Il fallait s’arranger à faire disparaître ces stigmates de notre passage très
Rapidement, avant que les voisins ne disent quelque chose … Nous les craignions
Beaucoup, car nous étions des étrangers nouvellement installés dans le pays.
Comme nous n’étions pas loin des Halles de Baltard, nous récupérions,
À la fin des marchés, certaines marchandises jetées sur le pavé en attente
Du service de nettoyage. Des tomates, des pommes de terre, des poires,
Des bananes, par cagettes entières, en plus ou moins bon état, étaient
Abandonnées comme mis à notre disposition exprès, et nous, nous les
Rapportions, mon père et moi, à la maison . Il n’y avait rien de misérable,
De pathétique là-dedans, nous le faisions, car d’autres le faisaient
Autour de nous, nous n’avions pas honte, il fallait nourrir la famille et
Mon père était seul à travailler avec un salaire de misère.
Notre chambre de bonne était éclairée par une petite lucarne qui donnait sur
Ces fameux toits de Paris en zinc dont on a tiré tant de films. Nous avions un
Coin de cuisine qui nous servait à tout faire, une petite table en bois et un grand
Lit pliant pour toute la famille. C'est con à dire, mais nous étions tous très heureux
Là dedans, et aujourd'hui encore, je me demande ce qui motivait un tel bonheur.
Ma mère avait des amies. Soit elles venaient à la “maison”, soit elles nous
Invitaient chez elles pour la confection des “boscotos”, gâteaux à base de farine, de
Sucre, d’œufs et de levure alsacienne, parfois aromatisé d'un zeste d'orange, mais pas
Toujours, puis aussi il y avait du chocolat et des bonbons que nous partagions tous.
Les hommes, eux, travaillaient et n’étaient jamais à ces rendez-vous.
…Les pauvres et les étrangers s’organisent comme ils peuvent,
Ils ne sont pas que malheureux...
Dans cette rue, il y avait la marchande de vin où nous allions régulièrement
Pour nous fournir en bière ou en limonade Dumesnil à cinquante centimes la
Bouteille et en vin Postillon à soixante-seize centimes. Cette dame avait adopté
L’ensemble des gens du quartier, ce devait être dans sa nature d’aimer tout le monde,
Pourtant, elle ne donnait pas l’impression de boire autre chose que de l’eau…
Ma mère se socialisait un peu ici en parlant avec cette dame, mais allait aussi en
Face, chez Monsieur et Madame MARTIN, marchands de couleurs où elle achetait
Le savon de Marseille, l'eau de javel, le mir pour la vaisselle, les serpillières pour
Nettoyer le sol, et l'alcool à brûler… Dans ce magasin, on pouvait tout trouver.
Leur fils était un copain de classe, mais pas un ami, il y avait chez lui une certaine
Retenue naturelle vis-à-vis des autres. Je me souviens aussi d’un camarade de classe,
Heck. Il avait réuni chez lui, dans un immeuble bourgeois pas du tout comme
Le notre crasseux, quelques copains pour son anniversaire et je ne sais pourquoi,
J’y avais été convié. Seulement, je me sentais fondamentalement à l’écart de ce
Monde-là : les petits soldats, les petites voitures, leurs jeux m’étaient étrangers.
Ils ont dû le sentir, les vrais sentiments se sentent toujours, alors,
Alors, ils m’ont foutu à la porte.
À quatorze ans, j’allais chez « Noirot », établissement de produits aromatiques,
Pour me fournir en fioles d'extraits de plantes servant à la fabrication de
Liqueurs destinées à toute la famille et dont la préparation devait être respectée
Scrupuleusement. Faire un sirop de sucre, y ajouter l’alcool à90° acheté
Préalablement à la pharmacie et le contenu de la petite bouteille Noirot
Pour donner un goût génial. Nous n’achetions pas les liqueurs toutes faites des
Magasins, car nous les réalisions nous-mêmes, c’était moins cher.
En face, il y avait la SITAP, fabricant d'objets en matière plastique et où à
Quinze ans j’y avais fait mes premières armes d’employé de bureau
Pendant les périodes de vacances scolaires. Il y avait une supérieure en
Chef qui me demandait de faire mon travail en silence, de bien classer les factures
Plutôt que de distraire le personnel avec mes parlotes de pipelettes.
Nous avions un avantage à travailler dans les bureaux de cette usine, tous les fins
De mois, nous pouvions commander les produits du catalogue. Alors, j'arrivais à
La maison avec des services à orangeade de toutes les couleurs ou des assiettes, des
Couverts et je ne sais quoi d'autre … Bref, c'était le début du plastique en France !