Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 1 Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 2 La publication de ces actes a reçu l’aide de •• Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 3 titrecommunication | 3 Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque organisé les 27 et 28 septembre 2007, à Forcalquier, par le musée de Salagon SALAGON musée départemental ethnologique de Haute Provence & C’EST-À-DIRE ÉDITIONS un territoire et des hommes Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 4 4 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Sommaire Pierre Lieutaghi, Danielle Musset. Genèse d’un colloque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Approches Jean-Yves Durand. Il faut cultiver notre jardin ethnobotanique. Semis, boutures et greffes du préfixe « ethno » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Georges Métailié. De l’ethnobotanique à ses jardins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 21 Penser un jardin ethnobotanique Bernadette Lizet. Le Jardin d’un naturaliste et l’ethnobotanique au Muséum national d’histoire naturelle [résumé] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sabine Rabourdin. Enquêtes ethnobotaniques et mise en place d’un jardin ethnobotanique aux Marais du Vigueirat (Camargue) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Charles Ronzani. Le « jardin des cultures » sur le pôle universitaire de Guyane, Cayenne . . . . . . . . Ibrahima Fall. Le bocage de Sambande (Sénégal) : une contribution à l’essor des jardins ethnobotaniques au Sahel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 33 41 61 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 5 Sommaire | 5 Mettre en forme un jardin ethnobotanique Gaëlle Loutrel. Les jardins ethnobotaniques de la Gardie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dominique Munoz. Les jardins de l’Histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Stéphane Crozat. Fruits, légumes et fleurs du bassin lyonnais : recherche ethnobotanique appliquée à la connaissance et à la conservation d’un patrimoine biologique et culturel local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 109 119 La médiation avec le public Lisa Bertrand. L’ethnobotanique comme lecture du paysage. L’expérience du Domaine du Rayol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Didier Roguet. Le jardin ethnobotanique comme vecteur privilégié de médiation et d’éducation environnementale, au Jardin botanique de Genève (CJB) et dans ses projets de coopération au Sud (Sénégal, Paraguay, Bolivie, Brésil, Inde) . . . . . . . . Liliana Motta. Conservation de la Biodiversité : la collection des Polygonum du jardin des Hautes Haies et le Parcours botanique des Alpes mancelles (Sarthe) . . . . . . . Marc Olivier. Le Jardin Botanique et Pédagogique de Koro au Burkina Faso. « Instruire et divertir à partir des connaissances traditionnelles pour protéger les plantes africaines » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Eric Latil. Jardin botanique, jardin pédagogique : exemple de la coopérative de plantes médicinales Kallawaya de Chajaya (Bolivie) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jean-Louis Bianco. Postface. Une voie ititiée par Salagon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Intervenants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 133 141 147 155 157 158 159 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 6 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 7 INTRODUCTION Genèse d’un colloque L’idée du colloque « Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique » répond à l’expérience acquise, dès 1985, au musée départemental ethnologique de Salagon (haute Provence, France), dans la création de jardins à thèmes. Ces divers jardins ont été réunis sous l’appellation de « jardins ethnobotaniques » car l’épithète semblait en résumer bien le propos : donner à comprendre les relations multiples établies au cours des siècles entre les hommes et les plantes, dans notre propre société. Ce qualificatif tient aussi au constat de la création, en beaucoup de lieux de France et du monde, de jardins qui, comme Salagon, revendiquent le statut de jardin ethnobotanique, et qui, finalement, abordent tous des thématiques voisines. Certains de ces jardins ont été représentés au colloque. Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 7-12 Pierre Lieutaghi, Danielle Musset Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 8 8 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Quelques mots des jardins de Salagon La création en plusieurs phases des jardins ethnobotaniques de Salagon a débuté avec la création, en 1985-1986, d’un petit jardin dit « DES SIMPLES ET DES PLANTES VILLAGEOISES », qui voulait refléter le savoir des habitants de la haute Provence, tel qu’il avait été recueilli par des enquêtes orales. Ce jardin réunissait les plantes de la pharmacopée populaire et certains légumes de ramassage, en évoquant, dans la mesure du possible, le parcours des habitants dans leurs pratiques de cueillette, du jardin à la colline en passant par le bord des chemins et des champs. Le titre d’une brochure de présentation, Au jardin de Salagon, les plantes rencontrent l’homme, disait déjà la volonté d’adhésion au propos ethnobotanique. C’était une ambition importante : il s’agissait de « faire du jardin de Salagon une sorte de miroir des relations entre la société traditionnelle locale et son environnement botanique. » Ambition limitée, toutefois, car les 170 plantes qui constituent la base du savoir des habitants de la haute Provence occidentale ne pouvaient suffire à occuper les quatre hectares des terres de Salagon ; il fallait étendre le propos. Le succès de ce premier jardin auprès du public a justifié d’autres créations, à commencer par le JARDIN MÉDIÉVAL, en 1986, réalisation qui a servi de modèle à bien d’autres « jardins médiévaux » créés depuis lors1 (à Salagon, on revendique la plus grande fidélité possible au regard des sources historiques, en ce qui concerne les végétaux). Suivirent le JARDIN DE SENTEURS, à l’origine jardin de plantes aroma- tiques associé à une exposition et à un itinéraire de découverte à travers le pays de Forcalquier (1989), puis le JARDIN DES TEMPS MODERNES , suite chronologique du jardin médiéval puisqu’on y montre les végétaux introduits dans nos paysages et notre vie quotidienne à partir de la découverte de l’Amérique. Ce jardin ambitieux, le plus étendu des réalisations actuelles de Salagon, rassemble les principales « plantes utiles et ornementales » du monde, sans prétendre pour autant au titre de jardin exotique (le climat local l’interdirait). Le JARDIN DU CHÊNE B L A N C , introduction au paysage végétal dominant de la région, qui rassemble quelque 400 espèces distribuées par associations, est encore inachevé. De nombreux tâtonnements et remaniements ont accompagné ces créations. Ils tiennent à la difficulté à faire le lien entre exigences scientifiques, réalités du terrain, nécessités de l’ouverture au public, incompréhensions de certains partenaires techniques, contraintes financières, etc. Entre la volonté de rester fidèle à un propos ethnobotanique aussi rigoureux que possible et la prise en compte des aspects techniques, esthétiques, pédagogiques, touristiques, de l’adéquation nécessaire entre l’espace des jardins et un monument historique des XII e-XVI e siècles, nous avons été conduits à imaginer des créations et des thèmes qui ne faisaient pas partie de notre propos de départ, focalisé sur une ethnobotanique essentiellement locale. Les jardins de Salagon traduisent donc par eux-mêmes les étapes d’une maturation sur plus de vingt ans, où projets avortés, hésitations, erreurs, réussites et succès, représentent une riche expérience. 1. Ce jardin est décrit dans un ouvrage de P. Lieutaghi qui fait toujours référence, Jardin des savoirs, jardin d’histoire, éditions Alpes de lumière, 1992 (épuisé). Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 9 Genèse d’un colloque | 9 Quels que soient les obstacles, aujourd’hui en bonne partie dépassés, les jardins de Salagon, créations véritablement novatrices en 19852, ont immédiatement rencontré une forte demande du public. On n’oubliera pas que le jardinage est une des passions contemporaines des Français, qu’un Français sur trois s’adonne à cette activité. Nos jardins s’insèrent donc parfaitement dans un propos des plus contemporains, dont les questions pressantes sur les relations des sociétés à l’environnement confirment chaque jour l’importance. La médiation des jardins Très vite, on s’est aperçu que ces jardins ne pouvaient fonctionner sans un ensemble de supports d’information, car un jardin ethnobotanique ne fait qu’évoquer les relations plantes/sociétés, il ne démontre et n’explique rien par lui-même — quoique des mises en scène particulières puissent avoir une fonction démonstrative, voire didactique. La plante elle-même ne raconte pas ses rapports avec les sociétés, il lui faut des traducteurs. Nous sommes une entreprise de traduction de la flore, a écrit l’un d’entre nous. Nous avons d’abord eu recours à des cartels présentant les plantes (dans une première version, des logos rappelant les usages y figuraient ; ils étaient peu compréhensibles…), avec un petit guide de visite associé, ainsi qu’à des panneaux explicatifs. De là, nous sommes très vite passés à des visites commentées, y compris pour les nonvoyants, à des ateliers pour enfants, stages 2. Il suffit de consulter l’inventaire des jardins faits par la DIREN/PACA en 1980-1981 pour se rendre compte que les antécédents faisaient entièrement défaut en Provence, si ce n’est dans le Midi en général. pour adultes, sorties à la journée, conférences, etc. Depuis 2004, des audioguides intéressant à la fois les jardins et le monument sont à la disposition des visiteurs. Un séminaire annuel d’ethnobotanique du domaine européen (suite d’une première table ronde en 1997) a lieu chaque année depuis 2000, le présent colloque en tenant lieu pour 2007. Organisé sous la forme de deux sessions de deux jours, chaque fois sur un thème différent (La plante de l’aliment au remède, Plantes alimentaires, L’arbre dans l’usage et l’imaginaire du monde, Plantes des femmes, Du géranium au paysage, etc.), ce séminaire remporte un grand succès. Il est ouvert aux étudiants, aux chercheurs, mais aussi à toute personne concernée de près par l’ethnobotanique. Européen/méditerranéen dans ses intentions, il accueille aussi désormais des intervenants dont les travaux en d’autres régions du monde fournissent des contrepoints bienvenus. Trois publications à ce jour rassemblent les communications3 et contribuent à la construction du corpus de travaux qui fait cruellement défaut à l’ethnobotanique de langue française. Séminaires et publications associées nous permettent aussi de constituer un réseau d’acteurs et de chercheurs dont beaucoup sont devenus des fidèles de nos rencontres. La recherche Pour prétendre à la médiation et à la transmission de connaissances valides, il faut impérativement qu’une recherche de qualité ait lieu en amont. Au niveau botanique, cette recherche 3. LIEUTAGHI, P., & D. MUSSET (édit.). « Plantes, sociétés, savoirs, symboles. Matériaux pour une ethnobotanique européenne ». Les cahiers de Salagon, nos 8, 10, 11 ; 2003, 2004, 2006. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 10 10 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique garantit l’identification exacte des végétaux présentés dans les jardins ; elle peut aussi, au besoin, préciser les données acquises au cours des enquêtes de terrain. Sur le plan ethnobotanique, elle garantit la plus grande validité possible de ce qui est dit des relations plantes/société, où il est malheureusement fréquent d’entendre bien des inexactitudes, sinon des reconstructions fantasmatiques du rapport au végétal. Elle permet aussi de ne pas se contenter de compiler des travaux, d’ailleurs peu nombreux en français, comme on l’a vu, et qui ne concernent pas forcément notre région. La recherche à Salagon est primordiale. Outre les travaux de Pierre Lieutaghi depuis la fin des années 1960, où la haute Provence est bien représentée, elle s’édifie aussi avec les recherches des ethnologues qui, sous l’égide du Musée, poursuivent les enquêtes sur les usages de la flore (pour l’essentiel en région PACA et dans le Piémont italien), celles des botanistes, des historiens, des jardiniers, au sein de l’équipe ou en relation avec elle. Il n’est pas inutile de préciser ce que nous entendons par « ethnobotanique », terme passé au langage courant au point d’y perdre ses spécificités. Ces dernières années, en effet, l’ethnobotanique est devenue une science à la mode, ou, du moins, le mot lui-même a connu un succès certain, au point de servir d’argument touristique (Lure, le pays de « l’ethnobotanie »…), voire commercial via les « ethnoshops » et « l’ethno-marketing »… Ceci en lien étroit avec les idées floues de « tradition » et « d’authenticité », utiles aux sociétés urbaines en quête de repères du côté des choses, paroles ou pratiques perçues comme détentrices d’une certaine vérité simple sur l’existence. Le succès de cette appellation brouille les cartes quand il s’agit de « faire de l’ethnobotanique » en tant que science et d’en assurer la transmission vers le public. Un travail conduit à Salagon sur ce thème a montré que nombre de projets, de recherches, de réalisations qui revendiquent la caution ethnobotanique, recouvrent des réalités extrêmement différentes, inégales, voire sans aucun rapport avec leur intitulé4. Très souvent « faire de l’ethnobotanique » se limite à associer une plante et un usage, à faire des listes de plantes et d’usages. Comme l’ethnologie, l’ethnobotanique implique un objet de recherche, une problématique, une méthodologie, la mise en relation et l’analyse de faits de société. L’ethnobotanique ne se résume pas à un catalogue de végétaux et d’emplois associés ; ce sont les modes de relation au végétal qui doivent être explorés en priorité, révélateurs de toute la complexité d’une culture — ce qui n’exclut pas que la mise en évidence, pour euxmêmes, de certains usages ou pratiques associés aux plantes puisse s’avérer riche d’enseignement, par exemple dans la comparaison avec d’autres sociétés. « L’ethnobotanique comme discipline est une ethnologie à velléités globales qui choisit de considérer les sociétés dans la plus large étendue possible de leurs relations avec le végétal et les milieux végétaux, dans la prise en compte des méthodes des sciences humaines aussi bien que des données naturalistes5. » Il est donc nécessaire de replacer les fonctions diverses du végétal dans l’ensemble complexe de savoirs, pratiques, représentations, etc., de la société considérée, le but final étant de pouvoir interpréter, comprendre au mieux leur sens à l’intérieur de 4. NICOLAS, Laetitia, juin 2007, Création d’une base financée par la Mission à l’ethnologie du Ministère de la Culture (non paginé, 14 pages d’introduction + corpus de fiches). 5. LIEUTAGHI, P., loc. cit., 2003, p. 42. de données sur les savoirs de la nature, Inventaire ethnobotanique. Rapport final. Recherche conduite dans le cadre du Musée ethnologique de Salagon, Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 11 Genèse d’un colloque | 11 la culture donnée, voire au regard d’autres cultures. Si l’on prend en compte cette définition, nous nous efforçons bien, à Salagon, de « faire de l’ethnobotanique », sans forcément pouvoir aller toujours au terme de la recherche, en nous contentant parfois de réaliser de simples inventaires, eux-mêmes utiles comme il est dit précédemment. Conduire des recherches à leur terme implique et du temps et des moyens financiers — et ceci est une autre histoire. Du moins, dans les limites qui nous sont imposées, comme à beaucoup d’équipes, tentons-nous d’opter pour le plus de sérieux possible. De l’imprécision constitutive des rôles du jardin ethnobotanique Quelle que soit la qualité des recherches qui président à la création et à la médiation du jardin, on se situe toujours dans l’évocation, l’approche, mais non dans le rendu terme à terme : un jardin qui se voudrait trop fidèle aux données savantes (pour autant qu’il soit réalisable) serait sans doute vite ennuyeux. Pour autant, le jardin ethnobotanique, indépendamment de sa nature de lieu agréable à visiter pour lui-même (on ne doit pas oublier qu’il s’agit d’abord d’un jardin, qu’il doit être bon de s’y promener pour le seul plaisir), qu’en est-il de ses rôles au regard des connaissances dont il revendique la prise en compte ? Le jardin ethnobotanique est-il un simple « passeur de savoirs », les plantes y tenant lieu 6. Souci qui est nécessairement à l’arrière-plan de l’ethnologie appliquée, en particulier quand il s’agit de ces « relances » qui espèrent trouver un débouché économique à des pratiques « traditionnelles », ou regardées comme telles. 7. Expression empruntée à A.-M. GRANET-ABISSET, d’aide-mémoire des relations avec les hommes ? Doit-il se faire conservatoire de savoirs et de savoir-faire autant que de plantes ? Un lieu comme Salagon, musée autant que jardin, avec des collections, des archives orales, une vaste documentation écrite, pourrait sans doute revendiquer une telle fonction ; mais on accéderait alors à une tout autre échelle, à un propos très différent, tourné vers la recherche d’applications, vers une dépendance obligée à l’égard du souci de valorisation6. Autre question : qu’en est-il du rapport avec le temps ? Un jardin ethnobotanique est-il forcément jardin de mémoire ? N’est-il pas aussi un « façonneur de mémoire »7 comme nous l’avons souvent constaté lors de nos enquêtes, en diffusant et réactualisant les savoirs de quelques-uns au profit d’un plus grand nombre ? En quelle mesure s’implique-til dans la relation contemporaine à la flore, espace aussi riche de faits sociaux que le domaine « traditionnel » mais habituellement négligé dans nos pays, comme si, encore une fois, l’ethnobotanique était une discipline tournée surtout vers le passé ? Ce jardin est-il d’abord le lieu de la conservation d’un « patrimoine immatériel »8 ? La pédagogie peut-elle vraiment y accompagner le plaisir ? Est-ce un outil pour faire passer des idées ? A-t-il un rôle militant ? Autant de questions qui ne pouvaient espérer trouver toutes des commentaires, encore moins des réponses, en deux journées. Du moins font-elles l’arrière-plan de ce qui a été présenté et débattu lors du colloque, dont « Le musée, façonneur de mémoire », in « Mémoire, patrimoine et musées », Le monde alpin et rhodanien, 1-4, 2005, p. 161-168. 8. Voir la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, ratifiée par la France en 2006. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 12 12 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique on trouvera les communications, ou leur résumé, dans le présent recueil. Si, dans les pays européens, le jardin ethnobotanique reste pour l’essentiel, jusqu’à présent, une réalisation à finalités surtout « culturelles » (les guillemets rappelant, si besoin est, toute l’ambiguïté du terme), l’alliance avec l’économique s’opérant à travers ce champ privilégié, on verra que des options plus immédiatement pragmatiques ont déjà cours ailleurs, dans les pays où il importe de conserver d’urgence et de valoriser les ressources plus peut-être que de s’interroger a priori sur leur nature de « patrimoine immatériel » — ce qui n’exclut évidemment pas d’y voir aussi des objets d’étude. L’importance de cette démarche est manifeste dans les contributions au colloque, que ce soit au Sénégal (communication de Ibrahim Fall), au Burkina Fasso (Marc Olivier), en Bolivie (Éric Latil), ou dans les divers pays de trois continents concernés par les projets de coopération du Jardin botanique de Genève (Didier Roguet). En France, une étude historique sur l’horticulture dans la région lyonnai- se (Stéphane Crozat) soutient la mise en place d’une base de données aux destinations multiples. On est sans doute ici plus proche de la « botanique appliquée », dont l’ethnobotanique est issue, que de cette dernière discipline au sens strict ; mais les contingences socioéconomiques difficiles de notre temps invitent à l’ouverture plus qu’à la crispation sur la stricte dépendance à l’égard des sciences humaines. Du moins faudra-t-il ne pas perdre de vue ce qui revient en propre à ce préfixe « ethno » dont Jean-Yves Durand, en introduction au colloque, a rappelé qu’il ne devait pas valider n’importe quelle entreprise de « mise en valeur », toute généreuse soit-elle. Aucune science ne peut disparaître du fait de ses applications, même si la forme de ces applications permet d’en ignorer l’apport. On ne souhaite pas retrouver l’ethnobotanique en statue allégorique au fond des parcs (meilleure façon de la faire oublier) ; on s’efforce de l’aider à conserver son rôle de parrainage bienveillant, mais non sans rigueur, aux entreprises jardinières qui allient réflexion et utilité sociale. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 13 Il faut cultiver son jardin ethnobotanique. Semis, boutures et greffes du préfixe « ethno » S’adresser en tant qu’ethnologue à l’auditoire formé de pratiquants, de passionnés, voire de militants ou au moins de sympathisants de l’ethnobotanique qui se réunit à l’occasion du colloque organisé en septembre 2007 par le musée ethnologique de Salagon oblige à s’interroger sur ce qu’entend cette petite troupe – dont, pour la fréquenter dans le cadre des séminaires tenus depuis quelques années, on sait qu’elle est assez diverse – lorsqu’elle place ses activités en partie sous les auspices d’une science sociale. Les jardins ethnobotaniques ont-ils du succès parce qu’on pense qu’ils parlent d’abord de botanique ou surtout d’ethnologie ? Leurs promoteurs et leurs visiteurs ont-ils les mêmes expectatives, et celles-ci peuvent-elles dialoguer avec les intérêts des chercheurs en sciences sociales ? Il est évidemment des ethnobotanistes qui ont une parfaite connaissance universitaire de l’ethnologie. Celle-ci, néanmoins, à la différence de la sociologie, mais d’ailleurs à l’instar de la botanique, est souvent Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 13-20 Jean-Yves Durand Universidade do Minho (Braga, Portugal), CRIA (Lisbonne), (IDEMEC, Aix-en-Provence) Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 14 14 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique pratiquée ou, à tout le moins, revendiquée par des amateurs dont les motivations, les objectifs, les méthodes et les réalisations peuvent ne pas être reconnus par les professionnels, qui disposent de l’autorité scientifique. Fort heureusement, il n’existe pas d’Ordre auquel il incomberait de définir les limites de l’exercice illégal de l’ethnologie. Sans préjuger aucunement de l’intérêt ou de la validité de ce que font les uns et les autres, cette brève contribution n’a d’autre but que d’exposer quelques réactions d’un ethnologue professionnel devant les usages qui sont faits de son étiquette disciplinaire par les pratiquants et les appréciateurs du tout-venant des activités et des discours ethnobotaniques mis en œuvre hors des cercles universitaires et dirigés vers le grand public, ce que l’on pourrait donc désigner comme le « sens commun » ethnobotanique. Il convient tout d’abord de présenter des excuses aux botanistes ferrés en anthropologie et en ethnologie1, qui n’apprendront rien ici, et d’admettre qu’ils sont en droit de souhaiter jeter une pierre dans le jardin de l’auteur de ces lignes puisqu’il a pu, à l’occasion, s’intéresser par exemple à une « Ethnobotanique comparée des carrefours giratoires » (Durand 2006) bien qu’il ne dispose lui-même de guère plus de notions de botanique que certains ethnobotanistes n’en ont d’ethnologie. Toutefois, c’est bien le regard distancié de l’ethnologue qui est nécessaire ici pour tenter d’éclairer certaines implications de l’engouement croissant que les sociétés européennes manifestent à l’égard de ce qu’elles dénomment « l’ethnobotanique » et, singulièrement, de ses jardins. Partons du principe que ce ne sont sans doute pas ces lecteurs qui regretteront que, pour commencer, l’on se place modestement dans les pas d’André-George Haudricourt, considérant2 que le vocabulaire constitue « un témoin primordial et inconscient ». Examinons donc quelques mots. « Jardin », « ethno », et « botanique » : deux substantifs et un préfixe (lequel, au moins dans l’usage français, acquiert souvent valeur de substantif : « Je fais de l’ethno »). Chacun d’eux semble assez simple. Mais les deux premiers renvoient à des réalités plus ou moins quotidienne et triviale (le jardin) ou plus ou moins ésotérique (l’ethnie, l’ethnique, l’ethnologie). La botanique occupe quant à elle sans doute une place intermédiaire dans cette gradation entre l’ordinaire et le moins connu. Et, pour peu qu’on essaie de définir précisément ne seraitce que celui qui semble être le plus simple d’entre eux, le jardin, on bute vite sur de grandes difficultés, comme chaque fois que l’on s’essaie à dépasser les approximations qui nous permettent d’appréhender et de manipuler le monde dans notre vie quotidienne. Inutile de trop s’y arrêter, les catégories de jardins et les images qui leur sont associées 1. Les non-spécialistes auxquels s’adresse ce texte s’interrogent souvent sur les rapports entre ces deux termes, qui correspondent aux deux pôles de la tension entre l’unité biologique de l’espèce humaine et son extraordinaire capacité à produire de la diversité culturelle. De façon extrêmement schématique, disons que, idéalement, l’ethnologie s’occupe de la description et de la connaissance de réalités sociales et culturelles particulières, localisées, tandis que l’anthropologie vise, notamment par un comparatisme à grande échelle, à dégager des règles générales valables pour l’humanité entière. On tend maintenant en France à utiliser « anthropologie » pour désigner l’ensemble de la discipline, à l’image de ce qui est le cas dans les pays anglophones. 2. Dans un texte mettant en regard « domestication des animaux, culture des plantes et traitement d’autrui » (Haudricourt 1962) qu’AnnieHélène Dufour (1998) évoque dans son étude de la passion du jardinage. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 15 Il faut cultiver son jardin ethnobotanique | 15 sont légion. Jardins potagers, ou fruitier, anglais ou français, jardin ouvrier ou jardin de curé, jardin d’agrément, d’hiver, d’acclimatation, jardin zoologique et jardin d’enfant, le jardin d’Éden, les jardins de Babylone, ceux d’Ispahan, le jardin botanique, public, imaginaire, un jardin paysagé, un jardin scénographié, le jardin des Hespérides, celui d’Épicure, le jardin zen, le jardin de la France (dont il n’est pas sûr qu’il soit zen), le jardin des délices… Quant à la définition donnée par le dictionnaire, « espace plus ou moins étendu planté de végétaux », sa simplicité ne la rend guère utile même s’il est parfois précisé que cet espace se trouve à « proximité d’une habitation », ce qui n’est ni toujours vrai, ni suffisant. Ce qui est certain, c’est qu’en ce moment les jardins ont, pour ainsi dire, le vent en poupe. Dans l’étude qu’elle consacra, il y a une dizaine d’années, aux passionnés de jardinage, une amie et collègue qui apportait un appui fidèle à Salagon, trop précocement disparue, Annie-Hélène Dufour, nous rappelle que l’amour des jardins (autres que potagers) est une affaire ancienne : « Sans remonter à Olivier de Serres, à Peiresc ou à Buffon [ou même, pourrait-on ajouter, à des auteurs arabes plus anciens encore], on ne peut pas ignorer la grande vogue qu’ont connue l’horticulture et la botanique au XIXe siècle et même, plus près de nous, pendant l’entre-deuxguerres » (Dufour 1998 : 71). Elle rappelle que ce phénomène resta longtemps limité à une élite disposant de jardins d’agrément mais que très vite fleurirent les publications et les associations tandis que se développait un considérable marché de graines tourné vers cette clientèle. Il est aisé de constater qu’aujourd’hui cet engouement n’a pas faibli, loin de là : ce ne sont pas toutes les passions occupant le temps de loisir des Français qui ont droit par exemple à une chronique hebdomadaire dans Le Monde ou sur France Inter. Écoutons ce qu’en dit Annie-Hélène Dufour (1998 : 91-92) en conclusion de son étude : « Il s’agit d’une passion solitaire, sans spectateurs (le jardin est objet de spectacle, mais offert à des amis, à des proches et surtout à soi-même), d’une passion savante où le plaisir de savoir, de maîtriser les secrets de la nature se conjugue avec celui de créer, d’une passion pacifique. Nulle adversité, en effet, à laquelle s’opposer dans l’élaboration de cette passion, à moins d’admettre que la nature, ici, la représente. Mais le rapport à la nature ne se présente-t-il pas plutôt comme un compromis, un pacte et le jardin comme le lieu où vivre en harmonie avec elle ? De même chercherait-on en vain dans cette passion quelque chose qui relève de la performance. Qui sont les « champions » des jardiniers ? Au mieux ont-ils des maîtres, ce qui est différent. Si existent des concours divers en matière de jardin, ceux-ci, quand ils ne sont pas hérités des traditions compétitives des jardins ouvriers, semblent plutôt servir des démarches promotionnelles qu’émaner directement des pratiques et des idéaux jardiniers. Et si parfois s’exhibent des légumes de forme ou taille exceptionnelles, cela relève davantage du goût populaire pour le spectaculaire et l’insolite que des valeurs liées au jardinage d’agrément. « Objet d’un investissement physique et spirituel, espace de l’activité gratuite, de l’expérimentation aventureuse et de la découverte, monde du silence, de l’intime, de la méditation, lieu de la mémoire et du perpétuel devenir, le jardin et sa passion ne sont-ils pas en fin de compte une tentative de recomposition idéalisée et protégée de la vie ? » Cette longue citation est inévitable ici : il n’est en effet pas possible de parler des jardins ethnobotaniques qui se multiplient aujourd’hui sans les resituer d’abord, même sommairement, dans le cadre plus général de l’amour des jardins et du jardinage – il faudrait d’ailleurs disposer d’informations fiables sur la façon dont ce phénomène se traduit dans les Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 16 16 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique divers pays d’Europe, pour ne parler que d’eux, où il peut présenter des modalités et des degrés d’intensité aussi divers que les terreaux socioculturels sur lesquels il se développe. Et ces remarques, surtout, tout en nous parlant de la généralité des jardins, permettent, par contraste, de mettre le doigt sur au moins deux importants traits spécifiques des jardins ethnobotaniques. En effet, tout d’abord, imagine-t-on un jardin ethnobotanique, et peu importe l’acception exacte que l’on donne à cette notion, qui resterait « sans spectateurs », qui ne serait destiné qu’à la délectation discrète de son seul concepteur et de ses proches, dont il serait le jardin secret ? Encore que manquent ici aussi les données rigoureuses que pourrait produire une enquête, il semble bien que tout jardin ethnobotanique qui se respecte soit au contraire avant tout motivé, porté par une volonté pédagogique et vulgarisatrice. Celle-ci peut être plus ou moins explicitement assumée, mais elle est toujours présente. Et c’est bien de là que vient une bonne part des problèmes sous-jacents au « concept » de jardin ethnobotanique (certaines de ces initiatives semblent obéir à des logiques promotionnelles qui autorisent en effet à recourir au vocabulaire des spécialistes du marketing) : il doit marier un dispositif de spectacle et de plaisir avec un discours de transmission d’un savoir, de vulgarisation. Il s’agit d’expliquer et de rendre au « vulgaire », au « peuple » un savoir que, pense-t-on, il détenait mais qu’il a oublié ou est en passe d’oublier 3 , on veut restituer toute sa légitimité à cet ethnosavoir – mot qui d’ailleurs, en dépit de la fréquence avec laquelle on rencontre « ethnobotanique », ne Mais que signifie exactement le préfixe « ethno » ? Car c’est bien lui qui pose le plus gros problème ici. Dans l’argumentaire préparatoire du colloque, rédigé par Danielle Musset et Pierre Lieutaghi, il est à plusieurs reprises relevé que la qualification « ethnobotanique » finit toujours par être utilisée à propos des jardins, même quand en réalité la plupart des réalisations qui se présentent comme telles semblent surtout intéressées par l’histoire et n’hésitent pas à parfois se qualifier aussi de « jardins médiévaux » voire, d’une façon tout à fait absurde, de « jardins de plantes anciennes ». Pourquoi la connotation « ethnique » semble-telle être ici si attractive ? En dépit des difficultés de définition signalées au début, un jardinier moyen arrivera normalement plus ou moins bien à expliquer ce qu’est un jardin, au moins celui dont il s’occupe. Un botaniste moyen pourra toujours à peu près expliquer ce qu’est la botanique. Mais il est bien difficile pour un ethnologue d’expliquer ce qu’est une ethnie, ce qui est ethnique. Soit dit en passant, c’est le cas avec plusieurs autres notions importantes, voire centrales, de sa gamme de notions : culture, structure, identité, patrimoine, entre autres. Toutes, mêmes celles qui ont été forgées d’abord au sein de sa discipline, ont gagné hors d’elle une vie propre, devenant des sortes de concepts-golems échappant au contrôle de leurs créateurs (Bromberger et Durand 2001 : 734), et dont les avatars acquièrent dans le sens commun des significations ou des connotations qu’ethnologues 3. Pour une critique savante de la notion de « populaire » et de ses usages impensés, voir notamment un article de Pierre Bourdieu (1983). s’est quant à lui encore jamais répandu hors des cercles universitaires en lieu et place de « savoir populaire ». Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 17 Il faut cultiver son jardin ethnobotanique | 17 et anthropologues ne reconnaissent pas, voire qu’ils récusent. Pour en rester ici à la notion d’ethnie, ceci n’est pas le lieu d’un cours sur son histoire et sa critique4. Il faut tout de même s’y arrêter un peu car elle est une graine de l’ethnologie, disséminée à l’écart des plates-bandes habituelles de la discipline et c’est bien à partir de ses pousses que se font les boutures et les greffes du préfixe qui nous intéresse. Observons tout d’abord que l’équivalent du substantif « ethnie » est inexistant en anglais, alors que ce sont les sciences sociales anglophones qui ont élaboré longtemps seules les théories de l’ethnicité. À l’inverse, ce dernier mot est absent du Dictionnaire de l’ethnologie et l’anthropologie dirigé par les Français Bonte et Izard (2000), dans lequel on trouve les rubriques « Ethnie » et « Ethnies minoritaires ». On devine déjà là des approches divergentes, même si la notion d’ethnicité est quant à elle limitée à un usage savant de façon similaire dans les univers francophone et anglophone. Sans pouvoir éviter d´être à nouveau ici très schématique, il est possible d’indiquer que cette divergence a des causes en grande partie historiques. Le regard français sur l’« ethnie » s’est en effet longtemps développé dans un contexte colonial, participant d’un souci de contrôle territorial, politique et administratif et ne pouvant donc éviter de chercher avant tout à objectiver des traits distinctifs qui seraient propres à des groupes de populations (la langue, la religion, etc., parfois aussi des traits physiques). Il a aussi confusément incorporé parfois d’autres notions jamais mieux définies (« tribu », « peuplade »…) et souvent les théories racialistes du XIXe siècle – alors qu’aux ÉtatsUnis c’est au moins depuis les travaux de Franz Boas dans les années 1930 qu’est refusée l’idée d’un lien entre « types biologiques » et « formes de cultures ». L’acception en résultant est au demeurant proche des significations étymologiques d’ethnos : groupe plus ou moins informe et à l’organisation imparfaite, animalité, voire anormalité. En somme, l’Autre. Cette vision condescendante s’accommode du modèle de l’« assimilation républicaine à la française » qui n’admet pas l’existence de communautarismes en son sein. C’est l’une des raisons pour lesquelles les sciences sociales francophones ont longtemps résisté à l’intérêt que montrent leurs équivalentes anglophones à l’égard de la notion d’ethnicité, alors qu’en réalité cette attention ne vise pas à corroborer les revendications ethniques mais à éclairer les conditions dans lesquelles des individus et des groupes estiment nécessaire de recourir à cette modalité d’identification d’eux-mêmes ou des autres (Poutignat et Streiff-Fenart 1995 : 17). Aujourd’hui, dans le quotidien, on parle souvent d’ethnie avant tout dans des situations problématiques : on sait qu’il y a des guerres, des nettoyages, des quartiers qui sont considérés comme « ethniques ». Le 16e arrondissement de Paris n’est par contre pas ethnique, ou du moins n’est pas considéré comme tel5. À Lisbonne, c’était dans le journal en septembre 2007 (Chiavegatto 2007), on 4. Voir notamment Poutignat et Streiff-Fenart 1995. 5. De même manière, il ne semble d’ailleurs pas exister de jardin ethnobotanique qui serait consacré à la relation d’un groupe social aisé avec son environnement végétal. Et, selon le dictionnaire de Bonte et Izard (2000 : 248), « l’ethnomusicologie analyse le phénomène musical dans toutes les cultures, à l’exception de la musique savante occidentale ». Éviter de la sorte de considérer que les savoirs hégémoniques et les pratiques de certaines élites peuvent constituer des objets d’analyse ouvre sur de considérables problèmes épistémologiques débattus notamment dans le cadre des études sociales des sciences. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 18 18 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique propose de faire du tourisme ethnique (ou ethnographique, les titres des articles hésitent entre les deux termes) dans certains quartiers. On se doute qu’il ne s’agit pas de visiter l’équivalent local du 16 e arrondissement. Supposons que, dans la même ville, la police arrête un gitan : la presse parlera d’un « individu d’ethnie gitane » ; si ce sont des immigrants ukrainiens, angolais, chinois ou français qui sont arrêtés, ils seront immanquablement qualifiés par leur nationalité. En quoi, exactement, sont-ils moins « ethniques » qu’un gitan qui, au demeurant, est citoyen portugais ? On saisit avec ces quelques exemples que les usages sociaux de la notion d’« ethnie » échappent à toute définition objective. Ils mettent au contraire en jeu des stéréotypes ou la perception d’un certain prestige social et culturel et peuvent varier considérablement selon le contexte. Pour le sens commun, cette notion est liée à l’idée d’une différence plus ou moins radicale et surtout objectivable : une série de traits distinctifs, facilement observables, invariables, essentiels. Ainsi le dictionnaire Robert parle-t-il d’une « ethnie française » définie notamment par « la communauté de langue et de culture » et qui englobe « la Belgique wallonne, la Suisse romande, le Canada français » : on se demande bien s’il existe un seul de ses membres qui aurait la moindre conscience de lui appartenir. Pour l’ethnologie, aujourd’hui, il n’y a par contre jamais ethnie dans l’absolu, mais seulement dans des contextes relationnels, quand un groupe dit qu’il forme une ethnie (les critères qu’il utilise pour cela pouvant être divers et même pas forcément explicites) et que ses membres ont le sentiment partagé de le faire, pouvant d’ailleurs recourir à l’usage fluide de toute une gamme d’identifications en fonction des situations. On peut utiliser l’image des applaudissements, pour lesquels il faut obligatoirement deux mains : l’ethnicité, c’est-à-dire les sentiments et les comportements associés à l’idée d’une appartenance ethnique, équivalent au son produit par la rencontre des deux mains. Un groupe peut aussi considérer que ses voisins sont une ethnie, sans que ceux-ci le sachent. C’est donc une caractéristique qui peut être attribuée par un observateur extérieur, parfois avec les conséquences dramatiques que l’on devine. Mais l’identification ethnique a bien sûr tout un pan positif. À New York, ville cosmopolite s’il en est, est proposée aux touristes une « visite gastronomique multiethnique » (Original multi-ethnic eating tour), qui néglige les restaurants français au profit des quartiers où sont passées les successives vagues d’immigrants reçues par le pays (Klimkiewicz 2007). Il ne s’agit pas dans ce cas de stigmatiser, mais plutôt de célébrer les origines culturelles de groupes d’origines plus ou moins exotiques qui se sont peu à peu intégrés dans la société américaine, en général sans que des revendications politiques soient associées à cette célébration, à la différence de ce qui se passe d’ailleurs avec la croissante affirmation ethnique des groupes amérindiens. C’est ce registre d’une dimension identitaire positive qui est mobilisé dans l’usage commun du mot « ethnobotanique », porté et renforcé par la prégnance contemporaine de l’idéologie patrimoniale. Car on parlerait chez nous plutôt de « patrimoine », une idée dont la coloration ethnique peut prendre la tournure d’un registre plus affectif que revendicatif mais qui ne laisse bien sûr pas du tout de côté l’idée d’une certaine pureté originelle, d’une authenticité culturelle apparaissant souvent située dans un passé plus ou moins bien défini et donc d’autant plus aisément idéalisé et manipulé. Parmi nous, la dimension ethnique du patrimoine ethnologique renvoie désor- Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 19 Il faut cultiver son jardin ethnobotanique | 19 mais avant tout non seulement au populaire mais aussi au local et à ce qui est perçu et désigné comme la tradition. Le public nonprofessionnel reste attiré avant tout par le passé du monde rural, par les origines de ce qui persiste à être perçu et vécu comme une unité culturelle autonome, clairement délimitée, homogène : la région, le « pays ». Il n’est donc pas étonnant que nos jardins ethnobotaniques revendiquent souvent avant tout un ancrage historique profond. En même temps, l’intérêt que l’on porte à ses propres racines culturelles s’accommode volontiers d’une curiosité multiculturelle, aujourd’hui de bon aloi. On connaît par exemple l’intérêt considérable que suscitent, et les revenus que génèrent les musiques ethniques, connues en France surtout en tant que « musiques du monde », ou l’attrait exercé par les « arts premiers » et par des gastronomies, des thérapeutiques, des mysticismes exotiques — du moins souvent par leurs versions adaptées aux attentes du public occidental. Le sens commun situe donc les ethnosavoirs, et notamment l’ethnobotanique au point de vue social (le populaire), géographique (le rural local ou un ailleurs exotique), temporel (le passé imaginé de « Nos grands-mères savaient… » ou le présent lointain d’un univers exotique, dont on sait qu’il équivaut à un passé puisqu’il désigne des populations dont on pense volontiers qu’elles savent encore que…, qu’elles vivent encore comme…). Ces savoirs bénéficient d’une valorisation croissante en raison de leur image d’ancienneté ou d’« authenticité » et les désigner comme étant populaires ou « ethno- » revient à automatiquement sous-entendre qu’ils sont efficaces, socialement justes, éthiquement corrects et économiquement durables, ce qui n’est en réalité pas nécessairement le cas. L’intérêt à l’égard des savoirs subalternes peut aussi s’articuler sur une critique de la « dictature de la raison », à laquelle il est aujourd’hui assez fréquent que l’on attribue plus d’un de nos grands problèmes et qui, pour beaucoup, passe pour un obstacle à une vraie connaissance de l’univers et une pleine conscience de notre place en lui. Ce sont donc des savoirs qui parviennent désormais à se voir assez facilement attribuer le statut de « sagesse » et une qualité d’efficacité, et qui gagnent ainsi une nouvelle légitimité et une force de séduction renouvelée (Durand 2007). L’ethnobotanique des amateurs est surtout ethno-historique et appliquée, souvent bien éloignée de certaines recherches universitaires informées par les préoccupations de la linguistique ou des sciences cognitives mais rejoignant par contre, encore qu’à une tout autre échelle et avec d’autres implications économiques et éthiques, les investigations lancées par les industries pharmaceutique et cosmétique. Il est à cet égard significatif que de très nombreuses entreprises ethnobotaniques menées par des amateurs se limitent en réalité assez étroitement à l’identification et l’étude des utilisations thérapeutiques (plus encore qu’alimentaires) des plantes et à leur remise au goût du jour. Outre sa motivation pédagogique et vulgarisatrice, on trouve ici le deuxième trait spécifique du jardinage ethnobotanique relativement au jardinage ordinaire : s’il n’existe pas plus d’adversité, d’esprit de compétition dans le premier que dans le second, il peut en exister entre l’ethnobotanique, ou au moins certaines des formes aux colorations plus militantes que scientifiques qu’elle peut prendre dans la vie sociale, et d’autres modalités du savoir, des savoirs institués. Bien souvent, les jardins ethnobotaniques participent d’une volonté qui est non seulement pédagogique mais aussi réformatrice, voire quelque peu messianique. Il paraît possible de dire que plus d’un jardinier ethnobotaniste, dont on n’imagine pas qu’il ne soit peu ou prou sensible à ce qu’il est convenu d’appeler Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 20 20 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique « l’écologie », se sent un peu comme un Robin des Bois du savoir, qui contribue à rendre au moins une part de leur juste place à des savoirs « pauvres » dont il pense qu’ils ont été injustement négligés ou même combattus. S’il cultive son jardin ethnobotanique, c’est bien en espérant changer un peu le monde. Plus encore que le jardin ordinaire, le jardin ethnobotanique constitue « une tentative de recomposition idéalisée et protégée de la vie », comme l’écrit Annie-Hélène Dufour, mais il relève d’une attitude tout à la fois aussi contemplative et plus interventive. Et la greffe a pris, la bouture prospère. Les jardins ethnobotaniques sont parmi nous, toujours plus nombreux, même si les professionnels de la discipline ont parfois quelque mal à reconnaître leur progéniture. Comment pourrait-il en être autrement puisque, exactement comme dans le cas de la désignation d’une ethnie, un jardin peut devenir ethnobotanique à peu de chose près à partir du moment où quelqu’un dit qu’il l’est et le fait savoir ? Comme avec l’ethnologie, il n’existe pas de propriété intellectuelle du label Ethnobotanique, ni de contrôle administratif ou de certification de cette activité et de cette appellation : rares sont, en fait, les jardins qui mériteraient d’être appelés ethnobotaniques aussi pleinement que ceux de Salagon et quelques autres. On doit y voir un encouragement à persister, à toujours cultiver son jardin ethnobotanique. Et l’idée de l’élaboration d’une charte, évoquée lors du colloque, pourra être une manière d’aider à ce qu’il ne devienne pas le jardin des supplices des ethnologues et des ethnobotanistes professionnels, désemparés devant des réalisations dans lesquelles ils ne reconnaissent pas plus leurs idées que leurs problématiques. n Bibliographie BONTE Pierre, I ZARD Michel (éd.) : 2000 (1995), Dictionnaire de l’ethnologie de l’anthropologie, Paris : Presses universitaires de France. BOURDIEU Pierre : 1983, « Vous avez dit “populaire” ? », Actes de la Recherche en Sciences sociales, nº 46. BROMBERGER Christian, DURAND Jean-Yves : « Faut-il jeter la Méditerranée avec l’eau du bain ? », in Albera D., A. Blok et C. Bromberger (éd.), L’anthropologie de la Méditerranée, Paris : Maisonneuve. CHIAVEGATTO Marina : 2007, « Turistas vão à Cova da Moura », Público, caderno P2, 4 septembre 2007. DUFOUR Annie-Hélène : 1998, « Une passion pacifique : le jardinage », in C. Bromberger (éd.), Les passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard, 1998 ; rééd. Hachette, coll. Pluriel, 2002. DURAND Jean-Yves : 2006, « Raccourcis paysagers. Ethnobotanique comparée des carrefours giratoires », in P. Lieutaghi et D. Musset (éd.), Plantes, sociétés, savoirs, symboles. Matériaux pour une ethnobotanique européenne, Actes du séminaire d’ethnobotanique de Salagon, 3e vol., Mane, Les Alpes de lumière et musée Ethnologique de Salagon, 2006. DURAND Jean-Yves : 2007, « Saber y saberes », in A. Barañano, J. L. García, M. Cátedra, M. J. Devillard (éd.), Diccionario de relaciones interculturales. Diversidad y globalización, Madrid, Editorial Complutense, pp. 323-329. HAUDRICOURT André-Georges : 1962, « Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d’autrui », L’Homme, 2 (1). KLIMKIEWICZ Joann : 2007, « Petiscos em Manhattan », Público, supplément hebdomadaire Pública, 26 août 2007. POUTIGNAT Philippe, Streiff-Fenart Jocelyne : 1995, Théories de l’ethnicité, Paris : Presses universitaires de France. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 21 De l’ethnobotanique à ses jardins Dans le cadre de la réflexion proposée par les organisateurs du colloque, il m’a semblé utile de présenter brièvement l’évolution de la notion d’ethnobotanique en m’attachant à préciser quelles propositions de jardins avaient pu être faites. La dénomination du domaine apparaît pour la première fois sous l’appellation « Ethno-Botany » le 5 décembre 1895, dans un article anonyme du Philadelphia Evening Telegram à propos d’une conférence de l’agronome et archéologue John W. Harshberger (Allain, Barrau, 1988 : 1). L’année suivante est publié le texte de cette conférence (Harshberger, 1896) qui présentait « l’objet de l’ethnobotanique » à savoir : 1. « élucider la situation culturelle des tribus qui utilisaient les plantes pour leur alimentation, abri et vêtement, (…) 2. « informer sur la distribution des plantes jadis, (…) 3. « aider à définir les anciennes routes commerciales, (…) 4. « être utile pour suggérer de nouvelles gammes de produits, surtout textiles ». L’auteur achevait en suggérant la formation de collection de coupes Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 21-28 Georges Métailié directeur de recherche honoraire, CNRS Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 22 22 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique microscopiques de sections de tous les arbres indigènes à titre de références, ainsi que la nécessité d’établir un « jardin ethnobotanique » autour des bâtiments de chaque musée pour fournir des plantes vivantes destinées aux études en rapport avec les objets d’origine végétale exposés dans les salles. Nous constatons donc qu’à son origine l’ethnobotanique est une discipline annexe de l’archéologie et de la muséologie mais avec aussi une visée de science appliquée : recherche de nouveaux produits pour l’industrie, textile en particulier. Il est remarquable que dès ce moment, John Harshberger préconise la création de jardins qualifiés d’ethnobotaniques, afin de disposer dans un but muséographique d’un matériel végétal vivant. En 1944, toujours aux ÉtatsUnis, Edward F. Castetter, professeur à l’Université du Nouveau Mexique, proposait de faire de l’ethnobotanique et de l’ethnozoologie les branches essentielles de ce qu’il avait nommé l’ethnobiologie qu’on « pourrait considérer comme traitant du savoir populaire en matière d’histoire naturelle » (Barrau, 1976 : 73). Avec le développement aux États-Unis à partir des années 1950 de la « Nouvelle ethnographie » (New Ethnography) c’est comme une branche de l’« ethnoscience » que figure l’ethnobotanique et dès lors, les principaux travaux dans ce domaine concerneront aux États-Unis l’étude des nomenclatures et des classifications populaires dans des sociétés contemporaines1. Ce terme d’ethnoscience s’est révélé ambigu car il désigne dans l’esprit des fondateurs le système de savoirs et de connaissances d’une culture donnée au sens large2, mais aussi les études relatives à ces savoirs. D’où l’ambiguïté aussi des termes désignant ses diverses branches, comme ethnobotanique, compris souvent comme signifiant « botanique populaire » plutôt que « étude des relations entre sociétés et environnement végétal ». Le terme français ethnobotanique est né en 1942 dans un article du directeur du Bureau d’Ethnologie de la République d’Haïti, Jacques Roumain, en référence à des études archéologiques et l’année suivante dans leur livre L’homme et les plantes cultivées, publié à Paris, André Georges Haudricourt et Louis Hédin, écrivaient dans leur conclusion : « Au terme de ce livre, il convient que nous fassions le point de nos connaissances actuelles sur cette catégorie de végétaux qui, par leurs liens étroits avec notre vie même, comme par leur dépendance humaine, méritent à juste titre le nom de “plantes humanisées”. (...) Le point de vue humain et l’aspect botanique des questions soulevées dans ces recherches sont indissolublement liés. C’est sans doute la raison pour laquelle de telles études, à cheval sur deux disciplines scientifiques, n’ont rencontré jusqu’à présent que peu de chercheurs et avancent si lentement. « Géographes, historiens, ethnologues, archéologues, ou même les curieux et amateurs que sont les “honnêtes gens”, peuvent contribuer à éclairer, chacun à leur façon, par des observations intéressantes ou par des faits peu connus, les problèmes qui ont fait l’objet de cet ouvrage. Mais 1. Le premier ouvrage en français bien représentatif de cette approche est La pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss (1962). Dans la monographie consacrée à la perception et au classement du monde végétal chez les Bunaq de Timor (Friedberg, 1990) on trouve un rappel fort utile des travaux de l’école américaine. 2. Richard I. Ford (1978) précise à ce sujet : « Malgré des efforts pour réduire le sens à ‘système de savoir et connaissance d’une culture donnée (Sturtevant 1964 : 99), la définition contemporaine du terme est l’utilisation, l’importance et la perception de l’environnement dans son sens le plus général par les habitants originels du continent nord-américain ou des populations aborigènes ailleurs. » Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 23 De l’ethnobotanique à ses jardins | 23 il appartiendra à des “ethno-botanistes”, dont nous espérons avoir suscité la vocation, de réunir les travaux épars de cette œuvre collective en vue de leur critique et de leur synthèse, et surtout de procéder à des enquêtes sur le terrain, en s’intéressant au double aspect botanique et ethnologique des plantes utiles. » (Haudricourt, Hédin 1987 : 233.) Les auteurs continuaient en indiquant brièvement quels étaient à leurs yeux les sources et les moyens de « l’ethno-botanique », domaine transdisciplinaire dont le but principal apparaissait comme l’étude de l’origine et de la répartition géographique des plantes en rapport avec les hommes. En plus des sources bibliographiques et des documents archéologiques, ils conseillaient la constitution de collections « de plantes cultivées vivantes dans des jardins d’études où il soit possible d’examiner leur écologie et leur génétique ». (ibid. 233-234). On le constate, dans ce texte fondateur de l’ethnobotanique en France, les auteurs concevaient les enquêtes de terrain ainsi que les recherches relatives aux « plantes humanisées » – qui pouvaient être sauvages – surtout du point de vue de l’histoire des plantes cultivées, ce qui motivait un intérêt tout particulier pour les ressources génétiques. Ils regrettaient qu’on ignorât l’origine de beaucoup de variétés parce que dans les collections de plantes cultivées existantes, on se limitait « à celles qui présentaient un intérêt utilitaire plus ou moins immédiat ». On comprend donc que pour eux la recherche génétique étant un outil supplémentaire au service de l’ethnobotanique, c’est essentiellement à cette fin qu’ils souhaitaient l’établisse- ment de ces « jardins d’études ». En 1956, toujours André Georges Haudricourt, précisait qu’il y avait deux formes de « l’ethno-botanique », l’une « statique et descriptive » analysant les rapports d’un groupe humain avec son milieu végétal – comme la pratiquait l’école des ethnographes américains précédemment évoquée – et l’autre « dynamique, historique » avec l’étude botanique et génétique des plantes cultivées ; dans ce dernier cas, il faisait référence aux travaux de l’école de Nikolai Ivanovich Vavilov qu’il connaissait bien pour avoir effectué une mission en URSS auprès de ce dernier en 19341935 (Haudricourt, Dibie, 1987) et d’ailleurs ce sont ces travaux qui avaient déjà fourni les matériaux pour le livre L’homme et les plantes cultivées dont des passages viennent d’être cités3. Roland Portères, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle et directeur du Laboratoire d’Agronomie tropicale, renommé en 1963 Laboratoire d’ethnobotanique (Bahuchet, Lizet : 15), précise les choses en définissant ainsi l’ethnobotanique (1961 : 102)4 : « Discipline interprétative et associative qui recherche, utilise, lie et interprète les faits d’interrelations entre les Sociétés Humaines et les Plantes en vue de comprendre et d’expliquer la naissance et le progrès des civilisations, depuis leurs débuts végétaliens jusqu’à l’utilisation et la transformation des végétaux eux-mêmes dans les Sociétés primitives ou évoluées (...)» Plus loin il précise que (p. 103) « l’Ethnobotanique est à l’intersection des domaines de l’Ethnologie, de la Botanique, de l’Agronomie et de la Génétique » et que son rôle 3. Il convient de mentionner ici le remarquable livre de l’agronome américain Jack Harlan (1975, 1992), Crops and Man, Les plantes cultivées et l’homme (1987) qui, sans se référer à l’ethnobotanique en prolonge et développe cet aspect dynamique et historique. 4. Dans la même publication Jacques Rousseau (1961) présente divers exemples entrant dans «le champ de l’ethnobotanique». Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 24 24 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique « est de déceler, dégager et interpréter des faits humains de caractère social profitant, en apparence, plus particulièrement à l’Ethnologie et à l’Étude de toutes les Sociétés humaines et, par voie de conséquence, son rôle est d’apporter au profit du Monde moderne la connaissance qu’ont eu celles-ci du monde végétal ». Nous retrouvons peut-être ici dans la dernière remarque un écho aux soucis utilitaires de John W. Harshberger. Quant aux sources et moyens de travail, à ceux indiqués par Haudricourt et Hédin, Roland Portères ajoutait (p. 105), « enquêtes ethnobotaniques proprement dites, au sein des Ethnies en place (...), relèvement de documents palynologiques, inventaire exhaustif des jardins, enclos, champs, terroirs, plantations et cimetières (espèces et formes cultivées, commensales, adventives et adventices, compagnes mimantes ou non, messicoles, entretenues dans les cultures, friches, jachères, endroits protégés, sacrés, etc.), enquêtes sur la cueillette, le ramassage, la préhension, la proto-culture, les jeux d’enfants, utilisant ou consommant des fragments végétaux, ou des plantes entières, effets de l’Homme sur l’environnement végétal (...), documents chronologiques (...) » Si un tel texte précise bien tous les aspects souhaitables des enquêtes ethnobotaniques, il mentionne également parmi les moyens de travail (p. 106), « les collectes de graines, boutures et plants ainsi que la constitution de collections de plantes vivantes, dans des jardins de Rassemblement végétal et d’Étude, afin de rendre plus faciles les travaux descriptifs, les recherches d’ordre écologique, caryologique, palynologique, génétique, etc. ». Il ajoutait que le recueil de « tous les éléments nécessaires demande le concours de botanistes ou d’agrobotanistes, sinon d’ethnobotanistes ». En 1971, Jacques Barrau (professeur au MNHN) rappelle la fonction de charnière que l’ethnobotanique joue entre les sciences humaines et les sciences naturelles. La définition que donne Richard I. Ford (1978), un archéologue américain, « étude des interrelations directes entre les humains et les plantes », n’indique pas expressément la finalité historique, comme le précisaient Portères ou Haudricourt et Hédin, et semble donc privilégier l’analyse synchronique. Ce point me semble manifeste dans ce qu’on peut observer désormais dans le contexte des programmes internationaux de développement de communautés rurales de pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. La publication en 1995, sous l’égide de l’Unesco, dans le cadre du programme Hommes et Plantes (People and Plants) dépendant du Fonds international pour la nature, (World Wide Fund for Nature), d’un manuel de conservation par Gary J. Martin, intitulé Ethnobotany (1995) en est le plus clair exemple. Si, en quatrième de couverture, « ethnobotanique » est définie comme « l’étude de la classification, de la gestion et de l’usage des plantes par les gens », dans sa préface, l’auteur en fait une partie de l’ethnoécologie, « terme, ajoute-t-il, (....) de plus en plus utilisé pour englober toutes les études décrivant l’interaction des gens d’un certain endroit avec l’environnement naturel ». À côté de l’ethnobotanique, l’ethnoécologie comprend d’autres « disciplines secondaires telles que l’ethnobiologie, l’ethnoentomologie et l’ethnozoologie » (Martin, 1995: XX). Il précise que son manuel insiste sur « les méthodes d’inventaire des plantes utiles » (ibid : XXI) et enfin « qu’il vise à la conception de projets produisant non seulement une information exacte, mais encore des résultats pratiques pouvant être appliqués au développement local (community development) ainsi qu’à la conservation biologique ». Il insiste sur l’importance des jardins botaniques auxquels il confère des missions du domaine de l’ethnobotanique en associant au personnel strictement botanique des ethnobotanistes qui « participent à l’identification et au sauvetage des plantes utiles Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 25 De l’ethnobotanique à ses jardins | 25 qui sont menacées par la destruction de leur habitat ou les collectes excessives » (ibid : 229). Il rappelle encore que « des ethnobotanistes ont proposé que les gens des communautés rurales construisent des pépinières ethnobotaniques où les espèces utiles puissent être cultivées. Ceci fournit non seulement une source pour des plantes alimentaires et médicinales recherchées mais aussi sert à familiariser les jeunes avec les herbes qui sont utilisées traditionnellement dans leur communauté. Les lopins cultivés servent de jardins de démonstration où les espèces sauvages surexploitées peuvent être mises en culture et finalement intégrées aux jardins familiaux ou aux forêts aménagées » (ibid : 230). À côté de diverses propositions qui précèdent définies dans un cadre académique ou institutionnel, il est manifeste qu’en France la sensibilisation à l’ethnobotanique et sa diffusion auprès d’un public plus large ont été en majeure partie réalisées grâce à l’œuvre que Pierre Lieutaghi a entreprise dans les années soixante du siècle précédent et n’a cessé de développer depuis lors. Il préconise une approche originale participative des recherches relatives aux savoirs populaires. Il écrit en 1983 qu’« on ne travaille pas sur la flore française ni sur les “savoirs naturalistes populaires” (…) : on essaie, avec d’autres, de vivre avec, dans la rumeur des millénaires de connivence, de perpétuer les pratiques adaptables, d’en découvrir de nouvelles, surtout ». Nous constatons qu’en juste un peu plus d’un siècle, la notion d’ethnobotanique s’est diversifiée et que son aspect pratique, finalisé, a évolué depuis une volonté de recherche de nouveaux produits au bénéfice exclusif de l’industrie, suggérés par des modèles indigènes, modèle toujours en vigueur dans le domaine médical en particulier, pour arriver à des projets de développement intégré de régions défavorisées du monde ou encore à un souci, dans une perspective dynamique, de restitution et même d’enrichissement de savoirs condamnés à disparaître. Il est donc remarquable que le but des recherches et la pratique des enquêtes ne sont pas neutres. De là certainement des formes diverses de médiation des savoirs, allant du secret au partage. Quel peut être aujourd’hui le rôle des jardins ? Dans le rapide survol qui précède sont apparues les propositions de quatre types de jardins ethnobotaniques. Pour Harschberger en 1895, il s’agissait de jardins à établir « autour des bâtiments de chaque musée pour fournir des plantes vivantes destinées aux études en rapport avec les objets d’origine végétale exposés dans les salles » ; en 1943 Haudricourt et Hédin préconisaient la constitution de collections de plantes vivantes « dans des jardins d’études où il soit possible d’examiner leur écologie et leur génétique ». Il s’agissait donc dans les deux cas d’outils destinés à la recherche ; il en était de même pour les jardins de rassemblement végétal et d’étude, que Roland Portères proposait « afin de rendre plus faciles les travaux descriptifs, les recherches d’ordre écologique, caryologique, palynologique, génétique, etc. ». À ce point on pourrait définir un jardin ethnobotanique comme un lieu directement lié à des recherches, une annexe d’un laboratoire. La vision de Gary Martin est sensiblement différente ; l’ethnobotanique n’étant finalement pour lui qu’un outil pour favoriser le développement de communautés rurales défavorisées, dans ce cadre, les parties de jardins botaniques où il fait intervenir des ethnobotanistes se veulent d’abord des réserves pour sauvegarder la flore sauvage utile menacée avant de la diffuser dans des zones contrôlées. Il confère aussi à ces jardins dans les jardins botaniques une vocation pédagogique pour transmettre aux jeunes non seulement la connaissance de ces végétaux mais aussi les savoirs qui y sont attachés. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 26 26 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Nos collègues organisateurs de ce colloque ont écrit dans le texte d’intention, trop modestement, à propos de “jardin ethnobotanique”, « Les rédacteurs de la présente page introductive ne croient pas exemplaire leur expérience en vraie grandeur à Salagon (ou alors l’exemplarité fait la part, importante, des erreurs et des impasses) ; ils revendiquent encore moins la propriété de la discipline ; mais ils voient celle-ci trop souvent détournée, sinon en situation d’alibi mensonger, et pensent qu’une mise au point s’impose. » Pour ma part, et sans flagornerie, je considère que ces jardins que nous pouvons voir à Salagon, fruits d’une réflexion nourrie d’une longue pratique de terrain évoquée précédemment, associée à une non moins longue expérience de transmission des connaissances acquises, peuvent à juste titre former un cinquième type de jardin ethnobotanique. Si une chose concrète a l’inconvénient de pouvoir présenter des faiblesses ou des erreurs, précisément le fait d’être critiquable lui donne l’avantage d’inciter à la réflexion et au progrès. Dans un texte intitulé « L’ethnobotanique : une entrée simple au jardin savant », Pierre Lieutaghi retraçait en 1990, la genèse de ces jardins. Il en justifiait la nécessité, à côté des jardins botaniques classiques, par l’absence dans ces derniers de toute prise en compte de la dimension humaine du végétal, de toute notice quant aux noms vernaculaires et aux usages des plantes exposées, alors qu’on constatait un grand intérêt du public pour les informations de cet ordre. Je puise dans ce texte les trois éléments qui peuvent servir à définir à mes yeux le cadre minimal de ce que doit être un jardin ethnobotanique en France aujourd’hui. Il s’agit d’« une sorte de miroir des relations entre la société traditionnelle locale et son environnement botanique », ceci grâce aux données d’enquête et à une bonne connaissan- ce floristique de la région prise en compte. Considérant qu’un jardin ainsi défini ne fait qu’évoquer les relations entre plantes et sociétés humaines, sans montrer la réalité de ces rapports, le souci d’une action didactique plus précise a conduit à mettre en place des jardins à thèmes dans lesquels les plantes présentées focalisent l’intérêt du visiteur sur un aspect particulier, comme un usage (alimentation, parfumerie, teinture…), la flore « humanisée » de diverses régions du globe, ou encore de périodes de l’histoire. Enfin, tout jardin ethnobotanique ayant aussi une fonction pédagogique, il est indispensable d’y prévoir des visites commentées journalières, sinon une information écrite. Ces exigences fondamentales n’empêchent en rien que le jardin laisse apparaître clairement un souci esthétique chez ses concepteurs. À cet égard le Jardin médiéval de Salagon me semble une réussite particulièrement heureuse. Sans doute actuellement ce sont les deux dernières sortes de jardins citées qui restent d’actualité. D’une part, dans le cadre du développement durable pour des communautés villageoises aux économies traditionnelles fragilisées dans des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, ces jardins ont pour vocation de sauvegarder des ressources menacées en vue de les réintroduire dans des modes de production contrôlée tout en aidant à la transmission de savoirs effectivement utiles et utilisés dans les techniques d’exploitation de ces végétaux. D’autre part, dans le contexte économique européen et français en particulier, un jardin ethnobotanique est aujourd’hui d’abord un lieu de médiation caractérisé par la présentation de l’ensemble des végétaux « humanisés » – comme l’écrivaient Haudricourt et Hédin – d’une région, d’un moment de l’histoire ou encore un essai d’approfondissement de certaines pratiques particulières, avec le souci constant de communication et d’échange de Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 27 De l’ethnobotanique à ses jardins | 27 connaissances entre visiteurs et ethnobotanistes. Sans préjuger de leur potentiel dynamique, leur but est cependant d’abord la présentation de végétaux et la sauvegarde des savoirs qui y étaient et qui peuvent y être encore liés et qui, autrement, risqueraient d’être voués à l’oubli. Les exemples de réalisations de jardins qui sont présentés dans ce recueil illustrent bien la diversité des situations possibles qui certainement n’épuisent pas l’étendue d’un champ aux limites floues que peut révéler l’étiquette « jardin ethnobotanique » à qui a la curiosité de faire une recherche sur Internet. Un jardin ainsi qualifié peut simplement servir d’enseigne, sinon d’alibi pour promouvoir une entreprise commerciale proposant soins médicaux et stages d’initiation au chamanisme en Amazonie, par exemple. On peut aussi noter une certaine dérive due au souci fréquemment manifesté de présenter des plantes « anciennes » en insistant sur le fait qu’elles sont mises en culture dans des lieux chargés d’histoire ou d’anciens jardins. Si des espèces spontanées n’ont sans doute pas beaucoup évolué depuis quelques centaines d’années, il n’en est pas du tout de même pour les formes de végétaux cultivés qui peuvent être fort différentes de celles cultivées naguère malgré une dénomination identique. Néanmoins, dans l’ensemble, les jardins ainsi révélés, qui « mettent en avant les rapports hommes-plantes » nous semblent posséder les traits caractéristiques qui peuvent servir à définir un jardin ethnobotanique tel que cela a été mis en évidence précédemment. n Références bibliographiques Allain, Patrick, Barrau, Jacques. 1988. Guide de recherche documentaire n° 1. Ethnobotanique. Paris : Laboratoire d’Ethnobiologie-Biogéographie, 1988, 11 p. Bahuchet, Serge, Lizet, Bernadette. « L’ethnobotanique au Muséum national d’histoire naturelle. Les hommes, les idées, les structures », pp. 15-32, in : Pierre Lieutaghi, Danielle Musset et Rachel Reckinger (éd.), Plantes, sociétés, savoirs, symboles matériaux pour une ethnobotanique européenne. Actes du séminaire d’ethnobotanique de Salagon, premier volume, année 2001. Mane, Haute Provence : Les cahiers de Salagon, 2003, 184 p. Barrau, Jacques. 1976. « L’ethnobiologie », pp. 73-83, in : Robert Cresswell, Maurice Godelier (éd.), Outils d’enquête et d’analyse anthropologiques. Paris : François Maspéro. Barrau, Jacques. 1971. « L’ethnobotanique au carrefour des sciences naturelles et des sciences humaines ». Bulletin de la Société botanique de France, 118 : 237-248. Castetter, Edward F. 1944. « The domain of ethnobiology ». The American Naturalist, 78, 158-170. Ford, Richard I. 1978. « Ethnobotany : Historical Diversity and Synthesis », pp. 33-49, in : Ford, Richard I. (éd), The Nature and Status of Ethnobotany. 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Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 28 28 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique L’homme et les plantes cultivées. Paris : Métailié, 281 p. (1re éd. : 1943). Lévi-Strauss, Claude. La pensée sauvage. Paris : Plon, 1962, 395 p. Lieutaghi, Pierre. 1983. « L’ethnobotanique au péril du gazon ». Terrain, 1, 4-10. Lieutaghi, Pierre. 1991. « L’ethnobotanique : une entrée simple au jardin savant », pp. 83-90, in : Jardins botaniques et arboretums de demain : des outils pour l’étude et la protection de la diversité biologique. Paris : Publications du Bureau des Ressources Génétiques. Martin, Gary J. 1995. Ethnobotany. London-GlasgowWeinheim : Chapman & Hall, 268 p. Portères, Roland. 1961. « L’ethnobotanique : place, objet, méthode, philosophie ». Journal d’Agriculture Traditionnelle et de Botanique Appliquée (JATBA), 8 (45) : 102-109. Rousseau, Jacques. 1961. « Le champ de l’ethnobotanique ». JATBA, 8 (4-5) : 93-101. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 29 Penser un jardin ethnobotanique Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 31 Le Jardin d’un naturaliste et l’ethnobotanique au Muséum national d’histoire naturelle [Résumé de la communication] Conçu et réalisé au Jardin des Plantes de Paris en 1995, le Jardin d’un naturaliste inaugurait un principe de partenariat entre la Grande galerie de l’évolution du Muséum, le Service des cultures et divers laboratoires de recherche. Cinq ans plus tard, il était « démonté » et transplanté à Athis-Mons, dans l’Essonne. Il changeait alors d’identité (rebaptisé Jardin des amis de Paul Jovet) et de statut (il devenait associatif). Les journées de Salagon seront l’occasion de réfléchir à cette expérience professionnelle singulière et d’analyser l’histoire des deux jardins. Le premier allait de pair avec l’organisation d’un colloque dédié à l’œuvre du botaniste Paul Jovet, précurseur d’une démarche de reconnaissance de la flore ordinaire (végétation de la France, et plus particulièrement des milieux artificiels). Ce jardin-exposition était un Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon,septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 31-32 Bernadette Lizet CNRS / Muséum national d’histoire naturelle Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 32 32 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique exercice inédit de recherche ethnobotanique, combinant deux registres et deux postures : un hommage sous la forme d’un portrait du chercheur par l’évocation de son jardin de banlieue et une réflexion épistémologique sur l’œuvre de Paul Jovet et sur le métier de naturaliste au Muséum. La frontière entre ce qui relève de l’ethnobotanique et ce qui n’en relève pas sera plus précisément analysée par la comparaison entre les deux jardins. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 33 Penser un jardin sans frontières ? Questions autour du jardin ethnobotanique de Camargue À l’origine, il y a eu la volonté d’un homme : le directeur de l’association gestionnaire des Marais du Vigueirat, Jean-Laurent Lucchesi, amateur de jardins. Du diagnostic qu’il n’existe pas de jardin botanique en Camargue et de son souhait de diversifier l’offre touristique sur son site, il a porté l’idée d’y créer un jardin qui présenterait les plantes sauvages de Camargue et leurs usages. La volonté d’un homme est parfois largement suffisante pour faire aboutir un projet, surtout lorsque cette volonté est forte. Mais un projet ne se construit pas seul. Et une telle aventure n’a pas de valeur si elle n’est souhaitée, portée et alimentée par la population locale concernée. C’est ce dont avait conscience cet homme, bien implanté sur le territoire et convaincu de la relation forte entre protection de l’environnement, culture et développement local. Un autre acteur clé a été le Conservatoire du Littoral et des rivages lacustres, propriétaire du site des Marais du Vigueirat et organisme déjà Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon,septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 33-40 Sabine Rabourdin CPIE Rhône Pays d’Arles Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 34 34 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Nénuphar jaune (Nuphar luteum), plante ornementale, médicinale et protégée, présente en Camargue dans les canaux et roubines. Photo : AEEC/AMV. propriétaire de jardins prestigieux comme le Jardin du Royal ou le jardin de la Serre de la Madone à Menton. Un jardin au Marais du Vigueirat permettait de tisser un lien entre ces différents lieux. Un tel projet nécessite aussi des appuis. Il faut des subventions. Dans ce cas-là, il s’est agi d’un dispositif (FNADT) impliquant l’État, la Région, le Département, la ville d’Arles et le Conservatoire du Littoral. Mais cela n’était pas suffisant, et la Fondation Gaz de France a apporté sa pièce, ou plutôt ses pièces. Voilà divers acteurs réunis en un comité de pilotage, dont le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) Rhône Pays d’Arles a été le coordinateur. Voilà pour la genèse historique et factuelle. Mais on sait bien qu’un jardin est porteur d’affectif : les faits ne dépeignent pas ce qui s’est joué dans le contenu. Car il fallut définir un cahier des charges, donner un contenu au projet et y poser des contours, des limites : un jardin pour qui, pour quoi, sur qui, sur quoi ? Vocations La Camargue « est un triangle avec un rond au milieu, l’étang de Vaccarès : la Camargue sauvage. C’est une terre sur sable, formée par les alluvionsdu Rhône1. » Le cahier des charges pour recruter une équipe de paysagistes a été l’occasion de réfléchir sur le fond de la démarche. Bien sûr, le jardin doit avoir une vocation de préservation de la biodiversité. Les Marais du Vigueirat, vaste espace protégé en Camargue et future réserve nationale, ont pour première vocation celle-ci. Bien sûr, le jardin doit être de qualité, au point de vue botanique, esthétique et original, pour attirer les amateurs de jardins botaniques. Mais, pourquoi le besoin d’un caractère ethnobotanique ? Dans quel sens ce terme a-t-il été pensé ? Chaque acteur du projet avait sa vision du mot. Mais les réunions du comité de pilotage ont affiché un compromis clair : le jardin montrera des plantes utiles du Pays d’Arles (Crau, Camargue, Alpilles). Utiles, c’est-à-dire qui présentent un usage alimentaire, médicinal, artisanal, etc. L’orientation était donnée. Mais ce ne pouvait être si simple car un projet de qualité n’aurait pu se limiter à cet inventaire à la Prévert de plantes avec leurs utilités. Un jardin ethnobotanique ne peut être un seul inventaire d’usages et de recettes. La relation de l’homme au végétal n’est pas si cloisonnée. Lorsque le CPIE Rhône Pays d’Arles s’est vu confier la mission de coordonner le Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 35 Penser un jardin sans frontières ? | 35 Bottes (« manons ») de roseaux (Arundo phragmites), rebuts de récoltes de sagnes dans les roselières : celles-là sont destinés à servir d'isolation en extérieure aux habitations. Photo : AEEC/AMV. projet, il a souhaité répondre à la demande et dresser un inventaire de plantes utiles, avec leurs usages. Mais là ont surgi les premières difficultés, en quelque sorte salvatrices, car révélatrices de la richesse du projet. Le CPIE a ainsi jugé nécessaire de procéder à un premier état des lieux de l’existant en matière d’ethnobotanique du Pays d’Arles. Or là, néant. Ou presque. Certes il existe des ouvrages sur l’ethnobotanique méditerranéenne très bien documentés3, mais rien de spécifique à la Camargue, qui présente des milieux assez particuliers, à la Crau ou aux Alpilles, territoires constitutifs du Pays d’Arles. Le CPIE disposait de l’inventaire des plantes présentes sur le site des Marais du Vigueirat, fourni par l’association gestionnaire. Ce site naturel, situé à la frontière de la plaine de Crau et de la Camargue orientale, présente une richesse de plantes propres à ces deux milieux. À l’aide d’ouvrages d’ethnobotaniques plus généraux et d’un manuscrit du XIXe siècle répertoriant l’usage d’une centaine de plantes, il a été constitué une première base de données faisant joindre des noms de plantes et des types d’usage. Et c’est ainsi que la faiblesse de ce type d’approche « inventaire à la Prévert » est apparue distinctement. Il fallait procéder à des enquêtes pour explorer la spécificité de la Camargue, de ses plantes, ses milieux et son histoire humaine, en relation avec le végétal. Première difficulté : réconcilier naturalistes et ethnologues, en prouvant l’utilité de ces enquêtes. Autre difficulté : faire coïncider la commande avec la réalité du terrain. « Terrain », pris dans le sens concret : le lieu d’implantation du futur jardin. Celui-ci présente diverses particularités : milieu saumâtre, voire salé, nappe phréatique haute, soumis aux inondations et à la sécheresse, avec peu de relief. Et donc, un 1, 2. Extrait d’entretiens ethnobotaniques en Camargue et en Crau, CPIE Rhône Pays d’Arles, 2007. 3. On citera notamment Petite ethnobotanique méditerranéenne, Pierre Lieutaghi, éditions Actes Sud, 2005. Des difficultés salvatrices « En Camargue, il y a toujours quelque chose à gratter, on crèvera jamais de faim .» « Meurent de faim que les étrangers, ceux qui sont du pays ils meurent pas de faim2. » Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 36 36 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique terrain qui ne pouvait accueillir aisément des plantes venues de milieux aussi variés que la Crau, steppe aride mais non saumâtre, les Alpilles, zone rocheuse de garrigue, et la Camargue. Il a par exemple vite été décidé de ne pas présenter les plantes des Alpilles ni de la Crau sèche, donc de se « limiter » à la Camargue et à la Crau humide. Mêler les contraintes de la fabrication du jardin à celles de la constitution des savoirs présentés, tel est en fait devenu le véritable enjeu du projet à ce stade. Ce qui a permis de partir sur de nouvelles problématiques. De nouvelles problématiques En Camargue « une plante est utile si les taureaux ou les chevaux la mangent ou bien si elle est jolie4. » Parle-t-on des plantes ou bien parle-t-on des hommes ? Dans quel but recueillir ces savoirs ? Fait-on de la recherche ou bien fait-on un jardin ? Un jardin touristique ou un jardin pédagogique ? Avant de pouvoir répondre à ces questions, il fallait savoir si la connaissance des plantes sur le pays d’Arles était suffisamment riche pour faire l’objet d’un jardin ou si le jardin devait simplement illustrer des usages classiques de l’ethnobotanique française. Une première enquêtrice, Camille, issue de la psychologie de l’environnement a été envoyée en éclaireuse. Une mission peu définie mais un objectif précis : faire quelques enquêtes préliminaires. Elle rencontre d’abord des informateurs, qui ont vécu ou vivent encore à proximité des Marais du Vigueirat. Douze entretiens plus tard, Camille fournit des informations qui permettent de prendre conscience d’un nouvel aspect : la Camargue est peuplée d’hommes et de femmes qui ne sont pas camarguais ! Du moins, d’origine. Ils ne sont là que depuis peu de générations, 1 ou 2, 3 peut-être. Car la Camargue n’est véritablement peuplée que depuis la fin du XIXe siècle. De plus, ceux qui constituent aujourd’hui majoritairement la Camargue ont des cultures propres, variées et parfois lointaines : Grecs et Arméniens venus travailler aux Salins dans les années cinquante, Gitans des Saintes-Maries, Harkis venus d’Algérie après la guerre, Laotiens, naturalistes venus de partout en France et en Europe depuis une vingtaine d’années, et même peut-être des Indiens d’Amérique qui se seraient installés il y a deux siècles. Sans oublier bien sûr les « Provençaux », porteurs de la tradition provençale du mouvement du Félibrige ou de la nation gardiane, et les bergers qui ont quitté les Alpes ou les Cévennes pour la Camargue ou la Crau. C’est justement ce qui fera la richesse de notre jardin, ce mélange de savoirs. La Camargue réunit ces peuples autour de ses milieux et c’est ce qui la constitue ; le jardin doit réunir ces savoirs autour des plantes de Camargue. Quand l’ethnobotanique donne du sens La Camargue, « c’est les grands mas, avec les cyprès et les pins autour… C’est les rizières, les enganes, le plat et le mistral5. » La relation au végétal en Camargue est apparue comme un révélateur de cultures autour d’un territoire constituant une société dans sa diversité. La richesse du jardin sera d’être à la jonction entre les sciences naturelles et les sciences humaines. Sa base sera fermement naturelle, puisque située dans un espace naturel à vocation de préservation, 4, 5, 6, 7. Extrait d’entretiens ethnobotaniques en Camargue et en Crau, CPIE Rhône Pays d’Arles, 2007. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 37 Penser un jardin sans frontières ? | 37 et les acteurs principaux du projet sont des naturalistes, ou en tout cas des personnes issues des sciences de la vie. Mais la façon de décrire la plante, de la reconnaître, de l’utiliser, sa fonction dans le système local d’échange et de transmissions est à percevoir sous l’angle des sciences humaines, qui se basent plus sur le qualitatif que sur le quantitatif ! C’est en ce sens un jardin ethno-botanique et non socio-botanique : on ne fera guère de statistiques sur les informateurs, même si leur origine ou professions sont à prendre en compte. Mais avec quels contours, quelles limites ? La Camargue « c’est sauvage : c’est le sud de l’Espagne, c’est le nord de la Tunisie. » « Y’a la mer, y’a les chevaux, y’a les taureaux 6. » Se passer de statistiques n’est pas pour éviter les difficultés, loin de là ! La principale d’entre elles étant de définir les limites, les contours. Contour géographique du lieu à représenter : la Camargue, oui mais laquelle ? La Camargue orientale, deltaïque ? Limite entre plante sauvage et plante cultivée, puisqu’il s’agit d’un jardin de plantes sauvages. L’exemple des rudérales, comme l’ortie qui pousse de manière sauvage mais en des lieux anthropisés, est significatif. Qu’estce qu’une plante sauvage ? Il est fascinant de constater les débats auxquels cette simple question aboutit ! Au final, la définition choisie sera celle-ci : une plante sauvage pousse dans un milieu sauvage et n’a pas besoin de l’homme pour y venir. Limite, encore, entre plantes camarguaises ou plantes importées. Depuis combien d’année d’implantation en Camargue, une plante peutelle est reconnue comme camarguaise ? Puisqu’il s’agit d’un jardin des plantes camar- guaises. Doit-on se cloisonner à la date de 1492, habituellement choisie pour définir la limite temporelle d’endémisme d’une plante ? La réponse ne sera pas donnée. Dans le doute, on acceptera toute plante ! Sans discrimination. Limite encore (ou contour) entre savoir et usage camarguais ou savoir extérieur… Il est là trop difficile d’établir une frontière. Interface entre ethnologie et botanique : choisit-on de porter notre analyse (et de faire passer des informations aux visiteurs) sur le rôle symbolique du végétal dans la société ou sur les étonnantes curiosités botaniques des plantes ? Doit-on exclure de présenter les aspects purement botaniques d’une plante sous prétexte que le jardin est « ethnobotanique » ? Doit-on aussi, dans le même ordre d’idée, se positionner comme un projet de recherche qui aboutit à un jardin ou comme un jardin qui nécessite quelques recherches ? Interface entre recherche et application. Résultats d’enquêtes Au final, 30 enquêtes ont été effectuées auprès de 38 partenaires d’enquêtes, ou informateurs, par deux autres enquêtrices, Marie et Louise. D’autres rencontres auprès de personnes ressources (naturalistes, botanistes, historiens, sociologues, ethnobotanistes amateurs etc.) ont enrichi ces données. De cela a découlé un tableau recensant les plantes et leurs usages. Mais d’autres données portant sur la perception du milieu camarguais par les habitants, portant sur la perception du végétal dans ce milieu ne peuvent figurer dans un tableau. Au maître d’ouvrage du jardin de décider comment valoriser ces données « perceptives ». Ce pourra être par des retranscriptions audio, par des sélections d’écrits, par une scénographie évocatrice. Et ce pourra ne pas apparaître du tout. Le choix reste à faire. Les données ont permis de recenser 300 plantes Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 38 38 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique dont 160 qui poussent dans les milieux sauvages retenus (Camargue et Crau humide) et dont un usage ou une histoire particulière a été cité par un informateur local. Mettre en scène le jardin En Camargue « il faut aimer la tranquillité, la solitude, la nature, les moustiques, mais ça heureusement qu’on les a, ça retient le monde ». Comment montrer les 160 plantes citées dans les enquêtes et les faire parler ? Une plante ne parle pas, dommage. Comment les mettre en scène de manière esthétique, cohérente et pédagogique. La proposition paysagère des paysagistes sélectionnés sur ce projet (ALEP, Gilles Clément et François Macquart-Moulin) est de représenter les différents milieux emblématiques de Camargue et de Crau humide et d’extraire de ces milieux quelques placettes mises en valeur au sein desquelles apparaîtront des plantes « élues ». Les plantes élues seront celles qui auront quelque chose à raconter dans le domaine ethnobotanique, de particulièrement « croustillant ». Une liste de plantes élues a été programmée pour les vingt prochaines années, avec leurs thématiques d’usages. L’ethnobotanique ne rentre en scène qu’avec les placettes et leurs plantes élues. Par exemple, le milieu appelé « prés salés et sansouires », sera créé à partir de la présence d’une trentaine de plantes emblématiques de ce milieu (au point de vue botanique) ; et dans les placettes, on aura une dizaine de possibilités de plantes élues (ex : la soude, Suaeda vera, utilisée historiquement dans la fabrication du verre et du savon). Mais les dix plantes élues d’un milieu ne peuvent toutes apparaître ensemble sur une placette, car pour certains milieux, elles se comptent par dizaines. D’où la nécessité d’en choisir deux ou trois par placette. L’idée a été proposée de faire tourner chaque année, les plantes élues, de manière à apporter du dynamisme au jardin, en faisant varier les thématiques (année des plantes tinctoriales, année des plantes à boire, etc.). Cette idée attrayante sera difficile à mettre en œuvre compte tenu du fait que certains milieux présentent des lacunes au niveau de certains usages (exemple: le milieu «canaux d’eau courante» ne présente pas de plante sur l’usage «magique», ou l’usage « beauté »). Il faudra peut-être alors se contenter de faire varier les plantes élues, sans s’appuyer sur des thématiques. Pour l’entretien du jardin, sur la durée, une équipe en réinsertion, encadrée par un jardinier est prévue. Il faudra peut-être aussi inviter quelques chevaux à la pâture pour reconstituer des conditions favorables à certaines plantes ! Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 39 Penser un jardin sans frontières ? | 39 De gauche à droite. Vue sur le lieu d'implantation du futur jardin (joncs, sansouire, saladelles,..) : les milieux ou les plantes existants seront préservés autant que possible. Photo : AEEC/AMV. Vue sur l'emplacement du jardin, avec, au fond, une ancienne bergerie dotée d'un panneau solaire. L'ensemble du site des Marais du Vigueirat est entrée dans une démarche écoresponsable. Le jardin cherchera aussi à limiter son impact écologique. Photo : AEEC/AMV. Vue sur un canal riche en carex (Carex riparia), aux Marais du Vigueirat. Photo : François Macquart-Moulin. Entre scénographie et pédagogie « Les plantes ici c’est difficile, le mistral arrache tout et le soleil brûle le reste… » À l’heure où ces lignes s’écrivent, le jardin de Camargue et de Crau est encore en phase d’esquisse. Il reste de nombreux choix à faire. Les milieux ont été délimités et décrits. Ils s’implanteront en des endroits du terrain alloué de manière à transformer le moins possible ce terrain et à en utiliser avec avantage les milieux existants. Ce terrain consiste en un hectare environ de terre situé à proximité d’une ancienne bergerie, où l’on trouve, poussant de manière sauvage des plantes caractéristiques de certains milieux : Saladelle (Limonium narbonense), Jonc glauque (Juncus glaucus), ripisylve, etc. Il s’agit de conserver ces plantes et ces milieux au maximum. L’ajout de terre pour créer un dénivelé permettra de créer des degrés de salinités variables grâce à un écoulement d’eau douce gravitaire. La grande difficulté botanique de ce jardin a été de définir des milieux caractéristiques avec leurs frontières : comment délimiter un milieu, quelles plantes sont emblématiques de ce milieu, quelles en sont les caractéristiques pédologiques. Car dans la nature, les frontières ne sont pas toujours nettes. De plus, ces milieux doivent représenter un ensemble délimité et esthétique pour les visiteurs. Ceci fait, l’autre difficulté va être de recréer ces milieux ! Vouloir reproduire un milieu sauvage dans un endroit cultivé et anthropisé n’est pas simple. Faire un jardin naturel en Camargue n’a rien de naturel ! D’où le défi. Enfin, il faudra choisir le support pédagogique de diffusion de l’information. Le site s’affiche comme anti-panneau primaire et le revendique. La stratégie de communication repose sur des interpellations sensitives cherchant à poser des questions au visiteur en lui donnant les moyens de trouver la réponse. Dans le jardin, il faudra donc être inventif et se passer des étiquettes ! Les réponses sont multiples, mais il s’agit de trouver celle qui s’harmonise le plus avec le site et le projet. Quels messages ? « Je garde un très bon souvenir du marécage, mais j’ai dû y partir car on en vivait plus ; pendant la guerre, les plantes servaient à tout, maintenant ça s’est perdu 7. » Quels messages pédagogiques faire ensuite passer ? En dehors du contenu, il y a le ton. Diffuser des messages de manière engagée, défendant la protection des espèces locales Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 40 40 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique face aux invasives, défendant l’indépendance des jardiniers face aux firmes de pesticides, d’engrais et de semences ? Ou bien rester dans l’objectivité des données. Là aussi apparaît une interface : entre science et engagement. Le choix sera alors de proposer au visiteur de porter un autre regard sur la nature, dans l’objectif de la préserver. Il est important aussi de distinguer les différences d’ordres de savoirs. Il existe des savoirs oraux transmis de personnes à personnes. Il y a les savoirs transmis par les livres. Quelle valeur accorder aux uns ou aux autres ? Où se place la transmission de savoir dans un jardin ethnobotanique : au niveau oral ou écrit ? Entre les deux sûrement, surtout lorsque les sources de données proviennent d’un recueil à la fois oral et bibliographique ! Et il y a aussi une autre dichotomie de savoirs : ceux que l’on dit « populaires » et ceux que l’on dit « savants ». Peu importe que « la vesce noire (Vicia sativa) [soit véritablement] bonne pour les brebis à condition que celles-ci ne soient pas à jeun (sinon, elles gonflent et meurent) » ? L’important est-il que quelqu’un le croit et qu’il y ait une cause à cette croyance (que ce soit un fait avéré ou non) ? Cela nous parle en effet de l’histoire locale et de bien d’autres choses. Mais comment transmettre cette connaissance qui n’a pas valeur de savoir absolu ? Il y a enfin les savoirs anciens (la teinture de réséda des teinturiers, Reseda luteola L.) et les savoirs nouveaux (les jeunes pousses de roseau en gratin, ou la salicorne au chocolat). Ceux-là nous rappellent que l’ethnobotanique est une science d’aujourd’hui, qui retrouve de la valeur au passé pour imaginer demain. Quand le jardin sera là Avant que le jardin ne soit là, il reste à savoir s’il y aura un ou deux jardins. Car il se pourrait que vienne s’adjoindre au jardin sauvage, un jardin des plantes cultivées où seraient présentées les plantes que les gens ont emmenées avec eux en s’installant en Camargue. Le « jardin cultivé » reproduira des jardins où poussent des plantes importées ou locales mais utilisées spécifiquement par une population. Apparaît alors une nouvelle interface à trouver : depuis quand et à partir de combien de personnes, une population estelle considérée comme « constitutrice » de la Camargue ? Grecs, arméniens, oui. Mais anglais, naturalistes ? Toutes ces questions sur les limites sont les bienvenues, car elles nous poussent à nous interroger sur les limites de notre projet et le rendent plus fort, plus pertinent, plus cohérent. Et puis, quand le jardin sera là, il recommencera à nous interroger, mais peut-être nous donnera-il alors lui-même les réponses. Car le lieu sur lequel il est établi subira naturellement les mouvements des saisons, celui de l’eau et du sel qui montent ou s’effacent. Des plantes s’établiront, se disperseront quand d’autres s’éclipseront. Alors, il faudra sûrement laisser faire si l’on veut garder ce côté sauvage qui fait la Camargue et suivre l’impulsion des vagabondes, chères à Gilles Clément. Il faudra peut-être encore inventer de nouvelles limites, de nouveaux contours, ou au contraire, les dissoudre. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 41 Penser un jardin botanique au fil des usages : Le projet du Jardin des cultures guyanaises, une interface expressive entre traditions vécues et prospection scientifique* « Penser un jardin botanique » : tel était l’un des thèmes du colloque de Salagon. Cette formulation, qui se pose presque comme un appel et une revendication, nous invite à voir tout jardin non comme un produit fini ou comme résultat d’une activité empirique, mais comme projet qui s’enracine et germe d’abord dans l’imaginaire, la recherche et la motivation de ceux qui se réunissent autour d’un même désir de lieu. C’est donc naturellement d’un jardin encore en projet, donc encore dans la liberté du débat et de la création à venir, que nous allons décrire les motivations, les buts, les problèmes et les solutions qui se posent. Ceux qui veulent donner du sens à un lieu savent bien qu’avant de penser à jardiner, il faut toujours jardiner la pensée elle-même, prendre le risque d’un écart préalable avec le réel, quitte à n’y jamais revenir tout à fait. Nous espérons que chacun des lecteurs qui œuvrent patiemment, en jardiniers vigilants, à un projet humain ou végétal semblable, pourra y reconnaître ses préoccupations, en partager les apprentissages, y trouver source d’encouragement ou de réflexion. Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 41-59 Charles Ronzani * Le projet Jardins des Cultures a été mené sous la direction scientifique de Laurence Pascal, maître de conférences à l’université de Montpellier 2, avec la coopération de Didier Bouillon. L’équipe des étudiants était composée de : Marie Dherbomez, Franck Coudray, Céline Serrano, Renaud Favier, Claire-Marie Bomard. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 42 42 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique I. Métamorphose d’une commande en pensée de projet Présentation des origines et motivations de départ Figure 1 (en haut). Les demandes de la commande. Figure 2 (en bas). Cueillette de cacao dans l’Approuague. Dans le cadre du nouveau Pôle universitaire Guyanais de Cayenne, qui doit marquer le développement d’un enseignement scientifique local dédié à l’écologie du milieu forestier, une place a été laissée pour la réalisation d’un jardin à vocation botanique et pédagogique, à l’entrée du futur campus de TrouBiran. Laurence Pascal, maître de conférence à l’université de Montpellier 2 et directrice scientifique du projet, a fait appel à des étudiants pour l’aider à élaborer ce nouveau jardin et donner corps aux intentions de départ. Avec ses seuls objectifs et attentes de départ, la conception du Jardin des Cultures opère dans un champ aux pôles multiples, conflictuels et parfois contradictoires. Quels sont ces besoins ? Ceux du site, alliés à ceux de ses acteurs : l’ensemble forme un quadrilatère disciplinaire dont le premier pôle est la recherche scientifique, le second la médiation culturelle, le troisième l’enjeu d’un cadre de vie agréable et utile, le quatrième un rôle de communication et de visibilité publique et commerciale. En ce qui concerne l’aspect de recherche, les deux modes du savoir que sont les sciences exactes et les sciences humaines se croisent, avec l’écologie, la botanique d’une part, l’ethnologie, la linguistique d’autre part. Nous laissons chacun libre de juger si un tel dialogue forme une ethnobotanique ou non, mais nous insisterons sur la double déclinaison de chacune de ces sciences entre besoins de recherche et besoins d’enseignement à destination des étudiants du futur campus. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 43 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 43 En ce qui concerne ensuite l’aspect de médiation, c’est aussi une rencontre de savoir-faire parfois opposés entre eux aux yeux de l’opinion qui de fait est imposée : le jardin devant concerner des plantes utiles et utilisées par les hommes, il y a indéniablement une dimension muséographique à intégrer, avec les exigences de scénographie que cela implique. De même, l’aspect de cadre de vie, propre peut-être à l’urbanisme et au paysagisme, est une dimension capitale trop souvent éludée : le spectateur le plus exposé à ce site, c’est d’abord l’habitant – ici l’étudiant – qui traverse et contemple au quotidien cet espace jouant le rôle de seuil et d'entrée du futur campus. Ses besoins sont ceux de tout usager : d’une fausse simplicité, en réalité toujours complexes car ce sont eux et leurs supports d’aménagements qui tissent les postures et les relations sociales de tous les jours. Enfin, il ne faudrait surtout pas oublier la dimension, en partie implicite, qui s’attache toujours à un aménagement public, c’est celle de l’image et des messages que constituera de fait le futur jardin. De façon plus anticipée, il s’agit aussi de faire une tête de pont du milieu, du paysage, des cultures et des filières économiques de la Guyane à destination d’un public local ou d’un tourisme mal informé. Ce faisceau d’aspects et d’objectifs dans la demande d’un jardin ethnobotanique nouveau à Cayenne se résume bien plus facilement par un schéma, qu’on a reproduit à la [figure 1]. Difficultés d’une demande plurielle et vertus d’une équipe pluridisciplinaire En accord avec l’esprit de la demande, et avec celui d’un pays de la variété comme la Guyane, la directrice scientifique du projet, Laurence Pascal, maître de conférence à l’université Montpellier 2, a souhaité dès le début ne pas enfermer la conception du jardin dans une seule discipline académique et dans le regard risqué d’une seule méthode, les objets et les aspects multiples du jardin dépassant d’emblée les compétences d’une seule personne ou d’un groupe de recherche mono-disciplinaire et forcément monopolisant. Aussi, plutôt que le recours à des corps de connaissance et de métiers a priori « rodés », à ces chaînes opératoires et à ces circuits de compétences qu’on préjuge souvent incontournables pour ce type de projets (commande d’expertises, appel d’offres à des professionnels de la médiation, de l’aménagement, etc.), c’est le pari du travail avec les étudiants de différentes origines et formations qui a été retenu, avec la nécessaire ouverture de débat que cela suppose, pour peu que ne s’établisse pas un rapport de domination maître-élève univalent. C’est précisément la forme de stages de terrain voués à l’action autant qu’à l’étude, à la production de savoirs autant qu’à la conception, bien au-delà de la seule observation passive, qui a été retenue. Un des avantages de cette approche, et non des moindres, aura été de pouvoir utiliser des énergies libérées des enjeux et des tactiques financières, libérées des plans de carrière, et peut-être porteuses d’innovation hors des usages sédimentés et enrégimentés par un monde professionnel qui ne s’est jamais confronté à un projet si polyvalent. [Figure 2.] Voici alors le partage des tâches qui a été fait, le découpage s’étant d’abord surtout fait relativement aux objets et aux champs d’études que pose le jardin : — Échantillonner et tester les vertus tinctoriales des végétaux au plan des caractéristiques et des processus chimiques, sur la base de 35 espèces connues, 25 utilisées traditionnellement, et d’autres colorants inconnus et supposés se trouver dans certaines espèces déjà utilisées ou reconnues. La tâche a été Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 44 44 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique confiée à Marie Dherbomez, étudiante en master « biotraçabilité, biodétection, biodiversité » à Montpellier 2. — Anticiper les débouchés d’application possibles de tels végétaux, en constituant les connaissances en base de données afin de poser les premières pierres requises pour édifier des filières artisanales ou industrielles (Franck Coudray, master « Ingénierie, écologie et gestion de la biodiversité » à Montpellier 2). — Recenser les végétaux odoriférants déjà utilisés traditionnellement, inutilisés mais utilisables sous des formes nouvelles (Céline Serrano, master « biotraçabilité, biodétection, biodiversité » à Montpellier 2). — Faire le bilan sur la culture et la production du cacaoyer en Guyane, et approfondir l’exploration d’un usage possible inédit du cacaoyer guyanais, très mal connu, et potentiellement riche mais non utilisé à ce jour1. (Renaud Favier, licence professionnelle « Arômes, parfums et cosmétiques », Montpellier 2). — Recenser les végétaux servant d’épices et de condiments, là encore tant traditionnellement que virtuellement. L’ensemble de ces tâches a été confié à des étudiants scientifiques, pour la plupart de niveau master, issus de formations professionnelles, ce qui – point important – suppose avantages et défauts par rapport au regard spécialisé du botaniste : écologie ou chimie permettent d’aborder le végétal par deux échelles encadrantes, celle du milieu et celle de la physiologie. En revanche, la reconnaissance et les procédés de conservation propres à la connaissance botaniste demandaient un suivi qui fut précisément l’apport d’enseigne- ment du stage auprès des jeunes scientifiques. Aussi, la coopération de l’Herbier de Cayenne (organisme de l’Institut de recherche pour le développement, IRD), ainsi que la visite sur le terrain de botanistes réputés ont permis d’équilibrer la rigueur de l’approche, sans oblitérer l’ouverture des regards. 1. Théobroma cacao, variété « forastera o. amazonia », dont l’origine de la spécificité morpho-géographique reste obscure, les hypothèses oscillant entre une forme américaine originelle du cacaoyer ou une adaptation à partir des plants de culture ancienne importés par les occidentaux, les jésuites notamment. L’optique du paysage, regard généraliste médiateur des spécialités scientifiques Il n’y a pas que l’évidente pluralité des regards spécialisés à souligner dans cette opération. En effet, le jardin, comme tout jardin, est forcément aussi, on pourrait même dire « d’abord », un aménagement dans l’espace et un objet de médiation des savoirs, donné en spectacle à la sensibilité variée d’un public candide. Cette dimension a justifié le recours au regard transversal du paysagiste, avec notre adjonction comme stagiaire de l’École nationale supérieure du paysage de Versailles (ENSP). L’aspect ethnologique nécessaire au jardin y a été associé en quelque sorte « à la source », puisque c’est au double titre de paysagiste et d’étudiant en sciences humaines appliquées au paysage que nous avons été appelés. La coopération de l’ethnologue Didier Bouillon, professeur à l’École du paysage, a quant à elle garanti un appui fiable et une ouverture vers la profession. Sur le paysage, il y a lieu d’éclaircir tout de suite en quelques mots les malentendus qui ne manquent jamais de venir couvrir ce terme ambigu. C’est sous cet angle-là que l’ethnobotanique nous paraît intéressée quant aux réflexions et formes concernant la façon dont elle se montre au public à travers des lieux à mettre en scène. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 45 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 45 On se contentera de présenter ce nouvel objet théorique et pratique des temps présents en renvoyant à la Convention européenne du paysage de Florence, à savoir la relation entre les hommes et l’espace, prise dans son aspect avant tout sensible, à la différence de l’approche géographique2. Par-delà le beau spectacle visuel de l’étendue d’un « pays » donnée à voir pour le promeneur, le touriste, le photographe ou le peintre, le paysage et son paysagisme trouvent leur matière dans tout ce que l’espace présente d’indéfini et de relatif, aspects propres à la perception humaine. Un paysage n’est donc jamais réductible au spectacle esthétique d’un tableau, car il est riche de l’infinité d’aspects perceptifs propres à la réalité, et par ailleurs, jamais réductible au support physique inerte plus ou moins modelé, d’une activité humaine qui s’y surajouterait. Dépassant les délimitations fonctionnelles des entités de l’écologue, ou les frontières que découpent administrations et cartographes, clôtures et axes de transports, il est à la fois la somme de tout ce qu’on peut percevoir à un moment donné en un lieu donné, et de tout ce qu’on a pu parcourir, mémoriser, rêver ou imaginer à travers les lieux. Le paysage est, pour reprendre l’expression du poète ermite Thoreau, l’effet et le reflet de ce qui se passe au-dedans de nous3. Le paysage n’est donc pas un objet, au sens où la science a des objets d’études mesurables, mais il est une relation à étudier et à réorganiser. C’est pourquoi il participe plutôt des sciences humaines, ainsi qu’en une tentative pour leur donner une traduction concrète dans les productions sociales nouvelles. Que sera alors le paysagiste ? Il sera un aménageur d’un type spécial, qui a pour charge d’organiser le point de rencontre entre l’espace physique réel, fabriqué ou non par l’homme, et ses représentations sociales ou ses usages. Il doit prioritairement faire passer le perçu du spectateur et le sens que le lieu possède à ses yeux, avant d’envisager les contraintes techniques. Il doit travailler les éléments qui donnent au pays existant sa continuité : les formes du sol, les vues vers les ciels du lointain, les horizons et silhouettes qui s’y découpent, et, bien sûr, les végétaux et leurs formations, dont la continuité est évidente quant à la forêt, ou discrète mais néanmoins souvent présente à travers les quadrillages fragmentaires des trames urbaines. 2. « Paysage » désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et / ou humains et de leurs interrelations ». Convention Européenne du Paysage, Article 1a, Conseil de l’Europe, Florence, 2000. 3. Voir H. D Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Gallimard, Paris 2002. Certes, aux yeux de tous, l’entrée paysagère appliquée au jardin va de soi, elle continue après tout la grande tradition des jardiniers et jardinistes, celle d’un Le Nôtre maître de l’orientation cadrée des regards à Versailles aussi bien que celle d’un Gilles Clément jouant le jeu de la friche et du hasard dans les jardins en mouvement. En revanche, l’entrée paysagère appliquée à un jardin botanique, ou à un objet de médiation scientifique, peut paraître obscure, voire illégitime. Sa grande force, à notre sens, est précisément de ne pas être une discipline de plus, avec sa méthode et son regard propre, de ne pas s’insérer dans un faisceau de méthodes réunies autour du jardin, ne pas être un champ de connaissance ou de savoir-faire parmi Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 46 46 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Figure 3. Route de Saint-Georges de l’Oyapocke, lisière coupée récemment. Forum in situ avec Daniel Barthélémy. Figure 4. Le rôle de la verticalité en forêt et son transfert au jeu des points de vue pour le visiteur. d’autres, mais d’offrir justement un champ transversal à tous les autres. Attention, qu’on nous comprenne bien : transversal ne veut pas dire surplombant ou dominant. Le paysage, ce sont les choses prises toutes ensemble dans leur expression spatiale, et par-là, son terrain naturel est la transversalité ou, autre terme pour qualifier la continuité, la « médiation »4. Aussi, le paysagiste ne peut alors que se poser comme médiateur, et ce en un double sens : médiateur entre les regards spécialisés des différentes connaissances mises en œuvre ici, et transcripteur des savoirs théoriques en configuration spatiale qu’ils peuvent avoir à prendre dans un jardin. Loin d’être une étude de laboratoire, ou une conception de jardin sur table en cabinet, la première phase, l’étude « préalable » fut une confrontation directe avec la forêt. Ce qui nous intéresse quant à la question de savoir ce que penser un jardin ethnobotanique veut dire, c’est la façon dont l’accompagnement, puis le véritable compagnonnage, entre paysagiste et scientifiques sur le terrain, ont pu d’emblée fournir des résultats avant même l’heure des résultats. Pour les scientifiques, il y avait lieu de réaliser une campagne de collecte des échantillons de végétaux a priori intéressants pour la prospection de plantes utiles et la médiation culturelle du futur jardin. Viendrait ensuite une phase d’analyses en laboratoire (pour les parfums) éventuellement doublée d’expérimentations (pour les teintures). Nul ne songerait à remettre en question la légitimité d’une telle démarche. On aurait pu envisager le travail d’observation paysagère de la même manière, en séparant observation et relevés préalables, puis conception. Mais dès la première phase, il s’est avéré que les phases de conception du jardin n’avaient pas lieu d’être distinguées réellement, si on entend ici, comme nous, « conception » au sens large de la récolte des principes de configuration spatiale du jardin, et non au sens étroit de la résolution technique au cas par cas de ses différents éléments. 4. cf. Augustin Berque, Le Sauvage et l’artifice, Gallimard 1986. Sur les médiations subjectives entre homme et milieu, qui poussent à définir le paysage selon le néologisme de « médiance ». En chemin avec les scientifiques : quand arpenter, c’est déjà penser Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 47 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 47 En paysagiste, nous avons accompagné des missions scientifiques dont nous ne comprenions pas tout. Un tel stage de groupe, livré à l’imprégnation d’un milieu radicalement étrange et étranger, doublé de l’intervention sur place de spécialistes extérieurs, comme Daniel Barthélémy5, a donné lieu à la constitution de schémas problématiques et de schémas de résolution de certains problèmes : le travail de collecte et de découverte sur le terrain a pu alors se mettre à fonctionner comme un forum in situ apte à emmagasiner des principes de disposition spatiale pour le jardin. Voici un exemple parlant de ce processus. Nous avions à faire une excursion de cueillette sur une « savane roche », ces quasi-insulis botaniques secs qui se développent sur les éminences granitiques émergeant de la forêt guyanaise, riches en plantes grasses odoriférantes. Nous devions rejoindre le lieu-dit de la Savane Virginie, lieu pas trop inaccessible et assez préservé, à quelques heures de marche en forêt depuis la route reliant le bourg de Régina à la ville frontalière de Saint-Georges de l’Oyapock, près du Brésil au sud de la Guyane. Cette route est le dernier segment de la Transamazonienne au nord du continent. Son tracé, d’abord repéré par les légionnaires, a été défriché, nivelé et minéralisé il y a seulement deux ou trois ans. L’ouverture récente de la route dans la forêt a laissé pour l’instant une lisière qui n’est pas une lisière : à l’exception des cécropias (ou « bois canons ») arbres pionniers, le profil de lisière n’est pas (pas encore) une pleine zone de transition floristique comme c’est souvent le cas au vrai sens du terme « lisière ». Ce qui a d’emblée interpellé le botaniste, c’est que la lisière de cette route, à certains endroits, donne en fait à voir pour un temps l’équivalent réel in situ d’un transect théorique fait en pleine forêt, de ceux qu’on construit seulement sur le papier après un relevé floristique. [Figure 3.] Cet aspect des choses a fourni un point de rencontre des méthodes, des outils et des regards entre scientifiques et paysagistes. En effet, cela rejoint le rôle que tient cette représentation graphique qu’on appelle « coupeélévation » pour la profession. 5. Daniel Barthélémy, Équipe « Architecture et développement des plantes », INRA, directeur de l’unité mixte de recherche Botanique et bioinformatique de l’architecture des plantes (AMAP). Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 48 48 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Qu’est-ce qu’une coupe ? Bien souvent un outil de découpage du réel, au même titre que le scanner du médecin, le verre du microscope, pour prélever ce qui sera porté à la vue du spécialiste, à partir d’une structure complexe inaccessible dans sa totalité à un regard profane dépourvu d’outil. Elle simplifie et révèle une organisation. Ab-straire signifie découper 6, aussi, le spectacle d’une coupe dessinée, photographiée ou observée peut bel et bien jouer le rôle d’une incarnation sensible du fait d’abstraire. Ne rejoint-on pas là un problème fondamental de toute médiation culturelle, comme de toute la muséographie, avec ses débats sur le rôle des vitrines7 ? Qu’est-ce en effet qu’une vitrine, sinon une découpe pédagogique dans un objet (musée d’anatomie), dans un milieu (diorama), dans une construction (terrarium à fourmis, maquettes en écorché) ? C’est une surface en deux dimensions qui s’interpose entre le spectateur et l’objet, à la fois vecteur du message scientifique et filtre interprétatif support de texte, d’éclairage paramétré porteur de sens. De là un questionnement sérieux et capital pour le projet d’un jardin ethnobotanique : de quelles sortes de vitrines dispose un jardin, et que coupe la vitre de ses vitrines, quelle configuration des composantes vivantes d’un jardin (arbres, allées) joue le jeu de la coupe, de la découpe pédagogique, de la vitrine ? Peu de milieux se prêtent avec autant de légitimité à cette démarche de la coupe que la forêt, qui plus est cette forêt géante des zones 6. A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1996 7. Pour qui voudrait approfondir le débat, on renvoie au numéro 95 de la Lettre de l’OCIM (Office de coopération et d’information sur les musées), septembre 2004, consacré à l’esthétique dans les musées de science. tropicales, qui voit en tout lieu sa biodiversité se déployer essentiellement dans la dimension de la verticalité, selon un gradient vertical précis où s’étagent les nombreuses strates de philodendrons et épiphytes divers, en fonction des intensités d’éclairage et du taux d’humidité. [Figure 4, p. 47.] Aussi, tout le monde partagea l’idée que le futur jardin devrait s’appuyer sur l’idée encore floue de verticalité dévoilée et visible. C’est donc sur le contexte du regard sur le terrain et sur la façon dont il a pu orienter un choix de principe pour le jardin en projet, que nous voulons insister ici, en contre-pied de la posture traditionnelle du « bureau » d’étude en aménagement, enfermé et climatisé, comme pour confirmer cette maxime de Nietzsche clamant que « seules les idées qu’on a en marchant valent quelque chose »8. Retour au jardin munis de principes forts : grilles de lecture et grilles de promenade. Cette attention prêtée à la verticalité découpée et montrée renvoie dès lors à une contrainte majeure de l’implantation du jardin dans son site du futur campus de Cayenne : la nécessité de se plier à la très faible surface (5 000 m2) et à la forme tout en longueur de la parcelle, en position vulnérable de seuil à l’entrée de l’université. Sur ce point, se croise une autre difficulté à résoudre, que les résultats des relevés floristiques et des analyses en laboratoire ont amené 8. « On ne peut penser et écrire qu’assis (Gustave Flaubert) – Je te tiens, nihiliste ! Être cul-de-plomb, voilà par excellence, le péché contre l’esprit ! Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose. » Nietzsche, Le crépuscule des Idoles, maxime 34, 1889, rééd. Gallimard Folio 1974. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 49 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 49 par la suite : la majorité des végétaux utilisés ou utiles pour les colorants et les parfums sont des arbres, ce qui implique donc un jardin essentiellement structuré dans la verticalité. Par suite du choix de la coupe verticale, demande à être résolu le problème de la répartition des choses à voir et de l’accès au regard pour le visiteur : la majorité de la flore, dont de très intéressantes plantes odoriférantes, se trouve « là-haut », vers la lumière, dans la canopée, comme l’illustre la dernière et très secrète mission Radeau des Cimes, financée sur fonds privés par l’industrie cosmétique. La nécessité d’élever le regard selon les verticales d’un volume se comprend enfin par une analogie qui n’est pas sans risques, bien qu’éclairante : celle qu’on peut faire avec la tridimensionnalité de la vie aquatique, ainsi que s’y prête avec poésie le botaniste Francis Hallé dans sa bible du promeneur tropical. Un pays sans hiver : « la canopée ressemble à un récif de corail vu par un plongeur en apnée ». Voir un morceau de forêt depuis le sol, c’est prendre les choses à l’envers, se placer là d’où on a le moins de chance de voir, là où il y a plus de choses sédimentées et mortes que vives. Pourtant, sur les quelques premiers mètres, se concentrent les plantes de sous-bois qui constituent un tiers de la diversité floristique des forêts tropicales, comme le montre Patrick Blanc dans ses recherches9. Reste à porter le point de vue à ce niveau : trois ou quatre mètres, cela demeure à échelle humaine et à échelle de l’aménagement, c’est un bon début point trop difficile. On voit donc qu’un principe intuitivement trouvé en accompagnant les scientifiques dans leur collecte en forêt constitue un pôle 9. Patrick Blanc, Être plante à l’ombre des forêts tropicales, Nathan, Paris 2003, vulgarisation de théorique de conception du futur jardin, qui rejoint aussi un pôle de problèmes convergeant tous vers cette dimension verticale de l’aménagement comme leur seule réponse commune. Cependant, en ce qui concerne la tradition de l’art des jardins, si de façon localisée dans le jardin, la formation du bosquet, ou pour l’ensemble la configuration du jardin en terrasse ont une très riche histoire, les grands domaines de jadis exprimaient plutôt leurs effets majeurs à travers un territoire vaste, que les verticales au mieux pouvaient cadrer et ponctuer. On pense à cet aspect majeur du jardin vu et donné à voir comme plan sans relief qu’exemplifient les parterres et broderies, tels que ceux des paysagistes, Duchêne par exemple. C’est pourquoi, même si tout jardin se dessine et se mesure aussi à l’aune des verticalités, pour enrégimenter les structures de lisières, le port des massifs ou les effets de perspective par exemple, on se trouve à forcer un peu la vue traditionnelle en considérant le jardin non comme une aire à aménager vue en plan, mais d’abord comme un volume à part entière. [Figure 5, p. 50.] Sur quelle réponse précise, en termes de configuration spatiale, appuyer une telle conception du Jardin des Cultures ? S’agira-t-il d’édifier de nouveaux et énièmes « murs » végétaux ? C’est là qu’une autre caractéristique glanée au fil des paysages forestiers et tout à fait légitime au paysage local entre en scène. Ce qui frappe en effet quiconque tente d’arpenter le sous-bois guyanais, c’est le chablis chaotique des arbres tombés en tous sens, presque de suite recouverts de végétation, et Biologie des plantes de sous-bois tropicaux, thèse de doctorat d’État, Univ. Pierre et Marie Curie, 1989 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 50 50 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Figure 5. Penser le jardin comme entité verticale. parfois en suspension à hauteur de visage, ou en l’air, croisés et faisant obstacle. Tout ce paysage-là forme un paysage essentiellement suspendu, un paysage de l’enjambement, parfois utile car servant de pont sur un sol humide et fuyant. De même, bien que répondant à de tout autres logiques, le paysage urbain de Cayenne, où l’on vit beaucoup dehors, mais en haut, où le soir, c’est toute une population qui vit suspendue à ses balcons. L’idée s’impose à ce spectacle de conquérir la verticalité requise, de la traverser et de la couper pour en montrer les secrets, par un système de passerelles et de plateformes, une suspension réelle du regard au niveau de ce qu’il y a à voir. Sur un plan technique, là-bas, la question du matériau se pose à peine. Si on le souhaite en « dur » c’est au bois qu’on pense, la puissance du bois étant en Guyane une évidence (qu’exprime si bien le nom de ce bois puissant qu’on nomme « bois de fer »). Deux aspects très importants sont rendus possibles par un tel procédé : Ce qui est d’abord important avec un tel principe, c’est qu’il opère justement à l’inverse d’un mur végétal artificiel propre à nos villes européennes : en Guyane, nul besoin de support mécanique pour les plantes ou de support de croissance, ce sont elles qui font structure d’elles-mêmes, et il ne s’agit pas tant de les installer que de les accompagner par des structures humaines modulables. On porte ainsi le regard non seulement sur les niveaux différents de l’éventail de la biodiversité, mais il est souhaitable de le porter selon le rythme propre au végétal, sa croissance : on peut imaginer le système de plateforme adaptable, c’est-à-dire apte à être réglé et élevé à mesure de l’élévation de la flore, le jardin partant d’arbres jeunes, mais qui poussent là-bas très vite. À un patrimoine du jardin composé d’être vivants et non d’objets comme dans un musée, on peut donc imaginer un support adapté, dynamique, un support qui soit juste un encadrement, qui soit « posé sans indisposer ». Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 51 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 51 II. Savoirs de la nature et nature du savoir Ce faisant, le jardin peut se poser comme inverse dans sa logique d’habitation aux bâtiments du campus universitaire qui l’environnent, isolés du milieu extérieur au lieu de lui être ouverts et adaptés, relevant largement de ce que le philosophe Peter Sloterdijk appelle à juste titre les « îles climatiques » qu’est l’architecture du « life support » connotant la modernité par le verre10. Par ailleurs, l’aspect dynamique du recours aux passerelles encadrantes a des effets immédiats sur la conception muséographique de plein air que le jardin se doit de mettre en œuvre. L’effet de coupe évoqué plus haut prend en effet ici son sens entier : il ne s’agit certes pas d’un musée, mais d’un jardin, toutefois il ne faut pas oublier que c’est un jardin aux mêmes objectifs qu’un musée. Ainsi, les parcours de passerelles doivent être des « vitrines en marche » (vitrine étant à entendre au sens plein que nous lui avons apporté plus haut), porter à la fois les visiteurs et orienter, au propre et au figuré, les choix d’interprétation du sens à transmettre par le jardin. Autrement dit : ce qui est informatif en muséographie, panneaux, cartels, éclairages, ordre de visite, ce qui porte le discours choisi selon la pédagogie qu’on y a élaborée, bref ce qui est illustration de la grille de lecture déterminée pour le message à transmettre au public, doit être grille de lecture au propre et au figuré. La charpente des passerelles doit être pensée comme grille de lecture au sens propre, et donc le tracé des cheminements ne doit absolument pas être gratuit, comme c’est bien trop souvent le cas dans les jardins à vocation de médiation. Mais quelle grille d’interprétation choisir, et quels types de discours et de savoirs scientifiques refléter avec elle ? « Penser un jardin botanique » : si dès les premières confrontations au milieu de la forêt, les concepts d’aménagement ont déjà pu émerger, sans phasage ou chronologie clairement délimités entre récolte d’information et « traduction » ou élaboration spatiales, il en aura été de même pour les choix d’ordre ethnologique. C’est en même temps au titre d’apprenti chercheur du département de sciences humaines de l’École du Paysage ainsi qu’au titre de paysagiste, que nous avons été appelés par la directrice de projet Laurence Pascal, et c’est donc en essayant de tenir le pont entre réflexion d’ethno-muséographie et organisation paysagère que les premières lignes du projet de Jardin des Cultures ont été proposées et discutées avec l’équipe. Là encore, le développement du concept, le « fond » du discours scientifique à tenir et à scénographier au jardin semble être né en partie de la réflexion sur la « forme », contrariant cette vieille idée que la forme (l’aménagement) vient habiller dans un second temps un projet scientifique de fond. Comment ? D’abord en revenant à l’idée de « proximité » au sens ethnologique, c’est-àdire en abordant la question des usages des plantes et de la forêt dans l’abolition de cette distance que la science entretient, par souci d’objectivité classificatoire, avec le monde et les savoirs des peuples locaux. Il fallait poser clairement le sens d’un Jardin dit « des cultures », c’est-à-dire, se 10 Voir à cet effet Peter Sloterdijk, Écumes, Hachette, coll. Pluriel Paris 2006, une histoire philosophique des pratiques de l’habitation et de la climatisation. Culturel, naturel, cultural : paradoxe où s’enracine tout jardin. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 52 52 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique entre-deux ambigu12, espace d’enjeu autant pour son usager local que pour le visiteur ou l’ethnologue, bien loin de la clarté sans ombre que la science, botanique ou autre, projette sur ses créations pédagogiques. revendiquant et se donnant pour but de montrer les usages et valeurs de différentes cultures guyanaises. Que peut signifier l’idée d’un « Jardin des Cultures » ? A priori, on peut souligner le pluriel du mot « cultures » ici, contre une vision de « la » Culture, royaume humain séparé de « la » Nature, royaume du sauvage. Il ne s’agit certainement pas de plaquer une construction culturelle et une seule sur cette réalité complexe que la science étudie et qu’on appelle nature, pour la lire en toute clarté voire la maîtriser à l’image du scientifique cartésien qui chercherait à s’en rendre « comme maître et possesseur »11. Par le pluriel « cultures », on renvoie sans doute à la diversité des peuples de Guyane, et donc à la diversité des types de connaissance et de rapports entretenus vis-à-vis de ce qu’on appelle « nature ». On peut lire ici le terme culture dans un sens plus subtil qu’une simple cohabitation entre nature et culture, en prenant « cultures » au sens très simple de l’agriculture, c’est-àdire, pour trouver un terme à la fois médian et plus précis, le « cultural ». En effet, chacun reconnaîtra qu’en matière d’interface entre sociétés et milieu, la culture des plantes est une activité privilégiée pour articuler dans l’expérience et les représentations sociales cette délimitation de l’humain et de l’humanité que les peuples tracent dans leur langue et leur savoir pour se différencier en idée du monde animal ou végétal. Le « cultural », c’est donc une relation d’usage du monde, une transaction autant pragmatique que symbolique avec les plantes. Tout jardin étant par définition le champ du cultural, tout jardin se tient alors dans un Essayer de comprendre ce que peut être un Jardin des Cultures Guyanaises, c’est donc nécessairement pour le chercheur en revenir à un questionnement fondamental sur l’humain et le végétal. Une pensée, apparemment abstraite vue d’Europe tempérée, s’impose cependant dans une intuition claire et évidente pour quiconque pénètre dans la forêt tropicale humide : cet endroit si hostile n’est pas fait pour l’homme, et pourtant, son apparente sauvagerie peut nous fasciner en présentant un aspect esthétique, comme si les couleurs et les chants étaient faits pour nous séduire, comme si l’ensemble était composé dans ce but, à l’image d’un jardin. Cela peut rejoindre cette caractéristique majeure d’un jardin, d’être un lieu où apparaît et s’exprime un sens et un ordre qui se différencient et s’arrachent du naturel, pour devenir proprement humain. On pourra reconnaître là le vieux paradoxe du goût13 qui donne au « sauvage », pourtant absolument étranger et indifférent à l’homme, l’apparence illusoire d’une finalité orientée à notre intention (celle de nous plaire), et érige le sentiment de la sauvagerie en une catégorie culturelle à part entière, peut-être à la base de l’exotisme ou du pittoresque que tant de personnes cherchent encore dans les jardins et les paysages en battant les fourrés du monde entier. C’est donc souvent avec ce que porte en lui notre regard d’Européen que nous voyons la 11. Descartes, Discours de la méthode, 1637. 12. Cf. Hervé, Brunon, Le jardin, notre double, Nathan coll. Autrement. 1998 13. Voir Kant, Critique de la faculté de juger, Gallimard, Folio essai, Paris 1992 ; Sur la faculté de juger esthétique. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 53 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 53 forêt tropicale. L’opposition entre « sauvage » et « domestique », s’est souvent posée en occident (dans la tradition gréco-latine du moins) comme une ligne de démarcation stratégique pour les sciences et les morales : celle qui départage l’inhumain de l’humain, et donc circonscrit et définit le domaine propre à l’humanité. Que ce partage se soit illustré et incarné dans celui qui séparait forêt et jardin (sylva et hortus), délimitation souvent rendue floue et fluctuante par le statut incertain des espaces de transition (on renvoie aux débats sur la friche), il reste que cette délimitation, avec ses difficultés, a souvent pris une tournure théorique ou métaphorique dont dépendaient l’identité de la nature humaine entière, et des enjeux politiques intenses, à la base d’événements historiques aussi majeurs que cruels comme la colonisation ou l’esclavage. L’idée antique que celui qui vit hors de la cité ne peut être qu’un dieu ou une bête, si chère à Aristote14, rejoint dans ses enjeux le même lieu de débat théorique que la fiction moderne d’une race humaine aux limites précises qu’a dénoncée l’ethnologue Levi-Strauss15. C’est donc en accord avec la vision ethnologique contemporaine qu’on rappellera qu’un jardin et sa « botanique » sont toujours déjà l’incarnation d’un paradoxe et le lieu d’apparition de la « Nature » comme construction intellectuelle et d’abord culturelle, utile aux groupes humains16 qui ont besoin d’affirmer leur différence avec le reste de la création, utile à se regrouper autour d’une identité commune. Ainsi, un Jardin des Cultures à notre époque ne peut se contenter d’être l’inventaire des espèces cultivées et la reproduction des méthodes culturales de différents peuples, encore moins d’être une collection d’échantillons botaniques représentatifs, nommés et classés comme l’est ce qu’on entend ordinairement par la notion de « jardin botanique ». Ici, l’aspect scientifique ne doit pas prendre le devant de la scène : il doit être relativisé, remis en perspective au sein de l’expérience humaine culturellement et socialement vécue, c’est-à-dire présenté comme un type de savoir sur le monde, de regard et de classement parmi d’autres, à côté des savoirs vernaculaires locaux, qui sont porteurs d’un ordre vécu propre à chaque population. L’ordre de classement de la science doit alors seulement être pris comme un regard historiquement et géographiquement déterminé : celui qui émerge de la modernité européenne, composante parmi d’autres de la réalité guyanaise. On en conclura alors naturellement que le parcours des grilles de cheminement aura à être davantage que la transcription d’un discours scientifique ordonné dans un espace bien scénographié : il aura à être la reproduction d’un ordre de relation vécue, d’un parcours de recherche réel. Certes, mais vécu par qui ? 14. Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1962. 15. Levi-Strauss, Race et Histoire, Denoël, Paris 1952. 16. « Cette notion [la nature] est indissociable d’une autre, la nature humaine, qu’elle a engendrée en quelque sorte par scissiparité lorsque, afin de mieux cerner le lieu où s’appréhendent les mécanismes et les régularités de la nature, une petite région de l’être en fut détachée pour servir de point fixe. Comme l’a montré Michel Foucault, ces deux concepts fonctionnent en couplage… » Descola, Par-delà nature et culture, p. 107, Gallimard, Paris 2005 Forêt vécue et forêt connue Chacun aura deviné que la réponse sera celle de l’ordre vécu par les cultures, au pluriel, c’està-dire autant la culture scientifique que les cultures des populations de Guyane dans leur Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 54 54 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Figure 6 Les éléments sémantiques de la chasse au toucan des Wayampis. usage des plantes. Mais outre ces belles déclarations d’intention abstraites que tout ethnologue est capable de faire, se pose, à nouveau, la question précise de la mise en forme, puisqu’on a vu que penser un jardin ethnobotanique, c’est déjà le faire. Il faut alors trouver quelle structuration spatiale est appropriée, et pour cela il est indispensable d’en savoir plus sur les structures d’usage et de représentation sociales qui font le vécu du milieu « naturel » ou du cultural jardiné en Guyane. Pour illustrer la démarche, on aura recours à un exemple tiré des recherches de l’ethnologue Pierre Grenand, « le » spécialiste des Indiens de Guyane. Ce qu’on y apprend n’aura pas à être transposé pour son contenu dans le Jardin des Cultures, mais à servir d’exemple structurel pour la prise en charge de l’« ethnospatial » par le jardin. L’exemple vaut en effet comme rare étude prenant en compte la façon dont la spatialité guyanaise est vécue et intégrée dans une signification ethnique. Dans l’article « Vivre dans l’abondance, forêt pensée et forêt vécue chez les Wayampis »17 Grenand décrit un fragment de structure d’expérience du monde végétal et de son usage, dans la situation ethnique des Amérindiens Wayampis, un peuple vivant à la frontière du Brésil et de la Guyane, appartenant au groupe linguistique tupi-guarani, et vivant encore aujourd’hui très largement des ressources de la forêt. Surtout, l’ethnologue observe la façon dont cette structure d’expérience fait l’objet d’une transmission et d’un apprentissage dans l’éducation des jeunes générations. Pour un observateur extérieur, fût-il ethnologue, les situations d’éducation constituent des occasions privilégiées d’apparition des rouages sociaux et linguistiques, puisque dans un but pédagogique, les expériences y sont provoquées, explicitées et décortiquées. 17. Pierre Grenand, « Vivre dans l’abondance, forêt pensée et forêt vécue chez les Wayampis », Rapport d’activité IRD. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 55 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 55 Figure 7 Le réseau sémantique de « l’arbre à toucan ». L’apprentissage de l’enfant est in-situ, et se fait principalement par l’observation en forêt, lors de sorties avec le père. C’est la répétition de cette observation qui rend ce peuple capable de discerner un ordre utile pour lui dans la luxuriance de la forêt : « très tôt, il pourra ainsi, dans le subtil monde de végétation qui l’entoure, distinguer mille formes et mille nuances, là où un Occidental moyen ne verra qu’une indistincte et lourde masse de vert », écrit Grenand. Nous reproduisons ici la description que fait l’auteur du dialogue entre le père et le fils : Le fils : —- « Comme par exemple le fruit de kwapo’i (Ficus trigona), le fruit de kunawau’U (Prunus myrtifolia), ou le fruit du palmier wasey… (Euterpe oleracea) Le père : — Oui, puisque ceux-là sont déjà tombés, c’est cet arbre-ci qu’il faut rechercher en cette fin de saison, car c’est là que l’on est sûr de trouver des bandes de toucans rassemblés. Ainsi feronsnous de bonnes chasses au toucan. Le père cherche à terre un fruit, le tend à son fils qui le prend dans sa main, l’observe un moment puis le jette : la leçon est terminée. » [Figure 6.] « Un père et son fils, partis chasser en forêt, arrivent devant un arbre Guarea kunthiana chargé de fruits. Le père : — C’est un yatoa’U, mon fils. Le fils : — Oui, c’est un vieux pied de yatoa’U. Le père : — Et autour, en voici deux plus jeunes. Et ici les plantules. Le fils : — Le plus gros est chargé de fruits mûrs. Le père : — Sa fructification est tardive cette année. Tu sais que les toucans aiment beaucoup ses fruits. Puisque les autres fruits appréciés par les toucans… Ce qui intéresse Grenand dans cet exemple est la « vision globalisante du monde » qui est produite dans la culture wayampi et constituée en savoir pour tirer parti de la forêt, et qui donne lieu à d’incessants montages et démontages, à la différence du savoir botanique occidental constitué en science et isolé de l’expérience courante du vulgaire. Ce qui nous intéresse pour savoir quoi montrer et comment le montrer dans le Jardin des Cultures, c’est ce qui se passe ici sur le plan de la structure de sens reconnue et établie par Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 56 56 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique les hommes d’une culture donnée quant au milieu où ils vivent. Ils n’appellent d’ailleurs pas ce milieu « nature », ce qui témoigne peutêtre justement de la différence de nature du savoir et des liens d’usages qu’ils entretiennent avec le milieu. [Figure 7, p. 55.] Sémantiquement, ce « réseau du toucan » répond d’un ordre de classification implicite des choses du monde structurellement différent de l’ordre d’une nomenclature de descendance linnéenne. Il présente davantage les caractéristiques d’un système multipolaire de renvoi des choses du monde entre elles, où les plantes occupent une place centrale, mais non unique, que les caractéristiques d’une classification hiérarchique en forme d’arbre que la science occidentale utilise pour se structurer. Le « réseau du toucan », et par-delà, la structure de savoir des Wayampis paraît, toutes proportions gardées, semblable dans sa différence aux structures sémantiques de la science, au réseau sémantique du totémisme tel que décrit par Levi-Strauss dans La Pensée Sauvage18. Les aspects décisifs de ce type de structure de savoir vernaculaire, qui découlent de sa multipolarité, sont la priorité du descriptif (montrer plutôt que démontrer), et la réversibilité des chaînes logiques. Le premier aspect fait que ces cultures ne dissocient jamais spectacle sur le terrain et connaissance, c’est-à-dire que leur connaissance est toujours déjà appliquée, leurs concepts, toujours déjà des concepts d’usage pratique (les « schémas de résolutions » culturels construits et appliqués sur demande pour une situation concrète donnée, que décrit Descola19). Le second aspect rend possible une libération de la vision chronologique ou historique des choses, qui est celle de la science lorsqu’il s’agit d’expliquer les enchaînements de cause à effet, de dérouler l’ordre génétique d’une évolution, la filiation des êtres vivants, comme cela est souvent mis en scène dans les musées. Une explication synchronique, davantage construction interprétative d’un cosmos, et partant plus facilement représentable spatialement comme topographie mythique, découle de cette libération du chronologique. Bien sûr, il ne s’agit pas dans le projet de Jardin, de livrer le spectateur à une quelconque « pensée sauvage » comme s’il pouvait s’ensauvager du jour au lendemain en faisant abstraction de sa propre culture, et les scientifiques rayer d’un trait la botanique. Il faut évoquer, l’écart culturel entre types d’ordonnancement pratique et de classification scientifique sans remplacer l’un par l’autre, au minimum en les faisant se côtoyer, au maximum en rapprochant chaque visiteur du vécu propre des autres cultures, l’expérience de traverser un paysage végétal étant, elle, une base commune aux cultures. 18. Levi-Strauss, La Pensée Sauvage, Plon, Paris 1962, schéma de la figure 8, « l’opérateur totémique », chap. V (« catégories, éléments, espèces, nombres »). 19. Descola, op.cit. p. ? « Trouver le toucan » : jardin des signes et jeu de pistes ethniques Que faire, en ce qui concerne l’aménagement du jardin ? Le fil conducteur de la nature culturellement vécue doit trouver sa traduction in situ par des partis pris forts en termes de parcours, de déambulations et de lectures dans le jardin. Bien sûr, la seule disposition des végétaux et des cheminements ne pourrait à elle seule faire parler les plantes de leur usage ou de leur place dans une culture locale pour le visiteur, encore moins les faire parler dans des langues étrangères à lui. C’est pourquoi Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 57 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 57 une réflexion approfondie sur les supports d’interprétation doit être menée. Ce travail de recherche opérationnelle est en cours et tout au plus, sans disposer encore de réponses précises d’ordre paysager ou technique, peut-on énoncer ici les critères négatifs ou positifs qui doivent s’y appliquer. Ainsi, de tels supports ne doivent pas devenir représentatifs dans le Jardin d’un ordre culturel unique qui serait l’ordre de la vitrine et de l’étiquette, outils propres à une culture occidentale du musée. Par leur nature d’artefacts souvent brutalement techniques, de tels éléments rentrent dans une négociation nécessaire avec le naturel des plantes et le cheminement « naturel » des cultures, au sens figuré d’un savoir vernaculaire descriptif mimant la nature vécue, aussi bien qu’au sens propre d’un savoir fait par et pour l’orientation du voyageur et du chasseur en forêt. Il y a ainsi lieu d’organiser une campagne de collecte d’éléments ethnographiques qui touche à l’ethno-espace, et qui nous manque encore en partie. Mais spatialement, que peut-on imaginer ? Nous n’avons pas encore de réponse précise, mais des pistes en cours de développement : les grilles de lecture du milieu propres aux cultures différentes pourraient s’incarner par des parcours de collectes, passant par des plantes repères, indicatrices, ou compagnes des plantes utiles recherchées… Le jardin autre que l’« abattis » (culture sur brûlis) n’existant pour ainsi dire pas en Guyane (la forêt faisant office de jardin et donnant plus lieu à un glanage qu’à une culture), on pourrait imaginer le visiteur remontant la piste qui est celle du cueilleur, du chaman amérindien, de l’homme médecine Saramaka (noir-marron) ou créole, à la recherche de nourriture, de colorants, de parfums, de simples. Et comme lui, il s’orienterait selon les schèmes spatiaux propres à une culture donnée, et selon les plantes indicatrices de milieux ou servant d’aide-mémoire. Le Jardin des Cultures fonctionnerait alors comme jardin des signes et jeu de piste, qui exploiterait et enseignerait l’art et le plaisir d’une chasse sans victime visant l’usage et le savoir-faire du végétal, une sorte de « labyrinthe de l’utile », où le but est de perdre momentanément les repères de sa propre culture pour commencer à saisir ceux des autres. Les passerelles et allées auraient alors pour charge de superposer ou de croiser les différents « chemins de pensée » des cultures, en les figurant, mais aussi au-delà du symbolique en reproduisant partiellement une partie de leurs éléments réels. L’une de ces grilles pourrait demeurer la grille de la classification scientifique, mais elle ne saurait être la seule, ni avoir le dernier mot. Jardin des sens et jardin du sens : la dimension immatérielle du patrimoine végétal Le parti pris que nous défendons, puisqu’on ne peut pas tout montrer d’une ou de plusieurs structures vécues, suppose de choisir des axes de ségrégation des données à scénographier, qui ne soient pas réducteurs comme ceux des langages de connaissance que nous voulions éviter. Une solution est de s’en tenir à la dimension porteuse à la fois d’universalité, dans ses procédés, et où pourtant tout visiteur puisse constater facilement le point de départ d’un relativisme sémantique et culturel : la perception et ses sens. Jardin, entre autres, de plantes tinctoriales, le Jardin des Cultures aura à intégrer cette part moins matérielle encore que la plante et son pigment qu’est sa perception, support d’une nomination spécifique des couleurs selon les cultures, autant que construction culturelle à part entière grâce à la nomination. L’ethnolinguistique a montré comment les Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 58 58 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique noms de couleurs découpent une vision du monde pour chaque langue et chaque culture à partir du spectre continu de lumière que l’œil reçoit, apparemment universel. Cet aspect commence à être traité pour la Guyane à travers les travaux de Pierre et Françoise Grenand. Jardiner l’invisible : paysages de parfums Terre de couleur, la Guyane est aussi incontestablement une terre de parfums, présents à haute densité dans l’environnement forestier, et variés avec une grande subtilité en fonction des microclimats, des heures et des saisons du jour ou de l’année, en fonction de la sécheresse, de l’humidité ou de la lumière. On ne sait presque rien à ce jour de la perception culturelle des parfums par les populations guyanaises, qui utilisent pourtant nombre de plantes à des fins aromatiques, gastronomiques, médicinales, en s’appuyant sur une perception déterminée de leurs odeurs. Remettre le parfum au cœur des coutumes qui le portent et du milieu qui le transporte a sans doute un rôle majeur aujourd’hui en termes d’identités locales, alors que l’industrie du parfum colporte des senteurs de synthèse en déracinement total avec les lieux, les milieux, les cultures. Le cas des odeurs est plus complexe encore que les couleurs, du point de vue ethnologique et linguistique. Si le spectre du parfum peut lui aussi être considéré dans l’abstrait comme un continuum de molécules perçues par le nez, il semble que le consensus soit encore plus difficile à atteindre pour y découper et y nommer des entités d’un point de vue culturel. Entre deux personnes, une même odeur fera appel à des objets de références différents pour la qualifier, la spécifier, et en faire une catégorie culturelle à part entière. Bonne ou mauvaise odeur, odeur de vie ou de mort, odeur de fraîcheur ou d’oppression. Il apparaît même, à en juger en tout cas du français, qu’aucun terme ou adjectif spécifique à une odeur n’existe comme les noms de couleurs existent pour les gammes du spectre lumineux : si une certaine longueur d’onde s’appelle le « bleu », un parfum est toujours le parfum de quelque chose, odeur de menthe, odeur de renfermé, odeur vanillée… C’est pourquoi le projet de jardin nécessite une recherche préalable et novatrice en matière d’ethnologie générale des odeurs en Guyane, et le fondement des bases d’une ethnolinguistique des parfums guyanais. Pour rendre accessible ces savoirs, nous avons commencé à intégrer à la pensée du jardin une étude de configuration de ses plantes visant à recréer des ambiances ou à créer des confrontations inédites entre halos odoriférants culturels de différentes origines. Comme l’un des membres de l’équipe, Renaud Favier, au départ associé pour explorer la place possible du cacaoyer dans le jardin, est chimiste et « nez » professionnel, les échanges relatifs au jardinage paysager des plantes odoriférantes nous ont mis sur la voie d’un travail entre testeur humain, acteurs locaux, ethnologue, paysagiste et artistes. Un travail de jardinage inédit, consistant dans l’ordonnancement paysager minutieux des plantes à parfum, va être réalisé pour pousser plus loin la tradition du jardin de senteur. Plutôt qu’une suite de plantes à parfums rangées par types, c’est un parcours culturel qui est à recréer en exploitant les lois de diffusion et de composition précises du parfum. Par rapport à la conception classique d’un jardin public, où on élabore des effets pensés pour le confort de l’œil, comme les perspectives et les cadrages de vue le font dans les jardins traditionnels, certains secteurs du jardin auront à être conçus pour les plaisirs ou les craintes du nez seul. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 59 Le projet du jardin des cultures guyanaises | 59 Figure 8. Vers un jardinage de l’invisible : prendre en charge les halos de parfums dans l’organisation des strates de visite. Alors que les végétaux et les murs font écran à la vue, l’odeur obéit à des lois plus étranges, et les obstacles ne l’arrêtent pas forcément, il suffit parfois d’un simple éclairage plus fort pour stopper sa diffusion. La principale difficulté à surmonter sera la compréhension précise des règles de diffusion du parfum, pour une plante précise, à un endroit et à une heure de la journée tout aussi précis. Les différents facteurs qui nous intéressent sont les suivants : note olfactive dégagée (nom donné à la perception odorante, par exemple, une odeur fruitée ou florale, pour un fruit ou une fleur) ; concentration en molécules odorantes (paramètre chimique important suivant les applications possibles de la plante) ; puissance olfactive (puissance de l’odeur perçue par l’individu) ; et ce qui détermine spatialement le plus un paysage invisible : le halo olfactif, qui représente une distance de diffusion et constitue une sphère englobant la source de diffusion. Concrètement, le halo olfactif d’une plante est le volume dans lequel le parfum de la plante est susceptible d’être perçu. Nous avons commencé à élaborer des principes d’aménagement aptes à organiser les parcours culturels aussi en fonction des parfums reconnus par chaque culture. Là encore, la hauteur du visiteur, celle de son nez, peut et doit être modulée par la topographie ou les constructions en élévation, pour le mettre à la croisée ou au cœur des sphères ethno-odorantes. [Figure 8.] Voici présentées les grandes lignes d’un projet en cours, qui témoignera, nous l’espérons, de la nécessité de laisser ouvert le plus longtemps possible un champ de va-et-vient entre « pensée » d’un jardin botanique au sens de l’élaboration d’un discours de médiation culturelle et scientifique, et « conception » au sens de la configuration spatiale du jardin qui viserait à traduire en formes le discours. Le rôle central d’interface culturelle porté par une discipline aussi transversale que l’ethnobotanique ne saurait sans doute être garanti sans le souci permanent d’une telle démarche. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 61 Le bocage de Sambandé (Sénégal) : une contribution à l’essor des jardins ethnobotaniques au Sahel Résumé Ce travail est une étude de cas concernant les carrés botaniques du JEPU à Sambandé. La médecine traditionnelle africaine est essentiellement basée sur l’utilisation d’organes de plantes pour lesquelles la conservation est de plus en plus problématique. L’étude de l’état de la flore et végétation de Sambandé se situe dans le contexte général de la dégradation des ressources végétales au Sénégal, et des espèces médicinales en particulier. C’est fort de ce constat qu’un programme national de conservation et de valorisation des espèces médicinales au Sénégal a été initié. Cette recherche du JEPU se situe dans ce programme et vise la régénération assistée de cinq espèces médicinales prioritaires (EMP) : Dichrostachys cinerea, Flueggea virosa, Gardenia ternifolia, Ozoroa insignis, et Securidaca longipedunculata. Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 61-93 Fall Ibrahima1, Sambou Bienvenu2, Lô Modou1, Guisse Aliou3, William Diatta1, Bassene Emmanuel1 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 62 62 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique La méthode utilisée combine un inventaire de la flore de la forêt, le suivi d’individus d’espèces considérées comme prioritaires et des enquêtes auprès des populations locales. L’étude a permis de fournir des informations sur le bocage et les cinq EMP. Le rapport biomasse épigée/biomasse hypogée varie d’une espèce à l’autre. Les feux de brousse et les prélèvements d’écorces et de racines apparaissent comme les causes anthropiques les plus importantes. La dégradation des ressources végétales de cette forêt a pour conséquence un manque de produits pour la phytothérapie, un déficit de ressources alimentaires et un accroissement de la pauvreté des populations rurales. Ces informations ont permis enfin de formuler des propositions pour la sauvegarde des espèces menacées par l’homme. Le Sénégal, avec une superficie de 196 720 km2, a une flore dominée par six familles : les Poaceae, les Fabaceae, les Cyperacae, les Rubiaceae, les Asteraceae et les Euphorbiaceae. La savane et la steppe sont globalement les formations végétales dominantes. Sur les 2 500 espèces de la flore du Sénégal, celles dites « médicinales » sont approximativement au nombre de 600 [12]*. La répartition de cette flore au niveau national n’est pas homogène, car elle est tributaire surtout de la pluviométrie qui varie d’une zone climatique à une autre. La flore médicinale constitue une ressource traditionnelle importante des populations africaines, mais surtout des populations rurales qui y sont restées très attachées, non seulement par commodité et pour des impératifs socioculturels, mais également par nécessité. Ceci est lié au fait que l’accès aux médicaments modernes a toujours été hypothétique à cause de leur cherté et de la pauvreté grandissante dans les pays en voie de développement. Cependant, du fait des conditions climatiques défavorables (baisse de la pluviométrie) combinées à l’action de l’homme, beaucoup d’espèces sont en voie de disparition. La filière de commercialisation des plantes médicinales est caractérisée par une consommation variable d’une région à l’autre, une faiblesse de la productivité en biomasse dans la moitié nord du pays, des méthodes de cueillette souvent inappropriées et abusives, un mauvais choix de la période de récolte et une absence de dispositions réglementaires sur la cueillette et la commercialisation de certaines espèces surexploitées. Ceci entraîne des variations de la teneur des plantes en principes actifs. Cette situation risque de poser des problèmes si des mesures conséquentes ne sont pas prises. 1. M. Fall Ibrahima, Docteur Lô Modou, Docteur William Diatta, Professeur Bassene Emmanuel : Département de Pharmacognosie et Botanique, Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, BP : 5005 Dakar-Fann (Sénégal). Tél : (221) 630 73 68 / (221) 824 50 38. Courriel : [email protected] / [email protected] 2. Professeur Sambou Bienvenu : Institut des Sciences de l’Environnement, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, BP : 5005 Dakar-Fann. 3. Docteur Guisse Aliou: Département de Biologie végétale, Faculté des Sciences et Techniques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, BP : 5005 Dakar-Fann. *. Les numéros entre crochets renvoient à la bibliographie, p. 92. INDEX MOTS-CLEFS : bocage, jardin ethnobotanique, Sahel, enquête, plantes médicinales, Sénégal, régénération assistée. Introduction Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 63 Le bocage de Sambandé | 63 C’est fort de ce constat et dans le cadre de l’application des recommandations de l’atelier de Saly Portudal de mai 1998 et sur la base des besoins exprimés par certains acteurs (herboristes, tradithérapeutes, ONG, chercheurs des centres de médecine traditionnelle et de pharmacopée), qu’un programme national de conservation et de valorisation des plantes médicinales a été initié par l’UICN, le Groupe de Recherche sur les Plantes médicinales (GRPM) de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar et ENDA-Tiers Monde sur financement du CRDI. Les problèmes majeurs qui justifient ce programme dans les écosystèmes agrosylvo-pastoraux de la région de Kaolack sont : la surexploitation et la dégradation des pâturages, la connaissance insuffisante des espèces médicinales, les contraintes naturelles et les menaces de disparition qui pèsent sur certaines espèces médicinales. L’objectif général est de contribuer à l’utilisation durable des plantes médicinales pouvant servir de relais dans la lutte contre la pauvreté. Quatre objectifs spécifiques ont été fixés : 1. connaître les déterminants socio-écono- miques, les tonnages et les chiffres d’affaire par espèce médicinale, ainsi que les parties utilisées (écorces, racines, feuilles) par les ménages, 2. connaître la qualité et l’activité thérapeutique des échantillons des marchés urbains par des tests au laboratoire, 3. identifier les causes socio-économiques et bio-physiques de la dégradation des plantes médicinales de cueillette sauvage dans le bassin arachidier, 4. promouvoir des méthodes et techniques de repeuplement des sites en espèces rares. Nous avons été réquisitionnés pour : — fournir des informations sur le potentiel ligneux de la forêt de Sambandé, — fournir des informations sur la phénologie des espèces médicinales du bocage de Sambandé, — fournir des informations sur les rapports de phytomasse épigée/hypogée et évaluer l’état des populations des 5 espèces médicinales prioritaires à Sambandé, — identifier les causes socio-économiques et bio-physiques de la dégradation des populations des espèces médicinales à Sambandé. I. Méthodologie Le bocage de Sambandé a été retenu pour diverses raisons. Il est situé dans une communauté rurale active dans la protection des ressources naturelles, sa richesse en espèces médicinales et la présence de 5 sur 15 des espèces médicinales les mieux vendues sur les marchés du Sénégal ont été des critères déterminants dans le choix de ce site. Nos recherches ont été menées sur une superficie forestière vaste de 1 045 ha, comprenant le bocage de la zone de Sambandé. Le choix des espèces prioritaires étudiées est surtout lié à la forte demande de leurs organes végétatifs et reproducteurs sur les marchés urbains. Au cours des deux mois de terrain, nous avons procédé à des relevés journaliers de données climatologiques, à 7 h 30 et 18 h 30 à l’aide d’un thermo-hygromètre de poche type Extech (modèle 445 702). L’inventaire des espèces ligneuses médicinales a été effectué à partir d’un échantillonnage systématique [tableau 1, page suivante]. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 64 64 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Tableau I : dispositif d’échantillonnage Paramètres Distance entre les layons Distance cumulée Distance entre placettes Nombre de placettes Surface des relevées (m2) Surface placettes cumulées Layon I 800 800 200 5 2 000 2 000 Layon II 800 1 600 200 5 2 000 4 000 Les études phytosociologique et de biomasse comprenaient : Évaluation de la composition floristique des espèces ligneuses médicinales. Pour déterminer la composition floristique des espèces ligneuses médicinales, nous avons utilisé la méthode de la courbe aire/espèces. Six des 31 placettes ont été sélectionnées pour la détermination de cette courbe à partir de carrés de 1 m2, 5 m2, 10 m2, 25 m2 et 50 m2 (figure 1). Les caractéristiques dendrométriques mesurées sont la hauteur des individus ligneux et le diamètre à 1,30 m et à 10 cm du sol. Figure 1 : Détermination de l’aire minima par l’établissement de la courbe aire-espèces Les espèces recensées au nombre de 5 ont fait l’objet d’un suivi phénologique pendant trois ans (2002-2005). L’étiquetage a consisté d’affecter à chaque individu, de chaque placette un numéro (PxY), Px représentant le numéro de la placette et Y représentant le numéro de l’individu. Dans chacune des 31 placettes, nous avons étudié l’évolution des phénophases (foliaires, florifères et fructifères) des 5 espèces à l’aide d’étiquettes, d’une boussole, d’un compteur à main, d’une machette, d’une charrette et de trois fiches (A, B et C) inspirées des formulaires de l’Institut forestier d’Oxford. Layon III 800 2 400 200 7 2 800 6 800 Layon IV 800 3 200 200 5 2 000 8 800 Layon V 800 4 000 200 5 2 000 10 800 Layon VI 800 4 800 200 4 1 600 12 400 1.2. L’étude des phénophases foliaires à nécessité l’utilisation d’un indice de présence « exprimé en pourcentage » par rapport à six paramètres d’étude (Chute des feuilles, Nombre de feuilles, Bourgeons, Jeunes feuilles, Vieilles feuilles). La même technique a été utilisée pour l’étude des paramètres phénologiques florifères et fructifères. Nous avons considéré des paramètres qui nous semblent importants comme la présence de fruits mûrs, la présence de petits fruits non mûrs, la chute des fruits et l’absence de fruits. 1.3. L’étude de biomasse concerne les espèces suivantes : Dichrostachys cinerea, Gardenia ternifolia, Ozoroa insignis, Securidaca longepedunculata et Flueggea virosa. Cinq individus par espèces sont sélectionnés et pesés pour avoir le rapport entre biomasse hypogée et biomasse épigée. Ce qui nous donne un échantillon de 25 individus. Les troncs des individus et les branches dépourvues de leurs feuilles ont été par la suite sectionnés et pesés pour évaluer le poids de la biomasse ligneuse. Le poids de cette biomasse et celui des feuilles ont été considérés comme le poids de la biomasse épigée. Pour l’évaluation de l’état sanitaire de 5 individus pour chacune des espèces prioritaires dans le site, nous avons utilisé l’échelle de NICHOLSON modifiée (1958) qui associée l’état sanitaire à quatre Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 65 Le bocage de Sambandé | 65 Détermination de l’aire minima par l’établissement de la courbe aire-espèces. stades : sujets sains, sujets assez bien, sujets passables et sujets mauvais. Le nombre d’individus observés est exprimé en pourcentage. 1.4. Le diagnostic partagé sur les causes socio-économiques et bio-physiques de la dégradation des espèces médicinales à Sambandé, qui consiste à recruter un nombre représentatif de groupe de 6 à 12 personnes répondant à des critères homogènes, à susciter une discussion ouverte sur les thèmes de l’étude (raisons de la dégradation des plantes médicinales) et à en faire une analyse-synthèse. C’est à l’aide d’un dictaphone et des cassettes que nous avons enregistré les données portant sur les aspects suivants : — les causes de la dégradation des ressources végétales médicinales dans la zone, — les effets de la dégradation des ressources végétales sur la vie des populations, — les solutions à apporter pour restaurer et protéger les ressources végétales, — la liste des espèces médicinales rares et/ou disparues dans la zone, — la liste des espèces médicinales citées comme ayant une importance économique directe (médicinale ou alimentaire) pour les populations. II. Présentation de la zone d’étude La région de Kaolack avec une superficie de 1 610 km 2 , a une population de 1 066 375 habitants, soit 69 hbt/km2. Elle possède un taux d’accroissement de 1,9 %. La Communauté rurale (CR) de Keur Baka fait partie de l’arrondissement de Koumbal localisé dans la région et le département de Kaolack. Elle couvre une superficie de 228 km ? et limité au Nord par la CR de Latmingué, au Sud par les CR de Paoskoto et Nguenthe Khaye, à l’Est par la CR de Thiaré et à l’Ouest par le village de Keur Socé situé dans la CR de Ndiédieng. [Figure 2, p. 66 : Carte du Sénégal et Le climat est de type soudano-sahélien avec l’alternance de deux saisons : la saison des pluies ou hivernage (de juin à septembre) et la saison sèche (d’octobre en mai). Les températures sont généralement élevées. Par exemple, les moyennes de la température ambiante de novembre et décembre 2002 sont respectivement de 28,2 °C et 30,4 °C, et une humidité atmosphérique de 29 % et 32 %. La moyenne de la pluviométrie enregistrée pour la région de Kaolack était de 711,2 mm pour 93 jours en 2000 (Source ASECNA). [Figure 3, p. 67 : températures / situation de la région de Kaolack.] humidité.] Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 66 66 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique zone d’étude site d’étude Figure 2 : Carte du Sénégal et situation de la région de Kaolack. On rencontre 3 types de sols dans la CR de Keur Baka : — les sols diors (sableux) représentent 30 à 80 % des terres cultivables et sont essentiellement réservés à la culture de l’arachide, du mil et de la pastèque, — les sols deck (argileux) représentent 10 à 30 % des terres cultivables et sont occupés par la culture du sorgho, du maïs, du riz et des cultures maraîchères, — les sols deck/dior (argilo-sableux) conviennent aux cultures pratiquées dans la région. Concernant les végétations, trois types de formations ligneuses se rencontrent dans la CR : — un parc agro-forestier constitué d’arbres épars dans les champs (Cordyla pinnata, Tamarindus indica, Adansonia digitata) [23], — la végétation des zones de 11 mises en défens couvrant une superficie de 6 733 ha, — les formations forestières naturelles, c’est-à-dire les forêts non protégées à libre utilisation. La population de la CR de Keur Baka est estimée en 2000 à 26 484 habitants. Le taux d’accroissement annuel est de 1,36 % et la densité s’élève à 107 habitants au km2. Les jeunes de moins de 18 ans représentent 45 % de la population totale. Elle est caractérisée par une diversification ethnique composée de Sérères 48 %, de wolofs 35 %, de peulhs 15 %, de Bambara 2 % et des ethnies telles que les sarakholés, les tourkas et les socés. Les principales activités économiques sont : l’agriculture, l’élevage, l’exploitation forestière et le petit commerce. L’agriculture, pratiquée par toutes les ethnies est l’activité dominante et concerne surtout l’arachide et le mil. L’élevage est la deuxième activité économique ; elle est l’œuvre des peulhs et des Sérères, et concerne les bovins, les équins, les asins et les petits ruminants (ovins, caprins etc.). L’exploitation des ressources forestières (cueillette, apiculture) et le petit commerce, qui concerne surtout les femmes, sont devenus depuis quelques années des activités non négligeables génératrices de revenues. [12] Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 67 Le bocage de Sambandé | 67 température maximale température minimale température moyenne dé c 21 -3 1 dé c 11 -2 0 dé c 1e r10 no v 21 -3 0 no v 11 -2 0 1e r10 no v humidité relative de l’air Figure 3 : Températures et humidité, novembre et décembre 2002. III. Synthèse bibliographique sur les espèces prioritaires étudiées Enquêtes sur l’offre et la demande des marchés en espèces médicinales La revue documentaire a permis de noter que la demande sur les marchés urbains des produits des espèces médicinales est forte. En 1988, la Direction des Eaux Forêts Chasse et de la Conservation des Sols a estimé les besoins nationaux en phyto-médicaments traditionnels à 1 700 tonnes de produits divers (fruits et gousses, exsudats, feuilles, écorces, racines…) [16, 21]. Calculés sur la base d’un rythme de croissance démographique de 3 % par an [1], ces besoins devraient passer à 3 000 tonnes en 2010. Ces données permettent d’apprécier la pression croissante que les plantes de la phytopharmacopée subissent dans cette partie du Sahel en proie à la désertification. Au Sénégal le commerce des plantes médicinales fait vivre les herboristes. Leur chiffre d’affaire mensuel avoisinait le salaire mensuel du Sénégalais moyen ; il était de l’ordre de 50 000 F CFA dans certains marchés urbains en 1996 [21]. En 2004, les enquêtes de ENDA ont montré que ce chiffre d’affaire des herboristes dans cinq grandes villes (dont Dakar) avoisinait les 300 000 F CFA par personne et par mois, en moyenne. Cette herboristerie est génératrice de main-d’œuvre avec les récolteurs, les grossistes, les détaillants. Avec la crise économique et la cherté des médicaments modernes qui en a résulté, ce secteur se taille une part de plus en plus importante dans l’économie populaire ou informelle [19]. Le Sénégal dispose d’intéressantes ressources végétales utilisables à des fins médicinales. Très peu de travaux relatifs au Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 68 68 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique recensement des espèces vendues sur les marchés sénégalais ont été publiés. Parmi ces travaux, nous citerons : — L’inventaire réalisé par KERHARO en 1976 sur les plantes médicinales vendues sur les marchés des villes. L’auteur faisait état de 75 espèces sur un total de 542 plantes médicinales répertoriées dans son ouvrage publié en 1974. Certaines de ces espèces sont exportées à l’étranger et reviennent au Sénégal sous forme de spécialités pharmaceutiques (cas de Sterculia setigera). — Les enquêtes de L Ô et M AYNART sur les marchés Saint-Louisiens de SOR en 1977 ; ces auteurs ont élaboré un rapport de mission non publié qui porte sur 31 espèces médicinales répertoriées. — Les travaux de DIAGNE A. en 1988 qui a recensé 173 espèces médicinales appartenant à 53 familles dans le seul marché de Tiléne à Dakar [7]. — Les enquêtes de L Ô et al. dans les neuf régions [21] ; ont recensé 184 espèces médicinales identifiées sur 42 étalages d’herboristes de 20 grands marchés urbains du Sénégal. — Les travaux de DASYLVA en 2001 [6] qui a recensé sur le marché dakarois 140 espèces médicinales dont les racines représentent une proportion de 42 %. Des différentes enquêtes réalisées, DASYLVA B. a établi en 2001 un répertoire que nous avons complété avec les résultats de nos propres investigations. Le rapport provisoire élaboré a été présenté en février 1999, à l’occasion d’un atelier organisé par la Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM) du Ministère de la Santé et de la Prévention du Sénégal [12]. Ce rapport provisoire proposé ne saurait prétendre être exhaustif, mais il incite à la réflexion sur les plantes médicinales dans le système sanitaire global. Considérations générales sur les espèces prioritaires étudiées 1. Dichrostachys cinerea (L.) Wight. & Arn. Mimosaceae Mimosa Cinerea Linn., Dichrostachys glomerata (Forsk.) Chiov., Mimosa glomerata Forsk., Dichrostachys natans (Pers.) Benth., Mimosa nutans Pers., Dichrostachys platycarpa Welw. ex. Oliv. [7, 9] Botanique [3] Ce petit arbuste est une légumineuse, généralement buissonnante. Son nom Dichrostachys cendré fait allusion à l’écorce qui est d’un gris cendré. [18] [Planche p. 70.] Place en systématique [1, 7, 10] Règne : Sous-règne : Groupe : Sous-groupe : Embranchement : Sous-embranchement: Classe : Sous-classe : Série : Ordre : Sous-ordre : Famille : Genre : Végétal Cormophytes Eucaryotes Rhyzophytes Spermaphytes Angiospermes Dicotylédones Dialypétales Caliciflores Rosales leguminae Mimosaceae R. Br. Dichrostachys Noms vernaculaires [2] Bambara : Sérère : Wolof : Bassari : Français : Au Sahel Mooré : Peul : giliki, ngiliki, ntirigi suss sinth a ndémband, a mbakruka Mimosa clochette sunsutiga burlé, burli, patrulali Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 69 Le bocage de Sambandé | 69 Description de la plante [3, 7] Du grec dichros de deux couleurs et stachys épis, ce qui fait allusion aux épis floraux de deux couleurs, moitié mauve, moitié jaune ; le Mimosa clochette est un arbuste épineux, buissonnant haut de 4 à 5 mètres ou d’avantage. Écorce grise, crevassée, d’aspect tressé, fibreuse, se détachant en lanières, à tranche blanc jaune. Feuilles bipennées alternes de 5 à 15 cm de long portant 8 à 15 paires de pinnules. Les pinnules portent 10 à 25 paires de foliolules oblongues-linéaires, pubescentes longues de 4 à 10 mm et large de 1 à 2 mm. Le pétiole long de 10 à 15 mm. Fleurs groupées en racème pédonculé, dense de 6 à 10 cm de long. Les fleurs sont bicolores, rose mauve à la base. Elles sont odorantes, apparaissant en mai-juin avec les premières feuilles. Les Fruits sont des gousses fasciculées, indéhiscentes, recroquevillées sur elles-mêmes et entremêlées les unes aux autres, large de 5 à 8 cm, jaunes ou brunes, persistant longtemps sur l’arbre. Elles contiennent 4 à 5 graines ovales aplaties de 4 à 5 mm de long et large de 3 à 4 mm. Originaire d’Afrique tropicale et australe, c’est une espèce répandue en Afrique intertropicale, présente dans les savanes soudanoguinéennes et guinéennes, sur les sols lourds, au niveau des endroits en jachères de pâturage et des talus en bordure de route. [9] Socio-économie et commercialisation [1] Bien que l’espèce soit présente sur les différents marchés du Sénégal, nous n’avons pas encore d’informations fiables sur les tonnages commercialisés ainsi que les chiffres d’affaires des herboristes et des phytothérapeutes, concernant les racines et tiges vendues. Il serait intéressant de mener des enquêtes socio-économiques au niveau des marchés, des tradipraticiens et des ménages, pour une estimation de ces données, ainsi que les parties commercialisées. 2. Gardenia ternifolia K. Schum. Rubiaceae Gardenia triacantha DC, Gardenia medicinalis Vahl. Ex Schumach, Gardenia thunbergia Hiern., Gardenia jovis-tonalis (Welw.) Hiern. [7, 9,10]. Botanique [3, 4, 5, 8] D’après le Père Sébire [16], cette espèce de savane généralement glabre porte le nom latin de « Gardenia de la foudre » parce que dans certains pays, les Africains mettent des branches de cet arbuste sur leurs cases pour en éloigner la foudre. [Planche p. 70.] Place en systématique : [7] Règne : Végétal Sous-règne : Cormophytes Groupe : Eucaryotes Sous-groupe : Rhizophytes Embranchement : Spermaphytes Sous-embranchement : Angiospermes Classe : Dicotylédones Sous-classe : Gamopétales Série : Tétracycliques - Epigynes Ordre : Rubiales Famille : Rubiaceae Genre : Gardenia Noms vernaculaires : [7] Bambara : Diola : Sérère : Wolof : Français : Au Sahel Mooré : Peul : buré ké bu gnabougnab mposs ndimtône bu gôr Gardénia de la foudre Bambre-zunga dii ?aali gorki Description de la plante : [7] C’est un arbuste ou petit arbre glabre de 2 à 6 mètres de haut. Son tronc est court, soutenant une cime irrégulière et ouverte. L’écorce Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 70 70 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique 1 2 3 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 71 Le bocage de Sambandé | 71 4 5 Les espèces prioritaires étudiées : Planche 1 : Dichrostachys cinerea. Planche 2 : Gardenia ternifolia. Planche 3 : Ozoroa insignis. Planche 4 : Securidaca longidedonculata. Planche 5 : Fluggea virosa. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 72 72 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique du fût est lisse, jaune verdâtre, se desquamant en écailles irrégulières fines et grises après le passage des feux. Feuilles groupées en touffes à l’extrémité de rameaux épais, très courts, rigides. Le limbe est glabre, obové, long de 14 cm et large de 7 cm ; Les nervures sont réticulées, saillantes sur les deux faces avec des nervilles parallèles. Fleurs groupées en inflorescences composées. La fleur est munie d’une longue corolle tubulaire de 4 à 9 cm, de lobes de 2 à 4 cm. Les lobes du calice sont parfois très courts ou même nuls ou au contraire linéaires, oblongs jusqu’à 1 cm de long. Les fleurs sont grandes et belles très parfumées, blanches puis jaune crème. La floraison intervient de janvier en mai. Fruits durs, très variables de forme et de dimensions, ellipsoïdes ou subglobuleux à surface gris verdâtre, lenticellée ou rugueuse, lisse ou côtelée. Le fruit est long de 2 à 10 cm. Le péricarpe est épais et fibreux. Les fruits restent sur les arbustes durant une grande partie de l’année. Elle paraît être une espèce panafricaine, très fluctuante. Le Gardénia de la foudre pousse dans les savanes sahélo-soudaniennes et guinéennes sur divers sols : argileux compacts, sableux, cuirasses ferrugineuses temporairement inondées. III.2.2.2. Socio-économie et commercialisation Le « Dimbtône » est très connu par ces propriétés hypertensive et anti-ictérique, surtout au Sénégal. La plante est très présente dans les marchés des villes. Un important tonnage de racines est écoulé chaque année, ainsi que les tiges vendues comme « agitateur de lait caillé » (roukhou) par les vendeurs de Cure-dent. Selon LY, trente-quatre tonnes, environs seraient commercialisées dans les marchés dakarois entre 2001-2002. Ce qui représente, selon l’auteur, un chiffre d’affaires annuelles de 23 814 000 F CFA chez les herboristes. 3. Ozoroa insignis Del. Anacardiaceae Heeria insignis (Del.) O. Kze., Anaphrenium abyssinicum Hochst., Rhus insignis Del., Ozoroa reticulata (Bak. F.) R. & A. Fernandez. [7,15] [Planche Ozoroa p. 70.] Botanique [3, 4, 5, 15] Place en systématique : [7] Règne : Sous-règne : Groupe : Sous-groupe : Embranchement : Sous-embranchement: Classe : Sous-classe : Série : Ordre : Famille : Genre : Végétal Cormophytes Eucaryotes Rhizophytes Spermaphytes Angiospermes Dicotylédones Dialypétales Caliciflores Sapindales Anacardiaceae Ozoroa Noms vernaculaires : [14] Bambara : Bassari : Sérère : Wolof : Français : Au Sahel Peul : ndolisségi a ndiomboné ngégésan vosvosor, vasvasor Hééria remarquable gurugali, takara, kuléhi, kélélèdéri, kéléli Description de la plante : [7, 15] C’est un petit arbre ou arbuste pouvant atteindre 3 à 5 mètres, à cime peu dense. Écorce grise à brun pâle, légèrement fendillé, à tranche jaune pâle striée de noir. Le rameau est légèrement pubescent devenant glabre, gercé et lenticellé. Latex blanc. Feuilles verticillées par 3 à 4, opposées ou alternes. Le limbe est de forme elliptique lancéolé long de 6 à 10 cm, large de 2 à 3 cm, vert foncé au-dessus, Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 73 Le bocage de Sambandé | 73 blanc argenté en-dessous et pubescent. Le sommet est arrondi et mucroné, atténué en coin. Les feuilles âgées sont souvent légèrement rugueuses sur la face supérieure, et les jeunes feuilles plus ou moins cireuses. Le pétiole long de 7 à 12 mm est peu tomenteux. Les nervures sont serrées et parallèles ; on compte de 20 à 35 nervures latérales ou secondaires droites. Fleurs groupées en panicule terminale et axillaire, mesurant 7 à 15 cm de long. Les Fleurs sont petites, blancjaunâtre ou blanche de 3 à 6 mm de diamètre, possédant 5 pétales. Elles apparaissent pendant la saison des pluies. Les Fruits sont des baies aplaties, dures, noires brillant à maturité. Ils ont une largeur de 5 à 8 mm et restent souvent sur l’arbre durant toute la saison sèche. C’est une espèce originaire d’Afrique au sud du Sahel. Elle pousse dans les savanes sahelo-soudaniennes et soudano-guinéennes, les forêts arborées sèches, sur les sols plus ou moins sableux. Au Sénégal, l’espèce se rencontrait autrefois dans la presqu’île du Cap-Vert. Mais actuellement, il est plus commun surtout depuis la région de Kaolack jusqu’au Sénégal oriental (Région de Tambacounda.). C’est une plante de savane, quelquefois saxicole. Socio-économie et commercialisation Nous avons constaté sur la majeure partie des marchés du Sénégal la présence du Ozoroa insignis en fagot de racines. On note d’importantes quantités de racine chez cette espèce, commercialisées dans les marchés de Thiaroye et de Tilène. Il n’y a aucune étude constatée sur la socio-économie de cette plante [6]. Selon Aubreville [7], les feuilles sont utilisées aussi, comme fourrage pour le bétail. 4. Securidaca longepedunculata Fres. Polygalaceae Securidaca spinosa Sim., Lophostylis pallida Klotzsch. Botanique [4, 5, 7, 14] Cette plante décorative à cause de ces fleurs est utilisée aussi pour les haies vives. [Planche Securidaca p.71.] Place en systématique Règne : Sous-règne : Groupe : Sous-groupe : Embranchement : Sous-embranchement: Classe : Sous-classe : Série : Ordre : Famille : Genre : Végétal Cormophytes Eucaryotes Rhizophytes Spermaphytes Agiospermes Dicotylédones Dialypétales Disciflores Sapindales Polygalaceae Securidaca Noms vernaculaires [7, 14] Bambara : Diola : Sérère : Wolof : Français : Au Sahel Mooré : Peul : ndoro fu diaray kuf, kuk fuf Arbre à serpent pelgha aalali Description de la plante C’est un arbuste dressé pouvant atteindre 7 à 8 mètres de hauteur. Écorce épaisse, lisse, jaune et fibreuse. Le liber contient une fibre particulièrement résistante sur les jeunes rameaux et appréciée pour la confection des cordes et de filets de pêcheurs. Feuilles alternes de 5 sur 2,5 cm, lancéolées, allongées, de couleur vert foncé, coriaces et Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 74 74 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique pubescentes au-dessus. Les pétioles sont courts et pubescents. Fleurs très odorantes et composées d’un calice à 5 sépales, d’une corolle avec 1 grand pétiole médian, et 2 petits latéraux pourpre rougeâtre. Racine très épaisse sentant le thymol, l’écorce et les racines fournissent des poisons à flèches. Fruit contenant une graine et s’amarre à une grande aile plate, de 4 à 5 cm de long. L’aile papyracée, à sommet arrondi, à base en coin, de 1,2 à 2 cm de large. Graine irrégulièrement ridée, à peu près plate et oléagineuse. La plante est très difficile à transplanter à cause de son long pivot (racine). Originaire d’Afrique, l’arbre à serpent est très répandu sur toute l’Afrique, dans les savanes et forêts. Il préfère les sols sableux ou rocheux de savanes assez humides, ainsi que les champs et les voies de pâturages ; et résiste aux vents violents. Cet arbuste est distribué dans les savanes soudaniennes à guinéennes, sur latérite, au bord des zones humides (rizières, vallées). 5. Fluggea virosa (Roxb. Ex. Willd.) Voigt. Euphorbiaceae Socio-économie et commercialisation LY B. a mené des enquêtes socio-économiques auprès des herboristes, tradipraticiens et ménages dakarois. Un échantillon, de 30 herboristes localisés dans 3 zones dakaroises, a été sondé : Les zones centre-ville (CV), Pikine- Guédiawaye (PG), Grand-Yoff – Parcelles assainies – Village Lébou (GL). Presque l’essentiel des personnes s’adonnant à cette activité sont du troisième âge, avec 54 % de la population étudiée se situant dans la tranche d’âge de 56 à 85 ans. Les jeunes qui représentent 13 % de cette population, occupent une place non négligeable. Noms vernaculaires [14, 17] Phyllanthus virosus Roxb. ex Willd. (1805), Securinega virosa (Roxb.) Baill., Fluggea microcarpa Blume. (1825), Securinega microcarpa (Blume.) Pax. & K. Hoffm. ex. Aubrév. (1950) [7, 17] [Planche Fluggea virosa p.71.] Botanique [7, 14, 22] Place en systématique Règne : Sous-règne : Groupe : Sous-groupe : Embranchement : Sous-embranchement: Classe : Sous-classe : Série : Ordre : Famille : Genre : Bambara : Sérère : Wolof : Français : Mooré : Peul : Végétal Cormophytes Eucaryotes Rhizophytes Spermaphytes Angiospermes Dicotylèdones Dialypétales Thalamiflores Euphorbiales Euphorbiaceae Fluggea ndéné, tiéné, katam karam mbarambaram, farãgfa rãg keng Sécurinéga vénéneux sughed-dagha sugurlaagahi, tièmbélgorél Description de la plante [7, 17] C’est un arbre ou arbuste de 2 à 4 mètres de hauteur et buissonnant parfois, Il a une cime ouverte avec des branches plus ou moins sarmenteuses et retombantes. Écorce fibreuse est grise. Les rameaux sont lenticellés, rougeâtres à bruns, anguleux et glabre. Les Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 75 Le bocage de Sambandé | 75 stipules sont caduques et très petites. Feuilles persistantes ou parfois caduques, alternes et simples (4-7 x 2-4 cm). Le limbe est membraneux, portant 7 à 10 paires de nervures secondaires peu marquées. Le pétiole est pourpre et mesure 4 à 6 mm de long. Le Fluggea virosa est une espèce monoïque (les sexes sont séparés sur le même pied). L’inflorescence est un fascicule naissant à l’aisselle des feuilles. Elle est composée de très nombreuses fleurs mâles à 5 sépales, 5 étamines, un ovaire rudimentaire et 1 à 5 fleurs femelles à un ovaire à 3 loges, 3 styles court. Fruits en forme de petites baies globuleuses, de couleur blanche à maturité et mesurent 0,5 à 1 cm de diamètre. Elles sont déprimées au sommet, charnues, contenant des graines brillantes. La floraison à lieu à la fin de la saison sèche et aux premières pluies. Les baies sont comestibles à pleine maturité. Origine indéterminée, elle pousse dans les savanes sahelo-soudaniennes et en zones guinéennes, en station humide au Sahel, et dans les vallées ou bas-fonds dans les zones sèches. Cette espèce est caractéristique des sols perturbés (voies de pâturages) ou des jachères et des sols arides ou sablo-argileux. C’est une espèce commune et disséminée au Sénégal depuis les savanes péri forestières ; mais sa distribution est irrégulière jusqu’aux steppes sahéliennes. Socio-économie et commercialisation Bien que l’espèce soit présente sur les différents marchés du Sénégal, nous n’avons pas encore d’informations fiables sur les tonnages commercialisés ainsi que les chiffres d’affaires des herboristes et des phytothérapeutes, concernant les racines et tiges vendues. [13]. Il serait intéressant de mener des enquêtes socio-économiques au niveau des marchés, des tradipraticiens et des ménages, pour une estimation de ces données, ainsi que les parties commercialisées. IV. Résultats Potentiel ligneux de la forêt communautaire de Sambandé Composition floristique des espèces ligneuses médicinales Cet inventaire a permis de recenser 87 espèces dans les 31 placettes. Ces espèces dont 67 sont ligneuses et 20 herbacées se répartissent dans 71 genres et 38 familles. Les spécimens d’herbier de ces espèces sont disponibles au Laboratoire de Pharmacognosie et Botanique de la Faculté de Médecine, Pharmacie et d’Odontologie de l’UCAD. Les espèces énumérées dans le tableau ci-après ne sont pas toutes étiquetées dans les placettes. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 76 76 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Tableau II : Liste floristique des espèces recensées à Sambandé en novembre et décembre 2002 N° Nom scientifique Nom wolof Nom sérère 1. Acacia nilotica subsp. ‘adstringens’ Famille Néb néb Nénef 2. Acacia albida Kad, Ade Sas 3. Acacia macrostachya Sam Sîm 4. Acacia polyacantha ‘campylacantha’ Ngarap Ngobop 5. Acacia senegal Vérék Ndongargavod 6. Acacia seyal Surur, fonah Ndomb 7. Acacia sieberiana Sandandur Sul 8. Afrormosia laxiflora Fabaceae Kulukulu Tal, sav 9. Albizzia chevalieri Mimosaceae Nété nièy Séyam 10. Alyscarpus ovalifolius Fabaceae Mbamat Mbamit 11. Anacardium occidentale Anacardiaceae Darkasu Daf durubab 12. Annona senegalensis Annonaceae Dugor Ndong 13. Anogeissus leiocarpus Combretaceae Nguédiane Ngodil 14. Asparagus pauli-Gulielmi Liliaceae Firibuki Ngol a sav 15. Azadirachta indica Meliaceae Neem Nîm 16. Balanites aegyptiaca Zygophyllaceae Sump Modèle, lôl 17. Bauhinia rufescens Caesalpiniaceae Randa Ndindi 18. Bombax costatum Bombacaceae Garab i lavbé Ndondol 19. Cadaba farinosa Capparidaceae Ndébargé Ndégarek 20. Calotropis procera Asclepiadaceae Poftan Mbodafot 21. Capparis polymorpha Capparidaceae Khérègne Ngufor 22. Cassia italica Laydour Laydour 23. Cassia occidentalis Bentamaré Bégnéfégné 24. Cassia sieberiana Sendiègne Sélo, sélum 25. Celtis integrifolia Ulmaceae Mbul Ngan 26. Cissus populnea Ampelidaceae Pogoy Dom Mpogoy 27. Clematis hirsuta Renonculaceae Ndanav Ndimoss 28. Combretum aculeatum Savat Gnélafund 29. Combretum glutinosum Ratt Yay 30. Combretum nigricans Tap, ndamrat Bès 31. Combretum paniculatum Kindindolo Ndiadèl, lumèl 32. Commiphora africana Burseraceae Ngôtot Sagh, Ngolotot 33. Cordia rothii Borraginaceae Ndiayéri, Sub duam, suomâg 34. Cordyla pinnata Caesalpiniaceae Dimb Nar 35. Crataeva religiosa Capparidaceae Horèl, Hurit Ngorèl 36. Daniella oliveri Caesalpiniaceae Santan Sambam 37. Detarium microcarpum Caesalpiniaceae Dankh Ndanh 38. Dichrostachys glomerata Mimosaceae Sinth Suss 39. Diospyros mespiliformis Ebenaceae Alôm Nên 40. Ekebergia senegalensis Meliaceae Khartoy Hartoy 41. Entada africana Mimosaceae Mbatiar Fatiar 42. Erythrina senegalensis Fabaceae Hundel Ndiendé Mimosaceae Caesalpiniaceae Combretaceae Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 77 Le bocage de Sambandé | 77 43. Euphorbia hirta Euphorbiaceae Mbal Mbélofoy 44. Feretia apodanthera Rubiaceae Santièr Téker, sékar 45. Ficus gnaphalocarpa Moraceae Gang, Bot Ndunmas 46. Ficus thonningii = F. iteophylla Moraceae Loro Mbélègne 47. Flueggea virosa Euphorbiaceae Keng Faragfarag, 48. Gardenia ternifolia Rubiaceae Dibutone bu gôr Mpos 49. Grewia villosa Tiliaceae Kgorom sap Sambé 50. Guiera senegalensis Combretaceae Nger Ngud 51. Hannoa undulata Simaroubaceae Tèv, Hélu Ngoth, Hoth 52. Ozoroa insignis = Heeria insignis Anacardiaceae Woswosor Ngégésan 53. Hexalobus monopetalus Annonaceae Hassav Mbélam 54. Hippocratea africana Hippocrateaceae Taf Ndèl, tèl 55. Hymenocardia acida Euphorbiaceae Enkélègne Ngènkélégne 56. Hyptis spicigera Lamiaceae Lebalep Lubunbugor 57. Icacina senegalensis Icacinaceae Mbankanas Iba 58. Indigofera tinctoria Fabaceae Ganda Nonan 59. Khaya senegalensis Meliaceae Khay Ngarin 60. Lannea acida Sôn Ndugut 61. Lannea velutina Sôn a bèy Ndabarndoki 62. Leptadenia hastata Asclepiadaceae Thiakhat Nghasub 63. Lippia chevalieri Lamiaceae Mboromboro Mbalhat 64. Lonchocarpus laxiflorus Fabaceae Gnignah 65. Maytenus senegalensis Celastraceae Genadèk, Dori Ndafar 66. Mitragyna inermis Rubiaceae Khoss Ngaul 67. Newbouldia leavis Bignoniaceae Valakur, Ngam Gnam 68. Opilia celtidifolia Opiliaceae Toth, muthéleget Mothor, moïtior 69. Piliostigma reticulata Nguiguis Ngayoh, Lag 70. Piliostigma thonningii Nguiguis bambuk Ngayoh gôr 71. Plumbago zeylanica Plumbaginaceae Did 72. Prosopis africana Mimosaceae Ir Somb 73. Ptercarpus erinaceus Fabaceae Vèn Ban 74. Sclerocarya birrea Anacardiaceae Ber, bir Arit 75. Secudaca longepedunculata Polygalaceae Fuf Kuf, Kuk 76. Solanum incanum Solanaceae Diakhatu diane Diahatu fa ngol 77. Sterculia setigera Sterculiaceae Mbep Mbop 78. Stereospermum kunthianum Bignoniaceae Etidema, Féh Mamb, Bol nak 79. Strophanthus sarmentosus Apocynaceae Ioh, Bondé Ngab a kob 80. Strychnos spinosa Loganiaceae Tempe, Rambat Ngoba, Ndumbut 81. Tamarindus indica Caesalpiniaceae Dakhar Sob 83. Terminalia macroptera Combretaceae Vol, Guy dema Mbalak 83. Vitex doniana Verbenaceae Hel, Lenge Ndob 84. Waltheria indica Sterculiaceae Mat um kével Sane sane, Tay 85. Ximenia americana Olacaceae Ngologne Sab, Sap 86. Ziziphus mauritiana Dém, sidem Ngit 87. Ziziphus mucronata Demu bouki Ngit môn Anacardiaceae Caesalpiniaceae Rhamnaceae Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 78 78 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Tableau III. Familles les plus représentées en genres Tableau IV. Familles les plus représentées en espèces Nombre de genres Familles Familles Nombre d’espèces Ceasalpiniaceae 7 Mimosaceae 11 Fabaceae 6 Ceasalpiniaceae 10 Mimosaceae 5 Combretaceae 7 Combretaceae 4 Fabaceae 6 Anacardiaceae 4 Anacardiaceae 5 Euphorbiaceae 3 Euphorbiaceae 3 Capparidaceae 3 Capparidaceae 3 Le tableau V montre l’importance des différents genres recencés en espèces. Tableau V. Importance des genres en espèces Genres Acacia Combretum Nombre d’espèces 7 4 Noms des espèces albida macrostachya nilotica subsp adstringens polyacantha senegal seyal sieberiana aculeatum glutinosum nigricans paniculatum Cassia 3 italica occidentalis sieberiana Lannea 2 acida velutina Piliostigma 2 reticulata thonningii Ziziphus 2 mauritiana mucronata Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 79 Le bocage de Sambandé | 79 Figure 4. Courbe aire/espace. Figure 5 : Caractéristiques dendrométriques des 5 espèces prioritaires. La réalisation de la courbe aire/espèces, nous a permis de déterminer l’aire minima c’est-à-dire la plus petite superficie qui renferme le plus grand nombre d’espèces. Dans les 6 placettes (P) que nous avons étudiées, l’aire minima est de 50 m2 pour un nombre cumulé de 8 espèces. [Figure 4, ci-dessus.] Les cinq espèces prioritaires étudiées que sont Dichrostachys cinerea (4 individus), Gardenia ternifolia (4 individus), Ozoroa insignis (6 individus), Securidaca longepedunculata (6 individus) et Flueggea virosa (14 individus) sont aussi présentes dans ces 6 placettes. La dernière espèce est la plus abondante sur le site parmi ces 6 espèces. Caractéristiques dendrométriques des 46 espèces ligneuses médicinales Les données sur les caractéristiques dendrométriques des 46 espèces ligneuses médicinales sont présentées dans la figure ci-après. Les espèces dominantes en hauteur au niveau des placettes sont Tamarindus indica avec 12,2 m (moyenne sur 3 individus), Ziziphus mucronata avec 6,9 m (1 individu), Acacia seyal avec 6,8 m (moyenne sur 38 individus), Balanites aegyptiaca avec 5,7 m (moyenne sur 8 individus), Cordyla pinnata avec 5,7 m (moyenne sur 5 individus) et Acacia nilotica subsp. adstringens avec 5,6 m (moyenne sur 8 individus). [Figure 5, cidessus.] Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 80 80 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique novembre-décembre 2002 avril 2003 a a ta sa lia lia nis nis rea rea os lat ula iro ifo ifo sig sig ne cu vir v i ine n n n n nc n c c r r i i a a e e u u s s e e t t a a y g g o o ed ed hy ia ia eg eg ch or or gep gep en en tac sta Flu Flu Ox Ox on on rd rd o os l l a a r r a a G G ch ch ac ac Di Di rid rid u u c c Se Se Figure 6. Phénophases foliaires à Sambandé (indices exprimés en pourcentages) nov-déc 2002 avril 2003 bourgeons fleurs Dic hro . Ga rde n. Ox oro a Sec uri d. Flu egg e. Dic hro . Ga rde n. Ox oro a Sec uri d. Flu egg e. pas de floraison Figure 7. Phénophases foliaires à Sambandé (indices exprimés en pourcentages par rapport à l’effectif des sujets étudiés). novembre-décembre 2002 avril 2003 Fruits pas mûrs petits Fruits pas mûrs grands Fruits mûrs Chute de fruits Figure 8. Phénophases fructifères à Sambandé (indices exprimés en pourcentages par rapport à l’effectif des sujets étudiés). Flu egg e. Sec uri d. Ox oro a Ga rde n. Dic hro . Flu egg e. Sec uri d. Ox oro a Ga rde n. Dic hro . Pas de fruits Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 81 Le bocage de Sambandé | 81 Ces résultats montrent que les gros diamètres à 1,3 m et à 10 cm de haut sont observés chez Tamarindus indica (110,7 cm et 133 cm) et Cordyla pinnata (55,6 cm et 66,8 cm). Ces deux espèces qui représentent un intérêt alimentaire stratègique en période de disette présentent les plus grands individus. Ces espèces ne sont généralement pas coupées et leur large dissémination dans le site est liée à leur importance économique (fruitiers sauvages), pour les populations. Phénologie des espèces médicinales prioritaires à Sambandé Les observations phénologiques ont été effectuées en novembre et décembre 2002 et en avril 2003. Le suivi a porté sur 25 individus appartenant à 5 espèces. Nous avons recueilli une série d’informations qualitatives sur la feuillaison, la floraison et la fructification. Phénophases foliaires Les résultats sur les phénophases foliaires des 5 espèces médicinales prioritaires sont récapitulés [figure 6]. La chute des feuilles est constatée sur 3 espèces prioritaires en novembredécembre 2002 par rapport à avril 2003 où les 5 espèces prioritaires étaient en défeuillaison. La présence de feuilles est observée sur la totalité des 5 espèces médicinales prioritaires étudiées durant les deux périodes d’observation. La phénologie foliaire en avril 2002 montre une influence du manque d’eau et la chaleur à cette période de saison séche (température de 30,5 °C et humidité atmosphérique de 30 %) sur l’émission de bourgeons chez les cinq espèces prioritaires Phénophases florifères Les données sur les phénophases florifères des 5 espèces ligneuses médicinales sont présentées dans les deux figures qui suivent [figure 7]. Les résultats du suivi de la floraison en novembre-décembre 2002 et en avril 2003 montrent que la phénophase florale n’est pas homogène chez les 5 espèces prioritaires. Nous n’avons pas observé de fleurs en novembre – décembre 2002 sur l’ensemble des individus des 3 espèces suivantes : Dichrostachys cinerea, Securidaca longepedunculata et Gardenia ternifolia. En avril 2003, nous avons noté l’absence de fleurs sur la totalité des individus représentant les 5 espèces étudiées. Phénophases fructifères Les résultats sur les phénophases fructifères des 5 espèces médicinales prioritaires figurent dans la figure 8. En novembre-décembre 2002 sur l’ensemble des espèces, deux espèces seulement, Securidaca longepedunculata et Flueggea virosa sont en pleine fructification. En avril 2003, pour le reste de la population étudiée, nous avons remarqué quelques variations sur la maturation des fruits notamment chez Dichrostachys cinerea. Rapports de phytomasses épigée/ hypogée et évaluation de l’état des populations des 5 espèces médicinales prioritaires à Sambandé Les résultats présentés ont été obtenus à partir de 5 individus pour chaque espèce. La hauteur moyenne pour les 5 individus est de 5,03 m pour Dichrostachys cinerea, 4,31 m pour Gardenia ternifolia, 6,67 m pour Ozoroa insignis, Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 82 82 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Biomasse totale (kk) Flu egg e. Sec uri d. Ox oro a Ga rde n. Dic hro . Biomasse hypogée (%) Figure 9. Phytomasses moyennes des cinq espèces prioritaires étudiées entre novembre et décembre 2002 à Sambandé (% de poids frais). 9,07 m pour Securidaca longepedunculata et 10, 6 m pour Flueggea virosa. Le diamètre moyen des individus de ces espèces est respectivement de 6,2 cm, 9,8 cm, 8,6 cm, 20,5 cm et 23,9 cm. Le nombre de tiges latérales pour l’ensemble des 5 individus de chaque espèce est respectivement de 40, 41, 133, 107 et 126. La biomasse hypogée et la biomasse foliaire ont été obtenues à partir d’une pesée. [Figure 9.] L’état sanitaire des 5 individus de chaque espèce prioritaire a été apprécié à l’aide de l’échelle de Nicholson modifiée (1958) [tableau VI]. Tableau VI. Estimation de l’état sanitaire des cinq espèces prioritaires par rapport au nombre de sujets (échelle Nicholson modifié 1958), novembre-décembre 2002. Genres et espèces Nombre de sujets Sujets bien portants Sujets assez bien portants Sujets passables Sujets mauvais Expression du risque (vulnérabilité) Moyenne menace Forte menace Faible menace Faible menace Forte menace Dichrostachys cinerea Gardenia ternifolia Ozoroa insignis Securidaca longepedunculata Flueggea virosa 5% 5% 5% 5% 5% — — 20 % — — 40 % 20 % 80 % 100 % 20 % — 20 % — — — 60 % 60 % — — 80 % TOTAUX 25 % 20 % 260 % 20 % 200 % 1. Dichrostachys cinerea (L.) Wight. & Arn. Mimosaceae Pour cette espèce, nous avons relevé sur l’ensemble des 5 individus étudiés 81,2 % (5 740 g) de biomasse épigée, dont 26,31 % (1 510 g) de biomasse foliaire, contre 18,8 % (1 330 g) de biomasse hypogée, pour une moyenne de taille à partir du collet de 1,01 m de hauteur et 1,24 cm de diamètre à 1,3 m du sol. Les menaces constatées sont plutôt négligeables sur cette espèce puisqu’elle drageonne facilement. Mais, il serait nécessaire d’avoir les informations se rapportant à la productivité fruitière dans le site de Sambandé. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 83 Le bocage de Sambandé | 83 2. Gardenia ternifolia K. Schum. Rubiaceae 4. Securidaca longepedunculata Fres. Polygalaceae L’échantillonnage de 5 individus de cette espèce nous a permis d’avoir en novembre – décembre 2002, les pourcentages suivants : 32,55 % (1 380 g) de biomasse hypogée contre 67,45 % (2 860 g) de biomasse épigée, dont 18,36 % (525 g) de biomasse foliaire. Sur une moyenne en hauteur de 0,86 m et en diamètre de 1,96 cm à partir de 1,3 m audessus du sol. Les menaces actuellement constatées sont liées à la sécheresse et au surpâturage. Les feuilles sont consommées comme fourrage par le bétail en période sèche. L’expression du risque pour Gardenia ternifolia est forte sur le site, avec 60 % de mauvais individus, 20 % d’individus assez bien portants et 20 % d’individus passables. L’étude sur l’espèce a donné dans le site de Sambandé 57,2 % (14 700 g) de biomasse hypogée contre 42,8 % (11 000 g) de biomasse épigée, incluant 48,18 % (5 300 g) de biomasse foliaire. Les moyennes de la taille des individus sont de 1,81 m de hauteur et 4,1 cm de diamètre à 1,3 mètre. Aucun dégât n’a été constaté sur les 34 baliveaux, observés pendant les périodes d’études de novemvre – décembre 2002 et avril 2003. La menace sur cette espèce au Sénégal, avec 100 % de sujets assez bien portants, peut être interprêtée comme découlant d’une pression anthropique très forte dans certaines régions septentrionales (prélèvement de racines et de tiges). Le Securidaca par rapport à la classe de houppier a 40 % d’individus co-dominants et 60 % d’individus intermédiaires. Nous avons noté une certaine vulnérabilité sur cette espèce, à cause de la sécheresse. L’espèce semble être représentée par une faible densité de population, les études ultérieures devront préciser l’étendue de cette menace. Les écorces de la totalité des individus sont à 100 % saines. 3. Ozoroa insignis Del. Anacardiaceae Il ressort de l’étude que, les cinq individus, prises d’essai, récoltés entre novembre et décembre 2002, ont donné en pourcentage : 70 % (11 900 g) de biomasse hypogée contre 30 % (5 100 g) de biomasse épigée incluant 23,73 % (1 210 g) de biomasse foliaire et sur une moyenne de taille en hauteur de 1,33 m et 1,72 cm de diamètre à 1,3 m à partir du collet. Dans notre étude, nous avons remarque et noté que l’espèce est fixée par un très fort système racinaire. L’état sanitaire de cette espèce montre une expression de faible menace, sur les cinq individus, nous avons 20 % de sujets bien portants et 80 % de sujets assez bien portants. Par rapport à la classe de houppier toujours en novembre et décembre 2002, les résultats nous montre que pour l’espèce, 40 % des individus sont codominants, 60 % sont des individus intermédiaires. Les écorces de la totalité des individus sont à 100 % saines. 5. Flueggea virosa (Roxb. ex. Willd.) Voigt. Euphorbiaceae Il ressort de cette étude que parmi les cinq espèces médicinales prioritaires étudiées Flueggea virosa présente la biomasse totale la plus importante (32 kg), suivi par Securidaca longepedunculata (25,7 kg), Ozoroa insignis (17 kg), Dichrostachys cinerea (7,07 kg) et Gardenia ternifolia (4,24 kg). Le rapport biomasse épigée/biomasse hypogée des 5 espèces montre que Ozoroa insignis a une biomasse épigée relativement faible, 30 % contre 70 % de biomasse hypogée. Par contre, Dichrostachys cinerea a une biomasse épigée importante de 81,2 % contre 18,8 % de biomasse hypogée. Concernant l’état sanitaire Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 84 84 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique des espèces, Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata présentent un état satifaisant par rapport aux trois autres espèces. Sur le site de sambandé, l’expression du risque (vulnérabilité) reste faible chez Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata, moyenne chez le Dichrostachys cinerea et forte chez Gardenia ternifolia et Flueggea virosa. nantes un manque de produits pour les soins en phytothérapie, une régression des activités portant sur la pharmacopée, un accroissement de la pauvreté, un manque de ressources à exploiter sur le plan socio-économique et une absence d’activités génératrices de revenus. Compte tenu des problèmes évoqués, des réponses ont été dégagées par les participants, en vue de solutions immédiates où futures. Les causes socio-économiques et bio-physiques de la dégradation des espèces médicinales à Sambandé Les solutions à apporter pour restaurer et protéger les ressources végétales Les causes de la dégradation des ressources végétales médicinales dans la zone Un nombre important d’interventions nous a permis de recueillir les principales causes de la dégradation des ressources naturelles dans la zone de la communauté rurales de Keur Baka. Il s’agit dans l’ensemble, de causes constituées de phénomènes naturels (sécheresse, dégradation des sols, compétition entre les espèces), de pratiques néfastes (feux de brousse, carbonisation clandestine, surpâturage, émondage, abattage ou coupe de bois, cueillette excessive des fruits). Actuellement, les feux de brousse constituent le principal facteur de dégradation. Il existe aussi quelques contraintes liées à l’exploitation frauduleuses des produits, par des allochtones qui viennent cueillir les fruits sauvages parfois immatures pour la commercialisation. Les effets de la dégradation des ressources végétales sur la vie des populations Dans la discussion, les participants pensent que la dégradation des espèces végétales a pour conséquences chez les populations environ- Il s’agira, selon les vœux des populations de : — mettre en place un code de conduite propre à faciliter les changements de comportement ; prévenir les feux de brousse ; — former, sensibiliser et informer d’avantage les populations sur les techniques de récolte ; — encourager une bonne gestion des ressources végétales (produits de cueillette et bois) — créer des banques de semences villageoises ; — procéder à une régénération assistée d’espèces qui existaient dans la zone ; — créer des arboreta villageois et la mise en place de pépinières d’espèces locales ; — motiver les membres de la commission environnement de la cellule d’animation et de concertation (CAC) par des badges ; — promouvoir le financement de microprojets d’activités génératrices de revenus liés à la gestion des ressources naturelles ; La liste des espèces médicinales rares et/ou disparues dans la zone Les personnes enquêtées des dix villages ont eu à donner la liste des quelque 28 espèces médicinales rares ou en voie de disparition dans la zone. Ces espèces sont citées lors du focus-group ; mais les scores ne sont pas révélés : Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 85 Le bocage de Sambandé | 85 Tableau VII. Espèces médicinales rares et/ou disparues citées. p p Nom local Nom scientifique Nom local Nom scientifique Kulukulu Dank Loro Sékhaw Katidiankuma Ven/bane Sôn Dému buki Poss Ir Kan/Mbayo Nandock Véréck Enkélègne Afrormorsia laxiflora Detarium microcarpum Ficus thonningii Combretum micranthum Psorospermum senegalense * Pterocarpus erinaceus Lannea acida Ziziphus mucronata * Gardenia ternifolia Prosopis Africana Antiaris africana Nauclea latifolia * Acacia Senegal Hymenocardia acida * Ndiob Detah Garadu laobé Fuf Ron Ngueguessan Kel Keng Santang Mbormboro Khartoy Kad Sendiègne Ndimbeli Vitex doniana Detarium senegalense Bombax costatum Securidaca longepedunculata Borassus aethiopum Newbouldia leavis Grewia bicolor Flueggea virosa Danniellia oliveri Lippia chevalieri Ekebergia senegalensis Faidherbia albida Cassia sieberiana * Swartzia madagascariensis * * : espèces ayant fait l’unanimité des populations locales sur leur importance économique. Liste des espèces médicinales considérées comme ayant une importance économique directe (médicinale ou alimentaire) pour les populations Dans les focus groups, la préoccupation des populations pour des espèces à valeur économique importante a été soulignée. À ce titre une trentaine d’espèces a été relevée, dont six avec un très grand score : Cassia sieberiana, Psorospermum senegalense, Ekebergia senegalensis, Swartzia madagascariensis, Ziziphus mucronata, Hymenocardia acida. [Tableau VIII, p. 86.] Il ressort des enquêtes menées que 30 espèces médicinales présentent une valeur socio-économique de par leur importance médicinale ou alimentaire. Les espèces menacées sont au nombre de 28. Les causes de dégradation des espèces étudiées sont de deux ordres : des causes naturelles (sécheresse, dégradation des sols, compétition entre les espèces), et des causes anthropiques qui sont des pratiques néfastes de l’homme (feux de brousse, carbonisation clandestine, surpâturage, émondage, abattage ou coupe de bois, cueillette excessive des fruits). Les facteurs anthropiques et notamment les feux de brousse apparaissent comme les causes les plus importantes. Ces causes ont pour effets dans la vie des populations environnantes un manque de produits pour les soins en phytothérapie, une régression des activités portant sur la pharmacopée, un déficit de ressources alimentaires et un accroissement de la pauvreté. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 86 86 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Tableau VIII. Espèces médicinales citées ayant une importance économique. Nom local Nom scientifique Guy Dimb Surur Nguiguis Alom Dakhar Sidèm Sump Khoss Dimtône Loro Nebneb Ir Sendiengne Fuf Adansonia digitata Cordyla pinnata Acacia seyal Piliostigma reticulata Diospyros mespiliformis Tamarindus indica Ziziphus mauritiana Balanites aegyptiaca Mitragyna inermis Gardenia ternifolia Ficus thonningii Acacia nilotica ‘adstringens’ Prosopis africana Cassia sieberiana * Securidaca longepedunculata Nguiguis bambuk Keng Khassaw/mbélam Katidiankuma Toth Khartoy Mbormborom Ngologne Ndimbeli Ron Dému buki Mango Ber Ven Enkélègne Piliostigma thonningii Flueggea virosa Hexalobus monopetalus Psorospermum senegalense* Opilia celtidifolia Ekebergia senegalensis * Lippia chevalieri Ximenia americana Swartzia madagascariensis * Borassus aethiopum Ziziphus mucronata * Mangifera indica Sclerocarya birrea Pterocarpus erinaceus Hymenocardia acida * Légende :* : espèces ayant fait l’unanimité des populations locales sur leur importance économique. V. Discussion La discussion a porté sur les résultats relatifs à la flore et à la végétation, à la phénologie, à la phytomasse épigée/hypogée, à l’état des populations des espèces et aux causes de dégradation des populations des cinq espèces médicinales considérées comme prioritaires. La flore et la végétation L’inventaire floristique a permis de recenser 87 espèces dans les 31 placettes. Ces espèces dont 67 sont ligneuses et 20 herbacées se répartissent dans 71 genres et 38 familles. Ces informations indiquent que la forêt communautaire de Sambandé qui est une mise en défens récente de 2 ans d’après le PAGERNA est relativement riche en espèces ligneuses. Ndiaye en 2004 a recencé 98 espèces, ce qui montre une apparition de 11 espèces supplémentaires. Les Mimosaceae, les Ceasalpiniaceae, les Combretaceae, les Fabaceae, les Anacardiaceae, les Euphorbiaceae et les Capparidaceae sont les familles les plus représentées en espèces, ce qui indique que nous avons affaire à un écosystème de type soudano-sahélien. Les résultats d’inventaire de novembre 2002 et d’avril 2003 montrent que nous sommes en présence d’une savane boisée dominée par Acacia seyal de par sa hauteur et son abondance. Parmi les espèces médicinales prioritaires, trois dominent les deux autres de par leur hauteur. Il s’agit de Securidaca longepedunculata, Dichrostachys cinerea et Flueggea virosa. Ces espèces sont suivies par Ozoroa insignis et Gardenia ternifolia qui sont légèrement dominées par les 3 premières parce qu’elles sont appétées par le bétail qui limite vraisemblablement leur développement. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 87 Le bocage de Sambandé | 87 La phénologie des espèces Feuilles La chute des feuilles est constatée sur 3 espèces prioritaires en novembre-décembre 2002 par rapport à avril 2003 où les 5 espèces prioritaires étaient en défeuillaison. La phénologie foliaire en avril 2002 montre une influence du manque d’eau et de la chaleur à cette période de saison séche (température de 30,5 °C et humidité atmosphérique de 30 %) sur l’émission de bourgeons chez les cinq espèces prioritaires. Les jeunes feuilles et les bourgeons sont mieux appréciés des populations que les vieilles feuilles pour les utilisations alimentaires, médicinales et fourragères. En effet, les vielles feuilles sont souvent attaquées par des insectes et autres microorganismes phytopathogènes. Le calendrier de récolte des feuilles de plantes médicinales devrait prendre en compte certains aspects phytosanitaires liés à l’existence de ces organismes nocifs à la consommation, ainsi que des résidus de pesticides dans la nature. Fleurs Les résultats du suivi de la floraison en novembre-décembre 2002 et en avril 2003 montrent que la phénophase florifère n’est pas homogène. Cette phénophase varie donc en fonction des espèces. En novembre – décembre 2002 par exemple, l’Ozoroa insignis étaient en fleurs. En avril 2003, aucune des espèces prioritaires n’était en floraison. Ces résultats s’expliquent par le fait que la floraison de ces espèces varie suivant la périodicité pluviométrique annuelle. Ces résultats donnent des indications sur les périodes de floraison des espèces, ce qui devrait permettre aux populations de mieux situer les périodes de récolte des fleurs et de prendre les mesures d’entretien nécessaires pour favoriser la fructification des espèces. En effet, les fleurs, malgré leur faible usage en médecine traditionnelle, dictent en général la production des fruits ainsi que celles des dérivés de la ruche (miel, cire, propolis), qui constituent autant de produits générateurs de revenus en milieu rural. Les seuls prédateurs floraux que nous avons observés sont les insectes, les écureuils, les singes. Les phénomènes naturels (vents, fortes chaleurs…) et anthropiques (passage du bétail, les récoltes de fruits…) peuvent aussi être des facteurs favorisant la chute des fleurs de Gardenia ternifolia, Flueggea virosa et Securidaca longepedunculata. Ces facteurs peuvent avoir des répercussions sur la production fruitière et entraver la dissémination de certaines espèces. Fruits En novembre-décembre 2002 deux espèces seulement, Securidaca longepedunculata et Flueggea virosa sont en pleine fructification. Ceci montre un manque de production fruitière pour les espèces recensées pour le commerce local. Le bocage de Sambandé fournit quelques produits intéressants dont les fruits (Diospyros mespiliformis, Balanites aegyptica, Tamarindus indica…) constituent une source de revenus monétaires pour les populations, notamment les femmes et les enfants. Mais en raison de la jeunesse de cette « mise en défens » (6 ans en 2006), des mesures de conservation in situ et des essais de régénération assistée sont actuellement tentées par les autorités et les populations locales. Les chercheurs du GRPM de l’UCAD devront jouer un rôle actif dans cette forme de recherche opérationnelle participative. À ce titre, une banque villageoise de semences d’espèces médicinales est en voie de constitution à Sambandé pour permettre de sauver ce qui peut l’être. Ceci pourrait contribuer à la lutte contre la pauvreté. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 88 88 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique La phytomasse : épigée/hypogée des 5 espèces médicinales prioritaires Plusieurs études menées sur les marchés des grandes villes du Sénégal ont montré que la demande en plantes médicinales est assez forte. Cette forte demande a entraîné une exploitation anarchique et abusive des ressources médicinales. C’est essentiellement le prélèvement d’écorces et de racines qui confère à cette activité une influence négative sur la dynamique des populations des espèces médicinales. Les racines et/ou les écorces de tiges d’environ une centaine d’espèces répertoriées par Kerharo et Dasylva sont très exploitées à des fins médicinales au Sénégal. L’adéquation entre l’offre et la demande en produits médicinaux devrait permettre une bonne planification de l’exploitation des espèces médicinales dans le site de Sambandé. Le rapport biomasse épigée/biomasse hypogée des 5 espèces montre que Ozoroa insignis a une biomasse épigée relativement faible (30 % contre 70 % de biomasse hypogée). Par contre, Dichrostachys cinerea a une biomasse épigée importante (81,2 % contre 18,8 % de biomasse hypogée). Les vertus thérapeutiques et alimentaires de ces 5 espèces sont connues des populations, ce qui justifie la forte pression qu’elles subissent et la présence de plus en plus importante de leurs produits sur les marchés. En effet, ces espèces présentent des propriétés thérapeutiques intéressantes, notamment pour le traitement de certaines maladies fréquentes, mais sont également utilisées à grande échelle pour d’autres usages ethnopharmacologiques. Flueggea virosa de par la forte demande des marchés urbains est potentiellement menacée sur le site de Sambandé du fait de sa faible abondance et de sa faible biomasse épigée (30 % contre 70 % de biomasse hypogée). D’après des enquêtes du GRPM menées dans la période 2000-2003 (Ndiaye 2004), l’espèce est commercialisée dans les marchés de Dakar avec des tonnages avoisinant 9,8 tonnes par an, ce qui représente un chiffre d’affaire de l’ordre de 21 millions par an. Selon cet auteur, la durée d’écoulement des stocks est de 15 jours. Le poids moyen d’un fagot vendu au marché est de l’ordre 92,6 grammes de racines (Lô 2000). Le nombre d’herboristes détenant des produits de cette plante sur un échantillon de 500 fournisseurs est de 294, soit 70 % des herboristes. Les racines de cette plante sont utilisées comme aphrodisiaques, vermifuges, antidysentériques, anti-hémorroïdaires et analgésiques. Les écorces sont utilisées dans le tannage et comme poison dans la pêche. De par leur propriété astringente, elles sont utilisées contre les abcès et la pneumonie. Arbonnier (2002) note que son bois est utilisé comme piquets et tuteurs dans les vergers, dans le petit mobilier et l’artisanat (chaises, lits, paniers), dans la confection des toitures, comme charbon de bois et bois de feu. Les feuilles présentent des propriétés laxatives et stimulantes et sont préconisées contre la fatigue et les courbatures. Elles sont par ailleurs consommées par le bétail tandis que les fruits seraient localement consommés par les populations. Cet arbuste buissonnant est utilisé en haie vive et en ornement dans les jardins. Dans les zones cultivées du bassin arrachidier au Sine Saloum, l’espèce est défrichée pendant les travaux champêtres. Sa protection dans la mise en défens de la forêt communautaire Mama Kaoussou de Sambandé mérite donc d’être renforcée. La deuxième espèce dont l’offre dans le site et la demande des marchés ne semble pas en adéquation est Gardenia ternifolia. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 89 Le bocage de Sambandé | 89 L’espèce qui ressemble à Margaritaria discoïdea (Baill.) Webster est assez difficile à différencier de celle-ci. Cette espèce des savanes sahélo-soudaniennes à guinéennes [7], peu abondante et largement distribuée dans la zone du Sine Saloum (1 à 2 individus au km2), est fortement demandée sur le marché dakarois (environ 34 tonnes de racines/an). L’indice de présence du Gardenia au niveau des étalages est de 100 %. Les racines et écorces sont commercialisées avec d’importants tonnages (environs 34 tonnes par an), soit 11,41 % des chiffres d’affaires des herboristes cités dans l’enquête du GRPM de février 1999. Les herboristes enquêtés ne font pas une grande différence entre Gardenia ternifolia et les autres espèces de Gardenia représentées au Sénégal. Les chromatographies sur couche mince (CCM) réalisées par le GRPM sur les échantillons des marchés dakarois font état de l’existence de plusieurs chimiotypes. Les racines sont purgatives, hépatiques, anti-rhumatismales et cholagogues. Les écorces sont stimulantes, anti-hémorroïdaires, anti-odontalgiques et cicatrisantes [5]. Les feuilles sont utilisées pour soigner la diarrhée, la lèpre et l’hypertension. Les fruits sont fortifiants, anti-asthéniques et défatigants. Son bois jaune et très dur est utilisé pour la fabrication de cuillères et de manches de couteaux, d’outils divers, de flûtes et de sifflets. La troisième espèce, Securidaca longepedunculata, bien que largement distribuée en Afrique (du nord au sud et du Sénégal au Kenya), figure sur la liste ICRAF des espèces menacées par l’homme. Il semblerait qu’un projet d’exploitation industrielle soit entrain d’être monté au Sénégal, compte non tenu des tonnages observés dans les marchés. Cette espèce apparemment menacée dans les savanes soudano-guinéennes et réputée antivenimeuse (racines) est utilisée pour soigner les morsures de serpents. Ses racines son utilisées contre les rhumatismes articulaires chroniques et les céphalées. Elles sont également bien connues pour leur action sternutatoire (Kerharo) et leurs propriétés analgésiques et antihelminthiques. Les écorces sont utilisées contre la filariose, comme colorant jaune et dans le cordage. Les rameaux feuillés sont utilisés contre les morsures de serpent, la conjonctivite et la cataracte. Les feuilles sont antipyrétiques et anti-aménorrhées. Les fleurs fraîches rentrent comme condiments dans les sauces, et le bois est utilisé comme charbon de bois et bois de feu (Arbonnier, 2002). Les racines sont utilisées comme poison de flèche et sont toxiques pour les animaux à sang froid (reptiles, poissons). L’importance socioéconomique de Securidaca longepedunculata a été révélée à l’ocassion d’enquêtes du GRPM au niveau des marchés dakarois (LY 2001). Sur 30 herboristes enquêtés, l’indice de présence de cette espèce est de 73 % avec un tonnage de l’ordre de 3,4 tonnes par an sur les étalages. Pour les deux dernières espèces (Dichrostachys cinerea et Ozoroa insignis), des compléments d’étude de densités/ha sont nécessaires sur le site de Sambandé. De même au niveau des marchés, des enquêtes du GRPM doivent permettre de préciser les tonnages/an, pour le commerce des racines. Dichrostachys cinerea est une espèce sahélo-soudanienne à guinéenne. Elle possède un fort système racinaire et envahit les sols lourds (Arbonnier, 2002). Bien qu’épineuses, les feuilles de cette plante sont prisées par le bétail. Les racines, les feuilles, les écorces et les fruits sont utilisés en pharmacopée et vendus sur les marchés sous forme de bottes. Les fleurs visitées par les abeilles présentent un intérêt en apiculture et en horticulture. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 90 90 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Ozoroa insignis est une éspèce soudanoguinéenne de savanes [7] dont les racines sont vermifuges et sont vendues sur les marchés pour traiter les ulcères phagédéniques, la blennorragie et les hernies. Les écorces sont purgatives, vermifuges, antidiarrhéiques et anticoliques. Les feuilles sont galactagogues, antitussives et antidysentériques. Sur les marchés dakarois, le tonnage enregistré par Dieng (2005) est de l’ordre de 3,1 tonnes/an (période 2004 – 2005). Le bois est utilisé dans la petite menuiserie (fabrication de meubles), comme bois de feu ou charbon de bois et comme cure-dents (Arbonnier 2002). Sur le plan alimentaire, les racines et les écorces sont utilisées comme succédané du thé et les fruits sont consommés par les enfants. Les rameaux feuillés sont donnés au bétail pour l’engraissement. Ils sont considérés comme toxiques pour les ânes au Soudan. L’état des populations des 5 espèces médicinales prioritaires à Sambandé Concernant l’état des populations des espèces, Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata présentent un état satisfaisant par rapport aux trois autres espèces. Sur le site, l’expression du risque (vulnérabilité) reste faible chez Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata, moyenne chez Dichrostachys cinerea et forte chez Gardenia ternifolia et Flueggea virosa. Le degré et le type de menaces observés sur les cinq espèces sont récapitulés. Ces menaces sont pour l’essentiel d’ordre anthropique (prélèvements abusifs de bois, d’écorces et de racines), notamment pour Flueggea virosa, Securidaca longepedunculata et Gardenia ternifolia. V.5. Les causes et les effets de la dégradation des populations des espèces médicinales à Sambandé Il ressort des enquêtes menées que 30 espèces médicinales présentent une valeur socioéconomique de par leur importance médicinale ou alimentaire. Les espèces menacées sont au nombre de 28. Les causes de dégradation des espèces étudiées sont de deux ordres : des causes naturelles (sécheresse, baisse de la nappe phréatique, dégradation des sols, compétition entre les espèces), et des causes anthropiques qui sont des pratiques néfastes de l’homme (feux de brousse, carbonisation clandestine, surpâturage, émondage, abattage ou coupe de bois, cueillette excessive des fruits). Les facteurs anthropiques et notamment les feux de brousse apparaissent donc comme les causes les plus importantes. L’absence de rigueur dans la procédure de mise en défens, les difficultés de gestion, ainsi que le caractère dérisoire de moyens mis en œuvre pour la protection des plantes médicinales, sont à bien des égards responsables de la dégradation, surtout dans un contexte où la compétition d’intérêts économiques divergents de plus en plus ouverte s’effectue, au détriment des espaces naturels malgré la surveillance d’une seule cellule d’animation et de concertation active. Parmi ces activités, c’est surtout la recherche de produits combustibles, de produits de construction, de produits médicinaux, ainsi que de pâturage du bétail qui ont le plus contribué à la régression du couvert végétal. La dégradation des populations de ces espèces a pour effets dans la vie des populations environnantes un manque de produits pour les soins en phytothérapie, une régression des activités portant sur la pharmacopée, un déficit de ressources alimentaires et un accroissement de la pauvreté. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 91 Le bocage de Sambandé | 91 VI. CONCLUSION Au terme de cette étude, les principales conclusions suivantes peuvent être tirées : 1. La flore du bocage de Sambandé est marquée par un fond dominant soudanosahélien. Elle est composée de 87 espèces dont 67 sont ligneuses et 20 herbacées. Ces espèces se répartissent dans 71 genres et 38 familles. Les Mimosaceae, les Ceasalpiniaceae, les Combretaceae, les Fabaceae, les Anacardiaceae, les Euphorbiaceae et les Capparidaceae sont les familles les plus représentées en espèces. Les genres Acacia, Combretum et Cassia sont les plus représentés. Dans le bocage, la dynamique de la flore semble être caractérisée par une diminution des espèces à affinité soudano-guinéenne au profit des espèces sahéliennes. 2. Les espèces ligneuses médicinales présentent des phénophases différentes. Les phases foliaires, florifères et fructifères diffèrent d’une période à une autre selon les espèces. Les espèces ligneuses médicinales suivies présentent des phases phénologiques (foliaires, florifères et fructifères) différentes en relation avec les facteurs climatiques, notamment la pluviométrie, la température et l’humidité atmosphérique. L’absence de fructification et/ou de floraison chez Dichrostachys cinerea, Gardenia ternifolia, Ozoroa insignis, Securidaca longepedunculata et Flueggea virosa est probablement liée à l’âge de leurs sujets qui sont jeunes. 3. L’étude des rapports phytomasse épigée/hypogée des espèces médicinales prioritaires montre que la biomasse de ces espèces est relativement faible. La biomasse hypogée est moins importante que la biomasse épigée chez Dichrostachys cinerea, alors qu’elle est plus importante chez Ozoroa insignis et chez Flueggea virosa. 4. L’évaluation de l’état des populations des 5 espèces médicinales prioritaires révèle que Ozoroa insignis et Securidaca longepedunculata présentent un état satisfaisant par rapport aux 3 autres. Gardenia ternifolia et Flueggea virosa présentent des populations à viabilité faible. 5. Les résultats des enquêtes ont montré que les causes de la dégradation des espèces à Sambandé sont de deux ordres : des causes naturelles (sécheresse, dégradation des sols, compétition entre les espèces), et des causes anthropiques (feux de brousse, carbonisation clandestine, surpâturage, abattage ou coupe de bois, cueillette excessive des fruits). Les feux de brousse et les prélèvements d’écorces et de racines apparaissent comme les causes anthropiques les plus importantes. Ces causes ont pour effets dans la vie des populations un manque de produits pour les soins en phytothérapie, une régression des activités portant sur la pharmacopée, un déficit de ressources alimentaires et un accroissement de la pauvreté. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 92 92 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique VII. Recommandations et perspectives de recherche Les résultats des enquêtes menées révèlent que si le manque d’eau (sécheresse) est unanimement considéré comme le principal facteur de dégradation du bocage, les populations demeurent conscientes des méfaits des activités qu’elles y mènent d’où la nécessité : 1. de réglementer l’accès et l’utilisation des ressources naturelles du terroir communautaire ; 2. d’informer et sensibiliser davantage les populations sur l’importance du code de conduite. 3. d’appliquer strictement ce code de conduite établie avec l’aide du PAGERNA ; 4. d’impliquer les populations des 10 villages riverains dans la gestion de la forêt ; 5. de former les populations aux techniques durables de récolte et aux techniques préventives de lutte contre les feux de brousse (parefeu, tableaux signalétiques etc.) ; 6. de promouvoir les techniques de régénération naturelle assistée ; 7. de mettre en place des banques de semences communautaires ; 8. d’impliquer les femmes et les enfants dans la mise en place d’une pépinière de production d’espèces en voie de disparition ; 9. de promouvoir l’introduction d’espèces médicinales identifiées lors du focus-group ; 10. de promouvoir la domestication de certaines espèces rares. Au terme de cette activité de recherche, il nous paraît important de poursuivre les investigations dans les domaines suivants : — continuer le suivi phénologique qui doit être basé sur un dispositif et assurer une périodicité sur une longue période pour l’obtention de résultats plus fiables ; — mener des études complémentaires sur la croissance, la productivité fruitière et grainière des espèces médicinales ; — mener une étude socio-économique plus approfondie sur les facteurs de la dégradation du bocage ; — envisager des actions de régénération assistée sur les espèces médicinales. n Bibliographie [1] ADANSON M., 1996. Voyage au Sénégal. SaintEtienne : Université de Saint-Étienne, 207 p. [2] ADJANOHOUN E.J, ADJAKIDJE V, LO I., 1979. Contribution aux études ethnobotaniques et floristiques au Mali. Paris : ACCT, 291 p. [3] AUBREVILLE A., 1950. Flore forestière soudano-guinéenne, A.O.F. – Cameroun – A.E.F. Société d’édition Géographique, Maritimes et Coloniales, 523 p. 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Photographies, p. 70-71 : Les auteurs : 1-2, 1-3 ; 2-1, 2-2 ; 3-1, 3-2, 3-3, 3-4 ; 4-2, 4-3, 4-4 ; 5-1, 5-3. Wikipedia Commons : 1-1, 1-3 ; 4-1, 4-5 Société française d’ethnopharmacologie : 2-4. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 94 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 95 Mettre en forme un jardin ethnobotanique Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 97 Les jardins ethnobotaniques de la Gardie L’expérience de l’association ARC’Avène Une histoire entre des hommes et un territoire Les jardins ethnobotaniques de la Gardie sont le fruit d’un engagement citoyen pour un territoire, une nature, un patrimoine. À l’origine du projet, point de savant, juste des hommes et des femmes passionnés de vie et conscients des enjeux en action sur leur territoire. Comme à l’image de l’Avène qui coule sur ces terres, les savoirs et savoir-faire naturalistes se sont glissés du passé au présent nous rappelant l’histoire de l’homme et de la nature. Ici le temps se veut impalpable, comme suspendu entre les mondes. Témoignage vivant des relations historiques entre l’homme et la nature dans les basses Cévennes, ce lieu se veut à vocation de mémoire, de revalorisation, de conservation, de protection de la nature, d’éducation, de recherche, de diffusion, d’échange voire de recomposition vivante de savoirs autour de l’environnement naturel. Aujourd’hui huit centres d’intérêt vous invitent à la rencontre des plantes au rythme des saisons et à la découverte du patrimoine sur le site de la Gardie. La flore sauvage, les Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 97-108 Gaëlle Loutrel pour ARC’Avène Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 98 98 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique variétés anciennes cultivées, les savoirs naturalistes et populaires qui s’y rattachent sont les points fondateurs et fils conducteurs des jardins de la Gardie. Ceux-ci s’articulent suivant une philosophie propre à l’association que nous nous évertuons à faire vivre dans nos jardins : par le passé on désignait les choses, on les connaissait directement (nom de lieux, des plantes etc.) et de fait, on les respectait. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde conceptuel loin des réalités du vivant. La planète en subit les conséquences et l’équilibre psychique de l’homme moderne se retrouve trop souvent dénué de sens véritable. Nous avons un besoin urgent d’actions citoyennes en faveur de la nature et du bien être humain. L’association ARC’Avène, sur le site des jardins ethnobotaniques de la Gardie, propose dans ce sens d’amener petits et grands à explorer ce lien avec la nature par un apprentissage actif afin de la connaître, la respecter, la protéger. L’ensemble du projet des jardins, tant éducatif que culturel, se base sur la transmission des savoirs de manière directe, c’està-dire pas uniquement par l’intellect mais aussi par les cinq sens et la mémoire kinésique. Ce lieu, garant d’une mémoire et d’une transmission directe et vivante des savoirs et savoir-faire traditionnels naturalistes des basses Cévennes, devient l’accompagnateur silencieux des mutations des systèmes de pensées concernant les rapports de l’homme et la nature. Au cours du colloque « jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique. État des lieux. Bilan des expériences, approches théoriques », nous avons été invités à participer à la table ronde intitulée « mettre en forme un jardin ethnobotanique ; présentation, confrontation des expériences ». Nous allons donc ici vous relater l’expérience de l’association ARC’Avène dans la réalisation et la gestion des jardins ethnobotaniques de la Gardie depuis ces dix dernières années. Une histoire entre des hommes et un territoire Question première des carrières Niché dans les basses Cévennes gardoises, le site de la Gardie qui abrite nos jardins n’est autre qu’un ancien espace agricole et minier devenu propriété de la commune de Rousson depuis 1983. Ici, paysans, bergers, ouvriers, bûcherons, fortement ancrés dans une société rurale, ont façonné le paysage et domestiqué leur environnement au fil des siècles. Partout les vestiges des différentes époques du passé rappellent à l’homme les liens puissants qu’il entretenait avec la nature : enclos de pierre sèche, cheminement, source aménagée, système d’irrigation, trace d’exploitation minière, vieux mûriers… Sur ce territoire d’intense activité humaine depuis la préhistoire jusqu’à l’ère industrielle, ce sont un jour des carrières de calcaire qui sont venues s’installer. Lorsque les maisons ont commencé à se fissurer, la nature à pleurer et les familles à déserter, quelques citoyens riverains de l’exploitation se sont alors organisés en association pour lutter contre l’extension de ces carrières et la disparition de leur patrimoine. Crée en 1989, l’association ARC’Avène, Association des Riverains des Carrières de Croix de Fauvie Pont d’Avène, avait comme objectifs premiers de défendre, protéger, valoriser l’environnement et le cadre de vie des riverains et d’œuvrer pour l’arrêt définitif de l’exploitation des carrières sur les secteurs Pont d’Avène et Croix de Fauvie. En 1990 une Zone naturelle d’intérêt écologique, floristique Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 99 Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 99 et faunistique (ZNIEFF) pour le valat d’Arias – rivière d’Avène est répertoriée1. En juillet 1991 le second arrêté de biotope du Gard paraît et protège la vallée de l’Avène. Puis vient le nonrenouvellement des droits d’exploiter les carrières en 1994 et 2001. Naissance du projet des jardins Porté par l’effervescence des actions en faveur de l’environnement dans les années 1990, le projet des jardins ethnobotaniques germe à l’initiative de l’association ARC’Avène grâce à différentes collaborations associatives avec la MNE2 d’Alès, la FACEN3, la SPN4, la Garance voyageuse, les Écologistes de l’Euzière et l’association Fruits oubliés. Dès 1996, les bénévoles de l’association obtiennent pour leur projet de revalorisation du site de la Gardie des subventions pour la création des jardins par la commune de Rousson, le Conseil général du Gard, la Région Languedoc Roussillon, la Direction régionale de l’Environnement et de la Nature, le Feder (Fonds ruropéens), la Fondation générale des Eaux et le PNC5. Les jardins ont été réalisés sur un terrain municipal entre 1998 et 2001, l’inauguration officielle n’aura lieu qu’au printemps 2001. En 2002, les bénévoles construisent la serre bioclimatique. Les jardins existent, les activités d’accueil et de partage se développent sur le site. fermées. Les statuts de l’association ont été révisés en 1993 afin d’y intégrer la gestion des jardins ethnobotaniques de la Gardie, la protection de l’environnement, la conservation et transmission des savoirs et savoir-faire locaux : transmettre des savoirs, enseigner pour que la connaissance de ceux qui nous ont précédés ne se perde pas. Le moyen associatif Fonctionnement La question première posée par l’association ARC’Avène s’élevait en cri d’opposition aux carrières pour la sauvegarde du patrimoine local et le bien être des populations. Elle s’est ensuite transformée afin de répondre aux nouveaux besoins une fois les carrières Pour poursuivre ces objectifs l’association ARC’Avène s’est dans un premier temps appuyée exclusivement sur sa force bénévole et citoyenne. Un chantier d’été international a permis en 1990 le premier débroussaillage du futur jardin de simples. Depuis cette date l’association accueille des stagiaires qui participent au développement des jardins et des activités d’animation : BEPA, BTS, BEATEP, élèves ingénieurs de l’école des mines d’Alès. Depuis 2003, des chantiers d’insertion autour de la pierre sèche et des jardins sont menés chaque année sur le site. Ils permettent d’une part le tissage du lien social en favorisant le retour à une activité professionnelle de personnes sans emploi et d’autre part la restauration et l’entretien du site : restauration de murs en pierres sèches, habillage du mazet vigneron, pose d’un four à pain, construction du pont du verger, de l’escalier, réhabilitation de la source, entretien des jardins… Petit à petit des salariés sont venus renforcer l’équipe bénévole. Aujourd’hui, nous comptons un jardinier, une animatrice, un agent de développement, une comptable, trois 1. ZNIEF type n° 61800001 et type n° 61800000. 2. MNE : Maison Nature Environnement. 3. FACEN : Fédération des Associations cévenoles Environnement Nature. 4. SPN : Société de Protection de la Nature. 5. PNC : Parc national des Cévennes. Objectifs évolutifs Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 100 100 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique encadrants chantier, un responsable du suivi social chantier et douze agents polyvalents sur le chantier. La gestion des jardins reste cependant difficile avec un fonctionnement basé en grande partie sur des contrats aidés. Leur durée ne permet pas de viabiliser des emplois et de former les salariés aux particularités d’un tel lieu. L’engagement des bénévoles reste donc indispensable pour le moment malgré leur essoufflement. La structure devenue importante avec ses 20 salariés pose aujourd’hui la question de la réorganisation de son fonctionnement afin de garantir la pérennité des jardins ethnobotaniques et des emplois. Aujourd’hui, l’association fonctionne environ à 75 % sur des subventions du Conseil général du Gard, de la Région Languedoc Roussillon, du contrat de ville (État) et de fondations et à 25 % sur de l’autofinancement (animations, manifestations, ventes, visites). Pôles d’activités et systémique Grâce à cette organisation l’association ARC’Avène mène plusieurs activités inter reliées qui s’orientent toutes dans l’intention commune de revaloriser le patrimoine naturel et culturel local, ainsi que de collecter, faire vivre et transmettre les savoirs et savoir-faire naturalistes cévenols sur le site des jardins. Culture et patrimoine, recherche ethnobotanique Dans ce sens nous développons un axe culture et patrimoine, recherche en ethnobotanique qui comprend de la collecte de mémoire auprès des anciens du territoire, un travail sur la langue occitane, l’accueil d’étudiants chercheurs et l’édition de fascicules synthétisant nos recherches (pour 2008). Nous travaillons à la création d’une bibliothèque ainsi qu’au développement de la partie écomusée avec la collection d’anciens outils et objets cévenols. Les plantes en pratique Les jardins représentent le lieu d’application des recherches, support vivant et dynamique de transmission. À vocation conservatoire, ils abritent l’essentiel de la biodiversité végétale locale ainsi que de nombreuses variétés anciennes devenues rares que l’on retrouve essentiellement dans les vergers. Nous récoltons nos graines et bouturons les plants afin d’entretenir nos plantations. La serre bioclimatique permet une petite production de plantes méditerranéennes, essentiellement aromatiques ou médicinales, destinées au renouvellement des jardins et à la vente. Éducation et transmission Les jardins représentent un formidable support d’éducation et de transmission avec des animations destinées au public scolaire de la maternelle au lycée et un club « Connaître et Protéger la Nature » tous les mercredis après-midi. Nous souhaitons permettre aux enfants de se retrouver dans un espace naturel aménagé pour découvrir de façon ludique la diversité de la nature cévenole et de ces usages : apprendre à connaître et à se connaître en utilisant ses cinq sens pour mieux respecter tout en renouant avec un essentiel. Des manifestations ponctuelles permettent de transmettre les savoirs et de sensibiliser le grand public au patrimoine naturel et culturel local : weekend mise à feu de charbonnière, journée moisson à l’ancienne, récolte de salades sauvages, bourse aux plants, soirée contes occitans. À l’heure estivale, des visites libres ou guidées ainsi que des « causeries » et conférences permettent de découvrir les jardins et les trésors de connaissance sur la nature que les hommes ont acquis au fil des siècles. Des stages et formations autour des techniques traditionnelles locales d’utilisation de la nature (agricole, plessis, pierre Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 101 Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 101 sèche…) et des savoirs naturalistes (cueillettes de plantes sauvages…) sont en cours de développement. Entrons dans les différents espaces des jardins Cet ancien espace agricole réhabilité, devenu aujourd’hui lieu de rencontre et de partage, revalorise tout au long du parcours dans la garrigue d’environ 1,5 km le patrimoine naturel et culturel local avec ses murs en pierres sèches, ses enclos, sa source, ses cheminements, ses vieux mûriers… Laissez vous guider à la découverte de ces jardins en pénétrant dans l’étonnant monde des liens unissant l’homme et la nature au cours du temps représentés dans ces espaces anthropisés depuis des siècles. Tel un puzzle, les jardins sont le fruit de nombreuses collaborations que vous allez découvrir en trouvant ci-dessous pour chaque espace sa description, son histoire, les objectifs poursuivis et les questions soulevées par sa gestion ou sa mise en forme. Sur le site, des panneaux de lave explicatifs (avec textes, photos, dessins…) sont intégrés à l’entrée de chaque espace. Verger mémoire Ce verger se compose essentiellement d’oliviers, de vignes, de mûriers ; une haie arbustive à petits fruits, niche écologique de première importance, en délimite un côté. Depuis l’antiquité, vignes et oliviers font partie intégrante du paysage méditerranéen. La transformation de leurs fruits en vin ou huile a fait la renommée, si ce n’est l’identité de la culture locale. Le mûrier pour sa part a eu une très grande importance économique dans la région (vers à soie). Dès le début du projet des jardins l’association « fruits oubliés » a travaillé avec nous à la réalisation de ce verger. Les premières plantations datent de 1998 et proviennent essentiellement de différentes pépinières. En 2003 nous avons construit un mazet vigneron à l’entrée du verger qui compte aujourd’hui 120 pieds de vignes dont certaines variétés très rares, 40 pieds de mûriers et 60 pieds d’oliviers. Ce verger mémoire à vocation conservatoire offre des animations pédagogiques telles que : contes, questionnaires ludiques, jeux de piste, vendange avec les enfants (vieux outils) ainsi que des possibilités de formation sur la taille des oliviers et l’entretien du vignoble. On soulèvera ici les problèmes de suivi avec l’association partenaire qui s’est retirée du projet il y a quelques années emportant ses compétences spécifiques avec elle d’où certaines difficultés dans l’identification des variétés que nous allons résorber cette année. Sur un tel projet multi partenaires, quand les compétences externes s’en vont, il faut trouver d’autres personnes ressources à défaut de posséder les compétences en interne. Parcelle céréales et compagnie Entourées d’une clôture en châtaignier et d’une haie semi-sauvage, les variétés de céréales communes dans le Languedoc ; pétanielle, saissette, touzelle… sont accompagnées de la flore traditionnelle des moissons ; coquelicots, bleuets, nielles… appelées souvent « mauvaises herbes » ou messicoles. Les impressionnistes (Monet, Van Gogh) ont magnifié dans des tableaux hauts en couleurs cette flore banale à leur époque et devenue rare. La présence de cet espace tient à l’engagement durable de l’association « La garance voyageuse » avec Pierre Sellenet, membre actif Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 102 102 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique 1. En parcourant le jardin. d’un réseau d’amateurs spécialistes des céréales. Les premières semences ont lieu à l’automne 1995. L’année suivante, nous implantons une haie arbustive. Les graines de céréales proviennent du réseau de semence paysanne ainsi que de l’INRA de ClermontFerrand. Le réensemencement des messicoles est spontané, cependant certaines sont rajoutées lors du semis des céréales. Les graines de céréales sont récoltées et sont gardées quatre ans au maximum avant d’être semées. De nombreuses variétés anciennes et populations de céréales ont disparu. Elles ont été oubliées ou reléguées dans les collections des obtenteurs de semences modernes, conservées dans les banques génétiques où leur patrimoine direct ou leur descendance permettent d’améliorer des variétés contemporaines. Ces variétés plus productives, gourmandes en fertilisants et en intrants, adaptées aux techniques agricoles actuelles ont peu à peu supplanté les anciennes variétés. Notre souhait est de faire connaître quelques-unes d’entre elles et, pourquoi pas les diffuser auprès d’amateurs et de professionnels. Le champ de céréales, avant l’avènement de la modernisation agricole, hébergeait 2. Le verger mémoire souvent une soixantaine de messicoles et d’adventices issues de cultures voisines. Ces plantes utiles étaient employées par les hommes. Elles enrichissaient aussi l’agroécosystème en nourrissant les insectes, les oiseaux et les mammifères. Cette biodiversité est aujourd’hui fortement menacée par les techniques modernes d’exploitation agricole. Quelques-unes comme la nigelle de France (Nigella gallica Jordan) ou la garidelle fausse nigelle (Garidella nigellastrum L.) sont conservées par des conservatoires botaniques nationaux. Ces deux espèces sont protégées par la loi, mais celle-ci exclut la parcelle cultivée du champ d’application de cette législation. Les messicoles hébergées dans notre parcelle “Céréales et compagnie” proviennent de rares champs de céréales d’hiver d’agriculteurs extensifs (qui n’emploient pas ou peu d’engrais chimique et jamais d’herbicide) de la région Languedoc Roussillon. Au-delà de cet engagement citoyen pour la sauvegarde des semences, cette parcelle offre de riches animations avec petits et grands : semailles collectives, animation de la graine au pain (four à pain), journée moisson et battage à l’ancienne conviviale et collective (utilisation d’outils anciens). Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 103 Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 103 3. Les céréales communes du Languedoc 4. Le jardin botanique Cette parcelle soulève la question des compétences spécifiques du jardinier et des personnes qui entretiennent les jardins. Nous avons en effet eu des difficultés à garder une haie sauvage car l’entretien se fait souvent par des personnes de passage sur le chantier. Maintenir des espaces entre sauvage et cultivé nécessite une compréhension globale et détaillée de chaque espace afin d’être conscient des espèces à favoriser ou des indésirables. Il est difficile de former un jardinier classique aux méthodes utiles sur ce terrain dans le cadre des emplois aidés à durée déterminée. La formation de jardinier spécialiste de l’ethnobotanique semble de première importance à la pérennité des divers jardins dits ethnobotaniques. Jardin botanique Le site de La Gardie, à cheval sur le rebord cévenol acide et le début de la garrigue calcaire, comporte des habitats diversifiés dus à des variations climatiques et à des expositions et des substrats rocheux différents. Le jardin botanique, sous l’aspect d’une rocaille paysagère, rassemble quatre de ces différents milieux que l’on retrouve dans nos garrigues gardoises, chacun étant caractérisé par une flore spécifique, parfois rare et en danger : la garrigue, les falaises calcaires qui accueillent des plantes inféodées à l’habitat comme l’ibéris des rochers ou l’alysson épineux, les sous-bois de chênes qui abritent la précieuse pivoine officinale, emblème de ce jardin, et enfin les terres rouges issues des stériles de l’exploitation des anciennes mines de zinc de la Gardie où s’installe une flore spécifique (armérie faux plantain, jasione des montagnes, tabouret bleuâtre) qui tolère ces métaux, toxiques pour de nombreuses autres plantes. À l’image des relations empiriques entre l’homme et la nature, les jardins de la Gardie se sont composés au gré des rencontres. Le projet du jardin botanique était à l’origine destiné à un autre site. Il a été rapatrié en 1998 dans l’espace des jardins de la Gardie avec une subvention déjà acquise. De gros travaux d’aménagement tels que l’apport de blocs calcaires et de terre végétale du secteur ont été menés par une entreprise dès 1998. Un botaniste amateur, Francis Lagarde, porteur de ce projet, a recréé les quatre biotopes du jardin. La collecte des plantes et la mise en place au fil des saisons se sont poursuivies en 1999 ainsi que la pose d’un système d’arrosage à partir du local technique Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 104 104 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique du verger mémoire. Les 107 espèces présentes viennent du milieu naturel sauvage et de graines prélevées dans la région. Le jardin botanique a pour objectif de sensibiliser le public sur la richesse méconnue de notre flore régionale. On y aborde les questions de biotope, sol, climat et de classification scientifique. C’est un espace représentatif du milieu sauvage pour le grand public et c’est aussi un outil offert aux scientifiques. La question récurrente à tous les jardins s’ouvre ici nous renvoyant d’un coup sec à nos modes de fonctionnement et nos carcans intellectuels : Comment transmettre ? Quelle médiation ? Étiquettes ou pas ? Quel choix faire ? Quel contenu ? Comment en apposant un écrit sur le vivant, transmettre de manière juste les différentes connaissances qui l’entourent ? Pour notre part, nous avons choisi de donner des informations écrites au visiteur afin qu’il puisse acquérir, s’il le souhaite, certaines connaissances théoriques au cours de sa visite libre. Les visites guidées avec leurs cortèges d’histoires, de mise en lumière des symboles et des relations du vivant viennent compléter de manière spécifique à chaque public ces informations écrites. On peut donc trouver au pied de chaque plante une petite étiquette blanche réalisée par nos soins qui indique : la famille, le nom français, latin, occitan et les usages (sauf pour le jardin botanique où nous n’indiquons pas les usages). Jardin d’inspiration médiévale Ce jardin a été installé dans un ancien potager clos de murs et pourvu d’un système d’irrigation traditionnel avec relevage de l’eau de la source de la Gardie qui a été réhabilité. Le jardin est organisé en espaces délimités par des plessis de châtaignier. Les plantations sont en premier lieu des plantes potagères (feuilles, racines, légumineuses), quelques plantes industrielles (tinctoriales, tissage), aroma- tiques, condimentaires et médicinales, magiques, des arbres fruitiers et des fleurs parmi lesquelles trônent la rose, le lys et l’iris. Ce potager a été mis en place de 1997 à 2001 par les bénévoles de l’association ARC’Avène et créé par une de nos bénévoles, Mme Suzette Blandina, enseignante à la retraite. Elle a mené un important travail de bibliographie et de confrontation des écrits existants afin de sélectionner les 86 espèces présentes. Cellesci proviennent de collecte de plants et de graines dans la nature environnante, de bouturage, de foires aux plantes rares et de catalogues spécialisés (graines Baumaux, ferme Sainte-Marthe). Durant ces quatre années, il a fallu mener un colossal travail de débroussaillage, réhabiliter l’enclos en pierre sèche, le mazet et sa toiture en lauzes calcaires, remettre en état le système de relevage et d’écoulement des eaux d’arrosage, mettre en place les plessis de châtaignier et mener les travaux de jardinage. Chargé d’histoire et de géographie, ce jardin présente les légumes cultivés avant les grandes découvertes. Point de tomates, ni de haricots, ils ne sont pas encore arrivés d’Amérique. À vocation pédagogique, il permet d’aborder les questions de l’eau avec petits et grands. Nous mettrons ici en lumière la délicate question de la rigueur des données transmises dans les jardins historiques et d’usages : fait notable dans l’histoire de la mise en œuvre de ce jardin. Il a effectivement fallu beaucoup de persévérance et de passion afin d’adopter une rigueur systématique d’identification de la plante tout en se confrontant aux écrits pour une forme de vérification. Jardin de simples Protégé par de hauts murs de pierres sèches qui lui servent d’écrin, ce jardin est un ancien Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 105 Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 105 enclos ayant servi à garder les animaux la nuit. Envahi par les arbres et les broussailles, il a été rénové et aménagé. Des terrasses ont été construites ainsi que le mazet. Quelques arbres ont été conservés comme le genévrier cade situé au centre. L’espace ainsi créé appelle à la promenade et à une certaine contemplation. Des santolines, des buis et des lavandes bordent des carrés ou planches qui réunissent les plantes utiles les plus employées dans la région. Les remèdes majeurs d’affections et de maladies les plus courantes, les plantes alimentaires et condimentaires, les plantes ludiques sont cultivées dans ces carrés par famille d’usage. Ce moyen mnémotechnique permettait d’apprendre l’usage des plantes ainsi regroupées. Ce jardin a été conçu par Suzette Blandina et réalisé de 1995 à 2001 par l’association ARC’Avène. En 1995 le Groupe archéologique de recherches alésien (GARA) nous donne feu vert pour entreprendre les travaux de réhabilitation. Dès l’été un premier chantier international se met en place pour le débroussaillage de l’enclos et de la source, puis le traçage d’un sentier de liaison. L’année suivante nous pilotons un second chantier international pour le débroussaillage, le nettoyage et la réhabilitation des murs. Nous embauchons un technicien formateur pour les murs en pierres sèches. Le terrassement nécessitant un apport de terre est effectué par une entreprise. Nous construisons un mazet et posons deux cuves de réserve d’eau de 1 000 litres chacune qui seront raccordées au réseau de la source et suivies d’un système d’arrosage. Les premières collectes et plantations se font en 1998. Les aménagements se terminent en 2001 par la pose des portes de l’enclos et du mazet et la pose du panneau de lave dans le mur Est de l’enclos. Les 180 espèces présentées dans ce jardin ont été collectées, pour la plupart, sous forme de graines ou de jeunes plants dans la nature proche, dans des anciens jardins et autour des mas environnants. Lieu de mémoire et de savoir, ce jardin témoigne de l’utilisation des plantes dans la vie quotidienne en Basses Cévennes au début du XXe siècle. Il est en fait un peu plus qu’un jardin de simples puisqu’il comporte des plantes médicinales, mais aussi des plantes d’usages, ludiques, aromatiques, magiques… qui évoquent un passé où l’homme et son environnement étaient intimement liés. Espace de détente comme un cocon d’attention au cœur de la garrigue sauvage, il transporte le visiteur dans le monde merveilleux des senteurs. Nous y développons diverses animations pédagogiques guidées par l’odorat. Les choix de disposition, d’installation et d’arrangement des plantes dans les jardins n’ont pas toujours été faciles… Classer les plantes par usages présente certains inconvénients. Une plante médicinale ayant plusieurs usages, comment savoir où la placer dans les parcelles ? Par exemple, faut-il ranger le sureau dans les remèdes pour les yeux ou les voies respiratoires ? Verger Chartreux (projet en cours) Ce verger conservatoire présentera, à travers différentes parcelles, une importante collection de fruitiers issue de celle du sénat, palais du Luxembourg à Paris et invitera à découvrir une richesse variétale souvent méconnue. Ce projet est né en 2007 d’un partenariat entre les jardins ethnobotaniques, le centre de pomologie d’Alès, le service nature du grand Alès, le Sénat et la mairie de Rousson. Une convention entre ces différents partenaires sera signée en 2008. Pour le moment, 21 variétés ont été greffées à œil dormant : pommiers et poiriers essentiellement, une de prunier et une de pêcher. À terme, 160 variétés du catalogue des chartreux, soit 480 arbres Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:10 Page 106 106 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique 5. Le jardin d’inspiration médiévale. fruitiers, seront implantées à la Gardie. Différentes formes de taille et d’aménagement en polyculture seront proposées au public. Ce verger représente une duplication unique en France du verger chartreux du Sénat composé de variétés anciennes parfois rares. Au-delà de sa vocation conservatoire, il endosse chez nous une vocation pédagogique et de transmission des savoirs : fruits, greffe, mode de taille… L’implantation de ce verger a mis à jour l’importance d’affirmer une cohérence permanente de l’ensemble des jardins et des objectifs poursuivis. En accueillant des projets extérieurs, on s’expose à certains risques de divergence comme le choix des modes de culture par exemple (biologique ou chimique). La poursuite du travail partenarial permet cependant de trouver des compromis bénéfiques à chacun. Rucher D’anciennes ruches entourées de plantes mellifères sont installées dans un endroit de bonne exposition pour la production. Nous exposons temporairement des outils d’époque. 6. Le jardin des simples Autrefois dans les campagnes tout le monde avait une ou deux ruches. Leur fabrication dans des troncs de châtaigniers faisait partie des travaux d’hiver. Les buscs (ruches) devaient être tournés vers le levant et si possible à proximité d’un point d’eau et de plantes mellifères. Dès le mois de juin, les enfants étaient mobilisés pour la poursuite des essaims. L’association ARC’Avène avec la participation et les conseils techniques de M. J. Crespo, Rucher du Trental, a collecté de vieilles ruches, mis en place des plantes mellifères complémentaires de celles présentes sur le site (romarin, lavande…), remonté des murs de pierre sèche et construit un socle en pierre sèche pour la pose du panneau explicatif en lave. Cet espace vient enrichir l’ensemble et créer un centre d’intérêt supplémentaire pour les visiteurs. Il se veut le témoin de la générosité de l’abeille qui a si longtemps conféré à l’homme cinq de ses trésors (miel, pollen, gelée, propolis et venin). Selon les anciens de la Gardie, les abeilles disparaissent peu à peu de notre territoire. Il est important de rappeler au public l’enjeu de sa disparition puisqu’elle Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 107 Les jardins ethnobotaniques de La Gardie | 107 7. Le rucher. 8. La charbonnière constitue aussi l’un des vecteurs principaux de la pollinisation des cultures potagères, fruitières et fourragères. Espace charbonnière Dans une clairière aménagée, vous pourrez découvrir la « meule » (charbonnière) et la cabane du charbonnier édifiées par les maîtres du feu. C’est l’ancien abri des charbonniers, personnages un peu retirés du monde, étroitement en contact avec la nature sauvage, la nuit, le feu. Alentour, le sol calciné témoigne de cette activité réalisée chaque année vers la fin du mois de septembre jusqu’à mi-octobre. Un four mobile, technique plus moderne de fabrication, complète l’ensemble. La fabrication du charbon de bois à partir du chêne blanc et surtout du chêne-vert a longtemps constitué un revenu important de nos Cévennes. L’aventure de la charbonnière commence pour notre association en 1990 lorsque nous construisons une première charbonnière dans les bois de Landas pour les journées de l’environnement avec l’aide d’un ancien maître du feu : M. Fernand Dolhadille. En 1997, le parc national des Cévennes nous sollicite pour construire et mettre en combustion une charbonnière à Florac. C’est un succès. Le papé Fernand transmet son savoir. En 1998, grâce à ses précieux conseils, nous choisissons une clairière à Rousson et la première meule est mise en combustion sur un emplacement prenant place dans le projet de sentier de visite des jardins (travaux bénévoles). En 1999, nous préparons une nouvelle charbonnière et construisons en août la cabane du charbonnier. En 2000 et 2001, nous construisons au printemps une charbonnière au pont du Gard à la demande du Conseil Général du Gard, dans le cadre des journées de l’environnement. Depuis, chaque année nous mettons à feu une meule sur le site de la Gardie dirigée maintenant par le nouveau maître du feu : Pierre Vashalde et l’équipe d’ARC’Avène, et collectons la mémoire des anciens charbonniers. Nous nous attachons à faire vivre les savoirs et savoir-faire accumulés autour de l’art de faire du charbon de bois. Conserver et transmettre ces savoirs, partager ce mode de fabrication traditionnel avec le public. Ancien site métallifère Les prospections de minerais métallifères témoignent de près de 4 500 ans d’histoire. Le Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 108 108 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique gisement de Landas était un gîte superficiel constitué de morceaux de calamine contenant de 20 à 40 % de zinc. Les vestiges miniers du secteur font partie intégrante du patrimoine local : trace de l’histoire du paysage et du territoire nous avons mis en valeur un ancien site d’exploitation minière artisanale. L’aménagement de cet espace a été conçu par ARC’Avène en s’appuyant sur une étude concernant les sites miniers du secteur réalisée par les étudiants de l’École des Mines d’Alès. Deux plantes, l’armérie et le tabouret bleuâtre, ont recolonisé le site. Une étude scientifique est en cours, elle est menée par M. J. Rabier et M. J.P. Mevy de l’Université de Provence (Marseille Saint-Charles), en relation avec la Colorado State University à Fort Collins afin d’étudier les capacités de fixation des métaux lourds de ces plantes pour la dépollution des sols contaminés. Au-delà des usages des plantes en basse Cévennes, on observe sur le site de la Gardie l’histoire d’un territoire et des hommes qui l’ont occupé. Lorsque l’on parle de géologie, d’exploitation minière, de rucher ou de charbonnière, ne nous situons-nous pas dans le domaine plus large d’une ethnoécologie reliant l’homme à l’ensemble de son milieu naturel ? Devrait-on alors se limiter aux relations exclusives avec le monde végétal dans les savoirs transmis au sein de jardins à dénomination ethnobotanique ? Question d’avenir… Les jardins ethnobotaniques de la Gardie sont les témoins des relations entre l’homme et son territoire dans le temps en basses Cévennes. Nés et construits sur les convictions et les savoirs de bénévoles passionnés, dans un esprit citoyen, de sauvegarde du patrimoine local et de l’environnement naturel, les jardins ont évolué vers une forme d’ethnobotanique vivante. Miroir de la société traditionnelle et de l’environnement botanique cévenol, reliant passé et présent dans une dynamique de transmission, les jardins de la Gardie souhaitent aujourd’hui affirmer leur légitimité à se prétendre de l’ethnobotanique en faisant évaluer et valider par une personnalité de l’ethnobotanique les travaux effectués au cours de ces dix années. La question de l’avenir des jardins et de leurs nouvelles orientations de fonctionnement se fait de plus en plus pesante pour l’équipe des bénévoles et des salariés. Ce projet lancé il y a une quinzaine d’années pourra-t-il aujourd’hui s’intégrer à un réseau de l’ethnobotanique lui donnant force et légitimité dans son évolution ? Nous posons la question d’un passage du champ de l’ethnobotanique à celui l’ethnoécologie sur un espace comme le nôtre. L’étude des relations entre l’homme et son milieu naturel au cours du temps sur un territoire implique en effet toutes les composantes naturelles de l’environnement et ne se limite pas au règne végétal. Ce type de jardins pourrait représenter à nos yeux un lieu de mémoires où des passeurs de connaissances naturalistes transmettent au public enfant et adulte la conscience d’un lien homme nature essentiel à l’équilibre de tout écosystème anthropique. Par là, nous recherchons pour le présent et le futur de plus justes équilibres entre l’homme et la nature. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 109 Genèse des jardins de l’Histoire réalisés à Tourrettes-sur-Loup (Alpes Maritimes) par l’association Pomme d’Amour 2005. Nous sommes partis de l’article 2 des statuts de notre association dont le but est humanitaire : « Protéger la vie sous toutes ses formes. » À partir de là, il nous fallait décider qui et/ou quoi protéger ? Pourquoi et comment ? Nous avons choisi la biodiversité si malmenée par tous et partout Deux interrogations se sont alors faites jour : Que représente la biodiversité dans notre vie de tous les jours ? Comment la rendre concrète pour chacun afin de créer un processus qui, au-delà de la nécessaire responsabilisation individuelle, aboutisse à un ressenti assez puissant pour induire une, voire des actions, au quotidien ? Notre réponse a été : En parlant à chacun de son assiette et de ce quelle contient vraiment. Ainsi nous avons développé une série d’interrogations à partir d’un plat qui nous paraissait exemplaire dans notre recherche : la ratatouille, inscrite Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 109-118 Dominique Munoz directrice de projet Les jardins de l’Histoire Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 110 110 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique dans la culture niçoise et azuréenne comme traditionnelle donc « comme ayant toujours existé ». Nous avions au demeurant un plat aussi intemporel que banalisé, à l’étiquette « provençale » au niveau national comme international. À partir de là, il s’agissait pour nous de surprendre voir d’émerveiller. Toucher nos visiteurs aux papilles et au ventre ne nous semblait pas suffisant. Nous voulions titiller sa curiosité et son imagination en espérant initier quelques interrogations voire plus, c’est-à-dire des actions de protection de cette biodiversité mise à mal. Cela nous a donc amenés à envisager la création d’un potager représentatif de la première moitié du XXe siècle à Tourrettes-surLoup, là où se situent nos jardins. Nous souhaitions, au préalable, entamer une recherche des variétés spécifiques cultivées entre 1900 et 1960 dans une zone légèrement plus large, comprise entre Grasse et Vence. Ce choix n’était pas anodin car nous savions les relations étroites qu’entretenait le village avec les parfumeurs grassois, d’un côté, dont perdure aujourd’hui la culture des violettes et de l’autre avec Vence, commune importante depuis l’époque romaine avec laquelle d’autres liens s’étaient tissés. Durant cette période, nous savions que les agriculteurs locaux n’utilisaient pas de variétés hybrides de type F1. Ils produisaient eux-mêmes leurs graines. Nous avions décidé de tenter de rassembler ces semences, plus ou moins anciennes, typiques de ce micro territoire, en tant que patrimoine local, et d’en reprendre la culture. Nous souhaitions aussi en raconter l’histoire ainsi que celle des villages qui y étaient associés. Dans un deuxième temps, nous voulions essayer de créer une banque de données sur les savoirs, savoir-faire et traditions de ce périmètre et la mettre à la disposition de tous, via notre site internet. Nous envisagions aussi de travailler sur le patrimoine arboricole et plus particulièrement fruitier de cette zone. Aussi, nous avons demandé au Conservatoire de Porquerolles de nous y aider, ce que M. Roger a accepté d’emblée. Pour atteindre notre but, nous avions construit un questionnaire qui portait sur les modes de cultures que nous savions particuliers. À cette époque, pourtant pas si lointaine, il n’y avait pas d’adductions d’eau pour irriguer les champs. L’ingéniosité et le savoir-faire représentaient un important patrimoine qu’il nous paraissait indispensable de sauver de l’oubli. De là, nous passions à des questions plus précises sur les cultures elles-mêmes (pois chiches et lentilles principalement) puis nous en venions aux traditions qui les accompagnaient, et nous finissions par un court questionnement sur les plantes médicinales indigènes et leurs utilisations. Nous avions, Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 111 Genèse des Jardins de l’Histoire | 111 bien sûr, inclus les plantes à parfum, que l’on cultivait ou ramassait pour l’industrie grassoise, et qui constituaient un complément de ressources non négligeable. Chacun nous apportait un élément d’information nouveau qui nous permettait de rebondir avec la personne suivante. Mais contacts pris avec les anciens du village (moyenne d’âge 85 ans), peu semblaient en état de fournir des informations fiables, nombre de savoirs étaient déjà perdus. Ainsi, nous avons découvert qu’ils ne se souvenaient pas des variétés qu’ils cultivaient ou qu’ils en ignoraient les noms. Après trois mois de vaines recherches, nous n’avancions plus, les informations obtenues étaient maigres et il nous fallut revoir notre hypothèse de départ, faute de quoi notre projet ne pourrait aboutir. 2005-2006. Deuxième phase Obligation d’élargir notre champ d’investigation Décidés à garder une thématique régionale, nous avons alors envisagé de présenter un potager provençal. Il nous fallait encore définir ce que nous entendions par Provence. Ensuite, nous nous sommes demandés si montrer un potager du XX e siècle présentait un intérêt suffisant ou si nous devions remonter plus loin dans le temps ? Dans ce cas, fallait-il inclure le Comté de Nice rattaché définitivement à la France en 1860 ? Fallait-il remonter plus loin encore jusqu’à la Renaissance ? En effet, en 1538, alors qu’il était venu négocier un traité de paix avec Charles Quint, en présence du Pape Paul III, François Ier s’était rendu, à Vence, commune dont les jardins de l’Histoire sont limitrophes. Il était venu admirer les confins de son royaume dont les frontières étaient alors situées à quelques lieues de là, sur la commune de Saint-Jeannet… Ici, l’histoire est riche, et les liens auxquels rattacher nos jardins ne manquent pas. Nous avons donc hésité quelques jours puis choisi la solution la plus raisonnable : découvrir les richesses légumières du seul XXe siècle. Cette décision prise, nous avons opté pour un livre de recettes typiques de la table provençale dans les années soixante comme base de travail et constitué une première liste de légumes. Mais nous avions glissé, innocemment nos doigts dans l’engrenage de la curiosité historique autant qu’ethnobotanique et une nouvelle série d’interrogations imprévues s’est alors présentée : d’où venaient ces légumes si familiers ? Quand étaient-ils arrivés chez nous ? Comment avaient-ils évolué lorsque, comme les carottes, ils étaient passés du violet à l’orange, après avoir été introduits au XIe siècle venant d’Afghanistan, peut-être via l’Italie ? Qui les avait découverts ? Qui les avait amenés jusqu’à nous ? Une véritable enquête débutait. Nous étions au printemps 2006. Il s’agissait pour nous de remonter le temps à la découverte de quelques pages de notre histoire de France… Avec la gourmandise pour fil d’Ariane, nous allions retrouver, peu à peu, les traces de cet effort colossal de l’espèce humaine pour assurer sa survie. Ce fut, et c’est encore, une aventure passionnante, riche de mille rebondissements, dignes d’un roman d’Agatha Christie. En effet, ce que nous ignorions alors, c’est que le 29 juin 2007, jour d’ouverture des jardins au public, ce n’est pas un, mais dix-sept jardins, que nous lui donnerions à voir. C’est ainsi que nous allions pouvoir partager avec lui, au fil des visites, notre émerveillement devant le courage, l’ingéniosité et la ténacité des hommes sur quelques millénaires. Quant à nos questionnements, la source n’en est pas tarie, bien au contraire, elle ne cesse de jaillir. Mais nos interrogations se sont faites plus précises et donneront Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 112 112 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique naissance, à n’en pas douter, à d’autres jardins dans un avenir proche. Avec pour tout bagage notre curiosité et une honnêteté intellectuelle chevillée au corps, nous avons entamé un long voyage et remonté le temps, toujours plus loin, fouillant de notre mieux chaque recoin, chaque zone d’ombre, interrogeant historiens, ethnobotanistes, botanistes, chercheurs. C’est ainsi qu’est apparue, comme d’évidence, la nécessité de prévoir d’autres potagers. Un premier pour le XIX e siècle, puis un autre pour le XVIIe siècle afin de montrer l’importance de nouveaux modes alimentaires en France. Quoi de mieux que le Potager du Roi à Versailles pour en être l’illustration ! Puis nous avons découvert, au hasard de lectures, les raffinements culinaires de l’Italie des XVe et XVI e siècles, face à une France encore bien timorée et nous avons largement exploré cette voie avant de nous « embarquer » vers les Indes Occidentales. Nous avons vogué ainsi jusqu’au Moyen Âge… d’où notre première visite à Salagon où nous pouvions enfin poser les yeux sur des plantes bien vivantes représentant, pour nous, autant de bâtons témoins dans cette étrange course de relais que nous avions entamée quelques mois plus tôt. Elles nous reliaient à notre histoire d’une façon doublement vivante qui nous confortait définitivement dans notre conception des jardins de l’Histoire. Nous pensions alors qu’il était temps de nous mettre au travail pour dessiner l’espace à notre disposition et en organiser l’architecture. Mais c’était sans compter avec le virus dont nous étions irrémédiablement atteints : la curiosité. Taraudés par une sorte de désir insatiable de connaître cette mystérieuse généalogie de l’homme, en tant qu’espèce, dans ses liens les plus intimes avec les plantes potagères et médicinales, nous avons poursuivi notre quête. Il nous fallait répondre encore à de nouvelles questions qui nous menaient toujours plus loin… Que mangeait-on dans la Rome d’un Pline l’Ancien au Ier siècle de notre ère ? Qu’offrait donc la Grèce Antique à ses grands érudits ? Que mangeait Platon ? Aristote ? Que nous ont apporté les travaux du botaniste Théophraste que l’on traduit encore ? Pouvait-on remonter plus loin ? Nos égyptologues connaissaient-ils précisément les modes alimentaires de l’Égypte des Pharaons ? Arrivés à ce point de l’histoire, il nous sembla que nous touchions au but. Il était temps ! Nos étagères croulaient sous les livres, notes et études en français mais aussi en anglais et en italien. En effet, nous n’avions pas agi à la légère. À chaque étape de notre long questionnement, nos recherches étaient basées sur des thèses, traductions d’auteurs classiques mais aussi de multiples contacts avec des spécialistes : égyptologues du Musée du Louvre, grâce à l’aide de Catherine Ziegler qui y dirigeait la section égyptologie ; mais aussi de chercheurs, ethnobotanistes… Pour les céréales, par exemple, nous nous étions adressés dans un premier temps à Michel Chauvet qui nous aida beaucoup et continue de le faire puis à l’INRA et au GEVES. Nous avons aussi travaillé avec des jardins botaniques et des conservatoires en France et en Italie. On pouvait nous objecter (certains ne s’en sont pas privés) que dans ces grandes phases de l’histoire, où les régimes alimentaires varièrent de façon si marquée pour une infinité de raisons que tout le monde connaît, il y eut des évolutions internes, que nous ne pouvions mettre en évidence en un seul jardin. On nous fit savoir doctement que nous ne pourrions être justes car sans nuances. Certes, vu sous cet angle, à la centaine d’années près, nous ne pouvions être justes, encore moins exhaustifs. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 113 Genèse des Jardins de l’Histoire | 113 Nous y avons beaucoup réfléchi et sommes revenus sur notre hypothèse de départ. Il nous a alors semblé que notre but était tout autre et qu’il nous fallait poursuivre. En effet, pour nous, être juste, consistait à présenter une période dans son ensemble sans présence incongrue. Il eut été extravagant, voire de mauvais goût, de cultiver des tomates aux côtés de melons noirs des Carmes dans un potager médiéval par exemple. Ce que nous souhaitions avant tout, c’était de pouvoir frapper les esprits, quel que soit le niveau culturel de chacun. La nécessité de visites uniquement guidées, s’est définitivement imposée à ce moment-là, comme la meilleure façon de faire découvrir ces jardins de manière adaptée (donc modulable) à tous les types de publics qui viendraient nous rendre visite. Restait une interrogation de poids, une fois nos recherches terminées : où trouver les semences ? Or, nous avions noué de nombreux contacts au fil des mois. C’est donc vers eux que nous nous sommes tout naturellement tournés : Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, INRA, GEVES, CIRAD, jardins botaniques (Marseille, Hanbury en Italie), jardins ethnobotaniques principalement ceux de Salagon. Pour le reste, nous nous sommes adressés à Kokopelli, au Biaugerm et à quelques pépiniéristes collectionneurs. 2006. Troisième phase Rassembler de façon symbolique en un même lieu, des éléments emblématiques de notre histoire, dans le temps et dans l’espace, pour mieux la raconter. À ce stade, nous avons commencé à considérer les semences comme un patrimoine commun de l’humanité et notre regard s’est encore élargi. Notre quête prenait un nouveau tournant. Il nous a semblé intéressant d’essayer de donner une image la plus complète possible des cultures potagères et médicinales de l’Humanité. La domestication, la culture, les créations variétales considérées d’un point de vue planétaire nous donnaient à réfléchir. Nous avions déjà une carte historique en 7 jardins mais il nous a semblé indispensable de la compléter de jardins ayant une thématique plus géographique. En aucun cas, nous n’avons été tentés par un vertige d’exhaustivité. Nous connaissons nos faiblesses et nous effectuons nos recherches avec autant de curiosité que d’humilité. Rassembler de façon symbolique, en un même lieu, certains éléments « stratégiques » de notre histoire, dans le temps et dans l’espace, offrait la possibilité, nous l’espérions, d’une prise de conscience, par nos visiteurs, de la petitesse de notre planète dont Gilles Clément (l’un de nos parrains) dit, très justement, que nous en sommes, tous, les jardiniers aujourd’hui. Cela nous donnait aussi l’opportunité de leur faire toucher du doigt la totale improbabilité, une fois nos ressources épuisées, d’une fuite vers une autre planète bleue, puisqu’aucune n’a été découverte à ce jour. Le raccourci est rapide mais il aura, nous l’espérons le mérite de faire réfléchir, au-delà de la visite elle-même, sur nos liens indéfectibles avec les autres formes de vie qui nous entourent et notamment avec le monde végétal. Il nous manquait donc quelques continents pour asseoir notre démonstration… Certes, nous avions bien prévu un jardin indien, potager et médicinal (ayurvéda) pour introduire la cause des veuves indiennes qui nous tient particulièrement à cœur. En effet, nous essayons de rassembler des fonds pour elles grâce à des opérations spéciales, la vente de nos plantes et des appels à dons. Ces fonds sont ensuite remis au MATH, ONG-conseil des Nations-Unies qui œuvre dans ce sens depuis 30 ans au Kerala et dans toute l’Inde. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 114 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 115 Genèse des Jardins de l’Histoire | 115 1. 2. 3. 4. 1 3 5 7 8 2 4 6 9 10 11 12 13 14 15 Biodiversité des solanacées et cucurbitacées. Les tomates il y a 3000 ans au jardin amérindien. Solanum aethiopicum dans le jardin africain. Tomate Philippino telle qu'elle existait en 1492 à l'arrivée de Christophe Colomb. 5. Melon tel qu'il était consommé dans la Rome Antique. 6. Melon à l'époque de sa domestication. 7. Melon carosello. 8. Lagenaria siceraria au potager africain. 9. Courge indienne à l'assaut d'un arbousier. 10. Origan dictamus de Crêtes dans le jardin de la Grèce ANtique. 11. Blé d'Osiris au jardin des Pharaons. 12. Maïs amérindien. 13. Maïs amérindien aux effluves de miel. 14. Sorgho à balai au jardin des Pharaons. 15. Ficoïde glacial au Potager du Roy. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 116 116 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Concernant l’Asie, faute de place, de temps, de personnel et de connaissances nous avons décidé de la symboliser par l’intermédiaire de deux pays particulièrement connus et riches d’histoire. Nous avons donc créé un potager chinois et un japonais. Il nous fallait aussi représenter l’Afrique. Mais comment être représentatif d’un continent tout entier, si riche et si contrasté ? Devant l’immensité de la tâche, nous n’avons pas baissé les bras. Nous avons choisi quelques plantes qui nous paraissaient emblématiques ou présentant un intérêt particulier (forme, couleur, histoire…). Certaines nous ont été données par une amie congolaise qui cultive chez elle des plantes de sa terre natale. Nous veillerons à faire mieux à l’avenir en ajoutant quelques nouvelles plantes chaque année. Et l’Amérique me direz-vous ? Nous avons décidé de l’inclure, pour cette année, dans notre jardin de la Renaissance puisque c’est à cette époque que furent découvertes les Indes occidentales. Ce qui nous intéressait dans un premier temps, c’était cette adoption massive et plutôt rapide (maximum trois siècles) aux vues de l’histoire de l’espèce humaine, de nouvelles saveurs, textures et couleurs originaires de ce continent. Nous restions cohérents car nous n’avions pas lâché le fil conducteur de notre démonstration : la ratatouille niçoise dont trois-quart des ingrédients sont d’origine amérindienne. La place des plantes médicinales Notre propos devenu très modestement planétaire, nous avions découvert, au fil de nos recherches, à quel point les usages de certaines plantes médicinales, que nous étudions parallèlement, pouvaient être proches ou différer pour une même plante d’un continent à l’autre… C’est le cas par exemple du Vétiver, dont la racine est utilisée chez nous comme plante à parfum, en Afrique et en Inde pour réaliser des haies de séparation des cultures et en Thaïlande comme plante médicinale pour les affections de la peau. Cela nous a donné l’idée de créer un jardin de l’herboriste planétaire pour tenter d’en montrer quelques exemples. Le jardin indien, dans sa présentation de la médecine ayurvédique, associé à celui-ci nous permettait d’introduire les médecines douces, alternatives… Nous y avons adjoint, sous un olivier conciliant, un petit jardin de l’homéopathie que nous espérons agrandir l’an prochain, histoire de répondre à l’interrogation de beaucoup sur ce que contiennent les fameuses petites billes blanches, sources de bien des polémiques encore. Conclusion Notre association souhaitait que ces jardins soient autant de portes ouvertes sur l’histoire de l’Humanité, pour devenir autant d’occasion de partages, d’échanges et de réflexions. Ainsi, parler du contenu de notre assiette, s’est révélé beaucoup plus riche et plus vaste que nous ne l’avions imaginé : aliment, nutrition mais aussi pollution, changement climatique, cultures biologiques, raréfaction de l’eau et cultures économes en eau, protection de l’environnement, droits de l’homme… La boucle était d’une certaine façon bouclée au mieux de nos possibilités. Nous avions voulu ces jardins ethnobotaniques comme un moyen de prise de conscience de l’extraordinaire de la biodiversité planétaire afin de participer à la nécessaire reconnexion de nos contemporains avec leurs racines, leurs mémoires ancestrales et donc l’instinct de survie de l’espèce qui semble en avoir abandonner plus d’un. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 117 Genèse des Jardins de l’Histoire | 117 Notes complémentaires Les cultures Le terrain d’un hectare, qui nous a été loué pour 1 e symbolique, était resté à l’abandon pendant 20 ans, nous avons donc dû commencer par un débroussaillage drastique les ronces ayant occupé tout l’espace et recouvrant les oliviers centenaires. Lors du colloque une question nous a été posée sur un éventuel inventaire préalable de la flore présente. La réponse en fut négative car nous n’avions aucune qualification pour cela. Cependant, il paraît important de préciser que nous avons essayé d’être le plus respectueux possible de la vie qui s’était développée là. Proches des conceptions développées par Gilles Clément à propos du jardin en mouvement et du tiers-paysage, nous avons laissé libre court à la vie autour de chaque jardin, la bridant légèrement lorsqu’elle réduisait trop l’accès ou la vue mais ne la détruisant pas. Nous sommes en octobre et les asters sauvages, les pissenlits et autres plantes sauvages se développent librement dans les allées et sur les buttes. Il n’y a que les ronces que nous contenons vraiment par une taille drastique. Une fois les autorisations de défrichement obtenues de haute lutte, nous avons fait venir une pelle mécanique pour décaisser l’emplacement de chaque jardin en veillant à protéger les restanques dont l’origine remonte au-delà du XVIIe siècle. Puis nous avons entamé le dessouchage proprement dit, à l’ancienne, avec la bêche à trois dents que l’on appelle ici le magaou. Quel meilleur moyen d’expérimenter la pénibilité et la lenteur du travail, de toucher du doigt les interrogations de ces générations de paysans quant à leur devenir quotidien. Ces hommes avaient développé un instinct de survie très fort, associé à une bonne connaissance des plantes comestibles, sauvages et cultivées. Un savoir alors aussi indispensable au maintien de l’espèce que le respect qu’ils portaient à une nature dont ils ne sousestimaient jamais la puissance. Les visites Elles sont toutes thématiques. Elles portent soit sur une période historique, soit sur l’évolution d’un légume à travers l’histoire ce qui permet de visiter plusieurs jardins. D’autres visites portent sur une civilisation comme celle de l’Inca au Pérou… Leur coût est de 4 e pour une durée d’une heure en moyenne. La signalétique comporte à l’entrée de chaque jardin un plan complet, avec les noms vernaculaires. Cela permet à chacun de se repérer. Bien qu’aucune demande ne nous ait été faite, nous pensons ajouter les noms botaniques au recto du plan existant l’an prochain. Nous avions pensé au départ que les visites guidées permettraient d’ajouter, à la demande, les noms botaniques de certaines plantes. Un besoin plus précis ne s’est pas encore fait sentir. Une étiquette individuelle est apposée devant chaque plante avec le nom vernaculaire en complément du plan d’ensemble. De nombreux thèmes de réflexion sont abordés au cours des visites. Ils se présentent toujours sous forme d’interrogations liées au végétal. Risques écologiques, problèmes de la protection et du maintien de la biodiversité… L’histoire est un miroir qui interpelle sans effrayer, le temps offrant une distanciation protectrice. Premier point après bientôt trois mois d’existence Nous avons reçu à ce jour 400 personnes dont 10 % sont déjà revenues une à deux fois, soit pour visiter d’autres jardins soit pour participer à l’une de nos deux manifestations de l’été : — Une soirée amérindienne en août ; — Nos premières Journées pour la biodiversité les 11 et 12 septembre où nous avons accueilli Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 118 118 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Alain Baraton qui est le parrain de notre Potager du roi. Beaucoup d’enthousiasme est exprimé par nos visiteurs quand ils repartent et un bouche à oreille commence à se mettre en place. Les questions qui nous arrivent montrent que 80 % d’entre eux sont conscients de l’état des lieux mais 20 % seulement agissent ou souhaitent le faire. Rares sont les questions essentiellement botaniques qui nous sont posées. Parfois elles nous déroutent un peu car nous ne sommes en rien des spécialistes de cette discipline. Bien sûr, nous essaierons de nous parfaire avec le temps. Cependant, comme il a été dit plus haut, nous envisageons ces jardins ethnobotaniques comme des outils pédagogiques autant que des vecteurs de réflexion et nous l’espérons des aiguillons pour des actes écocitoyens au quotidien. Questions en suspens Aujourd’hui nos interrogations portent sur la façon d’aborder ces visites avec les enfants car si nous rencontrons un très vif succès avec les adultes, les enfants sont plus difficiles à intéresser car cela ne fait écho, chez eux, à aucune connaissance préalable, soit parce qu’ils sont trop jeunes soit parce qu’ils ne semblent pas avoir un minimum de connaissance en histoire comme en géographie. Ils placent leur émerveillement ailleurs dans l’extraordinaire des formes ou des chiffres. Peut-être des rencontres préalables avec les enseignants peuvent-elles les amener à s’intéresser autrement à ce que nous leur montrons. Il y a bien le contact par les sens avec les plus petits mais toutes nos plantes ne s’y prêtent pas. Devons-nous leur prévoir des visites toutes particulières qui n’auront rien de véritablement ethnobotaniques ou y a-t-il d’autres passerelles à découvrir ? Dans un tout autre domaine, nous nous demandons à ce stade comment rentabiliser ce projet à l’avenir sans possibilité d’embauche, en l’état actuel, donc de création de boutique et/ou de buvette qui pourraient être un bon complément. Nous vendons quelques plantes mais très peu. Nos visiteurs ne semblent pas s’y intéresser du tout. Pour comprendre ce phénomène nous essaierons l’an prochain de leur remettre un mini-questionnaire à remplir sur place dans le cadre, bien défini, d’une enquête sur leurs souhaits pour l’avenir. Un questionnaire sera aussi disponible sur internet. Il nous faudra tenir compte du côté aléatoire de cette formule mais elle peut aussi s’avérer intéressante. Peut-être ne sommes-nous pas assez incitatifs à la fin des visites. Nous avons eu la chance d’obtenir des aides du Fonds social européen (FSE) et des collectivités locales, Conseil général et Conseil régional, mais elles sont loin de combler nos besoins pour pérenniser notre structure. Aussi nous cherchons des moyens d’aller plus loin. Nous n’avons pas encore exploré la piste des partenariats privés avec des grandes entreprises mais nous allons essayer. Une autre question se pose : doit-on faire comme Nicolas Hulot et fermer les yeux sur le type d’entreprise ? Son argumentation se défend. Pour notre part, nous sommes dans une totale expectative. Nous avons fait quelques tests autour de nous mais sans résultat probant pour le moment. Ceux qui souhaitent plus d’informations sur nos jardins peuvent se rendre sur notre site : www.niceasso.net/lesjardinsdelhistoire, ou me contacter au 06 98 74 07 77. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 119 Fleurs, fruits et légumes du bassin lyonnais un patrimoine culturel et biologique à connaître et à conserver Contexte et objectifs La région de Lyon a été le berceau d’une intense activité horticole. Les cultures légumières, fruitières et florales ont connu dans cette zone une émulation sans égal. Cette situation a permis de générer une multitude de connaissances, de compétences locales, de savoirs et de pratiques techniques, aussi bien dans le domaine de la culture que de la création de jardins ou de nouvelles variétés ornementales. Toutefois, les fondements historiques, l’évolution de cette horticulture, la richesse des plantes cultivées et les acteurs qui ont accompagné cette fabuleuse épopée sont aujourd’hui presque complètement ignorés. Devant ce constat, nous nous sommes penchés sur ce passé horticole prestigieux, en recherchant et en rassemblant tous les éléments permettant de le reconstituer, d’en comprendre la dynamique, d’en identifier les acteurs. La mise à profit des sources documentaires et Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 119-123 Stéphane Crozat Philippe Marchenay Laurence Bérard Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 120 120 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique historiques locales – dont beaucoup sont originales – a permis de retracer l’évolution de l’horticulture à Lyon et sa périphérie du XVIe au XXIe siècle, d’en marquer les jalons, les événements, les faits saillants1. Nous avons également établi un premier état des lieux des obtentions, tant ornementales que maraîchères ou fruitières, ainsi que des techniques mises au point localement. Toutes les données collectées et analysées constituent le socle d’un système d’information, futur outil mis à la disposition des utilisateurs (décideurs, professionnels, chercheurs, grand public), dans le but de diffuser largement les connaissances acquises dans ce domaine peu connu. En somme, l’objectif de ce premier volet était de mieux connaître pour mieux valoriser. Alors que la biodiversité occupe le devant de la scène internationale et qu’elle concerne le plus souvent les espèces sauvages, la diversité biologique « domestique » mérite elle aussi une attention soutenue. Façonné par l’homme au cours des siècles, ce patrimoine vivant porte en lui une richesse considérable, dont les prolongements actuels restent encore visibles : le cas de l’horticulture lyonnaise en est une parfaite illustration. Ce programme a été financé par le Département du Rhône, la Ville de Lyon, la Direction régionale des affaires culturelles et le Grand Lyon. puis les mettre en perspective pour mieux rendre compte de l’horticulture lyonnaise au sens large et de son évolution. Plusieurs questions initiales furent posées : — Où trouver les informations ? — Une fois les gisements localisés, quelles thématiques interroger pour rendre compte de cette histoire, de la richesse des obtentions végétales, des savoir-faire horticoles, des hommes qui ont marqué les différentes périodes, des structures a priori porteuses de connaissances et de pratiques ? — Comment organiser l’identification et l’exploitation des documents collectés ? — Comment mettre en relation les données historiques et la situation actuelle ? L’originalité du projet réside dans le fait que le travail repose sur une exploration systématique de sources disponibles « in situ » et de première main, une sorte de puzzle dont il s’agit de retrouver et d’assembler les pièces, La première partie du travail, démarrée en avril 2003, a consisté en un état des lieux des organismes ressources, publics ou privés, susceptibles d’abriter les informations pertinentes. Puis a démarré le travail de consultation à proprement parler : Archives municipales de Lyon, Bibliothèque municipale de la Part-Dieu, bibliothèque et archives du Jardin Botanique de Lyon, bibliothèque de la Société lyonnaise d’horticulture, bibliothèque de la société Linnéenne de Lyon, Archives Départementales du Rhône, quelques fonds privés. La collecte des données a été exceptionnellement riche. Il s’agit de documents originaux, de publications, de fonds photographiques, de plans, de manuscrits, principalement. Nous avons dépouillé la totalité des bulletins des deux sociétés d’horticulture du Rhône (soit 220 années environ) et ceux de la Société d’Agriculture de Lyon dont la fondation 1. Le programme de recherche « Fruits, légumes et fleurs… » a été réalisé par l’équipe Ressources des terroirs – Cultures, usages, sociétés, de l’Unité de recherche Éco-anthropologie et Ethnobiologie (CNRS- MNHN), sous la responsabilité scientifique de Philippe Marchenay et Laurence Bérard, par Stéphane Crozat, chargé d’étude. Courriel : [email protected], Toile : www.ethno-terroirs.cnrs.fr. Méthode Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 121 Fleurs, fruits et légumes du bassin lyonnais | 121 remonte à 1761. Au total, 1 700 documents visuels scannés, une vingtaine d’ouvrages essentiels intégralement numérisés, plus de 30 000 pages de copies de documents constituent désormais la base du système d’information sur l’horticulture lyonnaise et l’art des jardins. À partir de ce corpus, nous avons établi une liste des thématiques en relation avec les domaines explorés, ce qui a permis d’organiser et de classer les données, souvent très hétérogènes : agriculture, arboriculture fruitière et ornementale, art des jardins, botanique, familles d’horticulteurs, grandes expositions horticoles, histoire des sciences à Lyon, sociétés savantes, enseignement, et bien entendu, des informations sur les nombreuses variétés de fruits, de légumes et de fleurs obtenues par les horticulteurs lyonnais entre 1830 et 1960. La documentation a été classée en 41 thématiques générales et 536 sous-thématiques ou dossiers. Conformément à nos hypothèses, la recherche et l’analyse de tous ces documents ont permis de dégager les perspectives non seulement historiques mais aussi sociales, économiques et techniques de l’horticulture lyonnaise. Par ailleurs, les détails sur les variétés obtenues dans le bassin lyonnais permettent d’en dresser un premier panorama. Parallèlement à ces travaux de recherche documentaire, des enquêtes de terrain ont été conduites auprès d’informateurs en France mais aussi à l’étranger. Elles ont permis d’obtenir des renseignements sur les personnes ressources actuelles ou celles qui ont joué un rôle moteur dans le passé. Des collections horticoles d’origine lyonnaise ont ainsi pu être repérées : — Collection de chrysanthèmes près d’Orléans ; — Collections de fuchsias et de pélargoniums à Bourges ; — Collection de clématites en Angleterre ; — Collections du Parc de la Tête d’Or (pivoines, roses anciennes, pélargoniums, etc.). — Collection de camélias près de Nantes. Plusieurs pépiniéristes ont pu être identifiés en France ou à l’étranger, mais aussi près de Lyon, pour leurs connaissances sur les obtentions lyonnaises ou parce qu’ils en entretiennent dans leurs collections. Résultats : une richesse horticole unique Les résultats de ce programme sont présentés dans un document de 300 pages, accompagné de nombreuses illustrations et divisé en huit chapitres. La première partie, chronologique, retrace l’évolution historique, du XVI e au XXe siècle. Elle montre que la région de Lyon fut incontestablement pionnière en Europe dans le domaine de l’étude des plantes, et ceci pour plusieurs raisons : des conditions naturelles propices – réunissant à la fois les flores du nord et du sud de la France – mais aussi une alliance bénéfique et très productive, dès le XVIe siècle, entre la botanique, l’imprimerie et la médecine. Les ouvrages de botanique fondateurs les plus célèbres furent imprimés à Lyon. Si l’étude, la classification et la conservation des végétaux se situent au premier plan, c’est aussi et surtout une préoccupation pratique et utilitaire qui gouverne les activités de cette « botanique appliquée ». À cette époque en effet, et pendant longtemps, la botanique recouvre de nombreux enjeux stratégiques ; elle est la science dans laquelle puisent un grand nombre de corporations, essentielles au bon développement économique du département du Rhône. La médecine et la pharmacie emploient majoritairement les plantes pour leurs propriétés liées à la santé, l’agriculture recherche celles qui correspondent le mieux à l’élevage des animaux et à l’alimentation des Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 122 122 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique humains. La soierie y trouve les matières textiles et tinctoriales pour la fabrication des étoffes, mais aussi de nombreux motifs ornementaux, l’ébéniste et le forestier, de nouvelles essences d’arbres. Autant dire que les attentes sont grandes et les perspectives vastes. Reconstituer en détail ce contexte permet de mieux comprendre comment a pu se développer une nouvelle branche économique primordiale : au cours des années 18301850, l’horticulture devient en effet une branche professionnelle à part entière. Les cours dispensés commencent alors à s’adresser plus spécifiquement aux hommes de métier qu’aux amateurs. Les premiers marchés aux fleurs confirment cette tendance, bientôt suivis par une exposition d’horticulture (en 1838), la première d’une longue série. En une cinquantaine d’années, l’horticulture lyonnaise va devenir l’un des fleurons de la création et du commerce de nouvelles variétés de fruits, de fleurs et de légumes, en France et en Europe. L’apogée se situe dans la période qui va de la moitié du XIX e siècle à 1914. Les toutes jeunes sociétés d’agriculture et d’horticulture – où l’on retrouve là encore les plus grands noms – rivalisent par l’abondance de leurs activités. Si les obtentions végétales sont légion, il ne faut pas pour autant oublier l’immense acquis technique lié à ce contexte. Sait-on par exemple que l’hybridation, véritable révolution de la botanique appliquée, devenue une base de la profession, connut ses premiers développements à Lyon avec Alexis Jordan ? Les horticulteurs lyonnais ont certes légué un héritage fameux de variétés de fruits, de fleurs et de légumes, mais les techniques culturales mises au point localement sont indissociables de ce patrimoine végétal. La plus célèbre, initialement développée dans la région lyonnaise, est la « palmette » inventée par Verrier, aujourd’hui encore largement employée pour conduire les poiriers et les pommiers en espaliers. Comment, par ailleurs, a-t-on pu à ce point oublier les expositions universelles de 1862, 1894 et 1914, au retentissement si considérable à l’époque ? Vitrines mondiales du savoir-faire et des obtentions horticoles lyonnaises, elles ont été effacées de la mémoire collective. Grâce aux collections botaniques et horticoles du Jardin des plantes, mais aussi aux nombreuses collections privées qui vont naître à cette époque, la région de Lyon va se spécialiser dans l’obtention des variétés de rosiers, de dahlias, de fuchsias, de pélargoniums, de pivoines et de bien d’autres fleurs encore. C’est sur ce substrat fertile que se créent en particulier la société des chrysanthémistes et celle des rosiéristes français, au passé glorieux et qui existent encore aujourd’hui. C’est aussi à Lyon qu’émerge véritablement la pomologie, qui s’attache à l’identification et la classification des variétés de fruits. La Société pomologique de France connaîtra une longue vie. Là aussi, les grands noms sont lyonnais : Burlat, Vercier, Chasset, Mas, Moreau, Luizet, Jaboulay, etc. Les légumes ne sont pas en reste, si l’on en juge par le nombre des obtentions et par l’activité des marchands-grainiers de renom qui se sont installés dans la région, tels Rivoire ou Lille. La fondation du Parc de la Tête d’or, avec son Jardin Botanique, son Service des cultures et son Jardin fleuriste, vient couronner le tout. Ces activités ont été conduites et promues d’abord par des personnalités appartenant à une classe sociale aisée : Jacques Daléchamp, Caspar et Jean Bauhin, les Jussieu, MarcAntoine Claret de la Tourette, Jean-Jacques Rousseau, Pierre Poivre, Emmanuel Gilibert, l’Abbé Rozier, par exemple. Aux X I X e et XXe siècles, le relais est largement pris par les milieux associatif et professionnel. À tel point que se mettent en place des enseignements dédiés à ceux et celles qui souhaitent faire de l’horticulture un métier (écoles d’Écully, de la Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 123 Fleurs, fruits et légumes du bassin lyonnais | 123 Saulsaie, de Cibeins). La dimension sociale est par conséquent importante à prendre en compte. La roue de la fortune cesse de tourner au début du XXe siècle : d’une part la Première Guerre mondiale, en plus des pertes humaines, conduit à l’abandon d’une partie des activités horticoles : les cultures sous serres sont abandonnées et les plus belles collections disparaissent, faute de bras et de moyens. D’autre part, certains horticulteurs suivent le marché des plantes ornementales, qui se déplace vers les villégiatures des clients aisés qui s’installent dans le sud de la France et particulièrement sur la Riviera… Le déclin, inexorable, s’annonce. Le second volet du document présente le patrimoine végétal lyonnais dans ses détails et dans ses richesses. Espèces et variétés fruitières, légumières et florales sont passées en revue avec, lorsque les éléments ont pu être retrouvés, un descriptif, éventuellement une représentation iconographique. Encore connues aujourd’hui à l’étranger, en particulier dans les pays anglo-saxons, parfois en France, les plantes ornementales ou alimentaires obtenues par les horticulteurs lyonnais sont totalement ignorées de la plupart de nos compatriotes et des Lyonnais eux-mêmes ! À la fin du document, nous énumérons des propositions pour permettre la redécouverte de ce patrimoine vivant au plus grand nombre, afin de valoriser un secteur qui constitua, À partir de ces résultats, nous avons souhaité, avec l’ensemble de nos partenaires, mettre en place un certain nombre d’applications et de valorisations. La base de données Horti-Lyon sera mise en ligne sur internet à partir de février 2008 (www.horti-lyon.fr/). Elle mettra progressivement à disposition du public, des professionnels et des chercheurs l’ensemble des données du programme. Elle sera gérée par le Centre de ressources de botanique appliquée (CRBA)2. Les données rassemblées, soit sous forme d’archives papier, soit intégrées progressivement au sein de la base de données ont d’ores et déjà fait l’objet d’exploitations diverses : organisation d’une exposition3, mise en place d’un conservatoire de variétés fruitières, légumières et florales lyonnaises au potager du domaine de Lacroix-Laval, implantation de variétés locales au Jardin botanique de Lyon. Un conservatoire en réseau, avec différentes structures publiques, associatives, professionnelles et privées est en cours de réalisation. La participation à divers colloques, conférences et quelques publications ont permis la diffusion des connaissances sur l’horticulture, les jardins et les variétés obtenues dans la région de Lyon. n 2. Le CRBA est situé au Domaine de Lacroix-Laval (Route de Sain-Bel, 69280 Marcy l’Etoile). Il assurera la gestion des données et la continuité du programme de recherche engagé par le CNRS, avec qui nous poursuivons un partenariat. 3. « Fleurs, fruits et légumes : l’épopée lyonnaise », exposition organisée en partenariat avec le Jardin botanique de la Ville de Lyon, à l’Orangerie du parc de la Tête d’Or (marsjuin 2007, 45 000 visiteurs). pendant près de deux siècles, l’un des fers de lance de Lyon et du département du Rhône. Valorisation Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 125 La médiation avec le public Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 127 L’ethnobotanique comme lecture du paysage L’expérience du domaine du Rayol Situé sur la corniche des Maures, le domaine du Rayol est une propriété du Conservatoire du littoral depuis 1989. La réhabilitation du jardin, sortant de vingt années d’abandon, est alors confiée au paysagiste Gilles Clément. L’originalité du projet voulu par le paysagiste, qui en a fait un jardin différent des autres, a conduit le gestionnaire à relever plusieurs défis pédagogiques. Cet exposé vise à faire partager l’expérience menée au sein du domaine du Rayol sur la médiation auprès des différents publics. Le domaine du Rayol, jardin des Méditerranées L’histoire du domaine du Rayol commence en 1909, lorsqu’Alfred Courmes fait l’acquisition d’une parcelle de maquis pour y fonder sa résidence. Une partie de la propriété va accueillir plusieurs bâtiments, un Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 127-131 Lisa Bertrand chargée du suivi scientifique, domaine du Rayol,Var Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 128 128 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique potager et un verger ainsi qu’un jardin d’agrément orné de plantes exotiques, comme les agaves, les eucalyptus et les bambous. En 1939, le domaine du Rayol passe entre les mains de l’avionneur Henry Potez et le jardin s’enrichit : un inventaire de 1948 recense 400 espèces introduites sur le site. Puis, dans les années 70, le domaine du Rayol est revendu à une Société et le jardin et les bâtiments sont laissés à l’abandon. En 1989, le Conservatoire du littoral devient le propriétaire d’un site de 20 hectares, dont 15 de maquis. Une partie est anthropisée avec 5 ha de jardins et 5 bâtiments construits entre les années 1910 et 1950. De l’inventaire de 1948, il reste moins d’une trentaine d’espèces exotiques. La réhabilitation du lieu est confiée au paysagiste Gilles Clément. Il imagine alors un jardin évoquant des paysages et des flores du monde, un « index planétaire ouvert sur les régions du monde biologiquement semblables », celles du biome méditerranéen. Ainsi, le visiteur est invité à voyager à travers le fynbos d’Afrique australe, le matorral du Chili, le mallee et le kwongan d’Australie, le chaparral de Californie, le maquis provençal. Contrairement à la plupart des jardins ethnobotaniques, le choix des espèces à implanter s’appuie sur des associations végétales, des cortèges floristiques, où les plantes sélectionnées sont destinées à créer des paysages. Cela implique un mode de gestion et de jardinage particulier, qui évite les artifices de maintenance (engrais, herbicides, insecticides, traitements divers) et utilisant l’eau de manière raisonnée. Le concept paysager du projet implique que les plantes ne soient pas étiquetées, et ce afin que soient privilégiées les ambiances de « paysages naturels » représentés. Une fois installés, les végétaux font l’objet d’une recherche bibliographique rigoureuse autour de laquelle s’articulera le contenu pédagogique. Celle-ci s’appuie notamment sur des travaux existants menés dans les jardins botaniques (Parque Chagual au Chili, l’Australian National Botanic Garden, Kirstenbosch National Botanic Garden en Afrique du sud, etc.). La médiation et l’interprétation des paysages Présente dès 1989 dans le projet de réhabilitation, la dimension pédagogique du site est forte. Le Conservatoire du littoral délègue la gestion à l’Association pour le domaine du Rayol (ADORA) ; quatre grands objectifs sont déclinés, dont « l’accueil du public pour des activités pédagogiques de découverte des jardins, initiation à l’histoire des lieux, l’évolution des paysages, aux flores méditerranéennes, à l’ethnobotanique, ainsi qu’à la découverte et la protection des milieux marins ». Pour Gilles Clément, « la mise en scène des paysages n’est pas considérée comme une fin en soi, mais comme un moyen de rendre intelligible la complexité du vivant ». Il ne s’agit pas d’offrir du spectaculaire et de l’exotique aux visiteurs, mais aussi une activité pédagogique originale. Le jardin, territoire de réconciliation entre l’homme et la nature, est voulu support pédagogique concernant la compréhension de l’environnement en milieu méditerranéen. Tout l’enjeu pédagogique étant d’arriver à informer le public sans étiqueter le jardin et parler de la nature en allant au-delà de l’aspect systématique. L’information doit se transmettre sans « dénaturer » le site et plusieurs niveaux de visites doivent être proposés au public, allant du néophyte au spécialiste. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 129 L’expérience du domaine du Rayol | 129 Partant de ce postulat, nous avons fait le choix de proposer plusieurs outils d’aide à la visite du jardin et d’accueillir dans les bâtiments des expositions destinées à délivrer des informations plus complexes ou de les resituer dans un cadre plus général. Avant la visite, dans le bâtiment d’accueil, une salle d’exposition donne les différents éléments qui ont permis de définir le jardin : histoire du site et de ses propriétaires, le climat méditerranéen, l’adaptation des plantes au feu et à la sécheresse, et une présentation des paysages de références qui ont servi de « modèle » pour la réalisation des différents jardins. La flore de chacune de ces régions est évoquée ainsi qu’un exemple d’usage d’une plante. Au cœur du jardin, dans une ancienne ferme, une exposition délivre principalement des informations de type botanique : la clé d’entrée est la systématique. Enfin, un troisième bâtiment accueille une exposition intitulée « le jardin marin », dédiée au littoral et au monde marin méditerranéen. La découverte du jardin s’appuie sur différents médias. Pour la visite autonome, un plan du jardin et un carnet d’interprétation guident le public à travers les paysages évoqués et leurs principales plantes emblématiques. La visite guidée est proposée quotidiennement et sur demande des visites plus approfondies ou thématiques sont réalisées. tive, conduite par un animateur auprès d’un groupe de visiteurs, à travers une sensibilisation, voire une provocation, qui fait écho chez le visiteur afin de lui communiquer le sens profond d’un patrimoine à préserver. La démarche d’interprétation a pour objectif de délivrer des clés afin de guider le visiteur pour lui apprendre à voir, à regarder, à comprendre. Dans le Jardin des Méditerranées, l’interprétation du paysage se réalise au travers de trois lectures : biologique, qui présente la flore et ses adaptations, écologique, qui aborde les relations entre les êtres vivants et la protection de l’environnement, et ethnobotanique, qui évoque les différents usages des plantes et met en évidence la relation étroite qui lie l’Homme à son environnement. En visite guidée, le médiateur utilise une mallette pédagogique qui renferme photos, échantillons végétaux et divers objets qui illustrent les commentaires. L’interaction avec le public est recherchée : mettre en énigme, provoquer le questionnement, l’envie de comprendre… et donc la possibilité de s’approprier un savoir, partant de l’idée qu’ « expliquer c’est empêcher de comprendre puisque cela empêche de chercher2 ». L’approche pédagogique choisie pour la découverte du jardin est celle de l’interprétation, déclinée dans les différents modes de médiation. Pour le journaliste Freeman Tilden1, l’interprétation est la pratique d’une activité éduca- À partir des plantes, de nombreux sujets peuvent être abordés, que ce soit les sciences (la botanique, la biologie, l’écologie, la géographie, le climat, la géologie, l’histoire), les usages passés et actuels des plantes (plantes magiques, alimentaires, textiles, tinctoriales, 1. Interpreting our heritage, Freeman Tilden, 1957. 2. Techniques ludiques et principes universels de jeux, Henri Labbe, Conseiller technique et pédagogique, Sciences et Environnement, Direction Régionale Jeunesse et Sports de Bretagne, Forum national des gardes du littoral, 2006. Du paysage à l’ethnobotanique Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 130 130 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique ornementales, médicinales, etc.), l’histoire des peuples et des civilisations, les grands voyages scientifiques, la perception et l’exotisation du paysage méditerranéen, etc. Aborder la question des paysages sous l’angle ethnobotanique ou ethnoécologique permet de relier l’homme à son environnement. L’homme vit dans ces « paysages », espaces dont il exploite, favorise et sélectionne les ressources végétales. Dans le bassin méditerranéen, ces écosystèmes sont très anthropisés et le paysage actuel témoigne de l’action de l’homme sur la forêt, conquise par « le fer et le feu ». À travers la découverte des usages des plantes, cette approche de la découverte du jardin permet d’une part de faire prendre conscience de l’importance du rôle des végétaux dans la biosphère, et d’autre part de sensibiliser le public à la fragilité des écosystèmes méditerranéens3. Voici quelques exemples, extraits des médiations du jardin permettant une lecture ethnobotanique du paysage. Le chêne-liège (Quercus suber) fait partie des arbres remarquables et emblématiques du massif des Maures, l’exploitation pour le liège ayant longtemps été la principale industrie de cette région. L’entretien des suberaies par l’homme a à la fois marqué la forêt méditerranéenne et les arbres eux-mêmes dont les stigmates témoignent de l’histoire locale. Le Dragonnier (Dracaena draco), originaire de l’Archipel Canarien était considéré comme magique par le peuple Guanche avant la conquête espagnole au XVe siècle. Il produit une sève de couleur rouge appelée « Sang du 3. Ces régions occupent en effet seulement 2% des terres émergées de la planète et recèlent 20% de la richesse spécifique végétale, soit plus de Dragon », exploitée par les Guanches. Découvert par les Espagnols, le Sang Dragon fait son apparition en Europe où il devient une panacée. Aujourd’hui, il reste environ trois cents individus sauvages aux Canaries, rescapés de cette surexploitation massive. Le Grass tree (Xanthorrhoea pressii) est une plante australienne qui peut vivre plusieurs siècles. Elle est indicatrice de l’histoire de la végétation, à travers un phénomène biologique qui est le feu, et qui peut être naturel ou provoqué. En effet, le feu provoque la floraison du Grass tree. C’est en étudiant la croissance et le développement de cette plante que les scientifiques peuvent reconstituer l’histoire du paysage du sud-ouest australien. La médiation, qui se base sur l’interprétation des paysages au travers des différentes lectures présente un double intérêt. La découverte des jardins méditerranéens, de l’espace naturel du maquis et du jardin marin doit d’une part permettre aux visiteurs de comprendre l’organisation du vivant dans les écosystèmes méditerranéens de la planète. L’interprétation des paysages, par les lectures biologique, écologique et ethnobotanique permet d’accéder à cette compréhension. D’autre part, la médiation a pour ambition d’amener le public à porter un regard différent sur la nature méditerranéenne et de se poser des questions sur les problématiques environnementales communes à ces cinq régions : érosion de la biodiversité, urbanisation du littoral, gestion des ressources en eau, effets et conséquences du feu, changements climatiques, etc. 26000 espèces endémiques. Le nombre d’espèces menacées se situe au 2ème rang mondial, après les forêts tropicales. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 131 L’expérience du domaine du Rayol | 131 Parvenir à atteindre ces objectifs ambitieux pose la question de la formation du médiateur, parfois ni botaniste ni ethnologue. Pour y répondre, nous avons donc mis en place un parcours de formation interne spécifique au site et à ses problématiques, que nous sommes en train d’expérimenter (cahier des charges de la visite, contenu pédagogique, grille d’analyse de la médiation, cahier de liaison, etc.). Tout en continuant à faire évoluer le contenu pédagogique des médiations existantes (comme les visites guidées et les animations scolaires), le domaine du Rayol s’oriente vers l’accueil d’autres publics autonomes ou encadrés : malvoyants, handicapés moteurs, jeune public en famille, etc. Chaque année, des visites à thème sont créées à destination d’un public plus initié, ainsi que des ateliers pour le grand public et des formations professionnelles. Par son histoire liée à celle des jardins de la Côte d’Azur et de l’acclimatation, le domaine du Rayol veut aussi jouer un rôle de médiation des savoir-faire et de démonstration sur les pratiques de jardinage, et d’autre part participer à l’éveil des consciences, en faisant évoluer la conception des jardins en Méditerranée, les représentations liées à la transformation exotique du paysage méditerranéen, et enfin contribuer à la conservation de celui-ci. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 133 Le jardin ethnobotanique comme vecteur privilégié de médiation et d’éducation environnementale, au Jardin botanique de Genève (CJB) et dans ses projets de coopération au Sud (Sénégal, Paraguay, Bolivie, Brésil) Introduction L’ethnobotanique et sa formalisation sous forme d’espaces jardinés sont à la base de pratiquement tout travail de médiation aux Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève (CJB) et dans ses projets de coopération technique avec différents pays du Sud. Cette histoire commune a commencé il y a une vingtaine d’années lors de la mise sur pied de l’exposition Plante compagne, sur la base de l’ouvrage original et magistral de Pierre Lieutaghi, édité à l’époque, par les CJB en Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 133-140 Didier Roguet conservateur, ethnobotaniste aux Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 134 134 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique collaboration avec l’Alimentarium de Vevey et le Musée d’Histoire naturelle de Neuchâtel. Ce compendium d’ethnobotanique interprétée est épuisé sous son édition originale et a été réédité depuis par Actes Sud, avec toujours autant de succès. Ce texte et sa matérialisation muséographique sont le fil initiateur et conducteur de notre politique de médiation scientifique depuis lors. Cette description patrimoniale des rapports hommes-plantes en régions médio-européennes a débouché sur un constat très clair en matière de pédagogie appliquée à la botanique. On ne protège bien que ce que l’on connaît ou reconnaît. On n’identifie souvent que ce que l’on sait ou croit utile pour sa petite personne, ou plus de façon plus altruiste parfois pour les autres. C’est le passage pour une espèce donnée, de la phytodiversité naturelle, notre chère biodiversité ou plutôt celle de Rio, à la phytodiversité culturelle (celle des usages) qui engendre souvent pour cette espèce sa mise sous tutelle, sa conservation ou plus paradoxalement, mais, plus rarement aussi, sa destruction (surconsommation et récolte). Cette prise de conscience est hautement pédagogique, car elle permet d’engendrer chez l’auditeur une réaction et un changement de comportement souvent bénéfique. Nous utilisons cette modification de comportement quotidiennement dans notre travail de médiation. Cette découverte du végétal utilitaire, omniprésent et universel, est fondamentale dans la prise de conscience du visiteur. Le végétal change de statut, le bouquet n’est plus décor, mais acteur de notre survie sur la planète. C’est, en particulier chez le très jeune public, le moteur d’un changement radical de point de vue sur la nature végétalisée et sur l’environnement en général. Les graines d’un « conservationisme » raisonné so nt p l a ntées et l e m o nd e d es p l a ntes semble déjà aller mieux… ? Partant de ce constat et de cet espoir, les CJB ont développé une politique d’accueil des publics et de médiation basée sur différents axes et lieux de travail : — des espaces de médiation et d’interprétation des collections utilitaires permanents, nous y reviendrons ci-dessous — des séries de publications (éducatives et documentaires) spécialisées et des fiches pédagogiques à l’attention des familles et des enseignants, — des expositions temporaires mettant en exergue le rapport homme-plante, de manière plus ou moins directe, dans un cadre historique et biogéographique, — une politique de formation continue (enseignants et médiateurs) basée sur la méthodologie décrite en introduction. Un savant mélange d’ethnobotanique appliquée, d’éducation environnementale et de techniques muséographiques qui tendent vers les mêmes objectifs : — conserver une diversité végétale, naturelle et culturelle maximum, au profit du plus grand nombre — gérer ce patrimoine selon les principes du développement durable, en particulier dans le Sud, et en évaluant pour le Nord un concept de décroissance soutenable et confortable. Espaces privilégiés aux CJB Le Jardin botanique de Genève abrite ainsi plusieurs espaces de contacts et de connaissances ethnobotaniques. Des jardins thématiques interprétés (avec différents niveaux de lectures) et des vitrines in situ font offices de bases muséographiques à ces présentations, qui sont parmi les lieux les plus appréciés et Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 135 Le jardin ethnobotanique comme vecteur de médiation | 135 visités de nos publics (300 000 visiteurs / an aux CJB). Ces jardins ethnobotaniques sont soutenus par différents supports pédagogiques (publications, fiches, etc.), des visites, des ateliers et des cours à l’attention de publics fort variés (scolaire, familial, enseignants, universitaires, guides, etc.) : — Les Terrasses des officinales et utilitaires regroupent plus de 500 espèces utilitaires des régions médio européennes. Ces plantes sont classées thématiquement en terrasses : médicinales, alimentaires oubliées, alimentaires de cueillette, condimentaires, potager régional Pro Speci Rara (PSR), artisanales et pré-industrielles (plantes à parfums, plantes à sucres, plantes tinctoriales, plantes à fibres, mellifères, plantes à huiles). Ils s’appuient entre autres sur différents travaux en ethnobotanique alpienne, dans le Valais romand et la région du Mont-Blanc, effectués sous notre direction dans le cadre du Laboratoire de floristique de l’Université de Genève et en collaboration avec le Centre régional d’étude des populations alpines (CREPA de Sembrancher, Valais) [photo 1, p. 138]. — Utiles tropiques, un espace muséal consacré aux espèces utilitaires des tropiques, qui présente une centaine d’espèces des pays chauds dans notre ancienne serre tropicale (le « Jardin d’hiver »). Différents thèmes sont abordés et interprétés : épices, boissons, fruits tropicaux, plantes masticatoires, racines alimentaires et fibres. Des vitrines mettent en relation pour nos publics les objets qu’elles contiennent avec la thématique du massif considéré. Un porte-folio en bois est à disposition à l’entrée de la serre pour accompagner la visite d’Utiles tropiques et éviter une surcharge informative dans les collections. De nombreux ateliers sont conduits dans cet espace sur des thématiques touchant à la coopération et au commerce équitable. Des mallettes pédagogiques sont à disposition des enseignants intéressés et des techniques faisant appel au jeu de rôle sont pratiquées en matière d’éducation environnementale (photo 2). — Botanicum, espace interactif et familial de prise de conscience sensorielle et ludique autour du concept de développement durable intégré. Le thème de la forêt et des rapports étroits que nous entretenons avec elle dans le cadre d’un développement durable souhaité, sont déclinés en treize modules, faisant souvent appel à l’ethnobotanique, parfois jardinée. Ils font chacun l’objet de deux propositions distinctes et complémentaires (adulte et enfant de 8 à 12 ans). Ces activités, différenciées sur le module, peuvent ensuite être mises en commun, croisées et valorisées dans un second temps. Cet espace a un succès considérable auprès des classes de l’enseignement primaire genevois [photos 3 et 4]. — Le Jardin des senteurs et du toucher propose un espace de contact physique avec le monde végétal, le seul du Jardin botanique. Destiné initialement au monde des non et malvoyants, ce jardin sensoriel accueille aussi beaucoup de familles et de scolaires. Les espèces et variétés horticoles présentées ont été choisies en collaboration avec les associations concernées et selon leurs critères (reconnaissance et originalité tactile, molécules olfactives, épines même parfois). Ce jardin peut être taxé d’ethnobotanique, car il abrite de nombreuses plantes aromatiques et joue sur le rapport sensoriel et parfois sensuel entre le visiteur et le monde végétal. Il représente avec le Botanicum une pièce essentielle de notre dispositif de conscientisation. Il permet à nos publics, en particulier les plus jeunes, une expérimentation physique de notre rapport au monde végétal, essentielle à une empreinte pédagogique persistante, consacrant le rôle fondamentalement utile de la plante [photos 5 et 6]. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 136 136 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Coopération au Sud Ce modèle pédagogique, faisant appel au vecteur ethnobotanique sous forme jardinée, est également très utilisé dans le cadre de nos programmes de coopération techniques et éducatifs avec le Sud. Il est proposé, à la demande, à nos partenaires locaux, municipaux et/ou associatifs, en marge ou en complément à des projets de recherches botaniques ou floristiques (flores, inventaires, etc.). Les jardins ethnobotaniques, collections thématiques de plantes utiles interprétées, sont une constante de ces programmes de développement appliqué. Ils sont souvent mis en place dans des structures existantes (jardins botaniques, parcs, espaces verts), qui bénéficient déjà de compétences horticoles générées et entretenues par les municipalités locales, avec lesquelles la Ville de Genève a signé des conventions culturelles. Les Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève, qui appartiennent au Département de la culture de la Ville de Genève, au même titre que les autres principaux musées de notre métropole internationale (Musée d’Art et d’Histoire, Musée d’ethnographie et Muséum d’Histoire naturelle), bénéficient du cadre de ces conventions pour travailler, cadre qu’il a souvent suscité. Le financement de ces programmes est, en très grande partie, assuré par le Fonds de coopération de la Ville de Genève. Cette dernière ayant signé la Charte d’Aalborg, elle octroie entre 0,4 et 0,5 % de son PNB annuel (0,7 % demandé par la charte) à l’aide au développement. Nous sollicitons annuellement ce Fonds pour un montant global oscillant entre 80 000 et 15 000 CHF (100 000 euros). Ces deniers sont répartis entre les différents micro-projets présentés ci-dessous, en fonction des desideratas et des mandats présentés par les coordinateurs locaux. Si un contrôle scientifique et technique est effectué par nos soins depuis Genève, la gestion des projets se fait en autonomie dans les pays hôtes. Passons en revue les différents projets de ce Programme cadre pour un développement durable au Sud et analysons le rôle des jardins ethnobotaniques dans ledit programme : — Le Jardin ethno-phytomédicinal EPY d’Asunción au Paraguay présente en collection plus de 500 espèces médicinales utilisées dans ce pays d’Amérique du Sud. Il est situé dans le Jardin botanique d’Asunción, un jardin historique qui abrite aussi un Centre d’éducation à l’environnement que nous avons installé, il y a plus de 10 ans, avec la Municipalité de la capitale paraguayenne et l’Ambassade de Suisse au Paraguay. Cette collection, unique en Amérique du Sud, dans un pays qui utilise encore et à une très large échelle, les plantes médicinales de cueillette, est énormément visitée par les écoles et le public qui fréquentent en masse le Jardin botanique en fin de semaine. Ce jardin « ethnomédicinal » fait l’objet de beaucoup de visites guidées par les collaborateurs du projet EPY (Etnobotanica paraguaya). Il accueille régulièrement des stages de formation professionnelle ciblés : pour des enseignants, des récolteurs de plantes médicinales, des associations de quartier (jardins communautaires), des vendeuses de plantes médicinales, des responsables de jardins de plantes médicinales pour les associations paysannes, etc. Il fonctionne en interaction avec le Centre d’éducation à l’environnement (CEAM) et les services compétents de la municipalité locale. Il est le témoin vivant des connaissances traditionnelles, répertoriées par les enquêtes ethnobotaniques menées par nos soins sur les marchés d’Asunción, et de leur sauvegarde. Ce jardin et sa collection ont été dédoublés, par Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 137 Le jardin ethnobotanique comme vecteur de médiation | 137 sécurité, sur le campus de l’Université nationale paraguayenne (Faculté de chimie et de botanique). Il est répertorié et référencé sous forme d’herbiers de contrôle et le Centre d’éducation environnementale du jardin botanique abrite un référentiel documentaire sur ce thème, fonds alimenté par le programme EPY. Un premier guide scientifique sur les plantes médicinales paraguayennes, et qui se référera à cette collection, est en voie de publication [photos 7, 8 et 9]. — Les Jardins ethnobotaniques et le Jardin des fibres de La Paz en Bolivie ont été implantés à la demande de nos partenaires boliviens du Kusillo, centre et musée voués à l’éducation et situé au centre de la capitale bolivienne à 3 600 mètres d’altitude. Ces aménagements s’inscrivent également dans le cadre d’une convention culturelle intermunicipale, entre les villes de Genève et de La Paz. Les Jardins ethnobotaniques ont été développés le long du cheminement qui conduit au musée, situé au sommet d’une colline. Ils sont composés de différents modules en terrasses, faisant références à des concepts ethnobotaniques : le Jardin de la « table pacénote », la « forêt oubliée », le « jardin de médecine traditionnelle » et le « jardin de la pomme de terre ». Le Jardin des fibres est situé dans le cadre d’une exposition permanente et interactive, consacrée à la richesse en éléments végétaux de l’artisanat bolivien, en particulier tissé et tressé. La présentation met l’accent sur la valorisation du commerce équitable autour de ces fibres. Une serre enterrée, originale et unique à La Paz, ainsi que différents massifs présentent une collection des principales espèces à fibre de Bolivie, tous biotopes confondus. Une boutique (commerce équitable) et des ateliers interactifs complètent l’ensemble. Une étude ethnobotanique financée par les soins du projet EPA (Etnobotanica pacena), en collaboration avec l’Université nationale bolivienne, est à la base de cette présentation, qui fonctionne autant à l’attention des publics boliviens, que pour les touristes qui sont nombreux à La Paz [photos 10, 11 et 12]. — Le Jardin ethno-phytovétérinaire de l’Université de Patos (Paraïba-Brésil, en chantier actuellement) est le plus récent de nos projets de jardin ethnobotanique intégré. Il fait partie d’un programme de développement original lié à l’usage d’une pharmacopée traditionnelle vétérinaire dans le Nord-est brésilien. Le marché local abrite des stands consacrés uniquement à cette médecine populaire vétérinaire, essentiellement basée sur l’usage de plantes ou de dérivés végétaux. Une étude ethnobotanique classique est menée par la Faculté de biologie et de sciences vétérinaires de l’Université locale de Patos depuis 2 ans sur le sujet. Elle débouche actuellement sur la création d’un jardin ethnophyto-vétérinaire de démonstration et de multiplication, jumelé à un centre de documentation et à un herbier. En parallèle aux enquêtes ethnobotaniques auprès des communautés paysannes locales, un programme socio-pédagogique est conduit pour faire prendre conscience à ces populations, souvent fort démunies, de la nécessité de conserver leurs connaissances traditionnelles et la biodiversité qui leur est liée [photos 13 et 14]. Le projet comme ses alter ego paraguayens et boliviens a pour ambition, à moyen terme, la restitution de données référencées et validées, botaniquement parlant, aux utilisateurs. Une attention particulière est accordée, dans le domaine des soins au sens large, à la connaissance des plantes toxiques et aux bonnes pratiques à favoriser (hygiène, récolte, conservation, conditionnement, conditions de vente). — Les Jardins ethnobotaniques du Parc de Hann à Dakar (Sénégal) abritent depuis six Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 138 1 2 3 4 5 6 7 8 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 139 | 139 9 10 11 12 13 14 15 16 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 140 140 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique ans une collection ethnobotanique interprétée, consacrée aux espèces utiles du Sénégal et à leurs nombreuses plantes de cueillette en particulier. Le Jardin est parcellisé de manière thématique et bénéficie du savoir de botanistes et de guérisseurs locaux. Un centre d’éducation environnementale a été réhabilité dans le cadre architectural de l’ancien aquarium du Jardin zoologique du Parc qui était hors de fonction. Un centre de documentation, une liaison Internet et une grande salle de cours ont pu être aménagés à deux pas des Jardins ethnobotaniques, situés sur les lieux d’une ancienne collection historique coloniale dont il ne restait qu’un tas… d’étiquettes. Des objets pédagogiques, utiles à la médiation, accueillent les visiteurs du CEEH (Centre d’éducation à l’environnement de Hann) : totems, meule de charbonnier de type « Casamance », four solaire, etc. De nombreux écoliers visitent le centre et les jardins en semaine dans le cadre scolaire et avec leur famille le week-end. Des stages de formation continue pour les enseignants sont mis sur pied périodiquement. Une collaboration active est instituée avec les écoles riveraines et la Commune voisine de Hann. Nous bénéficions d’une collaboration efficace avec le Ministère des Eaux et Forêts (propriétaire des lieux) et le Bureau de liaison Suisse-Sénégal. Le projet est inscrit comme les autres dans le cadre d’une convention intermunicipale et interuniversitaire [photos 15 et 16]. Conclusions Ces projets de jardins thématiques, basés sur des enquêtes ethnobotaniques, sont souvent associés à un centre d’éducation environnementale (CEE). Ce dernier propose un programme de médiation intégrée, débouchant sur une mise en valeur patrimoniale des principes fondamentaux que défendent les CJB, ici et là-bas : la conservation de la nature, en particulier végétale, la promotion du développement durable intégré et celle des valeurs patrimoniales et fédératrices liées aux phyto-usages traditionnels. Le jardin ethnobotanique est donc pour les CJB une des pierres angulaires de son action éducatrice, à Genève, comme dans le Sud. Nous sommes intimement persuadés que l’éducation environnementale, associée à l’ethnobotanique appliquée, favorise, dans un cadre floristique investigué et maîtrisé, une intégration patrimoniale des concepts de conservation de la phytosphère. Cette politique éducative est maintenant largement soutenue par des organismes fédérateurs dans le monde des jardins botaniques, comme le Botanical Garden Conservation international (BGCI). Les Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève en ont été les précurseurs il y plus de dix ans et restent persuadés de la pertinence et de l’actualité, ici et là-bas, des programmes de floristique et d’ethnobotanique appliquées, dont un des fleurons est la création de jardins ethnobotaniques. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 141 Parcours botanique des Alpes Mancelles J’ai rencontré Pierre Lieutaghi, il y a quelques années déjà, lors d’une conférence au Muséum nationale d’histoire naturelle (MNHN) de Paris. Il avait été invité par Chantal Gaulin-Schellenberg1 et Georges Métailié2, pour raconter Le passage de la culture sauvage au cultivé dans le milieu méditerranéen3. Le Laboratoire d’Ethnobiologie-Biogéographie du MNHN organisait à l’époque des cours d’ethnobotanique ouverts au public. Le discours de Pierre Lieutaghi ainsi que les illustrations montrées ce jour étaient brillantes. Sa pensée est toujours vive et on a toujours en l’écoutant, l’impression heureuse que son savoir ne vient pas des livres ou d’une érudition scolaire, mais d’un regard amoureux sur ce qui l’entoure, sur ce qui est vivant, d’une vision particulière du dehors. Lors de cet hiver de 1999, la collection de Polygonum, que j’avais réunie avec la collaboration du Conservatoire international des Parcs et Jardins et Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 141-146 Liliana Motta Texte des notes 1 à 3 p. 144 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 142 142 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique En haut. Collection de Polygonum, dans Le jardin des Hautes Haies de Saint-Paul-le-Gaultier. En bas. Le jardin des plantes communes, Saint-Paul-le-Gaultier. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 143 Parcours botanique des Alpes mancelles | 143 En haut. Le jardin des plantes alimentaires, Saint-Léonard des Bois. En bas. Pique-nique électronique, Saint-Paul-le-Gaultier. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 144 144 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique du paysage de Chaumont-sur-Loire et du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (CNPAIM) de Milly-la-Forêt, venait d’être installée dans la Sarthe, dans le village de SaintPaul-le-Gaultier, dans Le jardin des Hautes Haies. À la fin de sa conférence, j’avais posé une question à Pierre Lieutaghi : « Une collection de Polygonum représente-t-elle un apport ou un danger pour la biodiversité ? » Certes, cela n’avait pas de lien direct avec le contenu de sa conférence. Pierre Lieutaghi n’avait pas voulu répondre à cette question laissant la parole à un historien en écologie qui se trouvait dans la salle. Quelques mois plus tard, j’étais invitée à le rencontrer à Salagon et à visiter son jardin récemment installé. Cette visite a été la réponse tant attendue à ma question. Ce nouveau jardin appelé « des temps modernes », montre les multiples échanges des hommes et des plantes. Il illustre les multiples apports des flores d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie qui ont donné lieu à des changements radicaux dans l’alimentation, dans l’ornement, dans l’horticulture en Europe. La visite du jardin, racontée par P. Lieutaghi, a été publiée dans une revue horticole4, et cette visite a été un véritable « cahier de charges » pour la réalisation de tous mes jardins. La collection de Polygonum que je conserve dans la Sarthe, a été classée Collection nationale par le Conservatoire français des collections végétales spécialisées (CCVS). 1. Ingénieur CNRS au Laboratoire d’ethnobiologiebiogéographie du MNHN de Paris 2. Directeur de recherche au CNRS, Centre Alexandre Koyré, MNHN de Paris 3. le 19 novembre 1999 Dans ces années-là, la pensée scientifique5 autour des plantes introduites, des plantes venues d’ailleurs et accusées d’occuper un sol national au détriment des plantes indigènes était un sujet, pas ou peu remis en question. Cette pensée était prise par la plupart comme une vérité, un fait indiscutable, les histoires de ces envahisseurs seront largement diffusées par la presse au grand public. Une partie des plantes de la collection de Polygonum appartient à ce qu’on pourrait appeler « la liste noire » et qui se nomme précisément « Plantes exotiques invasives sur le territoire national, et appel à coopérer » du Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles, 1998. Il y a plusieurs listes, « Liste 1 : espèces à détruire et dont l’introduction, la culture, et la vente devraient être interdites », « Liste 2 : espèces invasives potentielles, à surveiller attentivement » et même une « Liste 3 : liste d’attente », dont les plantes, ne pouvant pas entrer dans les deux listes précédentes, sont « soupçonnées de pouvoir le faire dans l’avenir ». Beaucoup de Polygonum sont des plantes « rudérales », du latin rudus : décombres. L’espace « rudéral » désigne les lieux occupés, colonisés, puis abandonnés par l’homme. Les plantes rudérales occupent des sols dont l’équilibre est fréquemment perturbé (piétinement, labours). Ce sont souvent des plantes à croissance rapide, édifiant une biomasse importante en peu de temps, à grande fécondité, à pouvoir 4. Hommes et Plantes n° 34 5. Collectif (1998). Actes du colloque Plantes introduites - plantes envahissantes, 8 au 11 octobre 1996, Nice. Biocosme mésogéen, Nice. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 145 Parcours botanique des Alpes mancelles | 145 germinatif élevé, et à grande plasticité écologique, résistant à la sécheresse comme à l’excès d’humidité. Les plantes rudérales sont généralement considérées comme des « mauvaises herbes », plus gênantes qu’utiles. Les botanistes appellent ces plantes « des adventices », quand il s’agit des plantes étrangères introduites volontairement ou pas par l’homme. Plus récemment après le discours scientifique sur le danger que ces plantes peuvent causer sur la biodiversité qui s’est tenu en 1992 au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, au Brésil, on les appela des « pestes étrangères colonisatrices », « des plantes envahissantes », des « aliens » en anglais. Ces plantes introduites, ces « étrangères », « exotiques », « allogènes », ont perdu le statut « sympathique » de mauvaise herbe, pour faire partie d’un classement plus actuel et alarmant celui de « peste végétale ». Ces plantes introduites volontairement ou fortuitement par l’homme, transportées à son issu comme des passagers clandestins ou faisant partie de ses bagages, trouvent à leur arrivée un nouveau milieu, un terrain privilégié où elles vont proliférer sans subir la concurrence de la végétation indigène. On pourrait aussi voir les faits autrement et les considérer en termes écologiques comme les pionnières d’une succession secondaire, des transformateurs des lieux en changement. une nouvelle pousse dressée qui portera fleurs et fruits. On a toujours cette idée des plantes fixées au sol, des plantes qui ne bougent pas, ce qui favorise « une forme de mépris qui veut que la plante ne soit qu’une chose » 6 Le mouvement des plantes, les hommes n’aiment pas, ni les jardiniers avec leurs parterres, ni les botanistes avec leurs inventaires. Ils sont gênés par celles qui ne se tiennent pas à leur place. Et malheureusement cette injustice, cette inégalité dans l’existence, dans le droit de vie sur un territoire ne concerne pas que les plantes : « Les femmes sont perçues comme dangereuses, au même titre que les migrants, les étrangers, les nomades, que tous les porteurs potentiels de mobilité, d’étrangeté et de transgression, tous ceux qui peuvent franchir les limites du corps, du territoire ou des règles sociales7. » Les Polygonum sont des plantes qui se déplacent, par des rhizomes qui croissent horizontalement dans le sol, produisent chaque année Jack Rodney Harlan, 1917-1998, paléobotaniste et généticien, qui s’intéresse à l’origine des plantes cultivées, écrit en 1975 « Les plantes cultivées et l’homme ». Dans le chapitre 4 « Plantes adventices et mauvaises herbes », il explique sa pensée sur cette capacité de transformation : « Une adventice possède certains attributs écologiques et elle est fréquemment indésirable à cause de ces mêmes attributs. C’est le comportement écologique qui est le plus important. L’opinion humaine n’influe guère sur le comportement écologique des plantes, mais le comportement écologique des plantes pourrait bien conditionner l’opinion humaine. » La définition courante des mauvaises et adventices comme étant des plantes qui ne sont pas à leur place, cache des idées implicites. 6. Aline Raynal-Roque. La botanique redécouverte. INRA. Éd Belin. 1994 7. François Héritier. Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie. Éd Odile Jacob.2002 Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 146 146 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Premièrement le mot « pas » implique une opinion humaine, puisque « affirmatif » et « négatif » sont des concepts humains et non inhérents à la nature. Le mot place indique une relation écologique qui a évidemment à voir avec les activités botaniques de l’homme lorsqu’il jardine ou fait de l’agriculture. Partout où l’homme va, il est rapidement entouré d’un cortège de compagnons végétaux qu’il désire, déteste ou ignore selon les cas. » tout simplement quels nouveaux liens cette espèce aurait pu être capable de développer dans le temps avec son nouveau milieu. L’idéologie politique véhiculée à travers la louable intention de gérer la biodiversité de notre planète, se résume généralement à l’ordre préfectoral d’extermination de l’espèce rendue coupable du désordre. L’espèce animale ou végétale à exterminer est donc rendue coupable de l’acte de mise en danger de la biodiversité en oubliant même quel patrimoine génétique, quel patrimoine culturel ou Depuis dix ans, le jardin de Polygonum, avec la réunion autour de celui-ci d’un conseil scientifique8 constitué des érudits sarthois, anciens universitaires, géographes, naturalistes scientifiques a donné naissance à ce qu’on appelle le « Parcours Botanique des Alpes Mancelles », qui désigne plusieurs endroits d’intérêt botanique dans différents villages en s’intéressant toujours à la plante commune, et à la diversité végétale. Récemment, en 2007, le jardin de Polygonum a reçu le prix de « l’Initiative Citoyenne » décerné par l’Association des Journalistes du Jardin et de l’Horticulture (AJJH). On dirait que de « l’étranger » au « citoyen », il n’y a que le regard des autres qui a changé. n 8. Jean-Pierre Champroux, professeur de sciences de la vie et de la terre, correspondant du Conservatoire botanique national du Bassin parisien. — Jean-Pierre Corbeau, conseiller pédagogique. inspection de l’Éducation nationale de Mamers. — Jean-Christophe Denise, architecte DPLG, spécialisé dans la programmation et la réalisation de projets culturels et artistiques pour le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation. — Jeanne Dufour, géographe, professeur honoraire à l’Université du Maine, auteur de l’ouvrage Les Alpes mancelles. — Gérald Hunault, maître de conférences, adjoint du directeur pour la Sarthe du Centre de conservation du patrimoine naturel de Cherré, Conservatoire botanique national du Bassin parisien, Muséum national d’histoire naturelle. — André Launay, botaniste et aquarelliste, responsable de la page botanique dans le mensuel Maines Découvertes, correspondant du — — Conservatoire botanique national du Bassin parisien. — Guy Motel, vice-président de la Société d’horticulture de la Sarthe, botaniste et ornithologue, enseignant et auteur de plusieurs ouvrages, dont L’érable, éd. Actes Sud. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 147 Le Jardin botanique et pédagogique de Koro au Burkina Faso « Instruire et divertir à partir des connaissances traditionnelles pour protéger les plantes africaines » Introduction En Afrique, comme ailleurs, l’impact des facteurs environnementaux et humains sur la flore et la faune conduit à une dégradation des écosystèmes, alors que le développement économique et l’urbanisation éloignent les citoyens de la nature. Le développement de jardins botaniques ouverts au public est très récent au Burkina Faso : un seul parc dans la capitale, et c’est pourquoi il nous a semblé important de créer également un Jardin botanique et pédagogique proche de la 2e ville du pays, dans le village de Koro. Par ailleurs, si les traditions restent toujours présentes au Burkina Faso, il importe de les enregistrer – car elles sont le plus souvent transmises par voie orale et il n’y a que peu d’écrits, alors que les anciens disparaissent souvent avec leur savoir (Amadou Hampaté Ba : « en Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle »). L’enregistrement des traditions ne suffit Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 147-154 Marc OLIVIER Sama Bioconsult Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 148 148 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique pas, il est nécessaire de les valoriser et de les présenter au public afin de mieux les préserver : notre travail de terrain en Afrique sur les usages des plantes en tant qu’ethnobotaniste nous a permis de proposer à notre principal partenaire (LVMH Recherche) de mettre en place un Jardin botanique et pédagogique qui illustrerait les traditions liées aux plantes en Afrique, tout en offrant un cadre agréable de visite et d’apprentissage. [Voir photo 1 p. 150.] Présentation globale du jardin botanique et pédagogique de Koro Situation géographique Le Jardin botanique et pédagogique est situé sur le terroir du village de Koro, petit village traditionnel, perché sur une colline au bord d’une falaise, qui court sur environ 100 km, dans la région de Bobo Dioulasso au sud ouest du Burkina Faso, pays sahélien d’Afrique de l’Ouest. Le village de Koro est un village qui outre sa situation perchée, présente un intérêt touristique en raison de l’architecture des cases traditionnelles, de la persistance de certaines activités traditionnelles (poteries) et des fêtes des masques, fêtes coutumières qui rassemblent les habitants et de nombreux visiteurs. C’est un village connu et fréquenté par les touristes qui visitent le Burkina Faso. La ville de Bobo Dioulasso est la 2e ville du Burkina Faso, et compte plus de 500 000 habitants, elle se situe à 10 km du village de Koro et le développement urbain risque d’amener les faubourgs de la ville à proximité de ce site d’ici à quelques années. La région est marquée, outre par le relief, par une biodiversité remarquable (flore et faune) du fait de la diversité des sols, du climat favorable (plus de 1000 mm de pluies sur près de 6 mois). Les principales activités des populations sont l’agriculture, l’élevage et l’artisanat, ce en dehors de la ville de Bobo Dioulasso, qui présente en tant que métropole régionale, les caractéristiques d’une ville (administrations, industries notamment, surtout agroalimentaires : usine de transformation du coton et huileries). Historique Le Jardin botanique et pédagogique de Koro a été créé en 2002 par Sama Bioconsult, avec l’appui du Conseil des Anciens du village, le soutien technique de l’Antenne régionale des semences forestières (dépendant du Ministère de l’Environnement et du cadre de vie), et l’appui financier de LVMH Recherche en France. Suite au développement d’une filière de valorisation d’une espèce végétale africaine utilisée en médecine traditionnelle et ayant des applications cosmétiques, LVMH a lancé en 2004 une gamme de produits de beauté à base d’un extrait végétal d’Anogeissus leiocarpus Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 149 Le jardin botanique de Koro | 149 Carte de localisation. Photo 3. Pancarte du Jardin botanique et pédagogique de Koro. (Combretaceae) : la gamme Bikini chez Parfums Christian Dior. Cette filière a pu notamment être mise en place grâce à la coopération avec le village de Koro (recueil d’informations ethnobotaniques, échantillons, récoltes pour la production) et il a été décidé d’apporter un appui à la mise en place d’activités au village de Koro : — création du Jardin botanique et pédagogique en 2002 — programme de plantations sur 5 ha en 2000 (actuellement, plus de 1 000 arbres appartenant à 10 espèces ont été plantés) — organisation d’un forum « Afrique et Beauté : de la tradition à la modernité » en 2004 réunissant tous les partenaires à Bobo Dioulasso — don d’un moulin à céréales au groupement féminin du village de Koro — don de matériel informatique à l’ARSF Le Jardin s’intègre donc dans une démarche de coopération entre Sama Bioconsult, LVMH Recherche et le village de Koro, dans une perspective d’établissement de relations durables. Ce Jardin a également fait l’objet d’appuis ponctuels de l’association Espérance 92 en France, ainsi que du GERES (ONG d’Aubagne intervenant dans le domaine de la médecine traditionnelle au Burkina Faso). 3 – Les principaux secteurs du Jardin botanique et pédagogique Le Jardin est organisé en premier lieu à partir des connaissances traditionnelles sur les plantes. Ces informations ont été collectées, soit directement auprès des populations lors d’enquêtes ethnobotaniques, soit à partir de la bibliographie. S’y ajoutent des informations à caractères scientifiques (binôme latin, études phyto-chimiques ou pharmacologiques). Dès l’entrée, une pancarte explique au visiteur (qui peut donc venir non-accompagné) l’historique et l’organisation du Jardin en différents secteurs, ainsi que sa situation par rapport aux autres éléments remarquables du site. [Photo 4, p. 150.] Ensuite, chaque secteur dispose d’une pancarte résumant ses particularités et son originalité, sur un mode qui soit à la fois rigoureux, mais aussi ludique : Loin de vouloir réaliser un jardin exhaustif regroupant de très nombreuses espèces, nous avons plutôt privilégié la présentation d’un nombre limité d’espèces (environ 80 en place actuellement) qui soient représentatives d’utilisations traditionnelles : — espèces médicinales traditionnelles (Combretum micranthum, Euphorbia hirta, Zanthoxylum zanthoxyloides), — espèces tinctoriales (Henné, Indigo, Anogeissus) — fruits sauvages — espèces exotiques dont de nombreux fruits cultivés (Manguier, Papayer, Canne à Sucre, Avocat) — espèces de la tradition africaine (exemples : Néré, Tamarin, Baobab, Cola, Palmier) 4 – Documents 4.1 Documents pédagogiques et divers disponibles : — Plan du site ; pancartes des secteurs ; pancartes des espèces ; livret des guides accompagnateurs (regroupe les plans et pancartes) ; brochure 3 volets présentant le site éco-culturel de Koro ; brochure 3 volets présentant le Jardin botanique et pédagogique de Koro ; carte postale de la cascade de Koro (2 000 cartes offertes par l’association Espérance 92) ; livre d’or du Jardin. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 150 150 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique 1 4 2 5 7 1. Le village traditionnel de Koro. 2. Entrée du Jardin botanique et pédagogique de Koro. 4. Plan du Jardin botanique et pédagogique, situé à l’entrée du Jardin. 5. Exemple de pancarte « plante » à l’attention des visiteurs. 7. Jeunes plantules de Combretum micranthum (Combretaceae) obtenues à l’ARSF – Bobo Dioulasso. 4.2 Pancartes « plantes » Les différentes espèces représentatives ont toute une pancarte de format A4, en couleur, résumant les principales informations botaniques et culturelles en français car il s’agit de la langue de l’enseignement et de l’administration au Burkina Faso : — nom latin ; nom d’auteur ; famille botanique ; nom en Jula, langue régionale parlée dans la région de Bobo Dioulasso 1 ; brève description des caractéristiques végétales ; principales utilisations traditionnelles, qu’elles soient alimentaire, médicinale, artisanale, culturelle ; une photo ou un dessin ; suivant le cas, une anecdote. [Photo 5.] 4.3 Formation des guides accompagnateurs Le village traditionnel de Koro est un site touristique connu au Burkina Faso et de nombreux visiteurs sont accueillis par des guides du village qui ont reçu une formation sur le Jardin botanique et pédagogique : ils disposent aussi d’un dossier regroupant les principales informations sur le jardin : — plan; les textes des pancartes des différents secteurs ; la liste et les principales caractéristiques des différentes espèces de chaque secteur. Actuellement, les guides touristiques du village de Koro dépendent du Ministère du Tourisme qui gère les tickets de visite du village traditionnel de Koro. La visite du Jardin 1 Du fait de l’existence de plus de 45 langues au Burkina Faso, nous avons choisi de noter le nom des espèces dans la langue la plus parlée dans le région de Bobo Dioulasso, à savoir le Jula. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 151 Le jardin botanique de Koro | 151 6 8 9 10 11 12 6. Visites scolaires au Jardin botanique et pédagogique. 8. Rencontre avec les guérisseurs français. 9. Présentation de médicaments traditionnels par un guérisseur africain. 10. La cascade dans la Forêt sacrée. 11. Les masques « Kéré » lors des cérémonies coutumières se déroulant à côté du Jardin. 12. Les habitants de Koro participent aux travaux d’aménagement du Jardin. est totalement gratuite pour respecter notre souhait de coopérer avec le village, et qui était d’offrir un intérêt supplémentaire au site déjà riche d’un point de vue touristique (village traditionnel, cascade, poissons sacrés). — Balisage et pancartes d’informations sur l’ensemble du site : village, jardin, poissons sacrés, cascades, et itinéraires d’accès depuis la route nationale, parkings… 4.4 Documents en cours de préparation : fin 2007 et début 2008 (financement LVMH Recherche) — Livret sur les espèces végétales pour vente aux personnes intéressées (impression prise en charge pour les 500 premiers livrets par LVMH Recherche) — Affiches de promotion du SECKO — Film documentaire de 16 minutes sur DVD, en cours de tournage depuis mai 2007 : ce film sera présenté lors du 2e Forum Afrique et Beauté qui se déroulera fin mai 2008 à Ouagadougou. Activités en matière de sensibilisation et d’éducation environnementale Positionnement du Jardin botanique et pédagogique : objectifs généraux Le nom choisi pour le jardin : botanique, certes, c’est-à-dire respectant des critères scientifiques au niveau de la présentation des espèces (nom latin, nom d’auteur, famille botanique), mais aussi et surtout « pédagogique » c’est-àdire offrant la possibilité d’apprendre de nouvelles connaissances, de manière facile… Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 152 152 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique c’est-à-dire aussi l’orientation du Jardin (donc son organisation en différents secteurs, les pancartes à la fois riches en information mais également « esthétiques ») est clairement définie comme visant tout type de public. Principales activités réalisées Ces activités sont dirigées vers le double objectif d’une sensibilisation à la nécessité de protéger notre environnement, ce à travers l’éducation environnementale. Cela passe par une présentation scientifiquement exacte mais ludique des connaissances sur les plantes, dans un cadre agréable, nous souhaitons que ce Jardin soit fréquenté et adapté aux divers publics : — Visites scolaires, depuis le niveau du Primaire jusqu’au Lycée : • École primaire de Koro : les visites scolaires ont pu commencer en juin 2006 (cf. article en copie) et il est prévu de faire venir ensuite les écoles de la ville de Bobo Dioulasso. [Photo 6.] • Les élèves du Burkina Faso doivent préparer un herbier de 20 espèces en classe de BEPC et ils sont nombreux à venir depuis Bobo Dioulasso pour recopier les informations des pancartes du Jardin pour rédiger les étiquettes des échantillons. — Visites touristiques, burkinabés ou étrangers (pays voisins, autres continents) : accord avec certaines agences de voyages, notamment Agence Tourisme (Ouagadougou) dont les méthodes et les objectifs sont en phase avec les nôtres. — Collaborations scientifiques : Laboratoire de botanique, Université de Ouagadougou, Antenne régionale des semences forestières (ARSF – Bobo Dioulasso) responsables d’ONG liées à l’Environnement. [Photo 7.] — 1res Journées France-Afrique des guérisseurs traditionnels avec des guérisseurs de Koro et Bobo Dioulasso et de France : organisation en mai 2005 avec l’Association Espérance 92. [Photos 8, 9.] Autres activités prévues — Séjours d’échanges entre guérisseurs : organisation en octobre – novembre 2007 de deux séjours avec des guérisseurs français dans le cadre de l’association « Des horizons des hommes » — 2 e Forum Afrique et Beauté prévu en mai 2008 à Ouagadougou avec des participants de Koro À noter que l’ensemble des activités prévues demeurent compatibles avec les activités traditionnelles : fêtes coutumières, agriculture, passage sur les sentiers, afin, non seulement de ne pas les interdire, mais au contraire de les développer (augmentation du flux touristique générateur de revenus), tout en les canalisant dans le respect des coutumes anciennes et de la protection du site naturel. Intégration culturelle du jardin botanique et pédagogique Nous présentons parallèlement notre démarche qui intègre au jardin des faits traditionnels et coutumiers (usages, fêtes des masques, fétiches). Le Jardin, un intervalle géographique et culturel D’un point de vue géographique, le jardin est situé entre une zone de culture (plantations de manguiers, maraîchages, cultures céréalières et de bananes), qui le sépare du village, et une Forêt sacrée, au bord d’une falaise d’où coule, en saison des pluies, une magnifique cascade. [Photo 10.] La Forêt sacrée est un lieu où sont préparés des masques de cérémonies, des offrandes y sont régulièrement remises aux divinités traditionnelles (fétiches, poissons sacrés) : du fait de ce positionnement, le jardin sert d’intermédiaire et de zone tampon entre une Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 153 Le jardin botanique de Koro | 153 zone anthropisée (cultures agricoles) et une zone sacrée (coutumes). Il s’agit donc à la fois d’un intervalle géographique mais aussi culturel entre deux zones qui présentent des activités humaines différentes. Activités culturelles et coutumières Depuis le jardin, avec l’accord de la chefferie traditionnelle 2 , notamment le Chef des Coutumes et le Chef des Masques, les visiteurs peuvent observer et participer à certaines étapes des fêtes des masques qui sont toujours très importantes dans le village de Koro (notamment la Fête des Masques Longs, annonçant la saison des pluies et la reprise des travaux champêtres en Mai). [Photo 11.] En dehors de ces fêtes qui sont populaires, d’autres cérémonies plus secrètes sont organisées en fonction du calendrier annuel des coutumes, que ce soit en relation avec l’eau, ou bien les Poissons sacrés, le Serpent Boa sacré, etc. Cela montre la persistance de la culture animiste traditionnelle tout autour et au cœur même du Jardin botanique qui inclut un site sacré (Fétiche) où sont effectués des sacrifices et des prières par le Chef des Coutumes et les Forgerons, gardiens des traditions. La rivière abritant les « Poissons sacrés » appartenant à une espèce de Silure jouxte le jardin et constitue une halte des visiteurs qui apprécient leur taille impressionnante (plus de 1,20 m pour certains spécimens). En fait, nous croyons que cette orientation vers la culture traditionnelle peut être un des critères de réussite pour nos objectifs. 2. L’accord des autorités coutumières est quasiment toujours accordé, le simple fait de le demander est un signe de respect, et il suffit d’accompagner sa demande de quelques noix de cola ou d’offrir de la bière de mil aux anciens pour Appropriation du Jardin par la population : Dans un premier temps, le jardin a été installé avec l’accord du Conseil des Anciens, du Chef de Terre et du Chef des Coutumes. Les principaux travaux d’aménagement et l’entretien régulier sont assurés par les villageois, et une partie des revenus tirés de l’exploitation du moulin à céréales sert à encourager les travailleurs. Par ailleurs, lors des travaux en groupe, certains villageois offrent le repas et la boisson (bière de mil). [Photo 12.] Le sentier menant du village aux cultures et à la Forêt sacrée traverse le Jardin et les habitants des villages avoisinants traversent régulièrement le Jardin, y compris en revenant de la grande ville voisine, que ce soit, à pied, à vélo, parfois à mobylette… qu’il faut porter pour franchir la falaise… Il en résulte une appropriation du Jardin par les populations qui le fréquentent chaque jour et il s’ensuit que désormais le Jardin est connu des populations des autres villages, ce qui en fait une fierté des habitants de Koro, tout en facilitant sa surveillance, car chacun est concerné… et surveille ou est surveillé… Perspectives Le site éco-culturel de Koro (SECKO) En tenant compte du village traditionnel de Koro, des zones de cultures, du Jardin botanique et pédagogique, de la zone naturelle et sacrée (Forêt, Cascade, Rivière, Poissons sacrés), nous avons là un site tout à fait remarquable. l’obtenir sans difficulté. Il reste seulement l’interdit de la fréquentation de l’intérieur de la Forêt Sacré pendant les cérémonies, mais il est possible de faire des photos ou de filmer les masques à l’extérieur après en avoir demandé l’autorisation. Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 154 154 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Nous avons envisagé l’appellation « Site éco-culturel de Koro » qui intègre tous ces aspects et permet une dénomination originale, porteuse de sens et de symbole, ce afin d’en faire une zone protégée. Nous avons pu montrer comment ce jardin appartient désormais au terroir villageois culturellement riche de Koro, et participe aussi d’une démarche globale tournée vers une meilleure gestion de l’environnement : ces réflexions nous ont amenés à choisir ce terme « de Site écoculturel de Koro » ou « SECKO »… pour la zone au cœur de laquelle se situe le jardin et à envisager de nouvelles perspectives (cf. carte) tout en assurant un certain développement respectueux des valeurs culturelles et de la nature. Ces perspectives pour fin 2007 et 2008 concernent surtout la protection de la zone par un document administratif légal, c’est-àdire, en l’état du Code de l’environnement et du Code forestier, soit un titre foncier, soit un classement en zone classée et l’attribution officielle de la gestion du site classé à une association émanant des représentants du village de Koro et des partenaires actuels du site, ainsi que toute personne intéressée… Ces démarches doivent démarrer en novembre 2007 par le levé topographique du site. Nous envisageons également la construction d’une Maison d’accueil et de promotion du SECKO au pied du village de Koro, qui permettra d’accueillir et d’informer les visiteurs, mais aussi de leur présenter les documents en vente (affiches, livrets, cartes postales), tout en les rafraîchissants (buvette) et en leur faisant découvrir l’artisanat local (poteries du groupement féminin). Les revenus générés devraient pouvoir permettre de motiver les guides touristiques qui accompagnent les visiteurs, mais aussi d’apporter quelques finances au groupement féminin, le tout incluant une participation à l’entretien du site, comme c’est déjà le cas pour une partie des bénéfices du moulin à céréales qui permet de payer l’entretien du jardin. Enfin, nous essayons d’initier une collaboration avec une association de quartier en France (Montpellier) pour proposer des chantiers internationaux visant à aménager les sentiers à travers tout le site : — accès au site naturel depuis le haut de la falaise, ce qui permettrait d’avoir un 2e accès, plus proche de la ville de Bobo Dioulasso, utilisable y compris en saison des pluies, alors que l’accès actuel est impossible pour les véhicules en saison des pluies, ce qui peut décourager certains visiteurs, peu enclins à trop marcher… — accès au village perché de Koro, qui présente actuellement des sentiers rocailleux et abrupts, limitant les possibilités de visites (personnes âgées) — sentier de liaison entre le village et le site naturel À la suite de toutes ces activités, nous avons prévu d’organiser en 2008 les Premières Journées Portes ouvertes du SECKO, prévues mi 2008, après la réalisation des aménagements et des documents pédagogiques prévus Nous restons ouverts également à toute proposition, et nous serions par exemple intéressés par la possibilité d’un jumelage du Jardin avec un jardin botanique en France… ou ailleurs ! n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 155 | 155 Jardin botanique, j ardin pédagogique : exemple de la coopérative de plantes médicinales Kallawaya de Chajaya (Bolivie) [Résumé de la communication] Connus depuis des siècles pour leur médecine empirique, basée sur les guérisons symboliques (ou rituels de soins), ainsi que l’utilisation et la combinaison de plantes, de minéraux et de végétaux, les Kallawaya de Bolivie, ethnie des hauts plateaux andins font face à la perte progressive de leurs savoirs depuis plus de cinquante ans. Que ce soit sous la forme de visites groupées avec les écoles, de participation à l’entretien du jardin, de la récupération de semences pour la création de jardins familiaux individuels, le jardin pédagogique kallawaya et un outil parmi d’autres développés par la coopérative qui tente d’apporter des éléments de réponse à cette problématique de perte de transmission des savoirs. Toutefois, il ne se substitue en rien à la transmission in situ, au cœur des montagnes, après des heures de marche, qui replace l’apprentissage dans une dimension globale et sacrée. Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Actes du colloque de Salagon, septembre 2007 Musée de Salagon & éditions C’est-à-dire p. 155-156 Éric Latil président de l’association Éclat Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 156 156 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Éric Latil proposera un échange autour des points forts et des limites du jardin pédagogique kallawaya. Depuis 1998, l’association Éclat de Marseille accompagne et soutient une série d’actions autonomes, menées par les popula- tions locales et autogérées qui ont pour objectifs la récupération des savoirs ancestraux et la re-dynamisation du passage des savoirs entre les anciens et les jeunes qui désertent les campagnes pour les villes. n Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 157 POSTFACE Une voie initiée par Salagon Organisé à l’initiative du Musée départemental ethnologique de Salagon, ce premier colloque sur les jardins ethnobotaniques et leur médiation auprès du grand public a réuni un public nombreux et a révélé tout l’intérêt que suscite cette question au moment où de nombreux jardins voient le jour. Ces jardins historiques et botaniques, – outre Salagon, on pense au jardin des Cordeliers à Digne, au jardin du château de Sauvan ou au projet de jardin de roses au Musée Gassendi de Digne – sont pour notre département des éléments importants du patrimoine culturel et naturel mais aussi des pôles de développement touristique, permettant la découverte de notre région. Ils s’inscrivent dans des réseaux et des itinéraires de découverte dont certains franchissent les frontières. On pense en particulier aux projets menés avec nos amis du Piémont italien autour de la mise en valeur d’édifices religieux et de leurs abords, ou de la création de jardins qui donnent à voir les plantes et leurs usages dans un village ou une vallée. C’est ainsi que le public peut découvrir des patrimoines qui s’interpellent, se répondent, s’enrichissent mutuellement. Dans ce contexte, le Musée de Salagon avec ses jardins ethnobotaniques, joue un rôle majeur comme pôle de référence scientifique, pédagogique, d’animation. Sollicitée pour soutenir des enquêtes ethnobotaniques, conseiller des projets de recherches ou les réaliser, organiser des formations, aider à la définition de nouveaux jardins, l’équipe de Salagon continue d’affirmer sa place comme lieu central de réflexion sur les relations entre l’homme et la nature. Le colloque s’est conclu sur une demande générale d’échange de formations, d’idées, de jardiniers, d’animateurs, de savoirs et sur le désir de poursuivre ensemble la réflexion élaborée au cours des deux journées de discussion. C’est cette voie, initiée par le Musée de Salagon depuis plusieurs années, que nous nous efforcerons de poursuivre. n Jean-Louis Bianco président du Conseil général des Alpes de Haute Provence Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 158 158 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique. Programme Jeudi 27 septembre 2007 09 h 00. Accueil. 09 h 30. Discours d’ouverture du colloque, par Christophe Castaner, maire de Focalquier et viceprésident du Conseil régional PACA et Claude Bouliou, Directrice de la Culture au Conseil général des Alpes de Haute-Provence 10 h 00. Introduction générale. Danielle Musset, directrice du Musée de Salagon. 10 h 15. Il faut cultiver notre jardin ethnobotanique. Semis, boutures et greffes du préfixe « ethno ». JeanYves Durand, ethnologue, Maître de conférences, Institut de Sciences Sociales de l’Université du Minho, Braga, Portugal, IDEMEC, Aix-en-Provence. 10 h 45. De l’ethnobotanique à ses jardins. Georges Métailié, CNRS, Centre Alexandre Koyré. 11 h 15. Les jardins ethnobotaniques dans l’histoire de l’art des jardins. Stéphane Crozat, ethnobotaniste chargé d’études au sein de l’équipe du CNRS RESSOURCES DES TERROIRS - Cultures, usages, sociétés. Antenne de l’Unité mixte de recherche 5145 (CNRS MNHN). Eco-anthropologie et ethnobiologie. 14 h 00. Première table ronde modérée par Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste et responsable scientifique des jardins ethnobotaniques du Musée de Salagon : « Penser un jardin ethnobotanique ». Présentation et confrontation des expériences suivantes : – Le Jardin d’un naturaliste et l’ethnobotanique au Muséum national d’histoire naturelle, Bernadette Lizet, CNRS/MNHN. – Enquêtes ethnobotaniques et mise en place d’un jardin ethnobotanique aux Marais du Vigueirat (Camargue). Sabine Rabourdin, ingénieur en ethnoécologie et chargée de mission au Centre permanent d’initiative pour l’environnement (CPIE Rhône). – Le « jardin des cultures » sur le pôle universitaire de Guyane, Cayenne. Charles Ronzani, paysagiste. – Le bocage de Sambande (Sénégal) : une contribution à l’essor des jardins ethnobotaniques au Sahel. Ibrahima Fall, conservateur du Jardin d’Expérimentation des Plantes Utiles (JEPU). 16 h 00. Fin de la première table ronde. 16 h 30. Visite des jardins ethnobotaniques du Musée de Salagon en compagnie de Pierre Lieutaghi et François Tessari, responsable des jardins. Vendredi 28 septembre 2007 09 h 00. Accueil. 09 h 30 – Seconde table ronde modérée par Danielle Musset : « Mettre en forme un jardin ethnobotanique ». Présentation et confrontation des expériences suivantes : – Les jardins ethnobotaniques de la Gardie. Gaëlle Loutrel, représentante des jardins de la Gardie. – L’association Savoirs de Terroirs et son jardin. Patrick Challaye, président de l’association. – Les jardins de l’Histoire. Dominique Munoz, directrice de projet. – Fruits, légumes et fleurs du bassin lyonnais : recherche ethnobotanique appliquée à la connaissance et à la conservation d’un patrimoine biologique et culturel local. Stéphane Crozat. 14 h 00. Troisième table ronde modérée par Bernadette Lizet : « La médiation avec le public ». Présentation et confrontation des expériences suivantes : – L’ethnobotanique comme lecture du paysage. L’expérience du Domaine du Rayol. Lisa Bertrand, chargée du suivi scientifique du Domaine du Rayol. – Le jardin ethnobotanique comme vecteur privilégié de médiation et d’éducation environnementale, au Jardin botanique de Genève (CJB) et dans ses projets de coopération au Sud (Sénégal, Paraguay, Bolivie, Brésil, Inde). Didier Roguet, Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 159 titrecommunication | 159 conservateur, ethnobotaniste aux Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève. – Conservation de la Biodiversité : la collection des Polygonum du jardin des Hautes Haies et le Parcours botanique des Alpes mancelles (Sarthe). Liliana Motta, artiste botaniste. – Le Jardin Botanique et Pédagogique de Koro au Burkina Faso. «Instruire et divertir à partir des connais- sances traditionnelles pour protéger les plantes africaines». Marc Olivier, représentant du jardin de Koro. – Jardin botanique, jardin pédagogique : exemple de la coopérative de plantes médicinales Kallawaya de Chajaya (Bolivie). Eric Latil, président de l’association. 16 h 30. Discussion générale. 17 h 30. Fin du colloque. Contacts Organisateurs du colloque Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste et écrivain, responsable scientifique des jardins de Salagon, Mane, [email protected]. Danielle Musset, ethnologue, directrice du Musée départemental ethnologique de Haute Provence, prieuré de Salagon, 04300 Mane, 04 92 75 70 50, [email protected]. Elise Bain, coordinatrice, Musée départemental ethnologique de Haute Provence, prieuré de Salagon, 04300 Mane, [email protected]. Intervenants Lisa Bertrand, chargée de suivi scientifique du domaine du Rayol, domaine du Rayol, avenue du Commandant Rigaud, 83820 Le Rayol Canadel, 04 98 04 44 00, [email protected] Patrick Challaye, président de l’association Savoirs de terroirs, association Savoirs de terroirs, le Miolaure, 07200 Saint Julien de Serre, 04 75 37 99 03, [email protected]. Stéphane Crozat, ethnobotaniste chargé d’étude au sein de l’équipe du CNRS Ressources et terroirs – Cultures, usages, sociétés, Antenne de l’Unité mixte de recherche 5145 (CNRS-MNHN), éco-anthropologie et ethnobiologie, Chaumont, 38780 Eyzin-Pinet, 06 65 17 40 29, [email protected] Jean-Yves Durand, ethnologue, maître de conférences, Institut de sciences sociales de l’Université du Minho, Braga, Portugal, IDEMEC, Aixen-Provence, Institut de sciences sociales, Université de Minho, Campus de Gualtar, P-47 10-057 Braga, 06 85 49 87 82, [email protected]. Ibrahima Fall, conservateur du Jardin d’expérimentation des plantes utiles, JEPU Département de pharmacognosie et botanique, Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontologie, UCAD, Dakar, Sénégal, (221) 824 50 38, [email protected]. Eric Latil, président de l’association ECLat, Association ECLat, 19, Rue Tivoli, 13005 Marseille, 09 52 50 28 60, [email protected] Bernadette Lizet, ethnologue, CNRS, Museum national d’histoire naturelle, 43 rue Cuvier, 75005 Paris, 01 40 79 36 78, [email protected] Gaëlle Loutrel, ethno-écologue et agent de développement aux jardins de la Gardie, Jardins ethnobotaniques de la Gardie, Association Arc’Avène, Pont d’avène, 30340 Rousson, 04 66 85 66 90, [email protected] Georges Metailie, CNRS, Centre Alexandre Koyré, 18 rue Liancout, 75014 Paris, 01 45 42 88 71, [email protected] Liliana Motta, artiste botaniste, 105 rue Haxo, 75020 Paris, 01 40 31 10 51, [email protected] Dominique Munoz, créatrice et directrice des jardins de l’Histoire, 106 Corniche Fleurie, Parc Ophélia, 06200 Nice, 04 93 72 53 30, [email protected] Jardins savoirs corps.qxp 16/09/08 17:11 Page 160 160 | Jardins et médiation des savoirs en ethnobotanique Marc Olivier, conseiller en biologie, docteur es sciences en biologie, Sama Bioconsult, 790 rue Croix de Figuerolles, 34070 Montpellier, (+226) 76 60 97 80, [email protected] Sabine Rabourdin, ingénieur en ethnoécologie et chargée de mission au Centre permanent d’initiative pour l’environnement (CPIE Rhône), 8 rue du refuge, 13200 Arles, 04 90 98 79 40, [email protected] Didier Roguet, conservateur et ethnobotaniste, Conservatoire et Jardin botanique de la ville de Genève (CJBG), CP 60 CH 1292 Chambésy, Genève, (41) 22 418 51 00, [email protected] Charles Ronzani, paysagiste, 11 rue Albert Samain, 78000 Versailles, 06 63 42 44 80, [email protected] François Tessari, responsable des jardins du Musée de Salagon, Musée départemental ethnologique de Haute-Provence, Prieuré de Salagon, 04300 Mane, f.tessari@cg04 Les textes de ce livre sont composés en cicero, dessiné par Thierry Puyfoulhoux. Le secrétariat d’édition a été assuré par Élise Bain, les relectures par Danielle Musset, Pierre Lieutaghi, et les auteurs. Mise en page de l’Atelier c’est-à-dire, à Saint-Michel-l’Observatoire, en haute Provence. L’impression a été réalisée par France Quercy, à Cahors. ISBN 978-2952756457 Dépôt légal : septembre 2008