1 Les éléments caractéristiques de la religion dans l'œuvre de Catulle. En préalable, il faut rappeler son importance quantitative, puisque le vocabulaire religieux se rencontre dans un vers sur six et plus de la moitié des poèmes ; diffus sur l'ensemble du recueil, il se concentre toutefois sur trente-deux ensembles lexicaux parmi lesquels se trouvent douze carmina, au sens premier, à la fois poèmes et prières. Il concerne particulièrement les dieux, la prière et les valeurs. L'étude des termes sacer et sanctus révèle un usage du vocabulaire à la fois imprégné des valeurs traditionnelles romaines et nettement hellénisé. Ensuite il est clair que pour Catulle les dieux existent, célestes et puissants. Les figures majeures de son panthéon, Jupiter, Vénus, Diane et Liber, sont elles aussi fortement hellénisées, et en cela le poète est le reflet de l'évolution religieuse du premier siècle. De plus il puise dans la mythologie grecque pour donner du relief à ses récits, choisissant souvent le détail érudit insolite ou la référence littéraire. Mais en profondeur sa conception des dieux est profondément romaine. Le Liber révèle une sensibilité au numineux, à la présence permanente et diffuse du divin, vis à vis duquel on éprouve à la fois crainte et attirance. Il s'agit de rester à sa place et de ne pas froisser le dieu : on a le souci de bien le nommer, d'observer les rites avec précision et ne pas proférer de parole imprudente. Par ailleurs le recueil est dominé par Jupiter-Vénus-Fides dont on sait la complémentarité dans la religion romaine. Rome est un lieu de brassage des peuples et des religions, et le sermo quotidianus s'en fait l'écho, mais Catulle conserve la méfiance native d'un Romain vis à vis des religions venues d'ailleurs. En esthète, il est fasciné par le spectacle des Galles de Cybèle ou le thiase des Ménades, mais il rejette avec horreur les excès du délire mystique. Et surtout le lieu du contact privilégié avec les dieux, c'est la domus, thème central du recueil, lieu du culte familial et de la transmission des traditions. La relation aux dieux est faite de pratiques scrupuleuses et vise à entretenir la pax deorum. Elle repose essentiellement sur la prière adressée aux dieux. Les hymnes, issus de la lyrique chorale grecque, offrent le mélange d'une culture grecque parfaitement assimilée et d'un attachement particulier aux traditions romaines car malgré leur forme littéraire, ils conservent la ferveur de réelles prières et louent la castitas et la felicitas. Catulle use aussi de formes de prière et de formules romaines, dont parfois il joue, mais nous offre surtout plusieurs exemples de prières personnelles extrêmement ferventes. En effet il recourt à l'aide divine dans les moments difficiles de la vie, dans une attitude profondément italique ; ainsi il se tourne vers les Dioscures, protecteurs des matelots ballottés, dont le culte est développé en Cisalpine. Bacchus : un mythe grec, le culte de Bacchus à Rome – MJENR - DT – Educnet/Musagora [email protected] 2 En même temps, il fait preuve d'une nouvelle sensibilité religieuse, influencée par la Grèce, liant pureté et miséricorde. Euripide1 déjà prêtait à Castor et Pollux ces propos : « Nous savons compatir aux misères humaines », « Parcourant la plaine éthérée, nous refusons notre secours aux impies, mais les hommes à qui la piété et la justice sont chères, dans leur vie, nous les délivrons et leur apportons le salut . » Ainsi au confluent des domaines du sacré et de l'éthique, Catulle place la pietas au cœur d'un système de valeurs, où les relations entre les dieux et les hommes, mais aussi les relations entre les hommes, doivent se fonder sur la fides, la justitia, et la castitas. Il est alors possible en retour d'atteindre la felicitas. C'est particulièrement vrai dans le domaine des relations familiales : tout au long du Liber, on retrouve le thème du mariage, base de l'équilibre familial, et le rejet de l'inceste, fondamentalement sacrilège. Car la pietas au sein de la famille fonde la stabilité de la société toute entière, et lorsque le poète dénonce la dégradation des liens familiaux, il fustige l'abandon des valeurs qui assurent la cohésion du populus. Cet abandon a conduit les dieux à se détourner des hommes comme le rappellent les derniers vers du c. 64, emplis de la nostalgie de l'âge d'or. Face aux excès de son temps, Catulle se tourne vers le passé et l'on peut se demander s'il n'explique pas les troubles de la civitas par la souillure originelle qui l'a fondée, le meurtre de Rémus par Romulus. En effet il désigne le peuple Romain par l'expression Romuli gentem dans le c. 34 pour appeler sur lui la protection de Diane. Or il se sert par ailleurs d'expressions similaires pour attaquer les comportements scandaleux de certains de ses contemporains ou épingler Cicéron. Et le premier crime dénoncé dans le c. 64, 399, c'est le meurtre contre un frère. De plus le Liber ne présente aucune référence à Enée, alors que sa mère Vénus y occupe une place très importante. Bien au contraire Catulle ne trouve que des termes violemment négatifs pour qualifier Troie. Il semble avoir conscience d'appartenir à un peuple souillé dès l'origine, abandonné des dieux. Lui-même, déchiré entre l'aspiration à des valeurs nouvelles et l'attachement à l'ancestral code moral, se fonde sur sa pietas pour retrouver un équilibre grâce à la bienfaisance divine : O dei, reddite mi hoc pro pietate mea. Le vocabulaire de la religion dans l’œuvre de Catulle, Mémoire de DEA, sous la direction de C. Guittard, 1999 Véronique Drujon 1 - Électre, 1330 et 1349-1353 Bacchus : un mythe grec, le culte de Bacchus à Rome – MJENR - DT – Educnet/Musagora [email protected]