPENDANCE 21 B. LA CONSOMMATION D’ALCOOL 21 1. LE PRODUIT 21 2. L’ABUS D’ALCOOL 22 3. SYNDROME DE DEPENDANCE 22 a. Définition de Fouquet (1951) 22 b. Critériologie selon l’OMS 22 c. Critériologie du DSM IV 23 d. Combinaison des systèmes DSM et CIM 10 24 4. C. EPIDEMIOLOGIE LA CONSOMMATION D’HEROINE 25 25 1. DEFINITION 25 2. EPIDEMIOLOGIE 25 D. LA CONSOMMATION DE COCAINE 26 1. DEFINITION 26 2. EPIDEMIOLOGIE 26 E. LA CONSOMMATION DE CANNABIS 26 1. DEFINITION 26 2. EPIDEMIOLOGIE 27 F. LA CONSOMMATION D’AMPHETAMINES 27 1. DEFINITION 27 2. EPIDEMIOLOGIE 27 9 III. RELATION ENTRE LES TROUBLES BIPOLAIRES ET LA CONSOMMATION ABUSIVE DE SUBSTANCES 28 IV. 36 MATERIEL ET METHODE V. RESULTATS A. TABLEAU I : CARACTERISATION DE L’ECHANTILLON 37 37 B. TABLEAU II : COMORBIDITE DES TROUBLES DE L’AXE I SUR LA VIE ENTIERE DANS L’ECHANTILLON 39 C. TABLEAU III : COMORBIDITE ADDICTIVE 40 D. TABLEAU III BIS : COMORBIDITE ADDICTIVE 41 E. TABLEAU III TER : COMORBIDITE ADDICTIVE 42 F. TABLEAU IV : COMPARAISON DES PATIENTS BIPOLAIRES AVEC ET SANS TROUBLES ADDICTIFS 44 VI. DISCUSSION 49 VII. CONCLUSION 53 BIBLIOGRAPHIE 55 10 INTRODUCTION Les troubles liés à la consommation de substances psychoactives ou troubles addictifs sont extrêmement fréquents et sont la cause d’une mortalité et d’une morbidité élevées. Ils sont à l’origine de bien plus de handicaps, de pathologies, voire de décès, chaque année que de nombreux autres troubles mentaux. Les troubles de l’humeur représentent quant à eux un motif fréquent de consultation et particulièrement les troubles bipolaires dont la prévalence est estimée a 1% dans la population générale adulte. Depuis des années toutes les données épidémiologiques retrouvent une comorbidité importante entre les troubles de l’humeur et les troubles addictifs et plus particulièrement entre les troubles du spectre bipolaire et les troubles addictifs. Ainsi de nombreuses études ont été menées pour comprendre la nature de cette comorbidité et l’influence réciproque de ces deux troubles. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer cette comorbidité, allant de la confusion diagnostique entre les deux troubles à la diathèse commune ou les deux troubles seraient issus d’un même pattern. 11 I. LES TROUBLES DE L’HUMEUR A. QU’EST-CE-QU’UN SYNDROME DEPRESSIF ? 1. LA DEFINITION Selon l’EMC définition (Encyclopédie « classique » que Médico nous Chirurgicale)(10) en avons en qui correspond France, un à la syndrome dépressif réalise l’association clinique, à des degrés variables d’intensité et de fréquence , de symptômes émanant de perturbations émotionnelles, psychomotrices, conatifs, cognitives et végétatives caractéristiques . 2. LA SEMIOLOGIE D’UN SYNDROME DEPRESSIF a. L’humeur dépressive Lorsqu’elle est présente, elle constitue le trouble émotionnel le plus saillant du syndrome. Elle est généralement dépeinte comme un sentiment mal explicable, tranchant avec le vécu habituel, de tristesse , d’abattement, de désespoir, de découragement, qui par son intensité émotionnelle et sa permanence atteint la proportion d’une douleur morale lancinante. Cette humeur dépressive si particulière n’est cependant pas constante. Elle n’est pas indispensable pour établir le diagnostic de dépression. Peuvent la remplacer la dysphorie , humeur instable et irascible , entrecoupée de colères agressives soudaines, ici aussi inhabituelle, disproportionné et anormalement durable, qui va de paire avec un sentiment de lassitude, de désintérêt généralisé, insuffisance et à un d’émoussement degré de affectif. Celui-ci une indifférence, plus réalise une émotionnelle généralisée qui est typiquement vécue dans une conscience aigue mais impuissante de n’être plus capable de ressentir du plaisir dans les activités ou les situations habituellement agréables : c’est l’anhédonie dépressive. 12 Atteignant la capacité d’éprouver les sentiments affectueux normalement déclenché par les êtres chers : c’est l’anhédonie affective. Parfois au contraire s’observe une hyperthymie douloureuse : hypersensibilité maladive aux plus simples désagréments. Autre particularité sémiologique de cette humeur pathologique, sa labilité. L’humeur tend à fluctuer dans le temps. b. Les symptômes psychomoteurs Ils témoignent d’un ralentissement moteur et psychique globale. Tout dans l’attitude du sujet paraît lent, dénué de vivacité. La pensée a quelque chose de laborieux et d’appauvri. c. Les troubles conatifs On peut regrouper sous cette dénomination tout un ensemble de symptômes procédant d’une diminution des capacités d’effort et d’initiative, d’un fléchissement des tendances à agir et de la volonté. d. Les troubles cognitifs Le flux idéique, la concentration, l’attention, la mémoire sont diminués. Il existe des sentiments d’infériorité, de déchéance, d’impuissance de perte de l’estime de soi, d’autodépréciation. e. Les signes végétatifs Les signes constants. de Leur perturbations variabilité somatiques nycthémérale fluctuations de l’humeur. Ceux-ci comportent : - asthénie - Troubles du sommeil induits est par la coutumière, dépression à l’instar sont des 13 - Perturbation de l’appétit - Troubles sexuels - Troubles digestifs - Troubles urinaires - Troubles cardiovasculaires - Troubles neuromusculaires f. La critériologie du DSM IV Selon les critères du DSM IV, qui correspond à la définition américaine et qui a largement classification inspiré la internationale définition des qu’en maladies fait (CIM l’OMS 10), un dans la dixième épisode dépressif majeur se caractérise par : A. au moins 5 des symptômes suivants doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée de deux semaines et avoir représenté antérieur ; un au changement moins un des par rapport symptômes au est fonctionnement soit une humeur toute la journée, dépressive soit une perte d’intérêt ou de plaisir. 1. humeur dépressive présente pratiquement presque tous les jours, signalé par le sujet ou son entourage 2. diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours 3. perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime, ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours 4. insomnie ou hypersomnie presque tous les jours 5. agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les excessive ou jours 6. fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours 7. sentiment de dévalorisation inapproprié presque tous les jours ou de culpabilité 14 8. diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours 9. pensées de mort récurrentes, idée suicidaires récurrente sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider. B. les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte C. les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants D. les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale E. les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil B. QU’EST-CE QU’UN SYNDROME MANIAQUE ? 1. LA DEFINITION L’accès maniaque typique est en quelque sorte l’envers de la crise dépressive. Il est très polymorphe d’un sujet à l’autre. Ses composantes sémiologiques principales sont d’ordre thymique, cognitif et moteur. Par définition c’est un état d’excitation psychique caractérisé par une exaltation de l’humeur, un déchaînement des pulsions instinctivo-affectives, accélération psychomotrice et une méconnaissance des troubles. une 15 2. SEMIOLOGIE D’UN SYNDROME MANIAQUE a. L’altération de l’humeur Celle-ci se manifeste pathologique, l’ensemble une des démonstration par une exubérance troubles débordante. sont empathique, hyperthymie expansive, L’instabilité, caractéristiques. excessive, du A bien une la variabilité l’arrière être et euphorie plan de la de de la joie se perçoivent des affects inquiets, angoissés sinon dépressifs, vite ressaisis et annulé. b. L’altération cognitive L’attention non est superficielle, discriminatives ; les chaque représentations sollicitation mentales idéique sont s’impose immédiates comme seule pertinente. Tous ces phénomènes de l’ordre de la tachypsychie, témoignent de la fuite des idées. Le sujet est logorrhéique, sautant du coq à l’âne. c. Les troubles moteurs L’agitation motrice est la traduction, au niveau gestuel et moteur, de l’excitation psychique. Le maniaque à besoin de bouger ; il ne tient pas en place. d. Les perturbations somatiques Ce sont les corrélats de l’excitation et de l’agitation pathologiques. L’insomnie est de règle et de nombreuses heures sans repos ni sommeil n’entraînent l’accès. aucun ralentissement. L’amaigrissement est habituel pendant 16 e. La critériologie du DSM IV Selon les critères du DSM IV un épisode maniaque se caractérise par : A. Une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est élevée de façon anormale et persistante, pendant au moins une semaine (ou toute autre durée si une hospitalisation est nécessaire). B. Au cours de cette période de perturbation de l’humeur, au moins 3 des symptômes suivants (4 si l’humeur est seulement irritable) ont persisté avec une intensité suffisante : (1) augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur (2) réduction du besoin de sommeil (3) plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler constamment (4) fuite des idées ou sensation subjective que les pensées défilent (5) distractibilité (6) augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice (7) engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé de conséquences dommageables C. QU’EST CE QUE LA MALADIE MANIACO DEPRESSIVE ? 1. LA DEFINITION Autonomisé en 1899 par KRAEPELIN, le cadre de la folie Maniaco Dépressive a été rapidement adopté par la communauté psychiatrique internationale qui préféra cependant le désigner par le terme de Psychose Maniaco Dépressive, longtemps utilisée cette dénomination a été progressivement abandonnée au profit de deux 17 termes, celui de Maladie Maniaco Dépressive et celui de trouble bipolaire. La diffusion du terme de Maladie Maniaco Dépressive équivaut aujourd’hui à celui de Maladie Bipolaire. Le terme de trouble bipolaire apparaît comme plus restrictif que celui de maladie. Le spectre maniaco dépressif est constitué de l’ensemble des troubles constituant la Maladie Bipolaire, qu’il s’agisse de son noyau ( troubles bipolaire I et II ) ou des formes apparentées. La plupart des composantes du spectre sont caractérisées par la présence de traits ou de symptômes appartenant au registre maniaque et s’ordonnent ainsi : - personnalité cyclothymique et hyperthymique - trouble cyclothymique - trouble bipolaire II - manie unipolaire - trouble bipolaire I La Psychose Maniaco Dépressive (PMD) ou Maladie Maniaco-Dépressive (MMD) avec récurrence cyclique d’épisodes thymiques reste le modèle central des troubles de l’humeur. Au sein de cette entité, on distingue deux grandes catégories de troubles : les troubles bipolaires (BP), caractérisés par l’existence d’épisodes maniaques (qu’il y ait ou non phases dépressives) et les troubles unipolaires (UP) où l’on observe que les manifestations dépressives. Ces deux formes renferment ellesmêmes plusieurs variantes. Elles diffèrent au niveau de l’hérédité, de l’âge de survenue des premiers troubles, de la sémiologie des accès thymiques, de la personnalité inter critique et de la réponse thérapeutique. On les sub-divise en plusieurs sous types : - pour le trouble bipolaire : type I, II III etc… - pour les troubles unipolaires : sporadique, familiale pure et spectre de la dépression. 18 2. LE TROUBLE BIPOLAIRE a. Le trouble bipolaire de type I (BP I) Il s’agit de la forme classique de la psychose maniaco dépressive. Ce trouble évolue avec une alternance d’épisodes dépressifs et maniaques, séparés par des intervalles libres. La critériologie du DSM IV distingue six séries de critères pour le trouble bipolaire I : - Episode maniaque isolé - Episode le plus récent hypomaniaque - Episode le plus récent maniaque - Episode le plus récent mixte - Episode le plus récent dépressif - Episode le plus récent non spécifié b. Le trouble bipolaire de type II (BP II) Il est caractérisé par la survenue d’une dépression suivie par des épisodes hypomaniaques. Certains cas évoluent vers un épisode maniaque grave, devenant ainsi des bipolaires I. La sémiologie de l’hypomanie est très proche de celle de la manie, la frontière entre les deux catégories diagnostiques étant essentiellement tracée à partir des différences d’intensité symptomatique. Ainsi, selon les critères suffisante du DSM-IV pour de l’hypomanie, « la entraîner une sévérité altération de marquée l’épisode du n’est pas fonctionnement professionnel ou social, ou pour nécessiter l’hospitalisation, et il n’existe pas de caractéristiques psychotiques. » Selon les Critère du DSM IV, un trouble BP II se caractérise par : 19 A. présence (ou antécédent) d’un ou de plusieurs épisodes dépressifs majeurs B. présence (ou antécédent) d’au moins un épisode hypomaniaque C. il n’a jamais existé d’épisode maniaque ni d’épisode mixte D. les symptômes thymiques évoqués aux critères A et B ne sont pas mieux expliqués par un trouble schizo-affectif et ne sont pas surajouté à une schizophrénie, un trouble schizophréniforme, un trouble délirant, ou un trouble psychotique non spécifié E. les symptômes entraînent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines importants c. Le trouble bipolaire type III (BP III) Ce concept désigne souvent les dépressions récurrentes survenant dans les familles de bipolaires. d. Le trouble unipolaire Il s’agit d’épisodes dépressifs récurrents sans antécédents maniaques ou hypomaniaques. e. La prévalence La prévalence du trouble bipolaire est assez homogène dans la littérature internationale (entre 0,5 et 1%). Par ailleurs, l’introduction d’une séparation entre les troubles bipolaires de type I ou II dans le DSM IV a amené à reconcevoir les résultats de l’étude ECA. Cette nouvelle analyse retrouve 0,8 % pour les bipolaire I et 0,5% pour les bipolaires II en prévalence sur la vie (35) 20 II. LA CONSOMMATION ABUSIVE DE SUBSTANCES A. QUELQUES DEFINITIONS SEMANTIQUES 1. L’USAGE Toute conduite d’alcoolisation ne posant pas de problème pour autant que la consommation reste modérée, c' est-à-dire inférieure ou égale au seuil de risque défini par l’OMS et prise en dehors de toute situation à risque ou de risque individuel L’usage peut être expérimentale, occasionnel, ponctuel, intermittent, périodique, régulier ou continu etc. Aucun substantif ne désigne actuellement le sujet dont la conduite envers l’alcool est l’usage. Le terme de « consommateur modéré » peut être proposé ici. 2. L’ABUS L’emploi de ce terme est à éviter en français pour tout ce qui concerne les conduites pathologiques d’alcoolisation ; en effet : - ce terme comporte dans acceptation actuelle en français une connotation péjorative liée à l’ivresse ; - dans les discours juridiques et médicaux, spécialisés ou non, son emploi est également mal défini sauf par l’ajout d’un qualitatif ; - il est souvent utilisé pour banaliser la conduite d’alcoolisation ; - son emploi dans le domaine des problèmes liés aux consommations de substances psychoactives est également devenu ambigu : le terme perd en effet sa connotation française d’alcoolisation aigue pour acquérir celle de l’anglais abuse qui désigne un excès chronique. 21 3. LA DEPENDANCE La définition générale de la dépendance pharmacologique donné par l’OMS en 1975 est : « la dépendance est un état psychique et parfois physique résultant de l’interaction entre un organisme vivant et une substance se caractérisant par des réactions comportementales ou autres qui comprennent toujours un besoin compulsif de consommer la drogue de façon continue ou périodique afin d’en retrouver les effets psychique et parfois d’éviter le malaise et la privation. Cet état peut s’accompagner ou non de tolérance. Dans le domaine des problèmes liés aux consommations de substances psychoactives ce terme renvoie aujourd’hui au DSM IV qui l’emploie dans sa traduction française pour désigner la catégorie désigner ici comme « usage nocif ». Les données épidémiologiques anglo-saxonnes indiquent que 12.5% des hommes de la population générale et 6.4% des femmes ont rempli les critères d’abus d’alcool et 20.1% des hommes ainsi que 8.2% des femmes ont, quant à eux, rempli les critères de dépendance à l’alcool au cours de leur vie (2) En ce qui concerne l’abus de substances dites illicites, la prévalence au cours de la vie chez les anglo-saxons est estimée à 5.4% chez les hommes et 3.5% chez les femmes. Pour ce qui est de la dépendance, ces valeurs sont estimées 9.2% chez les hommes et 5.9% chez les femmes. Si l’on considère l’ensemble de ces données, les troubles liés à la consommation de substances psychoactives sont les troubles psychiatriques les plus fréquents aux Etats-Unis (2). B. LA CONSOMMATION D’ALCOOL 1. LE PRODUIT C’est l’ingestion d’alcool éthylique. L’alcool éthylique ou éthanol (C2H5OH) est un alcool de faible poids moléculaire (PM=46), soluble dans l’eau, inflammable et agressif pour les muqueuses. Il ne peut 22 être consommé que dilué sous forme de boissons alcooliques. Une boisson alcoolique est définie par son degrés alcoolique qui est le pourcentage en degrés d’alcool. Le poids spécifique de l’alcool est de 0.8. A titre d’exemple, un litre de bière à 6 degrés contient 60 ml ou 48 g d’alcool pur par litre. La consommation moyenne d’alcool pur par adulte et par an en France est de 10,9 litres. 2. L’ABUS D’ALCOOL L’abus d’alcool dans le DSM IV, encore appelé « utilisation nocive pour la santé » dans la CIM 10, n’est pas différencié de l’abus des autres substances psychoactives. L’alcoolisme partage ainsi les critères diagnostiques de toutes les toxicomanies. Les items proposés par le DSM IV sont : -usage mal adapté d’alcool provoquant es conséquences néfastes significatives, indiquées par au moins un des critères suivants sur une période de 12 mois : -utilisation continue à l’origine d’un problème persistant ou répété d’ordre professionnel, scolaire ou familial ; -usage répété dans des situations ou cet usage est physiquement dangereux -problèmes médicolégaux répétés -usage continu de l’alcool en dépit de difficultés persistantes ou répétées d’ordre sociale ou interpersonnel causés ou aggravés par l’alcool. -absence de critères de dépendance à l’égard de l’alcool. 3. SYNDROME DE DEPENDANCE a. Définition de Fouquet (1951) Selon Fouquet, l’alcoolisme est caractérisé par « la perte de la liberté de s’abstenir de boire de l’alcool ».( alcoolisme étant à entendre ici comme alcoolo dépendance) b. Critériologie selon l’OMS Symptôme d’altération du comportement vis-à-vis de l’alcool 23 - « manière » de boire non conforme aux habitudes du milieu culturel. Dans les pays très tolérants aux larges consommations, il est relativement facile pour l’individu de s’acheminer vers un état de dépendance sans que sa façon de boire paraisse manifestement anormale - moindre variabilité des habitudes de l’individu en matière de consommation d’alcool. Le régime quotidien qu’adopte un individu dépendant est typiquement celui qui assure le maintien dans son organisme d’un niveau relativement élevé d’alcoolémie pendant toute la période de veille et qui évite l’état de sevrage. - Acquisition d’une résistance aux renforcements négatifs de l’alcoolisation. Le sujet dépendant continue de boire de la même façon malgré des conséquences fâcheuses directes telles que des troubles physiques, rejet par sa famille, difficultés financières et sanctions pénales. Symptômes d’altération de l’état subjectif - l’impossibilité de maîtriser sa consommation, empêche le sujet dépendant, malgré son désir, de maintenir sa consommation à un niveau acceptable. - Le désir obsédant de boire peut être lié aux effets du sevrage ou à des facteurs psychoaffectifs. Symptômes d’altération de l’état psychobiologique - symptôme de sevrage, pouvant apparaître lors du sevrage total ou lorsque la concentration sanguine d’alcool baisse. - ingestion volontaire d’alcool pour atténuer le malaise de sevrage c. Critériologie du DSM IV L’usage inadapté de substances produisant des complications cliniquement significatives, se manifeste par 3 ou plus des éléments suivants présents à tout moment sur une période de 12 mois : - tolérance définie par l’un ou l’autre de critères ci-dessous : - besoin d’augmenter significativement les quantités d’alcool pour obtenir une intoxication ou l’effet recherché 24 - effet significativement diminué alors que l’alcool est consommé de manière continue en quantité stable - sevrage se manifestant par l’un ou l’autre des critères ci-dessous : - existence d’un syndrome de sevrage caractéristique - l’alcool est pris pour atténuer ou éviter les symptômes de sevrage - alcool souvent pris en quantité supérieure ou sur un laps de temps plus long que ce que la personne avait envisagé ; - désir persistant d’alcool ou existence de plusieurs efforts infructueux pour en réduire ou contrôler l’utilisation ; - temps considérable passé à faire le nécessaire pour se procurer de l’alcool, le consommer ou se remettre de ses effets ; - d’importantes activités sociales, occupationnelles ou de loisirs sont abandonnées ou réduites en raison de l’utilisation de l’alcool ; - la consommation est poursuivie en dépit de la connaissance de problèmes somatiques ou psychologiques, continus ou récurrents, provoqués ou aggravés par l’alcool La classification du DSM IV spécifie si la dépendance est associée à une dépendance physiologique ( signes de tolérance ou de sevrage ). d. Combinaison des systèmes DSM et CIM 10 La combinaison des deux principaux systèmes permet d’établir une liste de 11 items (dont six communs aux deux classifications). Ces items définissent les principales caractéristiques cliniques des conduites d’alcoolo dépendance : - besoin ou désir compulsif puissant de boire. - altération de la capacité de contrôle des consommations. - consommation de la substance toxique pour supprimer les symptômes de sevrage. - syndrome physiologique de sevrage. - tolérance ou nécessité d’augmenter les doses pour obtenir les effets produits au début par des doses faibles. - limitation des modes de consommations personnels. 25 - désinvestissement progressif des autres plaisirs ou intérêts au profit de la consommation de la substance toxique. - poursuite de la consommation malgré ses conséquences nocives. - temps important à se procurer la substance, à l’absorber. - fréquence des symptômes d’intoxication de sevrage. - la substance est souvent absorbée en plus grande quantité ou pendant des laps de temps plus longs que prévu. 4. EPIDEMIOLOGIE En France le nombre de buveurs excessifs est estimé entre 4 et 5 millions d’individus et le nombre de malades alcooliques dépendant est quant à lui de l’ordre de 2 millions. Cela représente 50000 décès par an soit la troisième cause de décès en France (d’après l’OFDT : Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanie en 1999). C. LA CONSOMMATION D’HEROINE 1. DEFINITION C’est un opiacé puissant obtenu a partir de la morphine. Les opiacés sont des substances naturelles contenus dans le latex recueilli sur une plante, le pavot, qui sert également a la fabrication de l’opium. L’héroïne provoque l’apaisement, l’euphorie et une sensation d’extase. Elle agit comme anxiolytique puissant et comme antidépresseur. 2. EPIDEMIOLOGIE L’estimation du nombre de consommateur régulier est de 140000 à 170000 en France ( ces chiffres sont calculés à partir de données indirectement liées à la consommation : interpellations, décès par surdose, demande de traitement…) 26 On estime que 1% des jeunes scolarisés de 15 à 19 ans ont consommé en France au moins une fois dans leur vie de l’héroïne (OFDT en 1999). D. LA CONSOMMATION DE COCAINE 1. DEFINITION Elle se présente sous la forme d’une fine poudre blanche, extraite des feuilles de cocaïers. Elle est prisée (la ligne est sniffée) également injecté par voie IV ou fumée. La cocaïne comme tout les psychoanaleptique provoque une phase d’excitation psychique et motrice intense avec logorrhée, hypervigilance, idées de grandeur, diminution de la sensation de fatigue psychique, euphorie et sensation de bien être. 2. EPIDEMIOLOGIE Un peu moins de 2% de jeunes scolarisés de 15 à 19 ans ont consommé au moins une fois dans leur vie en France (OFDT en 1999). Un peu plus de 2%des adultes de 18 à 44 ans ont consommé en France au moins une fois dans leur vie ( les consommations de drogues illicites sont probablement sous déclarées dans les enquêtes de sondage.) E. LA CONSOMMATION DE CANNABIS 1. DEFINITION Le cannabis est tiré d’une plante : le chanvre indien. Le principe actif du cannabis responsable des effets psychoactifs est le delta 9THC (tetrahydrocannabitol) inscrit sur la liste des stupéfiants. Sa concentration est très variable selon les préparations et la provenance du produit ( herbe, hachich, huile…) l’huile peut contenir jusqu’à 60% de THC, tandis que la marihuana en contient 0,2 à 7% et le haschich 5 à 12%. Le cannabis peut être ingéré sous forme de décoction ou mêlé à des gâteaux ; il est beaucoup plus souvent fumé, mélangé a du tabac ou a du crack dans certains pays. 27 2. EPIDEMIOLOGIE Chez les jeunes scolarisés de 15 à 19 ans : 32 % ont consommé en France au moins une fois dans l’année et 14% au moins 10 fois dans l‘année. Chez les adultes de 18 à 44 ans : 31 % ont consommé au moins une fois dans la vie et 11 % au moins une fois dans l’année (OFDT en 1999). F. LA CONSOMMATION D’AMPHETAMINES 1. DEFINITION Les amphétamines ont été synthétisées en 1887 mais elles n’ont commencé à être utilisées qu’à partir des années 1920 pour traiter les dépressions, la narcolepsie, les asthénies . Parmi les dérivés amphétaminiques certains sont uniquement stimulants (la pemoline par exemple) d’autres possèdent à la fois un pouvoir stimulant élevé et une activité anorexigène modéré (metanphetamine) d’autres sont stimulants et anorexigènes à part égale (amphétamine) ou encore anorexigène à dose faible et stimulants à doses élevées (amfepramone) enfin certains sont surtout anorexigènes (flenfuramine). Le plus récent des stimulants est la MDMA (methylene-dioxy-metamphétamine) ou ectasy. C’est une amphétamine, elle en a les effets à fortes doses mais à faibles doses ses effets psychiques la rapprochent des hallucinogènes. Les amphétamines provoquent des symptômes d’hyperactivité motrice et intellectuelle, ou les idées délirantes ne sont pas rares (hallucination « effet parano » interprétation à thématique de persécution) Cette première phase est suivie fréquemment d’une phase dépressive. 2. EPIDEMIOLOGIE Chez les jeunes scolarisés de 15 à 19 ans : un peu plus de 2% ont consommé en France au moins une fois dans la vie. 28 Chez les adultes de 18 à 44 ans : 0,3% on consommé en France au moins une fois dans la vie (OFDT en 1999). III. RELATION ENTRE LES TROUBLES BIPOLAIRES ET LA CONSOMMATION ABUSIVE DE SUBSTANCES Parmi les troubles psychiatriques très souvent rencontrés chez les sujets présentant une conduite addictive, les troubles du spectre bipolaire occupent une place centrale autant sur le plan clinique que sur le plan heuristique. De nombreuses études épidémiologiques font apparaître une comorbidité importante entre les troubles du spectre bipolaire et les troubles addictifs (abus et dépendance). Ainsi certaines études ont tenté d’expliquer la nature de cette comorbidité et l’influence réciproque de ces pathologies sur leur déclenchement, leur évolution, leur traitement et leur pronostic. Aucune étude n’a suffisamment éclairci la nature de cette comorbidité mais la confirmation par les épidémiologistes de l’importance de cette comorbidité voir de cette co occurrence dans de grandes enquêtes en population générale a conduit les chercheurs à élaborer des théories explicatives susceptibles d’élucider les raisons de cette fréquence. Dans un premier temps nous allons décrire la fréquence des deux troubles à partir de différentes études épidémiologiques effectuées en population générale et en population clinique. Concernant cette dernière nous différencierons les études prenant comme population cible les sujets bipolaires de celles prenant pour cible les patients addictifs (ou addictes). Puis après avoir recensé les différents produits de consommations utilisés par les bipolaires nous résumerons les différentes hypothèses proposées dans la littérature tentant d’expliquer cette comorbidité et cette co-occurrence. Parmi les comorbidités psychopathologiques rencontrées dans le cadre des troubles bipolaires, les troubles addictifs sont les plus représentés (1,6) 29 C’est à la suite de la publication de deux grandes études épidémiologiques américaines (22,35) effectuées en population générale, que la comorbidité entre les troubles bipolaires et les troubles addictifs est apparues comme très fréquente. Les données issues de l’enquête NCS (National Comorbidity Study) aux Etats Unies en 1991 (22) indiquent que 41 à 65 % des individus présentant un trouble addictif ont eu un trouble anxio-affectif à un moment donné de leur vie. Par ailleurs 50 % de sujets présentant un trouble anxio-affectif ont à un moment donné de leur vie remplie les critères d’un trouble addictif. De plus on note que les troubles bipolaires sont de tous les troubles répertoriés dans l’axe I du DSM IV, le plus fréquemment associés avec un trouble addictif. D’après l’étude ECA (Epidemiological Catchment Area Study) (35,36) 60 % des bipolaires I ont eu à un moment donné de leur vie un trouble addictif (46% alcool et 40 % substance illicite), et 48% des bipolaires II (39 % alcool, 21% substance illicite). Le trouble BP I « co-occure » plus fréquemment avec un trouble addictif que les BP II, on retrouve cette notion dans une étude plus récente de Chengappa en 2000 (12). Ces données sont en accord avec celles de l’étude NCS, à savoir la comorbidité addictive chez les bipolaires est beaucoup plus fréquente que la prévalence des troubles addictifs en population générale. Les données issues des populations en quête de traitement vont dans le même sens. Comme le rappel Sonne (40), les études cliniques se différencient en ce qu’elles ciblent les populations selon leur motif de consultation, que ce soit pour un trouble bipolaire ou pour un trouble lié à l’usage de substances (ou trouble addictif). Les études prenant pour cible les bipolaires sont nombreuses, et montrent toutes une comorbidité avec les troubles addictifs très fréquente, variant de 20 % à 40 % environ. (6,17,24,49). Ces résultats sont deux fois moins importants que la prévalence évaluée en population générale. La différence de ces résultats a le plus souvent été expliquée par la similitude de certains symptômes communs aux deux troubles. En effet, les symptômes dépressifs sont fréquemment associés au syndrome de manque chez les « addicts » lors du sevrage, et des traits hypomanes sont retrouvés chez les consommateurs de psychostimulants. C’est pourquoi, au plan clinique, il est recommandé d’attendre un délai moyen de trois semaines après sevrage chez un addicte pour éventuellement poser un diagnostic de trouble 30 thymique. En revanche, les symptômes d’allure maniaque s’amendent beaucoup plus rapidement après l’arrêt de la prise de substance (moins de 7 jours) (34,40) Une autre explication est la nature rétrospective des évaluations et l’absence de prise en compte de la totalité du spectre bipolaire. Par ailleurs les terminologies utilisées dans les publications ne permettent pas toujours de différencier au sein des troubles addictifs, les abuseurs des dépendants. Les études évaluant la prévalence des troubles liés aux conduites addictives chez les populations porteuses d’un trouble bipolaire en quête de traitement, retrouvent donc une forte comorbidité. Reich et al (1974) (37) ont mené une étude rétrospective sur 65 patients porteurs d’un trouble bipolaire et ils ont ainsi constaté que 31% d’entre eux avaient une histoire de consommation excessive d’alcool. El Guebali et al (1975) (16) ont rapporté une prévalence de 21% de sujets abusant d’alcool ou de drogues illicites parmi 110 patients bipolaires. Strakowski et al (1998) (43) ont suivi 77 patients bipolaires pendant un an après une première hospitalisation en psychiatrie pour évaluer leur comorbidité psychiatrique. Ils ont noté que 45% d’entre eux avaient présenté un trouble lié à la consommation de drogues avec 74% remplissant les critères pour un abus ou une dépendance à l’alcool. Une étude récente de McElroy et al (2001) (24), fait apparaître dans une cohorte de 288 patients bipolaires I et II les prévalences suivantes : 42% de troubles addictifs (abus et/ou dépendance), 42% de troubles anxieux et 5% de troubles des conduites alimentaires et ce sans différences entre les BP I et les BP II. Concernant la recherche de troubles bipolaires dans la population clinique en quête de traitement pour l’utilisation de substances, la prévalence va de 2 à 30% en fonction des échantillons étudiés et des critères diagnostiques retenus, or on note que la prévalence du trouble bipolaire dans la population générale américaine par exemple est estimée à 1,2%. Mirin et al (1991) (27) ont recueilli les donnés sur une période de dix ans de 350 sujets dépendants de drogues et qui ont été hospitalisé pendant une certaine période. Ils ont noté une prévalence de 4% de troubles bipolaires et 5,7% de cyclothymie. La cooccurrence des 2 troubles addictifs et thymiques (bipolaire et cyclothymique) étant significativement plus fréquente chez les sujets consommateurs de stimulants (17 ,5%) que chez les sujets consommateurs d’hypnotiques (6,8%) ou d’opiacés (5,4%). Les patients consommateurs de cocaïne 31 semblant plus fréquemment porteurs d’un trouble affectif appartenant au spectre bipolaire. Pour exemple Nunes et al (1989) (30) ont montré une prévalence de 30% d’un trouble du spectre bipolaire sur la vie entière d’un groupe de 30 patients traités pour consommation excessive de cocaïne. De leur côté Weiss et al (1986) (47) ont également conduit une étude chez 30 cocaïnomanes où ils ont retrouvé 23% de sujets avec un trouble thymique du spectre bipolaire. Dans une étude plus large concernant 149 patients Weiss et al (1988) (48) ont constaté une plus grande fréquence de trouble bipolaire et plus particulièrement du trouble cyclothymique chez les cocaïnomanes que chez les sujets consommant d’autres drogues. Gawin et Kleber (1986) (18) ont également retrouvé un pourcentage élevé (20%) de trouble affectif du spectre bipolaire chez les cocaïnomanes. Hesselbrock et al (1985) (20) ont mené une étude sur 321 sujets alcoolo-dépendants hospitalisée et ont constaté que 2% de ces patients présentaient un état maniaque. Lydiard et al (1987) (23) ont mené une étude sur 49 sujets alcoolo dépendants et ont retrouvé 4% de trouble bipolaires. Ross et al (1988) (38) ont retrouvé un pourcentage de 1,9 % de manie chez 501 patients suivis pour un trouble lié à la consommation de drogues illicites ou d’alcool. Ces données montrent bien que la prévalence du trouble bipolaire est bien plus élevée chez les populations ayant une consommation abusive de substances psycho actives que dans la population générale. Elle l’est plus fréquemment chez les cocaïnomanes (16 à 31%) que chez les alcooliques (2 à 10%). Ce pourcentage plus faible pourrait en partie s’expliquer par l’absence de prise en compte de la totalité du spectre bipolaire. L’existence d’un trouble addictif chez un sujet bipolaire a un impact important sur l’évolution du trouble de l’humeur. Plusieurs études ont montré que la présence d’une conduite d’alcoolisation aggravait l’évolution d’un trouble de l’humeur (5,9,29,39,43,45). Les accès maniaques ou dépressifs apparaissent plus précocement (2,41) et plus souvent (19) chez les bipolaires « addicts ». Les cycles se font plus rapides (17). Ces épisodes plus fréquents conduisent à une augmentation du nombre d’hospitalisations et un prolongation de leur durée (3,35). 32 La fréquence des suicides est augmentée chez les patients bipolaires chez qui la conduite addictive a compliqué l’existence du trouble thymique apparu primitivement (46). D’une manière générale, les patients bipolaires présentant une conduite de dépendance sont plus difficile à stabiliser sur le plan thymique (21,41,43) que ceux qui n’ont pas de conduites addictives et les périodes de rémission totale sont plus courtes (45). Néanmoins, les conduites addictives chez les sujets bipolaires semblent pouvoir être accompagnées de bénéfices selon certains. Ainsi une conduite d’alcoolisation excessive semble améliorer le fonctionnement de sujets bipolaires (31) et un usage de cocaïne a été retrouvé lié à un nombre inférieur d’hospitalisés pour des troubles bipolaires. Lorsqu’il apparaît secondairement à la maladie bipolaire, le trouble addictif (notamment alcoolique) semble de meilleur pronostic. Ainsi, certains auteurs (19,49,50) ont montré que le pronostic d’abstinence des patients bipolaires alcooliques était meilleur que celui de sujets porteur d’une dépression unipolaire. De nombreuses études se sont intéressées à la séquence d’apparition des troubles entre la maladie bipolaire et la consommation abusive de substances. Dans une étude prospective sur 5 ans, Winokur et al (50) ont séparé les patients bipolaires alcooliques en deux groupes en fonction de la séquence d’apparition des troubles. Ils ont ainsi distingué les bipolaires alcooliques primaires et les bipolaires alcooliques secondaires. Les patients ayant un alcoolisme primaire avaient présenté significativement moins d’épisodes thymiques sur la période de suivi que les patients avec un alcoolisme secondaire. Feinman et Dunner (17) ont mené une étude rétrospective sur 188 patients bipolaires divisés en trois groupes : un groupe ne consommant pas de substances psycho actives, un groupe dont la consommation de substances psycho actives a précédé le maladie bipolaire et un troisième groupe dont l’apparition de la maladie bipolaire a précédé la consommation de drogues. Les deux derniers groupes dont les sujets consommaient des substances psycho actives en excès présentaient plus de symptômes anxieux et des cycles thymiques plus rapides. Le groupe ayant débuté sa maladie bipolaire en premier avaient plus de tentative de suicides et un âge de début de maladie plus précoce. Ces résultats suggèrent que parmis les individus présentant une comorbidité entre troubles bipolaires et conduites addictives, les sujets, dont le trouble bipolaire est primaire, ont 33 probablement une forme plus sévère de maladie bipolaire et la consommation de substances peut être plus directement liée aux épisodes thymiques. Pour les sujets dont la consommation abusive de substances a précédé la maladie bipolaire, cette dernière semble moins sévère et semble nécessiter la présence de cette consommation pour être manifeste (44). De nombreuses hypothèses ont été avancées pour expliquer la forte association entre les troubles bipolaires et les troubles addictifs. Nous allons présenter les hypothèses expliquant cette comorbidité en résumant les différentes possibilités avancées par Sonne Meyer et Strakowski (26,40,42). Une des possibilités est la confusion diagnostic (40). Il est possible que ces deux troubles soient totalement indépendants étant donnée la grande importance des symptômes communs. En effet bon nombre d’erreurs ou de confusions diagnostiques peuvent être attribuées aux nombreux symptômes similaires liés à l’intoxication aigue ou au syndrome de sevrage d’une substance. Ainsi l’intoxication aigue de drogue peut prendre l’allure ou exacerber un état dépressif ou maniaque. Pour exemple, les troubles cognitifs, les troubles du sommeil ou même les idées délirantes peuvent à la fois entrer dans le cadre d’une intoxication aigue de drogue et dans le cadre d’un trouble thymique. De même le sevrage d’alcool ou de drogue peut s’accompagner d’une symptomatologie dépressive majeure. Plusieurs études concernant le suivi de sujets alcoolo dépendants dans les 28 premiers jours de sevrage ont montré la fréquence des symptômes dépressifs et leur disparition sur une période de 21 jours (8). Les troubles bipolaires sont, par exemple, deux fois plus fréquents avant qu’après le sevrage de la substance psycho active (13). Par ailleurs Chen et al (11) ont évalué la stabilité du diagnostic de trouble Bipolaire à travers le temps chez un groupe de 235 sujets qui avaient été hospitalisés au moins quatre fois sur une période de 7 ans. Ils ont constaté que 68 sujets (28,9%) « Étiquetés trouble bipolaire » au départ, avaient un diagnostic psychiatrique différent au cours de la dernière hospitalisation. Les patients présentant une comorbidité addictive étaient ceux dont le diagnostic initial a été le plus souvent remis en cause. Les auteurs ont conclu d’après les données de l’échantillon étudié, que la consommation abusive de substances peut être à l’origine de changements de comportement menant à un diagnostic erroné de trouble bipolaire. 34 Ainsi des erreurs diagnostics sont possibles dans le sens d’une surestimation de la comorbidité entre ces deux troubles. Une autre hypothèse avancée est que l’existence d’un trouble bipolaire pourrait rendre les individus plus vulnérables à l’émergence d’une consommation abusive de substances (40,6). Ainsi des traits propres au trouble bipolaire tel que l’impulsivité et l’altération du jugement favoriseraient le recours a une consommation excessive d’alcool ou de substances illicites. Les sentiments de grandeurs et d’invulnérabilité accompagnent souvent les états maniaques ou hypomaniaques, ce qui peut amener les individus a reconsommer et a rechuter du fait de leur grande confiance en euxmêmes, alors qu’ils tentaient de contrôler ou de s’abstenir de toute consommation de drogue ou d’alcool. En ce qui concerne les cocaÏnomanes, ils « s’automédiquent » souvent pour traiter une symptomatologie dépressive ou accroître une symptomatologie maniaque ou hypomaniaque (47). Par ailleurs il est possible que la consommation abusive et chronique de substances puisse révéler un trouble affectif chez des sujets vulnérables, qui ne se serait pas manifesté cliniquement sans cela.(49,50,14) Une autre hypothèse soutient l’idée que le trouble bipolaire et la consommation abusive de substances sont deux troubles sous tendus par des patterns communs ou une diathèse commune. Ainsi l’existence de facteurs génétiques communs à ces deux troubles à été avancée (28,25). Winokur (1995) a montré que les patients bipolaires avec ou sans dépendance à l’alcool ne diffèrent pas dans leur histoire familiale de consommations d’alcool ou de troubles de l’humeur (50,52). Les auteurs interprètent cela comme la preuve que ces deux troubles ne sont pas transmis indépendamment l’un de l’autre. Il a également suggéré dans une étude qu’un alcoolisme familial pouvait contribuer a rendre plus vulnérable les individus vis-à-vis d’un trouble bipolaire (51). Une autre hypothèse expliquant cette forte comorbidité est la théorie de la sensibilisation neuronale et du «Kindling » (7,33) (ou embrasement limbique). Il est 35 admis que le trouble bipolaire est en relation avec un phénomène de sensibilisation neuronale du fait de l’évolution cyclique de la maladie caractérisée par des exacerbations symptomatiques entrecoupées de périodes de rémission entre les différents épisodes (32). Etant donné que la consommation d’alcool et de cocaïne est associée à une sensibilisation neuronale et que l’évolution du trouble bipolaire est aussi associée à une sensibilisation neuronale, il est possible que ce mécanisme commun soit à l’origine de la comorbidité entre ces deux troubles. De plus l’alcool et la cocaïne sont les deux produits les plus utilisés par les malades bipolaires (4). Par ailleurs la carbamazepine et le valproate de sodium sont deux antiépileptiques qui ont une action « anti kindling» et qui sont efficaces dans le traitement des états maniaques aigus. Si la sensibilisation neuronale est une des conséquences de la consommation de substance (cocaïne ou alcool) et que ce phénomène neurophysiologique est important dans la physiopathologie des troubles bipolaires, ceci expliquerait l’efficacité des molécules à action anti épileptique chez les patients porteurs d’un trouble bipolaire associé a la consommation d’une substance psycho active. On pourrait également utiliser ces agents anti-épileptiques dans le traitement du syndrome de sevrage d’alcool et ce particulièrement chez les sujets bipolaires. 36 IV. MATERIEL ET METHODE Ce travail a été réalisé par les équipes parisiennes et bordelaises de recherche sur les troubles bipolaires sous la direction du Pr Marion LEBOYER Les patients inclus dans cet étude présentaient un diagnostic de trouble bipolaire I ou II posé cliniquement et confirmé d’un point de vue psychométrique . Ils ont été recrutés dans les départements psychiatriques de 2 centres hospitaliers : l’hôpital La Salpetrière à Paris et l’hôpital Charles Perrens à Bordeaux. Tous les patients ont été hospitalisés et furent informés par écrit de leur participation à l’étude. Les patients ont été interrogés par des psychiatres formés à la version française du DIGS (Diagnostic Interview For Genetics Studies) qui est un entretien semi-structuré construit essentiellement à partir et pour les études d’épidémiologie génétique. Toutes les analyses statistiques ont été réalisées avec le STATVIEW version 5-0-1. Les variables catégorielles sont comparées en utilisant un test de chi 2 ou un test de probabilité de Fischer. Les variables continues sont comparées en utilisant l’analyse multi variée de régression logistique qui a été appliquée pour déterminer la puissance de l’association entre les différentes variables sélectionnées par l’analyse uni variée. 37 V. RESULTATS A. TABLEAU I : CARACTERISATION DE L’ECHANTILLON Tout les patients (N=311) avec un trouble BP Sexe ratio (n / %) : Hommes (n/%) Femmes (n/%) 127 184 40,84 59,16 Bipolaire type (n / %) : BP1 (n/%) BP2 (n/%) 229 82 73,63 26,37 26,6 29,4 11,6 11,3 26,6 11,6 Type de début : (n / %) Aigue Chronique Inconnu 231 76 4 74,28 24,44 1,29 Type du premier épisode (n / %) : Manie Dépression Hypomanie Mixte Inconnu 60 198 45 2 6 19,29 63,67 14,47 0,64 1,92 Nombre d’épisode thymique (Moyenne +/SD) Manie Dépression 2,3 4,01 2,8 3,7 Cycle rapide (n / %) : Avec Sans Inconnu 27 276 8 8,68 88,75 2,57 Episode mixte (n / %) : Avec Sans Inconnu 51 225 35 16,4 72,35 11,25 Episode psychotique (n / %) : Avec Sans Inconnu 170 137 4 54,66 44,05 1,29 Age de début : (Moyenne d’age+/- SD) Premier épisode thymique Premier traitement pour un épisode affectif Première hospitalisation pour un épisode thymique 38 Episode maniaque induit par les atd (n / %) Avec Sans Inconnu 102 189 20 32,8 63,67 6,43 Hospitalisations (Moyenne +/- SD) : Nombre Total de semaines d’hospitalisation 4,5 19,6 4,8 3,6 Réponse au lithium (n / %) : Positive Négative Sans lithium Inconnu 92 44 145 40 29,58 14,15 46,62 12,86 tempérament prémorbide(n / %) : Irritable Cyclothymique Dépressif Hyperthymique Sans Inconnu 2 25 30 81 64 109 0,64 8,04 9,65 26,05 20,58 35,05 Histoire familiale (n / %) : Avec Sans 129 202 41,48 58,52 ( SD= derivation standard) L’échantillon présente 311 patients, dont 127 hommes et 184 femmes. 229 patients ont un Trouble Bipolaire I et 82 un Trouble Bipolaire II. La moyenne d’âge du premier épisode thymique est de 26,6 ans +/- 11,6. La moyenne d’âge du premier traitement pour un épisode affectif est de 29,4 +/- 11,3 ; et la moyenne d’âge de la première hospitalisation pour un épisode thymique est de 26,6 +/- 11,6. Lors de la survenue du premier épisode, 60 patients présentaient un état maniaque, 198 un état dépressif, 45 une hypomanie, et 2 un état mixte. 231 patients sont entrés dans la maladie par épisode aigue et 76 par un épisode chronique et la moyenne du nombre d’épisode maniaque, sur la vie entière est de 2,3, et la moyenne d’épisode dépressif est de 4,01. 27 patients ont présenté un cycle rapide, 51 un état mixte, 170 un épisode psychotique et 102 ont déclaré un épisode maniaque induit par les antidépresseurs. La moyenne du nombre d’hospitalisation est de 4,5 et la somme totale de semaines d’hospitalisations est de 19,6. 39 Sur 136 patients traité par lithium : 92 ont présenté une réponse positive au traitement par lithium contre 44 une réponse négative. En ce qui concerne le tempérament pré morbide, 2 patients présentaient un caractère irritable, 25 un tempérament cyclothymique, 30 un tempérament dépressif, 81 un tempérament hyperthyroïdien. Enfin 129 patients ont une histoire familiale de troubles bipolaires soit 41,48%. B. TABLEAU II : COMORBIDITE DES TROUBLES DE L’AXE I SUR LA VIE ENTIERE DANS L’ECHANTILLON alcoolo dépendance des troubles de l’axe I sur la vie entière N % Trouble d’abus de substances Alcool Cannabis cocaïne Opiacé Hallucinogènes PCP Solvants 68 58 25 5 7 1 1 0 22 19 8 2 2 0 0 0 Troubles anxieux attaque de panique Trouble panique Trouble panique/agoraphobie Agoraphobie phobie simple phobie sociale toc Trouble anxieux Généralisé n/a 33 18 7 4 9 24 9 7 n/a 11 6 2 1 3 8 3 2 Troubles alimentaires Anorexie Boulimie 9 12 3 4 PCP = phencyclidine TOC = Trouble Obsessionnel Compulsif Le tableau II montre la comorbidité des troubles de l’axe I de l’échantillon. Ainsi 68 patients présentent un trouble d’abus de substances, dont 58 consomment de 40 l’alcool, 25 du cannabis, 5 de la cocaïne, 7 des opiacés, et 1 consommation de solvants et de phencyclidine. En ce qui concerne les troubles anxieux, 33 patients présentent une attaque de panique, 18 un trouble panique, 7 une agoraphobie, 9 une phobie simple, 24 une phobie sociale, 9 un trouble obsessionnel compulsif, et 7 un trouble anxieux généralisé. Pour ce qui est des troubles alimentaires, 9 patients présentent une anorexie et 12 une boulimie. C. TABLEAU III : COMORBIDITE ADDICTIVE Alcool Cannabis Cocaine Opiacé Hallucinogenes Solvants PCP Abus 58 24 5 7 1 1 1 Dépendance 12 3 1 7 1 0 0 Total 70 27 6 14 2 1 1 (PCP=phencyclidine) Le tableau III résume les différentes comorbiditées addictives retrouvées dans notre échantillon en distinguant l’abus de substance de la dépendance. Les différentes substances consommées dans l’étude étant l’alcool, le cannabis, la cocaïne, les opiacés, les hallucinogènes et les solvants. Ainsi 58 patients ont un abus d’alcool, 24 de cannabis, 5 de cocaïne,7 d’opiacés 1 d’hallucinogènes et 1 de phencyclidine (angel dust ou poussière d’ange). En ce qui concerne la dépendance à une substance, 12 patients ont une dépendance à l’alcool, 3 au cannabis, 1 à la cocaïne, 7 aux opiacés et 1 aux hallucinogènes. Au total 70 patients consomment de l’alcool, 27 patients du cannabis, 6 de la cocaïne, 14 des opiacés, 2 des hallucinogènes,1 des solvants et du phencyclidine. 41 D. TABLEAU III BIS : COMORBIDITE ADDICTIVE une deux Trois quatre Cinq substanc substances substances substances substances e Alcool Abus dépendance Cannabis Abus + dépendance cocaïne Abus + dépendance Opiacé Abus + dépendance Hallucinogène Abuse + dépendance Solvant Abus+ dépendance PCP Abus + dépendance n = 49 n = 13 n=3 n=2 32 9 11 1 2 1 1 1 8 13 1 2 1 3 2 2 2 n=1 1 1 1 1 Total 68 46 12 23 2 4 1 0 }58 }25 }5 7 1 0 0 1 0 1 0 }7 }1 }0 }1 Le tableau III bis présente le type de consommation de notre échantillon mais en tenant compte de la quantité de substances consommées par individu et de la modalité de consommation (abus ou dépendance). Dans notre échantillon de 311 patients, 68 consomment au moins une substance (abus ou dépendance), 19 patients au moins 2 substances, 6 patients au moins 3 substances, 3 patients au moins 4 substances et un seul consomme 5 substances. En regardant les critères d’abus et de dépendance, la consommation est la suivante : 49 patients consomment une seule substance, dont 32 abusent de d’alcool, 9 en sont dépendant et 8 abusent de cannabis. 13 patients consomment 2 substances dont 11 abusent de l’alcool et du cannabis en même temps, 1 patient dépendant à l’alcool et abuseur de cannabis, et un patient abuseur de cannabis et dépendant aux opiacés. 42 3 patients consomment 3 substances, dont un est abuseur d’alcool, abuseur de cannabis et dépendant aux opiacés. Un autre patient est dépendant de l’alcool , abuseur de cocaïne et dépendant aux opiacés. Et le dernier est abuseur d’alcool, abuseur de cocaïne et dépendant des opiacés. 2 patients consomment 4 substances, l’un est dépendant de l’alcool, du cannabis, des opiacés et abuseur de cocaïne. L’autre patient est abuseur d’alcool, de cocaïne et dépendant du cannabis et des opiacés. Enfin un seul patient consomme 5 substances dont il est abuseur de cannabis, de pcp, d’hallucinogène, et dépendant de la cocaïne, et des opiacés. E. TABLEAU III TER : COMORBIDITE ADDICTIVE Total Alcool Monotox Polytox Cannabis Monotox Polytox cocaïne Monotox Polytox Opiacé Monotox Polytox Hallucinogène Monotox Polytox Solvants Monotox Polytox PCP Monotox Polytox 58 41 17 25 8 17 5 0 5 7 0 7 1 0 1 0 0 0 1 0 1 Abus et Dépendanc e 12 9 3 2 0 2 1 0 1 7 0 7 0 0 0 0 0 0 0 0 0 Abus seul Dépendanc e seule 46 32 14 22 8 14 4 0 4 0 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 inconnu 2 2 0 3 2 1 2 1 1 5 2 3 1 0 1 0 0 0 43 Le tableau III ter compare pour chaque produits consommés le nombre de patients présentant une polyconsommation vis-à-vis d’une autre substance et leur statut abuseur et /ou dépendant. Ainsi sur 58 patients consommant de l’alcool, 46 sont dépendant dont 12 sont abuseurs et dépendant. 41 ne consomment que d l’alcool dont 32 remplissent des critères d’abus et 9 un abus et une dépendance. Enfin 17 patients présentent une polyconsommation dont 14 remplissent des critères d’abus et 3 abus et dépendance. Sur 25 patients consommant du cannabis, 22 remplissent des critères d’abus et 2 d’abus et de dépendance et 1 patient dépendant. Parmi ces 25 patients 8 ne consomment que du cannabis et remplissent tous des critères d’abus, et 17 patients présentent une polyconsommation dont 14 remplissent des critères d’abus, 2 d’abus et de dépendance, et 1 patient dépendant. Sur 5 patients consommant de la cocaïne , 4 remplissent des critères d’abus, et un seul d’abus et de dépendance. Tous ces patients sont polyconsommateurs Sur 7 patients consommant des opiacés, tous sont polyconsommateurs et remplissent des critères d’abus et de dépendance. Un seul patient consomme des hallucinogènes remplissant des critères d’abus et est polyconsommateur. Enfin un patient consomme du pcp polyconsommateur. remplissant les critères d’abus et est 44 F. TABLEAU IV : COMPARAISON DES PATIENTS BIPOLAIRES AVEC ET SANS TROUBLES ADDICTIFS BP avec SUD N=68 BP sans SUD N=243 P value Sex ratio M(%)/F(%) 40(58.8%) / 28(41.2%) 87 (35.8%)/156(64.2%) Ki2=11.6, DF=1 p=0.0006 Ki2=11.6 BPI/BPII n(%) 61(89.7%) / 7 (10.3%) 168(69.1%) / 75(30.9%) DF=1 p=0.0006 Age de début(moyenne+SD) 1st épisode 1st traitement st 1 hospitalisation 24.6 + 9.1 27.2 + 9.7 30.7 + 12.7 27.2 + 11.8 30 + 11.7 34.7 + 14.1 Consommation de tabac Absence/présence p=0.11 p=0.06 p=0.04 ki2=29.5 4 (5.9%) / 63 (94%) 98 (41.5%) /138(58.5%) DF=1, p<0.0001 Cycle rapide*’**/pas de cycle rapide(n/%) Ki2=0,23 6(8,9%)/60(89,6%) 21,1(8,8%)/216(90,4%) DF=2 P=0,89 Episode mixte***/pas d’episode mixte (n/%) Nombre total d’épisode majeur (moyenne+/-SD) Nombre total d’épisode majeur depressif (moyenne+-SD) Nombre total d’épisode maniaque (moyenne+-SD) Symptômes psychotiques /pas de symptômes psychotique (n/%) 20(30,8%)/36(55,4%) 31(13,5%)/179(75,8%) Ki2=12,5 DF=1 P=0,0004 12,2+/-22,4 8,7+/-16,2 P=0,18 4,2+/-4,5 4+/-3,4 P=0,72 2,7+/-2,2 2,1+/-2,9 P=0,14 53(77,9%)/15(22,1%) 117(48,7%)/122(50,8) Ki2=18,3 DF=2 P=0,0001 45 Suicides/ pas de suicides(n/%) 37(56,1%)/29(43,9%) 92(37,9%)/149(61,3%) 9(24,3%)/28(75,7%) 20(22%)/70(76,9%) Ki2=0,47 DF=2 P=0,78 2,1+/-1,5 2,5+/-2,3 P=0,35 Nombre total d’hospitalisations(moyenne +/-SD) 5,2+/-5,7 4,3+/-4,5 P=0,2 Manie induite par ATD/pas de manie induite par ATD(n/%) 19(27,9%)/45(66,2%) 83(35%)/144(60,7%) Ki2=1 ?36 DF=1 P=0,98 Réponse au lithium/pas de réponse au lithium(chez les patients traités) 19(31,1%)/9(14,7%) 73(31,2%)/35(15%) Ki2=0,0007 DF=1 P=0,98 ATCD familiaux de trouble de l’humeur/ pas d’ATCD familiaux (n/%) 28(42,2%)/40(58,8%) 101(41,6%)/(53,4%) Ki2=0,003 DF=1 P=0,95 Attaque de panique/pas d’attaque de panique (n/%) 9(13,6%)/56(84,8%) 24(10%)/216(89,6%) Ki2=1,75 DF=2 P=0,42 Trouble panique/pas de trouble panique (n/%) 2(3%)/63(95,5%) 16(6,7%)/222(92,9%) Ki2=2,16 DF=2 P=0,34 2(3%)/63(95,5%) 5(2,1%)/234(97,5%) Ki2=1,81 DF=2 P=0,55 Agoraphobie/pas d’agoraphobie (n/%) 0(0%)/64(98,5%) 4(1,7%)/233(97,9%) Ki2=2,06 DF=2 P=0,36 Phobie simple/pas de phobie Simple (n/%) 1(1,5%)/63(96,9%) 8(3,3%)/231(96,2%) Ki2=1,54 DF=2 P=0,46 Suicides violents/pas de suicides violents (sur la totalité des suicides) Nombre total des suicides (moyenne +/-SD) Trouble panique +agoraphobie/pas de trouble panique +agoraphobie(n/%) Ki2=7,4 DF=2 P=0,02 46 Trouble obsessionnel compulsif/pas de trouble obsessionnel compulsif(n/%) 0(0%)/65(98,5%) 9(3,7%)/230(05,4%) Ki2=2,76 DF=2 P=0,25 9(13,6%)/56(84,8%) 15(6 ,2%)/225(93,4%) Ki2=4,07 DF=1 P=0,04 1(1,5%)/45(69,2%) 6(2,5%)/130(53,9%) Ki2=4,89 DF=2 P=0,087 Anorexie nerveuse/pas d’anorexie nerveuse (n/%) 3(4,6%)/61(93,8) 6(2,5%)/235(97,1%) Ki2=1,85 DF=2 P=0,40 Boulimie /pas de boulimie (n/%) 4(6,2%)/60(92,3%) 8(3,3%)/232(96,3%) Ki2=2,12 DF=2 P=0,35 Phobie sociale/pas de phobie sociale (n/%) Trouble anxieux généralisé/pas de trouble anxieux généralisé(n/%) SUD=consommation de substances * = rapport clinique **= cycle rapide : quatre épisodes par an ou plus ***= épisode mixte : au moins un épisode sur la vie entière Le tableau IV compare sur différents critères les patients bipolaires consommant une substance et les patients bipolaires ne consommant pas de substances et ceci en calculant pour chaque critère la valeur de p calculé par un chi2. Dans le groupe des consommateurs il y a 40 hommes pour 28 femmes contre 87 hommes pour 156 femmes chez les non consommateurs. 61 bipolaires I pour 7 bipolaires II contre 168 bipolaire I pour 75 bipolaires II chez les non consommateurs. La moyenne d’age du premier épisode est de 24,6 ans +- 9,1 contre 27,2 ans+- 11,8 chez les non consommateurs. La moyenne d’age pour le premier traitement est de 27,2 ans +-9,7 contre 30 ans +11,7 chez les non consommateurs. La moyenne d’age pour la première hospitalisation est de 30,7 ans +-12,7 contre 34,7 ans +- 14,1 chez les non consommateurs. 47 La consommation de tabac sur la vie entière est de 63 patients ayant déjà fumé contre 4 n’ayant jamais fumé chez les consommateurs et 138 patients ayant déjà fumé contre 98 jamais chez les non consommateurs. Pour les cycles rapides, 6 patients contre 60 en ont présenté chez les « addicts » et 21 patients en ont présenté contre 216 chez les non « addicte». Pour les épisodes mixtes on en relève 6 contre 60 chez les « addicts » et 31 contre 179 chez les non « addicts » . La moyenne du total des épisodes majeurs est de 12,2+-22,4 dans le groupe consommateur et 8,7 +- 16,2 dans le groupe non consommateur. La moyenne d’épisode dépressif majeur est de 4,2+-4,5 dans le groupe consommateur et 4,0+-3,4 dans le groupe non consommateur. La moyenne d’épisode maniaque est de 2,7+-2,2 dans le groupe consommateur et 2,1+-2,9 dans le groupe non consommateur. On retrouve 53 patients ayant présenté des symptômes psychotiques contre 15 dans le groupe des consommateurs et 117 patients ayant présenté des symptômes psychotiques contre 122 dans le groupe des non consommateurs. On retrouve 37 suicides contre 29 chez le groupe des consommateurs, dont 9 cas de suicides violents, ce qui nous donne une moyenne du nombre de suicide de 2,5+1,5. Et 92 suicides contre 149 dans le groupe des non consommateurs, dont 20 cas de suicides violents, et une moyenne du nombre de suicide de 2,5+-2,3. La moyenne du nombre d’hospitalisations est de 5,2+- 5,7 dans le groupe des consommateurs, et de 4,3+-4,5 dans le groupe des non consommateurs. Les épisodes maniaques induits par les antidépresseurs est de 19 cas contre 45 chez les consommateurs, et de 83 cas contre 144 dans le groupe des non consommateurs. La réponse au lithium chez les patients traité est de 19 patients contre 9 chez les « addicts », et de 73 réponse contre 35 chez les non « addicts ». Les antécédents familiaux des troubles de l’humeur se retrouvent chez 28 patients contre 40 dans le groupe des consommateurs, et chez 101 patients contre 142 dans le groupe des non consommateurs. Les attaques de panique se retrouvent chez 9 patients contre 56 dans le groupe des consommateurs, et chez 24 patients contre 216 dans le groupe des non consommateurs. 48 Le trouble panique se retrouve chez 2 patients contre 63 dans le groupe des consommateurs, et chez 16 patients contre 222 dans le groupe des non consommateurs. Le trouble panique associé à l’agoraphobie se retrouvent chez 2 patients contre 63 dans le groupe des consommateurs, et chez 5 patients contre 234 dans le groupe des non consommateurs. L’agoraphobie se retrouve chez aucun patient contre 64 dans le groupe des consommateurs, et chez 4 patients contre 233 dans le groupe des non consommateurs. La phobie simple se retrouve chez 1 patient contre 63 dans le groupe des consommateurs, et chez 8 patients contre 231 dans le groupe des non consommateurs. Le trouble obsessionnel compulsif se retrouve chez aucun patient contre 65 dans le groupe des consommateurs, et chez 9 patients contre 230 dans le groupe des non consommateurs. Le trouble anxieux généralisé se retrouve chez 1 patient contre 45 dans le groupe des consommateurs, et chez 6 patients contre 130 dans le groupe des non consommateurs. L’anorexie nerveuse se retrouve chez 3 patients contre 61 dans le groupe des consommateurs, et chez 6 patients contre 235 dans le groupe des non consommateurs. La boulimie se retrouve chez 4 patients contre 60 dans le groupe des consommateurs, et chez 8 patients contre 232 dans le groupe des non consommateurs. 49 VI. DISCUSSION Notre échantillon ne diffère pas des échantillons habituellement décrits dans la littérature Anglo saxonne dans ce type d’étude, en terme de caractéristiques des troubles de l’humeur (ratio BPI/BPII, age de début du premier symptôme, nombres d’épisodes thymiques…). La comorbidité avec les troubles psychiatriques de l’axe I n’est guère différente des autres échantillons étudiés dans les études similaires (l’axe I étant l’ensemble des troubles.à l’exception des troubles de la personnalité et du retard mental). Nos données retrouvent des taux élevés de troubles liés à l’abus de substances, de troubles anxieux et de troubles des conduites alimentaires, chez les patients bipolaires suggérant que ces troubles co-occurent plus fréquemment que ne le voudrait le fait du hasard. Les troubles d’abus de substances représentent 22% de l’échantillon. Ce taux à la limite de ceux retrouvés dans les études américaines (20 à 40%) peut s’expliquer par le fait que la prévalence de la consommation abusive de substances dans la population générale est inférieure à celle retrouvée au Etats-Unis dans les enquêtes épidémiologiques générales (ECA et NCS). De plus l’entretien semi-structuré DIGS n’est peut être pas assez sensible pour diagnostiquer les troubles addictifs, responsable d’une sous estimation de cette population. Pour ce qui est des troubles anxieux et des troubles des conduites alimentaires nos chiffres sont similaires de ceux des autres études. Ces résultats doivent être observés avec les limites méthodologiques de ce travail. En premier lieu, cette étude n’a inclus seulement que des patients porteurs d’un trouble bipolaire sans comparaison avec un groupe contrôle sain ou bien avec un groupe contrôle présentant une quelconque autre maladie psychiatrique caractérisée (comme la schizophrénie par exemple). Par ailleurs il s’agit d’une étude rétrospective dont le recrutement s’est échelonné sur plusieurs années ce qui est susceptible d’entraîner une surestimation de la comorbidité du fait de l’évolution naturelle de la maladie. Tous les patients inclus ont été au moins une fois hospitalisés, ce sont donc des patients présentant des troubles sévères. 50 Enfin une autre limitation dans l’évaluation de la comorbidité entre les troubles bipolaires et les conduites addictives, est le recouvrement des symptômes entre les symptômes maniaques, et dépressifs dans le cadre du trouble bipolaire et les symptômes liés à la consommation abusive de substances. Certains taux pouvant être faussement élevés du fait d’une mauvaise attribution d’un symptôme pour l’un ou l’autre trouble. Malgré ces limitations, notre étude possède de bons fondements. Premièrement, d’après nos connaissances, l’échantillon représente une large cohorte d’individus porteurs d’un trouble bipolaire et présentant également une comorbidité avec un trouble de l’axe I, systématiquement estimé à l’aide d’un interrogatoire structuré. Pour exemple dans l’enquête ECA qui est une étude épidémiologique générale où l’on a aussi estimé la comorbidité des troubles de l’axe I chez les patients bipolaires ces derniers étaient au nombre de 168 (35).Par ailleurs nos patients furent inclus à partir de deux centres géographiquement différents ce qui limite les biais liés à un recrutement unique. En ce qui concerne la comorbidité addictive, l’alcool représente le produit le plus consommé dans notre échantillon, puis c’est le cannabis, les opiacés et enfin la cocaïne. Les données de la littérature retrouvent un pourcentage élevé et similaire pour l’alcool, en revanche la cocaïne est plus souvent consommé dans les études anglo saxonnes.Ces chiffres sont en adéquation avec les chiffres de prévalence des conduites addictives dans la population générale à savoir qu’en Europe on consomme plus d’alcool et qu’en Amérique du Nord on consomme plus de cocaïne. Lorsque l’on compare l’échantillon de patients Bipolaires ayant un trouble d’abus de substances aux Bipolaires n’ayant pas de trouble d’abus de substances, on retrouve des différences significatives pour bons nombres de critères. Ainsi les hommes sont plus souvent consommateurs abusifs de substances que les femmes ( p=0,006), ce qui est vrai également dans la population générale. Les patients porteurs d’un trouble Bipolaire I sont significativement plus « addicts » que les patients porteur d’un trouble Bipolaire II (p= 0,006). Nous émettons l’hypothèse que la consommation de substances puisse être à l’origine d’une 51 majoration de la symptomatologie, à savoir qu’un patient porteur d’un trouble Bipolaire II puisse être rediagnostiqué comme un Trouble Bipolaire I à partir du moment ou il a abusé de substances psychoactives. Une autre hypothèse consisterait à considérer que ces deux troubles sont liés par une diathèse commune et que plus les patients sont intensément atteints, plus leur chance de présenter un tableau clinique sévère est grande. Une dernière hypothèse pourrait correspondre au fait que les symptômes thymiques chez les BP I sont plus intenses que chez les BP II pouvant entraîner les patients dans une plus grande consommation de produits. L’âge de la première hospitalisation est plus précoce chez les patients « addicts » (p=0,04). Du fait de la précipitation ou de l’exacerbation des symptômes thymiques chez les consommateurs de produits. Une autre hypothèse consisterait à penser que la consommation de produits puisse entraîner une surélévation de la symptomatologie thymique et donc précipiter une hospitalisation. De même pour les états mixtes et les symptômes psychotiques, dont la fréquence est significativement plus élevée chez les patients « addicts » que chez les bipolaires non « addicts » ( p= 0,004 et p= 0,001). Les effets d’un produit consommé pouvant être à l’origine d’une atypie symptomatique expliquant l’aspect mixte des symptômes (dépressif et maniaque). Par ailleurs la consommation de produits pouvant également expliquer l’émergence de symptômes psychotiques. Le nombre de suicides est lui aussi plus important chez les patients comorbides (p=0,02). Il est admis que la consommation de produits favorise le passage à l’acte. Par ailleurs dans l’hypothèse d’une diathèse commune le passage à l’acte signerait une atteinte plus grave des patients. La consommation de tabac est aussi significativement plus élevé chez les consommateurs de substances (p=0,001). Cette comorbidité est liée aux comorbidités addictives entre elles et non à la présence d’un trouble bipolaire. Un patient « addict » a plus de risque de présenter une comorbidité avec une conduite de consommation d’un autre produit. 52 Enfin la phobie sociale est significativement plus souvent rencontrée chez les « addicts » (p=0,04). Ceci peut aisément s’entendre du fait que bons nombres de troubles addictifs, et en particulier l’alcoolisme, la consommation de cannabis ou la consommation de psychotropes, sont des troubles à l’origine de troubles anxieux, parfois nettement circonscrits ( tel que l’anxiété généralisée, la phobie sociale les attaques de paniques, le trouble panique et l’agoraphobie.) indépendamment du trouble de l’humeur lui-même. Ce dernier peut aussi être à l’origine d’un trouble anxieux tel que l’anxiété généralisée ou les attaques de panique au-delà de l’association à un autre trouble de l’axe I (ensemble des troubles à l’exception des troubles de la personnalité et du retard mental). Dans notre échantillon, ou l’alcoolisme est le trouble addictif le plus représenté, il est aisément concevable que l’anxiété sociale et la phobie sociale soient la manifestation anxieuse la plus significativement présente puisqu’il s’agit du trouble anxieux le plus associé à l’alcool. L’ensemble de ces données entraîne d’importantes implications cliniques. Ainsi, l’évaluation des patients bipolaires devrait inclure systématiquement une recherche des troubles comorbides de l’axe I. Dés lors, les patients présentant un trouble bipolaire incomplet (enfants, adolescents, adultes jeunes) doivent être observés prudemment devant l’éventualité de développement d’un trouble de l’axe I, et particulièrement d’un trouble addictif. Il est plus fréquent de développer une pathologie addictive chez un patient porteur d’un trouble bipolaire s’il se met à consommer des substances psychoactives. Inversement, les patients présentant un ou plusieurs troubles psychiatriques et particulièrement une consommation abusive d’alcool, de cannabis ou de tout autres drogues, devraient être surveillé pour repérer l’émergence d’un trouble Bipolaire. Une autre implication est que chez les patients ayant une histoire familiale de trouble Bipolaire, l’apparition précoce d’un trouble anxieux ou éventuellement d’un trouble d’abus de substances pourraient être considéré comme le prodrome d’un trouble Bipolaire à venir. Enfin il est important de souligner qu’au-delà de la séquence d’apparition des troubles il est probable que la consommation abusive de substances affecte la présentation et l’évolution du trouble Bipolaire. 53 VII. CONCLUSION La plus fréquente comorbidité ou co-occurrence des symptômes liés aux troubles Bipolaires et des symptômes liés à la consommation abusive de substances peut s’expliquer de différentes façons. Soit ces deux entités nosographiques sont totalement indépendantes, résultant de deux éthiopathogénies différentes et présentant des symptômes communs. Cette hypothèse peut être soutenue par la forte prévalence des troubles addictifs dans les familles de patients bipolaires « addicts ». Tout comme la plus forte prévalence des troubles de l’humeur chez ces mêmes familles. On retrouve donc ces deux troubles dans les familles de patients à la fois Bipolaires et consommateurs de substances. Une autre hypothèse soutient l’idée d’une éthiopathogénie ou d’une diathèse commune entre les troubles de l’humeur, les troubles addictifs et voir même les troubles anxieux. Cette hypothèse est soutenue d’une part par la forte comorbidité de ces troubles, et d’autre part par la forte prévalence des troubles de l’humeur dans les familles de patients présentant un trouble addictif retrouvé dans de nombreuses études. Ainsi que par l’effet positif des thymorégulateurs dans le traitement des troubles addictifs. De plus de nombreuses études ont montré la présence de dysrégulation des systèmes Dopaminergique, Serotoninergique, noradrenergique et du système Gammaminobutyrique similaires dans ces deux types de pathologies. Ce qui confirmerait l’idée d’éléments ethiopathogéniques communs. En dernier lieu l’hypothèse qu’un trouble psychiatrique est susceptible de compliquer l’autre trouble du simple fait de la fragilisation de l’individu sans liens spécifiques n’est pas suffisante pour expliquer la forte agrégation de ces deux troubles. Car dans ce cas le trouble Bipolaire serait associer tout aussi fréquemment à n’importe quel autre trouble de l’axe I sans qu’il ne le soit plus aux troubles addictifs, or l’agrégation de ces deux troubles, tant dans la littérature que dans notre échantillon ne va pas dans ce sens, soulignant un lien qui va au-delà de cette hypothèse. La nature de la relation entre le trouble bipolaire et la consommation abusive de substances est complexe et probablement bidirectionnelle et multifactorielle. 54 Nos données, qui sont les premières du genre en France, confirment les résultats retrouvés des autres études Anglo-saxonnes similaires, et qui suggèrent que le trouble bipolaire co-occure de façon importante avec la consommation abusive de substance, et particulièrement le trouble bipolaire de type I. Cette comorbidité entraîne plus fréquemment l’aggravation des troubles de l’humeur, ainsi que du trouble addictif. En effet la comorbidité addictive entraîne une hospitalisation plus précoce des sujets, plus de symptômes psychotiques, d’états mixtes, de suicides et de troubles anxieux et plus particulièrement de phobies sociales. Ceci quelque soit l’origine de cette comorbidité. De nombreuses études ont suggéré que la stabilité thymique peut améliorer les conduites de consommation abusive de substances et que le traitement des conduites addictives améliorait l’évolution thymique. Du reste certains aspects théoriques et cliniques montrent l’efficacité préférentielle des agents anticonvulsivants thymorégulateurs comparativement au lithium chez ce type de sujets. Ainsi il semble majeur d’insister sur le repérage et la prise en charge d’un trouble Bipolaire ou d’un Trouble d’abus de substances lorsque l’un ou l’autre est diagnostiqué. 55 BIBLIOGRAPHIE 1 BATEL P. conduites addictives et troubles bipolaires. Neuropsy news, 2002 ; vol 1 n° 5 : 232-239. 2 BLANCO-PEREZ CR, BLANCO C, GRIMALDI JAR and al. Substance abuse and bipolar disorder. Proceedings from the American Psychiatric Association, New York.1996; NR 90 : 90. 3 BRADY KT, CASTO S, LYDIARD RB and al. Substance abuse in an inpatient psychiatric sample. Am J Drug Alcohol Abuse. 1991; 17 : 389-397. 4 BRADY KT, LYDIARD RB. Bipolar affective disorder and substance abuse . J Clin Psychopharmacol. 1988; 50 : 81-89. 5 BRADY KT, SONNE S, LYDIARD RB. Treatment and research issues : bipolar affective disorder and substance abuse. The journal of South Carolina Medical Association, 1993 : 490-493. 6 BRADY KT, SONNE SC. The relationship between substance abuse and bipolar disorder. J Clin Psychitry, 1995; 56(suppl 3) : 19-24. 7 BROWN ME, ANTON RF, MALCOLM R and al. Alcoholic detoxification and withdrawal seizures : clinical support for a kindling hypothesis. Biol Psychiatry. 1986; 43 : 107-113. 8 BROWN SE, SCHUCKIT M. Changes in depression among abstinent alcoholics. J Stud Alcohol. 1988; 49 : 412-417. 9 CASSIDY F, AHEARN EP, CAROLL BJ. Bipolar Disord. 2001; 3 : 181-188. 56 10 CHARLES-NICOLAS A. OLIE JP, HARDY P, AKISKAL H, FELINE A, GOROG F, LOO H, POIRIER MF. Psychoses maniaco-dépressives. Edition Techniques- Encycl. Méd.Chir (Paris France), Psychiatrie,37220 A; 4-1990, 32p. 11 CHEN VR, SWANN AC, JOHNSON BA. Stability of diagnosis in bipolar disorder . J Nerv Ment Dis. 1998; 186 : 17-23. 12 CHENGAPPA KN, LEVINE J, GERSHON S, KUPFER DJ. Lifetime prevalence of substance or alcohol abuse and dependence among subjects with bipolar I and II in a voluntary. Bipolar Disord. 2000; 2 : 191-195. 13 DAVIDSON KM. diagnosis of depression in alcohol depression : changes in prevalence with drinking status. Br J Psychiatry . 1995; 166 : 199-204. 14 DELBELLO MP, STRAKOWSKI SM, KENJI W, and al. familial rates of affective and substance use disorder s in patients with first episode mania. J Affect Disord. 1999;56 : 55-60. 15 DUFFY A, GROF P, GROF E, ZVOLSKY P, ALDA M. Evidence supporting the independent inheritance of primary affective disorders and primary alcoholism in the families of bipolar patients. J affect disord, 1998 ; 50 : 91-96. 16 El GUEBALY N. Manic depressive psychosis and drug abuse. Can J Psychiatry. 1975; 20 : 595-598. 17 FEINMAN JA, DUNNER DL. The effect of alcohol and substance abuse on the course of bipolar affective disorder. Journal of affective disorders, 1996; 37 : 4349. 57 18 GAWIN FH, KLEBER HD. Abstinence symptomatology and psychiatric diagnosis in cocaine abusers. Clinical observations. Arch Gen Psychiatry. 1986; 43 : 107-113. 19 HASIN DS, ENDICTT J and al. Alcohol problems in psychiatric patients : 5year course. Compr Psychiatry. 1991; 32(4) : 303-316. 20 HESSELBROK MN, MEYER RE, KEENER JJ. Psychopatology in hospitalized alcoholics. Arch Gen Psychiatry. 1985; 42 : 1050-1055. 21 KELLER M, LAVORI P and al. Differential outcome of pure manic, mixed/cycling, and pure depressive episodes in patients with bipolar illness. JAMA. 1986; 255 : 3138-3142. 22 KESSLER RC, McGONAGLE KA, ZHAO S and al. Lifetime and 12 months prevalence of DSM- III R psychiatric disorders in the United States : result from the National Comorbidity Survey. Arch Gen Psychiatry, 1991; 51 : 8-19. 23 LYDIAR RB, HOWELL EF, BALLENGER JC et al. Prevalence of anxiety and mood disorders in hospitalized alcoholics. Presented at the annual meeting of the American College of Neuropsychopharmacology, San Juan, Puerto Rico. 1987. 24 McELROY SL, ALTSHULER LL, SUPPES T and al. Axis I Psychiatric comorbidity and its relationship to historical illness variables in 288 patients with bipolar disorders. Am J Psychiatry, 2001; 158 : 420-426. 25 MAIER W, LICHTERMANN D, MINGES J, DELMO C, HEUN R. The relationship between bipolar disorder and alcoholism : a controlled family study. Psychological medicine, 1995; 25 : 787-796. 58 26 MEYER RE. How to understand the relationship between psychopathology and addictive disorders : another exemple of the chicken and the egg. In Meyer RE. Psychopathology and addictive disorders. New York, Guilford. 1986 : 3-16. 27 MIRIN SM, WEISS RD, GRIFFIN ML, and al. Psychopathology in drug abusers and their families. Compr Psychiatry,1986; 32 : 36-51. 28 MORISSON JR. The family histories of manic depressive patients with and without alcoholism. J Nerve Ment Dis. 1975; 49 : 1975. 29 MUELLER TI, LAVORI PW and al. Prognostic effect of the variable course of alcoholism on the 10-year course of depression. Am J Psychiatry. 1994;151(5) : 701-706. 30 NUNES EV, QUITKIN FM, KLEIN DF. Psychiatric diagnosis in cocaine abuse. Psychiatry Res, 1989; 25 : 105-114. 31 O’SULLIVAN K, RYNNE C and al. A follow up study on alcoholics with and without co-existing affective disorder. Br J Psychiatry. 1988; 152 : 813-819. 32 POST RM, RUBINOW R, BALLENGER JC. Conditioning, sensitization, and kindling : implications for the course of affective illness. In POST RM, BALLENGER JC (eds). Neurobiology of mood disorders. Baltimore, Williams and Wilkins. 1984 : 432-466. 33 POST RM, WEISS SRB. Psychomotor stimulant v. Local anesthesic effects of cocaine : role of behavioural sensitixation and kindling. In CLOUT D, ASGHAR K, BROWN R (eds) : Mechanism of cocaine abuse and toxicity. NIDA research monograph 88. Rockville, MD, US Department of Health and Human Services. 1988 : 217-238. 59 34 RAIMO EB, SCHUCKIT MA. Alcohol dependence and mood disorders. Addictive Behaviors, 1998; 23 : 933-946. 35 REGIER DA, FARMER ME, RAE DS and al. Comorbidity of mental disorders with alcohol and other drugs abuse : results from the Epidemiologic Catchment Area (ECA) study. JAMA 1990 ; 264: 2511-2518. 36 REGIER DA, KAELBER CT. The Epidemiological Catchment Area (ECA) program, pp 135-156 In Textbook in psychiatric epidemiology Tsuang MT, Tohen M, Zahne GE. Eds- Wiley-Liss. 1995; New York. 37 REICH LH, DAVIS RK, HIMMELHOCH JM. Excessive alcohol use in manic depressive illness. Am J Psychiatry. 1974; 131 : 83-86. 38 ROSS HE, GLASER FB, GERMANSON T. The prevalence of psychiatric disorders in patient with alcohol and other drug problems. Arch Gen Psychiatry. 1988; 45 : 1023-1031. 39 SALLOUM I, MEZZICH J and al. Implication of substance abuse versus non-substance abuse in bipolar disorder. Proceedings from the 1996 American Psychiatry Association NR348, New York.1996,161. 40 SONNE SC, BRADY K.T. Substance abuse and bipolar comorbidity. The psychiatric clinics of north America, 1999 ; 22: 609-627. 41 SONNE SC, BRADY KT, MORTON WA. Substance abuse and bipolar affective disorder. J Nerv Ment Dis. 1994; 182 : 349-352. 42 STRAKOWSKI SM, DELBELLO MP. The co-occurrence of bipolar and substance use disorders. Clinical Psychology Review, 2000; 20 : 191-206. 60 43 STRAKOWSKI SM, SAX KW, McELROY SL and al. Course of psychiatric and substance abuse syndromes co-occuring with bipolar disorder after a first hospitalisation. J Clin Psychiatry. 1998; 59 : 465-471. 44 SWANN AC. Manic Depressive illness and substance abuse. Psychiatr Ann. 1997;27 : 507-511. 45 TOHEN M, WATERNAUX CM and al. Four year follow up of twenty-four first episode manic patients. J Affect Disord. 1990; 19(2) : 79-86. 46 TSAI SY, CHEN CC and al. Alcohol problems and long term psychosocial outcome in Chinese patients with bipolar disorder. J Affect Disord.1997; 46(2) : 143150. 47 WEISS RD, MIRIN SM, GRIFFIN ML. Psychopatology in chronic cocaine abusers. Am J Drug Alcohol Abuse. 1986; 12 : 17-29. 48 WEISS RD, MIRIN SM, GRIFFIN ML, and al. Psychopathology in cocaine abusers : changing trends J Nerv Ment Dis. 1988; 176 : 719-725. 49 WINOKUR G, TURVEY C, AKISKAL H, CORYELL W, SOLOMON D,LEON A, and all. Alcoholism and drug abuse in three groups- bipolar I, unipolars and their acquaintances. Journal of affective disorder, 1998; 50: 81-89. 50 WINOKUR G, CORYELL W, AKISKAL HS and al. Alcoholismin manic depressive bipolar illness : familial illness, course of illness, and yhe primarysecondary distinction. Am J Psychiatry. 1995; 152 : 365-372. 51 WINOKUR G, CORYELL W, ENDICOTT J and al. familial alcoholism in manic-depressive (bipolar) disease. American Journal of Medical Genetics(neuropsychiatric genetics).1996; 67 : 197-201. 61 52 WINOKUR G, COOK B, LISKOW BFOWLER W. Alcoholism in Manic Depressive (bipolar) patients J Stud Alcohol.1993; 54 : 574-576. 62 Année: 2005 Nom et prénom de l’auteur: MARCHAL FABRICE Directeur de thèse : Mr le Dr TILIKETE SAMIR Titre de la thèse : Troubles bipolaires et addictifs : éléments d’analyse d’une étude française. Les troubles du spectre bipolaire sont parmi les troubles psychiatriques caractérisés, les plus souvent rencontrés chez les sujets présentant une conduite addictive. La nature de cette comorbidité a été largement étudié sans conclusion formelle. Nous décrivons une des plus importante étude française portant sur 311 patients et qui s’est penchée sur la comorbidité entre les troubles bipolaires I et II et la consommation abusive de substances. Cette étude confirme l’importance et la complexité de cette relation. Les implications thérapeutiques sont telles que la stabilité thymique peut améliorer les conduites de consommation abusive de substances et que le traitement des conduites addictives a une influence indéniable sur l’évolution thymique. Mots-clés : - Trouble Bipolaire - Troubles liés substance toxique Adresse de l’UFR : 8 rue du Général SARRAIL 94010 CRETEIL CEDEX