Ethno_Lieutaghi_2008_504 pdf - Ministère de la Culture et de la

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Jardins
et médiation
des savoirs
en ethnobotanique
Actes du colloque
organisé les 27 et 28 septembre 2007, à Forcalquier,
par le musée de Salagon
SALAGON
musée départemental ethnologique
de Haute Provence
&
C’EST-À-DIRE ÉDITIONS
un territoire et des hommes
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4 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Sommaire
Pierre Lieutaghi, Danielle Musset. Genèse d’un colloque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
Approches
Jean-Yves Durand. Il faut cultiver notre jardin ethnobotanique.
Semis, boutures et greffes du préfixe « ethno » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Georges Métailié. De l’ethnobotanique à ses jardins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Penser un jardin ethnobotanique
Bernadette Lizet. Le Jardin d’un naturaliste et l’ethnobotanique
au Muséum national d’histoire naturelle [résumé] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sabine Rabourdin. Enquêtes ethnobotaniques et mise en place
d’un jardin ethnobotanique aux Marais du Vigueirat (Camargue) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Charles Ronzani. Le « jardin des cultures » sur le pôle universitaire de Guyane, Cayenne . . . . . . . .
Ibrahima Fall. Le bocage de Sambande (Sénégal) :
une contribution à l’essor des jardins ethnobotaniques au Sahel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Sommaire | 5
Mettre en forme un jardin ethnobotanique
Gaëlle Loutrel. Les jardins ethnobotaniques de la Gardie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Dominique Munoz. Les jardins de l’Histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Stéphane Crozat. Fruits, légumes et fleurs du bassin lyonnais :
recherche ethnobotanique appliquée à la connaissance
et à la conservation d’un patrimoine biologique et culturel local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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La médiation avec le public
Lisa Bertrand. L’ethnobotanique comme lecture du paysage.
L’expérience du Domaine du Rayol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Didier Roguet. Le jardin ethnobotanique comme vecteur privilégié de médiation
et d’éducation environnementale, au Jardin botanique de Genève (CJB)
et dans ses projets de coopération au Sud (Sénégal, Paraguay, Bolivie, Brésil, Inde) . . . . . . . .
Liliana Motta. Conservation de la Biodiversité : la collection des Polygonum
du jardin des Hautes Haies et le Parcours botanique des Alpes mancelles (Sarthe) . . . . . . .
Marc Olivier. Le Jardin Botanique et Pédagogique de Koro au Burkina Faso.
« Instruire et divertir à partir des connaissances traditionnelles pour protéger
les plantes africaines » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Eric Latil. Jardin botanique, jardin pédagogique : exemple de la coopérative
de plantes médicinales Kallawaya de Chajaya (Bolivie) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jean-Louis Bianco. Postface. Une voie ititiée par Salagon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Intervenants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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INTRODUCTION
Genèse d’un colloque
L’idée du colloque « Jardins et médiation des savoirs en
ethnobotanique » répond à l’expérience acquise, dès 1985, au musée
départemental ethnologique de Salagon (haute Provence, France), dans
la création de jardins à thèmes. Ces divers jardins ont été réunis sous
l’appellation de « jardins ethnobotaniques » car l’épithète semblait en
résumer bien le propos : donner à comprendre les relations multiples
établies au cours des siècles entre les hommes et les plantes, dans notre
propre société. Ce qualificatif tient aussi au constat de la création, en
beaucoup de lieux de France et du monde, de jardins qui, comme
Salagon, revendiquent le statut de jardin ethnobotanique, et qui, finalement, abordent tous des thématiques voisines. Certains de ces jardins
ont été représentés au colloque.
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 7-12
Pierre Lieutaghi,
Danielle Musset
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8 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Quelques mots
des jardins de Salagon
La création en plusieurs phases des jardins
ethnobotaniques de Salagon a débuté avec la
création, en 1985-1986, d’un petit jardin dit
« DES SIMPLES ET DES PLANTES VILLAGEOISES », qui
voulait refléter le savoir des habitants de la
haute Provence, tel qu’il avait été recueilli par
des enquêtes orales. Ce jardin réunissait les
plantes de la pharmacopée populaire et
certains légumes de ramassage, en évoquant,
dans la mesure du possible, le parcours des
habitants dans leurs pratiques de cueillette,
du jardin à la colline en passant par le bord
des chemins et des champs. Le titre d’une
brochure de présentation, Au jardin de
Salagon, les plantes rencontrent l’homme, disait
déjà la volonté d’adhésion au propos ethnobotanique.
C’était une ambition importante : il s’agissait de « faire du jardin de Salagon une sorte de
miroir des relations entre la société traditionnelle
locale et son environnement botanique. »
Ambition limitée, toutefois, car les 170 plantes
qui constituent la base du savoir des habitants
de la haute Provence occidentale ne pouvaient
suffire à occuper les quatre hectares des
terres de Salagon ; il fallait étendre le propos.
Le succès de ce premier jardin auprès du
public a justifié d’autres créations, à commencer par le JARDIN MÉDIÉVAL, en 1986, réalisation
qui a servi de modèle à bien d’autres « jardins
médiévaux » créés depuis lors1 (à Salagon, on
revendique la plus grande fidélité possible au
regard des sources historiques, en ce qui
concerne les végétaux). Suivirent le JARDIN DE
SENTEURS, à l’origine jardin de plantes aroma-
tiques associé à une exposition et à un itinéraire de découverte à travers le pays de
Forcalquier (1989), puis le JARDIN DES TEMPS
MODERNES , suite chronologique du jardin
médiéval puisqu’on y montre les végétaux
introduits dans nos paysages et notre vie
quotidienne à partir de la découverte de
l’Amérique. Ce jardin ambitieux, le plus étendu
des réalisations actuelles de Salagon,
rassemble les principales « plantes utiles et
ornementales » du monde, sans prétendre
pour autant au titre de jardin exotique (le
climat local l’interdirait). Le JARDIN DU CHÊNE
B L A N C , introduction au paysage végétal
dominant de la région, qui rassemble quelque
400 espèces distribuées par associations, est
encore inachevé.
De nombreux tâtonnements et remaniements ont accompagné ces créations. Ils
tiennent à la difficulté à faire le lien entre
exigences scientifiques, réalités du terrain,
nécessités de l’ouverture au public, incompréhensions de certains partenaires techniques,
contraintes financières, etc. Entre la volonté
de rester fidèle à un propos ethnobotanique
aussi rigoureux que possible et la prise en
compte des aspects techniques, esthétiques,
pédagogiques, touristiques, de l’adéquation
nécessaire entre l’espace des jardins et un
monument historique des XII e-XVI e siècles,
nous avons été conduits à imaginer des
créations et des thèmes qui ne faisaient pas
partie de notre propos de départ, focalisé sur
une ethnobotanique essentiellement locale.
Les jardins de Salagon traduisent donc par
eux-mêmes les étapes d’une maturation sur
plus de vingt ans, où projets avortés, hésitations, erreurs, réussites et succès, représentent une riche expérience.
1. Ce jardin est décrit dans un ouvrage de
P. Lieutaghi qui fait toujours référence, Jardin des
savoirs, jardin d’histoire, éditions Alpes de lumière,
1992 (épuisé).
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Quels que soient les obstacles, aujourd’hui en
bonne partie dépassés, les jardins de Salagon,
créations véritablement novatrices en 19852,
ont immédiatement rencontré une forte
demande du public. On n’oubliera pas que le
jardinage est une des passions contemporaines
des Français, qu’un Français sur trois s’adonne
à cette activité. Nos jardins s’insèrent donc
parfaitement dans un propos des plus contemporains, dont les questions pressantes sur les
relations des sociétés à l’environnement
confirment chaque jour l’importance.
La médiation des jardins
Très vite, on s’est aperçu que ces jardins ne
pouvaient fonctionner sans un ensemble de
supports d’information, car un jardin ethnobotanique ne fait qu’évoquer les relations
plantes/sociétés, il ne démontre et n’explique
rien par lui-même — quoique des mises en
scène particulières puissent avoir une
fonction démonstrative, voire didactique. La
plante elle-même ne raconte pas ses rapports avec
les sociétés, il lui faut des traducteurs. Nous
sommes une entreprise de traduction de la flore, a
écrit l’un d’entre nous. Nous avons d’abord eu
recours à des cartels présentant les plantes
(dans une première version, des logos rappelant les usages y figuraient ; ils étaient peu
compréhensibles…), avec un petit guide de
visite associé, ainsi qu’à des panneaux explicatifs. De là, nous sommes très vite passés à des
visites commentées, y compris pour les nonvoyants, à des ateliers pour enfants, stages
2. Il suffit de consulter l’inventaire des jardins faits
par la DIREN/PACA en 1980-1981 pour se rendre
compte que les antécédents faisaient entièrement
défaut en Provence, si ce n’est dans le Midi en général.
pour adultes, sorties à la journée, conférences,
etc. Depuis 2004, des audioguides intéressant
à la fois les jardins et le monument sont à la
disposition des visiteurs.
Un séminaire annuel d’ethnobotanique du
domaine européen (suite d’une première table
ronde en 1997) a lieu chaque année depuis
2000, le présent colloque en tenant lieu pour
2007. Organisé sous la forme de deux sessions
de deux jours, chaque fois sur un thème différent (La plante de l’aliment au remède, Plantes
alimentaires, L’arbre dans l’usage et l’imaginaire
du monde, Plantes des femmes, Du géranium au
paysage, etc.), ce séminaire remporte un grand
succès. Il est ouvert aux étudiants, aux
chercheurs, mais aussi à toute personne
concernée de près par l’ethnobotanique.
Européen/méditerranéen dans ses intentions,
il accueille aussi désormais des intervenants
dont les travaux en d’autres régions du monde
fournissent des contrepoints bienvenus. Trois
publications à ce jour rassemblent les communications3 et contribuent à la construction du
corpus de travaux qui fait cruellement défaut
à l’ethnobotanique de langue française.
Séminaires et publications associées nous
permettent aussi de constituer un réseau
d’acteurs et de chercheurs dont beaucoup
sont devenus des fidèles de nos rencontres.
La recherche
Pour prétendre à la médiation et à la transmission de connaissances valides, il faut impérativement qu’une recherche de qualité ait lieu en
amont. Au niveau botanique, cette recherche
3. LIEUTAGHI, P., & D. MUSSET (édit.). « Plantes,
sociétés, savoirs, symboles. Matériaux pour une
ethnobotanique européenne ». Les cahiers de
Salagon, nos 8, 10, 11 ; 2003, 2004, 2006.
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garantit l’identification exacte des végétaux
présentés dans les jardins ; elle peut aussi, au
besoin, préciser les données acquises au cours
des enquêtes de terrain. Sur le plan ethnobotanique, elle garantit la plus grande validité
possible de ce qui est dit des relations
plantes/société, où il est malheureusement
fréquent d’entendre bien des inexactitudes,
sinon des reconstructions fantasmatiques du
rapport au végétal. Elle permet aussi de ne pas
se contenter de compiler des travaux, d’ailleurs
peu nombreux en français, comme on l’a vu, et
qui ne concernent pas forcément notre région.
La recherche à Salagon est primordiale.
Outre les travaux de Pierre Lieutaghi depuis la
fin des années 1960, où la haute Provence est
bien représentée, elle s’édifie aussi avec les
recherches des ethnologues qui, sous l’égide
du Musée, poursuivent les enquêtes sur les
usages de la flore (pour l’essentiel en région
PACA et dans le Piémont italien), celles des
botanistes, des historiens, des jardiniers, au
sein de l’équipe ou en relation avec elle.
Il n’est pas inutile de préciser ce que nous
entendons par « ethnobotanique », terme passé
au langage courant au point d’y perdre ses
spécificités. Ces dernières années, en effet,
l’ethnobotanique est devenue une science à la
mode, ou, du moins, le mot lui-même a connu
un succès certain, au point de servir d’argument touristique (Lure, le pays de « l’ethnobotanie »…), voire commercial via les « ethnoshops » et « l’ethno-marketing »… Ceci en lien
étroit avec les idées floues de « tradition » et
« d’authenticité », utiles aux sociétés urbaines
en quête de repères du côté des choses, paroles
ou pratiques perçues comme détentrices d’une
certaine vérité simple sur l’existence.
Le succès de cette appellation brouille les
cartes quand il s’agit de « faire de l’ethnobotanique » en tant que science et d’en assurer la
transmission vers le public. Un travail conduit
à Salagon sur ce thème a montré que nombre
de projets, de recherches, de réalisations qui
revendiquent la caution ethnobotanique,
recouvrent des réalités extrêmement différentes, inégales, voire sans aucun rapport
avec leur intitulé4.
Très souvent « faire de l’ethnobotanique » se
limite à associer une plante et un usage, à faire
des listes de plantes et d’usages. Comme l’ethnologie, l’ethnobotanique implique un objet de
recherche, une problématique, une méthodologie, la mise en relation et l’analyse de faits de
société. L’ethnobotanique ne se résume pas à
un catalogue de végétaux et d’emplois associés ;
ce sont les modes de relation au végétal qui
doivent être explorés en priorité, révélateurs de
toute la complexité d’une culture — ce qui
n’exclut pas que la mise en évidence, pour euxmêmes, de certains usages ou pratiques
associés aux plantes puisse s’avérer riche
d’enseignement, par exemple dans la comparaison avec d’autres sociétés.
« L’ethnobotanique comme discipline est une
ethnologie à velléités globales qui choisit de considérer les sociétés dans la plus large étendue
possible de leurs relations avec le végétal et les
milieux végétaux, dans la prise en compte des
méthodes des sciences humaines aussi bien que des
données naturalistes5. » Il est donc nécessaire de
replacer les fonctions diverses du végétal dans
l’ensemble complexe de savoirs, pratiques,
représentations, etc., de la société considérée,
le but final étant de pouvoir interpréter,
comprendre au mieux leur sens à l’intérieur de
4. NICOLAS, Laetitia, juin 2007, Création d’une base
financée par la Mission à l’ethnologie du Ministère
de la Culture (non paginé, 14 pages d’introduction +
corpus de fiches).
5. LIEUTAGHI, P., loc. cit., 2003, p. 42.
de données sur les savoirs de la nature, Inventaire
ethnobotanique. Rapport final. Recherche conduite
dans le cadre du Musée ethnologique de Salagon,
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la culture donnée, voire au regard d’autres
cultures. Si l’on prend en compte cette définition, nous nous efforçons bien, à Salagon, de
« faire de l’ethnobotanique », sans forcément
pouvoir aller toujours au terme de la
recherche, en nous contentant parfois de réaliser de simples inventaires, eux-mêmes utiles
comme il est dit précédemment. Conduire des
recherches à leur terme implique et du temps
et des moyens financiers — et ceci est une
autre histoire. Du moins, dans les limites qui
nous sont imposées, comme à beaucoup
d’équipes, tentons-nous d’opter pour le plus de
sérieux possible.
De l’imprécision constitutive
des rôles du jardin ethnobotanique
Quelle que soit la qualité des recherches qui
président à la création et à la médiation du
jardin, on se situe toujours dans l’évocation,
l’approche, mais non dans le rendu terme à
terme : un jardin qui se voudrait trop fidèle aux
données savantes (pour autant qu’il soit réalisable) serait sans doute vite ennuyeux. Pour
autant, le jardin ethnobotanique, indépendamment de sa nature de lieu agréable à visiter
pour lui-même (on ne doit pas oublier qu’il
s’agit d’abord d’un jardin, qu’il doit être bon de
s’y promener pour le seul plaisir), qu’en est-il
de ses rôles au regard des connaissances dont
il revendique la prise en compte ?
Le jardin ethnobotanique est-il un simple
« passeur de savoirs », les plantes y tenant lieu
6. Souci qui est nécessairement à l’arrière-plan de
l’ethnologie appliquée, en particulier quand il s’agit
de ces « relances » qui espèrent trouver un
débouché économique à des pratiques
« traditionnelles », ou regardées comme telles.
7. Expression empruntée à A.-M. GRANET-ABISSET,
d’aide-mémoire des relations avec les
hommes ? Doit-il se faire conservatoire de
savoirs et de savoir-faire autant que de
plantes ? Un lieu comme Salagon, musée
autant que jardin, avec des collections, des
archives orales, une vaste documentation
écrite, pourrait sans doute revendiquer une
telle fonction ; mais on accéderait alors à une
tout autre échelle, à un propos très différent,
tourné vers la recherche d’applications, vers
une dépendance obligée à l’égard du souci de
valorisation6.
Autre question : qu’en est-il du rapport
avec le temps ? Un jardin ethnobotanique est-il
forcément jardin de mémoire ? N’est-il pas
aussi un « façonneur de mémoire »7 comme
nous l’avons souvent constaté lors de nos
enquêtes, en diffusant et réactualisant les
savoirs de quelques-uns au profit d’un plus
grand nombre ? En quelle mesure s’implique-til dans la relation contemporaine à la flore,
espace aussi riche de faits sociaux que le
domaine « traditionnel » mais habituellement
négligé dans nos pays, comme si, encore une
fois, l’ethnobotanique était une discipline
tournée surtout vers le passé ? Ce jardin est-il
d’abord le lieu de la conservation d’un « patrimoine immatériel »8 ? La pédagogie peut-elle
vraiment y accompagner le plaisir ? Est-ce un
outil pour faire passer des idées ? A-t-il un rôle
militant ?
Autant de questions qui ne pouvaient
espérer trouver toutes des commentaires,
encore moins des réponses, en deux journées.
Du moins font-elles l’arrière-plan de ce qui a
été présenté et débattu lors du colloque, dont
« Le musée, façonneur de mémoire », in « Mémoire,
patrimoine et musées », Le monde alpin et rhodanien,
1-4, 2005, p. 161-168.
8. Voir la Convention pour la sauvegarde du
patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, ratifiée
par la France en 2006.
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12 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
on trouvera les communications, ou leur
résumé, dans le présent recueil.
Si, dans les pays européens, le jardin ethnobotanique reste pour l’essentiel, jusqu’à présent,
une réalisation à finalités surtout
« culturelles » (les guillemets rappelant, si
besoin est, toute l’ambiguïté du terme),
l’alliance avec l’économique s’opérant à
travers ce champ privilégié, on verra que des
options plus immédiatement pragmatiques
ont déjà cours ailleurs, dans les pays où il
importe de conserver d’urgence et de valoriser les ressources plus peut-être que de
s’interroger a priori sur leur nature de « patrimoine immatériel » — ce qui n’exclut évidemment pas d’y voir aussi des objets d’étude.
L’importance de cette démarche est manifeste
dans les contributions au colloque, que ce soit
au Sénégal (communication de Ibrahim Fall),
au Burkina Fasso (Marc Olivier), en Bolivie
(Éric Latil), ou dans les divers pays de trois
continents concernés par les projets de
coopération du Jardin botanique de Genève
(Didier Roguet). En France, une étude historique sur l’horticulture dans la région lyonnai-
se (Stéphane Crozat) soutient la mise en place
d’une base de données aux destinations
multiples.
On est sans doute ici plus proche de la
« botanique appliquée », dont l’ethnobotanique est issue, que de cette dernière discipline au sens strict ; mais les contingences socioéconomiques difficiles de notre temps invitent
à l’ouverture plus qu’à la crispation sur la
stricte dépendance à l’égard des sciences
humaines. Du moins faudra-t-il ne pas perdre
de vue ce qui revient en propre à ce préfixe
« ethno » dont Jean-Yves Durand, en introduction au colloque, a rappelé qu’il ne devait pas
valider n’importe quelle entreprise de « mise
en valeur », toute généreuse soit-elle.
Aucune science ne peut disparaître du fait
de ses applications, même si la forme de ces
applications permet d’en ignorer l’apport. On
ne souhaite pas retrouver l’ethnobotanique en
statue allégorique au fond des parcs (meilleure façon de la faire oublier) ; on s’efforce de
l’aider à conserver son rôle de parrainage
bienveillant, mais non sans rigueur, aux entreprises jardinières qui allient réflexion et utilité
sociale. n
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Il faut cultiver son jardin
ethnobotanique.
Semis, boutures et greffes
du préfixe « ethno »
S’adresser en tant qu’ethnologue à l’auditoire formé de pratiquants, de
passionnés, voire de militants ou au moins de sympathisants de l’ethnobotanique qui se réunit à l’occasion du colloque organisé en septembre 2007
par le musée ethnologique de Salagon oblige à s’interroger sur ce qu’entend cette petite troupe – dont, pour la fréquenter dans le cadre des
séminaires tenus depuis quelques années, on sait qu’elle est assez
diverse – lorsqu’elle place ses activités en partie sous les auspices d’une
science sociale. Les jardins ethnobotaniques ont-ils du succès parce qu’on
pense qu’ils parlent d’abord de botanique ou surtout d’ethnologie ? Leurs
promoteurs et leurs visiteurs ont-ils les mêmes expectatives, et celles-ci
peuvent-elles dialoguer avec les intérêts des chercheurs en sciences
sociales ? Il est évidemment des ethnobotanistes qui ont une parfaite
connaissance universitaire de l’ethnologie. Celle-ci, néanmoins, à la différence de la sociologie, mais d’ailleurs à l’instar de la botanique, est souvent
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Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 13-20
Jean-Yves Durand
Universidade
do Minho (Braga,
Portugal),
CRIA (Lisbonne),
(IDEMEC,
Aix-en-Provence)
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14 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
pratiquée ou, à tout le moins, revendiquée par
des amateurs dont les motivations, les objectifs, les méthodes et les réalisations peuvent
ne pas être reconnus par les professionnels,
qui disposent de l’autorité scientifique. Fort
heureusement, il n’existe pas d’Ordre auquel il
incomberait de définir les limites de l’exercice
illégal de l’ethnologie.
Sans préjuger aucunement de l’intérêt ou
de la validité de ce que font les uns et les
autres, cette brève contribution n’a d’autre but
que d’exposer quelques réactions d’un ethnologue professionnel devant les usages qui sont
faits de son étiquette disciplinaire par les pratiquants et les appréciateurs du tout-venant des
activités et des discours ethnobotaniques mis
en œuvre hors des cercles universitaires et
dirigés vers le grand public, ce que l’on pourrait
donc désigner comme le « sens commun »
ethnobotanique. Il convient tout d’abord de
présenter des excuses aux botanistes ferrés en
anthropologie et en ethnologie1, qui n’apprendront rien ici, et d’admettre qu’ils sont en droit
de souhaiter jeter une pierre dans le jardin de
l’auteur de ces lignes puisqu’il a pu, à l’occasion, s’intéresser par exemple à une
« Ethnobotanique comparée des carrefours
giratoires » (Durand 2006) bien qu’il ne dispose
lui-même de guère plus de notions de
botanique que certains ethnobotanistes n’en
ont d’ethnologie. Toutefois, c’est bien le regard
distancié de l’ethnologue qui est nécessaire ici
pour tenter d’éclairer certaines implications de
l’engouement croissant que les sociétés
européennes manifestent à l’égard de ce
qu’elles dénomment « l’ethnobotanique » et,
singulièrement, de ses jardins.
Partons du principe que ce ne sont sans
doute pas ces lecteurs qui regretteront que,
pour commencer, l’on se place modestement
dans les pas d’André-George Haudricourt,
considérant2 que le vocabulaire constitue « un
témoin primordial et inconscient ». Examinons
donc quelques mots. « Jardin », « ethno », et
« botanique » : deux substantifs et un préfixe
(lequel, au moins dans l’usage français,
acquiert souvent valeur de substantif : « Je fais
de l’ethno »). Chacun d’eux semble assez
simple. Mais les deux premiers renvoient à des
réalités plus ou moins quotidienne et triviale
(le jardin) ou plus ou moins ésotérique (l’ethnie, l’ethnique, l’ethnologie). La botanique
occupe quant à elle sans doute une place
intermédiaire dans cette gradation entre
l’ordinaire et le moins connu. Et, pour peu
qu’on essaie de définir précisément ne seraitce que celui qui semble être le plus simple
d’entre eux, le jardin, on bute vite sur de
grandes difficultés, comme chaque fois que
l’on s’essaie à dépasser les approximations qui
nous permettent d’appréhender et de manipuler le monde dans notre vie quotidienne.
Inutile de trop s’y arrêter, les catégories de
jardins et les images qui leur sont associées
1. Les non-spécialistes auxquels s’adresse ce texte
s’interrogent souvent sur les rapports entre ces deux
termes, qui correspondent aux deux pôles de la
tension entre l’unité biologique de l’espèce humaine
et son extraordinaire capacité à produire de la
diversité culturelle. De façon extrêmement
schématique, disons que, idéalement, l’ethnologie
s’occupe de la description et de la connaissance de
réalités sociales et culturelles particulières, localisées,
tandis que l’anthropologie vise, notamment par un
comparatisme à grande échelle, à dégager des règles
générales valables pour l’humanité entière. On tend
maintenant en France à utiliser « anthropologie »
pour désigner l’ensemble de la discipline, à l’image
de ce qui est le cas dans les pays anglophones.
2. Dans un texte mettant en regard «
domestication des animaux, culture des plantes et
traitement d’autrui » (Haudricourt 1962) qu’AnnieHélène Dufour (1998) évoque dans son étude de la
passion du jardinage.
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sont légion. Jardins potagers, ou fruitier,
anglais ou français, jardin ouvrier ou jardin de
curé, jardin d’agrément, d’hiver, d’acclimatation, jardin zoologique et jardin d’enfant, le
jardin d’Éden, les jardins de Babylone, ceux
d’Ispahan, le jardin botanique, public, imaginaire, un jardin paysagé, un jardin scénographié, le jardin des Hespérides, celui d’Épicure, le jardin zen, le jardin de la France (dont il
n’est pas sûr qu’il soit zen), le jardin des
délices… Quant à la définition donnée par le
dictionnaire, « espace plus ou moins étendu
planté de végétaux », sa simplicité ne la rend
guère utile même s’il est parfois précisé que
cet espace se trouve à « proximité d’une
habitation », ce qui n’est ni toujours vrai, ni
suffisant. Ce qui est certain, c’est qu’en ce
moment les jardins ont, pour ainsi dire, le vent
en poupe. Dans l’étude qu’elle consacra, il y a
une dizaine d’années, aux passionnés de jardinage, une amie et collègue qui apportait un
appui fidèle à Salagon, trop précocement
disparue, Annie-Hélène Dufour, nous rappelle
que l’amour des jardins (autres que potagers)
est une affaire ancienne : « Sans remonter à
Olivier de Serres, à Peiresc ou à Buffon [ou
même, pourrait-on ajouter, à des auteurs
arabes plus anciens encore], on ne peut pas
ignorer la grande vogue qu’ont connue l’horticulture et la botanique au XIXe siècle et même,
plus près de nous, pendant l’entre-deuxguerres » (Dufour 1998 : 71). Elle rappelle que
ce phénomène resta longtemps limité à une
élite disposant de jardins d’agrément mais que
très vite fleurirent les publications et les
associations tandis que se développait un
considérable marché de graines tourné vers
cette clientèle. Il est aisé de constater qu’aujourd’hui cet engouement n’a pas faibli, loin de
là : ce ne sont pas toutes les passions occupant
le temps de loisir des Français qui ont droit par
exemple à une chronique hebdomadaire dans
Le Monde ou sur France Inter. Écoutons ce
qu’en dit Annie-Hélène Dufour (1998 : 91-92)
en conclusion de son étude :
« Il s’agit d’une passion solitaire, sans spectateurs (le jardin est objet de spectacle, mais offert à
des amis, à des proches et surtout à soi-même),
d’une passion savante où le plaisir de savoir, de
maîtriser les secrets de la nature se conjugue avec
celui de créer, d’une passion pacifique. Nulle
adversité, en effet, à laquelle s’opposer dans l’élaboration de cette passion, à moins d’admettre que
la nature, ici, la représente. Mais le rapport à la
nature ne se présente-t-il pas plutôt comme un
compromis, un pacte et le jardin comme le lieu où
vivre en harmonie avec elle ? De même chercherait-on en vain dans cette passion quelque chose
qui relève de la performance. Qui sont les
« champions » des jardiniers ? Au mieux ont-ils des
maîtres, ce qui est différent. Si existent des
concours divers en matière de jardin, ceux-ci,
quand ils ne sont pas hérités des traditions compétitives des jardins ouvriers, semblent plutôt servir
des démarches promotionnelles qu’émaner directement des pratiques et des idéaux jardiniers. Et si
parfois s’exhibent des légumes de forme ou taille
exceptionnelles, cela relève davantage du goût
populaire pour le spectaculaire et l’insolite que des
valeurs liées au jardinage d’agrément.
« Objet d’un investissement physique et spirituel, espace de l’activité gratuite, de l’expérimentation aventureuse et de la découverte, monde du
silence, de l’intime, de la méditation, lieu de la
mémoire et du perpétuel devenir, le jardin et sa
passion ne sont-ils pas en fin de compte une tentative de recomposition idéalisée et protégée de la vie ? »
Cette longue citation est inévitable ici : il n’est
en effet pas possible de parler des jardins
ethnobotaniques qui se multiplient aujourd’hui sans les resituer d’abord, même sommairement, dans le cadre plus général de l’amour
des jardins et du jardinage – il faudrait
d’ailleurs disposer d’informations fiables sur la
façon dont ce phénomène se traduit dans les
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divers pays d’Europe, pour ne parler que d’eux,
où il peut présenter des modalités et des
degrés d’intensité aussi divers que les terreaux
socioculturels sur lesquels il se développe. Et
ces remarques, surtout, tout en nous parlant
de la généralité des jardins, permettent, par
contraste, de mettre le doigt sur au moins
deux importants traits spécifiques des jardins
ethnobotaniques.
En effet, tout d’abord, imagine-t-on un
jardin ethnobotanique, et peu importe
l’acception exacte que l’on donne à cette
notion, qui resterait « sans spectateurs », qui
ne serait destiné qu’à la délectation discrète
de son seul concepteur et de ses proches,
dont il serait le jardin secret ? Encore que
manquent ici aussi les données rigoureuses
que pourrait produire une enquête, il semble
bien que tout jardin ethnobotanique qui se
respecte soit au contraire avant tout motivé,
porté par une volonté pédagogique et vulgarisatrice. Celle-ci peut être plus ou moins
explicitement assumée, mais elle est toujours
présente. Et c’est bien de là que vient une
bonne part des problèmes sous-jacents au
« concept » de jardin ethnobotanique
(certaines de ces initiatives semblent obéir à
des logiques promotionnelles qui autorisent
en effet à recourir au vocabulaire des spécialistes du marketing) : il doit marier un dispositif de spectacle et de plaisir avec un
discours de transmission d’un savoir, de
vulgarisation. Il s’agit d’expliquer et de rendre
au « vulgaire », au « peuple » un savoir que,
pense-t-on, il détenait mais qu’il a oublié ou
est en passe d’oublier 3 , on veut restituer
toute sa légitimité à cet ethnosavoir – mot
qui d’ailleurs, en dépit de la fréquence avec
laquelle on rencontre « ethnobotanique », ne
Mais que signifie exactement le préfixe
« ethno » ? Car c’est bien lui qui pose le plus gros
problème ici. Dans l’argumentaire préparatoire
du colloque, rédigé par Danielle Musset et
Pierre Lieutaghi, il est à plusieurs reprises relevé
que la qualification « ethnobotanique » finit
toujours par être utilisée à propos des jardins,
même quand en réalité la plupart des réalisations qui se présentent comme telles semblent
surtout intéressées par l’histoire et n’hésitent
pas à parfois se qualifier aussi de « jardins
médiévaux » voire, d’une façon tout à fait
absurde, de « jardins de plantes anciennes ».
Pourquoi la connotation « ethnique » semble-telle être ici si attractive ?
En dépit des difficultés de définition signalées au début, un jardinier moyen arrivera
normalement plus ou moins bien à expliquer
ce qu’est un jardin, au moins celui dont il
s’occupe. Un botaniste moyen pourra
toujours à peu près expliquer ce qu’est la
botanique. Mais il est bien difficile pour un
ethnologue d’expliquer ce qu’est une ethnie,
ce qui est ethnique. Soit dit en passant, c’est le
cas avec plusieurs autres notions importantes, voire centrales, de sa gamme de
notions : culture, structure, identité, patrimoine, entre autres. Toutes, mêmes celles qui ont
été forgées d’abord au sein de sa discipline,
ont gagné hors d’elle une vie propre, devenant
des sortes de concepts-golems échappant au
contrôle de leurs créateurs (Bromberger et
Durand 2001 : 734), et dont les avatars
acquièrent dans le sens commun des significations ou des connotations qu’ethnologues
3. Pour une critique savante de la notion de
« populaire » et de ses usages impensés, voir
notamment un article de Pierre Bourdieu
(1983).
s’est quant à lui encore jamais répandu hors
des cercles universitaires en lieu et place de
« savoir populaire ».
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et anthropologues ne reconnaissent pas,
voire qu’ils récusent. Pour en rester ici à la
notion d’ethnie, ceci n’est pas le lieu d’un
cours sur son histoire et sa critique4. Il faut
tout de même s’y arrêter un peu car elle est
une graine de l’ethnologie, disséminée à
l’écart des plates-bandes habituelles de la
discipline et c’est bien à partir de ses pousses
que se font les boutures et les greffes du
préfixe qui nous intéresse.
Observons tout d’abord que l’équivalent du
substantif « ethnie » est inexistant en anglais,
alors que ce sont les sciences sociales anglophones qui ont élaboré longtemps seules les
théories de l’ethnicité. À l’inverse, ce dernier
mot est absent du Dictionnaire de l’ethnologie et
l’anthropologie dirigé par les Français Bonte et
Izard (2000), dans lequel on trouve les
rubriques « Ethnie » et « Ethnies minoritaires ».
On devine déjà là des approches divergentes,
même si la notion d’ethnicité est quant à elle
limitée à un usage savant de façon similaire
dans les univers francophone et anglophone.
Sans pouvoir éviter d´être à nouveau ici très
schématique, il est possible d’indiquer que
cette divergence a des causes en grande partie
historiques. Le regard français sur l’« ethnie »
s’est en effet longtemps développé dans un
contexte colonial, participant d’un souci de
contrôle territorial, politique et administratif et
ne pouvant donc éviter de chercher avant tout
à objectiver des traits distinctifs qui seraient
propres à des groupes de populations (la
langue, la religion, etc., parfois aussi des traits
physiques). Il a aussi confusément incorporé
parfois d’autres notions jamais mieux définies
(« tribu », « peuplade »…) et souvent les théories
racialistes du XIXe siècle – alors qu’aux ÉtatsUnis c’est au moins depuis les travaux de Franz
Boas dans les années 1930 qu’est refusée
l’idée d’un lien entre « types biologiques » et
« formes de cultures ». L’acception en résultant
est au demeurant proche des significations
étymologiques d’ethnos : groupe plus ou
moins informe et à l’organisation imparfaite,
animalité, voire anormalité. En somme,
l’Autre. Cette vision condescendante s’accommode du modèle de l’« assimilation républicaine à la française » qui n’admet pas l’existence
de communautarismes en son sein. C’est l’une
des raisons pour lesquelles les sciences
sociales francophones ont longtemps résisté à
l’intérêt que montrent leurs équivalentes
anglophones à l’égard de la notion d’ethnicité,
alors qu’en réalité cette attention ne vise pas à
corroborer les revendications ethniques mais
à éclairer les conditions dans lesquelles des
individus et des groupes estiment nécessaire
de recourir à cette modalité d’identification
d’eux-mêmes ou des autres (Poutignat et
Streiff-Fenart 1995 : 17).
Aujourd’hui, dans le quotidien, on parle
souvent d’ethnie avant tout dans des situations problématiques : on sait qu’il y a des
guerres, des nettoyages, des quartiers qui sont
considérés comme « ethniques ». Le 16e arrondissement de Paris n’est par contre pas
ethnique, ou du moins n’est pas considéré
comme tel5. À Lisbonne, c’était dans le journal
en septembre 2007 (Chiavegatto 2007), on
4. Voir notamment Poutignat et Streiff-Fenart 1995.
5. De même manière, il ne semble d’ailleurs pas
exister de jardin ethnobotanique qui serait
consacré à la relation d’un groupe social aisé avec
son environnement végétal. Et, selon le dictionnaire
de Bonte et Izard (2000 : 248), « l’ethnomusicologie
analyse le phénomène musical dans toutes les
cultures, à l’exception de la musique savante
occidentale ». Éviter de la sorte de considérer que
les savoirs hégémoniques et les pratiques de
certaines élites peuvent constituer des objets
d’analyse ouvre sur de considérables problèmes
épistémologiques débattus notamment dans le
cadre des études sociales des sciences.
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propose de faire du tourisme ethnique (ou
ethnographique, les titres des articles hésitent
entre les deux termes) dans certains quartiers.
On se doute qu’il ne s’agit pas de visiter l’équivalent local du 16 e arrondissement.
Supposons que, dans la même ville, la police
arrête un gitan : la presse parlera d’un « individu d’ethnie gitane » ; si ce sont des immigrants
ukrainiens, angolais, chinois ou français qui
sont arrêtés, ils seront immanquablement
qualifiés par leur nationalité. En quoi, exactement, sont-ils moins « ethniques » qu’un gitan
qui, au demeurant, est citoyen portugais ? On
saisit avec ces quelques exemples que les
usages sociaux de la notion d’« ethnie » échappent à toute définition objective. Ils mettent
au contraire en jeu des stéréotypes ou la
perception d’un certain prestige social et
culturel et peuvent varier considérablement
selon le contexte.
Pour le sens commun, cette notion est liée
à l’idée d’une différence plus ou moins radicale et surtout objectivable : une série de traits
distinctifs, facilement observables,
invariables, essentiels. Ainsi le dictionnaire
Robert parle-t-il d’une « ethnie française »
définie notamment par « la communauté de
langue et de culture » et qui englobe « la
Belgique wallonne, la Suisse romande, le
Canada français » : on se demande bien s’il
existe un seul de ses membres qui aurait la
moindre conscience de lui appartenir. Pour
l’ethnologie, aujourd’hui, il n’y a par contre
jamais ethnie dans l’absolu, mais seulement
dans des contextes relationnels, quand un
groupe dit qu’il forme une ethnie (les critères
qu’il utilise pour cela pouvant être divers et
même pas forcément explicites) et que ses
membres ont le sentiment partagé de le faire,
pouvant d’ailleurs recourir à l’usage fluide de
toute une gamme d’identifications en
fonction des situations. On peut utiliser
l’image des applaudissements, pour lesquels il
faut obligatoirement deux mains : l’ethnicité,
c’est-à-dire les sentiments et les comportements associés à l’idée d’une appartenance
ethnique, équivalent au son produit par la
rencontre des deux mains. Un groupe peut
aussi considérer que ses voisins sont une
ethnie, sans que ceux-ci le sachent. C’est donc
une caractéristique qui peut être attribuée
par un observateur extérieur, parfois avec les
conséquences dramatiques que l’on devine.
Mais l’identification ethnique a bien sûr tout
un pan positif. À New York, ville cosmopolite
s’il en est, est proposée aux touristes une
« visite gastronomique multiethnique »
(Original multi-ethnic eating tour), qui néglige
les restaurants français au profit des quartiers
où sont passées les successives vagues
d’immigrants reçues par le pays (Klimkiewicz
2007). Il ne s’agit pas dans ce cas de stigmatiser, mais plutôt de célébrer les origines culturelles de groupes d’origines plus ou moins
exotiques qui se sont peu à peu intégrés dans
la société américaine, en général sans que des
revendications politiques soient associées à
cette célébration, à la différence de ce qui se
passe d’ailleurs avec la croissante affirmation
ethnique des groupes amérindiens. C’est ce
registre d’une dimension identitaire positive
qui est mobilisé dans l’usage commun du mot
« ethnobotanique », porté et renforcé par la
prégnance contemporaine de l’idéologie
patrimoniale.
Car on parlerait chez nous plutôt de
« patrimoine », une idée dont la coloration
ethnique peut prendre la tournure d’un
registre plus affectif que revendicatif mais qui
ne laisse bien sûr pas du tout de côté l’idée
d’une certaine pureté originelle, d’une authenticité culturelle apparaissant souvent située
dans un passé plus ou moins bien défini et
donc d’autant plus aisément idéalisé et
manipulé. Parmi nous, la dimension ethnique
du patrimoine ethnologique renvoie désor-
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mais avant tout non seulement au populaire
mais aussi au local et à ce qui est perçu et
désigné comme la tradition. Le public nonprofessionnel reste attiré avant tout par le
passé du monde rural, par les origines de ce
qui persiste à être perçu et vécu comme une
unité culturelle autonome, clairement délimitée, homogène : la région, le « pays ». Il n’est
donc pas étonnant que nos jardins ethnobotaniques revendiquent souvent avant tout un
ancrage historique profond. En même temps,
l’intérêt que l’on porte à ses propres racines
culturelles s’accommode volontiers d’une
curiosité multiculturelle, aujourd’hui de bon
aloi. On connaît par exemple l’intérêt considérable que suscitent, et les revenus que
génèrent les musiques ethniques, connues en
France surtout en tant que « musiques du
monde », ou l’attrait exercé par les « arts
premiers » et par des gastronomies, des thérapeutiques, des mysticismes exotiques — du
moins souvent par leurs versions adaptées aux
attentes du public occidental.
Le sens commun situe donc les ethnosavoirs, et notamment l’ethnobotanique au point
de vue social (le populaire), géographique (le
rural local ou un ailleurs exotique), temporel (le
passé imaginé de « Nos grands-mères
savaient… » ou le présent lointain d’un univers
exotique, dont on sait qu’il équivaut à un passé
puisqu’il désigne des populations dont on pense
volontiers qu’elles savent encore que…, qu’elles
vivent encore comme…). Ces savoirs bénéficient
d’une valorisation croissante en raison de leur
image d’ancienneté ou d’« authenticité » et les
désigner comme étant populaires ou « ethno- »
revient à automatiquement sous-entendre qu’ils
sont efficaces, socialement justes, éthiquement
corrects et économiquement durables, ce qui
n’est en réalité pas nécessairement le cas.
L’intérêt à l’égard des savoirs subalternes peut
aussi s’articuler sur une critique de la « dictature
de la raison », à laquelle il est aujourd’hui assez
fréquent que l’on attribue plus d’un de nos
grands problèmes et qui, pour beaucoup, passe
pour un obstacle à une vraie connaissance de
l’univers et une pleine conscience de notre place
en lui. Ce sont donc des savoirs qui parviennent
désormais à se voir assez facilement attribuer le
statut de « sagesse » et une qualité d’efficacité, et
qui gagnent ainsi une nouvelle légitimité et une
force de séduction renouvelée (Durand 2007).
L’ethnobotanique des amateurs est surtout
ethno-historique et appliquée, souvent bien
éloignée de certaines recherches universitaires informées par les préoccupations de la
linguistique ou des sciences cognitives mais
rejoignant par contre, encore qu’à une tout
autre échelle et avec d’autres implications
économiques et éthiques, les investigations
lancées par les industries pharmaceutique et
cosmétique. Il est à cet égard significatif que de
très nombreuses entreprises ethnobotaniques
menées par des amateurs se limitent en réalité
assez étroitement à l’identification et l’étude
des utilisations thérapeutiques (plus encore
qu’alimentaires) des plantes et à leur remise au
goût du jour.
Outre sa motivation pédagogique et vulgarisatrice, on trouve ici le deuxième trait spécifique du jardinage ethnobotanique relativement au jardinage ordinaire : s’il n’existe pas
plus d’adversité, d’esprit de compétition dans
le premier que dans le second, il peut en
exister entre l’ethnobotanique, ou au moins
certaines des formes aux colorations plus
militantes que scientifiques qu’elle peut
prendre dans la vie sociale, et d’autres modalités du savoir, des savoirs institués. Bien
souvent, les jardins ethnobotaniques participent d’une volonté qui est non seulement
pédagogique mais aussi réformatrice, voire
quelque peu messianique. Il paraît possible de
dire que plus d’un jardinier ethnobotaniste,
dont on n’imagine pas qu’il ne soit peu ou prou
sensible à ce qu’il est convenu d’appeler
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« l’écologie », se sent un peu comme un Robin
des Bois du savoir, qui contribue à rendre au
moins une part de leur juste place à des
savoirs « pauvres » dont il pense qu’ils ont été
injustement négligés ou même combattus. S’il
cultive son jardin ethnobotanique, c’est bien
en espérant changer un peu le monde. Plus
encore que le jardin ordinaire, le jardin ethnobotanique constitue « une tentative de recomposition idéalisée et protégée de la vie »,
comme l’écrit Annie-Hélène Dufour, mais il
relève d’une attitude tout à la fois aussi
contemplative et plus interventive.
Et la greffe a pris, la bouture prospère. Les
jardins ethnobotaniques sont parmi nous,
toujours plus nombreux, même si les professionnels de la discipline ont parfois quelque mal
à reconnaître leur progéniture. Comment
pourrait-il en être autrement puisque, exactement comme dans le cas de la désignation d’une
ethnie, un jardin peut devenir ethnobotanique à
peu de chose près à partir du moment où
quelqu’un dit qu’il l’est et le fait savoir ? Comme
avec l’ethnologie, il n’existe pas de propriété
intellectuelle du label Ethnobotanique, ni de
contrôle administratif ou de certification de
cette activité et de cette appellation : rares sont,
en fait, les jardins qui mériteraient d’être
appelés ethnobotaniques aussi pleinement que
ceux de Salagon et quelques autres. On doit y
voir un encouragement à persister, à toujours
cultiver son jardin ethnobotanique. Et l’idée de
l’élaboration d’une charte, évoquée lors du
colloque, pourra être une manière d’aider à ce
qu’il ne devienne pas le jardin des supplices des
ethnologues et des ethnobotanistes professionnels, désemparés devant des réalisations dans
lesquelles ils ne reconnaissent pas plus leurs
idées que leurs problématiques. n
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De l’ethnobotanique
à ses jardins
Dans le cadre de la réflexion proposée par les organisateurs du colloque, il
m’a semblé utile de présenter brièvement l’évolution de la notion d’ethnobotanique en m’attachant à préciser quelles propositions de jardins
avaient pu être faites. La dénomination du domaine apparaît pour la
première fois sous l’appellation « Ethno-Botany » le 5 décembre 1895, dans
un article anonyme du Philadelphia Evening Telegram à propos d’une conférence de l’agronome et archéologue John W. Harshberger (Allain, Barrau,
1988 : 1). L’année suivante est publié le texte de cette conférence
(Harshberger, 1896) qui présentait « l’objet de l’ethnobotanique » à savoir :
1. « élucider la situation culturelle des tribus qui utilisaient les plantes pour leur
alimentation, abri et vêtement, (…)
2. « informer sur la distribution des plantes jadis, (…)
3. « aider à définir les anciennes routes commerciales, (…)
4. « être utile pour suggérer de nouvelles gammes de produits, surtout textiles ».
L’auteur achevait en suggérant la formation de collection de coupes
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Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 21-28
Georges Métailié
directeur de recherche
honoraire, CNRS
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22 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
microscopiques de sections de tous les arbres
indigènes à titre de références, ainsi que la
nécessité d’établir un « jardin ethnobotanique »
autour des bâtiments de chaque musée pour
fournir des plantes vivantes destinées aux
études en rapport avec les objets d’origine
végétale exposés dans les salles. Nous constatons donc qu’à son origine l’ethnobotanique
est une discipline annexe de l’archéologie et de
la muséologie mais avec aussi une visée de
science appliquée : recherche de nouveaux
produits pour l’industrie, textile en particulier.
Il est remarquable que dès ce moment, John
Harshberger préconise la création de jardins
qualifiés d’ethnobotaniques, afin de disposer
dans un but muséographique d’un matériel
végétal vivant. En 1944, toujours aux ÉtatsUnis, Edward F. Castetter, professeur à
l’Université du Nouveau Mexique, proposait de
faire de l’ethnobotanique et de l’ethnozoologie
les branches essentielles de ce qu’il avait
nommé l’ethnobiologie qu’on « pourrait considérer comme traitant du savoir populaire en
matière d’histoire naturelle » (Barrau, 1976 :
73). Avec le développement aux États-Unis à
partir des années 1950 de la « Nouvelle ethnographie » (New Ethnography) c’est comme une
branche de l’« ethnoscience » que figure l’ethnobotanique et dès lors, les principaux travaux
dans ce domaine concerneront aux États-Unis
l’étude des nomenclatures et des classifications
populaires dans des sociétés contemporaines1.
Ce terme d’ethnoscience s’est révélé ambigu
car il désigne dans l’esprit des fondateurs le
système de savoirs et de connaissances d’une
culture donnée au sens large2, mais aussi les
études relatives à ces savoirs. D’où l’ambiguïté
aussi des termes désignant ses diverses
branches, comme ethnobotanique, compris
souvent comme signifiant « botanique
populaire » plutôt que « étude des relations entre
sociétés et environnement végétal ».
Le terme français ethnobotanique est né en
1942 dans un article du directeur du Bureau
d’Ethnologie de la République d’Haïti, Jacques
Roumain, en référence à des études archéologiques et l’année suivante dans leur livre
L’homme et les plantes cultivées, publié à Paris,
André Georges Haudricourt et Louis Hédin,
écrivaient dans leur conclusion :
« Au terme de ce livre, il convient que nous
fassions le point de nos connaissances actuelles sur
cette catégorie de végétaux qui, par leurs liens
étroits avec notre vie même, comme par leur dépendance humaine, méritent à juste titre le nom de
“plantes humanisées”. (...) Le point de vue humain
et l’aspect botanique des questions soulevées dans
ces recherches sont indissolublement liés. C’est sans
doute la raison pour laquelle de telles études, à
cheval sur deux disciplines scientifiques, n’ont
rencontré jusqu’à présent que peu de chercheurs et
avancent si lentement.
« Géographes, historiens, ethnologues,
archéologues, ou même les curieux et amateurs
que sont les “honnêtes gens”, peuvent contribuer
à éclairer, chacun à leur façon, par des observations intéressantes ou par des faits peu connus, les
problèmes qui ont fait l’objet de cet ouvrage. Mais
1. Le premier ouvrage en français bien
représentatif de cette approche est La pensée
sauvage de Claude Lévi-Strauss (1962). Dans la
monographie consacrée à la perception et au
classement du monde végétal chez les Bunaq de
Timor (Friedberg, 1990) on trouve un rappel fort
utile des travaux de l’école américaine.
2. Richard I. Ford (1978) précise à ce sujet :
« Malgré des efforts pour réduire le sens à ‘système
de savoir et connaissance d’une culture donnée
(Sturtevant 1964 : 99), la définition contemporaine
du terme est l’utilisation, l’importance et la
perception de l’environnement dans son sens le
plus général par les habitants originels du continent
nord-américain ou des populations aborigènes
ailleurs. »
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il appartiendra à des “ethno-botanistes”, dont
nous espérons avoir suscité la vocation, de réunir
les travaux épars de cette œuvre collective en vue
de leur critique et de leur synthèse, et surtout de
procéder à des enquêtes sur le terrain, en s’intéressant au double aspect botanique et ethnologique des plantes utiles. » (Haudricourt, Hédin
1987 : 233.)
Les auteurs continuaient en indiquant
brièvement quels étaient à leurs yeux les
sources et les moyens de « l’ethno-botanique »,
domaine transdisciplinaire dont le but principal
apparaissait comme l’étude de l’origine et de la
répartition géographique des plantes en
rapport avec les hommes. En plus des sources
bibliographiques et des documents archéologiques, ils conseillaient la constitution de
collections « de plantes cultivées vivantes dans des
jardins d’études où il soit possible d’examiner leur
écologie et leur génétique ». (ibid. 233-234). On le
constate, dans ce texte fondateur de l’ethnobotanique en France, les auteurs concevaient les
enquêtes de terrain ainsi que les recherches
relatives aux « plantes humanisées » – qui
pouvaient être sauvages – surtout du point de
vue de l’histoire des plantes cultivées, ce qui
motivait un intérêt tout particulier pour les
ressources génétiques. Ils regrettaient qu’on
ignorât l’origine de beaucoup de variétés parce
que dans les collections de plantes cultivées
existantes, on se limitait « à celles qui présentaient un intérêt utilitaire plus ou moins immédiat ».
On comprend donc que pour eux la recherche
génétique étant un outil supplémentaire au
service de l’ethnobotanique, c’est essentiellement à cette fin qu’ils souhaitaient l’établisse-
ment de ces « jardins d’études ». En 1956,
toujours André Georges Haudricourt, précisait
qu’il y avait deux formes de « l’ethno-botanique »,
l’une « statique et descriptive » analysant les
rapports d’un groupe humain avec son milieu
végétal – comme la pratiquait l’école des ethnographes américains précédemment évoquée –
et l’autre « dynamique, historique » avec l’étude
botanique et génétique des plantes cultivées ;
dans ce dernier cas, il faisait référence aux
travaux de l’école de Nikolai Ivanovich Vavilov
qu’il connaissait bien pour avoir effectué une
mission en URSS auprès de ce dernier en 19341935 (Haudricourt, Dibie, 1987) et d’ailleurs ce
sont ces travaux qui avaient déjà fourni les
matériaux pour le livre L’homme et les plantes
cultivées dont des passages viennent d’être
cités3.
Roland Portères, professeur au Muséum
national d’Histoire naturelle et directeur du
Laboratoire d’Agronomie tropicale, renommé
en 1963 Laboratoire d’ethnobotanique
(Bahuchet, Lizet : 15), précise les choses en
définissant ainsi l’ethnobotanique (1961 : 102)4 :
« Discipline interprétative et associative qui
recherche, utilise, lie et interprète les faits d’interrelations entre les Sociétés Humaines et les Plantes en vue
de comprendre et d’expliquer la naissance et le
progrès des civilisations, depuis leurs débuts végétaliens jusqu’à l’utilisation et la transformation des
végétaux eux-mêmes dans les Sociétés primitives ou
évoluées (...)»
Plus loin il précise que (p. 103)
« l’Ethnobotanique est à l’intersection des
domaines de l’Ethnologie, de la Botanique, de
l’Agronomie et de la Génétique » et que son rôle
3. Il convient de mentionner ici le remarquable
livre de l’agronome américain Jack Harlan (1975,
1992), Crops and Man, Les plantes cultivées et
l’homme (1987) qui, sans se référer à
l’ethnobotanique en prolonge et développe cet
aspect dynamique et historique.
4. Dans la même publication Jacques Rousseau
(1961) présente divers exemples entrant dans «le
champ de l’ethnobotanique».
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« est de déceler, dégager et interpréter des faits
humains de caractère social profitant, en
apparence, plus particulièrement à l’Ethnologie et
à l’Étude de toutes les Sociétés humaines et, par
voie de conséquence, son rôle est d’apporter au
profit du Monde moderne la connaissance qu’ont
eu celles-ci du monde végétal ».
Nous retrouvons peut-être ici dans la
dernière remarque un écho aux soucis utilitaires de John W. Harshberger. Quant aux
sources et moyens de travail, à ceux indiqués
par Haudricourt et Hédin, Roland Portères
ajoutait (p. 105), « enquêtes ethnobotaniques
proprement dites, au sein des Ethnies en place
(...), relèvement de documents palynologiques,
inventaire exhaustif des jardins, enclos, champs,
terroirs, plantations et cimetières (espèces et
formes cultivées, commensales, adventives et
adventices, compagnes mimantes ou non, messicoles, entretenues dans les cultures, friches,
jachères, endroits protégés, sacrés, etc.),
enquêtes sur la cueillette, le ramassage, la
préhension, la proto-culture, les jeux d’enfants,
utilisant ou consommant des fragments
végétaux, ou des plantes entières, effets de
l’Homme sur l’environnement végétal (...),
documents chronologiques (...) »
Si un tel texte précise bien tous les aspects
souhaitables des enquêtes ethnobotaniques, il
mentionne également parmi les moyens de
travail (p. 106), « les collectes de graines,
boutures et plants ainsi que la constitution de
collections de plantes vivantes, dans des jardins de
Rassemblement végétal et d’Étude, afin de rendre
plus faciles les travaux descriptifs, les recherches
d’ordre écologique, caryologique, palynologique,
génétique, etc. ». Il ajoutait que le recueil de
« tous les éléments nécessaires demande le
concours de botanistes ou d’agrobotanistes, sinon
d’ethnobotanistes ».
En 1971, Jacques Barrau (professeur au
MNHN) rappelle la fonction de charnière que
l’ethnobotanique joue entre les sciences
humaines et les sciences naturelles.
La définition que donne Richard I. Ford
(1978), un archéologue américain, « étude des
interrelations directes entre les humains et les
plantes », n’indique pas expressément la finalité
historique, comme le précisaient Portères ou
Haudricourt et Hédin, et semble donc privilégier l’analyse synchronique. Ce point me
semble manifeste dans ce qu’on peut observer
désormais dans le contexte des programmes
internationaux de développement de communautés rurales de pays d’Afrique, d’Amérique
latine et d’Asie. La publication en 1995, sous
l’égide de l’Unesco, dans le cadre du programme Hommes et Plantes (People and Plants)
dépendant du Fonds international pour la
nature, (World Wide Fund for Nature), d’un
manuel de conservation par Gary J. Martin, intitulé Ethnobotany (1995) en est le plus clair
exemple. Si, en quatrième de couverture,
« ethnobotanique » est définie comme « l’étude de
la classification, de la gestion et de l’usage des
plantes par les gens », dans sa préface, l’auteur en
fait une partie de l’ethnoécologie, « terme,
ajoute-t-il, (....) de plus en plus utilisé pour englober
toutes les études décrivant l’interaction des gens
d’un certain endroit avec l’environnement naturel ».
À côté de l’ethnobotanique, l’ethnoécologie
comprend d’autres « disciplines secondaires telles
que l’ethnobiologie, l’ethnoentomologie et l’ethnozoologie » (Martin, 1995: XX). Il précise que son
manuel insiste sur « les méthodes d’inventaire des
plantes utiles » (ibid : XXI) et enfin « qu’il vise à la
conception de projets produisant non seulement une
information exacte, mais encore des résultats
pratiques pouvant être appliqués au développement
local (community development) ainsi qu’à la
conservation biologique ». Il insiste sur l’importance des jardins botaniques auxquels il
confère des missions du domaine de l’ethnobotanique en associant au personnel strictement
botanique des ethnobotanistes qui « participent
à l’identification et au sauvetage des plantes utiles
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qui sont menacées par la destruction de leur
habitat ou les collectes excessives » (ibid : 229). Il
rappelle encore que « des ethnobotanistes ont
proposé que les gens des communautés rurales
construisent des pépinières ethnobotaniques où les
espèces utiles puissent être cultivées. Ceci fournit
non seulement une source pour des plantes alimentaires et médicinales recherchées mais aussi sert à
familiariser les jeunes avec les herbes qui sont utilisées traditionnellement dans leur communauté. Les
lopins cultivés servent de jardins de démonstration
où les espèces sauvages surexploitées peuvent être
mises en culture et finalement intégrées aux jardins
familiaux ou aux forêts aménagées » (ibid : 230).
À côté de diverses propositions qui précèdent définies dans un cadre académique ou
institutionnel, il est manifeste qu’en France la
sensibilisation à l’ethnobotanique et sa diffusion auprès d’un public plus large ont été en
majeure partie réalisées grâce à l’œuvre que
Pierre Lieutaghi a entreprise dans les années
soixante du siècle précédent et n’a cessé de
développer depuis lors. Il préconise une
approche originale participative des
recherches relatives aux savoirs populaires. Il
écrit en 1983 qu’« on ne travaille pas sur la flore
française ni sur les “savoirs naturalistes
populaires” (…) : on essaie, avec d’autres, de vivre
avec, dans la rumeur des millénaires de connivence, de perpétuer les pratiques adaptables, d’en
découvrir de nouvelles, surtout ».
Nous constatons qu’en juste un peu plus
d’un siècle, la notion d’ethnobotanique s’est
diversifiée et que son aspect pratique, finalisé,
a évolué depuis une volonté de recherche de
nouveaux produits au bénéfice exclusif de
l’industrie, suggérés par des modèles
indigènes, modèle toujours en vigueur dans le
domaine médical en particulier, pour arriver à
des projets de développement intégré de
régions défavorisées du monde ou encore à un
souci, dans une perspective dynamique, de
restitution et même d’enrichissement de
savoirs condamnés à disparaître. Il est donc
remarquable que le but des recherches et la
pratique des enquêtes ne sont pas neutres. De
là certainement des formes diverses de
médiation des savoirs, allant du secret au
partage.
Quel peut être aujourd’hui le rôle des jardins ?
Dans le rapide survol qui précède sont
apparues les propositions de quatre types de
jardins ethnobotaniques. Pour Harschberger
en 1895, il s’agissait de jardins à établir
« autour des bâtiments de chaque musée pour
fournir des plantes vivantes destinées aux études
en rapport avec les objets d’origine végétale
exposés dans les salles » ; en 1943 Haudricourt et
Hédin préconisaient la constitution de collections de plantes vivantes « dans des jardins
d’études où il soit possible d’examiner leur
écologie et leur génétique ». Il s’agissait donc
dans les deux cas d’outils destinés à la
recherche ; il en était de même pour les jardins
de rassemblement végétal et d’étude, que
Roland Portères proposait « afin de rendre plus
faciles les travaux descriptifs, les recherches
d’ordre écologique, caryologique, palynologique,
génétique, etc. ». À ce point on pourrait définir
un jardin ethnobotanique comme un lieu
directement lié à des recherches, une annexe
d’un laboratoire. La vision de Gary Martin est
sensiblement différente ; l’ethnobotanique
n’étant finalement pour lui qu’un outil pour
favoriser le développement de communautés
rurales défavorisées, dans ce cadre, les parties
de jardins botaniques où il fait intervenir des
ethnobotanistes se veulent d’abord des
réserves pour sauvegarder la flore sauvage
utile menacée avant de la diffuser dans des
zones contrôlées. Il confère aussi à ces jardins
dans les jardins botaniques une vocation
pédagogique pour transmettre aux jeunes non
seulement la connaissance de ces végétaux
mais aussi les savoirs qui y sont attachés.
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Nos collègues organisateurs de ce colloque
ont écrit dans le texte d’intention, trop modestement, à propos de “jardin ethnobotanique”,
« Les rédacteurs de la présente page introductive ne croient pas exemplaire leur expérience en
vraie grandeur à Salagon (ou alors l’exemplarité
fait la part, importante, des erreurs et des
impasses) ; ils revendiquent encore moins la
propriété de la discipline ; mais ils voient celle-ci
trop souvent détournée, sinon en situation d’alibi
mensonger, et pensent qu’une mise au point
s’impose. »
Pour ma part, et sans flagornerie, je considère que ces jardins que nous pouvons voir à
Salagon, fruits d’une réflexion nourrie d’une
longue pratique de terrain évoquée précédemment, associée à une non moins longue
expérience de transmission des connaissances
acquises, peuvent à juste titre former un
cinquième type de jardin ethnobotanique. Si
une chose concrète a l’inconvénient de pouvoir
présenter des faiblesses ou des erreurs, précisément le fait d’être critiquable lui donne
l’avantage d’inciter à la réflexion et au progrès.
Dans un texte intitulé « L’ethnobotanique : une
entrée simple au jardin savant », Pierre
Lieutaghi retraçait en 1990, la genèse de ces
jardins. Il en justifiait la nécessité, à côté des
jardins botaniques classiques, par l’absence
dans ces derniers de toute prise en compte de
la dimension humaine du végétal, de toute
notice quant aux noms vernaculaires et aux
usages des plantes exposées, alors qu’on
constatait un grand intérêt du public pour les
informations de cet ordre. Je puise dans ce
texte les trois éléments qui peuvent servir à
définir à mes yeux le cadre minimal de ce que
doit être un jardin ethnobotanique en France
aujourd’hui. Il s’agit d’« une sorte de miroir des
relations entre la société traditionnelle locale et son
environnement botanique », ceci grâce aux
données d’enquête et à une bonne connaissan-
ce floristique de la région prise en compte.
Considérant qu’un jardin ainsi défini ne fait
qu’évoquer les relations entre plantes et sociétés humaines, sans montrer la réalité de ces
rapports, le souci d’une action didactique plus
précise a conduit à mettre en place des jardins
à thèmes dans lesquels les plantes présentées
focalisent l’intérêt du visiteur sur un aspect
particulier, comme un usage (alimentation,
parfumerie, teinture…), la flore « humanisée »
de diverses régions du globe, ou encore de
périodes de l’histoire.
Enfin, tout jardin ethnobotanique ayant
aussi une fonction pédagogique, il est indispensable d’y prévoir des visites commentées
journalières, sinon une information écrite. Ces
exigences fondamentales n’empêchent en rien
que le jardin laisse apparaître clairement un
souci esthétique chez ses concepteurs. À cet
égard le Jardin médiéval de Salagon me semble
une réussite particulièrement heureuse.
Sans doute actuellement ce sont les deux
dernières sortes de jardins citées qui restent
d’actualité. D’une part, dans le cadre du
développement durable pour des communautés
villageoises aux économies traditionnelles fragilisées dans des pays d’Asie, d’Afrique et
d’Amérique latine, ces jardins ont pour vocation
de sauvegarder des ressources menacées en
vue de les réintroduire dans des modes de
production contrôlée tout en aidant à la transmission de savoirs effectivement utiles et utilisés dans les techniques d’exploitation de ces
végétaux. D’autre part, dans le contexte économique européen et français en particulier, un
jardin ethnobotanique est aujourd’hui d’abord
un lieu de médiation caractérisé par la présentation de l’ensemble des végétaux « humanisés » –
comme l’écrivaient Haudricourt et Hédin –
d’une région, d’un moment de l’histoire ou
encore un essai d’approfondissement de
certaines pratiques particulières, avec le souci
constant de communication et d’échange de
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connaissances entre visiteurs et ethnobotanistes. Sans préjuger de leur potentiel
dynamique, leur but est cependant d’abord la
présentation de végétaux et la sauvegarde des
savoirs qui y étaient et qui peuvent y être encore
liés et qui, autrement, risqueraient d’être voués
à l’oubli. Les exemples de réalisations de jardins
qui sont présentés dans ce recueil illustrent bien
la diversité des situations possibles qui certainement n’épuisent pas l’étendue d’un champ aux
limites floues que peut révéler l’étiquette « jardin
ethnobotanique » à qui a la curiosité de faire une
recherche sur Internet.
Un jardin ainsi qualifié peut simplement
servir d’enseigne, sinon d’alibi pour promouvoir une entreprise commerciale proposant
soins médicaux et stages d’initiation au
chamanisme en Amazonie, par exemple. On
peut aussi noter une certaine dérive due au
souci fréquemment manifesté de présenter
des plantes « anciennes » en insistant sur le fait
qu’elles sont mises en culture dans des lieux
chargés d’histoire ou d’anciens jardins. Si des
espèces spontanées n’ont sans doute pas
beaucoup évolué depuis quelques centaines
d’années, il n’en est pas du tout de même pour
les formes de végétaux cultivés qui peuvent
être fort différentes de celles cultivées
naguère malgré une dénomination identique.
Néanmoins, dans l’ensemble, les jardins ainsi
révélés, qui « mettent en avant les rapports
hommes-plantes » nous semblent posséder les
traits caractéristiques qui peuvent servir à
définir un jardin ethnobotanique tel que cela a
été mis en évidence précédemment. n
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28 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
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Penser
un jardin
ethnobotanique
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Le Jardin d’un naturaliste
et l’ethnobotanique au Muséum
national d’histoire naturelle
[Résumé de la communication]
Conçu et réalisé au Jardin des Plantes de Paris en 1995, le Jardin d’un
naturaliste inaugurait un principe de partenariat entre la Grande
galerie de l’évolution du Muséum, le Service des cultures et divers
laboratoires de recherche. Cinq ans plus tard, il était « démonté » et
transplanté à Athis-Mons, dans l’Essonne. Il changeait alors d’identité
(rebaptisé Jardin des amis de Paul Jovet) et de statut (il devenait
associatif).
Les journées de Salagon seront l’occasion de réfléchir à cette
expérience professionnelle singulière et d’analyser l’histoire des deux
jardins. Le premier allait de pair avec l’organisation d’un colloque
dédié à l’œuvre du botaniste Paul Jovet, précurseur d’une démarche de
reconnaissance de la flore ordinaire (végétation de la France, et plus
particulièrement des milieux artificiels). Ce jardin-exposition était un
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Actes du colloque de Salagon,septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 31-32
Bernadette Lizet
CNRS / Muséum national
d’histoire naturelle
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32 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
exercice inédit de recherche ethnobotanique, combinant deux
registres et deux postures : un hommage sous la forme d’un portrait du
chercheur par l’évocation de son jardin de banlieue et une réflexion
épistémologique sur l’œuvre de Paul Jovet et sur le métier de naturaliste
au Muséum.
La frontière entre ce qui relève de l’ethnobotanique et ce qui n’en
relève pas sera plus précisément analysée par la comparaison entre les
deux jardins. n
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Penser un jardin
sans frontières ?
Questions autour du jardin
ethnobotanique de Camargue
À l’origine, il y a eu la volonté d’un homme : le directeur de l’association
gestionnaire des Marais du Vigueirat, Jean-Laurent Lucchesi, amateur de
jardins. Du diagnostic qu’il n’existe pas de jardin botanique en Camargue et
de son souhait de diversifier l’offre touristique sur son site, il a porté l’idée
d’y créer un jardin qui présenterait les plantes sauvages de Camargue et
leurs usages. La volonté d’un homme est parfois largement suffisante pour
faire aboutir un projet, surtout lorsque cette volonté est forte.
Mais un projet ne se construit pas seul. Et une telle aventure n’a pas de
valeur si elle n’est souhaitée, portée et alimentée par la population locale
concernée. C’est ce dont avait conscience cet homme, bien implanté sur le
territoire et convaincu de la relation forte entre protection de l’environnement, culture et développement local.
Un autre acteur clé a été le Conservatoire du Littoral et des rivages
lacustres, propriétaire du site des Marais du Vigueirat et organisme déjà
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon,septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 33-40
Sabine Rabourdin
CPIE Rhône Pays d’Arles
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34 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Nénuphar jaune
(Nuphar luteum), plante
ornementale, médicinale
et protégée, présente en
Camargue dans les
canaux et roubines.
Photo : AEEC/AMV.
propriétaire de jardins prestigieux comme le
Jardin du Royal ou le jardin de la Serre de la
Madone à Menton. Un jardin au Marais du
Vigueirat permettait de tisser un lien entre ces
différents lieux.
Un tel projet nécessite aussi des appuis. Il
faut des subventions. Dans ce cas-là, il s’est agi
d’un dispositif (FNADT) impliquant l’État, la
Région, le Département, la ville d’Arles et le
Conservatoire du Littoral. Mais cela n’était pas
suffisant, et la Fondation Gaz de France a
apporté sa pièce, ou plutôt ses pièces.
Voilà divers acteurs réunis en un comité de
pilotage, dont le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) Rhône Pays
d’Arles a été le coordinateur.
Voilà pour la genèse historique et factuelle. Mais on sait bien qu’un jardin est porteur
d’affectif : les faits ne dépeignent pas ce qui
s’est joué dans le contenu. Car il fallut définir
un cahier des charges, donner un contenu au
projet et y poser des contours, des limites : un
jardin pour qui, pour quoi, sur qui, sur quoi ?
Vocations
La Camargue « est un triangle avec un rond au
milieu, l’étang de Vaccarès : la Camargue
sauvage. C’est une terre sur sable, formée par les
alluvionsdu Rhône1. »
Le cahier des charges pour recruter une
équipe de paysagistes a été l’occasion de réfléchir sur le fond de la démarche. Bien sûr, le
jardin doit avoir une vocation de préservation
de la biodiversité. Les Marais du Vigueirat,
vaste espace protégé en Camargue et future
réserve nationale, ont pour première vocation
celle-ci. Bien sûr, le jardin doit être de qualité,
au point de vue botanique, esthétique et original, pour attirer les amateurs de jardins
botaniques. Mais, pourquoi le besoin d’un
caractère ethnobotanique ? Dans quel sens ce
terme a-t-il été pensé ?
Chaque acteur du projet avait sa vision du
mot. Mais les réunions du comité de pilotage
ont affiché un compromis clair : le jardin
montrera des plantes utiles du Pays d’Arles
(Crau, Camargue, Alpilles). Utiles, c’est-à-dire
qui présentent un usage alimentaire, médicinal,
artisanal, etc.
L’orientation était donnée.
Mais ce ne pouvait être si simple car un
projet de qualité n’aurait pu se limiter à cet
inventaire à la Prévert de plantes avec leurs
utilités. Un jardin ethnobotanique ne peut être
un seul inventaire d’usages et de recettes. La
relation de l’homme au végétal n’est pas si
cloisonnée. Lorsque le CPIE Rhône Pays d’Arles
s’est vu confier la mission de coordonner le
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Penser un jardin sans frontières ? | 35
Bottes (« manons »)
de roseaux (Arundo
phragmites), rebuts de
récoltes de sagnes dans
les roselières : celles-là
sont destinés à servir
d'isolation en extérieure
aux habitations.
Photo : AEEC/AMV.
projet, il a souhaité répondre à la demande et
dresser un inventaire de plantes utiles, avec
leurs usages.
Mais là ont surgi les premières difficultés,
en quelque sorte salvatrices, car révélatrices
de la richesse du projet.
Le CPIE a ainsi jugé nécessaire de procéder à
un premier état des lieux de l’existant en
matière d’ethnobotanique du Pays d’Arles. Or
là, néant. Ou presque. Certes il existe des
ouvrages sur l’ethnobotanique méditerranéenne très bien documentés3, mais rien de
spécifique à la Camargue, qui présente des
milieux assez particuliers, à la Crau ou aux
Alpilles, territoires constitutifs du Pays d’Arles.
Le CPIE disposait de l’inventaire des
plantes présentes sur le site des Marais du
Vigueirat, fourni par l’association gestionnaire. Ce site naturel, situé à la frontière de la
plaine de Crau et de la Camargue orientale,
présente une richesse de plantes propres à ces
deux milieux. À l’aide d’ouvrages d’ethnobotaniques plus généraux et d’un manuscrit du
XIXe siècle répertoriant l’usage d’une centaine
de plantes, il a été constitué une première
base de données faisant joindre des noms de
plantes et des types d’usage. Et c’est ainsi que
la faiblesse de ce type d’approche « inventaire
à la Prévert » est apparue distinctement. Il
fallait procéder à des enquêtes pour explorer
la spécificité de la Camargue, de ses plantes,
ses milieux et son histoire humaine, en
relation avec le végétal. Première difficulté :
réconcilier naturalistes et ethnologues, en
prouvant l’utilité de ces enquêtes.
Autre difficulté : faire coïncider la commande avec la réalité du terrain. « Terrain », pris
dans le sens concret : le lieu d’implantation du
futur jardin. Celui-ci présente diverses particularités : milieu saumâtre, voire salé, nappe
phréatique haute, soumis aux inondations et à
la sécheresse, avec peu de relief. Et donc, un
1, 2.
Extrait d’entretiens ethnobotaniques en
Camargue et en Crau, CPIE Rhône Pays d’Arles,
2007.
3. On citera notamment Petite ethnobotanique
méditerranéenne, Pierre Lieutaghi, éditions Actes
Sud, 2005.
Des difficultés salvatrices
« En Camargue, il y a toujours quelque chose à
gratter, on crèvera jamais de faim .» « Meurent de
faim que les étrangers, ceux qui sont du pays ils
meurent pas de faim2. »
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terrain qui ne pouvait accueillir aisément des
plantes venues de milieux aussi variés que la
Crau, steppe aride mais non saumâtre, les
Alpilles, zone rocheuse de garrigue, et la
Camargue. Il a par exemple vite été décidé de
ne pas présenter les plantes des Alpilles ni de la
Crau sèche, donc de se « limiter » à la
Camargue et à la Crau humide.
Mêler les contraintes de la fabrication du
jardin à celles de la constitution des savoirs
présentés, tel est en fait devenu le véritable
enjeu du projet à ce stade. Ce qui a permis de
partir sur de nouvelles problématiques.
De nouvelles problématiques
En Camargue « une plante est utile si les taureaux
ou les chevaux la mangent ou bien si elle est jolie4. »
Parle-t-on des plantes ou bien parle-t-on des
hommes ? Dans quel but recueillir ces savoirs ?
Fait-on de la recherche ou bien fait-on un
jardin ? Un jardin touristique ou un jardin
pédagogique ?
Avant de pouvoir répondre à ces
questions, il fallait savoir si la connaissance
des plantes sur le pays d’Arles était suffisamment riche pour faire l’objet d’un jardin ou si le
jardin devait simplement illustrer des usages
classiques de l’ethnobotanique française.
Une première enquêtrice, Camille, issue de
la psychologie de l’environnement a été
envoyée en éclaireuse. Une mission peu définie
mais un objectif précis : faire quelques enquêtes
préliminaires. Elle rencontre d’abord des informateurs, qui ont vécu ou vivent encore à proximité des Marais du Vigueirat. Douze entretiens
plus tard, Camille fournit des informations qui
permettent de prendre conscience d’un nouvel
aspect : la Camargue est peuplée d’hommes et
de femmes qui ne sont pas camarguais ! Du
moins, d’origine. Ils ne sont là que depuis peu de
générations, 1 ou 2, 3 peut-être. Car la
Camargue n’est véritablement peuplée que
depuis la fin du XIXe siècle. De plus, ceux qui
constituent aujourd’hui majoritairement la
Camargue ont des cultures propres, variées et
parfois lointaines : Grecs et Arméniens venus
travailler aux Salins dans les années cinquante,
Gitans des Saintes-Maries, Harkis venus
d’Algérie après la guerre, Laotiens, naturalistes
venus de partout en France et en Europe depuis
une vingtaine d’années, et même peut-être des
Indiens d’Amérique qui se seraient installés il y a
deux siècles. Sans oublier bien sûr les
« Provençaux », porteurs de la tradition provençale du mouvement du Félibrige ou de la nation
gardiane, et les bergers qui ont quitté les Alpes
ou les Cévennes pour la Camargue ou la Crau.
C’est justement ce qui fera la richesse de
notre jardin, ce mélange de savoirs. La
Camargue réunit ces peuples autour de ses
milieux et c’est ce qui la constitue ; le jardin
doit réunir ces savoirs autour des plantes de
Camargue.
Quand l’ethnobotanique donne du sens
La Camargue, « c’est les grands mas, avec les
cyprès et les pins autour… C’est les rizières, les
enganes, le plat et le mistral5. »
La relation au végétal en Camargue est
apparue comme un révélateur de cultures
autour d’un territoire constituant une société
dans sa diversité. La richesse du jardin sera
d’être à la jonction entre les sciences
naturelles et les sciences humaines. Sa base
sera fermement naturelle, puisque située dans
un espace naturel à vocation de préservation,
4, 5, 6, 7. Extrait d’entretiens ethnobotaniques en Camargue et en Crau, CPIE Rhône Pays d’Arles, 2007.
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Penser un jardin sans frontières ? | 37
et les acteurs principaux du projet sont des
naturalistes, ou en tout cas des personnes
issues des sciences de la vie. Mais la façon de
décrire la plante, de la reconnaître, de l’utiliser, sa fonction dans le système local d’échange et de transmissions est à percevoir sous
l’angle des sciences humaines, qui se basent
plus sur le qualitatif que sur le quantitatif !
C’est en ce sens un jardin ethno-botanique et
non socio-botanique : on ne fera guère de
statistiques sur les informateurs, même si leur
origine ou professions sont à prendre en
compte.
Mais avec quels contours,
quelles limites ?
La Camargue « c’est sauvage : c’est le sud de
l’Espagne, c’est le nord de la Tunisie. »
« Y’a la mer, y’a les chevaux, y’a les taureaux 6. »
Se passer de statistiques n’est pas pour éviter
les difficultés, loin de là ! La principale d’entre
elles étant de définir les limites, les contours.
Contour géographique du lieu à représenter : la Camargue, oui mais laquelle ? La
Camargue orientale, deltaïque ?
Limite entre plante sauvage et plante cultivée, puisqu’il s’agit d’un jardin de plantes
sauvages. L’exemple des rudérales, comme
l’ortie qui pousse de manière sauvage mais en
des lieux anthropisés, est significatif. Qu’estce qu’une plante sauvage ? Il est fascinant de
constater les débats auxquels cette simple
question aboutit ! Au final, la définition choisie
sera celle-ci : une plante sauvage pousse dans
un milieu sauvage et n’a pas besoin de
l’homme pour y venir.
Limite, encore, entre plantes camarguaises
ou plantes importées. Depuis combien d’année
d’implantation en Camargue, une plante peutelle est reconnue comme camarguaise ?
Puisqu’il s’agit d’un jardin des plantes camar-
guaises. Doit-on se cloisonner à la date de 1492,
habituellement choisie pour définir la limite
temporelle d’endémisme d’une plante ? La
réponse ne sera pas donnée. Dans le doute, on
acceptera toute plante ! Sans discrimination.
Limite encore (ou contour) entre savoir et
usage camarguais ou savoir extérieur… Il est là
trop difficile d’établir une frontière.
Interface entre ethnologie et botanique :
choisit-on de porter notre analyse (et de faire
passer des informations aux visiteurs) sur le rôle
symbolique du végétal dans la société ou sur les
étonnantes curiosités botaniques des plantes ?
Doit-on exclure de présenter les aspects
purement botaniques d’une plante sous prétexte que le jardin est « ethnobotanique » ?
Doit-on aussi, dans le même ordre d’idée,
se positionner comme un projet de recherche
qui aboutit à un jardin ou comme un jardin qui
nécessite quelques recherches ? Interface
entre recherche et application.
Résultats d’enquêtes
Au final, 30 enquêtes ont été effectuées auprès
de 38 partenaires d’enquêtes, ou informateurs,
par deux autres enquêtrices, Marie et Louise.
D’autres rencontres auprès de personnes
ressources (naturalistes, botanistes, historiens,
sociologues, ethnobotanistes amateurs etc.)
ont enrichi ces données. De cela a découlé un
tableau recensant les plantes et leurs usages.
Mais d’autres données portant sur la perception du milieu camarguais par les habitants,
portant sur la perception du végétal dans ce
milieu ne peuvent figurer dans un tableau. Au
maître d’ouvrage du jardin de décider
comment valoriser ces données « perceptives ». Ce pourra être par des retranscriptions
audio, par des sélections d’écrits, par une
scénographie évocatrice. Et ce pourra ne pas
apparaître du tout. Le choix reste à faire. Les
données ont permis de recenser 300 plantes
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dont 160 qui poussent dans les milieux
sauvages retenus (Camargue et Crau humide)
et dont un usage ou une histoire particulière a
été cité par un informateur local.
Mettre en scène le jardin
En Camargue « il faut aimer la tranquillité, la
solitude, la nature, les moustiques, mais ça
heureusement qu’on les a, ça retient le monde ».
Comment montrer les 160 plantes citées dans
les enquêtes et les faire parler ? Une plante ne
parle pas, dommage. Comment les mettre en
scène de manière esthétique, cohérente et
pédagogique. La proposition paysagère des
paysagistes sélectionnés sur ce projet (ALEP,
Gilles Clément et François Macquart-Moulin) est
de représenter les différents milieux emblématiques de Camargue et de Crau humide et
d’extraire de ces milieux quelques placettes
mises en valeur au sein desquelles apparaîtront
des plantes « élues ». Les plantes élues seront
celles qui auront quelque chose à raconter dans
le domaine ethnobotanique, de particulièrement
« croustillant ». Une liste de plantes élues a été
programmée pour les vingt prochaines années,
avec
leurs
thématiques
d’usages.
L’ethnobotanique ne rentre en scène qu’avec les
placettes et leurs plantes élues. Par exemple, le
milieu appelé « prés salés et sansouires », sera
créé à partir de la présence d’une trentaine de
plantes emblématiques de ce milieu (au point de
vue botanique) ; et dans les placettes, on aura
une dizaine de possibilités de plantes élues (ex : la
soude, Suaeda vera, utilisée historiquement dans
la fabrication du verre et du savon). Mais les dix
plantes élues d’un milieu ne peuvent toutes
apparaître ensemble sur une placette, car pour
certains milieux, elles se comptent par dizaines.
D’où la nécessité d’en choisir deux ou trois par
placette. L’idée a été proposée de faire tourner
chaque année, les plantes élues, de manière à
apporter du dynamisme au jardin, en faisant
varier les thématiques (année des plantes tinctoriales, année des plantes à boire, etc.). Cette idée
attrayante sera difficile à mettre en œuvre
compte tenu du fait que certains milieux présentent des lacunes au niveau de certains usages
(exemple: le milieu «canaux d’eau courante» ne
présente pas de plante sur l’usage «magique», ou
l’usage « beauté »). Il faudra peut-être alors se
contenter de faire varier les plantes élues, sans
s’appuyer sur des thématiques.
Pour l’entretien du jardin, sur la durée, une
équipe en réinsertion, encadrée par un jardinier est prévue. Il faudra peut-être aussi
inviter quelques chevaux à la pâture pour
reconstituer des conditions favorables à
certaines plantes !
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Penser un jardin sans frontières ? | 39
De gauche à droite.
Vue sur le lieu d'implantation du futur jardin
(joncs, sansouire, saladelles,..) : les milieux
ou les plantes existants seront préservés
autant que possible. Photo : AEEC/AMV.
Vue sur l'emplacement du jardin, avec,
au fond, une ancienne bergerie dotée
d'un panneau solaire. L'ensemble du site
des Marais du Vigueirat est entrée dans
une démarche écoresponsable. Le jardin
cherchera aussi à limiter son impact
écologique. Photo : AEEC/AMV.
Vue sur un canal riche en carex
(Carex riparia), aux Marais du Vigueirat.
Photo : François Macquart-Moulin.
Entre scénographie et pédagogie
« Les plantes ici c’est difficile, le mistral arrache
tout et le soleil brûle le reste… »
À l’heure où ces lignes s’écrivent, le jardin de
Camargue et de Crau est encore en phase
d’esquisse. Il reste de nombreux choix à faire.
Les milieux ont été délimités et décrits. Ils
s’implanteront en des endroits du terrain
alloué de manière à transformer le moins
possible ce terrain et à en utiliser avec avantage les milieux existants. Ce terrain consiste en
un hectare environ de terre situé à proximité
d’une ancienne bergerie, où l’on trouve,
poussant de manière sauvage des plantes
caractéristiques de certains milieux : Saladelle
(Limonium narbonense), Jonc glauque (Juncus
glaucus), ripisylve, etc. Il s’agit de conserver
ces plantes et ces milieux au maximum. L’ajout
de terre pour créer un dénivelé permettra de
créer des degrés de salinités variables grâce à
un écoulement d’eau douce gravitaire. La
grande difficulté botanique de ce jardin a été
de définir des milieux caractéristiques avec
leurs frontières : comment délimiter un
milieu, quelles plantes sont emblématiques de
ce milieu, quelles en sont les caractéristiques
pédologiques. Car dans la nature, les
frontières ne sont pas toujours nettes. De plus,
ces milieux doivent représenter un ensemble
délimité et esthétique pour les visiteurs. Ceci
fait, l’autre difficulté va être de recréer ces
milieux ! Vouloir reproduire un milieu sauvage
dans un endroit cultivé et anthropisé n’est pas
simple. Faire un jardin naturel en Camargue
n’a rien de naturel ! D’où le défi.
Enfin, il faudra choisir le support pédagogique de diffusion de l’information. Le site
s’affiche comme anti-panneau primaire et le
revendique. La stratégie de communication
repose sur des interpellations sensitives
cherchant à poser des questions au visiteur en
lui donnant les moyens de trouver la réponse.
Dans le jardin, il faudra donc être inventif et se
passer des étiquettes ! Les réponses sont
multiples, mais il s’agit de trouver celle qui
s’harmonise le plus avec le site et le projet.
Quels messages ?
« Je garde un très bon souvenir du marécage, mais
j’ai dû y partir car on en vivait plus ; pendant la
guerre, les plantes servaient à tout, maintenant
ça s’est perdu 7. »
Quels messages pédagogiques faire ensuite
passer ? En dehors du contenu, il y a le ton.
Diffuser des messages de manière engagée,
défendant la protection des espèces locales
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40 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
face aux invasives, défendant l’indépendance
des jardiniers face aux firmes de pesticides,
d’engrais et de semences ? Ou bien rester dans
l’objectivité des données. Là aussi apparaît une
interface : entre science et engagement. Le
choix sera alors de proposer au visiteur de
porter un autre regard sur la nature, dans
l’objectif de la préserver.
Il est important aussi de distinguer les différences d’ordres de savoirs. Il existe des savoirs
oraux transmis de personnes à personnes. Il y a
les savoirs transmis par les livres. Quelle valeur
accorder aux uns ou aux autres ? Où se place la
transmission de savoir dans un jardin ethnobotanique : au niveau oral ou écrit ? Entre les deux
sûrement, surtout lorsque les sources de
données proviennent d’un recueil à la fois oral et
bibliographique ! Et il y a aussi une autre dichotomie de savoirs : ceux que l’on dit « populaires »
et ceux que l’on dit « savants ». Peu importe que
« la vesce noire (Vicia sativa) [soit véritablement]
bonne pour les brebis à condition que celles-ci
ne soient pas à jeun (sinon, elles gonflent et
meurent) » ? L’important est-il que quelqu’un le
croit et qu’il y ait une cause à cette croyance
(que ce soit un fait avéré ou non) ? Cela nous
parle en effet de l’histoire locale et de bien
d’autres choses. Mais comment transmettre
cette connaissance qui n’a pas valeur de savoir
absolu ? Il y a enfin les savoirs anciens (la teinture de réséda des teinturiers, Reseda luteola L.) et
les savoirs nouveaux (les jeunes pousses de
roseau en gratin, ou la salicorne au chocolat).
Ceux-là nous rappellent que l’ethnobotanique
est une science d’aujourd’hui, qui retrouve de la
valeur au passé pour imaginer demain.
Quand le jardin sera là
Avant que le jardin ne soit là, il reste à savoir
s’il y aura un ou deux jardins. Car il se pourrait
que vienne s’adjoindre au jardin sauvage, un
jardin des plantes cultivées où seraient
présentées les plantes que les gens ont
emmenées avec eux en s’installant en
Camargue. Le « jardin cultivé » reproduira des
jardins où poussent des plantes importées ou
locales mais utilisées spécifiquement par une
population. Apparaît alors une nouvelle interface à trouver : depuis quand et à partir de
combien de personnes, une population estelle considérée comme « constitutrice » de la
Camargue ? Grecs, arméniens, oui. Mais
anglais, naturalistes ?
Toutes ces questions sur les limites sont les
bienvenues, car elles nous poussent à nous
interroger sur les limites de notre projet et le
rendent plus fort, plus pertinent, plus cohérent.
Et puis, quand le jardin sera là, il recommencera à nous interroger, mais peut-être nous
donnera-il alors lui-même les réponses. Car le
lieu sur lequel il est établi subira naturellement les mouvements des saisons, celui de
l’eau et du sel qui montent ou s’effacent. Des
plantes s’établiront, se disperseront quand
d’autres s’éclipseront. Alors, il faudra
sûrement laisser faire si l’on veut garder ce
côté sauvage qui fait la Camargue et suivre
l’impulsion des vagabondes, chères à Gilles
Clément. Il faudra peut-être encore inventer
de nouvelles limites, de nouveaux contours,
ou au contraire, les dissoudre. n
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Penser un jardin botanique au fil des usages :
Le projet du Jardin
des cultures guyanaises,
une interface expressive entre traditions vécues
et prospection scientifique*
« Penser un jardin botanique » : tel était l’un des thèmes du colloque de
Salagon. Cette formulation, qui se pose presque comme un appel et une
revendication, nous invite à voir tout jardin non comme un produit fini ou
comme résultat d’une activité empirique, mais comme projet qui s’enracine et germe d’abord dans l’imaginaire, la recherche et la motivation de
ceux qui se réunissent autour d’un même désir de lieu.
C’est donc naturellement d’un jardin encore en projet, donc encore
dans la liberté du débat et de la création à venir, que nous allons décrire
les motivations, les buts, les problèmes et les solutions qui se posent. Ceux
qui veulent donner du sens à un lieu savent bien qu’avant de penser à jardiner, il faut toujours jardiner la pensée elle-même, prendre le risque d’un
écart préalable avec le réel, quitte à n’y jamais revenir tout à fait. Nous
espérons que chacun des lecteurs qui œuvrent patiemment, en jardiniers
vigilants, à un projet humain ou végétal semblable, pourra y reconnaître ses
préoccupations, en partager les apprentissages, y trouver source d’encouragement ou de réflexion.
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 41-59
Charles Ronzani
* Le projet Jardins des
Cultures a été mené sous
la direction scientifique de
Laurence Pascal, maître de
conférences à l’université
de Montpellier 2, avec la
coopération de Didier
Bouillon. L’équipe des
étudiants était composée
de : Marie Dherbomez,
Franck Coudray, Céline
Serrano, Renaud Favier,
Claire-Marie Bomard.
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42 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
I. Métamorphose d’une commande
en pensée de projet
Présentation des origines
et motivations de départ
Figure 1 (en haut).
Les demandes de la commande.
Figure 2 (en bas).
Cueillette de cacao dans l’Approuague.
Dans le cadre du nouveau Pôle universitaire
Guyanais de Cayenne, qui doit marquer le
développement d’un enseignement scientifique local dédié à l’écologie du milieu forestier, une place a été laissée pour la réalisation
d’un jardin à vocation botanique et pédagogique, à l’entrée du futur campus de TrouBiran. Laurence Pascal, maître de conférence à
l’université de Montpellier 2 et directrice
scientifique du projet, a fait appel à des
étudiants pour l’aider à élaborer ce nouveau
jardin et donner corps aux intentions de
départ.
Avec ses seuls objectifs et attentes de
départ, la conception du Jardin des Cultures
opère dans un champ aux pôles multiples,
conflictuels et parfois contradictoires.
Quels sont ces besoins ? Ceux du site, alliés
à ceux de ses acteurs : l’ensemble forme un
quadrilatère disciplinaire dont le premier pôle
est la recherche scientifique, le second la
médiation culturelle, le troisième l’enjeu d’un
cadre de vie agréable et utile, le quatrième un
rôle de communication et de visibilité
publique et commerciale.
En ce qui concerne l’aspect de recherche,
les deux modes du savoir que sont les sciences
exactes et les sciences humaines se croisent,
avec l’écologie, la botanique d’une part, l’ethnologie, la linguistique d’autre part. Nous
laissons chacun libre de juger si un tel dialogue
forme une ethnobotanique ou non, mais nous
insisterons sur la double déclinaison de
chacune de ces sciences entre besoins de
recherche et besoins d’enseignement à destination des étudiants du futur campus.
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Le projet du jardin des cultures guyanaises | 43
En ce qui concerne ensuite l’aspect de médiation, c’est aussi une rencontre de savoir-faire
parfois opposés entre eux aux yeux de l’opinion qui de fait est imposée : le jardin devant
concerner des plantes utiles et utilisées par les
hommes, il y a indéniablement une dimension
muséographique à intégrer, avec les exigences
de scénographie que cela implique.
De même, l’aspect de cadre de vie, propre
peut-être à l’urbanisme et au paysagisme, est
une dimension capitale trop souvent éludée :
le spectateur le plus exposé à ce site, c’est
d’abord l’habitant – ici l’étudiant – qui traverse
et contemple au quotidien cet espace jouant le
rôle de seuil et d'entrée du futur campus. Ses
besoins sont ceux de tout usager : d’une fausse
simplicité, en réalité toujours complexes car
ce sont eux et leurs supports d’aménagements
qui tissent les postures et les relations sociales
de tous les jours.
Enfin, il ne faudrait surtout pas oublier la
dimension, en partie implicite, qui s’attache
toujours à un aménagement public, c’est celle
de l’image et des messages que constituera de
fait le futur jardin. De façon plus anticipée, il
s’agit aussi de faire une tête de pont du milieu,
du paysage, des cultures et des filières économiques de la Guyane à destination d’un public
local ou d’un tourisme mal informé.
Ce faisceau d’aspects et d’objectifs dans la
demande d’un jardin ethnobotanique nouveau
à Cayenne se résume bien plus facilement par
un schéma, qu’on a reproduit à la [figure 1].
Difficultés d’une demande plurielle et
vertus d’une équipe pluridisciplinaire
En accord avec l’esprit de la demande, et avec
celui d’un pays de la variété comme la Guyane,
la directrice scientifique du projet, Laurence
Pascal, maître de conférence à l’université
Montpellier 2, a souhaité dès le début ne pas
enfermer la conception du jardin dans une
seule discipline académique et dans le regard
risqué d’une seule méthode, les objets et les
aspects multiples du jardin dépassant
d’emblée les compétences d’une seule personne ou d’un groupe de recherche mono-disciplinaire et forcément monopolisant.
Aussi, plutôt que le recours à des corps de
connaissance et de métiers a priori « rodés », à
ces chaînes opératoires et à ces circuits de
compétences qu’on préjuge souvent
incontournables pour ce type de projets
(commande d’expertises, appel d’offres à des
professionnels de la médiation, de l’aménagement, etc.), c’est le pari du travail avec les
étudiants de différentes origines et formations
qui a été retenu, avec la nécessaire ouverture
de débat que cela suppose, pour peu que ne
s’établisse pas un rapport de domination
maître-élève univalent.
C’est précisément la forme de stages de
terrain voués à l’action autant qu’à l’étude, à la
production de savoirs autant qu’à la conception, bien au-delà de la seule observation
passive, qui a été retenue. Un des avantages de
cette approche, et non des moindres, aura été
de pouvoir utiliser des énergies libérées des
enjeux et des tactiques financières, libérées
des plans de carrière, et peut-être porteuses
d’innovation hors des usages sédimentés et
enrégimentés par un monde professionnel qui
ne s’est jamais confronté à un projet si polyvalent. [Figure 2.]
Voici alors le partage des tâches qui a été fait,
le découpage s’étant d’abord surtout fait
relativement aux objets et aux champs
d’études que pose le jardin :
— Échantillonner et tester les vertus tinctoriales des végétaux au plan des caractéristiques et des processus chimiques, sur la base
de 35 espèces connues, 25 utilisées traditionnellement, et d’autres colorants inconnus et
supposés se trouver dans certaines espèces
déjà utilisées ou reconnues. La tâche a été
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44 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
confiée à Marie Dherbomez, étudiante en
master « biotraçabilité, biodétection, biodiversité » à Montpellier 2.
— Anticiper les débouchés d’application
possibles de tels végétaux, en constituant les
connaissances en base de données afin de
poser les premières pierres requises pour
édifier des filières artisanales ou industrielles
(Franck Coudray, master « Ingénierie, écologie
et gestion de la biodiversité » à Montpellier 2).
— Recenser les végétaux odoriférants déjà
utilisés traditionnellement, inutilisés mais
utilisables sous des formes nouvelles (Céline
Serrano, master « biotraçabilité, biodétection,
biodiversité » à Montpellier 2).
— Faire le bilan sur la culture et la production
du cacaoyer en Guyane, et approfondir
l’exploration d’un usage possible inédit du
cacaoyer guyanais, très mal connu, et potentiellement riche mais non utilisé à ce jour1.
(Renaud Favier, licence professionnelle
« Arômes, parfums et cosmétiques »,
Montpellier 2).
— Recenser les végétaux servant d’épices et
de condiments, là encore tant traditionnellement que virtuellement.
L’ensemble de ces tâches a été confié à des
étudiants scientifiques, pour la plupart de
niveau master, issus de formations professionnelles, ce qui – point important – suppose
avantages et défauts par rapport au regard
spécialisé du botaniste : écologie ou chimie
permettent d’aborder le végétal par deux
échelles encadrantes, celle du milieu et celle
de la physiologie. En revanche, la reconnaissance et les procédés de conservation propres
à la connaissance botaniste demandaient un
suivi qui fut précisément l’apport d’enseigne-
ment du stage auprès des jeunes scientifiques.
Aussi, la coopération de l’Herbier de
Cayenne (organisme de l’Institut de recherche
pour le développement, IRD), ainsi que la visite
sur le terrain de botanistes réputés ont permis
d’équilibrer la rigueur de l’approche, sans
oblitérer l’ouverture des regards.
1. Théobroma cacao, variété « forastera o. amazonia »,
dont l’origine de la spécificité morpho-géographique
reste obscure, les hypothèses oscillant entre une
forme américaine originelle du cacaoyer ou une
adaptation à partir des plants de culture ancienne
importés par les occidentaux, les jésuites notamment.
L’optique du paysage, regard
généraliste médiateur des spécialités
scientifiques
Il n’y a pas que l’évidente pluralité des regards
spécialisés à souligner dans cette opération. En
effet, le jardin, comme tout jardin, est forcément aussi, on pourrait même dire « d’abord »,
un aménagement dans l’espace et un objet de
médiation des savoirs, donné en spectacle à la
sensibilité variée d’un public candide. Cette
dimension a justifié le recours au regard transversal du paysagiste, avec notre adjonction
comme stagiaire de l’École nationale supérieure
du paysage de Versailles (ENSP). L’aspect ethnologique nécessaire au jardin y a été associé en
quelque sorte « à la source », puisque c’est au
double titre de paysagiste et d’étudiant en
sciences humaines appliquées au paysage que
nous avons été appelés. La coopération de l’ethnologue Didier Bouillon, professeur à l’École du
paysage, a quant à elle garanti un appui fiable et
une ouverture vers la profession.
Sur le paysage, il y a lieu d’éclaircir tout de
suite en quelques mots les malentendus qui ne
manquent jamais de venir couvrir ce terme
ambigu. C’est sous cet angle-là que l’ethnobotanique nous paraît intéressée quant aux
réflexions et formes concernant la façon dont
elle se montre au public à travers des lieux à
mettre en scène.
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Le projet du jardin des cultures guyanaises | 45
On se contentera de présenter ce nouvel
objet théorique et pratique des temps
présents en renvoyant à la Convention
européenne du paysage de Florence, à savoir la
relation entre les hommes et l’espace, prise
dans son aspect avant tout sensible, à la différence de l’approche géographique2.
Par-delà le beau spectacle visuel de l’étendue d’un « pays » donnée à voir pour le promeneur, le touriste, le photographe ou le peintre,
le paysage et son paysagisme trouvent leur
matière dans tout ce que l’espace présente
d’indéfini et de relatif, aspects propres à la
perception humaine. Un paysage n’est donc
jamais réductible au spectacle esthétique d’un
tableau, car il est riche de l’infinité d’aspects
perceptifs propres à la réalité, et par ailleurs,
jamais réductible au support physique inerte
plus ou moins modelé, d’une activité humaine
qui s’y surajouterait.
Dépassant les délimitations fonctionnelles
des entités de l’écologue, ou les frontières que
découpent administrations et cartographes,
clôtures et axes de transports, il est à la fois la
somme de tout ce qu’on peut percevoir à un
moment donné en un lieu donné, et de tout ce
qu’on a pu parcourir, mémoriser, rêver ou
imaginer à travers les lieux. Le paysage est,
pour reprendre l’expression du poète ermite
Thoreau, l’effet et le reflet de ce qui se passe
au-dedans de nous3.
Le paysage n’est donc pas un objet, au
sens où la science a des objets d’études
mesurables, mais il est une relation à
étudier et à réorganiser. C’est pourquoi il
participe plutôt des sciences humaines,
ainsi qu’en une tentative pour leur donner
une traduction concrète dans les productions sociales nouvelles.
Que sera alors le paysagiste ? Il sera un
aménageur d’un type spécial, qui a pour charge
d’organiser le point de rencontre entre l’espace
physique réel, fabriqué ou non par l’homme, et
ses représentations sociales ou ses usages.
Il doit prioritairement faire passer le perçu
du spectateur et le sens que le lieu possède à
ses yeux, avant d’envisager les contraintes
techniques. Il doit travailler les éléments qui
donnent au pays existant sa continuité : les
formes du sol, les vues vers les ciels du
lointain, les horizons et silhouettes qui s’y
découpent, et, bien sûr, les végétaux et leurs
formations, dont la continuité est évidente
quant à la forêt, ou discrète mais néanmoins
souvent présente à travers les quadrillages
fragmentaires des trames urbaines.
2. « Paysage » désigne une partie de territoire telle
que perçue par les populations, dont le caractère
résulte de l’action de facteurs naturels et / ou
humains et de leurs interrelations ». Convention
Européenne du Paysage, Article 1a, Conseil
de l’Europe, Florence, 2000.
3. Voir H. D Thoreau, Walden ou la vie
dans les bois, Gallimard, Paris 2002.
Certes, aux yeux de tous, l’entrée paysagère
appliquée au jardin va de soi, elle continue
après tout la grande tradition des jardiniers et
jardinistes, celle d’un Le Nôtre maître de
l’orientation cadrée des regards à Versailles
aussi bien que celle d’un Gilles Clément jouant
le jeu de la friche et du hasard dans les jardins
en mouvement. En revanche, l’entrée paysagère appliquée à un jardin botanique, ou à un
objet de médiation scientifique, peut paraître
obscure, voire illégitime.
Sa grande force, à notre sens, est précisément de ne pas être une discipline de plus,
avec sa méthode et son regard propre, de ne
pas s’insérer dans un faisceau de méthodes
réunies autour du jardin, ne pas être un champ
de connaissance ou de savoir-faire parmi
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Figure 3.
Route de Saint-Georges
de l’Oyapocke, lisière
coupée récemment.
Forum in situ avec
Daniel Barthélémy.
Figure 4.
Le rôle de la verticalité
en forêt et son transfert
au jeu des points de vue
pour le visiteur.
d’autres, mais d’offrir justement un champ
transversal à tous les autres. Attention, qu’on
nous comprenne bien : transversal ne veut pas
dire surplombant ou dominant. Le paysage, ce
sont les choses prises toutes ensemble dans
leur expression spatiale, et par-là, son terrain
naturel est la transversalité ou, autre terme
pour qualifier la continuité, la « médiation »4.
Aussi, le paysagiste ne peut alors que se
poser comme médiateur, et ce en un double
sens : médiateur entre les regards spécialisés
des différentes connaissances mises en œuvre
ici, et transcripteur des savoirs théoriques en
configuration spatiale qu’ils peuvent avoir à
prendre dans un jardin.
Loin d’être une étude de laboratoire, ou une
conception de jardin sur table en cabinet, la
première phase, l’étude « préalable » fut une
confrontation directe avec la forêt. Ce qui
nous intéresse quant à la question de savoir ce
que penser un jardin ethnobotanique veut
dire, c’est la façon dont l’accompagnement,
puis le véritable compagnonnage, entre paysagiste et scientifiques sur le terrain, ont pu
d’emblée fournir des résultats avant même
l’heure des résultats.
Pour les scientifiques, il y avait lieu de
réaliser une campagne de collecte des échantillons de végétaux a priori intéressants pour la
prospection de plantes utiles et la médiation
culturelle du futur jardin. Viendrait ensuite
une phase d’analyses en laboratoire (pour les
parfums) éventuellement doublée d’expérimentations (pour les teintures). Nul ne songerait à remettre en question la légitimité d’une
telle démarche. On aurait pu envisager le
travail d’observation paysagère de la même
manière, en séparant observation et relevés
préalables, puis conception.
Mais dès la première phase, il s’est avéré
que les phases de conception du jardin
n’avaient pas lieu d’être distinguées réellement, si on entend ici, comme nous, « conception » au sens large de la récolte des principes
de configuration spatiale du jardin, et non au
sens étroit de la résolution technique au cas
par cas de ses différents éléments.
4. cf. Augustin Berque, Le Sauvage et l’artifice,
Gallimard 1986. Sur les médiations subjectives
entre homme et milieu, qui poussent à définir le
paysage selon le néologisme de « médiance ».
En chemin avec les scientifiques :
quand arpenter, c’est déjà penser
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En paysagiste, nous avons accompagné des
missions scientifiques dont nous ne comprenions pas tout. Un tel stage de groupe, livré à
l’imprégnation d’un milieu radicalement
étrange et étranger, doublé de l’intervention sur
place de spécialistes extérieurs, comme Daniel
Barthélémy5, a donné lieu à la constitution de
schémas problématiques et de schémas de
résolution de certains problèmes : le travail de
collecte et de découverte sur le terrain a pu
alors se mettre à fonctionner comme un forum
in situ apte à emmagasiner des principes de
disposition spatiale pour le jardin.
Voici un exemple parlant de ce processus.
Nous avions à faire une excursion de cueillette
sur une « savane roche », ces quasi-insulis
botaniques secs qui se développent sur les
éminences granitiques émergeant de la forêt
guyanaise, riches en plantes grasses odoriférantes. Nous devions rejoindre le lieu-dit de la
Savane Virginie, lieu pas trop inaccessible et
assez préservé, à quelques heures de marche
en forêt depuis la route reliant le bourg de
Régina à la ville frontalière de Saint-Georges
de l’Oyapock, près du Brésil au sud de la
Guyane. Cette route est le dernier segment de
la Transamazonienne au nord du continent.
Son tracé, d’abord repéré par les légionnaires,
a été défriché, nivelé et minéralisé il y a seulement deux ou trois ans.
L’ouverture récente de la route dans la forêt
a laissé pour l’instant une lisière qui n’est pas
une lisière : à l’exception des cécropias (ou « bois
canons ») arbres pionniers, le profil de lisière
n’est pas (pas encore) une pleine zone de
transition floristique comme c’est souvent le
cas au vrai sens du terme « lisière ». Ce qui a
d’emblée interpellé le botaniste, c’est que la
lisière de cette route, à certains endroits, donne
en fait à voir pour un temps l’équivalent réel in
situ d’un transect théorique fait en pleine forêt,
de ceux qu’on construit seulement sur le papier
après un relevé floristique. [Figure 3.]
Cet aspect des choses a fourni un point de
rencontre des méthodes, des outils et des
regards entre scientifiques et paysagistes. En
effet, cela rejoint le rôle que tient cette représentation graphique qu’on appelle « coupeélévation » pour la profession.
5. Daniel Barthélémy, Équipe « Architecture et
développement des plantes », INRA, directeur de
l’unité mixte de recherche Botanique et bioinformatique de l’architecture des plantes (AMAP).
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Qu’est-ce qu’une coupe ? Bien souvent un
outil de découpage du réel, au même titre que
le scanner du médecin, le verre du microscope, pour prélever ce qui sera porté à la vue du
spécialiste, à partir d’une structure complexe
inaccessible dans sa totalité à un regard
profane dépourvu d’outil. Elle simplifie et
révèle une organisation. Ab-straire signifie
découper 6, aussi, le spectacle d’une coupe
dessinée, photographiée ou observée peut bel
et bien jouer le rôle d’une incarnation sensible
du fait d’abstraire.
Ne rejoint-on pas là un problème fondamental de toute médiation culturelle, comme
de toute la muséographie, avec ses débats sur
le rôle des vitrines7 ? Qu’est-ce en effet qu’une
vitrine, sinon une découpe pédagogique dans
un objet (musée d’anatomie), dans un milieu
(diorama), dans une construction (terrarium à
fourmis, maquettes en écorché) ? C’est une
surface en deux dimensions qui s’interpose
entre le spectateur et l’objet, à la fois vecteur
du message scientifique et filtre interprétatif
support de texte, d’éclairage paramétré
porteur de sens.
De là un questionnement sérieux et capital
pour le projet d’un jardin ethnobotanique : de
quelles sortes de vitrines dispose un jardin, et
que coupe la vitre de ses vitrines, quelle configuration des composantes vivantes d’un jardin
(arbres, allées) joue le jeu de la coupe, de la
découpe pédagogique, de la vitrine ?
Peu de milieux se prêtent avec autant de
légitimité à cette démarche de la coupe que la
forêt, qui plus est cette forêt géante des zones
6. A. Rey, Dictionnaire historique de la langue
française, Le Robert, 1996
7. Pour qui voudrait approfondir le débat, on
renvoie au numéro 95 de la Lettre de l’OCIM (Office
de coopération et d’information sur les musées),
septembre 2004, consacré à l’esthétique dans les
musées de science.
tropicales, qui voit en tout lieu sa biodiversité
se déployer essentiellement dans la dimension
de la verticalité, selon un gradient vertical
précis où s’étagent les nombreuses strates de
philodendrons et épiphytes divers, en fonction
des intensités d’éclairage et du taux d’humidité. [Figure 4, p. 47.]
Aussi, tout le monde partagea l’idée que le
futur jardin devrait s’appuyer sur l’idée encore
floue de verticalité dévoilée et visible.
C’est donc sur le contexte du regard sur le
terrain et sur la façon dont il a pu orienter un
choix de principe pour le jardin en projet, que
nous voulons insister ici, en contre-pied de la
posture traditionnelle du « bureau » d’étude en
aménagement, enfermé et climatisé, comme
pour confirmer cette maxime de Nietzsche
clamant que « seules les idées qu’on a en
marchant valent quelque chose »8.
Retour au jardin munis de principes
forts : grilles de lecture et grilles de
promenade.
Cette attention prêtée à la verticalité découpée et montrée renvoie dès lors à une
contrainte majeure de l’implantation du jardin
dans son site du futur campus de Cayenne : la
nécessité de se plier à la très faible surface
(5 000 m2) et à la forme tout en longueur de la
parcelle, en position vulnérable de seuil à
l’entrée de l’université.
Sur ce point, se croise une autre difficulté à
résoudre, que les résultats des relevés floristiques et des analyses en laboratoire ont amené
8. « On ne peut penser et écrire qu’assis (Gustave
Flaubert) – Je te tiens, nihiliste ! Être cul-de-plomb,
voilà par excellence, le péché contre l’esprit !
Seules les pensées que l’on a en marchant valent
quelque chose. » Nietzsche, Le crépuscule des Idoles,
maxime 34, 1889, rééd. Gallimard Folio 1974.
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par la suite : la majorité des végétaux utilisés ou
utiles pour les colorants et les parfums sont des
arbres, ce qui implique donc un jardin essentiellement structuré dans la verticalité.
Par suite du choix de la coupe verticale,
demande à être résolu le problème de la
répartition des choses à voir et de l’accès au
regard pour le visiteur : la majorité de la flore,
dont de très intéressantes plantes odoriférantes, se trouve « là-haut », vers la lumière,
dans la canopée, comme l’illustre la dernière
et très secrète mission Radeau des Cimes,
financée sur fonds privés par l’industrie
cosmétique.
La nécessité d’élever le regard selon les
verticales d’un volume se comprend enfin par
une analogie qui n’est pas sans risques, bien
qu’éclairante : celle qu’on peut faire avec la
tridimensionnalité de la vie aquatique, ainsi
que s’y prête avec poésie le botaniste Francis
Hallé dans sa bible du promeneur tropical. Un
pays sans hiver : « la canopée ressemble à un récif
de corail vu par un plongeur en apnée ». Voir un
morceau de forêt depuis le sol, c’est prendre
les choses à l’envers, se placer là d’où on a le
moins de chance de voir, là où il y a plus de
choses sédimentées et mortes que vives.
Pourtant, sur les quelques premiers mètres, se
concentrent les plantes de sous-bois qui
constituent un tiers de la diversité floristique
des forêts tropicales, comme le montre
Patrick Blanc dans ses recherches9. Reste à
porter le point de vue à ce niveau : trois ou
quatre mètres, cela demeure à échelle
humaine et à échelle de l’aménagement, c’est
un bon début point trop difficile.
On voit donc qu’un principe intuitivement
trouvé en accompagnant les scientifiques dans
leur collecte en forêt constitue un pôle
9. Patrick Blanc, Être plante à l’ombre des forêts
tropicales, Nathan, Paris 2003, vulgarisation de
théorique de conception du futur jardin, qui
rejoint aussi un pôle de problèmes convergeant
tous vers cette dimension verticale de l’aménagement comme leur seule réponse commune.
Cependant, en ce qui concerne la tradition de
l’art des jardins, si de façon localisée dans le
jardin, la formation du bosquet, ou pour
l’ensemble la configuration du jardin en terrasse
ont une très riche histoire, les grands domaines
de jadis exprimaient plutôt leurs effets majeurs
à travers un territoire vaste, que les verticales au
mieux pouvaient cadrer et ponctuer. On pense à
cet aspect majeur du jardin vu et donné à voir
comme plan sans relief qu’exemplifient les
parterres et broderies, tels que ceux des paysagistes, Duchêne par exemple.
C’est pourquoi, même si tout jardin se
dessine et se mesure aussi à l’aune des verticalités, pour enrégimenter les structures de
lisières, le port des massifs ou les effets de
perspective par exemple, on se trouve à forcer
un peu la vue traditionnelle en considérant le
jardin non comme une aire à aménager vue en
plan, mais d’abord comme un volume à part
entière. [Figure 5, p. 50.]
Sur quelle réponse précise, en termes de
configuration spatiale, appuyer une telle
conception du Jardin des Cultures ? S’agira-t-il
d’édifier de nouveaux et énièmes « murs »
végétaux ?
C’est là qu’une autre caractéristique glanée
au fil des paysages forestiers et tout à fait
légitime au paysage local entre en scène. Ce
qui frappe en effet quiconque tente d’arpenter
le sous-bois guyanais, c’est le chablis
chaotique des arbres tombés en tous sens,
presque de suite recouverts de végétation, et
Biologie des plantes de sous-bois tropicaux, thèse
de doctorat d’État, Univ. Pierre et Marie Curie, 1989
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Figure 5.
Penser le jardin
comme entité
verticale.
parfois en suspension à hauteur de visage, ou
en l’air, croisés et faisant obstacle. Tout ce
paysage-là forme un paysage essentiellement
suspendu, un paysage de l’enjambement,
parfois utile car servant de pont sur un sol
humide et fuyant.
De même, bien que répondant à de tout
autres logiques, le paysage urbain de Cayenne,
où l’on vit beaucoup dehors, mais en haut, où
le soir, c’est toute une population qui vit
suspendue à ses balcons.
L’idée s’impose à ce spectacle de conquérir
la verticalité requise, de la traverser et de la
couper pour en montrer les secrets, par un
système de passerelles et de plateformes, une
suspension réelle du regard au niveau de ce
qu’il y a à voir. Sur un plan technique, là-bas, la
question du matériau se pose à peine. Si on le
souhaite en « dur » c’est au bois qu’on pense, la
puissance du bois étant en Guyane une
évidence (qu’exprime si bien le nom de ce bois
puissant qu’on nomme « bois de fer »).
Deux aspects très importants sont rendus
possibles par un tel procédé :
Ce qui est d’abord important avec un tel
principe, c’est qu’il opère justement à
l’inverse d’un mur végétal artificiel propre à
nos villes européennes : en Guyane, nul
besoin de support mécanique pour les
plantes ou de support de croissance, ce sont
elles qui font structure d’elles-mêmes, et il
ne s’agit pas tant de les installer que de les
accompagner par des structures humaines
modulables.
On porte ainsi le regard non seulement
sur les niveaux différents de l’éventail de la
biodiversité, mais il est souhaitable de le
porter selon le rythme propre au végétal, sa
croissance : on peut imaginer le système de
plateforme adaptable, c’est-à-dire apte à
être réglé et élevé à mesure de l’élévation de
la flore, le jardin partant d’arbres jeunes,
mais qui poussent là-bas très vite. À un patrimoine du jardin composé d’être vivants et
non d’objets comme dans un musée, on peut
donc imaginer un support adapté,
dynamique, un support qui soit juste un
encadrement, qui soit « posé sans
indisposer ».
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II. Savoirs de la nature
et nature du savoir
Ce faisant, le jardin peut se poser comme
inverse dans sa logique d’habitation aux
bâtiments du campus universitaire qui l’environnent, isolés du milieu extérieur au lieu de
lui être ouverts et adaptés, relevant largement
de ce que le philosophe Peter Sloterdijk
appelle à juste titre les « îles climatiques »
qu’est l’architecture du « life support » connotant la modernité par le verre10.
Par ailleurs, l’aspect dynamique du recours
aux passerelles encadrantes a des effets
immédiats sur la conception muséographique
de plein air que le jardin se doit de mettre en
œuvre. L’effet de coupe évoqué plus haut prend
en effet ici son sens entier : il ne s’agit certes pas
d’un musée, mais d’un jardin, toutefois il ne faut
pas oublier que c’est un jardin aux mêmes
objectifs qu’un musée. Ainsi, les parcours de
passerelles doivent être des « vitrines en
marche » (vitrine étant à entendre au sens plein
que nous lui avons apporté plus haut), porter à
la fois les visiteurs et orienter, au propre et au
figuré, les choix d’interprétation du sens à
transmettre par le jardin. Autrement dit : ce qui
est informatif en muséographie, panneaux,
cartels, éclairages, ordre de visite, ce qui porte
le discours choisi selon la pédagogie qu’on y a
élaborée, bref ce qui est illustration de la grille
de lecture déterminée pour le message à transmettre au public, doit être grille de lecture au
propre et au figuré. La charpente des passerelles doit être pensée comme grille de lecture
au sens propre, et donc le tracé des cheminements ne doit absolument pas être gratuit,
comme c’est bien trop souvent le cas dans les
jardins à vocation de médiation.
Mais quelle grille d’interprétation choisir,
et quels types de discours et de savoirs scientifiques refléter avec elle ?
« Penser un jardin botanique » : si dès les
premières confrontations au milieu de la
forêt, les concepts d’aménagement ont déjà
pu émerger, sans phasage ou chronologie
clairement délimités entre récolte d’information et « traduction » ou élaboration spatiales,
il en aura été de même pour les choix d’ordre
ethnologique. C’est en même temps au titre
d’apprenti chercheur du département de
sciences humaines de l’École du Paysage ainsi
qu’au titre de paysagiste, que nous avons été
appelés par la directrice de projet Laurence
Pascal, et c’est donc en essayant de tenir le
pont entre réflexion d’ethno-muséographie et
organisation paysagère que les premières
lignes du projet de Jardin des Cultures ont été
proposées et discutées avec l’équipe. Là
encore, le développement du concept, le
« fond » du discours scientifique à tenir et à
scénographier au jardin semble être né en
partie de la réflexion sur la « forme », contrariant cette vieille idée que la forme (l’aménagement) vient habiller dans un second temps
un projet scientifique de fond.
Comment ? D’abord en revenant à l’idée de
« proximité » au sens ethnologique, c’est-àdire en abordant la question des usages des
plantes et de la forêt dans l’abolition de cette
distance que la science entretient, par souci
d’objectivité classificatoire, avec le monde et
les savoirs des peuples locaux.
Il fallait poser clairement le sens d’un
Jardin dit « des cultures », c’est-à-dire, se
10 Voir à cet effet Peter Sloterdijk, Écumes,
Hachette, coll. Pluriel Paris 2006, une histoire
philosophique des pratiques de l’habitation et de la
climatisation.
Culturel, naturel, cultural :
paradoxe où s’enracine tout jardin.
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entre-deux ambigu12, espace d’enjeu autant
pour son usager local que pour le visiteur ou
l’ethnologue, bien loin de la clarté sans ombre
que la science, botanique ou autre, projette
sur ses créations pédagogiques.
revendiquant et se donnant pour but de
montrer les usages et valeurs de différentes
cultures guyanaises. Que peut signifier l’idée
d’un « Jardin des Cultures » ? A priori, on peut
souligner le pluriel du mot « cultures » ici,
contre une vision de « la » Culture, royaume
humain séparé de « la » Nature, royaume du
sauvage. Il ne s’agit certainement pas de
plaquer une construction culturelle et une
seule sur cette réalité complexe que la science
étudie et qu’on appelle nature, pour la lire en
toute clarté voire la maîtriser à l’image du
scientifique cartésien qui chercherait à s’en
rendre « comme maître et possesseur »11. Par
le pluriel « cultures », on renvoie sans doute à
la diversité des peuples de Guyane, et donc à la
diversité des types de connaissance et de
rapports entretenus vis-à-vis de ce qu’on
appelle « nature ».
On peut lire ici le terme culture dans un
sens plus subtil qu’une simple cohabitation
entre nature et culture, en prenant « cultures »
au sens très simple de l’agriculture, c’est-àdire, pour trouver un terme à la fois médian et
plus précis, le « cultural ». En effet, chacun
reconnaîtra qu’en matière d’interface entre
sociétés et milieu, la culture des plantes est
une activité privilégiée pour articuler dans
l’expérience et les représentations sociales
cette délimitation de l’humain et de l’humanité que les peuples tracent dans leur langue et
leur savoir pour se différencier en idée du
monde animal ou végétal. Le « cultural », c’est
donc une relation d’usage du monde, une
transaction autant pragmatique que symbolique avec les plantes.
Tout jardin étant par définition le champ
du cultural, tout jardin se tient alors dans un
Essayer de comprendre ce que peut être un
Jardin des Cultures Guyanaises, c’est donc nécessairement pour le chercheur en revenir à un
questionnement fondamental sur l’humain et
le végétal. Une pensée, apparemment abstraite
vue d’Europe tempérée, s’impose cependant
dans une intuition claire et évidente pour
quiconque pénètre dans la forêt tropicale
humide : cet endroit si hostile n’est pas fait
pour l’homme, et pourtant, son apparente
sauvagerie peut nous fasciner en présentant
un aspect esthétique, comme si les couleurs et
les chants étaient faits pour nous séduire,
comme si l’ensemble était composé dans ce
but, à l’image d’un jardin. Cela peut rejoindre
cette caractéristique majeure d’un jardin,
d’être un lieu où apparaît et s’exprime un sens
et un ordre qui se différencient et s’arrachent
du naturel, pour devenir proprement humain.
On pourra reconnaître là le vieux paradoxe
du goût13 qui donne au « sauvage », pourtant
absolument étranger et indifférent à l’homme,
l’apparence illusoire d’une finalité orientée à
notre intention (celle de nous plaire), et érige
le sentiment de la sauvagerie en une catégorie
culturelle à part entière, peut-être à la base de
l’exotisme ou du pittoresque que tant de
personnes cherchent encore dans les jardins
et les paysages en battant les fourrés du
monde entier.
C’est donc souvent avec ce que porte en lui
notre regard d’Européen que nous voyons la
11. Descartes, Discours de la méthode, 1637.
12. Cf. Hervé, Brunon, Le jardin, notre double,
Nathan coll. Autrement. 1998
13. Voir Kant, Critique de la faculté de juger,
Gallimard, Folio essai, Paris 1992 ; Sur la faculté de
juger esthétique.
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forêt tropicale. L’opposition entre « sauvage »
et « domestique », s’est souvent posée en
occident (dans la tradition gréco-latine du
moins) comme une ligne de démarcation
stratégique pour les sciences et les morales :
celle qui départage l’inhumain de l’humain, et
donc circonscrit et définit le domaine propre à
l’humanité. Que ce partage se soit illustré et
incarné dans celui qui séparait forêt et jardin
(sylva et hortus), délimitation souvent rendue
floue et fluctuante par le statut incertain des
espaces de transition (on renvoie aux débats
sur la friche), il reste que cette délimitation,
avec ses difficultés, a souvent pris une tournure théorique ou métaphorique dont dépendaient l’identité de la nature humaine entière,
et des enjeux politiques intenses, à la base
d’événements historiques aussi majeurs que
cruels comme la colonisation ou l’esclavage.
L’idée antique que celui qui vit hors de la cité
ne peut être qu’un dieu ou une bête, si chère à
Aristote14, rejoint dans ses enjeux le même
lieu de débat théorique que la fiction moderne
d’une race humaine aux limites précises qu’a
dénoncée l’ethnologue Levi-Strauss15.
C’est donc en accord avec la vision ethnologique contemporaine qu’on rappellera qu’un
jardin et sa « botanique » sont toujours déjà
l’incarnation d’un paradoxe et le lieu d’apparition de la « Nature » comme construction
intellectuelle et d’abord culturelle, utile aux
groupes humains16 qui ont besoin d’affirmer
leur différence avec le reste de la création,
utile à se regrouper autour d’une identité
commune.
Ainsi, un Jardin des Cultures à notre époque
ne peut se contenter d’être l’inventaire des
espèces cultivées et la reproduction des
méthodes culturales de différents peuples,
encore moins d’être une collection d’échantillons botaniques représentatifs, nommés et
classés comme l’est ce qu’on entend ordinairement par la notion de « jardin botanique ».
Ici, l’aspect scientifique ne doit pas prendre
le devant de la scène : il doit être relativisé,
remis en perspective au sein de l’expérience
humaine culturellement et socialement vécue,
c’est-à-dire présenté comme un type de savoir
sur le monde, de regard et de classement
parmi d’autres, à côté des savoirs vernaculaires locaux, qui sont porteurs d’un ordre vécu
propre à chaque population. L’ordre de classement de la science doit alors seulement être
pris comme un regard historiquement et
géographiquement déterminé : celui qui
émerge de la modernité européenne, composante parmi d’autres de la réalité guyanaise.
On en conclura alors naturellement que le
parcours des grilles de cheminement aura à
être davantage que la transcription d’un
discours scientifique ordonné dans un espace
bien scénographié : il aura à être la reproduction d’un ordre de relation vécue, d’un parcours
de recherche réel. Certes, mais vécu par qui ?
14. Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, trad. Tricot,
Vrin, Paris, 1962.
15. Levi-Strauss, Race et Histoire, Denoël, Paris 1952.
16. « Cette notion [la nature] est indissociable d’une
autre, la nature humaine, qu’elle a engendrée en
quelque sorte par scissiparité lorsque, afin de mieux
cerner le lieu où s’appréhendent les mécanismes et les
régularités de la nature, une petite région de l’être en fut
détachée pour servir de point fixe. Comme l’a montré
Michel Foucault, ces deux concepts fonctionnent en
couplage… » Descola, Par-delà nature et culture,
p. 107, Gallimard, Paris 2005
Forêt vécue et forêt connue
Chacun aura deviné que la réponse sera celle
de l’ordre vécu par les cultures, au pluriel, c’està-dire autant la culture scientifique que les
cultures des populations de Guyane dans leur
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Figure 6
Les éléments
sémantiques
de la chasse
au toucan
des Wayampis.
usage des plantes. Mais outre ces belles déclarations d’intention abstraites que tout ethnologue est capable de faire, se pose, à nouveau, la
question précise de la mise en forme, puisqu’on
a vu que penser un jardin ethnobotanique, c’est
déjà le faire. Il faut alors trouver quelle structuration spatiale est appropriée, et pour cela il est
indispensable d’en savoir plus sur les structures
d’usage et de représentation sociales qui font le
vécu du milieu « naturel » ou du cultural jardiné
en Guyane.
Pour illustrer la démarche, on aura recours à
un exemple tiré des recherches de l’ethnologue Pierre Grenand, « le » spécialiste des
Indiens de Guyane. Ce qu’on y apprend n’aura
pas à être transposé pour son contenu dans le
Jardin des Cultures, mais à servir d’exemple
structurel pour la prise en charge de l’« ethnospatial » par le jardin. L’exemple vaut en effet
comme rare étude prenant en compte la façon
dont la spatialité guyanaise est vécue et
intégrée dans une signification ethnique.
Dans l’article « Vivre dans l’abondance, forêt
pensée et forêt vécue chez les Wayampis »17
Grenand décrit un fragment de structure
d’expérience du monde végétal et de son usage,
dans la situation ethnique des Amérindiens
Wayampis, un peuple vivant à la frontière du
Brésil et de la Guyane, appartenant au groupe
linguistique tupi-guarani, et vivant encore
aujourd’hui très largement des ressources de la
forêt. Surtout, l’ethnologue observe la façon
dont cette structure d’expérience fait l’objet
d’une transmission et d’un apprentissage dans
l’éducation des jeunes générations. Pour un
observateur extérieur, fût-il ethnologue, les
situations d’éducation constituent des
occasions privilégiées d’apparition des rouages
sociaux et linguistiques, puisque dans un but
pédagogique, les expériences y sont provoquées, explicitées et décortiquées.
17. Pierre Grenand, « Vivre dans l’abondance, forêt pensée et forêt vécue chez les Wayampis »,
Rapport d’activité IRD.
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Le projet du jardin des cultures guyanaises | 55
Figure 7
Le réseau
sémantique
de « l’arbre
à toucan ».
L’apprentissage de l’enfant est in-situ, et se
fait principalement par l’observation en forêt,
lors de sorties avec le père. C’est la répétition
de cette observation qui rend ce peuple
capable de discerner un ordre utile pour lui
dans la luxuriance de la forêt : « très tôt, il pourra
ainsi, dans le subtil monde de végétation qui
l’entoure, distinguer mille formes et mille nuances,
là où un Occidental moyen ne verra qu’une indistincte et lourde masse de vert », écrit Grenand.
Nous reproduisons ici la description que fait
l’auteur du dialogue entre le père et le fils :
Le fils : —- « Comme par exemple le fruit de
kwapo’i (Ficus trigona), le fruit de kunawau’U
(Prunus myrtifolia), ou le fruit du palmier
wasey… (Euterpe oleracea)
Le père : — Oui, puisque ceux-là sont déjà tombés,
c’est cet arbre-ci qu’il faut rechercher en cette fin
de saison, car c’est là que l’on est sûr de trouver
des bandes de toucans rassemblés. Ainsi feronsnous de bonnes chasses au toucan.
Le père cherche à terre un fruit, le tend à son fils
qui le prend dans sa main, l’observe un moment
puis le jette : la leçon est terminée. » [Figure 6.]
« Un père et son fils, partis chasser en forêt,
arrivent devant un arbre Guarea kunthiana
chargé de fruits.
Le père : — C’est un yatoa’U, mon fils.
Le fils : — Oui, c’est un vieux pied de yatoa’U.
Le père : — Et autour, en voici deux plus jeunes. Et
ici les plantules.
Le fils : — Le plus gros est chargé de fruits mûrs.
Le père : — Sa fructification est tardive cette
année. Tu sais que les toucans aiment beaucoup
ses fruits. Puisque les autres fruits appréciés par
les toucans…
Ce qui intéresse Grenand dans cet exemple est
la « vision globalisante du monde » qui est
produite dans la culture wayampi et constituée en savoir pour tirer parti de la forêt, et
qui donne lieu à d’incessants montages et
démontages, à la différence du savoir
botanique occidental constitué en science et
isolé de l’expérience courante du vulgaire.
Ce qui nous intéresse pour savoir quoi
montrer et comment le montrer dans le Jardin
des Cultures, c’est ce qui se passe ici sur le plan
de la structure de sens reconnue et établie par
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les hommes d’une culture donnée quant au
milieu où ils vivent. Ils n’appellent d’ailleurs
pas ce milieu « nature », ce qui témoigne peutêtre justement de la différence de nature du
savoir et des liens d’usages qu’ils entretiennent avec le milieu. [Figure 7, p. 55.]
Sémantiquement, ce « réseau du toucan »
répond d’un ordre de classification implicite
des choses du monde structurellement différent de l’ordre d’une nomenclature de descendance linnéenne. Il présente davantage les
caractéristiques d’un système multipolaire de
renvoi des choses du monde entre elles, où les
plantes occupent une place centrale, mais non
unique, que les caractéristiques d’une classification hiérarchique en forme d’arbre que la
science occidentale utilise pour se structurer.
Le « réseau du toucan », et par-delà, la structure de savoir des Wayampis paraît, toutes
proportions gardées, semblable dans sa différence aux structures sémantiques de la
science, au réseau sémantique du totémisme
tel que décrit par Levi-Strauss dans La Pensée
Sauvage18. Les aspects décisifs de ce type de
structure de savoir vernaculaire, qui découlent de sa multipolarité, sont la priorité du
descriptif (montrer plutôt que démontrer), et
la réversibilité des chaînes logiques.
Le premier aspect fait que ces cultures ne
dissocient jamais spectacle sur le terrain et
connaissance, c’est-à-dire que leur connaissance est toujours déjà appliquée, leurs concepts,
toujours déjà des concepts d’usage pratique (les
« schémas de résolutions » culturels construits
et appliqués sur demande pour une situation
concrète donnée, que décrit Descola19).
Le second aspect rend possible une libération de la vision chronologique ou historique
des choses, qui est celle de la science lorsqu’il
s’agit d’expliquer les enchaînements de cause
à effet, de dérouler l’ordre génétique d’une
évolution, la filiation des êtres vivants, comme
cela est souvent mis en scène dans les musées.
Une explication synchronique, davantage
construction interprétative d’un cosmos, et
partant plus facilement représentable spatialement comme topographie mythique,
découle de cette libération du chronologique.
Bien sûr, il ne s’agit pas dans le projet de
Jardin, de livrer le spectateur à une
quelconque « pensée sauvage » comme s’il
pouvait s’ensauvager du jour au lendemain en
faisant abstraction de sa propre culture, et les
scientifiques rayer d’un trait la botanique. Il
faut évoquer, l’écart culturel entre types
d’ordonnancement pratique et de classification scientifique sans remplacer l’un par
l’autre, au minimum en les faisant se côtoyer,
au maximum en rapprochant chaque visiteur
du vécu propre des autres cultures, l’expérience de traverser un paysage végétal étant, elle,
une base commune aux cultures.
18. Levi-Strauss, La Pensée Sauvage, Plon, Paris 1962,
schéma de la figure 8, « l’opérateur totémique »,
chap. V (« catégories, éléments, espèces, nombres »).
19. Descola, op.cit. p. ?
« Trouver le toucan » : jardin des signes
et jeu de pistes ethniques
Que faire, en ce qui concerne l’aménagement
du jardin ? Le fil conducteur de la nature culturellement vécue doit trouver sa traduction in
situ par des partis pris forts en termes de
parcours, de déambulations et de lectures
dans le jardin. Bien sûr, la seule disposition des
végétaux et des cheminements ne pourrait à
elle seule faire parler les plantes de leur usage
ou de leur place dans une culture locale pour
le visiteur, encore moins les faire parler dans
des langues étrangères à lui. C’est pourquoi
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Le projet du jardin des cultures guyanaises | 57
une réflexion approfondie sur les supports
d’interprétation doit être menée.
Ce travail de recherche opérationnelle est
en cours et tout au plus, sans disposer encore
de réponses précises d’ordre paysager ou
technique, peut-on énoncer ici les critères
négatifs ou positifs qui doivent s’y appliquer.
Ainsi, de tels supports ne doivent pas
devenir représentatifs dans le Jardin d’un
ordre culturel unique qui serait l’ordre de la
vitrine et de l’étiquette, outils propres à une
culture occidentale du musée. Par leur nature
d’artefacts souvent brutalement techniques,
de tels éléments rentrent dans une négociation nécessaire avec le naturel des plantes et
le cheminement « naturel » des cultures, au
sens figuré d’un savoir vernaculaire descriptif
mimant la nature vécue, aussi bien qu’au sens
propre d’un savoir fait par et pour l’orientation
du voyageur et du chasseur en forêt.
Il y a ainsi lieu d’organiser une campagne
de collecte d’éléments ethnographiques qui
touche à l’ethno-espace, et qui nous manque
encore en partie.
Mais spatialement, que peut-on imaginer ?
Nous n’avons pas encore de réponse précise,
mais des pistes en cours de développement :
les grilles de lecture du milieu propres aux
cultures différentes pourraient s’incarner par
des parcours de collectes, passant par des
plantes repères, indicatrices, ou compagnes
des plantes utiles recherchées…
Le jardin autre que l’« abattis » (culture sur
brûlis) n’existant pour ainsi dire pas en Guyane
(la forêt faisant office de jardin et donnant plus
lieu à un glanage qu’à une culture), on pourrait
imaginer le visiteur remontant la piste qui est
celle du cueilleur, du chaman amérindien, de
l’homme médecine Saramaka (noir-marron)
ou créole, à la recherche de nourriture, de
colorants, de parfums, de simples. Et comme
lui, il s’orienterait selon les schèmes spatiaux
propres à une culture donnée, et selon les
plantes indicatrices de milieux ou servant
d’aide-mémoire. Le Jardin des Cultures fonctionnerait alors comme jardin des signes et jeu de
piste, qui exploiterait et enseignerait l’art et le
plaisir d’une chasse sans victime visant l’usage
et le savoir-faire du végétal, une sorte de
« labyrinthe de l’utile », où le but est de perdre
momentanément les repères de sa propre
culture pour commencer à saisir ceux des
autres.
Les passerelles et allées auraient alors
pour charge de superposer ou de croiser les
différents « chemins de pensée » des cultures,
en les figurant, mais aussi au-delà du symbolique en reproduisant partiellement une partie
de leurs éléments réels. L’une de ces grilles
pourrait demeurer la grille de la classification
scientifique, mais elle ne saurait être la seule,
ni avoir le dernier mot.
Jardin des sens et jardin du sens :
la dimension immatérielle
du patrimoine végétal
Le parti pris que nous défendons, puisqu’on ne
peut pas tout montrer d’une ou de plusieurs
structures vécues, suppose de choisir des axes
de ségrégation des données à scénographier,
qui ne soient pas réducteurs comme ceux des
langages de connaissance que nous voulions
éviter. Une solution est de s’en tenir à la
dimension porteuse à la fois d’universalité,
dans ses procédés, et où pourtant tout visiteur
puisse constater facilement le point de départ
d’un relativisme sémantique et culturel : la
perception et ses sens.
Jardin, entre autres, de plantes tinctoriales,
le Jardin des Cultures aura à intégrer cette part
moins matérielle encore que la plante et son
pigment qu’est sa perception, support d’une
nomination spécifique des couleurs selon les
cultures, autant que construction culturelle à
part entière grâce à la nomination.
L’ethnolinguistique a montré comment les
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58 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
noms de couleurs découpent une vision du
monde pour chaque langue et chaque culture à
partir du spectre continu de lumière que l’œil
reçoit, apparemment universel. Cet aspect
commence à être traité pour la Guyane à travers
les travaux de Pierre et Françoise Grenand.
Jardiner l’invisible :
paysages de parfums
Terre de couleur, la Guyane est aussi incontestablement une terre de parfums, présents à
haute densité dans l’environnement forestier,
et variés avec une grande subtilité en fonction
des microclimats, des heures et des saisons du
jour ou de l’année, en fonction de la sécheresse,
de l’humidité ou de la lumière. On ne sait
presque rien à ce jour de la perception culturelle des parfums par les populations guyanaises,
qui utilisent pourtant nombre de plantes à des
fins aromatiques, gastronomiques, médicinales, en s’appuyant sur une perception déterminée de leurs odeurs. Remettre le parfum au
cœur des coutumes qui le portent et du milieu
qui le transporte a sans doute un rôle majeur
aujourd’hui en termes d’identités locales, alors
que l’industrie du parfum colporte des senteurs
de synthèse en déracinement total avec les
lieux, les milieux, les cultures.
Le cas des odeurs est plus complexe encore
que les couleurs, du point de vue ethnologique
et linguistique. Si le spectre du parfum peut lui
aussi être considéré dans l’abstrait comme un
continuum de molécules perçues par le nez, il
semble que le consensus soit encore plus difficile à atteindre pour y découper et y nommer
des entités d’un point de vue culturel. Entre
deux personnes, une même odeur fera appel à
des objets de références différents pour la
qualifier, la spécifier, et en faire une catégorie
culturelle à part entière. Bonne ou mauvaise
odeur, odeur de vie ou de mort, odeur de
fraîcheur ou d’oppression. Il apparaît même, à
en juger en tout cas du français, qu’aucun
terme ou adjectif spécifique à une odeur
n’existe comme les noms de couleurs existent
pour les gammes du spectre lumineux : si une
certaine longueur d’onde s’appelle le « bleu »,
un parfum est toujours le parfum de quelque
chose, odeur de menthe, odeur de renfermé,
odeur vanillée…
C’est pourquoi le projet de jardin nécessite
une recherche préalable et novatrice en
matière d’ethnologie générale des odeurs en
Guyane, et le fondement des bases d’une
ethnolinguistique des parfums guyanais.
Pour rendre accessible ces savoirs, nous avons
commencé à intégrer à la pensée du jardin
une étude de configuration de ses plantes
visant à recréer des ambiances ou à créer des
confrontations inédites entre halos odoriférants culturels de différentes origines.
Comme l’un des membres de l’équipe,
Renaud Favier, au départ associé pour explorer la place possible du cacaoyer dans le
jardin, est chimiste et « nez » professionnel, les
échanges relatifs au jardinage paysager des
plantes odoriférantes nous ont mis sur la voie
d’un travail entre testeur humain, acteurs
locaux, ethnologue, paysagiste et artistes.
Un travail de jardinage inédit, consistant
dans l’ordonnancement paysager minutieux
des plantes à parfum, va être réalisé pour
pousser plus loin la tradition du jardin de
senteur. Plutôt qu’une suite de plantes à
parfums rangées par types, c’est un parcours
culturel qui est à recréer en exploitant les lois
de diffusion et de composition précises du
parfum. Par rapport à la conception classique
d’un jardin public, où on élabore des effets
pensés pour le confort de l’œil, comme les
perspectives et les cadrages de vue le font
dans les jardins traditionnels, certains
secteurs du jardin auront à être conçus pour
les plaisirs ou les craintes du nez seul.
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Le projet du jardin des cultures guyanaises | 59
Figure 8.
Vers un jardinage
de l’invisible :
prendre en charge
les halos
de parfums
dans l’organisation
des strates
de visite.
Alors que les végétaux et les murs font
écran à la vue, l’odeur obéit à des lois plus
étranges, et les obstacles ne l’arrêtent pas
forcément, il suffit parfois d’un simple éclairage plus fort pour stopper sa diffusion.
La principale difficulté à surmonter sera la
compréhension précise des règles de diffusion
du parfum, pour une plante précise, à un
endroit et à une heure de la journée tout aussi
précis. Les différents facteurs qui nous intéressent sont les suivants : note olfactive dégagée
(nom donné à la perception odorante, par
exemple, une odeur fruitée ou florale, pour un
fruit ou une fleur) ; concentration en molécules
odorantes (paramètre chimique important
suivant les applications possibles de la plante) ;
puissance olfactive (puissance de l’odeur perçue
par l’individu) ; et ce qui détermine spatialement le plus un paysage invisible : le halo olfactif, qui représente une distance de diffusion et
constitue une sphère englobant la source de
diffusion. Concrètement, le halo olfactif d’une
plante est le volume dans lequel le parfum de la
plante est susceptible d’être perçu.
Nous avons commencé à élaborer des
principes d’aménagement aptes à organiser
les parcours culturels aussi en fonction des
parfums reconnus par chaque culture. Là
encore, la hauteur du visiteur, celle de son nez,
peut et doit être modulée par la topographie
ou les constructions en élévation, pour le
mettre à la croisée ou au cœur des sphères
ethno-odorantes. [Figure 8.]
Voici présentées les grandes lignes d’un
projet en cours, qui témoignera, nous l’espérons, de la nécessité de laisser ouvert le plus
longtemps possible un champ de va-et-vient
entre « pensée » d’un jardin botanique au
sens de l’élaboration d’un discours de médiation culturelle et scientifique, et « conception » au sens de la configuration spatiale du
jardin qui viserait à traduire en formes le
discours. Le rôle central d’interface culturelle
porté par une discipline aussi transversale
que l’ethnobotanique ne saurait sans doute
être garanti sans le souci permanent d’une
telle démarche. n
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Le bocage de Sambandé
(Sénégal) :
une contribution à l’essor
des jardins ethnobotaniques
au Sahel
Résumé
Ce travail est une étude de cas concernant les carrés botaniques du JEPU à
Sambandé. La médecine traditionnelle africaine est essentiellement basée
sur l’utilisation d’organes de plantes pour lesquelles la conservation est de
plus en plus problématique. L’étude de l’état de la flore et végétation de
Sambandé se situe dans le contexte général de la dégradation des
ressources végétales au Sénégal, et des espèces médicinales en particulier.
C’est fort de ce constat qu’un programme national de conservation et de
valorisation des espèces médicinales au Sénégal a été initié.
Cette recherche du JEPU se situe dans ce programme et vise la régénération assistée de cinq espèces médicinales prioritaires (EMP) :
Dichrostachys cinerea, Flueggea virosa, Gardenia ternifolia, Ozoroa insignis, et
Securidaca longipedunculata.
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 61-93
Fall Ibrahima1,
Sambou Bienvenu2,
Lô Modou1,
Guisse Aliou3,
William Diatta1,
Bassene Emmanuel1
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62 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
La méthode utilisée combine un inventaire
de la flore de la forêt, le suivi d’individus
d’espèces considérées comme prioritaires et
des enquêtes auprès des populations locales.
L’étude a permis de fournir des informations sur le bocage et les cinq EMP. Le rapport
biomasse épigée/biomasse hypogée varie
d’une espèce à l’autre. Les feux de brousse et
les prélèvements d’écorces et de racines
apparaissent comme les causes anthropiques
les plus importantes. La dégradation des
ressources végétales de cette forêt a pour
conséquence un manque de produits pour la
phytothérapie, un déficit de ressources
alimentaires et un accroissement de la
pauvreté des populations rurales.
Ces informations ont permis enfin de
formuler des propositions pour la sauvegarde
des espèces menacées par l’homme.
Le Sénégal, avec une superficie de 196 720 km2,
a une flore dominée par six familles : les
Poaceae, les Fabaceae, les Cyperacae, les
Rubiaceae, les Asteraceae et les Euphorbiaceae. La
savane et la steppe sont globalement les formations végétales dominantes. Sur les 2 500
espèces de la flore du Sénégal, celles dites
« médicinales » sont approximativement au
nombre de 600 [12]*. La répartition de cette
flore au niveau national n’est pas homogène,
car elle est tributaire surtout de la pluviométrie
qui varie d’une zone climatique à une autre.
La flore médicinale constitue une ressource
traditionnelle importante des populations
africaines, mais surtout des populations rurales
qui y sont restées très attachées, non seulement par commodité et pour des impératifs
socioculturels, mais également par nécessité.
Ceci est lié au fait que l’accès aux médicaments
modernes a toujours été hypothétique à cause
de leur cherté et de la pauvreté grandissante
dans les pays en voie de développement.
Cependant, du fait des conditions climatiques défavorables (baisse de la pluviométrie)
combinées à l’action de l’homme, beaucoup
d’espèces sont en voie de disparition.
La filière de commercialisation des plantes
médicinales est caractérisée par une consommation variable d’une région à l’autre, une
faiblesse de la productivité en biomasse dans la
moitié nord du pays, des méthodes de cueillette
souvent inappropriées et abusives, un mauvais
choix de la période de récolte et une absence de
dispositions réglementaires sur la cueillette et
la commercialisation de certaines espèces
surexploitées. Ceci entraîne des variations de la
teneur des plantes en principes actifs. Cette
situation risque de poser des problèmes si des
mesures conséquentes ne sont pas prises.
1. M. Fall Ibrahima, Docteur Lô Modou, Docteur
William Diatta, Professeur Bassene Emmanuel :
Département de Pharmacognosie et Botanique,
Faculté de Médecine, de Pharmacie et
d’Odontologie, Université Cheikh Anta Diop de
Dakar, BP : 5005 Dakar-Fann (Sénégal). Tél : (221)
630 73 68 / (221) 824 50 38. Courriel :
[email protected] / [email protected]
2. Professeur Sambou Bienvenu : Institut des
Sciences de l’Environnement, Université Cheikh
Anta Diop de Dakar, BP : 5005 Dakar-Fann.
3. Docteur Guisse Aliou: Département de Biologie
végétale, Faculté des Sciences et Techniques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, BP : 5005 Dakar-Fann.
*. Les numéros entre crochets renvoient à la
bibliographie, p. 92.
INDEX MOTS-CLEFS : bocage, jardin ethnobotanique,
Sahel, enquête, plantes médicinales, Sénégal, régénération assistée.
Introduction
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Le bocage de Sambandé | 63
C’est fort de ce constat et dans le cadre de
l’application des recommandations de l’atelier
de Saly Portudal de mai 1998 et sur la base des
besoins exprimés par certains acteurs (herboristes, tradithérapeutes, ONG, chercheurs des
centres de médecine traditionnelle et de
pharmacopée), qu’un programme national de
conservation et de valorisation des plantes
médicinales a été initié par l’UICN, le Groupe
de Recherche sur les Plantes médicinales
(GRPM) de l’Université Cheikh Anta DIOP de
Dakar et ENDA-Tiers Monde sur financement
du CRDI. Les problèmes majeurs qui justifient
ce programme dans les écosystèmes agrosylvo-pastoraux de la région de Kaolack sont :
la surexploitation et la dégradation des
pâturages, la connaissance insuffisante des
espèces médicinales, les contraintes
naturelles et les menaces de disparition qui
pèsent sur certaines espèces médicinales.
L’objectif général est de contribuer à l’utilisation durable des plantes médicinales pouvant
servir de relais dans la lutte contre la pauvreté.
Quatre objectifs spécifiques ont été fixés :
1. connaître les déterminants socio-écono-
miques, les tonnages et les chiffres d’affaire par
espèce médicinale, ainsi que les parties utilisées
(écorces, racines, feuilles) par les ménages,
2. connaître la qualité et l’activité thérapeutique des échantillons des marchés
urbains par des tests au laboratoire,
3. identifier les causes socio-économiques et bio-physiques de la dégradation des
plantes médicinales de cueillette sauvage dans
le bassin arachidier,
4. promouvoir des méthodes et techniques
de repeuplement des sites en espèces rares.
Nous avons été réquisitionnés pour :
— fournir des informations sur le potentiel
ligneux de la forêt de Sambandé,
— fournir des informations sur la phénologie
des espèces médicinales du bocage de
Sambandé,
— fournir des informations sur les rapports
de phytomasse épigée/hypogée et évaluer
l’état des populations des 5 espèces médicinales prioritaires à Sambandé,
— identifier les causes socio-économiques et
bio-physiques de la dégradation des populations des espèces médicinales à Sambandé.
I. Méthodologie
Le bocage de Sambandé a été retenu pour
diverses raisons. Il est situé dans une communauté rurale active dans la protection des
ressources naturelles, sa richesse en espèces
médicinales et la présence de 5 sur 15 des
espèces médicinales les mieux vendues sur les
marchés du Sénégal ont été des critères déterminants dans le choix de ce site. Nos
recherches ont été menées sur une superficie
forestière vaste de 1 045 ha, comprenant le
bocage de la zone de Sambandé.
Le choix des espèces prioritaires étudiées est
surtout lié à la forte demande de leurs organes
végétatifs et reproducteurs sur les marchés
urbains. Au cours des deux mois de terrain,
nous avons procédé à des relevés journaliers
de données climatologiques, à 7 h 30 et 18 h 30
à l’aide d’un thermo-hygromètre de poche
type Extech (modèle 445 702). L’inventaire
des espèces ligneuses médicinales a été effectué à partir d’un échantillonnage systématique
[tableau 1, page suivante].
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64 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Tableau I : dispositif d’échantillonnage
Paramètres
Distance entre les layons
Distance cumulée
Distance entre placettes
Nombre de placettes
Surface des relevées (m2)
Surface placettes cumulées
Layon I
800
800
200
5
2 000
2 000
Layon II
800
1 600
200
5
2 000
4 000
Les études phytosociologique et de biomasse
comprenaient :
Évaluation de la composition floristique
des espèces ligneuses médicinales.
Pour déterminer la composition floristique
des espèces ligneuses médicinales, nous
avons utilisé la méthode de la courbe
aire/espèces. Six des 31 placettes ont été
sélectionnées pour la détermination de cette
courbe à partir de carrés de 1 m2, 5 m2, 10 m2,
25 m2 et 50 m2 (figure 1). Les caractéristiques
dendrométriques mesurées sont la hauteur
des individus ligneux et le diamètre à
1,30 m et à 10 cm du sol.
Figure 1 : Détermination de l’aire minima par
l’établissement de la courbe aire-espèces
Les espèces recensées au nombre de 5 ont fait
l’objet d’un suivi phénologique pendant trois
ans (2002-2005). L’étiquetage a consisté
d’affecter à chaque individu, de chaque placette un numéro (PxY), Px représentant le
numéro de la placette et Y représentant le
numéro de l’individu. Dans chacune des 31
placettes, nous avons étudié l’évolution des
phénophases (foliaires, florifères et fructifères) des 5 espèces à l’aide d’étiquettes, d’une
boussole, d’un compteur à main, d’une
machette, d’une charrette et de trois fiches (A,
B et C) inspirées des formulaires de l’Institut
forestier d’Oxford.
Layon III
800
2 400
200
7
2 800
6 800
Layon IV
800
3 200
200
5
2 000
8 800
Layon V
800
4 000
200
5
2 000
10 800
Layon VI
800
4 800
200
4
1 600
12 400
1.2.
L’étude des phénophases foliaires à
nécessité l’utilisation d’un indice de présence
« exprimé en pourcentage » par rapport à six
paramètres d’étude (Chute des feuilles,
Nombre de feuilles, Bourgeons, Jeunes feuilles,
Vieilles feuilles). La même technique a été
utilisée pour l’étude des paramètres phénologiques florifères et fructifères. Nous avons
considéré des paramètres qui nous semblent
importants comme la présence de fruits mûrs,
la présence de petits fruits non mûrs, la chute
des fruits et l’absence de fruits.
1.3.
L’étude de biomasse concerne les
espèces suivantes : Dichrostachys cinerea,
Gardenia ternifolia, Ozoroa insignis, Securidaca
longepedunculata et Flueggea virosa. Cinq individus par espèces sont sélectionnés et pesés
pour avoir le rapport entre biomasse hypogée
et biomasse épigée. Ce qui nous donne un
échantillon de 25 individus. Les troncs des
individus et les branches dépourvues de leurs
feuilles ont été par la suite sectionnés et pesés
pour évaluer le poids de la biomasse ligneuse.
Le poids de cette biomasse et celui des feuilles
ont été considérés comme le poids de la
biomasse épigée. Pour l’évaluation de l’état
sanitaire de 5 individus pour chacune des
espèces prioritaires dans le site, nous avons
utilisé l’échelle de NICHOLSON modifiée
(1958) qui associée l’état sanitaire à quatre
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Détermination de l’aire minima
par l’établissement de la courbe
aire-espèces.
stades : sujets sains, sujets assez bien, sujets
passables et sujets mauvais. Le nombre d’individus observés est exprimé en pourcentage.
1.4.
Le diagnostic partagé sur les causes
socio-économiques et bio-physiques de la
dégradation des espèces médicinales à
Sambandé, qui consiste à recruter un
nombre représentatif de groupe de 6 à 12
personnes répondant à des critères
homogènes, à susciter une discussion
ouverte sur les thèmes de l’étude (raisons de
la dégradation des plantes médicinales) et à
en faire une analyse-synthèse. C’est à l’aide
d’un dictaphone et des cassettes que nous
avons enregistré les données portant sur les
aspects suivants :
— les causes de la dégradation des ressources
végétales médicinales dans la zone,
— les effets de la dégradation des ressources
végétales sur la vie des populations,
— les solutions à apporter pour restaurer et
protéger les ressources végétales,
— la liste des espèces médicinales rares
et/ou disparues dans la zone,
— la liste des espèces médicinales citées
comme ayant une importance économique
directe (médicinale ou alimentaire) pour les
populations.
II. Présentation de la zone d’étude
La région de Kaolack avec une superficie de
1 610 km 2 , a une population de 1 066 375
habitants, soit 69 hbt/km2. Elle possède un
taux d’accroissement de 1,9 %. La
Communauté rurale (CR) de Keur Baka fait
partie de l’arrondissement de Koumbal localisé dans la région et le département de
Kaolack. Elle couvre une superficie de 228 km ?
et limité au Nord par la CR de Latmingué, au
Sud par les CR de Paoskoto et Nguenthe Khaye,
à l’Est par la CR de Thiaré et à l’Ouest par le
village de Keur Socé situé dans la CR de
Ndiédieng. [Figure 2, p. 66 : Carte du Sénégal et
Le climat est de type soudano-sahélien avec
l’alternance de deux saisons : la saison des
pluies ou hivernage (de juin à septembre) et
la saison sèche (d’octobre en mai). Les
températures sont généralement élevées.
Par exemple, les moyennes de la température ambiante de novembre et décembre 2002
sont respectivement de 28,2 °C et 30,4 °C, et
une humidité atmosphérique de 29 % et
32 %. La moyenne de la pluviométrie enregistrée pour la région de Kaolack était de
711,2 mm pour 93 jours en 2000 (Source
ASECNA). [Figure 3, p. 67 : températures /
situation de la région de Kaolack.]
humidité.]
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zone d’étude
site d’étude
Figure 2 :
Carte du Sénégal
et situation de la
région de Kaolack.
On rencontre 3 types de sols dans la CR de
Keur Baka :
— les sols diors (sableux) représentent 30 à
80 % des terres cultivables et sont essentiellement réservés à la culture de l’arachide, du mil
et de la pastèque,
— les sols deck (argileux) représentent 10 à
30 % des terres cultivables et sont occupés par
la culture du sorgho, du maïs, du riz et des
cultures maraîchères,
— les sols deck/dior (argilo-sableux)
conviennent aux cultures pratiquées dans la
région.
Concernant les végétations, trois types de
formations ligneuses se rencontrent dans la
CR :
— un parc agro-forestier constitué d’arbres
épars dans les champs (Cordyla pinnata,
Tamarindus indica, Adansonia digitata) [23],
— la végétation des zones de 11 mises en
défens couvrant une superficie de 6 733 ha,
— les formations forestières naturelles,
c’est-à-dire les forêts non protégées à libre
utilisation.
La population de la CR de Keur Baka est
estimée en 2000 à 26 484 habitants. Le taux
d’accroissement annuel est de 1,36 % et la
densité s’élève à 107 habitants au km2. Les
jeunes de moins de 18 ans représentent 45 %
de la population totale. Elle est caractérisée
par une diversification ethnique composée de
Sérères 48 %, de wolofs 35 %, de peulhs 15 %,
de Bambara 2 % et des ethnies telles que les
sarakholés, les tourkas et les socés.
Les principales activités économiques
sont : l’agriculture, l’élevage, l’exploitation
forestière et le petit commerce. L’agriculture,
pratiquée par toutes les ethnies est l’activité
dominante et concerne surtout l’arachide et le
mil. L’élevage est la deuxième activité économique ; elle est l’œuvre des peulhs et des
Sérères, et concerne les bovins, les équins, les
asins et les petits ruminants (ovins, caprins
etc.). L’exploitation des ressources forestières
(cueillette, apiculture) et le petit commerce,
qui concerne surtout les femmes, sont devenus
depuis quelques années des activités non
négligeables génératrices de revenues. [12]
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température maximale
température minimale
température moyenne
dé
c
21
-3
1
dé
c
11
-2
0
dé
c
1e
r10
no
v
21
-3
0
no
v
11
-2
0
1e
r10
no
v
humidité relative de l’air
Figure 3 :
Températures
et humidité,
novembre
et décembre 2002.
III. Synthèse bibliographique
sur les espèces prioritaires étudiées
Enquêtes sur l’offre
et la demande des marchés
en espèces médicinales
La revue documentaire a permis de noter que la
demande sur les marchés urbains des produits
des espèces médicinales est forte. En 1988, la
Direction des Eaux Forêts Chasse et de la
Conservation des Sols a estimé les besoins
nationaux en phyto-médicaments traditionnels
à 1 700 tonnes de produits divers (fruits et
gousses, exsudats, feuilles, écorces, racines…)
[16, 21]. Calculés sur la base d’un rythme de
croissance démographique de 3 % par an [1],
ces besoins devraient passer à 3 000 tonnes en
2010. Ces données permettent d’apprécier la
pression croissante que les plantes de la phytopharmacopée subissent dans cette partie du
Sahel en proie à la désertification.
Au Sénégal le commerce des plantes
médicinales fait vivre les herboristes. Leur
chiffre d’affaire mensuel avoisinait le salaire
mensuel du Sénégalais moyen ; il était de
l’ordre de 50 000 F CFA dans certains marchés
urbains en 1996 [21]. En 2004, les enquêtes de
ENDA ont montré que ce chiffre d’affaire des
herboristes dans cinq grandes villes (dont
Dakar) avoisinait les 300 000 F CFA par
personne et par mois, en moyenne. Cette
herboristerie est génératrice de main-d’œuvre
avec les récolteurs, les grossistes, les
détaillants. Avec la crise économique et la
cherté des médicaments modernes qui en a
résulté, ce secteur se taille une part de plus en
plus importante dans l’économie populaire ou
informelle [19].
Le Sénégal dispose d’intéressantes
ressources végétales utilisables à des fins
médicinales. Très peu de travaux relatifs au
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recensement des espèces vendues sur les
marchés sénégalais ont été publiés. Parmi ces
travaux, nous citerons :
— L’inventaire réalisé par KERHARO en 1976
sur les plantes médicinales vendues sur les
marchés des villes. L’auteur faisait état de 75
espèces sur un total de 542 plantes médicinales répertoriées dans son ouvrage publié en
1974. Certaines de ces espèces sont exportées
à l’étranger et reviennent au Sénégal sous
forme de spécialités pharmaceutiques (cas de
Sterculia setigera).
— Les enquêtes de L Ô et M AYNART sur les
marchés Saint-Louisiens de SOR en 1977 ; ces
auteurs ont élaboré un rapport de mission non
publié qui porte sur 31 espèces médicinales
répertoriées.
— Les travaux de DIAGNE A. en 1988 qui a
recensé 173 espèces médicinales appartenant
à 53 familles dans le seul marché de Tiléne à
Dakar [7].
— Les enquêtes de L Ô et al. dans les neuf
régions [21] ; ont recensé 184 espèces médicinales identifiées sur 42 étalages d’herboristes
de 20 grands marchés urbains du Sénégal.
— Les travaux de DASYLVA en 2001 [6] qui a
recensé sur le marché dakarois 140 espèces
médicinales dont les racines représentent une
proportion de 42 %.
Des différentes enquêtes réalisées,
DASYLVA B. a établi en 2001 un répertoire que
nous avons complété avec les résultats de nos
propres investigations. Le rapport provisoire
élaboré a été présenté en février 1999, à
l’occasion d’un atelier organisé par la
Direction de la Pharmacie et du Médicament
(DPM) du Ministère de la Santé et de la
Prévention du Sénégal [12]. Ce rapport provisoire proposé ne saurait prétendre être
exhaustif, mais il incite à la réflexion sur les
plantes médicinales dans le système sanitaire
global.
Considérations générales
sur les espèces prioritaires étudiées
1. Dichrostachys cinerea (L.) Wight.
& Arn. Mimosaceae
Mimosa Cinerea Linn., Dichrostachys
glomerata (Forsk.) Chiov., Mimosa glomerata Forsk., Dichrostachys natans (Pers.)
Benth., Mimosa nutans Pers., Dichrostachys
platycarpa Welw. ex. Oliv. [7, 9]
Botanique [3]
Ce petit arbuste est une légumineuse, généralement buissonnante. Son nom Dichrostachys
cendré fait allusion à l’écorce qui est d’un gris
cendré. [18] [Planche p. 70.]
Place en systématique [1, 7, 10]
Règne :
Sous-règne :
Groupe :
Sous-groupe :
Embranchement :
Sous-embranchement:
Classe :
Sous-classe :
Série :
Ordre :
Sous-ordre :
Famille :
Genre :
Végétal
Cormophytes
Eucaryotes
Rhyzophytes
Spermaphytes
Angiospermes
Dicotylédones
Dialypétales
Caliciflores
Rosales
leguminae
Mimosaceae R. Br.
Dichrostachys
Noms vernaculaires [2]
Bambara :
Sérère :
Wolof :
Bassari :
Français :
Au Sahel
Mooré :
Peul :
giliki, ngiliki, ntirigi
suss
sinth
a ndémband, a mbakruka
Mimosa clochette
sunsutiga
burlé, burli, patrulali
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Description de la plante [3, 7]
Du grec dichros de deux couleurs et stachys
épis, ce qui fait allusion aux épis floraux de
deux couleurs, moitié mauve, moitié jaune ; le
Mimosa clochette est un arbuste épineux,
buissonnant haut de 4 à 5 mètres ou d’avantage. Écorce grise, crevassée, d’aspect tressé,
fibreuse, se détachant en lanières, à tranche
blanc jaune. Feuilles bipennées alternes de 5 à
15 cm de long portant 8 à 15 paires de
pinnules. Les pinnules portent 10 à 25 paires
de foliolules oblongues-linéaires, pubescentes
longues de 4 à 10 mm et large de 1 à 2 mm. Le
pétiole long de 10 à 15 mm. Fleurs groupées en
racème pédonculé, dense de 6 à 10 cm de long.
Les fleurs sont bicolores, rose mauve à la base.
Elles sont odorantes, apparaissant en mai-juin
avec les premières feuilles. Les Fruits sont des
gousses fasciculées, indéhiscentes, recroquevillées sur elles-mêmes et entremêlées les unes
aux autres, large de 5 à 8 cm, jaunes ou brunes,
persistant longtemps sur l’arbre. Elles contiennent 4 à 5 graines ovales aplaties de 4 à 5 mm
de long et large de 3 à 4 mm.
Originaire d’Afrique tropicale et australe,
c’est une espèce répandue en Afrique intertropicale, présente dans les savanes soudanoguinéennes et guinéennes, sur les sols lourds,
au niveau des endroits en jachères de pâturage et des talus en bordure de route. [9]
Socio-économie et commercialisation [1]
Bien que l’espèce soit présente sur les différents marchés du Sénégal, nous n’avons pas
encore d’informations fiables sur les tonnages
commercialisés ainsi que les chiffres d’affaires
des herboristes et des phytothérapeutes,
concernant les racines et tiges vendues. Il
serait intéressant de mener des enquêtes
socio-économiques au niveau des marchés,
des tradipraticiens et des ménages, pour une
estimation de ces données, ainsi que les
parties commercialisées.
2. Gardenia ternifolia K. Schum.
Rubiaceae
Gardenia triacantha DC, Gardenia medicinalis Vahl. Ex Schumach, Gardenia thunbergia Hiern., Gardenia jovis-tonalis
(Welw.) Hiern. [7, 9,10].
Botanique [3, 4, 5, 8]
D’après le Père Sébire [16], cette espèce de
savane généralement glabre porte le nom latin
de « Gardenia de la foudre » parce que dans
certains pays, les Africains mettent des
branches de cet arbuste sur leurs cases pour
en éloigner la foudre. [Planche p. 70.]
Place en systématique : [7]
Règne :
Végétal
Sous-règne :
Cormophytes
Groupe :
Eucaryotes
Sous-groupe :
Rhizophytes
Embranchement :
Spermaphytes
Sous-embranchement : Angiospermes
Classe :
Dicotylédones
Sous-classe :
Gamopétales
Série :
Tétracycliques - Epigynes
Ordre :
Rubiales
Famille :
Rubiaceae
Genre :
Gardenia
Noms vernaculaires : [7]
Bambara :
Diola :
Sérère :
Wolof :
Français :
Au Sahel
Mooré :
Peul :
buré ké
bu gnabougnab
mposs
ndimtône bu gôr
Gardénia de la foudre
Bambre-zunga
dii ?aali gorki
Description de la plante : [7]
C’est un arbuste ou petit arbre glabre de 2 à 6
mètres de haut. Son tronc est court, soutenant une cime irrégulière et ouverte. L’écorce
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Les espèces prioritaires étudiées :
Planche 1 : Dichrostachys cinerea.
Planche 2 : Gardenia ternifolia.
Planche 3 : Ozoroa insignis.
Planche 4 : Securidaca longidedonculata.
Planche 5 : Fluggea virosa.
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du fût est lisse, jaune verdâtre, se desquamant
en écailles irrégulières fines et grises après le
passage des feux. Feuilles groupées en touffes
à l’extrémité de rameaux épais, très courts,
rigides. Le limbe est glabre, obové, long de
14 cm et large de 7 cm ; Les nervures sont
réticulées, saillantes sur les deux faces avec
des nervilles parallèles. Fleurs groupées en
inflorescences composées. La fleur est munie
d’une longue corolle tubulaire de 4 à 9 cm, de
lobes de 2 à 4 cm. Les lobes du calice sont
parfois très courts ou même nuls ou au
contraire linéaires, oblongs jusqu’à 1 cm de
long. Les fleurs sont grandes et belles très
parfumées, blanches puis jaune crème. La
floraison intervient de janvier en mai.
Fruits durs, très variables de forme et de
dimensions, ellipsoïdes ou subglobuleux à
surface gris verdâtre, lenticellée ou rugueuse,
lisse ou côtelée. Le fruit est long de 2 à 10 cm.
Le péricarpe est épais et fibreux. Les fruits
restent sur les arbustes durant une grande
partie de l’année.
Elle paraît être une espèce panafricaine,
très fluctuante. Le Gardénia de la foudre
pousse dans les savanes sahélo-soudaniennes
et guinéennes sur divers sols : argileux
compacts, sableux, cuirasses ferrugineuses
temporairement inondées.
III.2.2.2. Socio-économie et commercialisation
Le « Dimbtône » est très connu par ces propriétés hypertensive et anti-ictérique, surtout au
Sénégal. La plante est très présente dans les
marchés des villes. Un important tonnage de
racines est écoulé chaque année, ainsi que les
tiges vendues comme « agitateur de lait caillé »
(roukhou) par les vendeurs de Cure-dent. Selon
LY, trente-quatre tonnes, environs seraient
commercialisées dans les marchés dakarois
entre 2001-2002. Ce qui représente, selon
l’auteur, un chiffre d’affaires annuelles de
23 814 000 F CFA chez les herboristes.
3. Ozoroa insignis Del. Anacardiaceae
Heeria insignis (Del.) O. Kze., Anaphrenium
abyssinicum Hochst., Rhus insignis Del.,
Ozoroa reticulata (Bak. F.) R. & A.
Fernandez. [7,15] [Planche Ozoroa p.
70.]
Botanique [3, 4, 5, 15]
Place en systématique : [7]
Règne :
Sous-règne :
Groupe :
Sous-groupe :
Embranchement :
Sous-embranchement:
Classe :
Sous-classe :
Série :
Ordre :
Famille :
Genre :
Végétal
Cormophytes
Eucaryotes
Rhizophytes
Spermaphytes
Angiospermes
Dicotylédones
Dialypétales
Caliciflores
Sapindales
Anacardiaceae
Ozoroa
Noms vernaculaires : [14]
Bambara :
Bassari :
Sérère :
Wolof :
Français :
Au Sahel
Peul :
ndolisségi
a ndiomboné
ngégésan
vosvosor, vasvasor
Hééria remarquable
gurugali, takara, kuléhi,
kélélèdéri, kéléli
Description de la plante : [7, 15]
C’est un petit arbre ou arbuste pouvant
atteindre 3 à 5 mètres, à cime peu dense.
Écorce grise à brun pâle, légèrement fendillé, à
tranche jaune pâle striée de noir. Le rameau
est légèrement pubescent devenant glabre,
gercé et lenticellé. Latex blanc. Feuilles verticillées par 3 à 4, opposées ou alternes. Le limbe
est de forme elliptique lancéolé long de 6 à
10 cm, large de 2 à 3 cm, vert foncé au-dessus,
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blanc argenté en-dessous et pubescent. Le
sommet est arrondi et mucroné, atténué en
coin. Les feuilles âgées sont souvent légèrement rugueuses sur la face supérieure, et les
jeunes feuilles plus ou moins cireuses. Le
pétiole long de 7 à 12 mm est peu tomenteux.
Les nervures sont serrées et parallèles ; on
compte de 20 à 35 nervures latérales ou
secondaires droites. Fleurs groupées en
panicule terminale et axillaire, mesurant 7 à
15 cm de long. Les Fleurs sont petites, blancjaunâtre ou blanche de 3 à 6 mm de diamètre,
possédant 5 pétales. Elles apparaissent
pendant la saison des pluies. Les Fruits sont
des baies aplaties, dures, noires brillant à
maturité. Ils ont une largeur de 5 à 8 mm et
restent souvent sur l’arbre durant toute la
saison sèche.
C’est une espèce originaire d’Afrique au
sud du Sahel. Elle pousse dans les savanes
sahelo-soudaniennes et soudano-guinéennes,
les forêts arborées sèches, sur les sols plus ou
moins sableux. Au Sénégal, l’espèce se rencontrait autrefois dans la presqu’île du Cap-Vert.
Mais actuellement, il est plus commun surtout
depuis la région de Kaolack jusqu’au Sénégal
oriental (Région de Tambacounda.). C’est une
plante de savane, quelquefois saxicole.
Socio-économie et commercialisation
Nous avons constaté sur la majeure partie
des marchés du Sénégal la présence du
Ozoroa insignis en fagot de racines. On note
d’importantes quantités de racine chez cette
espèce, commercialisées dans les marchés
de Thiaroye et de Tilène. Il n’y a aucune
étude constatée sur la socio-économie de
cette plante [6]. Selon Aubreville [7], les
feuilles sont utilisées aussi, comme fourrage
pour le bétail.
4. Securidaca longepedunculata Fres.
Polygalaceae
Securidaca spinosa Sim., Lophostylis pallida
Klotzsch.
Botanique [4, 5, 7, 14]
Cette plante décorative à cause de ces fleurs
est utilisée aussi pour les haies vives. [Planche
Securidaca p.71.]
Place en systématique
Règne :
Sous-règne :
Groupe :
Sous-groupe :
Embranchement :
Sous-embranchement:
Classe :
Sous-classe :
Série :
Ordre :
Famille :
Genre :
Végétal
Cormophytes
Eucaryotes
Rhizophytes
Spermaphytes
Agiospermes
Dicotylédones
Dialypétales
Disciflores
Sapindales
Polygalaceae
Securidaca
Noms vernaculaires [7, 14]
Bambara :
Diola :
Sérère :
Wolof :
Français :
Au Sahel
Mooré :
Peul :
ndoro
fu diaray
kuf, kuk
fuf
Arbre à serpent
pelgha
aalali
Description de la plante
C’est un arbuste dressé pouvant atteindre 7
à 8 mètres de hauteur. Écorce épaisse, lisse,
jaune et fibreuse. Le liber contient une fibre
particulièrement résistante sur les jeunes
rameaux et appréciée pour la confection des
cordes et de filets de pêcheurs.
Feuilles alternes de 5 sur 2,5 cm, lancéolées,
allongées, de couleur vert foncé, coriaces et
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pubescentes au-dessus. Les pétioles sont
courts et pubescents. Fleurs très odorantes
et composées d’un calice à 5 sépales,
d’une corolle avec 1 grand pétiole médian, et
2 petits latéraux pourpre rougeâtre.
Racine très épaisse sentant le thymol, l’écorce et les racines fournissent des poisons à
flèches. Fruit contenant une graine et
s’amarre à une grande aile plate, de 4 à 5 cm
de long. L’aile papyracée, à sommet arrondi,
à base en coin, de 1,2 à 2 cm de large.
Graine irrégulièrement ridée, à peu près
plate et oléagineuse. La plante est très difficile à transplanter à cause de son long pivot
(racine).
Originaire d’Afrique, l’arbre à serpent est
très répandu sur toute l’Afrique, dans les
savanes et forêts. Il préfère les sols sableux ou
rocheux de savanes assez humides, ainsi que
les champs et les voies de pâturages ; et résiste
aux vents violents. Cet arbuste est distribué
dans les savanes soudaniennes à guinéennes,
sur latérite, au bord des zones humides
(rizières, vallées).
5. Fluggea virosa (Roxb. Ex. Willd.)
Voigt. Euphorbiaceae
Socio-économie et commercialisation
LY B. a mené des enquêtes socio-économiques
auprès des herboristes, tradipraticiens et
ménages dakarois. Un échantillon, de 30
herboristes localisés dans 3 zones dakaroises,
a été sondé : Les zones centre-ville (CV),
Pikine- Guédiawaye (PG), Grand-Yoff –
Parcelles assainies – Village Lébou (GL).
Presque l’essentiel des personnes s’adonnant à
cette activité sont du troisième âge, avec 54 %
de la population étudiée se situant dans la
tranche d’âge de 56 à 85 ans. Les jeunes qui
représentent 13 % de cette population,
occupent une place non négligeable.
Noms vernaculaires [14, 17]
Phyllanthus virosus Roxb. ex Willd. (1805),
Securinega virosa (Roxb.) Baill., Fluggea
microcarpa Blume. (1825), Securinega
microcarpa (Blume.) Pax. & K. Hoffm. ex.
Aubrév. (1950) [7, 17] [Planche Fluggea
virosa p.71.]
Botanique [7, 14, 22]
Place en systématique
Règne :
Sous-règne :
Groupe :
Sous-groupe :
Embranchement :
Sous-embranchement:
Classe :
Sous-classe :
Série :
Ordre :
Famille :
Genre :
Bambara :
Sérère :
Wolof :
Français :
Mooré :
Peul :
Végétal
Cormophytes
Eucaryotes
Rhizophytes
Spermaphytes
Angiospermes
Dicotylèdones
Dialypétales
Thalamiflores
Euphorbiales
Euphorbiaceae
Fluggea
ndéné, tiéné, katam
karam
mbarambaram,
farãgfa rãg
keng
Sécurinéga vénéneux
sughed-dagha
sugurlaagahi,
tièmbélgorél
Description de la plante [7, 17]
C’est un arbre ou arbuste de 2 à 4 mètres de
hauteur et buissonnant parfois, Il a une cime
ouverte avec des branches plus ou moins
sarmenteuses et retombantes. Écorce fibreuse
est grise. Les rameaux sont lenticellés,
rougeâtres à bruns, anguleux et glabre. Les
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stipules sont caduques et très petites.
Feuilles persistantes ou parfois caduques,
alternes et simples (4-7 x 2-4 cm). Le limbe est
membraneux, portant 7 à 10 paires de
nervures secondaires peu marquées. Le
pétiole est pourpre et mesure 4 à 6 mm de
long. Le Fluggea virosa est une espèce
monoïque (les sexes sont séparés sur le même
pied). L’inflorescence est un fascicule naissant
à l’aisselle des feuilles. Elle est composée de
très nombreuses fleurs mâles à 5 sépales, 5
étamines, un ovaire rudimentaire et 1 à 5
fleurs femelles à un ovaire à 3 loges, 3 styles
court. Fruits en forme de petites baies globuleuses, de couleur blanche à maturité et
mesurent 0,5 à 1 cm de diamètre. Elles sont
déprimées au sommet, charnues, contenant
des graines brillantes. La floraison à lieu à la
fin de la saison sèche et aux premières pluies.
Les baies sont comestibles à pleine maturité.
Origine indéterminée, elle pousse dans les
savanes sahelo-soudaniennes et en zones
guinéennes, en station humide au Sahel, et
dans les vallées ou bas-fonds dans les zones
sèches. Cette espèce est caractéristique des
sols perturbés (voies de pâturages) ou des
jachères et des sols arides ou sablo-argileux.
C’est une espèce commune et disséminée au
Sénégal depuis les savanes péri forestières ;
mais sa distribution est irrégulière jusqu’aux
steppes sahéliennes.
Socio-économie et commercialisation
Bien que l’espèce soit présente sur les différents marchés du Sénégal, nous n’avons pas
encore d’informations fiables sur les tonnages
commercialisés ainsi que les chiffres d’affaires
des herboristes et des phytothérapeutes,
concernant les racines et tiges vendues. [13]. Il
serait intéressant de mener des enquêtes
socio-économiques au niveau des marchés,
des tradipraticiens et des ménages, pour une
estimation de ces données, ainsi que les
parties commercialisées.
IV. Résultats
Potentiel ligneux de la forêt
communautaire de Sambandé
Composition floristique
des espèces ligneuses médicinales
Cet inventaire a permis de recenser 87
espèces dans les 31 placettes. Ces espèces
dont 67 sont ligneuses et 20 herbacées se
répartissent dans 71 genres et 38 familles. Les
spécimens d’herbier de ces espèces sont
disponibles
au
Laboratoire
de
Pharmacognosie et Botanique de la Faculté de
Médecine, Pharmacie et d’Odontologie de
l’UCAD. Les espèces énumérées dans le
tableau ci-après ne sont pas toutes étiquetées
dans les placettes.
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Tableau II : Liste floristique des espèces recensées à Sambandé
en novembre et décembre 2002
N°
Nom scientifique
Nom wolof
Nom sérère
1.
Acacia nilotica subsp. ‘adstringens’
Famille
Néb néb
Nénef
2.
Acacia albida
Kad, Ade
Sas
3.
Acacia macrostachya
Sam
Sîm
4.
Acacia polyacantha ‘campylacantha’
Ngarap
Ngobop
5.
Acacia senegal
Vérék
Ndongargavod
6.
Acacia seyal
Surur, fonah
Ndomb
7.
Acacia sieberiana
Sandandur
Sul
8.
Afrormosia laxiflora
Fabaceae
Kulukulu
Tal, sav
9.
Albizzia chevalieri
Mimosaceae
Nété nièy
Séyam
10.
Alyscarpus ovalifolius
Fabaceae
Mbamat
Mbamit
11.
Anacardium occidentale
Anacardiaceae
Darkasu
Daf durubab
12.
Annona senegalensis
Annonaceae
Dugor
Ndong
13.
Anogeissus leiocarpus
Combretaceae
Nguédiane
Ngodil
14.
Asparagus pauli-Gulielmi
Liliaceae
Firibuki
Ngol a sav
15.
Azadirachta indica
Meliaceae
Neem
Nîm
16.
Balanites aegyptiaca
Zygophyllaceae
Sump
Modèle, lôl
17.
Bauhinia rufescens
Caesalpiniaceae
Randa
Ndindi
18.
Bombax costatum
Bombacaceae
Garab i lavbé
Ndondol
19.
Cadaba farinosa
Capparidaceae
Ndébargé
Ndégarek
20.
Calotropis procera
Asclepiadaceae
Poftan
Mbodafot
21.
Capparis polymorpha
Capparidaceae
Khérègne
Ngufor
22.
Cassia italica
Laydour
Laydour
23.
Cassia occidentalis
Bentamaré
Bégnéfégné
24.
Cassia sieberiana
Sendiègne
Sélo, sélum
25.
Celtis integrifolia
Ulmaceae
Mbul
Ngan
26.
Cissus populnea
Ampelidaceae
Pogoy
Dom Mpogoy
27.
Clematis hirsuta
Renonculaceae
Ndanav
Ndimoss
28.
Combretum aculeatum
Savat
Gnélafund
29.
Combretum glutinosum
Ratt
Yay
30.
Combretum nigricans
Tap, ndamrat
Bès
31.
Combretum paniculatum
Kindindolo
Ndiadèl, lumèl
32.
Commiphora africana
Burseraceae
Ngôtot
Sagh, Ngolotot
33.
Cordia rothii
Borraginaceae
Ndiayéri,
Sub duam, suomâg
34.
Cordyla pinnata
Caesalpiniaceae
Dimb
Nar
35.
Crataeva religiosa
Capparidaceae
Horèl, Hurit
Ngorèl
36.
Daniella oliveri
Caesalpiniaceae
Santan
Sambam
37.
Detarium microcarpum
Caesalpiniaceae
Dankh
Ndanh
38.
Dichrostachys glomerata
Mimosaceae
Sinth
Suss
39.
Diospyros mespiliformis
Ebenaceae
Alôm
Nên
40.
Ekebergia senegalensis
Meliaceae
Khartoy
Hartoy
41.
Entada africana
Mimosaceae
Mbatiar
Fatiar
42.
Erythrina senegalensis
Fabaceae
Hundel
Ndiendé
Mimosaceae
Caesalpiniaceae
Combretaceae
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43.
Euphorbia hirta
Euphorbiaceae
Mbal
Mbélofoy
44.
Feretia apodanthera
Rubiaceae
Santièr
Téker, sékar
45.
Ficus gnaphalocarpa
Moraceae
Gang, Bot
Ndunmas
46.
Ficus thonningii = F. iteophylla
Moraceae
Loro
Mbélègne
47.
Flueggea virosa
Euphorbiaceae
Keng
Faragfarag,
48.
Gardenia ternifolia
Rubiaceae
Dibutone bu gôr
Mpos
49.
Grewia villosa
Tiliaceae
Kgorom sap
Sambé
50.
Guiera senegalensis
Combretaceae
Nger
Ngud
51.
Hannoa undulata
Simaroubaceae
Tèv, Hélu
Ngoth, Hoth
52.
Ozoroa insignis = Heeria insignis
Anacardiaceae
Woswosor
Ngégésan
53.
Hexalobus monopetalus
Annonaceae
Hassav
Mbélam
54.
Hippocratea africana
Hippocrateaceae
Taf
Ndèl, tèl
55.
Hymenocardia acida
Euphorbiaceae
Enkélègne
Ngènkélégne
56.
Hyptis spicigera
Lamiaceae
Lebalep
Lubunbugor
57.
Icacina senegalensis
Icacinaceae
Mbankanas
Iba
58.
Indigofera tinctoria
Fabaceae
Ganda
Nonan
59.
Khaya senegalensis
Meliaceae
Khay
Ngarin
60.
Lannea acida
Sôn
Ndugut
61.
Lannea velutina
Sôn a bèy
Ndabarndoki
62.
Leptadenia hastata
Asclepiadaceae
Thiakhat
Nghasub
63.
Lippia chevalieri
Lamiaceae
Mboromboro
Mbalhat
64.
Lonchocarpus laxiflorus
Fabaceae
Gnignah
65.
Maytenus senegalensis
Celastraceae
Genadèk, Dori
Ndafar
66.
Mitragyna inermis
Rubiaceae
Khoss
Ngaul
67.
Newbouldia leavis
Bignoniaceae
Valakur, Ngam
Gnam
68.
Opilia celtidifolia
Opiliaceae
Toth, muthéleget
Mothor, moïtior
69.
Piliostigma reticulata
Nguiguis
Ngayoh, Lag
70.
Piliostigma thonningii
Nguiguis bambuk
Ngayoh gôr
71.
Plumbago zeylanica
Plumbaginaceae
Did
72.
Prosopis africana
Mimosaceae
Ir
Somb
73.
Ptercarpus erinaceus
Fabaceae
Vèn
Ban
74.
Sclerocarya birrea
Anacardiaceae
Ber, bir
Arit
75.
Secudaca longepedunculata
Polygalaceae
Fuf
Kuf, Kuk
76.
Solanum incanum
Solanaceae
Diakhatu diane
Diahatu fa ngol
77.
Sterculia setigera
Sterculiaceae
Mbep
Mbop
78.
Stereospermum kunthianum
Bignoniaceae
Etidema, Féh
Mamb, Bol nak
79.
Strophanthus sarmentosus
Apocynaceae
Ioh, Bondé
Ngab a kob
80.
Strychnos spinosa
Loganiaceae
Tempe, Rambat
Ngoba, Ndumbut
81.
Tamarindus indica
Caesalpiniaceae
Dakhar
Sob
83.
Terminalia macroptera
Combretaceae
Vol, Guy dema
Mbalak
83.
Vitex doniana
Verbenaceae
Hel, Lenge
Ndob
84.
Waltheria indica
Sterculiaceae
Mat um kével
Sane sane, Tay
85.
Ximenia americana
Olacaceae
Ngologne
Sab, Sap
86.
Ziziphus mauritiana
Dém, sidem
Ngit
87.
Ziziphus mucronata
Demu bouki
Ngit môn
Anacardiaceae
Caesalpiniaceae
Rhamnaceae
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78 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Tableau III.
Familles les plus représentées en genres
Tableau IV.
Familles les plus représentées en espèces
Nombre
de genres
Familles
Familles
Nombre
d’espèces
Ceasalpiniaceae
7
Mimosaceae
11
Fabaceae
6
Ceasalpiniaceae
10
Mimosaceae
5
Combretaceae
7
Combretaceae
4
Fabaceae
6
Anacardiaceae
4
Anacardiaceae
5
Euphorbiaceae
3
Euphorbiaceae
3
Capparidaceae
3
Capparidaceae
3
Le tableau V montre l’importance des différents genres recencés en espèces.
Tableau V. Importance des genres en espèces
Genres
Acacia
Combretum
Nombre
d’espèces
7
4
Noms des espèces
albida
macrostachya
nilotica subsp adstringens
polyacantha
senegal
seyal
sieberiana
aculeatum
glutinosum
nigricans
paniculatum
Cassia
3
italica
occidentalis
sieberiana
Lannea
2
acida
velutina
Piliostigma
2
reticulata
thonningii
Ziziphus
2
mauritiana
mucronata
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Figure 4. Courbe aire/espace.
Figure 5 : Caractéristiques dendrométriques des 5 espèces prioritaires.
La réalisation de la courbe aire/espèces,
nous a permis de déterminer l’aire minima
c’est-à-dire la plus petite superficie qui renferme le plus grand nombre d’espèces. Dans les 6
placettes (P) que nous avons étudiées, l’aire
minima est de 50 m2 pour un nombre cumulé
de 8 espèces. [Figure 4, ci-dessus.]
Les cinq espèces prioritaires étudiées que sont
Dichrostachys cinerea (4 individus), Gardenia
ternifolia (4 individus), Ozoroa insignis (6 individus), Securidaca longepedunculata (6 individus)
et Flueggea virosa (14 individus) sont aussi
présentes dans ces 6 placettes. La dernière
espèce est la plus abondante sur le site parmi
ces 6 espèces.
Caractéristiques dendrométriques
des 46 espèces ligneuses médicinales
Les données sur les caractéristiques dendrométriques des 46 espèces ligneuses médicinales sont présentées dans la figure ci-après.
Les espèces dominantes en hauteur au
niveau des placettes sont Tamarindus indica
avec 12,2 m (moyenne sur 3 individus),
Ziziphus mucronata avec 6,9 m (1 individu),
Acacia seyal avec 6,8 m (moyenne sur 38
individus), Balanites aegyptiaca avec 5,7 m
(moyenne sur 8 individus), Cordyla pinnata
avec 5,7 m (moyenne sur 5 individus) et
Acacia nilotica subsp. adstringens avec 5,6 m
(moyenne sur 8 individus). [Figure 5, cidessus.]
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novembre-décembre 2002
avril 2003
a
a
ta
sa
lia
lia
nis
nis
rea
rea
os
lat
ula
iro
ifo
ifo
sig
sig
ne
cu
vir
v
i
ine
n
n
n
n
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c
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r
r
i
i
a
a
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u
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e
e
t
t
a
a
y
g
g
o
o
ed
ed
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ia
ia
eg
eg
ch
or
or
gep
gep
en
en
tac
sta
Flu
Flu
Ox
Ox
on
on
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rd
o
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l
l
a
a
r
r
a
a
G
G
ch
ch
ac
ac
Di
Di
rid
rid
u
u
c
c
Se
Se
Figure 6. Phénophases foliaires à Sambandé (indices exprimés en pourcentages)
nov-déc 2002
avril 2003
bourgeons
fleurs
Dic
hro
.
Ga
rde
n.
Ox
oro
a
Sec
uri
d.
Flu
egg
e.
Dic
hro
.
Ga
rde
n.
Ox
oro
a
Sec
uri
d.
Flu
egg
e.
pas de floraison
Figure 7. Phénophases foliaires à Sambandé (indices exprimés en pourcentages par rapport à
l’effectif des sujets étudiés).
novembre-décembre 2002
avril 2003
Fruits pas
mûrs petits
Fruits pas
mûrs grands
Fruits mûrs
Chute de fruits
Figure 8. Phénophases fructifères à Sambandé (indices exprimés en pourcentages par rapport à
l’effectif des sujets étudiés).
Flu
egg
e.
Sec
uri
d.
Ox
oro
a
Ga
rde
n.
Dic
hro
.
Flu
egg
e.
Sec
uri
d.
Ox
oro
a
Ga
rde
n.
Dic
hro
.
Pas de fruits
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Ces résultats montrent que les gros
diamètres à 1,3 m et à 10 cm de haut sont
observés chez Tamarindus indica (110,7 cm et
133 cm) et Cordyla pinnata (55,6 cm et
66,8 cm). Ces deux espèces qui représentent
un intérêt alimentaire stratègique en période
de disette présentent les plus grands individus.
Ces espèces ne sont généralement pas
coupées et leur large dissémination dans le
site est liée à leur importance économique
(fruitiers sauvages), pour les populations.
Phénologie des espèces médicinales
prioritaires à Sambandé
Les observations phénologiques ont été effectuées en novembre et décembre 2002 et en
avril 2003. Le suivi a porté sur 25 individus
appartenant à 5 espèces. Nous avons recueilli
une série d’informations qualitatives sur la
feuillaison, la floraison et la fructification.
Phénophases foliaires
Les résultats sur les phénophases foliaires des
5 espèces médicinales prioritaires sont récapitulés [figure 6].
La chute des feuilles est constatée sur
3 espèces prioritaires en novembredécembre 2002 par rapport à avril 2003 où
les 5 espèces prioritaires étaient en
défeuillaison. La présence de feuilles est
observée sur la totalité des 5 espèces médicinales prioritaires étudiées durant les deux
périodes d’observation. La phénologie foliaire en avril 2002 montre une influence du
manque d’eau et la chaleur à cette période de
saison séche (température de 30,5 °C et
humidité atmosphérique de 30 %) sur l’émission de bourgeons chez les cinq espèces
prioritaires
Phénophases florifères
Les données sur les phénophases florifères
des 5 espèces ligneuses médicinales sont
présentées dans les deux figures qui suivent
[figure 7].
Les résultats du suivi de la floraison en
novembre-décembre 2002 et en avril 2003
montrent que la phénophase florale n’est pas
homogène chez les 5 espèces prioritaires. Nous
n’avons pas observé de fleurs en novembre –
décembre 2002 sur l’ensemble des individus
des 3 espèces suivantes : Dichrostachys cinerea,
Securidaca longepedunculata et Gardenia ternifolia. En avril 2003, nous avons noté l’absence de
fleurs sur la totalité des individus représentant
les 5 espèces étudiées.
Phénophases fructifères
Les résultats sur les phénophases fructifères
des 5 espèces médicinales prioritaires figurent
dans la figure 8.
En novembre-décembre 2002 sur l’ensemble
des espèces, deux espèces seulement,
Securidaca longepedunculata et Flueggea virosa
sont en pleine fructification. En avril 2003,
pour le reste de la population étudiée, nous
avons remarqué quelques variations sur la
maturation des fruits notamment chez
Dichrostachys cinerea.
Rapports de phytomasses épigée/
hypogée et évaluation de l’état
des populations des 5 espèces
médicinales prioritaires
à Sambandé
Les résultats présentés ont été obtenus à partir
de 5 individus pour chaque espèce. La hauteur
moyenne pour les 5 individus est de 5,03 m
pour Dichrostachys cinerea, 4,31 m pour
Gardenia ternifolia, 6,67 m pour Ozoroa insignis,
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Biomasse
totale (kk)
Flu
egg
e.
Sec
uri
d.
Ox
oro
a
Ga
rde
n.
Dic
hro
.
Biomasse
hypogée (%)
Figure 9. Phytomasses
moyennes des cinq espèces
prioritaires étudiées entre
novembre et décembre
2002 à Sambandé
(% de poids frais).
9,07 m pour Securidaca longepedunculata et 10,
6 m pour Flueggea virosa. Le diamètre moyen
des individus de ces espèces est respectivement de 6,2 cm, 9,8 cm, 8,6 cm, 20,5 cm et
23,9 cm. Le nombre de tiges latérales pour
l’ensemble des 5 individus de chaque espèce
est respectivement de 40, 41, 133, 107 et 126.
La biomasse hypogée et la biomasse foliaire
ont été obtenues à partir d’une pesée.
[Figure 9.]
L’état sanitaire des 5 individus de chaque
espèce prioritaire a été apprécié à l’aide de
l’échelle de Nicholson modifiée (1958)
[tableau VI].
Tableau VI. Estimation de l’état sanitaire des cinq espèces prioritaires
par rapport au nombre de sujets (échelle Nicholson modifié 1958), novembre-décembre 2002.
Genres et espèces
Nombre
de sujets
Sujets bien
portants
Sujets
assez bien
portants
Sujets
passables
Sujets
mauvais
Expression
du risque
(vulnérabilité)
Moyenne menace
Forte menace
Faible menace
Faible menace
Forte menace
Dichrostachys cinerea
Gardenia ternifolia
Ozoroa insignis
Securidaca longepedunculata
Flueggea virosa
5%
5%
5%
5%
5%
—
—
20 %
—
—
40 %
20 %
80 %
100 %
20 %
—
20 %
—
—
—
60 %
60 %
—
—
80 %
TOTAUX
25 %
20 %
260 %
20 %
200 %
1. Dichrostachys cinerea (L.) Wight. &
Arn. Mimosaceae
Pour cette espèce, nous avons relevé sur
l’ensemble des 5 individus étudiés 81,2 %
(5 740 g) de biomasse épigée, dont 26,31 %
(1 510 g) de biomasse foliaire, contre 18,8 %
(1 330 g) de biomasse hypogée, pour une
moyenne de taille à partir du collet de 1,01 m
de hauteur et 1,24 cm de diamètre à 1,3 m du
sol. Les menaces constatées sont plutôt négligeables sur cette espèce puisqu’elle drageonne facilement. Mais, il serait nécessaire d’avoir
les informations se rapportant à la productivité fruitière dans le site de Sambandé.
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Le bocage de Sambandé | 83
2. Gardenia ternifolia K. Schum.
Rubiaceae
4. Securidaca longepedunculata Fres.
Polygalaceae
L’échantillonnage de 5 individus de cette
espèce nous a permis d’avoir en novembre –
décembre 2002, les pourcentages suivants :
32,55 % (1 380 g) de biomasse hypogée contre
67,45 % (2 860 g) de biomasse épigée, dont
18,36 % (525 g) de biomasse foliaire. Sur une
moyenne en hauteur de 0,86 m et en
diamètre de 1,96 cm à partir de 1,3 m audessus du sol. Les menaces actuellement
constatées sont liées à la sécheresse et au
surpâturage. Les feuilles sont consommées
comme fourrage par le bétail en période
sèche. L’expression du risque pour Gardenia
ternifolia est forte sur le site, avec 60 % de
mauvais individus, 20 % d’individus assez bien
portants et 20 % d’individus passables.
L’étude sur l’espèce a donné dans le site de
Sambandé 57,2 % (14 700 g) de biomasse
hypogée contre 42,8 % (11 000 g) de biomasse
épigée, incluant 48,18 % (5 300 g) de biomasse
foliaire. Les moyennes de la taille des individus
sont de 1,81 m de hauteur et 4,1 cm de
diamètre à 1,3 mètre. Aucun dégât n’a été
constaté sur les 34 baliveaux, observés
pendant les périodes d’études de novemvre –
décembre 2002 et avril 2003. La menace sur
cette espèce au Sénégal, avec 100 % de sujets
assez bien portants, peut être interprêtée
comme découlant d’une pression anthropique
très forte dans certaines régions septentrionales (prélèvement de racines et de tiges). Le
Securidaca par rapport à la classe de houppier
a 40 % d’individus co-dominants et 60 % d’individus intermédiaires. Nous avons noté une
certaine vulnérabilité sur cette espèce, à
cause de la sécheresse. L’espèce semble être
représentée par une faible densité de population, les études ultérieures devront préciser
l’étendue de cette menace. Les écorces de la
totalité des individus sont à 100 % saines.
3. Ozoroa insignis Del. Anacardiaceae
Il ressort de l’étude que, les cinq individus,
prises d’essai, récoltés entre novembre et
décembre 2002, ont donné en pourcentage :
70 % (11 900 g) de biomasse hypogée contre
30 % (5 100 g) de biomasse épigée incluant
23,73 % (1 210 g) de biomasse foliaire et sur
une moyenne de taille en hauteur de 1,33 m et
1,72 cm de diamètre à 1,3 m à partir du collet.
Dans notre étude, nous avons remarque et
noté que l’espèce est fixée par un très fort
système racinaire. L’état sanitaire de cette
espèce montre une expression de faible
menace, sur les cinq individus, nous avons
20 % de sujets bien portants et 80 % de sujets
assez bien portants. Par rapport à la classe de
houppier toujours en novembre et
décembre 2002, les résultats nous montre que
pour l’espèce, 40 % des individus sont codominants, 60 % sont des individus intermédiaires. Les écorces de la totalité des individus
sont à 100 % saines.
5. Flueggea virosa (Roxb. ex. Willd.)
Voigt. Euphorbiaceae
Il ressort de cette étude que parmi les cinq
espèces médicinales prioritaires étudiées
Flueggea virosa présente la biomasse totale la
plus importante (32 kg), suivi par Securidaca
longepedunculata (25,7 kg), Ozoroa insignis
(17 kg), Dichrostachys cinerea (7,07 kg) et
Gardenia ternifolia (4,24 kg). Le rapport
biomasse épigée/biomasse hypogée des 5
espèces montre que Ozoroa insignis a une
biomasse épigée relativement faible, 30 %
contre 70 % de biomasse hypogée. Par contre,
Dichrostachys cinerea a une biomasse épigée
importante de 81,2 % contre 18,8 % de
biomasse hypogée. Concernant l’état sanitaire
Jardins savoirs corps.qxp
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84 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
des espèces, Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata présentent un état satifaisant par
rapport aux trois autres espèces. Sur le site de
sambandé, l’expression du risque (vulnérabilité) reste faible chez Ozoroa insignis et
Securidaca longepedunculata, moyenne chez le
Dichrostachys cinerea et forte chez Gardenia
ternifolia et Flueggea virosa.
nantes un manque de produits pour les soins en
phytothérapie, une régression des activités
portant sur la pharmacopée, un accroissement
de la pauvreté, un manque de ressources à
exploiter sur le plan socio-économique et une
absence d’activités génératrices de revenus.
Compte tenu des problèmes évoqués, des
réponses ont été dégagées par les participants,
en vue de solutions immédiates où futures.
Les causes socio-économiques
et bio-physiques de la dégradation
des espèces médicinales
à Sambandé
Les solutions à apporter pour restaurer
et protéger les ressources végétales
Les causes de la dégradation
des ressources végétales médicinales
dans la zone
Un nombre important d’interventions nous a
permis de recueillir les principales causes de
la dégradation des ressources naturelles dans
la zone de la communauté rurales de Keur
Baka. Il s’agit dans l’ensemble, de causes
constituées de phénomènes naturels (sécheresse, dégradation des sols, compétition entre
les espèces), de pratiques néfastes (feux de
brousse, carbonisation clandestine, surpâturage, émondage, abattage ou coupe de bois,
cueillette excessive des fruits). Actuellement,
les feux de brousse constituent le principal
facteur de dégradation. Il existe aussi quelques
contraintes liées à l’exploitation frauduleuses
des produits, par des allochtones qui viennent
cueillir les fruits sauvages parfois immatures
pour la commercialisation.
Les effets de la dégradation
des ressources végétales
sur la vie des populations
Dans la discussion, les participants pensent que
la dégradation des espèces végétales a pour
conséquences chez les populations environ-
Il s’agira, selon les vœux des populations de :
— mettre en place un code de conduite
propre à faciliter les changements de comportement ;
prévenir les feux de brousse ;
— former, sensibiliser et informer d’avantage
les populations sur les techniques de récolte ;
— encourager une bonne gestion des
ressources végétales (produits de cueillette et
bois)
— créer des banques de semences villageoises ;
— procéder à une régénération assistée
d’espèces qui existaient dans la zone ;
— créer des arboreta villageois et la mise en
place de pépinières d’espèces locales ;
— motiver les membres de la commission
environnement de la cellule d’animation et de
concertation (CAC) par des badges ;
— promouvoir le financement de microprojets d’activités génératrices de revenus liés
à la gestion des ressources naturelles ;
La liste des espèces médicinales rares
et/ou disparues dans la zone
Les personnes enquêtées des dix villages ont
eu à donner la liste des quelque 28 espèces
médicinales rares ou en voie de disparition
dans la zone. Ces espèces sont citées lors du
focus-group ; mais les scores ne sont pas
révélés :
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Tableau VII. Espèces médicinales rares et/ou disparues citées.
p
p
Nom local
Nom scientifique
Nom local
Nom scientifique
Kulukulu
Dank
Loro
Sékhaw
Katidiankuma
Ven/bane
Sôn
Dému buki
Poss
Ir
Kan/Mbayo
Nandock
Véréck
Enkélègne
Afrormorsia laxiflora
Detarium microcarpum
Ficus thonningii
Combretum micranthum
Psorospermum senegalense *
Pterocarpus erinaceus
Lannea acida
Ziziphus mucronata *
Gardenia ternifolia
Prosopis Africana
Antiaris africana
Nauclea latifolia *
Acacia Senegal
Hymenocardia acida *
Ndiob
Detah
Garadu laobé
Fuf
Ron
Ngueguessan
Kel
Keng
Santang
Mbormboro
Khartoy
Kad
Sendiègne
Ndimbeli
Vitex doniana
Detarium senegalense
Bombax costatum
Securidaca longepedunculata
Borassus aethiopum
Newbouldia leavis
Grewia bicolor
Flueggea virosa
Danniellia oliveri
Lippia chevalieri
Ekebergia senegalensis
Faidherbia albida
Cassia sieberiana *
Swartzia madagascariensis *
* : espèces ayant fait l’unanimité des populations locales sur leur importance économique.
Liste des espèces médicinales
considérées comme ayant
une importance économique directe
(médicinale ou alimentaire)
pour les populations
Dans les focus groups, la préoccupation des
populations pour des espèces à valeur économique importante a été soulignée. À ce titre
une trentaine d’espèces a été relevée, dont
six avec un très grand score : Cassia sieberiana, Psorospermum senegalense, Ekebergia
senegalensis, Swartzia madagascariensis,
Ziziphus mucronata, Hymenocardia acida.
[Tableau VIII, p. 86.]
Il ressort des enquêtes menées que 30
espèces médicinales présentent une valeur
socio-économique de par leur importance
médicinale ou alimentaire. Les espèces
menacées sont au nombre de 28. Les causes
de dégradation des espèces étudiées sont de
deux ordres : des causes naturelles (sécheresse, dégradation des sols, compétition
entre les espèces), et des causes anthropiques qui sont des pratiques néfastes de
l’homme (feux de brousse, carbonisation
clandestine, surpâturage, émondage,
abattage ou coupe de bois, cueillette excessive des fruits). Les facteurs anthropiques et
notamment les feux de brousse apparaissent comme les causes les plus importantes.
Ces causes ont pour effets dans la vie des
populations environnantes un manque de
produits pour les soins en phytothérapie,
une régression des activités portant sur la
pharmacopée, un déficit de ressources
alimentaires et un accroissement de la
pauvreté.
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Tableau VIII. Espèces médicinales citées
ayant une importance économique.
Nom local
Nom scientifique
Guy
Dimb
Surur
Nguiguis
Alom
Dakhar
Sidèm
Sump
Khoss
Dimtône
Loro
Nebneb
Ir
Sendiengne
Fuf
Adansonia digitata
Cordyla pinnata
Acacia seyal
Piliostigma reticulata
Diospyros mespiliformis
Tamarindus indica
Ziziphus mauritiana
Balanites aegyptiaca
Mitragyna inermis
Gardenia ternifolia
Ficus thonningii
Acacia nilotica ‘adstringens’
Prosopis africana
Cassia sieberiana *
Securidaca longepedunculata
Nguiguis bambuk
Keng
Khassaw/mbélam
Katidiankuma
Toth
Khartoy
Mbormborom
Ngologne
Ndimbeli
Ron
Dému buki
Mango
Ber
Ven
Enkélègne
Piliostigma thonningii
Flueggea virosa
Hexalobus monopetalus
Psorospermum senegalense*
Opilia celtidifolia
Ekebergia senegalensis *
Lippia chevalieri
Ximenia americana
Swartzia madagascariensis *
Borassus aethiopum
Ziziphus mucronata *
Mangifera indica
Sclerocarya birrea
Pterocarpus erinaceus
Hymenocardia acida *
Légende :* : espèces ayant fait l’unanimité
des populations locales sur leur importance
économique.
V. Discussion
La discussion a porté sur les résultats relatifs à
la flore et à la végétation, à la phénologie, à la
phytomasse épigée/hypogée, à l’état des
populations des espèces et aux causes de
dégradation des populations des cinq espèces
médicinales considérées comme prioritaires.
La flore et la végétation
L’inventaire floristique a permis de recenser
87 espèces dans les 31 placettes. Ces espèces
dont 67 sont ligneuses et 20 herbacées se
répartissent dans 71 genres et 38 familles. Ces
informations indiquent que la forêt communautaire de Sambandé qui est une mise en
défens récente de 2 ans d’après le PAGERNA
est relativement riche en espèces ligneuses.
Ndiaye en 2004 a recencé 98 espèces, ce qui
montre une apparition de 11 espèces supplémentaires.
Les
Mimosaceae,
les
Ceasalpiniaceae, les Combretaceae, les
Fabaceae,
les
Anacardiaceae,
les
Euphorbiaceae et les Capparidaceae sont les
familles les plus représentées en espèces, ce
qui indique que nous avons affaire à un
écosystème de type soudano-sahélien. Les
résultats d’inventaire de novembre 2002 et
d’avril 2003 montrent que nous sommes en
présence d’une savane boisée dominée par
Acacia seyal de par sa hauteur et son abondance. Parmi les espèces médicinales prioritaires,
trois dominent les deux autres de par leur
hauteur. Il s’agit de Securidaca longepedunculata, Dichrostachys cinerea et Flueggea virosa. Ces
espèces sont suivies par Ozoroa insignis et
Gardenia ternifolia qui sont légèrement
dominées par les 3 premières parce qu’elles
sont appétées par le bétail qui limite vraisemblablement leur développement.
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La phénologie des espèces
Feuilles
La chute des feuilles est constatée sur 3
espèces prioritaires en novembre-décembre
2002 par rapport à avril 2003 où les 5 espèces
prioritaires étaient en défeuillaison. La phénologie foliaire en avril 2002 montre une influence du manque d’eau et de la chaleur à cette
période de saison séche (température de
30,5 °C et humidité atmosphérique de 30 %)
sur l’émission de bourgeons chez les cinq
espèces prioritaires. Les jeunes feuilles et les
bourgeons sont mieux appréciés des populations que les vieilles feuilles pour les utilisations alimentaires, médicinales et fourragères.
En effet, les vielles feuilles sont souvent
attaquées par des insectes et autres microorganismes phytopathogènes. Le calendrier
de récolte des feuilles de plantes médicinales
devrait prendre en compte certains aspects
phytosanitaires liés à l’existence de ces
organismes nocifs à la consommation, ainsi
que des résidus de pesticides dans la nature.
Fleurs
Les résultats du suivi de la floraison en
novembre-décembre 2002 et en avril 2003
montrent que la phénophase florifère n’est
pas homogène. Cette phénophase varie donc
en fonction des espèces. En novembre –
décembre 2002 par exemple, l’Ozoroa insignis
étaient en fleurs. En avril 2003, aucune des
espèces prioritaires n’était en floraison. Ces
résultats s’expliquent par le fait que la floraison de ces espèces varie suivant la périodicité
pluviométrique annuelle. Ces résultats
donnent des indications sur les périodes de
floraison des espèces, ce qui devrait
permettre aux populations de mieux situer les
périodes de récolte des fleurs et de prendre
les mesures d’entretien nécessaires pour
favoriser la fructification des espèces. En effet,
les fleurs, malgré leur faible usage en médecine traditionnelle, dictent en général la production des fruits ainsi que celles des dérivés de la
ruche (miel, cire, propolis), qui constituent
autant de produits générateurs de revenus en
milieu rural. Les seuls prédateurs floraux que
nous avons observés sont les insectes, les
écureuils, les singes. Les phénomènes naturels
(vents, fortes chaleurs…) et anthropiques
(passage du bétail, les récoltes de fruits…)
peuvent aussi être des facteurs favorisant la
chute des fleurs de Gardenia ternifolia, Flueggea
virosa et Securidaca longepedunculata. Ces
facteurs peuvent avoir des répercussions sur
la production fruitière et entraver la dissémination de certaines espèces.
Fruits
En novembre-décembre 2002 deux espèces
seulement, Securidaca longepedunculata et
Flueggea virosa sont en pleine fructification.
Ceci montre un manque de production fruitière pour les espèces recensées pour le
commerce local. Le bocage de Sambandé
fournit quelques produits intéressants dont
les fruits (Diospyros mespiliformis, Balanites
aegyptica, Tamarindus indica…) constituent une
source de revenus monétaires pour les
populations, notamment les femmes et les
enfants. Mais en raison de la jeunesse de cette
« mise en défens » (6 ans en 2006), des
mesures de conservation in situ et des essais
de régénération assistée sont actuellement
tentées par les autorités et les populations
locales. Les chercheurs du GRPM de l’UCAD
devront jouer un rôle actif dans cette forme de
recherche opérationnelle participative. À ce
titre, une banque villageoise de semences
d’espèces médicinales est en voie de constitution à Sambandé pour permettre de sauver ce
qui peut l’être. Ceci pourrait contribuer à la
lutte contre la pauvreté.
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La phytomasse : épigée/hypogée
des 5 espèces médicinales prioritaires
Plusieurs études menées sur les marchés des
grandes villes du Sénégal ont montré que la
demande en plantes médicinales est assez
forte. Cette forte demande a entraîné une
exploitation anarchique et abusive des
ressources médicinales. C’est essentiellement
le prélèvement d’écorces et de racines qui
confère à cette activité une influence négative sur la dynamique des populations des
espèces médicinales. Les racines et/ou les
écorces de tiges d’environ une centaine
d’espèces répertoriées par Kerharo et Dasylva
sont très exploitées à des fins médicinales au
Sénégal. L’adéquation entre l’offre et la
demande en produits médicinaux devrait
permettre une bonne planification de l’exploitation des espèces médicinales dans le site de
Sambandé.
Le
rapport
biomasse
épigée/biomasse hypogée des 5 espèces
montre que Ozoroa insignis a une biomasse
épigée relativement faible (30 % contre 70 %
de biomasse hypogée). Par contre,
Dichrostachys cinerea a une biomasse épigée
importante (81,2 % contre 18,8 % de biomasse
hypogée). Les vertus thérapeutiques et
alimentaires de ces 5 espèces sont connues
des populations, ce qui justifie la forte
pression qu’elles subissent et la présence de
plus en plus importante de leurs produits sur
les marchés. En effet, ces espèces présentent
des propriétés thérapeutiques intéressantes,
notamment pour le traitement de certaines
maladies fréquentes, mais sont également
utilisées à grande échelle pour d’autres
usages ethnopharmacologiques.
Flueggea virosa de par la forte demande
des marchés urbains est potentiellement
menacée sur le site de Sambandé du fait de
sa faible abondance et de sa faible biomasse
épigée (30 % contre 70 % de biomasse
hypogée). D’après des enquêtes du GRPM
menées dans la période 2000-2003 (Ndiaye
2004), l’espèce est commercialisée dans les
marchés de Dakar avec des tonnages avoisinant 9,8 tonnes par an, ce qui représente un
chiffre d’affaire de l’ordre de 21 millions par
an. Selon cet auteur, la durée d’écoulement
des stocks est de 15 jours. Le poids moyen
d’un fagot vendu au marché est de l’ordre
92,6 grammes de racines (Lô 2000). Le
nombre d’herboristes détenant des produits
de cette plante sur un échantillon de 500
fournisseurs est de 294, soit 70 % des herboristes. Les racines de cette plante sont utilisées comme aphrodisiaques, vermifuges,
antidysentériques, anti-hémorroïdaires et
analgésiques. Les écorces sont utilisées dans
le tannage et comme poison dans la pêche.
De par leur propriété astringente, elles sont
utilisées contre les abcès et la pneumonie.
Arbonnier (2002) note que son bois est
utilisé comme piquets et tuteurs dans les
vergers, dans le petit mobilier et l’artisanat
(chaises, lits, paniers), dans la confection
des toitures, comme charbon de bois et bois
de feu. Les feuilles présentent des propriétés
laxatives et stimulantes et sont préconisées
contre la fatigue et les courbatures. Elles
sont par ailleurs consommées par le bétail
tandis que les fruits seraient localement
consommés par les populations. Cet arbuste
buissonnant est utilisé en haie vive et en
ornement dans les jardins. Dans les zones
cultivées du bassin arrachidier au Sine
Saloum, l’espèce est défrichée pendant les
travaux champêtres. Sa protection dans la
mise en défens de la forêt communautaire
Mama Kaoussou de Sambandé mérite donc
d’être renforcée.
La deuxième espèce dont l’offre dans le
site et la demande des marchés ne semble
pas en adéquation est Gardenia ternifolia.
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L’espèce qui ressemble à Margaritaria discoïdea (Baill.) Webster est assez difficile à différencier de celle-ci. Cette espèce des savanes
sahélo-soudaniennes à guinéennes [7], peu
abondante et largement distribuée dans la
zone du Sine Saloum (1 à 2 individus au km2),
est fortement demandée sur le marché
dakarois (environ 34 tonnes de racines/an).
L’indice de présence du Gardenia au niveau
des étalages est de 100 %. Les racines et
écorces sont commercialisées avec d’importants tonnages (environs 34 tonnes par an),
soit 11,41 % des chiffres d’affaires des herboristes cités dans l’enquête du GRPM de
février 1999. Les herboristes enquêtés ne
font pas une grande différence entre
Gardenia ternifolia et les autres espèces de
Gardenia représentées au Sénégal. Les
chromatographies sur couche mince (CCM)
réalisées par le GRPM sur les échantillons des
marchés dakarois font état de l’existence de
plusieurs chimiotypes. Les racines sont
purgatives, hépatiques, anti-rhumatismales
et cholagogues. Les écorces sont stimulantes,
anti-hémorroïdaires, anti-odontalgiques et
cicatrisantes [5]. Les feuilles sont utilisées
pour soigner la diarrhée, la lèpre et l’hypertension. Les fruits sont fortifiants, anti-asthéniques et défatigants. Son bois jaune et très
dur est utilisé pour la fabrication de cuillères
et de manches de couteaux, d’outils divers,
de flûtes et de sifflets.
La troisième espèce, Securidaca longepedunculata, bien que largement distribuée en
Afrique (du nord au sud et du Sénégal au
Kenya), figure sur la liste ICRAF des espèces
menacées par l’homme. Il semblerait qu’un
projet d’exploitation industrielle soit entrain
d’être monté au Sénégal, compte non tenu
des tonnages observés dans les marchés.
Cette espèce apparemment menacée dans
les savanes soudano-guinéennes et réputée
antivenimeuse (racines) est utilisée pour
soigner les morsures de serpents. Ses
racines son utilisées contre les rhumatismes
articulaires chroniques et les céphalées.
Elles sont également bien connues pour
leur action sternutatoire (Kerharo) et leurs
propriétés analgésiques et antihelminthiques. Les écorces sont utilisées contre la
filariose, comme colorant jaune et dans le
cordage. Les rameaux feuillés sont utilisés
contre les morsures de serpent, la conjonctivite et la cataracte. Les feuilles sont
antipyrétiques et anti-aménorrhées. Les
fleurs fraîches rentrent comme condiments dans les sauces, et le bois est utilisé
comme charbon de bois et bois de feu
(Arbonnier, 2002). Les racines sont utilisées comme poison de flèche et sont
toxiques pour les animaux à sang froid
(reptiles, poissons). L’importance socioéconomique de Securidaca longepedunculata
a été révélée à l’ocassion d’enquêtes du
GRPM au niveau des marchés dakarois (LY
2001). Sur 30 herboristes enquêtés, l’indice
de présence de cette espèce est de 73 %
avec un tonnage de l’ordre de 3,4 tonnes par
an sur les étalages.
Pour les deux dernières espèces
(Dichrostachys cinerea et Ozoroa insignis), des
compléments d’étude de densités/ha sont
nécessaires sur le site de Sambandé. De même
au niveau des marchés, des enquêtes du GRPM
doivent permettre de préciser les
tonnages/an, pour le commerce des racines.
Dichrostachys cinerea est une espèce
sahélo-soudanienne à guinéenne. Elle possède
un fort système racinaire et envahit les sols
lourds (Arbonnier, 2002). Bien qu’épineuses,
les feuilles de cette plante sont prisées par le
bétail. Les racines, les feuilles, les écorces et
les fruits sont utilisés en pharmacopée et
vendus sur les marchés sous forme de bottes.
Les fleurs visitées par les abeilles présentent
un intérêt en apiculture et en horticulture.
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Ozoroa insignis est une éspèce soudanoguinéenne de savanes [7] dont les racines
sont vermifuges et sont vendues sur les
marchés pour traiter les ulcères phagédéniques, la blennorragie et les hernies. Les
écorces sont purgatives, vermifuges,
antidiarrhéiques et anticoliques. Les feuilles
sont galactagogues, antitussives et antidysentériques. Sur les marchés dakarois, le
tonnage enregistré par Dieng (2005) est de
l’ordre de 3,1 tonnes/an (période 2004 –
2005). Le bois est utilisé dans la petite
menuiserie (fabrication de meubles),
comme bois de feu ou charbon de bois et
comme cure-dents (Arbonnier 2002). Sur le
plan alimentaire, les racines et les écorces
sont utilisées comme succédané du thé et les
fruits sont consommés par les enfants. Les
rameaux feuillés sont donnés au bétail pour
l’engraissement. Ils sont considérés comme
toxiques pour les ânes au Soudan.
L’état des populations des 5 espèces
médicinales prioritaires à Sambandé
Concernant l’état des populations des
espèces, Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata présentent un état satisfaisant par
rapport aux trois autres espèces. Sur le site,
l’expression du risque (vulnérabilité) reste
faible chez Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata, moyenne chez Dichrostachys
cinerea et forte chez Gardenia ternifolia et
Flueggea virosa. Le degré et le type de menaces
observés sur les cinq espèces sont récapitulés.
Ces menaces sont pour l’essentiel d’ordre
anthropique (prélèvements abusifs de bois,
d’écorces et de racines), notamment pour
Flueggea virosa, Securidaca longepedunculata et
Gardenia ternifolia.
V.5. Les causes et les effets de la
dégradation des populations des
espèces médicinales à Sambandé
Il ressort des enquêtes menées que 30 espèces
médicinales présentent une valeur socioéconomique de par leur importance médicinale ou alimentaire. Les espèces menacées
sont au nombre de 28. Les causes de dégradation des espèces étudiées sont de deux ordres :
des causes naturelles (sécheresse, baisse de la
nappe phréatique, dégradation des sols,
compétition entre les espèces), et des causes
anthropiques qui sont des pratiques néfastes
de l’homme (feux de brousse, carbonisation
clandestine, surpâturage, émondage, abattage
ou coupe de bois, cueillette excessive des
fruits). Les facteurs anthropiques et notamment les feux de brousse apparaissent donc
comme les causes les plus importantes.
L’absence de rigueur dans la procédure de
mise en défens, les difficultés de gestion, ainsi
que le caractère dérisoire de moyens mis en
œuvre pour la protection des plantes médicinales, sont à bien des égards responsables de
la dégradation, surtout dans un contexte où la
compétition d’intérêts économiques divergents de plus en plus ouverte s’effectue, au
détriment des espaces naturels malgré la
surveillance d’une seule cellule d’animation et
de concertation active. Parmi ces activités,
c’est surtout la recherche de produits
combustibles, de produits de construction, de
produits médicinaux, ainsi que de pâturage du
bétail qui ont le plus contribué à la régression
du couvert végétal. La dégradation des populations de ces espèces a pour effets dans la vie
des populations environnantes un manque de
produits pour les soins en phytothérapie, une
régression des activités portant sur la pharmacopée, un déficit de ressources alimentaires et
un accroissement de la pauvreté.
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VI. CONCLUSION
Au terme de cette étude, les principales
conclusions suivantes peuvent être tirées :
1. La flore du bocage de Sambandé est
marquée par un fond dominant soudanosahélien. Elle est composée de 87 espèces
dont 67 sont ligneuses et 20 herbacées. Ces
espèces se répartissent dans 71 genres et 38
familles. Les Mimosaceae, les Ceasalpiniaceae,
les Combretaceae, les Fabaceae, les
Anacardiaceae, les Euphorbiaceae et les
Capparidaceae sont les familles les plus représentées en espèces. Les genres Acacia,
Combretum et Cassia sont les plus représentés.
Dans le bocage, la dynamique de la flore
semble être caractérisée par une diminution
des espèces à affinité soudano-guinéenne au
profit des espèces sahéliennes.
2. Les espèces ligneuses médicinales
présentent des phénophases différentes. Les
phases foliaires, florifères et fructifères diffèrent d’une période à une autre selon les
espèces. Les espèces ligneuses médicinales
suivies présentent des phases phénologiques
(foliaires, florifères et fructifères) différentes
en relation avec les facteurs climatiques,
notamment la pluviométrie, la température et
l’humidité atmosphérique. L’absence de fructification et/ou de floraison chez Dichrostachys
cinerea, Gardenia ternifolia, Ozoroa insignis,
Securidaca longepedunculata et Flueggea virosa
est probablement liée à l’âge de leurs sujets
qui sont jeunes.
3. L’étude des rapports phytomasse
épigée/hypogée des espèces médicinales
prioritaires montre que la biomasse de ces
espèces est relativement faible. La biomasse
hypogée est moins importante que la biomasse épigée chez Dichrostachys cinerea, alors
qu’elle est plus importante chez Ozoroa insignis
et chez Flueggea virosa.
4. L’évaluation de l’état des populations
des 5 espèces médicinales prioritaires révèle
que Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata présentent un état satisfaisant par rapport
aux 3 autres. Gardenia ternifolia et Flueggea
virosa présentent des populations à viabilité
faible.
5. Les résultats des enquêtes ont montré
que les causes de la dégradation des espèces à
Sambandé sont de deux ordres : des causes
naturelles (sécheresse, dégradation des sols,
compétition entre les espèces), et des causes
anthropiques (feux de brousse, carbonisation
clandestine, surpâturage, abattage ou coupe
de bois, cueillette excessive des fruits).
Les feux de brousse et les prélèvements
d’écorces et de racines apparaissent comme
les causes anthropiques les plus importantes.
Ces causes ont pour effets dans la vie des
populations un manque de produits pour les
soins en phytothérapie, une régression des
activités portant sur la pharmacopée, un
déficit de ressources alimentaires et un
accroissement de la pauvreté.
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VII. Recommandations
et perspectives de recherche
Les résultats des enquêtes menées révèlent
que si le manque d’eau (sécheresse) est unanimement considéré comme le principal facteur
de dégradation du bocage, les populations
demeurent conscientes des méfaits des activités qu’elles y mènent d’où la nécessité :
1. de réglementer l’accès et l’utilisation des
ressources naturelles du terroir communautaire ;
2. d’informer et sensibiliser davantage les
populations sur l’importance du code de
conduite.
3. d’appliquer strictement ce code de conduite établie avec l’aide du PAGERNA ;
4. d’impliquer les populations des 10 villages
riverains dans la gestion de la forêt ;
5. de former les populations aux techniques
durables de récolte et aux techniques préventives de lutte contre les feux de brousse (parefeu, tableaux signalétiques etc.) ;
6. de promouvoir les techniques de régénération naturelle assistée ;
7. de mettre en place des banques de
semences communautaires ;
8. d’impliquer les femmes et les enfants dans
la mise en place d’une pépinière de production
d’espèces en voie de disparition ;
9. de promouvoir l’introduction d’espèces
médicinales identifiées lors du focus-group ;
10. de promouvoir la domestication de
certaines espèces rares.
Au terme de cette activité de recherche, il
nous paraît important de poursuivre les investigations dans les domaines suivants :
— continuer le suivi phénologique qui doit
être basé sur un dispositif et assurer une
périodicité sur une longue période pour
l’obtention de résultats plus fiables ;
— mener des études complémentaires sur la
croissance, la productivité fruitière et grainière des espèces médicinales ;
— mener une étude socio-économique plus
approfondie sur les facteurs de la dégradation
du bocage ;
— envisager des actions de régénération
assistée sur les espèces médicinales. n
Bibliographie
[1] ADANSON M., 1996. Voyage au Sénégal. SaintEtienne : Université de Saint-Étienne, 207 p.
[2] ADJANOHOUN E.J, ADJAKIDJE V, LO I., 1979.
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[3] AUBREVILLE A., 1950. Flore forestière soudano-guinéenne, A.O.F. – Cameroun – A.E.F. Société d’édition
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Le bocage de Sambandé | 93
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[7] DIAGNE A., 1988. Les plantes médicinales des marchés
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[8] FORTIN D., LÔ M., MAYNART G., 1990. Plantes
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Mettre en forme
un jardin
ethnobotanique
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Les jardins
ethnobotaniques
de la Gardie
L’expérience de l’association ARC’Avène
Une histoire entre des hommes et un territoire
Les jardins ethnobotaniques de la Gardie sont le fruit d’un engagement citoyen
pour un territoire, une nature, un patrimoine. À l’origine du projet, point de
savant, juste des hommes et des femmes passionnés de vie et conscients des
enjeux en action sur leur territoire. Comme à l’image de l’Avène qui coule sur
ces terres, les savoirs et savoir-faire naturalistes se sont glissés du passé au
présent nous rappelant l’histoire de l’homme et de la nature.
Ici le temps se veut impalpable, comme suspendu entre les mondes.
Témoignage vivant des relations historiques entre l’homme et la nature
dans les basses Cévennes, ce lieu se veut à vocation de mémoire, de
revalorisation, de conservation, de protection de la nature, d’éducation,
de recherche, de diffusion, d’échange voire de recomposition vivante de
savoirs autour de l’environnement naturel. Aujourd’hui huit centres d’intérêt vous invitent à la rencontre des plantes au rythme des saisons et à la
découverte du patrimoine sur le site de la Gardie. La flore sauvage, les
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 97-108
Gaëlle Loutrel
pour ARC’Avène
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98 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
variétés anciennes cultivées, les savoirs
naturalistes et populaires qui s’y rattachent
sont les points fondateurs et fils conducteurs
des jardins de la Gardie.
Ceux-ci s’articulent suivant une philosophie propre à l’association que nous nous
évertuons à faire vivre dans nos jardins : par le
passé on désignait les choses, on les connaissait directement (nom de lieux, des plantes
etc.) et de fait, on les respectait. Aujourd’hui,
nous vivons dans un monde conceptuel loin
des réalités du vivant. La planète en subit les
conséquences et l’équilibre psychique de
l’homme moderne se retrouve trop souvent
dénué de sens véritable. Nous avons un besoin
urgent d’actions citoyennes en faveur de la
nature et du bien être humain.
L’association ARC’Avène, sur le site des
jardins ethnobotaniques de la Gardie, propose
dans ce sens d’amener petits et grands à
explorer ce lien avec la nature par un apprentissage actif afin de la connaître, la respecter,
la protéger. L’ensemble du projet des jardins,
tant éducatif que culturel, se base sur la transmission des savoirs de manière directe, c’està-dire pas uniquement par l’intellect mais
aussi par les cinq sens et la mémoire
kinésique. Ce lieu, garant d’une mémoire et
d’une transmission directe et vivante des
savoirs et savoir-faire traditionnels naturalistes des basses Cévennes, devient l’accompagnateur silencieux des mutations des
systèmes de pensées concernant les rapports
de l’homme et la nature.
Au cours du colloque « jardins et médiation
des savoirs en ethnobotanique. État des lieux.
Bilan des expériences, approches théoriques »,
nous avons été invités à participer à la table
ronde intitulée « mettre en forme un jardin
ethnobotanique ; présentation, confrontation
des expériences ». Nous allons donc ici vous
relater l’expérience de l’association
ARC’Avène dans la réalisation et la gestion des
jardins ethnobotaniques de la Gardie depuis
ces dix dernières années.
Une histoire
entre des hommes et un territoire
Question première des carrières
Niché dans les basses Cévennes gardoises, le
site de la Gardie qui abrite nos jardins n’est
autre qu’un ancien espace agricole et minier
devenu propriété de la commune de Rousson
depuis 1983. Ici, paysans, bergers, ouvriers,
bûcherons, fortement ancrés dans une société
rurale, ont façonné le paysage et domestiqué
leur environnement au fil des siècles. Partout
les vestiges des différentes époques du passé
rappellent à l’homme les liens puissants qu’il
entretenait avec la nature : enclos de pierre
sèche, cheminement, source aménagée,
système d’irrigation, trace d’exploitation
minière, vieux mûriers…
Sur ce territoire d’intense activité humaine
depuis la préhistoire jusqu’à l’ère industrielle,
ce sont un jour des carrières de calcaire qui
sont venues s’installer. Lorsque les maisons
ont commencé à se fissurer, la nature à
pleurer et les familles à déserter, quelques
citoyens riverains de l’exploitation se sont
alors organisés en association pour lutter
contre l’extension de ces carrières et la disparition de leur patrimoine.
Crée en 1989, l’association ARC’Avène,
Association des Riverains des Carrières de
Croix de Fauvie Pont d’Avène, avait comme
objectifs premiers de défendre, protéger,
valoriser l’environnement et le cadre de vie
des riverains et d’œuvrer pour l’arrêt définitif
de l’exploitation des carrières sur les secteurs
Pont d’Avène et Croix de Fauvie. En 1990 une
Zone naturelle d’intérêt écologique, floristique
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Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 99
et faunistique (ZNIEFF) pour le valat d’Arias –
rivière d’Avène est répertoriée1. En juillet 1991
le second arrêté de biotope du Gard paraît et
protège la vallée de l’Avène. Puis vient le nonrenouvellement des droits d’exploiter les
carrières en 1994 et 2001.
Naissance du projet des jardins
Porté par l’effervescence des actions en faveur
de l’environnement dans les années 1990, le
projet des jardins ethnobotaniques germe à
l’initiative de l’association ARC’Avène grâce à
différentes collaborations associatives avec la
MNE2 d’Alès, la FACEN3, la SPN4, la Garance
voyageuse, les Écologistes de l’Euzière et l’association Fruits oubliés. Dès 1996, les bénévoles
de l’association obtiennent pour leur projet de
revalorisation du site de la Gardie des subventions pour la création des jardins par la
commune de Rousson, le Conseil général du
Gard, la Région Languedoc Roussillon, la
Direction régionale de l’Environnement et de la
Nature, le Feder (Fonds ruropéens), la
Fondation générale des Eaux et le PNC5. Les
jardins ont été réalisés sur un terrain municipal
entre 1998 et 2001, l’inauguration officielle
n’aura lieu qu’au printemps 2001. En 2002, les
bénévoles construisent la serre bioclimatique.
Les jardins existent, les activités d’accueil et de
partage se développent sur le site.
fermées. Les statuts de l’association ont été
révisés en 1993 afin d’y intégrer la gestion des
jardins ethnobotaniques de la Gardie, la
protection de l’environnement, la conservation et transmission des savoirs et savoir-faire
locaux : transmettre des savoirs, enseigner
pour que la connaissance de ceux qui nous ont
précédés ne se perde pas.
Le moyen associatif
Fonctionnement
La question première posée par l’association
ARC’Avène s’élevait en cri d’opposition aux
carrières pour la sauvegarde du patrimoine
local et le bien être des populations. Elle s’est
ensuite transformée afin de répondre aux
nouveaux besoins une fois les carrières
Pour poursuivre ces objectifs l’association
ARC’Avène s’est dans un premier temps
appuyée exclusivement sur sa force bénévole
et citoyenne. Un chantier d’été international a
permis en 1990 le premier débroussaillage du
futur jardin de simples. Depuis cette date
l’association accueille des stagiaires qui participent au développement des jardins et des
activités d’animation : BEPA, BTS, BEATEP,
élèves ingénieurs de l’école des mines d’Alès.
Depuis 2003, des chantiers d’insertion
autour de la pierre sèche et des jardins sont
menés chaque année sur le site. Ils permettent
d’une part le tissage du lien social en favorisant
le retour à une activité professionnelle de
personnes sans emploi et d’autre part la
restauration et l’entretien du site : restauration
de murs en pierres sèches, habillage du mazet
vigneron, pose d’un four à pain, construction
du pont du verger, de l’escalier, réhabilitation
de la source, entretien des jardins…
Petit à petit des salariés sont venus renforcer l’équipe bénévole. Aujourd’hui, nous
comptons un jardinier, une animatrice, un
agent de développement, une comptable, trois
1. ZNIEF type n° 61800001 et type n° 61800000.
2. MNE : Maison Nature Environnement.
3. FACEN : Fédération des Associations cévenoles
Environnement Nature.
4. SPN : Société de Protection de la Nature.
5. PNC : Parc national des Cévennes.
Objectifs évolutifs
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100 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
encadrants chantier, un responsable du suivi
social chantier et douze agents polyvalents sur
le chantier.
La gestion des jardins reste cependant difficile avec un fonctionnement basé en grande
partie sur des contrats aidés. Leur durée ne
permet pas de viabiliser des emplois et de
former les salariés aux particularités d’un tel
lieu. L’engagement des bénévoles reste donc
indispensable pour le moment malgré leur
essoufflement. La structure devenue importante avec ses 20 salariés pose aujourd’hui la
question de la réorganisation de son fonctionnement afin de garantir la pérennité des
jardins ethnobotaniques et des emplois.
Aujourd’hui, l’association fonctionne
environ à 75 % sur des subventions du Conseil
général du Gard, de la Région Languedoc
Roussillon, du contrat de ville (État) et de
fondations et à 25 % sur de l’autofinancement
(animations, manifestations, ventes, visites).
Pôles d’activités et systémique
Grâce à cette organisation l’association
ARC’Avène mène plusieurs activités inter
reliées qui s’orientent toutes dans l’intention
commune de revaloriser le patrimoine naturel
et culturel local, ainsi que de collecter, faire
vivre et transmettre les savoirs et savoir-faire
naturalistes cévenols sur le site des jardins.
Culture et patrimoine, recherche ethnobotanique
Dans ce sens nous développons un axe culture
et patrimoine, recherche en ethnobotanique
qui comprend de la collecte de mémoire
auprès des anciens du territoire, un travail sur
la langue occitane, l’accueil d’étudiants
chercheurs et l’édition de fascicules synthétisant nos recherches (pour 2008). Nous
travaillons à la création d’une bibliothèque
ainsi qu’au développement de la partie
écomusée avec la collection d’anciens outils et
objets cévenols.
Les plantes en pratique
Les jardins représentent le lieu d’application
des recherches, support vivant et dynamique
de transmission. À vocation conservatoire, ils
abritent l’essentiel de la biodiversité végétale
locale ainsi que de nombreuses variétés
anciennes devenues rares que l’on retrouve
essentiellement dans les vergers. Nous récoltons nos graines et bouturons les plants afin
d’entretenir nos plantations. La serre bioclimatique permet une petite production de
plantes méditerranéennes, essentiellement
aromatiques ou médicinales, destinées au
renouvellement des jardins et à la vente.
Éducation et transmission
Les jardins représentent un formidable
support d’éducation et de transmission avec
des animations destinées au public scolaire
de la maternelle au lycée et un club
« Connaître et Protéger la Nature » tous les
mercredis après-midi. Nous souhaitons
permettre aux enfants de se retrouver dans
un espace naturel aménagé pour découvrir
de façon ludique la diversité de la nature
cévenole et de ces usages : apprendre à
connaître et à se connaître en utilisant ses
cinq sens pour mieux respecter tout en
renouant avec un essentiel. Des manifestations ponctuelles permettent de transmettre
les savoirs et de sensibiliser le grand public
au patrimoine naturel et culturel local : weekend mise à feu de charbonnière, journée
moisson à l’ancienne, récolte de salades
sauvages, bourse aux plants, soirée contes
occitans. À l’heure estivale, des visites libres
ou guidées ainsi que des « causeries » et
conférences permettent de découvrir les
jardins et les trésors de connaissance sur la
nature que les hommes ont acquis au fil des
siècles. Des stages et formations autour des
techniques traditionnelles locales d’utilisation de la nature (agricole, plessis, pierre
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Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 101
sèche…) et des savoirs naturalistes
(cueillettes de plantes sauvages…) sont en
cours de développement.
Entrons dans les différents espaces
des jardins
Cet ancien espace agricole réhabilité, devenu
aujourd’hui lieu de rencontre et de partage,
revalorise tout au long du parcours dans la
garrigue d’environ 1,5 km le patrimoine
naturel et culturel local avec ses murs en
pierres sèches, ses enclos, sa source, ses
cheminements, ses vieux mûriers… Laissez
vous guider à la découverte de ces jardins en
pénétrant dans l’étonnant monde des liens
unissant l’homme et la nature au cours du
temps représentés dans ces espaces anthropisés depuis des siècles.
Tel un puzzle, les jardins sont le fruit de
nombreuses collaborations que vous allez
découvrir en trouvant ci-dessous pour chaque
espace sa description, son histoire, les objectifs poursuivis et les questions soulevées par
sa gestion ou sa mise en forme. Sur le site, des
panneaux de lave explicatifs (avec textes,
photos, dessins…) sont intégrés à l’entrée de
chaque espace.
Verger mémoire
Ce verger se compose essentiellement d’oliviers, de vignes, de mûriers ; une haie arbustive à petits fruits, niche écologique de première importance, en délimite un côté. Depuis
l’antiquité, vignes et oliviers font partie
intégrante du paysage méditerranéen. La
transformation de leurs fruits en vin ou huile a
fait la renommée, si ce n’est l’identité de la
culture locale. Le mûrier pour sa part a eu une
très grande importance économique dans la
région (vers à soie).
Dès le début du projet des jardins l’association « fruits oubliés » a travaillé avec nous à la
réalisation de ce verger. Les premières plantations datent de 1998 et proviennent essentiellement de différentes pépinières. En 2003 nous
avons construit un mazet vigneron à l’entrée
du verger qui compte aujourd’hui 120 pieds de
vignes dont certaines variétés très rares, 40
pieds de mûriers et 60 pieds d’oliviers.
Ce verger mémoire à vocation conservatoire offre des animations pédagogiques telles
que : contes, questionnaires ludiques, jeux de
piste, vendange avec les enfants (vieux outils)
ainsi que des possibilités de formation sur la
taille des oliviers et l’entretien du vignoble.
On soulèvera ici les problèmes de suivi avec
l’association partenaire qui s’est retirée du
projet il y a quelques années emportant ses
compétences spécifiques avec elle d’où
certaines difficultés dans l’identification des
variétés que nous allons résorber cette année.
Sur un tel projet multi partenaires, quand les
compétences externes s’en vont, il faut
trouver d’autres personnes ressources à
défaut de posséder les compétences en
interne.
Parcelle céréales et compagnie
Entourées d’une clôture en châtaignier et
d’une haie semi-sauvage, les variétés de
céréales communes dans le Languedoc ;
pétanielle, saissette, touzelle… sont accompagnées de la flore traditionnelle des
moissons ; coquelicots, bleuets, nielles…
appelées souvent « mauvaises herbes » ou
messicoles. Les impressionnistes (Monet,
Van Gogh) ont magnifié dans des tableaux
hauts en couleurs cette flore banale à leur
époque et devenue rare.
La présence de cet espace tient à l’engagement durable de l’association « La garance
voyageuse » avec Pierre Sellenet, membre actif
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102 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
1. En parcourant le jardin.
d’un réseau d’amateurs spécialistes des
céréales. Les premières semences ont lieu à
l’automne 1995. L’année suivante, nous
implantons une haie arbustive. Les graines de
céréales proviennent du réseau de semence
paysanne ainsi que de l’INRA de ClermontFerrand. Le réensemencement des messicoles
est spontané, cependant certaines sont rajoutées lors du semis des céréales. Les graines de
céréales sont récoltées et sont gardées quatre
ans au maximum avant d’être semées.
De nombreuses variétés anciennes et
populations de céréales ont disparu. Elles ont
été oubliées ou reléguées dans les collections
des obtenteurs de semences modernes,
conservées dans les banques génétiques où
leur patrimoine direct ou leur descendance
permettent d’améliorer des variétés contemporaines. Ces variétés plus productives,
gourmandes en fertilisants et en intrants,
adaptées aux techniques agricoles actuelles
ont peu à peu supplanté les anciennes variétés. Notre souhait est de faire connaître
quelques-unes d’entre elles et, pourquoi pas
les diffuser auprès d’amateurs et de professionnels.
Le champ de céréales, avant l’avènement
de la modernisation agricole, hébergeait
2. Le verger mémoire
souvent une soixantaine de messicoles et
d’adventices issues de cultures voisines. Ces
plantes utiles étaient employées par les
hommes. Elles enrichissaient aussi l’agroécosystème en nourrissant les insectes, les
oiseaux et les mammifères. Cette biodiversité
est aujourd’hui fortement menacée par les
techniques modernes d’exploitation agricole.
Quelques-unes comme la nigelle de France
(Nigella gallica Jordan) ou la garidelle fausse
nigelle (Garidella nigellastrum L.) sont conservées par des conservatoires botaniques nationaux. Ces deux espèces sont protégées par la
loi, mais celle-ci exclut la parcelle cultivée du
champ d’application de cette législation. Les
messicoles hébergées dans notre parcelle
“Céréales et compagnie” proviennent de rares
champs de céréales d’hiver d’agriculteurs
extensifs (qui n’emploient pas ou peu
d’engrais chimique et jamais d’herbicide) de la
région Languedoc Roussillon.
Au-delà de cet engagement citoyen pour la
sauvegarde des semences, cette parcelle offre
de riches animations avec petits et grands :
semailles collectives, animation de la graine
au pain (four à pain), journée moisson et
battage à l’ancienne conviviale et collective
(utilisation d’outils anciens).
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Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 103
3. Les céréales communes du Languedoc
4. Le jardin botanique
Cette parcelle soulève la question des
compétences spécifiques du jardinier et des
personnes qui entretiennent les jardins. Nous
avons en effet eu des difficultés à garder une
haie sauvage car l’entretien se fait souvent par
des personnes de passage sur le chantier.
Maintenir des espaces entre sauvage et cultivé
nécessite une compréhension globale et
détaillée de chaque espace afin d’être
conscient des espèces à favoriser ou des
indésirables. Il est difficile de former un jardinier classique aux méthodes utiles sur ce
terrain dans le cadre des emplois aidés à
durée déterminée. La formation de jardinier
spécialiste de l’ethnobotanique semble de
première importance à la pérennité des divers
jardins dits ethnobotaniques.
Jardin botanique
Le site de La Gardie, à cheval sur le rebord
cévenol acide et le début de la garrigue calcaire, comporte des habitats diversifiés dus à des
variations climatiques et à des expositions et
des substrats rocheux différents. Le jardin
botanique, sous l’aspect d’une rocaille paysagère, rassemble quatre de ces différents
milieux que l’on retrouve dans nos garrigues
gardoises, chacun étant caractérisé par une
flore spécifique, parfois rare et en danger : la
garrigue, les falaises calcaires qui accueillent
des plantes inféodées à l’habitat comme l’ibéris
des rochers ou l’alysson épineux, les sous-bois
de chênes qui abritent la précieuse pivoine
officinale, emblème de ce jardin, et enfin les
terres rouges issues des stériles de l’exploitation des anciennes mines de zinc de la Gardie
où s’installe une flore spécifique (armérie faux
plantain, jasione des montagnes, tabouret
bleuâtre) qui tolère ces métaux, toxiques pour
de nombreuses autres plantes.
À l’image des relations empiriques entre
l’homme et la nature, les jardins de la Gardie
se sont composés au gré des rencontres. Le
projet du jardin botanique était à l’origine
destiné à un autre site. Il a été rapatrié en
1998 dans l’espace des jardins de la Gardie
avec une subvention déjà acquise. De gros
travaux d’aménagement tels que l’apport de
blocs calcaires et de terre végétale du secteur
ont été menés par une entreprise dès 1998.
Un botaniste amateur, Francis Lagarde,
porteur de ce projet, a recréé les quatre
biotopes du jardin. La collecte des plantes et
la mise en place au fil des saisons se sont
poursuivies en 1999 ainsi que la pose d’un
système d’arrosage à partir du local technique
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104 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
du verger mémoire. Les 107 espèces
présentes viennent du milieu naturel sauvage
et de graines prélevées dans la région.
Le jardin botanique a pour objectif de
sensibiliser le public sur la richesse méconnue
de notre flore régionale. On y aborde les
questions de biotope, sol, climat et de classification scientifique. C’est un espace représentatif du milieu sauvage pour le grand public et
c’est aussi un outil offert aux scientifiques.
La question récurrente à tous les jardins
s’ouvre ici nous renvoyant d’un coup sec à nos
modes de fonctionnement et nos carcans
intellectuels : Comment transmettre ? Quelle
médiation ? Étiquettes ou pas ? Quel choix
faire ? Quel contenu ? Comment en apposant
un écrit sur le vivant, transmettre de manière
juste les différentes connaissances qui l’entourent ? Pour notre part, nous avons choisi de
donner des informations écrites au visiteur
afin qu’il puisse acquérir, s’il le souhaite,
certaines connaissances théoriques au cours
de sa visite libre. Les visites guidées avec leurs
cortèges d’histoires, de mise en lumière des
symboles et des relations du vivant viennent
compléter de manière spécifique à chaque
public ces informations écrites. On peut donc
trouver au pied de chaque plante une petite
étiquette blanche réalisée par nos soins qui
indique : la famille, le nom français, latin,
occitan et les usages (sauf pour le jardin
botanique où nous n’indiquons pas les usages).
Jardin d’inspiration médiévale
Ce jardin a été installé dans un ancien potager
clos de murs et pourvu d’un système d’irrigation traditionnel avec relevage de l’eau de la
source de la Gardie qui a été réhabilité. Le
jardin est organisé en espaces délimités par
des plessis de châtaignier. Les plantations sont
en premier lieu des plantes potagères (feuilles,
racines, légumineuses), quelques plantes
industrielles (tinctoriales, tissage), aroma-
tiques, condimentaires et médicinales,
magiques, des arbres fruitiers et des fleurs
parmi lesquelles trônent la rose, le lys et l’iris.
Ce potager a été mis en place de 1997 à 2001
par les bénévoles de l’association ARC’Avène
et créé par une de nos bénévoles, Mme Suzette
Blandina, enseignante à la retraite. Elle a mené
un important travail de bibliographie et de
confrontation des écrits existants afin de
sélectionner les 86 espèces présentes. Cellesci proviennent de collecte de plants et de
graines dans la nature environnante, de
bouturage, de foires aux plantes rares et de
catalogues spécialisés (graines Baumaux,
ferme Sainte-Marthe). Durant ces quatre
années, il a fallu mener un colossal travail de
débroussaillage, réhabiliter l’enclos en pierre
sèche, le mazet et sa toiture en lauzes
calcaires, remettre en état le système de
relevage et d’écoulement des eaux d’arrosage,
mettre en place les plessis de châtaignier et
mener les travaux de jardinage.
Chargé d’histoire et de géographie, ce
jardin présente les légumes cultivés avant les
grandes découvertes. Point de tomates, ni de
haricots, ils ne sont pas encore arrivés
d’Amérique. À vocation pédagogique, il
permet d’aborder les questions de l’eau avec
petits et grands.
Nous mettrons ici en lumière la délicate
question de la rigueur des données transmises
dans les jardins historiques et d’usages : fait
notable dans l’histoire de la mise en œuvre de
ce jardin. Il a effectivement fallu beaucoup de
persévérance et de passion afin d’adopter une
rigueur systématique d’identification de la
plante tout en se confrontant aux écrits pour
une forme de vérification.
Jardin de simples
Protégé par de hauts murs de pierres sèches
qui lui servent d’écrin, ce jardin est un ancien
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enclos ayant servi à garder les animaux la nuit.
Envahi par les arbres et les broussailles, il a
été rénové et aménagé. Des terrasses ont été
construites ainsi que le mazet. Quelques
arbres ont été conservés comme le genévrier
cade situé au centre. L’espace ainsi créé
appelle à la promenade et à une certaine
contemplation.
Des santolines, des buis et des lavandes
bordent des carrés ou planches qui réunissent
les plantes utiles les plus employées dans la
région. Les remèdes majeurs d’affections et de
maladies les plus courantes, les plantes
alimentaires et condimentaires, les plantes
ludiques sont cultivées dans ces carrés par
famille d’usage. Ce moyen mnémotechnique
permettait d’apprendre l’usage des plantes
ainsi regroupées.
Ce jardin a été conçu par Suzette Blandina
et réalisé de 1995 à 2001 par l’association
ARC’Avène. En 1995 le Groupe archéologique
de recherches alésien (GARA) nous donne feu
vert pour entreprendre les travaux de réhabilitation. Dès l’été un premier chantier international se met en place pour le débroussaillage
de l’enclos et de la source, puis le traçage d’un
sentier de liaison. L’année suivante nous
pilotons un second chantier international
pour le débroussaillage, le nettoyage et la
réhabilitation des murs. Nous embauchons un
technicien formateur pour les murs en pierres
sèches. Le terrassement nécessitant un apport
de terre est effectué par une entreprise. Nous
construisons un mazet et posons deux cuves
de réserve d’eau de 1 000 litres chacune qui
seront raccordées au réseau de la source et
suivies d’un système d’arrosage. Les premières
collectes et plantations se font en 1998. Les
aménagements se terminent en 2001 par la
pose des portes de l’enclos et du mazet et la
pose du panneau de lave dans le mur Est de
l’enclos. Les 180 espèces présentées dans ce
jardin ont été collectées, pour la plupart, sous
forme de graines ou de jeunes plants dans la
nature proche, dans des anciens jardins et
autour des mas environnants.
Lieu de mémoire et de savoir, ce jardin
témoigne de l’utilisation des plantes dans la
vie quotidienne en Basses Cévennes au début
du XXe siècle. Il est en fait un peu plus qu’un
jardin de simples puisqu’il comporte des
plantes médicinales, mais aussi des plantes
d’usages, ludiques, aromatiques, magiques…
qui évoquent un passé où l’homme et son
environnement étaient intimement liés.
Espace de détente comme un cocon d’attention au cœur de la garrigue sauvage, il transporte le visiteur dans le monde merveilleux
des senteurs. Nous y développons diverses
animations pédagogiques guidées par l’odorat.
Les choix de disposition, d’installation et
d’arrangement des plantes dans les jardins
n’ont pas toujours été faciles… Classer les
plantes par usages présente certains inconvénients. Une plante médicinale ayant plusieurs
usages, comment savoir où la placer dans les
parcelles ? Par exemple, faut-il ranger le
sureau dans les remèdes pour les yeux ou les
voies respiratoires ?
Verger Chartreux (projet en cours)
Ce verger conservatoire présentera, à travers
différentes parcelles, une importante collection de fruitiers issue de celle du sénat, palais
du Luxembourg à Paris et invitera à découvrir
une richesse variétale souvent méconnue.
Ce projet est né en 2007 d’un partenariat
entre les jardins ethnobotaniques, le centre de
pomologie d’Alès, le service nature du grand
Alès, le Sénat et la mairie de Rousson. Une
convention entre ces différents partenaires
sera signée en 2008. Pour le moment, 21
variétés ont été greffées à œil dormant :
pommiers et poiriers essentiellement, une de
prunier et une de pêcher. À terme, 160 variétés du catalogue des chartreux, soit 480 arbres
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5. Le jardin d’inspiration médiévale.
fruitiers, seront implantées à la Gardie.
Différentes formes de taille et d’aménagement
en polyculture seront proposées au public.
Ce verger représente une duplication
unique en France du verger chartreux du
Sénat composé de variétés anciennes parfois
rares. Au-delà de sa vocation conservatoire, il
endosse chez nous une vocation pédagogique
et de transmission des savoirs : fruits, greffe,
mode de taille…
L’implantation de ce verger a mis à jour
l’importance d’affirmer une cohérence
permanente de l’ensemble des jardins et des
objectifs poursuivis. En accueillant des projets
extérieurs, on s’expose à certains risques de
divergence comme le choix des modes de
culture par exemple (biologique ou chimique).
La poursuite du travail partenarial permet
cependant de trouver des compromis
bénéfiques à chacun.
Rucher
D’anciennes ruches entourées de plantes
mellifères sont installées dans un endroit de
bonne exposition pour la production. Nous
exposons temporairement des outils
d’époque.
6. Le jardin des simples
Autrefois dans les campagnes tout le
monde avait une ou deux ruches. Leur fabrication dans des troncs de châtaigniers faisait
partie des travaux d’hiver. Les buscs (ruches)
devaient être tournés vers le levant et si
possible à proximité d’un point d’eau et de
plantes mellifères. Dès le mois de juin, les
enfants étaient mobilisés pour la poursuite
des essaims.
L’association ARC’Avène avec la participation et les conseils techniques de
M. J. Crespo, Rucher du Trental, a collecté de
vieilles ruches, mis en place des plantes
mellifères complémentaires de celles
présentes sur le site (romarin, lavande…),
remonté des murs de pierre sèche et
construit un socle en pierre sèche pour la
pose du panneau explicatif en lave.
Cet espace vient enrichir l’ensemble et
créer un centre d’intérêt supplémentaire pour
les visiteurs. Il se veut le témoin de la générosité de l’abeille qui a si longtemps conféré à
l’homme cinq de ses trésors (miel, pollen,
gelée, propolis et venin). Selon les anciens de
la Gardie, les abeilles disparaissent peu à peu
de notre territoire. Il est important de rappeler
au public l’enjeu de sa disparition puisqu’elle
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7. Le rucher.
8. La charbonnière
constitue aussi l’un des vecteurs principaux de
la pollinisation des cultures potagères,
fruitières et fourragères.
Espace charbonnière
Dans une clairière aménagée, vous pourrez
découvrir la « meule » (charbonnière) et la
cabane du charbonnier édifiées par les maîtres
du feu. C’est l’ancien abri des charbonniers,
personnages un peu retirés du monde, étroitement en contact avec la nature sauvage, la
nuit, le feu. Alentour, le sol calciné témoigne de
cette activité réalisée chaque année vers la fin
du mois de septembre jusqu’à mi-octobre. Un
four mobile, technique plus moderne de fabrication, complète l’ensemble. La fabrication du
charbon de bois à partir du chêne blanc et
surtout du chêne-vert a longtemps constitué
un revenu important de nos Cévennes.
L’aventure de la charbonnière commence
pour notre association en 1990 lorsque nous
construisons une première charbonnière dans
les bois de Landas pour les journées de l’environnement avec l’aide d’un ancien maître du
feu : M. Fernand Dolhadille. En 1997, le parc
national des Cévennes nous sollicite pour
construire et mettre en combustion une
charbonnière à Florac. C’est un succès. Le papé
Fernand transmet son savoir. En 1998, grâce à
ses précieux conseils, nous choisissons une
clairière à Rousson et la première meule est
mise en combustion sur un emplacement
prenant place dans le projet de sentier de visite
des jardins (travaux bénévoles). En 1999, nous
préparons une nouvelle charbonnière et
construisons en août la cabane du charbonnier. En 2000 et 2001, nous construisons au
printemps une charbonnière au pont du Gard à
la demande du Conseil Général du Gard, dans
le cadre des journées de l’environnement.
Depuis, chaque année nous mettons à feu une
meule sur le site de la Gardie dirigée maintenant par le nouveau maître du feu : Pierre
Vashalde et l’équipe d’ARC’Avène, et collectons
la mémoire des anciens charbonniers.
Nous nous attachons à faire vivre les
savoirs et savoir-faire accumulés autour de
l’art de faire du charbon de bois. Conserver et
transmettre ces savoirs, partager ce mode de
fabrication traditionnel avec le public.
Ancien site métallifère
Les prospections de minerais métallifères
témoignent de près de 4 500 ans d’histoire. Le
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gisement de Landas était un gîte superficiel
constitué de morceaux de calamine contenant
de 20 à 40 % de zinc. Les vestiges miniers du
secteur font partie intégrante du patrimoine
local : trace de l’histoire du paysage et du territoire nous avons mis en valeur un ancien site
d’exploitation minière artisanale.
L’aménagement de cet espace a été conçu
par ARC’Avène en s’appuyant sur une étude
concernant les sites miniers du secteur réalisée
par les étudiants de l’École des Mines d’Alès.
Deux plantes, l’armérie et le tabouret bleuâtre,
ont recolonisé le site. Une étude scientifique est
en cours, elle est menée par M. J. Rabier et M. J.P. Mevy de l’Université de Provence (Marseille
Saint-Charles), en relation avec la Colorado
State University à Fort Collins afin d’étudier les
capacités de fixation des métaux lourds de ces
plantes pour la dépollution des sols contaminés.
Au-delà des usages des plantes en basse
Cévennes, on observe sur le site de la Gardie
l’histoire d’un territoire et des hommes qui
l’ont occupé. Lorsque l’on parle de géologie,
d’exploitation minière, de rucher ou de
charbonnière, ne nous situons-nous pas dans
le domaine plus large d’une ethnoécologie
reliant l’homme à l’ensemble de son milieu
naturel ? Devrait-on alors se limiter aux
relations exclusives avec le monde végétal
dans les savoirs transmis au sein de jardins à
dénomination ethnobotanique ?
Question d’avenir…
Les jardins ethnobotaniques de la Gardie sont
les témoins des relations entre l’homme et son
territoire dans le temps en basses Cévennes.
Nés et construits sur les convictions et les
savoirs de bénévoles passionnés, dans un
esprit citoyen, de sauvegarde du patrimoine
local et de l’environnement naturel, les jardins
ont évolué vers une forme d’ethnobotanique
vivante. Miroir de la société traditionnelle et
de l’environnement botanique cévenol, reliant
passé et présent dans une dynamique de
transmission, les jardins de la Gardie souhaitent aujourd’hui affirmer leur légitimité à se
prétendre de l’ethnobotanique en faisant
évaluer et valider par une personnalité de
l’ethnobotanique les travaux effectués au
cours de ces dix années.
La question de l’avenir des jardins et de
leurs nouvelles orientations de fonctionnement se fait de plus en plus pesante pour
l’équipe des bénévoles et des salariés. Ce
projet lancé il y a une quinzaine d’années
pourra-t-il aujourd’hui s’intégrer à un réseau
de l’ethnobotanique lui donnant force et légitimité dans son évolution ?
Nous posons la question d’un passage du
champ de l’ethnobotanique à celui l’ethnoécologie sur un espace comme le nôtre. L’étude
des relations entre l’homme et son milieu
naturel au cours du temps sur un territoire
implique en effet toutes les composantes
naturelles de l’environnement et ne se limite
pas au règne végétal.
Ce type de jardins pourrait représenter à
nos yeux un lieu de mémoires où des passeurs
de connaissances naturalistes transmettent
au public enfant et adulte la conscience d’un
lien homme nature essentiel à l’équilibre de
tout écosystème anthropique. Par là, nous
recherchons pour le présent et le futur de plus
justes équilibres entre l’homme et la nature. n
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Genèse
des jardins de l’Histoire
réalisés à Tourrettes-sur-Loup
(Alpes Maritimes)
par l’association Pomme d’Amour
2005. Nous sommes partis de l’article 2 des statuts de notre association
dont le but est humanitaire : « Protéger la vie sous toutes ses formes. »
À partir de là, il nous fallait décider qui et/ou quoi protéger ? Pourquoi
et comment ?
Nous avons choisi la biodiversité si malmenée par tous et partout
Deux interrogations se sont alors faites jour :
Que représente la biodiversité dans notre vie de tous les jours ?
Comment la rendre concrète pour chacun afin de créer un processus
qui, au-delà de la nécessaire responsabilisation individuelle, aboutisse à un
ressenti assez puissant pour induire une, voire des actions, au quotidien ?
Notre réponse a été :
En parlant à chacun de son assiette et de ce quelle contient vraiment.
Ainsi nous avons développé une série d’interrogations à partir d’un plat
qui nous paraissait exemplaire dans notre recherche : la ratatouille, inscrite
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 109-118
Dominique Munoz
directrice de projet
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dans la culture niçoise et azuréenne comme
traditionnelle donc « comme ayant toujours
existé ». Nous avions au demeurant un plat aussi
intemporel que banalisé, à l’étiquette « provençale » au niveau national comme international.
À partir de là, il s’agissait pour nous de
surprendre voir d’émerveiller. Toucher nos
visiteurs aux papilles et au ventre ne nous
semblait pas suffisant. Nous voulions titiller sa
curiosité et son imagination en espérant
initier quelques interrogations voire plus,
c’est-à-dire des actions de protection de cette
biodiversité mise à mal.
Cela nous a donc amenés à envisager la
création d’un potager représentatif de la
première moitié du XXe siècle à Tourrettes-surLoup, là où se situent nos jardins. Nous souhaitions, au préalable, entamer une recherche des
variétés spécifiques cultivées entre 1900
et 1960 dans une zone légèrement plus large,
comprise entre Grasse et Vence. Ce choix
n’était pas anodin car nous savions les
relations étroites qu’entretenait le village avec
les parfumeurs grassois, d’un côté, dont
perdure aujourd’hui la culture des violettes et
de l’autre avec Vence, commune importante
depuis l’époque romaine avec laquelle d’autres
liens s’étaient tissés. Durant cette période,
nous savions que les agriculteurs locaux n’utilisaient pas de variétés hybrides de type F1. Ils
produisaient eux-mêmes leurs graines.
Nous avions décidé de tenter de rassembler ces semences, plus ou moins anciennes,
typiques de ce micro territoire, en tant que
patrimoine local, et d’en reprendre la culture.
Nous souhaitions aussi en raconter l’histoire
ainsi que celle des villages qui y étaient
associés. Dans un deuxième temps, nous
voulions essayer de créer une banque de
données sur les savoirs, savoir-faire et traditions de ce périmètre et la mettre à la disposition de tous, via notre site internet. Nous
envisagions aussi de travailler sur le patrimoine arboricole et plus particulièrement fruitier
de cette zone. Aussi, nous avons demandé au
Conservatoire de Porquerolles de nous y aider,
ce que M. Roger a accepté d’emblée.
Pour atteindre notre but, nous avions
construit un questionnaire qui portait sur les
modes de cultures que nous savions particuliers. À cette époque, pourtant pas si lointaine,
il n’y avait pas d’adductions d’eau pour irriguer
les champs. L’ingéniosité et le savoir-faire
représentaient un important patrimoine qu’il
nous paraissait indispensable de sauver de
l’oubli. De là, nous passions à des questions
plus précises sur les cultures elles-mêmes
(pois chiches et lentilles principalement) puis
nous en venions aux traditions qui les accompagnaient, et nous finissions par un court
questionnement sur les plantes médicinales
indigènes et leurs utilisations. Nous avions,
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bien sûr, inclus les plantes à parfum, que l’on
cultivait ou ramassait pour l’industrie grassoise, et qui constituaient un complément de
ressources non négligeable. Chacun nous
apportait un élément d’information nouveau
qui nous permettait de rebondir avec la
personne suivante.
Mais contacts pris avec les anciens du
village (moyenne d’âge 85 ans), peu
semblaient en état de fournir des informations fiables, nombre de savoirs étaient déjà
perdus. Ainsi, nous avons découvert qu’ils ne
se souvenaient pas des variétés qu’ils cultivaient ou qu’ils en ignoraient les noms. Après
trois mois de vaines recherches, nous n’avancions plus, les informations obtenues étaient
maigres et il nous fallut revoir notre hypothèse de départ, faute de quoi notre projet ne
pourrait aboutir.
2005-2006. Deuxième phase
Obligation d’élargir notre champ d’investigation
Décidés à garder une thématique régionale, nous avons alors envisagé de présenter un
potager provençal. Il nous fallait encore définir
ce que nous entendions par Provence. Ensuite,
nous nous sommes demandés si montrer un
potager du XX e siècle présentait un intérêt
suffisant ou si nous devions remonter plus loin
dans le temps ? Dans ce cas, fallait-il inclure le
Comté de Nice rattaché définitivement à la
France en 1860 ? Fallait-il remonter plus loin
encore jusqu’à la Renaissance ? En effet, en
1538, alors qu’il était venu négocier un traité
de paix avec Charles Quint, en présence du
Pape Paul III, François Ier s’était rendu, à Vence,
commune dont les jardins de l’Histoire sont
limitrophes. Il était venu admirer les confins de
son royaume dont les frontières étaient alors
situées à quelques lieues de là, sur la commune
de Saint-Jeannet… Ici, l’histoire est riche, et les
liens auxquels rattacher nos jardins ne
manquent pas. Nous avons donc hésité
quelques jours puis choisi la solution la plus
raisonnable : découvrir les richesses
légumières du seul XXe siècle. Cette décision
prise, nous avons opté pour un livre de recettes
typiques de la table provençale dans les années
soixante comme base de travail et constitué
une première liste de légumes.
Mais nous avions glissé, innocemment nos
doigts dans l’engrenage de la curiosité historique autant qu’ethnobotanique et une
nouvelle série d’interrogations imprévues s’est
alors présentée : d’où venaient ces légumes si
familiers ? Quand étaient-ils arrivés chez
nous ? Comment avaient-ils évolué lorsque,
comme les carottes, ils étaient passés du violet
à l’orange, après avoir été introduits au
XIe siècle venant d’Afghanistan, peut-être via
l’Italie ? Qui les avait découverts ? Qui les avait
amenés jusqu’à nous ? Une véritable enquête
débutait. Nous étions au printemps 2006. Il
s’agissait pour nous de remonter le temps à la
découverte de quelques pages de notre histoire de France…
Avec la gourmandise pour fil d’Ariane,
nous allions retrouver, peu à peu, les traces de
cet effort colossal de l’espèce humaine pour
assurer sa survie. Ce fut, et c’est encore, une
aventure passionnante, riche de mille rebondissements, dignes d’un roman d’Agatha
Christie.
En effet, ce que nous ignorions alors, c’est
que le 29 juin 2007, jour d’ouverture des
jardins au public, ce n’est pas un, mais dix-sept
jardins, que nous lui donnerions à voir.
C’est ainsi que nous allions pouvoir partager avec lui, au fil des visites, notre émerveillement devant le courage, l’ingéniosité et la
ténacité des hommes sur quelques millénaires. Quant à nos questionnements, la
source n’en est pas tarie, bien au contraire,
elle ne cesse de jaillir. Mais nos interrogations
se sont faites plus précises et donneront
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naissance, à n’en pas douter, à d’autres jardins
dans un avenir proche.
Avec pour tout bagage notre curiosité et
une honnêteté intellectuelle chevillée au
corps, nous avons entamé un long voyage et
remonté le temps, toujours plus loin, fouillant
de notre mieux chaque recoin, chaque zone
d’ombre, interrogeant historiens, ethnobotanistes, botanistes, chercheurs. C’est ainsi
qu’est apparue, comme d’évidence, la nécessité de prévoir d’autres potagers. Un premier
pour le XIX e siècle, puis un autre pour le
XVIIe siècle afin de montrer l’importance de
nouveaux modes alimentaires en France. Quoi
de mieux que le Potager du Roi à Versailles
pour en être l’illustration ! Puis nous avons
découvert, au hasard de lectures, les raffinements culinaires de l’Italie des XVe et
XVI e siècles, face à une France encore bien
timorée et nous avons largement exploré cette
voie avant de nous « embarquer » vers les
Indes Occidentales.
Nous avons vogué ainsi jusqu’au Moyen
Âge… d’où notre première visite à Salagon où
nous pouvions enfin poser les yeux sur des
plantes bien vivantes représentant, pour nous,
autant de bâtons témoins dans cette étrange
course de relais que nous avions entamée
quelques mois plus tôt. Elles nous reliaient à
notre histoire d’une façon doublement vivante
qui nous confortait définitivement dans notre
conception des jardins de l’Histoire.
Nous pensions alors qu’il était temps de
nous mettre au travail pour dessiner l’espace à
notre disposition et en organiser l’architecture. Mais c’était sans compter avec le virus dont
nous étions irrémédiablement atteints : la
curiosité.
Taraudés par une sorte de désir insatiable
de connaître cette mystérieuse généalogie de
l’homme, en tant qu’espèce, dans ses liens les
plus intimes avec les plantes potagères et
médicinales, nous avons poursuivi notre quête.
Il nous fallait répondre encore à de
nouvelles questions qui nous menaient
toujours plus loin… Que mangeait-on dans la
Rome d’un Pline l’Ancien au Ier siècle de notre
ère ? Qu’offrait donc la Grèce Antique à ses
grands érudits ? Que mangeait Platon ?
Aristote ? Que nous ont apporté les travaux du
botaniste Théophraste que l’on traduit
encore ?
Pouvait-on remonter plus loin ? Nos
égyptologues connaissaient-ils précisément
les modes alimentaires de l’Égypte des
Pharaons ? Arrivés à ce point de l’histoire, il
nous sembla que nous touchions au but. Il
était temps ! Nos étagères croulaient sous les
livres, notes et études en français mais aussi
en anglais et en italien.
En effet, nous n’avions pas agi à la légère. À
chaque étape de notre long questionnement,
nos recherches étaient basées sur des thèses,
traductions d’auteurs classiques mais aussi de
multiples contacts avec des spécialistes :
égyptologues du Musée du Louvre, grâce à
l’aide de Catherine Ziegler qui y dirigeait la
section égyptologie ; mais aussi de chercheurs,
ethnobotanistes… Pour les céréales, par
exemple, nous nous étions adressés dans un
premier temps à Michel Chauvet qui nous aida
beaucoup et continue de le faire puis à l’INRA
et au GEVES. Nous avons aussi travaillé avec
des jardins botaniques et des conservatoires
en France et en Italie.
On pouvait nous objecter (certains ne s’en
sont pas privés) que dans ces grandes phases
de l’histoire, où les régimes alimentaires varièrent de façon si marquée pour une infinité de
raisons que tout le monde connaît, il y eut des
évolutions internes, que nous ne pouvions
mettre en évidence en un seul jardin. On nous
fit savoir doctement que nous ne pourrions
être justes car sans nuances. Certes, vu sous
cet angle, à la centaine d’années près, nous ne
pouvions être justes, encore moins exhaustifs.
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Nous y avons beaucoup réfléchi et sommes
revenus sur notre hypothèse de départ. Il nous
a alors semblé que notre but était tout autre et
qu’il nous fallait poursuivre. En effet, pour
nous, être juste, consistait à présenter une
période dans son ensemble sans présence
incongrue. Il eut été extravagant, voire de
mauvais goût, de cultiver des tomates aux
côtés de melons noirs des Carmes dans un
potager médiéval par exemple. Ce que nous
souhaitions avant tout, c’était de pouvoir
frapper les esprits, quel que soit le niveau
culturel de chacun. La nécessité de visites
uniquement guidées, s’est définitivement
imposée à ce moment-là, comme la meilleure
façon de faire découvrir ces jardins de manière
adaptée (donc modulable) à tous les types de
publics qui viendraient nous rendre visite.
Restait une interrogation de poids, une fois
nos recherches terminées : où trouver les
semences ?
Or, nous avions noué de nombreux
contacts au fil des mois. C’est donc vers eux
que nous nous sommes tout naturellement
tournés : Muséum d’Histoire Naturelle de
Paris, INRA, GEVES, CIRAD, jardins botaniques
(Marseille, Hanbury en Italie), jardins ethnobotaniques principalement ceux de Salagon.
Pour le reste, nous nous sommes adressés à
Kokopelli, au Biaugerm et à quelques pépiniéristes collectionneurs.
2006. Troisième phase
Rassembler de façon symbolique en un même
lieu, des éléments emblématiques de notre
histoire, dans le temps et dans l’espace, pour
mieux la raconter.
À ce stade, nous avons commencé à considérer les semences comme un patrimoine
commun de l’humanité et notre regard s’est
encore élargi. Notre quête prenait un nouveau
tournant. Il nous a semblé intéressant d’essayer
de donner une image la plus complète possible
des cultures potagères et médicinales de
l’Humanité. La domestication, la culture, les
créations variétales considérées d’un point de
vue planétaire nous donnaient à réfléchir.
Nous avions déjà une carte historique en 7
jardins mais il nous a semblé indispensable de
la compléter de jardins ayant une thématique
plus géographique. En aucun cas, nous n’avons
été tentés par un vertige d’exhaustivité. Nous
connaissons nos faiblesses et nous effectuons
nos recherches avec autant de curiosité que
d’humilité.
Rassembler de façon symbolique, en un
même lieu, certains éléments « stratégiques »
de notre histoire, dans le temps et dans
l’espace, offrait la possibilité, nous l’espérions, d’une prise de conscience, par nos
visiteurs, de la petitesse de notre planète dont
Gilles Clément (l’un de nos parrains) dit, très
justement, que nous en sommes, tous, les
jardiniers aujourd’hui.
Cela nous donnait aussi l’opportunité de
leur faire toucher du doigt la totale improbabilité, une fois nos ressources épuisées, d’une
fuite vers une autre planète bleue, puisqu’aucune n’a été découverte à ce jour. Le raccourci
est rapide mais il aura, nous l’espérons le
mérite de faire réfléchir, au-delà de la visite
elle-même, sur nos liens indéfectibles avec les
autres formes de vie qui nous entourent et
notamment avec le monde végétal.
Il nous manquait donc quelques continents
pour asseoir notre démonstration…
Certes, nous avions bien prévu un jardin
indien, potager et médicinal (ayurvéda) pour
introduire la cause des veuves indiennes qui
nous tient particulièrement à cœur. En effet,
nous essayons de rassembler des fonds pour
elles grâce à des opérations spéciales, la vente
de nos plantes et des appels à dons. Ces fonds
sont ensuite remis au MATH, ONG-conseil des
Nations-Unies qui œuvre dans ce sens depuis
30 ans au Kerala et dans toute l’Inde.
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Biodiversité des solanacées et cucurbitacées.
Les tomates il y a 3000 ans au jardin amérindien.
Solanum aethiopicum dans le jardin africain.
Tomate Philippino telle qu'elle existait en 1492 à l'arrivée
de Christophe Colomb.
5. Melon tel qu'il était consommé dans la Rome Antique.
6. Melon à l'époque de sa domestication.
7. Melon carosello.
8. Lagenaria siceraria au potager africain.
9. Courge indienne à l'assaut d'un arbousier.
10. Origan dictamus de Crêtes dans le jardin de la Grèce ANtique.
11. Blé d'Osiris au jardin des Pharaons.
12. Maïs amérindien.
13. Maïs amérindien aux effluves de miel.
14. Sorgho à balai au jardin des Pharaons.
15. Ficoïde glacial au Potager du Roy.
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Concernant l’Asie, faute de place, de
temps, de personnel et de connaissances nous
avons décidé de la symboliser par l’intermédiaire de deux pays particulièrement connus
et riches d’histoire. Nous avons donc créé un
potager chinois et un japonais. Il nous fallait
aussi représenter l’Afrique. Mais comment
être représentatif d’un continent tout entier, si
riche et si contrasté ? Devant l’immensité de la
tâche, nous n’avons pas baissé les bras. Nous
avons choisi quelques plantes qui nous paraissaient emblématiques ou présentant un
intérêt particulier (forme, couleur, histoire…).
Certaines nous ont été données par une amie
congolaise qui cultive chez elle des plantes de
sa terre natale. Nous veillerons à faire mieux à
l’avenir en ajoutant quelques nouvelles
plantes chaque année.
Et l’Amérique me direz-vous ? Nous avons
décidé de l’inclure, pour cette année, dans
notre jardin de la Renaissance puisque c’est à
cette époque que furent découvertes les Indes
occidentales. Ce qui nous intéressait dans un
premier temps, c’était cette adoption massive
et plutôt rapide (maximum trois siècles) aux
vues de l’histoire de l’espèce humaine, de
nouvelles saveurs, textures et couleurs originaires de ce continent. Nous restions
cohérents car nous n’avions pas lâché le fil
conducteur de notre démonstration : la
ratatouille niçoise dont trois-quart des ingrédients sont d’origine amérindienne.
La place des plantes médicinales
Notre propos devenu très modestement
planétaire, nous avions découvert, au fil de
nos recherches, à quel point les usages de
certaines plantes médicinales, que nous
étudions parallèlement, pouvaient être
proches ou différer pour une même plante
d’un continent à l’autre… C’est le cas par
exemple du Vétiver, dont la racine est utilisée chez nous comme plante à parfum, en
Afrique et en Inde pour réaliser des haies de
séparation des cultures et en Thaïlande
comme plante médicinale pour les affections de la peau. Cela nous a donné l’idée de
créer un jardin de l’herboriste planétaire
pour tenter d’en montrer quelques
exemples.
Le jardin indien, dans sa présentation de la
médecine ayurvédique, associé à celui-ci nous
permettait d’introduire les médecines douces,
alternatives… Nous y avons adjoint, sous un
olivier conciliant, un petit jardin de l’homéopathie que nous espérons agrandir l’an
prochain, histoire de répondre à l’interrogation de beaucoup sur ce que contiennent les
fameuses petites billes blanches, sources de
bien des polémiques encore.
Conclusion
Notre association souhaitait que ces jardins
soient autant de portes ouvertes sur l’histoire
de l’Humanité, pour devenir autant d’occasion
de partages, d’échanges et de réflexions.
Ainsi, parler du contenu de notre assiette,
s’est révélé beaucoup plus riche et plus vaste
que nous ne l’avions imaginé : aliment, nutrition mais aussi pollution, changement climatique, cultures biologiques, raréfaction de
l’eau et cultures économes en eau, protection
de l’environnement, droits de l’homme…
La boucle était d’une certaine façon
bouclée au mieux de nos possibilités. Nous
avions voulu ces jardins ethnobotaniques
comme un moyen de prise de conscience de
l’extraordinaire de la biodiversité planétaire
afin de participer à la nécessaire reconnexion
de nos contemporains avec leurs racines,
leurs mémoires ancestrales et donc l’instinct
de survie de l’espèce qui semble en avoir
abandonner plus d’un.
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Genèse des Jardins de l’Histoire | 117
Notes complémentaires
Les cultures
Le terrain d’un hectare, qui nous a été loué
pour 1 e symbolique, était resté à l’abandon
pendant 20 ans, nous avons donc dû commencer par un débroussaillage drastique les
ronces ayant occupé tout l’espace et recouvrant les oliviers centenaires. Lors du colloque
une question nous a été posée sur un éventuel
inventaire préalable de la flore présente. La
réponse en fut négative car nous n’avions
aucune qualification pour cela.
Cependant, il paraît important de préciser
que nous avons essayé d’être le plus respectueux possible de la vie qui s’était développée
là. Proches des conceptions développées par
Gilles Clément à propos du jardin en mouvement et du tiers-paysage, nous avons laissé
libre court à la vie autour de chaque jardin, la
bridant légèrement lorsqu’elle réduisait trop
l’accès ou la vue mais ne la détruisant pas. Nous
sommes en octobre et les asters sauvages, les
pissenlits et autres plantes sauvages se
développent librement dans les allées et sur les
buttes. Il n’y a que les ronces que nous contenons vraiment par une taille drastique.
Une fois les autorisations de défrichement
obtenues de haute lutte, nous avons fait venir
une pelle mécanique pour décaisser l’emplacement de chaque jardin en veillant à protéger les
restanques dont l’origine remonte au-delà du
XVIIe siècle. Puis nous avons entamé le dessouchage proprement dit, à l’ancienne, avec la
bêche à trois dents que l’on appelle ici le magaou.
Quel meilleur moyen d’expérimenter la
pénibilité et la lenteur du travail, de toucher
du doigt les interrogations de ces générations
de paysans quant à leur devenir quotidien. Ces
hommes avaient développé un instinct de
survie très fort, associé à une bonne connaissance des plantes comestibles, sauvages et
cultivées. Un savoir alors aussi indispensable
au maintien de l’espèce que le respect qu’ils
portaient à une nature dont ils ne sousestimaient jamais la puissance.
Les visites
Elles sont toutes thématiques. Elles portent
soit sur une période historique, soit sur l’évolution d’un légume à travers l’histoire ce qui
permet de visiter plusieurs jardins. D’autres
visites portent sur une civilisation comme
celle de l’Inca au Pérou…
Leur coût est de 4 e pour une durée d’une
heure en moyenne. La signalétique comporte à
l’entrée de chaque jardin un plan complet, avec
les noms vernaculaires. Cela permet à chacun de
se repérer. Bien qu’aucune demande ne nous ait
été faite, nous pensons ajouter les noms
botaniques au recto du plan existant l’an
prochain. Nous avions pensé au départ que les
visites guidées permettraient d’ajouter, à la
demande, les noms botaniques de certaines
plantes. Un besoin plus précis ne s’est pas encore
fait sentir. Une étiquette individuelle est apposée
devant chaque plante avec le nom vernaculaire
en complément du plan d’ensemble.
De nombreux thèmes de réflexion sont
abordés au cours des visites. Ils se présentent
toujours sous forme d’interrogations liées au
végétal. Risques écologiques, problèmes de la
protection et du maintien de la biodiversité…
L’histoire est un miroir qui interpelle sans
effrayer, le temps offrant une distanciation
protectrice.
Premier point
après bientôt trois mois d’existence
Nous avons reçu à ce jour 400 personnes dont
10 % sont déjà revenues une à deux fois, soit
pour visiter d’autres jardins soit pour participer à l’une de nos deux manifestations de l’été :
— Une soirée amérindienne en août ;
— Nos premières Journées pour la biodiversité
les 11 et 12 septembre où nous avons accueilli
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118 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Alain Baraton qui est le parrain de notre
Potager du roi.
Beaucoup d’enthousiasme est exprimé par
nos visiteurs quand ils repartent et un bouche
à oreille commence à se mettre en place.
Les questions qui nous arrivent montrent
que 80 % d’entre eux sont conscients de l’état
des lieux mais 20 % seulement agissent ou
souhaitent le faire.
Rares sont les questions essentiellement
botaniques qui nous sont posées. Parfois elles
nous déroutent un peu car nous ne sommes
en rien des spécialistes de cette discipline.
Bien sûr, nous essaierons de nous parfaire
avec le temps.
Cependant, comme il a été dit plus haut,
nous envisageons ces jardins ethnobotaniques
comme des outils pédagogiques autant que
des vecteurs de réflexion et nous l’espérons
des aiguillons pour des actes écocitoyens au
quotidien.
Questions en suspens
Aujourd’hui nos interrogations portent sur la
façon d’aborder ces visites avec les enfants car
si nous rencontrons un très vif succès avec les
adultes, les enfants sont plus difficiles à
intéresser car cela ne fait écho, chez eux, à
aucune connaissance préalable, soit parce
qu’ils sont trop jeunes soit parce qu’ils ne
semblent pas avoir un minimum de connaissance en histoire comme en géographie. Ils
placent leur émerveillement ailleurs dans
l’extraordinaire des formes ou des chiffres.
Peut-être des rencontres préalables avec
les enseignants peuvent-elles les amener à
s’intéresser autrement à ce que nous leur
montrons.
Il y a bien le contact par les sens avec les
plus petits mais toutes nos plantes ne s’y
prêtent pas. Devons-nous leur prévoir des
visites toutes particulières qui n’auront rien de
véritablement ethnobotaniques ou y a-t-il
d’autres passerelles à découvrir ?
Dans un tout autre domaine, nous nous
demandons à ce stade comment rentabiliser
ce projet à l’avenir sans possibilité
d’embauche, en l’état actuel, donc de création
de boutique et/ou de buvette qui pourraient
être un bon complément.
Nous vendons quelques plantes mais très
peu. Nos visiteurs ne semblent pas s’y intéresser du tout. Pour comprendre ce phénomène
nous essaierons l’an prochain de leur remettre
un mini-questionnaire à remplir sur place
dans le cadre, bien défini, d’une enquête sur
leurs souhaits pour l’avenir. Un questionnaire
sera aussi disponible sur internet. Il nous
faudra tenir compte du côté aléatoire de cette
formule mais elle peut aussi s’avérer intéressante. Peut-être ne sommes-nous pas assez
incitatifs à la fin des visites.
Nous avons eu la chance d’obtenir des aides
du Fonds social européen (FSE) et des collectivités locales, Conseil général et Conseil régional,
mais elles sont loin de combler nos besoins
pour pérenniser notre structure. Aussi nous
cherchons des moyens d’aller plus loin. Nous
n’avons pas encore exploré la piste des partenariats privés avec des grandes entreprises mais
nous allons essayer. Une autre question se
pose : doit-on faire comme Nicolas Hulot et
fermer les yeux sur le type d’entreprise ? Son
argumentation se défend. Pour notre part, nous
sommes dans une totale expectative. Nous
avons fait quelques tests autour de nous mais
sans résultat probant pour le moment.
Ceux qui souhaitent plus d’informations sur
nos jardins peuvent se rendre sur notre site :
www.niceasso.net/lesjardinsdelhistoire, ou
me contacter au 06 98 74 07 77. n
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Fleurs, fruits et légumes
du bassin lyonnais
un patrimoine culturel
et biologique à connaître
et à conserver
Contexte et objectifs
La région de Lyon a été le berceau d’une intense activité horticole. Les
cultures légumières, fruitières et florales ont connu dans cette zone une
émulation sans égal. Cette situation a permis de générer une multitude de
connaissances, de compétences locales, de savoirs et de pratiques
techniques, aussi bien dans le domaine de la culture que de la création de
jardins ou de nouvelles variétés ornementales. Toutefois, les fondements
historiques, l’évolution de cette horticulture, la richesse des plantes cultivées et les acteurs qui ont accompagné cette fabuleuse épopée sont
aujourd’hui presque complètement ignorés.
Devant ce constat, nous nous sommes penchés sur ce passé horticole prestigieux, en recherchant et en rassemblant tous les éléments
permettant de le reconstituer, d’en comprendre la dynamique, d’en
identifier les acteurs. La mise à profit des sources documentaires et
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 119-123
Stéphane Crozat
Philippe Marchenay
Laurence Bérard
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120 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
historiques locales – dont beaucoup sont
originales – a permis de retracer l’évolution de
l’horticulture à Lyon et sa périphérie du XVIe au
XXIe siècle, d’en marquer les jalons, les événements, les faits saillants1.
Nous avons également établi un premier
état des lieux des obtentions, tant ornementales que maraîchères ou fruitières, ainsi que
des techniques mises au point localement.
Toutes les données collectées et analysées
constituent le socle d’un système d’information, futur outil mis à la disposition des utilisateurs (décideurs, professionnels, chercheurs,
grand public), dans le but de diffuser largement
les connaissances acquises dans ce domaine
peu connu. En somme, l’objectif de ce premier
volet était de mieux connaître pour mieux
valoriser. Alors que la biodiversité occupe le
devant de la scène internationale et qu’elle
concerne le plus souvent les espèces sauvages,
la diversité biologique « domestique » mérite
elle aussi une attention soutenue. Façonné par
l’homme au cours des siècles, ce patrimoine
vivant porte en lui une richesse considérable,
dont les prolongements actuels restent encore
visibles : le cas de l’horticulture lyonnaise en
est une parfaite illustration. Ce programme a
été financé par le Département du Rhône, la
Ville de Lyon, la Direction régionale des affaires
culturelles et le Grand Lyon.
puis les mettre en perspective pour mieux
rendre compte de l’horticulture lyonnaise au
sens large et de son évolution. Plusieurs
questions initiales furent posées :
— Où trouver les informations ?
— Une fois les gisements localisés, quelles
thématiques interroger pour rendre compte
de cette histoire, de la richesse des obtentions
végétales, des savoir-faire horticoles, des
hommes qui ont marqué les différentes
périodes, des structures a priori porteuses de
connaissances et de pratiques ?
— Comment organiser l’identification et
l’exploitation des documents collectés ?
— Comment mettre en relation les données
historiques et la situation actuelle ?
L’originalité du projet réside dans le fait que le
travail repose sur une exploration systématique de sources disponibles « in situ » et de
première main, une sorte de puzzle dont il
s’agit de retrouver et d’assembler les pièces,
La première partie du travail, démarrée en
avril 2003, a consisté en un état des lieux des
organismes ressources, publics ou privés,
susceptibles d’abriter les informations pertinentes. Puis a démarré le travail de consultation à proprement parler : Archives municipales de Lyon, Bibliothèque municipale de la
Part-Dieu, bibliothèque et archives du Jardin
Botanique de Lyon, bibliothèque de la Société
lyonnaise d’horticulture, bibliothèque de la
société Linnéenne de Lyon, Archives
Départementales du Rhône, quelques fonds
privés. La collecte des données a été exceptionnellement riche. Il s’agit de documents
originaux, de publications, de fonds photographiques, de plans, de manuscrits, principalement. Nous avons dépouillé la totalité des
bulletins des deux sociétés d’horticulture du
Rhône (soit 220 années environ) et ceux de la
Société d’Agriculture de Lyon dont la fondation
1. Le programme de recherche « Fruits, légumes et
fleurs… » a été réalisé par l’équipe Ressources des
terroirs – Cultures, usages, sociétés, de l’Unité de
recherche Éco-anthropologie et Ethnobiologie (CNRS-
MNHN), sous la responsabilité scientifique de Philippe
Marchenay et Laurence Bérard, par Stéphane Crozat,
chargé d’étude. Courriel : [email protected], Toile : www.ethno-terroirs.cnrs.fr.
Méthode
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Fleurs, fruits et légumes du bassin lyonnais | 121
remonte à 1761. Au total, 1 700 documents
visuels scannés, une vingtaine d’ouvrages
essentiels intégralement numérisés, plus de
30 000 pages de copies de documents constituent désormais la base du système d’information sur l’horticulture lyonnaise et l’art des
jardins.
À partir de ce corpus, nous avons établi
une liste des thématiques en relation avec les
domaines explorés, ce qui a permis d’organiser et de classer les données, souvent très
hétérogènes : agriculture, arboriculture
fruitière et ornementale, art des jardins,
botanique, familles d’horticulteurs, grandes
expositions horticoles, histoire des sciences à
Lyon, sociétés savantes, enseignement, et bien
entendu, des informations sur les nombreuses
variétés de fruits, de légumes et de fleurs
obtenues par les horticulteurs lyonnais
entre 1830 et 1960. La documentation a été
classée en 41 thématiques générales et 536
sous-thématiques ou dossiers. Conformément
à nos hypothèses, la recherche et l’analyse de
tous ces documents ont permis de dégager les
perspectives non seulement historiques mais
aussi sociales, économiques et techniques de
l’horticulture lyonnaise. Par ailleurs, les détails
sur les variétés obtenues dans le bassin
lyonnais permettent d’en dresser un premier
panorama.
Parallèlement à ces travaux de recherche
documentaire, des enquêtes de terrain ont été
conduites auprès d’informateurs en France
mais aussi à l’étranger. Elles ont permis d’obtenir des renseignements sur les personnes
ressources actuelles ou celles qui ont joué un
rôle moteur dans le passé. Des collections
horticoles d’origine lyonnaise ont ainsi pu être
repérées :
— Collection de chrysanthèmes près
d’Orléans ;
— Collections de fuchsias et de pélargoniums
à Bourges ;
— Collection de clématites en Angleterre ;
— Collections du Parc de la Tête d’Or
(pivoines, roses anciennes, pélargoniums,
etc.).
— Collection de camélias près de Nantes.
Plusieurs pépiniéristes ont pu être identifiés en France ou à l’étranger, mais aussi près
de Lyon, pour leurs connaissances sur les
obtentions lyonnaises ou parce qu’ils en entretiennent dans leurs collections.
Résultats :
une richesse horticole unique
Les résultats de ce programme sont présentés
dans un document de 300 pages, accompagné
de nombreuses illustrations et divisé en huit
chapitres. La première partie, chronologique,
retrace l’évolution historique, du XVI e au
XXe siècle. Elle montre que la région de Lyon fut
incontestablement pionnière en Europe dans
le domaine de l’étude des plantes, et ceci pour
plusieurs raisons : des conditions naturelles
propices – réunissant à la fois les flores du nord
et du sud de la France – mais aussi une alliance
bénéfique et très productive, dès le XVIe siècle,
entre la botanique, l’imprimerie et la médecine. Les ouvrages de botanique fondateurs les
plus célèbres furent imprimés à Lyon. Si
l’étude, la classification et la conservation des
végétaux se situent au premier plan, c’est aussi
et surtout une préoccupation pratique et utilitaire qui gouverne les activités de cette
« botanique appliquée ». À cette époque en
effet, et pendant longtemps, la botanique
recouvre de nombreux enjeux stratégiques ;
elle est la science dans laquelle puisent un
grand nombre de corporations, essentielles au
bon développement économique du département du Rhône. La médecine et la pharmacie
emploient majoritairement les plantes pour
leurs propriétés liées à la santé, l’agriculture
recherche celles qui correspondent le mieux à
l’élevage des animaux et à l’alimentation des
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122 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
humains. La soierie y trouve les matières
textiles et tinctoriales pour la fabrication des
étoffes, mais aussi de nombreux motifs
ornementaux, l’ébéniste et le forestier, de
nouvelles essences d’arbres. Autant dire que
les attentes sont grandes et les perspectives
vastes. Reconstituer en détail ce contexte
permet de mieux comprendre comment a pu
se développer une nouvelle branche économique primordiale : au cours des années 18301850, l’horticulture devient en effet une
branche professionnelle à part entière. Les
cours dispensés commencent alors à s’adresser plus spécifiquement aux hommes de
métier qu’aux amateurs. Les premiers marchés
aux fleurs confirment cette tendance, bientôt
suivis par une exposition d’horticulture (en
1838), la première d’une longue série. En une
cinquantaine d’années, l’horticulture lyonnaise
va devenir l’un des fleurons de la création et du
commerce de nouvelles variétés de fruits, de
fleurs et de légumes, en France et en Europe.
L’apogée se situe dans la période qui va de
la moitié du XIX e siècle à 1914. Les toutes
jeunes sociétés d’agriculture et d’horticulture
– où l’on retrouve là encore les plus grands
noms – rivalisent par l’abondance de leurs
activités. Si les obtentions végétales sont
légion, il ne faut pas pour autant oublier
l’immense acquis technique lié à ce contexte.
Sait-on par exemple que l’hybridation,
véritable révolution de la botanique appliquée,
devenue une base de la profession, connut ses
premiers développements à Lyon avec Alexis
Jordan ? Les horticulteurs lyonnais ont certes
légué un héritage fameux de variétés de fruits,
de fleurs et de légumes, mais les techniques
culturales mises au point localement sont
indissociables de ce patrimoine végétal. La
plus célèbre, initialement développée dans la
région lyonnaise, est la « palmette » inventée
par Verrier, aujourd’hui encore largement
employée pour conduire les poiriers et les
pommiers en espaliers. Comment, par ailleurs,
a-t-on pu à ce point oublier les expositions
universelles de 1862, 1894 et 1914, au retentissement si considérable à l’époque ? Vitrines
mondiales du savoir-faire et des obtentions
horticoles lyonnaises, elles ont été effacées de
la mémoire collective. Grâce aux collections
botaniques et horticoles du Jardin des plantes,
mais aussi aux nombreuses collections privées
qui vont naître à cette époque, la région de
Lyon va se spécialiser dans l’obtention des
variétés de rosiers, de dahlias, de fuchsias, de
pélargoniums, de pivoines et de bien d’autres
fleurs encore. C’est sur ce substrat fertile que
se créent en particulier la société des chrysanthémistes et celle des rosiéristes français, au
passé glorieux et qui existent encore aujourd’hui. C’est aussi à Lyon qu’émerge véritablement la pomologie, qui s’attache à l’identification et la classification des variétés de fruits.
La Société pomologique de France connaîtra
une longue vie. Là aussi, les grands noms sont
lyonnais : Burlat, Vercier, Chasset, Mas,
Moreau, Luizet, Jaboulay, etc. Les légumes ne
sont pas en reste, si l’on en juge par le nombre
des obtentions et par l’activité des
marchands-grainiers de renom qui se sont
installés dans la région, tels Rivoire ou Lille. La
fondation du Parc de la Tête d’or, avec son
Jardin Botanique, son Service des cultures et
son Jardin fleuriste, vient couronner le tout.
Ces activités ont été conduites et promues
d’abord par des personnalités appartenant à
une classe sociale aisée : Jacques Daléchamp,
Caspar et Jean Bauhin, les Jussieu, MarcAntoine Claret de la Tourette, Jean-Jacques
Rousseau, Pierre Poivre, Emmanuel Gilibert,
l’Abbé Rozier, par exemple. Aux X I X e et
XXe siècles, le relais est largement pris par les
milieux associatif et professionnel. À tel point
que se mettent en place des enseignements
dédiés à ceux et celles qui souhaitent faire de
l’horticulture un métier (écoles d’Écully, de la
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Fleurs, fruits et légumes du bassin lyonnais | 123
Saulsaie, de Cibeins). La dimension sociale est
par conséquent importante à prendre en
compte. La roue de la fortune cesse de tourner
au début du XXe siècle : d’une part la Première
Guerre mondiale, en plus des pertes
humaines, conduit à l’abandon d’une partie
des activités horticoles : les cultures sous
serres sont abandonnées et les plus belles
collections disparaissent, faute de bras et de
moyens. D’autre part, certains horticulteurs
suivent le marché des plantes ornementales,
qui se déplace vers les villégiatures des clients
aisés qui s’installent dans le sud de la France et
particulièrement sur la Riviera… Le déclin,
inexorable, s’annonce.
Le second volet du document présente le
patrimoine végétal lyonnais dans ses détails et
dans ses richesses. Espèces et variétés
fruitières, légumières et florales sont passées
en revue avec, lorsque les éléments ont pu
être retrouvés, un descriptif, éventuellement
une représentation iconographique. Encore
connues aujourd’hui à l’étranger, en particulier dans les pays anglo-saxons, parfois en
France, les plantes ornementales ou alimentaires obtenues par les horticulteurs lyonnais
sont totalement ignorées de la plupart de nos
compatriotes et des Lyonnais eux-mêmes !
À la fin du document, nous énumérons des
propositions pour permettre la redécouverte
de ce patrimoine vivant au plus grand nombre,
afin de valoriser un secteur qui constitua,
À partir de ces résultats, nous avons souhaité,
avec l’ensemble de nos partenaires, mettre en
place un certain nombre d’applications et de
valorisations. La base de données Horti-Lyon
sera mise en ligne sur internet à partir de
février 2008 (www.horti-lyon.fr/). Elle mettra
progressivement à disposition du public, des
professionnels et des chercheurs l’ensemble
des données du programme. Elle sera gérée
par le Centre de ressources de botanique
appliquée (CRBA)2.
Les données rassemblées, soit sous forme
d’archives papier, soit intégrées progressivement au sein de la base de données ont d’ores
et déjà fait l’objet d’exploitations diverses :
organisation d’une exposition3, mise en place
d’un conservatoire de variétés fruitières,
légumières et florales lyonnaises au potager
du domaine de Lacroix-Laval, implantation de
variétés locales au Jardin botanique de Lyon.
Un conservatoire en réseau, avec différentes
structures publiques, associatives, professionnelles et privées est en cours de réalisation.
La participation à divers colloques, conférences et quelques publications ont permis la
diffusion des connaissances sur l’horticulture,
les jardins et les variétés obtenues dans la
région de Lyon. n
2. Le CRBA est situé au Domaine de Lacroix-Laval
(Route de Sain-Bel, 69280 Marcy l’Etoile). Il assurera
la gestion des données et la continuité du
programme de recherche engagé par le CNRS, avec
qui nous poursuivons un partenariat.
3. « Fleurs, fruits et légumes : l’épopée
lyonnaise », exposition organisée en partenariat
avec le Jardin botanique de la Ville de Lyon, à
l’Orangerie du parc de la Tête d’Or (marsjuin 2007, 45 000 visiteurs).
pendant près de deux siècles, l’un des fers de
lance de Lyon et du département du Rhône.
Valorisation
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La médiation
avec le public
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L’ethnobotanique
comme lecture du paysage
L’expérience du domaine
du Rayol
Situé sur la corniche des Maures, le domaine du Rayol est une propriété du
Conservatoire du littoral depuis 1989. La réhabilitation du jardin, sortant
de vingt années d’abandon, est alors confiée au paysagiste Gilles Clément.
L’originalité du projet voulu par le paysagiste, qui en a fait un jardin différent des autres, a conduit le gestionnaire à relever plusieurs défis pédagogiques. Cet exposé vise à faire partager l’expérience menée au sein du
domaine du Rayol sur la médiation auprès des différents publics.
Le domaine du Rayol, jardin des Méditerranées
L’histoire du domaine du Rayol commence en 1909, lorsqu’Alfred
Courmes fait l’acquisition d’une parcelle de maquis pour y fonder sa
résidence. Une partie de la propriété va accueillir plusieurs bâtiments, un
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 127-131
Lisa Bertrand
chargée
du suivi scientifique,
domaine du Rayol,Var
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128 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
potager et un verger ainsi qu’un jardin d’agrément orné de plantes exotiques, comme les
agaves, les eucalyptus et les bambous. En
1939, le domaine du Rayol passe entre les
mains de l’avionneur Henry Potez et le jardin
s’enrichit : un inventaire de 1948 recense 400
espèces introduites sur le site. Puis, dans les
années 70, le domaine du Rayol est revendu à
une Société et le jardin et les bâtiments sont
laissés à l’abandon. En 1989, le Conservatoire
du littoral devient le propriétaire d’un site de
20 hectares, dont 15 de maquis. Une partie est
anthropisée avec 5 ha de jardins et 5
bâtiments construits entre les années 1910
et 1950. De l’inventaire de 1948, il reste moins
d’une trentaine d’espèces exotiques.
La réhabilitation du lieu est confiée au paysagiste Gilles Clément. Il imagine alors un jardin
évoquant des paysages et des flores du
monde, un « index planétaire ouvert sur les
régions du monde biologiquement semblables »,
celles du biome méditerranéen. Ainsi, le
visiteur est invité à voyager à travers le fynbos
d’Afrique australe, le matorral du Chili, le
mallee et le kwongan d’Australie, le chaparral
de Californie, le maquis provençal.
Contrairement à la plupart des jardins
ethnobotaniques, le choix des espèces à
implanter s’appuie sur des associations
végétales, des cortèges floristiques, où les
plantes sélectionnées sont destinées à créer
des paysages. Cela implique un mode de
gestion et de jardinage particulier, qui évite les
artifices de maintenance (engrais, herbicides,
insecticides, traitements divers) et utilisant
l’eau de manière raisonnée. Le concept paysager du projet implique que les plantes ne
soient pas étiquetées, et ce afin que soient
privilégiées les ambiances de « paysages
naturels » représentés.
Une fois installés, les végétaux font l’objet
d’une recherche bibliographique rigoureuse
autour de laquelle s’articulera le contenu
pédagogique. Celle-ci s’appuie notamment sur
des travaux existants menés dans les jardins
botaniques (Parque Chagual au Chili,
l’Australian National Botanic Garden,
Kirstenbosch National Botanic Garden en
Afrique du sud, etc.).
La médiation
et l’interprétation des paysages
Présente dès 1989 dans le projet de réhabilitation, la dimension pédagogique du site est
forte. Le Conservatoire du littoral délègue la
gestion à l’Association pour le domaine du
Rayol (ADORA) ; quatre grands objectifs sont
déclinés, dont « l’accueil du public pour des
activités pédagogiques de découverte des
jardins, initiation à l’histoire des lieux, l’évolution des paysages, aux flores méditerranéennes, à l’ethnobotanique, ainsi qu’à la
découverte et la protection des milieux
marins ».
Pour Gilles Clément, « la mise en scène des
paysages n’est pas considérée comme une fin en
soi, mais comme un moyen de rendre intelligible la
complexité du vivant ». Il ne s’agit pas d’offrir du
spectaculaire et de l’exotique aux visiteurs,
mais aussi une activité pédagogique originale.
Le jardin, territoire de réconciliation entre
l’homme et la nature, est voulu support
pédagogique concernant la compréhension de
l’environnement en milieu méditerranéen.
Tout l’enjeu pédagogique étant d’arriver à
informer le public sans étiqueter le jardin et
parler de la nature en allant au-delà de l’aspect
systématique. L’information doit se transmettre sans « dénaturer » le site et plusieurs
niveaux de visites doivent être proposés au
public, allant du néophyte au spécialiste.
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L’expérience du domaine du Rayol | 129
Partant de ce postulat, nous avons fait le choix
de proposer plusieurs outils d’aide à la visite
du jardin et d’accueillir dans les bâtiments des
expositions destinées à délivrer des informations plus complexes ou de les resituer dans
un cadre plus général.
Avant la visite, dans le bâtiment d’accueil,
une salle d’exposition donne les différents
éléments qui ont permis de définir le jardin :
histoire du site et de ses propriétaires, le
climat méditerranéen, l’adaptation des
plantes au feu et à la sécheresse, et une
présentation des paysages de références qui
ont servi de « modèle » pour la réalisation des
différents jardins. La flore de chacune de ces
régions est évoquée ainsi qu’un exemple
d’usage d’une plante. Au cœur du jardin, dans
une ancienne ferme, une exposition délivre
principalement des informations de type
botanique : la clé d’entrée est la systématique.
Enfin, un troisième bâtiment accueille une
exposition intitulée « le jardin marin », dédiée
au littoral et au monde marin méditerranéen.
La découverte du jardin s’appuie sur différents médias. Pour la visite autonome, un plan
du jardin et un carnet d’interprétation guident
le public à travers les paysages évoqués et
leurs principales plantes emblématiques. La
visite guidée est proposée quotidiennement et
sur demande des visites plus approfondies ou
thématiques sont réalisées.
tive, conduite par un animateur auprès d’un
groupe de visiteurs, à travers une sensibilisation, voire une provocation, qui fait écho chez
le visiteur afin de lui communiquer le sens
profond d’un patrimoine à préserver. La
démarche d’interprétation a pour objectif de
délivrer des clés afin de guider le visiteur pour
lui apprendre à voir, à regarder, à
comprendre.
Dans le Jardin des Méditerranées, l’interprétation du paysage se réalise au travers de trois
lectures : biologique, qui présente la flore et ses
adaptations, écologique, qui aborde les
relations entre les êtres vivants et la protection de l’environnement, et ethnobotanique, qui
évoque les différents usages des plantes et
met en évidence la relation étroite qui lie
l’Homme à son environnement.
En visite guidée, le médiateur utilise une
mallette pédagogique qui renferme photos,
échantillons végétaux et divers objets qui illustrent les commentaires. L’interaction avec le
public est recherchée : mettre en énigme,
provoquer le questionnement, l’envie de
comprendre… et donc la possibilité de
s’approprier un savoir, partant de l’idée qu’ «
expliquer c’est empêcher de comprendre puisque
cela empêche de chercher2 ».
L’approche pédagogique choisie pour la
découverte du jardin est celle de l’interprétation, déclinée dans les différents modes de
médiation.
Pour le journaliste Freeman Tilden1, l’interprétation est la pratique d’une activité éduca-
À partir des plantes, de nombreux sujets
peuvent être abordés, que ce soit les sciences (la
botanique, la biologie, l’écologie, la géographie,
le climat, la géologie, l’histoire), les usages
passés et actuels des plantes (plantes
magiques, alimentaires, textiles, tinctoriales,
1. Interpreting our heritage, Freeman Tilden, 1957.
2. Techniques ludiques et principes universels de
jeux, Henri Labbe, Conseiller technique et
pédagogique, Sciences et Environnement, Direction
Régionale Jeunesse et Sports de Bretagne, Forum
national des gardes du littoral, 2006.
Du paysage à l’ethnobotanique
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130 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
ornementales, médicinales, etc.), l’histoire des
peuples et des civilisations, les grands voyages
scientifiques, la perception et l’exotisation du
paysage méditerranéen, etc.
Aborder la question des paysages sous
l’angle ethnobotanique ou ethnoécologique
permet de relier l’homme à son environnement. L’homme vit dans ces « paysages »,
espaces dont il exploite, favorise et sélectionne les ressources végétales. Dans le bassin
méditerranéen, ces écosystèmes sont très
anthropisés et le paysage actuel témoigne de
l’action de l’homme sur la forêt, conquise par
« le fer et le feu ».
À travers la découverte des usages des
plantes, cette approche de la découverte du
jardin permet d’une part de faire prendre
conscience de l’importance du rôle des
végétaux dans la biosphère, et d’autre part de
sensibiliser le public à la fragilité des écosystèmes méditerranéens3.
Voici quelques exemples, extraits des médiations du jardin permettant une lecture ethnobotanique du paysage.
Le chêne-liège (Quercus suber) fait partie
des arbres remarquables et emblématiques du
massif des Maures, l’exploitation pour le liège
ayant longtemps été la principale industrie de
cette région. L’entretien des suberaies par
l’homme a à la fois marqué la forêt méditerranéenne et les arbres eux-mêmes dont les
stigmates témoignent de l’histoire locale.
Le Dragonnier (Dracaena draco), originaire
de l’Archipel Canarien était considéré comme
magique par le peuple Guanche avant la
conquête espagnole au XVe siècle. Il produit
une sève de couleur rouge appelée « Sang du
3. Ces régions occupent en effet seulement 2%
des terres émergées de la planète et recèlent 20%
de la richesse spécifique végétale, soit plus de
Dragon », exploitée par les Guanches.
Découvert par les Espagnols, le Sang Dragon
fait son apparition en Europe où il devient une
panacée. Aujourd’hui, il reste environ trois
cents individus sauvages aux Canaries, rescapés de cette surexploitation massive.
Le Grass tree (Xanthorrhoea pressii) est une
plante australienne qui peut vivre plusieurs
siècles. Elle est indicatrice de l’histoire de la
végétation, à travers un phénomène biologique qui est le feu, et qui peut être naturel ou
provoqué. En effet, le feu provoque la floraison du Grass tree. C’est en étudiant la croissance et le développement de cette plante
que les scientifiques peuvent reconstituer
l’histoire du paysage du sud-ouest australien.
La médiation, qui se base sur l’interprétation
des paysages au travers des différentes
lectures présente un double intérêt.
La découverte des jardins méditerranéens,
de l’espace naturel du maquis et du jardin
marin doit d’une part permettre aux visiteurs
de comprendre l’organisation du vivant dans
les écosystèmes méditerranéens de la planète.
L’interprétation des paysages, par les lectures
biologique, écologique et ethnobotanique
permet d’accéder à cette compréhension.
D’autre part, la médiation a pour ambition
d’amener le public à porter un regard différent
sur la nature méditerranéenne et de se poser
des questions sur les problématiques environnementales communes à ces cinq régions :
érosion de la biodiversité, urbanisation du
littoral, gestion des ressources en eau, effets
et conséquences du feu, changements climatiques, etc.
26000 espèces endémiques. Le nombre d’espèces
menacées se situe au 2ème rang mondial, après les
forêts tropicales.
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Parvenir à atteindre ces objectifs ambitieux
pose la question de la formation du médiateur, parfois ni botaniste ni ethnologue. Pour
y répondre, nous avons donc mis en place un
parcours de formation interne spécifique au
site et à ses problématiques, que nous
sommes en train d’expérimenter (cahier des
charges de la visite, contenu pédagogique,
grille d’analyse de la médiation, cahier de
liaison, etc.).
Tout en continuant à faire évoluer le
contenu pédagogique des médiations
existantes (comme les visites guidées et les
animations scolaires), le domaine du Rayol
s’oriente vers l’accueil d’autres publics
autonomes ou encadrés : malvoyants,
handicapés moteurs, jeune public en famille,
etc. Chaque année, des visites à thème sont
créées à destination d’un public plus initié,
ainsi que des ateliers pour le grand public et
des formations professionnelles.
Par son histoire liée à celle des jardins de la
Côte d’Azur et de l’acclimatation, le domaine
du Rayol veut aussi jouer un rôle de médiation
des savoir-faire et de démonstration sur les
pratiques de jardinage, et d’autre part participer à l’éveil des consciences, en faisant évoluer
la conception des jardins en Méditerranée, les
représentations liées à la transformation
exotique du paysage méditerranéen, et enfin
contribuer à la conservation de celui-ci. n
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Le jardin ethnobotanique
comme vecteur privilégié
de médiation et d’éducation
environnementale,
au Jardin botanique de Genève (CJB)
et dans ses projets de coopération
au Sud (Sénégal, Paraguay, Bolivie,
Brésil)
Introduction
L’ethnobotanique et sa formalisation sous forme d’espaces jardinés sont à
la base de pratiquement tout travail de médiation aux Conservatoire et
Jardin botaniques de la Ville de Genève (CJB) et dans ses projets de coopération technique avec différents pays du Sud.
Cette histoire commune a commencé il y a une vingtaine d’années lors
de la mise sur pied de l’exposition Plante compagne, sur la base de l’ouvrage
original et magistral de Pierre Lieutaghi, édité à l’époque, par les CJB en
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 133-140
Didier Roguet
conservateur,
ethnobotaniste aux
Conservatoire et Jardin
botaniques de la Ville
de Genève
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134 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
collaboration avec l’Alimentarium de Vevey et
le Musée d’Histoire naturelle de Neuchâtel. Ce
compendium d’ethnobotanique interprétée
est épuisé sous son édition originale et a été
réédité depuis par Actes Sud, avec toujours
autant de succès.
Ce texte et sa matérialisation muséographique sont le fil initiateur et conducteur de
notre politique de médiation scientifique
depuis lors. Cette description patrimoniale
des rapports hommes-plantes en régions
médio-européennes a débouché sur un
constat très clair en matière de pédagogie
appliquée à la botanique. On ne protège bien
que ce que l’on connaît ou reconnaît. On
n’identifie souvent que ce que l’on sait ou croit
utile pour sa petite personne, ou plus de façon
plus altruiste parfois pour les autres.
C’est le passage pour une espèce donnée,
de la phytodiversité naturelle, notre chère
biodiversité ou plutôt celle de Rio, à la phytodiversité culturelle (celle des usages) qui
engendre souvent pour cette espèce sa mise
sous tutelle, sa conservation ou plus
paradoxalement, mais, plus rarement aussi, sa
destruction (surconsommation et récolte).
Cette prise de conscience est hautement
pédagogique, car elle permet d’engendrer
chez l’auditeur une réaction et un changement de comportement souvent bénéfique.
Nous utilisons cette modification de comportement quotidiennement dans notre travail
de médiation.
Cette découverte du végétal utilitaire,
omniprésent et universel, est fondamentale
dans la prise de conscience du visiteur. Le
végétal change de statut, le bouquet n’est
plus décor, mais acteur de notre survie sur la
planète. C’est, en particulier chez le très
jeune public, le moteur d’un changement
radical de point de vue sur la nature végétalisée et sur l’environnement en général. Les
graines d’un « conservationisme » raisonné
so nt p l a ntées et l e m o nd e d es p l a ntes
semble déjà aller mieux… ?
Partant de ce constat et de cet espoir, les CJB
ont développé une politique d’accueil des
publics et de médiation basée sur différents
axes et lieux de travail :
— des espaces de médiation et d’interprétation des collections utilitaires permanents,
nous y reviendrons ci-dessous
— des séries de publications (éducatives et
documentaires) spécialisées et des fiches
pédagogiques à l’attention des familles et des
enseignants,
— des expositions temporaires mettant en
exergue le rapport homme-plante, de manière
plus ou moins directe, dans un cadre historique et biogéographique,
— une politique de formation continue
(enseignants et médiateurs) basée sur la
méthodologie décrite en introduction.
Un savant mélange d’ethnobotanique appliquée, d’éducation environnementale et de
techniques muséographiques qui tendent vers
les mêmes objectifs :
— conserver une diversité végétale, naturelle
et culturelle maximum, au profit du plus grand
nombre
— gérer ce patrimoine selon les principes du
développement durable, en particulier dans le
Sud, et en évaluant pour le Nord un concept de
décroissance soutenable et confortable.
Espaces privilégiés aux CJB
Le Jardin botanique de Genève abrite ainsi
plusieurs espaces de contacts et de connaissances ethnobotaniques. Des jardins thématiques interprétés (avec différents niveaux de
lectures) et des vitrines in situ font offices de
bases muséographiques à ces présentations,
qui sont parmi les lieux les plus appréciés et
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visités de nos publics (300 000 visiteurs / an
aux CJB). Ces jardins ethnobotaniques sont
soutenus par différents supports pédagogiques (publications, fiches, etc.), des visites,
des ateliers et des cours à l’attention de
publics fort variés (scolaire, familial, enseignants, universitaires, guides, etc.) :
— Les Terrasses des officinales et utilitaires
regroupent plus de 500 espèces utilitaires des
régions médio européennes. Ces plantes sont
classées thématiquement en terrasses :
médicinales, alimentaires oubliées, alimentaires de cueillette, condimentaires, potager
régional Pro Speci Rara (PSR), artisanales et
pré-industrielles (plantes à parfums, plantes à
sucres, plantes tinctoriales, plantes à fibres,
mellifères, plantes à huiles). Ils s’appuient
entre autres sur différents travaux en ethnobotanique alpienne, dans le Valais romand et
la région du Mont-Blanc, effectués sous notre
direction dans le cadre du Laboratoire de
floristique de l’Université de Genève et en
collaboration avec le Centre régional d’étude
des populations alpines (CREPA de
Sembrancher, Valais) [photo 1, p. 138].
— Utiles tropiques, un espace muséal consacré
aux espèces utilitaires des tropiques, qui
présente une centaine d’espèces des pays
chauds dans notre ancienne serre tropicale (le
« Jardin d’hiver »). Différents thèmes sont
abordés et interprétés : épices, boissons, fruits
tropicaux, plantes masticatoires, racines
alimentaires et fibres. Des vitrines mettent en
relation pour nos publics les objets qu’elles
contiennent avec la thématique du massif
considéré. Un porte-folio en bois est à disposition à l’entrée de la serre pour accompagner la
visite d’Utiles tropiques et éviter une surcharge
informative dans les collections. De nombreux
ateliers sont conduits dans cet espace sur des
thématiques touchant à la coopération et au
commerce équitable. Des mallettes pédagogiques sont à disposition des enseignants
intéressés et des techniques faisant appel au
jeu de rôle sont pratiquées en matière d’éducation environnementale (photo 2).
— Botanicum, espace interactif et familial de
prise de conscience sensorielle et ludique
autour du concept de développement durable
intégré. Le thème de la forêt et des rapports
étroits que nous entretenons avec elle dans le
cadre d’un développement durable souhaité,
sont déclinés en treize modules, faisant
souvent appel à l’ethnobotanique, parfois
jardinée. Ils font chacun l’objet de deux propositions distinctes et complémentaires (adulte
et enfant de 8 à 12 ans). Ces activités, différenciées sur le module, peuvent ensuite être
mises en commun, croisées et valorisées dans
un second temps. Cet espace a un succès
considérable auprès des classes de l’enseignement primaire genevois [photos 3 et 4].
— Le Jardin des senteurs et du toucher propose
un espace de contact physique avec le monde
végétal, le seul du Jardin botanique. Destiné
initialement au monde des non et
malvoyants, ce jardin sensoriel accueille aussi
beaucoup de familles et de scolaires. Les
espèces et variétés horticoles présentées ont
été choisies en collaboration avec les associations concernées et selon leurs critères
(reconnaissance et originalité tactile,
molécules olfactives, épines même parfois).
Ce jardin peut être taxé d’ethnobotanique, car
il abrite de nombreuses plantes aromatiques
et joue sur le rapport sensoriel et parfois
sensuel entre le visiteur et le monde végétal. Il
représente avec le Botanicum une pièce essentielle de notre dispositif de conscientisation. Il
permet à nos publics, en particulier les plus
jeunes, une expérimentation physique de
notre rapport au monde végétal, essentielle à
une empreinte pédagogique persistante,
consacrant le rôle fondamentalement utile de
la plante [photos 5 et 6].
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Coopération au Sud
Ce modèle pédagogique, faisant appel au
vecteur ethnobotanique sous forme jardinée,
est également très utilisé dans le cadre de nos
programmes de coopération techniques et
éducatifs avec le Sud. Il est proposé, à la
demande, à nos partenaires locaux, municipaux et/ou associatifs, en marge ou en complément à des projets de recherches botaniques
ou floristiques (flores, inventaires, etc.).
Les jardins ethnobotaniques, collections
thématiques de plantes utiles interprétées,
sont une constante de ces programmes de
développement appliqué. Ils sont souvent mis
en place dans des structures existantes
(jardins botaniques, parcs, espaces verts), qui
bénéficient déjà de compétences horticoles
générées et entretenues par les municipalités
locales, avec lesquelles la Ville de Genève a
signé des conventions culturelles.
Les Conservatoire et Jardin botaniques de
la Ville de Genève, qui appartiennent au
Département de la culture de la Ville de
Genève, au même titre que les autres principaux musées de notre métropole internationale (Musée d’Art et d’Histoire, Musée d’ethnographie et Muséum d’Histoire naturelle),
bénéficient du cadre de ces conventions
pour travailler, cadre qu’il a souvent suscité.
Le financement de ces programmes est, en
très grande partie, assuré par le Fonds de
coopération de la Ville de Genève. Cette dernière ayant signé la Charte d’Aalborg, elle
octroie entre 0,4 et 0,5 % de son PNB annuel
(0,7 % demandé par la charte) à l’aide au
développement. Nous sollicitons annuellement ce Fonds pour un montant global oscillant entre 80 000 et 15 000 CHF
(100 000 euros). Ces deniers sont répartis
entre les différents micro-projets présentés
ci-dessous, en fonction des desideratas et
des mandats présentés par les coordinateurs
locaux. Si un contrôle scientifique et
technique est effectué par nos soins depuis
Genève, la gestion des projets se fait en
autonomie dans les pays hôtes.
Passons en revue les différents projets de ce
Programme cadre pour un développement durable
au Sud et analysons le rôle des jardins ethnobotaniques dans ledit programme :
— Le Jardin ethno-phytomédicinal EPY
d’Asunción au Paraguay présente en collection
plus de 500 espèces médicinales utilisées dans
ce pays d’Amérique du Sud. Il est situé dans le
Jardin botanique d’Asunción, un jardin historique qui abrite aussi un Centre d’éducation à
l’environnement que nous avons installé, il y a
plus de 10 ans, avec la Municipalité de la
capitale paraguayenne et l’Ambassade de
Suisse au Paraguay. Cette collection, unique en
Amérique du Sud, dans un pays qui utilise
encore et à une très large échelle, les plantes
médicinales de cueillette, est énormément
visitée par les écoles et le public qui fréquentent en masse le Jardin botanique en fin de
semaine. Ce jardin « ethnomédicinal » fait
l’objet de beaucoup de visites guidées par les
collaborateurs du projet EPY (Etnobotanica
paraguaya). Il accueille régulièrement des
stages de formation professionnelle ciblés :
pour des enseignants, des récolteurs de
plantes médicinales, des associations de
quartier (jardins communautaires), des
vendeuses de plantes médicinales, des
responsables de jardins de plantes médicinales pour les associations paysannes, etc. Il
fonctionne en interaction avec le Centre
d’éducation à l’environnement (CEAM) et les
services compétents de la municipalité locale.
Il est le témoin vivant des connaissances traditionnelles, répertoriées par les enquêtes
ethnobotaniques menées par nos soins sur les
marchés d’Asunción, et de leur sauvegarde. Ce
jardin et sa collection ont été dédoublés, par
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sécurité, sur le campus de l’Université nationale paraguayenne (Faculté de chimie et de
botanique). Il est répertorié et référencé sous
forme d’herbiers de contrôle et le Centre
d’éducation environnementale du jardin
botanique abrite un référentiel documentaire
sur ce thème, fonds alimenté par le programme EPY. Un premier guide scientifique sur les
plantes médicinales paraguayennes, et qui se
référera à cette collection, est en voie de
publication [photos 7, 8 et 9].
— Les Jardins ethnobotaniques et le Jardin des
fibres de La Paz en Bolivie ont été implantés à la
demande de nos partenaires boliviens du
Kusillo, centre et musée voués à l’éducation et
situé au centre de la capitale bolivienne à
3 600 mètres d’altitude. Ces aménagements
s’inscrivent également dans le cadre d’une
convention culturelle intermunicipale, entre
les villes de Genève et de La Paz. Les Jardins
ethnobotaniques ont été développés le long du
cheminement qui conduit au musée, situé au
sommet d’une colline. Ils sont composés de
différents modules en terrasses, faisant
références à des concepts ethnobotaniques :
le Jardin de la « table pacénote », la « forêt
oubliée », le « jardin de médecine traditionnelle » et le « jardin de la pomme de terre ». Le
Jardin des fibres est situé dans le cadre d’une
exposition permanente et interactive, consacrée à la richesse en éléments végétaux de
l’artisanat bolivien, en particulier tissé et
tressé. La présentation met l’accent sur la
valorisation du commerce équitable autour de
ces fibres. Une serre enterrée, originale et
unique à La Paz, ainsi que différents massifs
présentent une collection des principales
espèces à fibre de Bolivie, tous biotopes
confondus. Une boutique (commerce
équitable) et des ateliers interactifs complètent l’ensemble. Une étude ethnobotanique
financée par les soins du projet EPA
(Etnobotanica pacena), en collaboration avec
l’Université nationale bolivienne, est à la base
de cette présentation, qui fonctionne autant à
l’attention des publics boliviens, que pour les
touristes qui sont nombreux à La Paz [photos
10, 11 et 12].
— Le Jardin ethno-phytovétérinaire de
l’Université de Patos (Paraïba-Brésil, en
chantier actuellement) est le plus récent de
nos projets de jardin ethnobotanique intégré.
Il fait partie d’un programme de développement original lié à l’usage d’une pharmacopée
traditionnelle vétérinaire dans le Nord-est
brésilien. Le marché local abrite des stands
consacrés uniquement à cette médecine
populaire vétérinaire, essentiellement basée
sur l’usage de plantes ou de dérivés végétaux.
Une étude ethnobotanique classique est
menée par la Faculté de biologie et de sciences
vétérinaires de l’Université locale de Patos
depuis 2 ans sur le sujet. Elle débouche actuellement sur la création d’un jardin ethnophyto-vétérinaire de démonstration et de
multiplication, jumelé à un centre de
documentation et à un herbier. En parallèle
aux enquêtes ethnobotaniques auprès des
communautés paysannes locales, un
programme socio-pédagogique est conduit
pour faire prendre conscience à ces populations, souvent fort démunies, de la nécessité
de conserver leurs connaissances traditionnelles et la biodiversité qui leur est liée
[photos 13 et 14].
Le projet comme ses alter ego paraguayens
et boliviens a pour ambition, à moyen terme, la
restitution de données référencées et validées,
botaniquement parlant, aux utilisateurs. Une
attention particulière est accordée, dans le
domaine des soins au sens large, à la connaissance des plantes toxiques et aux bonnes
pratiques à favoriser (hygiène, récolte, conservation, conditionnement, conditions de vente).
— Les Jardins ethnobotaniques du Parc de
Hann à Dakar (Sénégal) abritent depuis six
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ans une collection ethnobotanique interprétée, consacrée aux espèces utiles du Sénégal
et à leurs nombreuses plantes de cueillette
en particulier. Le Jardin est parcellisé de
manière thématique et bénéficie du savoir de
botanistes et de guérisseurs locaux. Un
centre d’éducation environnementale a été
réhabilité dans le cadre architectural de
l’ancien aquarium du Jardin zoologique du
Parc qui était hors de fonction. Un centre de
documentation, une liaison Internet et une
grande salle de cours ont pu être aménagés à
deux pas des Jardins ethnobotaniques, situés
sur les lieux d’une ancienne collection historique coloniale dont il ne restait qu’un tas…
d’étiquettes. Des objets pédagogiques, utiles
à la médiation, accueillent les visiteurs du
CEEH (Centre d’éducation à l’environnement
de Hann) : totems, meule de charbonnier de
type « Casamance », four solaire, etc. De
nombreux écoliers visitent le centre et les
jardins en semaine dans le cadre scolaire et
avec leur famille le week-end. Des stages de
formation continue pour les enseignants sont
mis sur pied périodiquement. Une collaboration active est instituée avec les écoles
riveraines et la Commune voisine de Hann.
Nous bénéficions d’une collaboration efficace avec le Ministère des Eaux et Forêts
(propriétaire des lieux) et le Bureau de liaison
Suisse-Sénégal. Le projet est inscrit comme
les autres dans le cadre d’une convention
intermunicipale et interuniversitaire [photos
15 et 16].
Conclusions
Ces projets de jardins thématiques, basés sur
des enquêtes ethnobotaniques, sont souvent
associés à un centre d’éducation environnementale (CEE). Ce dernier propose un
programme de médiation intégrée, débouchant sur une mise en valeur patrimoniale des
principes fondamentaux que défendent les
CJB, ici et là-bas : la conservation de la nature,
en particulier végétale, la promotion du
développement durable intégré et celle des
valeurs patrimoniales et fédératrices liées aux
phyto-usages traditionnels.
Le jardin ethnobotanique est donc pour les
CJB une des pierres angulaires de son action
éducatrice, à Genève, comme dans le Sud. Nous
sommes intimement persuadés que l’éducation
environnementale, associée à l’ethnobotanique
appliquée, favorise, dans un cadre floristique
investigué et maîtrisé, une intégration patrimoniale des concepts de conservation de la phytosphère. Cette politique éducative est maintenant largement soutenue par des organismes
fédérateurs dans le monde des jardins
botaniques, comme le Botanical Garden
Conservation international (BGCI).
Les Conservatoire et Jardin botaniques de
la Ville de Genève en ont été les précurseurs il
y plus de dix ans et restent persuadés de la
pertinence et de l’actualité, ici et là-bas, des
programmes de floristique et d’ethnobotanique appliquées, dont un des fleurons est la
création de jardins ethnobotaniques. n
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Parcours botanique
des Alpes Mancelles
J’ai rencontré Pierre Lieutaghi, il y a quelques années déjà, lors d’une
conférence au Muséum nationale d’histoire naturelle (MNHN) de Paris. Il
avait été invité par Chantal Gaulin-Schellenberg1 et Georges Métailié2,
pour raconter Le passage de la culture sauvage au cultivé dans le milieu
méditerranéen3.
Le Laboratoire d’Ethnobiologie-Biogéographie du MNHN organisait à
l’époque des cours d’ethnobotanique ouverts au public.
Le discours de Pierre Lieutaghi ainsi que les illustrations montrées ce
jour étaient brillantes. Sa pensée est toujours vive et on a toujours en
l’écoutant, l’impression heureuse que son savoir ne vient pas des livres ou
d’une érudition scolaire, mais d’un regard amoureux sur ce qui l’entoure,
sur ce qui est vivant, d’une vision particulière du dehors.
Lors de cet hiver de 1999, la collection de Polygonum, que j’avais réunie
avec la collaboration du Conservatoire international des Parcs et Jardins et
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 141-146
Liliana Motta
Texte des notes 1 à 3
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En haut. Collection de Polygonum, dans Le jardin des Hautes Haies de Saint-Paul-le-Gaultier.
En bas. Le jardin des plantes communes, Saint-Paul-le-Gaultier.
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En haut. Le jardin des plantes alimentaires, Saint-Léonard des Bois.
En bas. Pique-nique électronique, Saint-Paul-le-Gaultier.
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du paysage de Chaumont-sur-Loire et du
Conservatoire national des plantes à parfum,
médicinales, aromatiques et industrielles
(CNPAIM) de Milly-la-Forêt, venait d’être
installée dans la Sarthe, dans le village de SaintPaul-le-Gaultier, dans Le jardin des Hautes Haies.
À la fin de sa conférence, j’avais posé une
question à Pierre Lieutaghi : « Une collection
de Polygonum représente-t-elle un apport ou
un danger pour la biodiversité ? »
Certes, cela n’avait pas de lien direct avec
le contenu de sa conférence. Pierre Lieutaghi
n’avait pas voulu répondre à cette question
laissant la parole à un historien en écologie qui
se trouvait dans la salle.
Quelques mois plus tard, j’étais invitée à le
rencontrer à Salagon et à visiter son jardin
récemment installé. Cette visite a été la
réponse tant attendue à ma question.
Ce nouveau jardin appelé « des temps
modernes », montre les multiples échanges des
hommes et des plantes. Il illustre les multiples
apports des flores d’Amérique, d’Afrique ou
d’Asie qui ont donné lieu à des changements
radicaux dans l’alimentation, dans l’ornement,
dans l’horticulture en Europe.
La visite du jardin, racontée par
P. Lieutaghi, a été publiée dans une revue
horticole4, et cette visite a été un véritable
« cahier de charges » pour la réalisation de
tous mes jardins.
La collection de Polygonum que je conserve
dans la Sarthe, a été classée Collection nationale par le Conservatoire français des collections végétales spécialisées (CCVS).
1. Ingénieur CNRS au Laboratoire d’ethnobiologiebiogéographie du MNHN de Paris
2. Directeur de recherche au CNRS, Centre
Alexandre Koyré, MNHN de Paris
3. le 19 novembre 1999
Dans ces années-là, la pensée scientifique5
autour des plantes introduites, des plantes
venues d’ailleurs et accusées d’occuper un sol
national au détriment des plantes indigènes
était un sujet, pas ou peu remis en question.
Cette pensée était prise par la plupart comme
une vérité, un fait indiscutable, les histoires de
ces envahisseurs seront largement diffusées
par la presse au grand public.
Une partie des plantes de la collection de
Polygonum appartient à ce qu’on pourrait
appeler « la liste noire » et qui se nomme
précisément « Plantes exotiques invasives
sur le territoire national, et appel à
coopérer » du Conservatoire botanique
national méditerranéen de Porquerolles,
1998. Il y a plusieurs listes, « Liste 1 : espèces
à détruire et dont l’introduction, la culture,
et la vente devraient être interdites »,
« Liste 2 : espèces invasives potentielles, à
surveiller attentivement » et même une
« Liste 3 : liste d’attente », dont les plantes, ne
pouvant pas entrer dans les deux listes
précédentes, sont « soupçonnées de pouvoir
le faire dans l’avenir ».
Beaucoup de Polygonum sont des plantes
« rudérales », du latin rudus : décombres.
L’espace « rudéral » désigne les lieux occupés,
colonisés, puis abandonnés par l’homme. Les
plantes rudérales occupent des sols dont
l’équilibre est fréquemment perturbé (piétinement, labours).
Ce sont souvent des plantes à croissance
rapide, édifiant une biomasse importante en
peu de temps, à grande fécondité, à pouvoir
4. Hommes et Plantes n° 34
5. Collectif (1998). Actes du colloque Plantes
introduites - plantes envahissantes, 8 au 11 octobre
1996, Nice. Biocosme mésogéen, Nice.
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germinatif élevé, et à grande plasticité écologique, résistant à la sécheresse comme à
l’excès d’humidité.
Les plantes rudérales sont généralement
considérées comme des « mauvaises herbes »,
plus gênantes qu’utiles.
Les botanistes appellent ces plantes « des
adventices », quand il s’agit des plantes étrangères introduites volontairement ou pas par
l’homme.
Plus récemment après le discours scientifique sur le danger que ces plantes peuvent
causer sur la biodiversité qui s’est tenu en
1992 au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro,
au Brésil, on les appela des « pestes étrangères
colonisatrices », « des plantes envahissantes »,
des « aliens » en anglais.
Ces plantes introduites, ces « étrangères »,
« exotiques », « allogènes », ont perdu le statut
« sympathique » de mauvaise herbe, pour faire
partie d’un classement plus actuel et alarmant
celui de « peste végétale ».
Ces plantes introduites volontairement ou
fortuitement par l’homme, transportées à son
issu comme des passagers clandestins ou
faisant partie de ses bagages, trouvent à leur
arrivée un nouveau milieu, un terrain privilégié où elles vont proliférer sans subir la
concurrence de la végétation indigène.
On pourrait aussi voir les faits autrement
et les considérer en termes écologiques
comme les pionnières d’une succession
secondaire, des transformateurs des lieux en
changement.
une nouvelle pousse dressée qui portera fleurs
et fruits.
On a toujours cette idée des plantes fixées
au sol, des plantes qui ne bougent pas, ce qui
favorise « une forme de mépris qui veut que la
plante ne soit qu’une chose » 6
Le mouvement des plantes, les hommes
n’aiment pas, ni les jardiniers avec leurs
parterres, ni les botanistes avec leurs inventaires. Ils sont gênés par celles qui ne se
tiennent pas à leur place. Et malheureusement
cette injustice, cette inégalité dans l’existence,
dans le droit de vie sur un territoire ne concerne pas que les plantes : « Les femmes sont
perçues comme dangereuses, au même titre
que les migrants, les étrangers, les nomades,
que tous les porteurs potentiels de mobilité,
d’étrangeté et de transgression, tous ceux qui
peuvent franchir les limites du corps, du territoire ou des règles sociales7. »
Les Polygonum sont des plantes qui se déplacent, par des rhizomes qui croissent horizontalement dans le sol, produisent chaque année
Jack Rodney Harlan, 1917-1998, paléobotaniste et généticien, qui s’intéresse à l’origine des
plantes cultivées, écrit en 1975 « Les plantes
cultivées et l’homme ». Dans le chapitre 4
« Plantes adventices et mauvaises herbes », il
explique sa pensée sur cette capacité de transformation : « Une adventice possède certains
attributs écologiques et elle est fréquemment
indésirable à cause de ces mêmes attributs.
C’est le comportement écologique qui est le
plus important. L’opinion humaine n’influe
guère sur le comportement écologique des
plantes, mais le comportement écologique des
plantes pourrait bien conditionner l’opinion
humaine. »
La définition courante des mauvaises et
adventices comme étant des plantes qui ne sont
pas à leur place, cache des idées implicites.
6. Aline Raynal-Roque. La botanique redécouverte.
INRA. Éd Belin. 1994
7. François Héritier. Masculin/Féminin II. Dissoudre
la hiérarchie. Éd Odile Jacob.2002
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Premièrement le mot « pas » implique une
opinion humaine, puisque « affirmatif » et
« négatif » sont des concepts humains et non
inhérents à la nature. Le mot place indique
une relation écologique qui a évidemment à
voir avec les activités botaniques de l’homme
lorsqu’il jardine ou fait de l’agriculture.
Partout où l’homme va, il est rapidement
entouré d’un cortège de compagnons
végétaux qu’il désire, déteste ou ignore selon
les cas. »
tout simplement quels nouveaux liens cette
espèce aurait pu être capable de développer
dans le temps avec son nouveau milieu.
L’idéologie politique véhiculée à travers la
louable intention de gérer la biodiversité de
notre planète, se résume généralement à
l’ordre préfectoral d’extermination de l’espèce
rendue coupable du désordre. L’espèce
animale ou végétale à exterminer est donc
rendue coupable de l’acte de mise en danger
de la biodiversité en oubliant même quel patrimoine génétique, quel patrimoine culturel ou
Depuis dix ans, le jardin de Polygonum, avec la
réunion autour de celui-ci d’un conseil scientifique8 constitué des érudits sarthois, anciens
universitaires, géographes, naturalistes scientifiques a donné naissance à ce qu’on appelle
le « Parcours Botanique des Alpes Mancelles »,
qui désigne plusieurs endroits d’intérêt
botanique dans différents villages en s’intéressant toujours à la plante commune, et à la
diversité végétale.
Récemment, en 2007, le jardin de
Polygonum a reçu le prix de « l’Initiative
Citoyenne » décerné par l’Association des
Journalistes du Jardin et de l’Horticulture (AJJH).
On dirait que de « l’étranger » au
« citoyen », il n’y a que le regard des autres qui
a changé. n
8. Jean-Pierre Champroux, professeur de sciences
de la vie et de la terre, correspondant du Conservatoire botanique national du Bassin parisien.
— Jean-Pierre Corbeau, conseiller pédagogique.
inspection de l’Éducation nationale de Mamers.
— Jean-Christophe Denise, architecte DPLG,
spécialisé dans la programmation et la réalisation
de projets culturels et artistiques pour le ministère
de la Culture et le ministère de l’Éducation.
— Jeanne Dufour, géographe, professeur
honoraire à l’Université du Maine, auteur de
l’ouvrage Les Alpes mancelles.
— Gérald Hunault, maître de conférences, adjoint
du directeur pour la Sarthe du Centre de
conservation du patrimoine naturel de Cherré,
Conservatoire botanique national du Bassin
parisien, Muséum national d’histoire naturelle.
— André Launay, botaniste et aquarelliste,
responsable de la page botanique dans le mensuel
Maines Découvertes, correspondant du — —
Conservatoire botanique national du Bassin
parisien.
— Guy Motel, vice-président de la Société
d’horticulture de la Sarthe, botaniste et
ornithologue, enseignant et auteur de plusieurs
ouvrages, dont L’érable, éd. Actes Sud.
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Le Jardin botanique
et pédagogique de Koro
au Burkina Faso
« Instruire et divertir à partir des connaissances
traditionnelles pour protéger les plantes africaines »
Introduction
En Afrique, comme ailleurs, l’impact des facteurs environnementaux et
humains sur la flore et la faune conduit à une dégradation des écosystèmes, alors que le développement économique et l’urbanisation
éloignent les citoyens de la nature. Le développement de jardins
botaniques ouverts au public est très récent au Burkina Faso : un seul parc
dans la capitale, et c’est pourquoi il nous a semblé important de créer
également un Jardin botanique et pédagogique proche de la 2e ville du
pays, dans le village de Koro.
Par ailleurs, si les traditions restent toujours présentes au Burkina Faso, il
importe de les enregistrer – car elles sont le plus souvent transmises par voie
orale et il n’y a que peu d’écrits, alors que les anciens disparaissent souvent
avec leur savoir (Amadou Hampaté Ba : « en Afrique, quand un vieillard meurt,
c’est une bibliothèque qui brûle »). L’enregistrement des traditions ne suffit
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Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
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Marc OLIVIER
Sama Bioconsult
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pas, il est nécessaire de les valoriser et de les
présenter au public afin de mieux les préserver :
notre travail de terrain en Afrique sur les usages
des plantes en tant qu’ethnobotaniste nous a
permis de proposer à notre principal partenaire
(LVMH Recherche) de mettre en place un Jardin
botanique et pédagogique qui illustrerait les
traditions liées aux plantes en Afrique, tout en
offrant un cadre agréable de visite et d’apprentissage. [Voir photo 1 p. 150.]
Présentation globale du jardin
botanique et pédagogique de Koro
Situation géographique
Le Jardin botanique et pédagogique est situé sur
le terroir du village de Koro, petit village traditionnel, perché sur une colline au bord d’une
falaise, qui court sur environ 100 km, dans la
région de Bobo Dioulasso au sud ouest du
Burkina Faso, pays sahélien d’Afrique de l’Ouest.
Le village de Koro est un village qui outre sa
situation perchée, présente un intérêt touristique en raison de l’architecture des cases
traditionnelles, de la persistance de certaines
activités traditionnelles (poteries) et des fêtes
des masques, fêtes coutumières qui rassemblent les habitants et de nombreux visiteurs.
C’est un village connu et fréquenté par les
touristes qui visitent le Burkina Faso.
La ville de Bobo Dioulasso est la 2e ville du
Burkina Faso, et compte plus de 500 000
habitants, elle se situe à 10 km du village de
Koro et le développement urbain risque
d’amener les faubourgs de la ville à proximité
de ce site d’ici à quelques années.
La région est marquée, outre par le relief, par
une biodiversité remarquable (flore et faune) du
fait de la diversité des sols, du climat favorable
(plus de 1000 mm de pluies sur près de 6 mois).
Les principales activités des populations
sont l’agriculture, l’élevage et l’artisanat, ce en
dehors de la ville de Bobo Dioulasso, qui présente en tant que métropole régionale, les caractéristiques d’une ville (administrations, industries
notamment, surtout agroalimentaires : usine de
transformation du coton et huileries).
Historique
Le Jardin botanique et pédagogique de Koro a
été créé en 2002 par Sama Bioconsult, avec
l’appui du Conseil des Anciens du village, le
soutien technique de l’Antenne régionale des
semences forestières (dépendant du Ministère
de l’Environnement et du cadre de vie), et l’appui
financier de LVMH Recherche en France.
Suite au développement d’une filière de
valorisation d’une espèce végétale africaine
utilisée en médecine traditionnelle et ayant
des applications cosmétiques, LVMH a lancé
en 2004 une gamme de produits de beauté à
base d’un extrait végétal d’Anogeissus leiocarpus
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Carte de localisation.
Photo 3. Pancarte du Jardin botanique
et pédagogique de Koro.
(Combretaceae) : la gamme Bikini chez
Parfums Christian Dior.
Cette filière a pu notamment être mise en
place grâce à la coopération avec le village de
Koro (recueil d’informations ethnobotaniques,
échantillons, récoltes pour la production) et il
a été décidé d’apporter un appui à la mise en
place d’activités au village de Koro :
— création du Jardin botanique et pédagogique en 2002
— programme de plantations sur 5 ha en
2000 (actuellement, plus de 1 000 arbres
appartenant à 10 espèces ont été plantés)
— organisation d’un forum « Afrique et
Beauté : de la tradition à la modernité » en
2004 réunissant tous les partenaires à Bobo
Dioulasso
— don d’un moulin à céréales au groupement
féminin du village de Koro
— don de matériel informatique à l’ARSF
Le Jardin s’intègre donc dans une démarche de
coopération entre Sama Bioconsult, LVMH
Recherche et le village de Koro, dans une
perspective d’établissement de relations
durables.
Ce Jardin a également fait l’objet d’appuis
ponctuels de l’association Espérance 92 en
France, ainsi que du GERES (ONG d’Aubagne
intervenant dans le domaine de la médecine
traditionnelle au Burkina Faso).
3 – Les principaux secteurs du Jardin
botanique et pédagogique
Le Jardin est organisé en premier lieu à partir
des connaissances traditionnelles sur les
plantes.
Ces informations ont été collectées, soit
directement auprès des populations lors
d’enquêtes ethnobotaniques, soit à partir de la
bibliographie. S’y ajoutent des informations à
caractères scientifiques (binôme latin, études
phyto-chimiques ou pharmacologiques).
Dès l’entrée, une pancarte explique au
visiteur (qui peut donc venir non-accompagné)
l’historique et l’organisation du Jardin en différents secteurs, ainsi que sa situation par
rapport aux autres éléments remarquables du
site. [Photo 4, p. 150.]
Ensuite, chaque secteur dispose d’une
pancarte résumant ses particularités et son
originalité, sur un mode qui soit à la fois rigoureux, mais aussi ludique :
Loin de vouloir réaliser un jardin exhaustif
regroupant de très nombreuses espèces, nous
avons plutôt privilégié la présentation d’un
nombre limité d’espèces (environ 80 en place
actuellement) qui soient représentatives d’utilisations traditionnelles :
— espèces médicinales traditionnelles
(Combretum micranthum, Euphorbia hirta,
Zanthoxylum zanthoxyloides),
— espèces tinctoriales (Henné, Indigo,
Anogeissus)
— fruits sauvages
— espèces exotiques dont de nombreux
fruits cultivés (Manguier, Papayer, Canne à
Sucre, Avocat)
— espèces de la tradition africaine
(exemples : Néré, Tamarin, Baobab, Cola,
Palmier)
4 – Documents
4.1 Documents pédagogiques et divers
disponibles :
— Plan du site ; pancartes des secteurs ;
pancartes des espèces ; livret des guides
accompagnateurs (regroupe les plans et
pancartes) ; brochure 3 volets présentant le
site éco-culturel de Koro ; brochure 3 volets
présentant le Jardin botanique et pédagogique
de Koro ; carte postale de la cascade de Koro
(2 000 cartes offertes par l’association
Espérance 92) ; livre d’or du Jardin.
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1. Le village traditionnel de Koro. 2. Entrée du Jardin botanique et pédagogique de
Koro. 4. Plan du Jardin botanique et pédagogique, situé à l’entrée du Jardin.
5. Exemple de pancarte « plante » à l’attention des visiteurs. 7. Jeunes plantules de
Combretum micranthum (Combretaceae) obtenues à l’ARSF – Bobo Dioulasso.
4.2 Pancartes « plantes »
Les différentes espèces représentatives ont
toute une pancarte de format A4, en couleur,
résumant les principales informations
botaniques et culturelles en français car il
s’agit de la langue de l’enseignement et de
l’administration au Burkina Faso :
— nom latin ; nom d’auteur ; famille
botanique ; nom en Jula, langue régionale
parlée dans la région de Bobo Dioulasso 1 ;
brève description des caractéristiques
végétales ; principales utilisations traditionnelles, qu’elles soient alimentaire, médicinale,
artisanale, culturelle ; une photo ou un dessin ;
suivant le cas, une anecdote. [Photo 5.]
4.3 Formation des guides accompagnateurs
Le village traditionnel de Koro est un site
touristique connu au Burkina Faso et de
nombreux visiteurs sont accueillis par des
guides du village qui ont reçu une formation
sur le Jardin botanique et pédagogique : ils
disposent aussi d’un dossier regroupant les
principales informations sur le jardin :
— plan; les textes des pancartes des différents
secteurs ; la liste et les principales caractéristiques des différentes espèces de chaque secteur.
Actuellement, les guides touristiques du
village de Koro dépendent du Ministère du
Tourisme qui gère les tickets de visite du
village traditionnel de Koro. La visite du Jardin
1 Du fait de l’existence de plus de 45 langues au
Burkina Faso, nous avons choisi de noter le nom des
espèces dans la langue la plus parlée dans le région
de Bobo Dioulasso, à savoir le Jula.
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6. Visites scolaires au Jardin botanique et pédagogique. 8. Rencontre avec les guérisseurs
français. 9. Présentation de médicaments traditionnels par un guérisseur africain. 10. La cascade
dans la Forêt sacrée. 11. Les masques « Kéré » lors des cérémonies coutumières se déroulant à
côté du Jardin. 12. Les habitants de Koro participent aux travaux d’aménagement du Jardin.
est totalement gratuite pour respecter notre
souhait de coopérer avec le village, et qui était
d’offrir un intérêt supplémentaire au site déjà
riche d’un point de vue touristique (village
traditionnel, cascade, poissons sacrés).
— Balisage et pancartes d’informations sur
l’ensemble du site : village, jardin, poissons
sacrés, cascades, et itinéraires d’accès depuis
la route nationale, parkings…
4.4 Documents en cours de préparation : fin 2007
et début 2008 (financement LVMH Recherche)
— Livret sur les espèces végétales pour vente
aux personnes intéressées (impression prise
en charge pour les 500 premiers livrets par
LVMH Recherche)
— Affiches de promotion du SECKO
— Film documentaire de 16 minutes sur
DVD, en cours de tournage depuis mai 2007 :
ce film sera présenté lors du 2e Forum Afrique
et Beauté qui se déroulera fin mai 2008 à
Ouagadougou.
Activités en matière de sensibilisation
et d’éducation environnementale
Positionnement du Jardin botanique
et pédagogique : objectifs généraux
Le nom choisi pour le jardin : botanique, certes,
c’est-à-dire respectant des critères scientifiques au niveau de la présentation des espèces
(nom latin, nom d’auteur, famille botanique),
mais aussi et surtout « pédagogique » c’est-àdire offrant la possibilité d’apprendre de
nouvelles connaissances, de manière facile…
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c’est-à-dire aussi l’orientation du Jardin (donc
son organisation en différents secteurs, les
pancartes à la fois riches en information mais
également « esthétiques ») est clairement
définie comme visant tout type de public.
Principales activités réalisées
Ces activités sont dirigées vers le double objectif
d’une sensibilisation à la nécessité de protéger
notre environnement, ce à travers l’éducation
environnementale. Cela passe par une présentation scientifiquement exacte mais ludique des
connaissances sur les plantes, dans un cadre
agréable, nous souhaitons que ce Jardin soit
fréquenté et adapté aux divers publics :
— Visites scolaires, depuis le niveau du
Primaire jusqu’au Lycée :
• École primaire de Koro : les visites scolaires
ont pu commencer en juin 2006 (cf. article en
copie) et il est prévu de faire venir ensuite les
écoles de la ville de Bobo Dioulasso. [Photo 6.]
• Les élèves du Burkina Faso doivent préparer un herbier de 20 espèces en classe de
BEPC et ils sont nombreux à venir depuis Bobo
Dioulasso pour recopier les informations des
pancartes du Jardin pour rédiger les étiquettes
des échantillons.
— Visites touristiques, burkinabés ou étrangers (pays voisins, autres continents) : accord
avec certaines agences de voyages, notamment Agence Tourisme (Ouagadougou) dont
les méthodes et les objectifs sont en phase
avec les nôtres.
— Collaborations scientifiques : Laboratoire
de botanique, Université de Ouagadougou,
Antenne régionale des semences forestières
(ARSF – Bobo Dioulasso) responsables d’ONG
liées à l’Environnement. [Photo 7.]
— 1res Journées France-Afrique des guérisseurs traditionnels avec des guérisseurs de
Koro et Bobo Dioulasso et de France : organisation en mai 2005 avec l’Association
Espérance 92. [Photos 8, 9.]
Autres activités prévues
— Séjours d’échanges entre guérisseurs :
organisation en octobre – novembre 2007 de
deux séjours avec des guérisseurs français
dans le cadre de l’association « Des horizons
des hommes »
— 2 e Forum Afrique et Beauté prévu en
mai 2008 à Ouagadougou avec des participants de Koro
À noter que l’ensemble des activités
prévues demeurent compatibles avec les
activités traditionnelles : fêtes coutumières,
agriculture, passage sur les sentiers, afin, non
seulement de ne pas les interdire, mais au
contraire de les développer (augmentation du
flux touristique générateur de revenus), tout
en les canalisant dans le respect des coutumes
anciennes et de la protection du site naturel.
Intégration culturelle du jardin
botanique et pédagogique
Nous présentons parallèlement notre
démarche qui intègre au jardin des faits traditionnels et coutumiers (usages, fêtes des
masques, fétiches).
Le Jardin,
un intervalle géographique et culturel
D’un point de vue géographique, le jardin est
situé entre une zone de culture (plantations de
manguiers, maraîchages, cultures céréalières
et de bananes), qui le sépare du village, et une
Forêt sacrée, au bord d’une falaise d’où coule,
en saison des pluies, une magnifique cascade.
[Photo 10.]
La Forêt sacrée est un lieu où sont préparés des masques de cérémonies, des offrandes
y sont régulièrement remises aux divinités
traditionnelles (fétiches, poissons sacrés) : du
fait de ce positionnement, le jardin sert
d’intermédiaire et de zone tampon entre une
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zone anthropisée (cultures agricoles) et une
zone sacrée (coutumes). Il s’agit donc à la fois
d’un intervalle géographique mais aussi culturel entre deux zones qui présentent des activités humaines différentes.
Activités culturelles et coutumières
Depuis le jardin, avec l’accord de la chefferie
traditionnelle 2 , notamment le Chef des
Coutumes et le Chef des Masques, les visiteurs
peuvent observer et participer à certaines
étapes des fêtes des masques qui sont
toujours très importantes dans le village de
Koro (notamment la Fête des Masques Longs,
annonçant la saison des pluies et la reprise des
travaux champêtres en Mai). [Photo 11.]
En dehors de ces fêtes qui sont populaires,
d’autres cérémonies plus secrètes sont
organisées en fonction du calendrier annuel
des coutumes, que ce soit en relation avec
l’eau, ou bien les Poissons sacrés, le Serpent
Boa sacré, etc. Cela montre la persistance de
la culture animiste traditionnelle tout autour
et au cœur même du Jardin botanique qui
inclut un site sacré (Fétiche) où sont effectués
des sacrifices et des prières par le Chef des
Coutumes et les Forgerons, gardiens des
traditions.
La rivière abritant les « Poissons sacrés »
appartenant à une espèce de Silure jouxte le
jardin et constitue une halte des visiteurs qui
apprécient leur taille impressionnante (plus
de 1,20 m pour certains spécimens).
En fait, nous croyons que cette orientation
vers la culture traditionnelle peut être un des
critères de réussite pour nos objectifs.
2. L’accord des autorités coutumières est
quasiment toujours accordé, le simple fait de le
demander est un signe de respect, et il suffit
d’accompagner sa demande de quelques noix de
cola ou d’offrir de la bière de mil aux anciens pour
Appropriation du Jardin
par la population :
Dans un premier temps, le jardin a été installé
avec l’accord du Conseil des Anciens, du Chef
de Terre et du Chef des Coutumes. Les principaux travaux d’aménagement et l’entretien
régulier sont assurés par les villageois, et une
partie des revenus tirés de l’exploitation du
moulin à céréales sert à encourager les
travailleurs. Par ailleurs, lors des travaux en
groupe, certains villageois offrent le repas et la
boisson (bière de mil). [Photo 12.]
Le sentier menant du village aux cultures
et à la Forêt sacrée traverse le Jardin et les
habitants des villages avoisinants traversent
régulièrement le Jardin, y compris en revenant
de la grande ville voisine, que ce soit, à pied, à
vélo, parfois à mobylette… qu’il faut porter
pour franchir la falaise…
Il en résulte une appropriation du Jardin
par les populations qui le fréquentent chaque
jour et il s’ensuit que désormais le Jardin est
connu des populations des autres villages, ce
qui en fait une fierté des habitants de Koro,
tout en facilitant sa surveillance, car chacun
est concerné… et surveille ou est surveillé…
Perspectives
Le site éco-culturel de Koro (SECKO)
En tenant compte du village traditionnel de
Koro, des zones de cultures, du Jardin botanique
et pédagogique, de la zone naturelle et sacrée
(Forêt, Cascade, Rivière, Poissons sacrés), nous
avons là un site tout à fait remarquable.
l’obtenir sans difficulté. Il reste seulement l’interdit
de la fréquentation de l’intérieur de la Forêt Sacré
pendant les cérémonies, mais il est possible de faire
des photos ou de filmer les masques à l’extérieur
après en avoir demandé l’autorisation.
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Nous avons envisagé l’appellation « Site
éco-culturel de Koro » qui intègre tous ces
aspects et permet une dénomination originale, porteuse de sens et de symbole, ce afin d’en
faire une zone protégée.
Nous avons pu montrer comment ce jardin
appartient désormais au terroir villageois culturellement riche de Koro, et participe aussi d’une
démarche globale tournée vers une meilleure
gestion de l’environnement : ces réflexions nous
ont amenés à choisir ce terme « de Site écoculturel de Koro » ou « SECKO »… pour la zone
au cœur de laquelle se situe le jardin et à envisager de nouvelles perspectives (cf. carte) tout en
assurant un certain développement respectueux des valeurs culturelles et de la nature.
Ces perspectives pour fin 2007 et 2008
concernent surtout la protection de la zone
par un document administratif légal, c’est-àdire, en l’état du Code de l’environnement et
du Code forestier, soit un titre foncier, soit un
classement en zone classée et l’attribution
officielle de la gestion du site classé à une
association émanant des représentants du
village de Koro et des partenaires actuels du
site, ainsi que toute personne intéressée…
Ces démarches doivent démarrer en
novembre 2007 par le levé topographique du site.
Nous envisageons également la construction d’une Maison d’accueil et de promotion
du SECKO au pied du village de Koro, qui
permettra d’accueillir et d’informer les
visiteurs, mais aussi de leur présenter les
documents en vente (affiches, livrets, cartes
postales), tout en les rafraîchissants (buvette)
et en leur faisant découvrir l’artisanat local
(poteries du groupement féminin). Les
revenus générés devraient pouvoir permettre
de motiver les guides touristiques qui accompagnent les visiteurs, mais aussi d’apporter
quelques finances au groupement féminin, le
tout incluant une participation à l’entretien du
site, comme c’est déjà le cas pour une partie
des bénéfices du moulin à céréales qui permet
de payer l’entretien du jardin.
Enfin, nous essayons d’initier une collaboration avec une association de quartier en
France (Montpellier) pour proposer des
chantiers internationaux visant à aménager
les sentiers à travers tout le site :
— accès au site naturel depuis le haut de la
falaise, ce qui permettrait d’avoir un 2e accès,
plus proche de la ville de Bobo Dioulasso, utilisable y compris en saison des pluies, alors que
l’accès actuel est impossible pour les véhicules
en saison des pluies, ce qui peut décourager
certains visiteurs, peu enclins à trop marcher…
— accès au village perché de Koro, qui
présente actuellement des sentiers rocailleux
et abrupts, limitant les possibilités de visites
(personnes âgées)
— sentier de liaison entre le village et le site
naturel
À la suite de toutes ces activités, nous avons
prévu d’organiser en 2008 les Premières
Journées Portes ouvertes du SECKO, prévues
mi 2008, après la réalisation des aménagements et des documents pédagogiques prévus
Nous restons ouverts également à toute
proposition, et nous serions par exemple
intéressés par la possibilité d’un jumelage du
Jardin avec un jardin botanique en France… ou
ailleurs ! n
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Jardin botanique, j
ardin pédagogique : exemple de
la coopérative de plantes
médicinales Kallawaya
de Chajaya (Bolivie)
[Résumé de la communication]
Connus depuis des siècles pour leur médecine empirique, basée sur les
guérisons symboliques (ou rituels de soins), ainsi que l’utilisation et la
combinaison de plantes, de minéraux et de végétaux, les Kallawaya de
Bolivie, ethnie des hauts plateaux andins font face à la perte progressive de
leurs savoirs depuis plus de cinquante ans.
Que ce soit sous la forme de visites groupées avec les écoles, de participation à l’entretien du jardin, de la récupération de semences pour la
création de jardins familiaux individuels, le jardin pédagogique kallawaya
et un outil parmi d’autres développés par la coopérative qui tente d’apporter des éléments de réponse à cette problématique de perte de transmission des savoirs. Toutefois, il ne se substitue en rien à la transmission in
situ, au cœur des montagnes, après des heures de marche, qui replace
l’apprentissage dans une dimension globale et sacrée.
Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Actes du colloque de Salagon, septembre 2007
Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire
p. 155-156
Éric Latil
président de
l’association Éclat
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156 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Éric Latil proposera un échange autour des
points forts et des limites du jardin pédagogique kallawaya.
Depuis 1998, l’association Éclat de
Marseille accompagne et soutient une série
d’actions autonomes, menées par les popula-
tions locales et autogérées qui ont pour objectifs la récupération des savoirs ancestraux et
la re-dynamisation du passage des savoirs
entre les anciens et les jeunes qui désertent
les campagnes pour les villes. n
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POSTFACE
Une voie initiée par Salagon
Organisé à l’initiative du Musée départemental ethnologique de Salagon, ce
premier colloque sur les jardins ethnobotaniques et leur médiation auprès
du grand public a réuni un public nombreux et a révélé tout l’intérêt que
suscite cette question au moment où de nombreux jardins voient le jour.
Ces jardins historiques et botaniques, – outre Salagon, on pense au
jardin des Cordeliers à Digne, au jardin du château de Sauvan ou au projet
de jardin de roses au Musée Gassendi de Digne – sont pour notre département des éléments importants du patrimoine culturel et naturel mais
aussi des pôles de développement touristique, permettant la découverte
de notre région. Ils s’inscrivent dans des réseaux et des itinéraires de
découverte dont certains franchissent les frontières. On pense en particulier aux projets menés avec nos amis du Piémont italien autour de la mise
en valeur d’édifices religieux et de leurs abords, ou de la création de
jardins qui donnent à voir les plantes et leurs usages dans un village ou une
vallée. C’est ainsi que le public peut découvrir des patrimoines qui s’interpellent, se répondent, s’enrichissent mutuellement. Dans ce contexte, le
Musée de Salagon avec ses jardins ethnobotaniques, joue un rôle majeur
comme pôle de référence scientifique, pédagogique, d’animation.
Sollicitée pour soutenir des enquêtes ethnobotaniques, conseiller des
projets de recherches ou les réaliser, organiser des formations, aider à la
définition de nouveaux jardins, l’équipe de Salagon continue d’affirmer sa
place comme lieu central de réflexion sur les relations entre l’homme et la
nature. Le colloque s’est conclu sur une demande générale d’échange de
formations, d’idées, de jardiniers, d’animateurs, de savoirs et sur le désir
de poursuivre ensemble la réflexion élaborée au cours des deux journées
de discussion. C’est cette voie, initiée par le Musée de Salagon depuis
plusieurs années, que nous nous efforcerons de poursuivre. n
Jean-Louis Bianco
président du Conseil
général des Alpes
de Haute Provence
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Jardins et médiation des savoirs
en ethnobotanique. Programme
Jeudi 27 septembre 2007
09 h 00. Accueil.
09 h 30. Discours d’ouverture du colloque, par
Christophe Castaner, maire de Focalquier et viceprésident du Conseil régional PACA et Claude
Bouliou, Directrice de la Culture au Conseil général
des Alpes de Haute-Provence
10 h 00. Introduction générale. Danielle Musset,
directrice du Musée de Salagon.
10 h 15. Il faut cultiver notre jardin ethnobotanique.
Semis, boutures et greffes du préfixe « ethno ». JeanYves Durand, ethnologue, Maître de conférences,
Institut de Sciences Sociales de l’Université du Minho,
Braga, Portugal, IDEMEC, Aix-en-Provence.
10 h 45. De l’ethnobotanique à ses jardins. Georges
Métailié, CNRS, Centre Alexandre Koyré.
11 h 15. Les jardins ethnobotaniques dans l’histoire
de l’art des jardins. Stéphane Crozat, ethnobotaniste
chargé d’études au sein de l’équipe du CNRS RESSOURCES DES TERROIRS - Cultures, usages, sociétés.
Antenne de l’Unité mixte de recherche 5145 (CNRS MNHN). Eco-anthropologie et ethnobiologie.
14 h 00. Première table ronde modérée par Pierre
Lieutaghi, ethnobotaniste et responsable scientifique
des jardins ethnobotaniques du Musée de Salagon :
« Penser un jardin ethnobotanique ». Présentation et
confrontation des expériences suivantes :
– Le Jardin d’un naturaliste et l’ethnobotanique
au Muséum national d’histoire naturelle,
Bernadette Lizet, CNRS/MNHN.
– Enquêtes ethnobotaniques et mise en place
d’un jardin ethnobotanique aux Marais du Vigueirat
(Camargue). Sabine Rabourdin, ingénieur en ethnoécologie et chargée de mission au Centre permanent
d’initiative pour l’environnement (CPIE Rhône).
– Le « jardin des cultures » sur le pôle universitaire
de Guyane, Cayenne. Charles Ronzani, paysagiste.
– Le bocage de Sambande (Sénégal) : une contribution à l’essor des jardins ethnobotaniques au
Sahel. Ibrahima Fall, conservateur du Jardin
d’Expérimentation des Plantes Utiles (JEPU).
16 h 00. Fin de la première table ronde.
16 h 30. Visite des jardins ethnobotaniques du
Musée de Salagon en compagnie de Pierre Lieutaghi
et François Tessari, responsable des jardins.
Vendredi 28 septembre 2007
09 h 00. Accueil.
09 h 30 – Seconde table ronde modérée par Danielle
Musset : « Mettre en forme un jardin ethnobotanique ». Présentation et confrontation des expériences suivantes :
– Les jardins ethnobotaniques de la Gardie. Gaëlle
Loutrel, représentante des jardins de la Gardie.
– L’association Savoirs de Terroirs et son jardin.
Patrick Challaye, président de l’association.
– Les jardins de l’Histoire. Dominique Munoz,
directrice de projet.
– Fruits, légumes et fleurs du bassin lyonnais :
recherche ethnobotanique appliquée à la connaissance et à la conservation d’un patrimoine biologique et culturel local. Stéphane Crozat.
14 h 00. Troisième table ronde modérée par
Bernadette Lizet : « La médiation avec le public ».
Présentation et confrontation des expériences suivantes :
– L’ethnobotanique comme lecture du paysage.
L’expérience du Domaine du Rayol. Lisa Bertrand,
chargée du suivi scientifique du Domaine du Rayol.
– Le jardin ethnobotanique comme vecteur privilégié de médiation et d’éducation environnementale, au Jardin botanique de Genève (CJB) et
dans ses projets de coopération au Sud (Sénégal,
Paraguay, Bolivie, Brésil, Inde). Didier Roguet,
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conservateur, ethnobotaniste aux Conservatoire et
Jardin botaniques de la Ville de Genève.
– Conservation de la Biodiversité : la collection
des Polygonum du jardin des Hautes Haies et le
Parcours botanique des Alpes mancelles (Sarthe).
Liliana Motta, artiste botaniste.
– Le Jardin Botanique et Pédagogique de Koro au
Burkina Faso. «Instruire et divertir à partir des connais-
sances traditionnelles pour protéger les plantes africaines». Marc Olivier, représentant du jardin de Koro.
– Jardin botanique, jardin pédagogique : exemple
de la coopérative de plantes médicinales Kallawaya
de Chajaya (Bolivie). Eric Latil, président de l’association.
16 h 30. Discussion générale.
17 h 30. Fin du colloque.
Contacts
Organisateurs du colloque
Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste et écrivain, responsable scientifique des jardins de Salagon, Mane,
[email protected].
Danielle Musset, ethnologue, directrice du Musée
départemental ethnologique de Haute Provence,
prieuré de Salagon, 04300 Mane, 04 92 75 70 50,
[email protected].
Elise Bain, coordinatrice, Musée départemental ethnologique de Haute Provence, prieuré de Salagon,
04300 Mane, [email protected].
Intervenants
Lisa Bertrand, chargée de suivi scientifique du
domaine du Rayol, domaine du Rayol, avenue du
Commandant Rigaud, 83820 Le Rayol Canadel,
04 98 04 44 00, [email protected]
Patrick Challaye, président de l’association
Savoirs de terroirs, association Savoirs de terroirs,
le Miolaure, 07200 Saint Julien de Serre,
04 75 37 99 03, [email protected].
Stéphane Crozat, ethnobotaniste chargé
d’étude au sein de l’équipe du CNRS Ressources et
terroirs – Cultures, usages, sociétés, Antenne de
l’Unité mixte de recherche 5145 (CNRS-MNHN),
éco-anthropologie et ethnobiologie, Chaumont,
38780 Eyzin-Pinet, 06 65 17 40 29,
[email protected]
Jean-Yves Durand, ethnologue, maître de
conférences, Institut de sciences sociales de
l’Université du Minho, Braga, Portugal, IDEMEC, Aixen-Provence, Institut de sciences sociales,
Université de Minho, Campus de Gualtar, P-47
10-057 Braga, 06 85 49 87 82, [email protected].
Ibrahima Fall, conservateur du Jardin
d’expérimentation des plantes utiles, JEPU
Département de pharmacognosie et botanique,
Faculté de Médecine, de Pharmacie et
d’Odontologie, UCAD, Dakar, Sénégal,
(221) 824 50 38, [email protected].
Eric Latil, président de l’association ECLat,
Association ECLat, 19, Rue Tivoli, 13005 Marseille,
09 52 50 28 60, [email protected]
Bernadette Lizet, ethnologue, CNRS, Museum
national d’histoire naturelle, 43 rue Cuvier, 75005
Paris, 01 40 79 36 78, [email protected]
Gaëlle Loutrel, ethno-écologue et agent de
développement aux jardins de la Gardie, Jardins
ethnobotaniques de la Gardie, Association
Arc’Avène, Pont d’avène, 30340 Rousson,
04 66 85 66 90, [email protected]
Georges Metailie, CNRS, Centre Alexandre
Koyré, 18 rue Liancout, 75014 Paris, 01 45 42 88 71,
[email protected]
Liliana Motta, artiste botaniste, 105 rue Haxo,
75020 Paris, 01 40 31 10 51, [email protected]
Dominique Munoz, créatrice et directrice des
jardins de l’Histoire, 106 Corniche Fleurie, Parc
Ophélia, 06200 Nice, 04 93 72 53 30,
[email protected]
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160 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique
Marc Olivier, conseiller en biologie, docteur es
sciences en biologie, Sama Bioconsult, 790 rue
Croix de Figuerolles, 34070 Montpellier, (+226)
76 60 97 80, [email protected]
Sabine Rabourdin, ingénieur en ethnoécologie et
chargée de mission au Centre permanent
d’initiative pour l’environnement (CPIE Rhône),
8 rue du refuge, 13200 Arles, 04 90 98 79 40,
[email protected]
Didier Roguet, conservateur et ethnobotaniste,
Conservatoire et Jardin botanique de la ville de
Genève (CJBG), CP 60 CH 1292 Chambésy, Genève,
(41) 22 418 51 00, [email protected]
Charles Ronzani, paysagiste, 11 rue Albert Samain,
78000 Versailles, 06 63 42 44 80,
[email protected]
François Tessari, responsable des jardins du Musée
de Salagon, Musée départemental ethnologique de
Haute-Provence, Prieuré de Salagon, 04300 Mane,
f.tessari@cg04
Les textes de ce livre sont composés
en cicero, dessiné par Thierry Puyfoulhoux.
Le secrétariat d’édition a été assuré par Élise Bain,
les relectures par Danielle Musset, Pierre Lieutaghi,
et les auteurs.
Mise en page de l’Atelier c’est-à-dire,
à Saint-Michel-l’Observatoire, en haute Provence.
L’impression a été réalisée
par France Quercy, à Cahors.
ISBN 978-2952756457
Dépôt légal : septembre 2008
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