Quel est le bilan de la colonisation française en Algérie ?
Le bilan économique de la colonisation a fait débat. Certains affirment que la France a «saigné»
l’Algérie, et c’est notamment un leitmotiv des dirigeants algériens actuels. Cependant, un certain
nombre d’historiens ont montré que la métropole a mis en valeur le pays, qui lui coûta beaucoup
plus qu’il ne lui rapporta. C’est le cas de Jacques Marseille et surtout de Daniel Lefeuvre, qui y
consacra sa thèse, sous la direction du précédent5, mais aussi plus récemment de l’africaniste
Bernard Lugan6. Laissons la parole à ce dernier : «En 132 années de présence, la France créa
l’Algérie, l’unifia, draina ses marécages, bonifia ses terres, équipa le pays, soigna et multiplia ses
populations, lui offrit un Sahara qu’elle n’avait jamais possédé après y avoir découvert et mis en
exploitation les sources d’énergie qui font aujourd’hui sa richesse. […] La France y laissa 70 000
km de routes, 4 300 km de voies ferrées, 4 ports équipés aux normes internationales, une douzaine
d’aérodromes principaux, des centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages, etc.),
des milliers de bâtiments administratifs, de casernes, de bâtiments officiels qui étaient propriété de
l’État français ; 31 centrales hydroélectriques ou thermiques ; une centaine d’industries
importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie, etc., des milliers
d’écoles, d’instituts»… Le bilan matériel est énorme.
Le bilan humain n’est pas moins impressionnant. Certains prétendent que la conquête a été suivie
d’un véritable génocide de la population musulmane. Mais si, en 1830, celle-ci n’excédait pas 1,5
millions d’habitants, en 1962 elle avait bondi à 12 millions, les médecins français soignant et
vaccinant les populations, et faisant reculer la mortalité infantile. «Dès l’année 1848, et alors que la
conquête de l’Algérie était loin d’être achevée, 16 000 enfants en majorité musulmans étaient
scolarisés. En 1937, ils étaient 104 748, en 1952, 400 000 et en 1960, 800 000, avec presque 17 000
classes, soit autant d’instituteurs, dont les 2/3 étaient Français7.» Résultat, lors de la guerre
d’indépendance, de 1954 à 1962, des centaines de milliers d’Algériens musulmans combattirent
pour que l’Algérie reste française, et ce au péril de leur vie, puisqu’ils furent massacrés par leurs
coreligionnaires.
Pourtant, les Algériens étaient considérés chez eux comme des Français de seconde zone. Leur
statut, même s’il évolua régulièrement avec le temps, resta marqué par une inégalité de droits avec
les habitants d’origine européenne et, depuis le décret Crémieux8 en 1870, avec les juifs. Cela ne
pouvait qu’être vécu comme une cruelle injustice par les élites que la France avait elle-même
formées à ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Travaillées par des courants de
propagande nationaliste, elles s’orientèrent alors vers une guerre d’indépendance, en fait une
5 - Daniel LEFEUVRE, Chère Algérie, la France et sa colonie, 1830-1962, Flammarion, 2005, 512 p.
6 - Bernard LUGAN, Algérie, l’histoire à l’endroit, coll. Les 10 grandes controverses de l’histoire, éd.
L’Afrique réelle, 2017. Signalons que Bernard Lugan est l’auteur d’une Lettre ouverte à Emmanuel Macron en
réponse à ses propos sur la colonisation.
7 - Pierre GOINARD, Algérie : l’œuvre française, Robert Laffont, 1984, cité par Bernard Lugan.
8 - Le décret Crémieux (du nom d’Adolphe Crémieux, ministre de la IIIe République) attribue d’office en
1870 la citoyenneté française aux «Israélites indigènes» d’Algérie. Précisons que l’égalité de statut des
musulmans posait un certain nombre de problèmes en raison des dispositions de la loi musulmane, par
exemple pour le droit matrimonial ou des successions.
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