REPORTAGE Travailleur, travailleuse Ma réalité, ma santé Dépression ou épuisement ? Existe-t-il des tests biochimiques pour distinguer ces deux maladies ? Un stress élevé est associé à des perturbations physiologiques comme des modifications des réponses inflammatoires et immunitaires. Peut-on considérer que les hommes et les femmes réagissent différemment au stress professionnel sans risquer des plaintes pour discrimination ? C e ne sont que quelques-uns des thèmes qui furent développés lors d’une conférence portant sur la différenciation selon le genre (hommes-femmes) des risques à la santé en milieu de travail et qui s’est tenue le 12 octobre dernier au Musée McCord de Montréal. L’évènement a réuni près de cent personnes de divers milieux. L’auditoire rassemblait à la fois des personnes des milieux académiques, professionnels, d’affaires et syndicaux. Pierre Durand1 1. ph.d., mba professeur titulaire, école des relations industrielles et irspum, université de montréal [[email protected]]. 2 TRAVAIL ET SANTÉ MARS 2013 Causes de stress professionnel La conférence principale a été présentée par le Dr Johannes Siegrist, de la Faculté de médecine de Dusseldorf en Allemagne. Reconnu comme une autorité internationale dans le domaine de la santé mentale au travail, il a d’abord exposé les défis du travail contemporain et les facteurs sociaux et économiques mondiaux qui contribuent à augmenter les pressions subies par les travailleurs dans les sociétés occidentales. Il a insisté sur les effets de la mondialisation dans les pays plus développés, lesquels effets consistent en une intensification du travail, une augmentation du sentiment d’insécurité en emploi et une réduction des salaires pour les emplois requérant une faible expertise. À partir du modèle d’équilibre effort-récompense qu’il a développé, le Dr Siegrist a démontré pourquoi des travailleurs sont amenés à enfreindre l’équilibre proposé et accepter des facteurs de stress, tels que le manque de reconnaissance et le surinvestissement au travail. En particulier, de nombreuses études ont montré que les travailleurs soumis à des demandes élevées et une faible autonomie au travail présentent un risque élevé de maladie cardiovasculaire. Le même phénomène est observé chez les travailleurs qui expérimentent un déséquilibre élevé entre l’effort et la récompense dans leur milieu de travail. Enfin, les études plus récentes montrent qu’un stress élevé est associé à une réponse inflammatoire et immunitaire augmentée chez les individus. Cette réponse est toutefois plus importante chez les hommes que les femmes. En conclusion, une étude récente du Dr Siegrist montre que l’éducation continue chez les travailleurs est associée à une autonomie plus grande et à une meilleure récompense au travail, ce qui contribue à diminuer le niveau de stress. Les phénomènes de stress au travail se sont accrus VOL.29 No 1 dans les pays en développement accéléré, dont la Chine, de sorte que le phénomène s’internationalise et amène le Dr Siegrist à demander que des politiques sociales et internationales concernant la qualité du milieu de travail, soient adoptées. Dépression ou épuisement ? Une deuxième conférence présentée par Paul-Robert Juster s’est intéressée aux effets biologiques de l’exposition à des agents stresseurs, à la réaction des individus au stress qu’ils expérimentent et à la réponse physiologique au stress en particulier. Les résultats d’études récentes montrent que cette réponse physiologique telle que révélée par des paramètres tels que le cortisol, l’adrénaline, l’alpha-amylase et bien d’autres, varie en fonction du problème de santé mentale observé. Ainsi, certains paramètres tels que le cortisol varient de façon différente, selon que l’on souffre de dépression ou d’épuisement professionnel. Si les futures études confirment ce phénomène, ceci signifie qu’il peut être mal indiqué par exemple de traiter l’épuisement professionnel avec des antidépresseurs. M. Juster a exposé l’utilité de la mesure de plusieurs paramètres afin de définir ce qu’on appelle la charge allostatique, laquelle permet de mieux caractériser les phénomènes physiologiques observés. Les recherches futures sur la charge allostatique devront tenir compte des différences reliées au sexe et au genre. Différences hommes-femmes Présentée par le Dr Alain Marchand cette conférence a porté sur les différences hommes-femmes en regard des facteurs du travail, hors travail et individuels associés aux problèmes de santé mentale. Bien que ces problèmes soient plus fréquents chez les femmes que chez les hommes et que l’âge ne soit pas en cause, plusieurs facteurs organisationnels contribuent à l’apparition de ces problèmes tels que la supervision abusive et les demandes psychologiques élevées. Par ailleurs, l’autonomie décisionnelle et une plus grande utilisation des compétences individuelles défavorisent l’apparition de ces problèmes. Des facteurs hors travail tels que le support social provenant de la famille des amis et de la communauté défavorisent aussi la survenue de ces problèmes. En conclusion, certaines professions présentent des risques plus élevés de problèmes de santé mentale, mais d’autres facteurs individuels, familiaux et organisationnels ont une plus grande influence. Risques selon le sexe Ont suivi les Drs Pierre Durand et Nancy Beauregard sur le rôle du genre et des facteurs organisationnels dans la genèse des accidents professionnels. Les chercheurs ont effectué une étude à partir des données de l’Enquête nationale sur la santé des populations du Canada (ensp) chez 17 626 travailleurs et travailleuses. Les résultats montrent que les risques d’accident s du travail sont plus élevés dans l’industrie primaire chez les hommes et chez les femmes. Cependant, bien que les demandes physiques du travail constituent un facteur de risque pour les hommes et les femmes, le facteur lié à l’utilisation des compétences n’influence pas le risque chez les femmes alors que le nombre d’heures travaillées par semaine augmente le risque chez les femmes. Les différences basées sur le genre sont importantes lorsque l’on s’adresse à la dynamique des causes des lésions professionnelles. Processus continu De son côté, le Dr Steve Harvey a abordé un examen critique des approches de la gestion du stress dans les organisations. Après avoir défini les différents types d’interventions visant à prévenir et à réduire les problèmes de santé mentale au travail, le conférencier a souligné que les interventions de type sociotechnique semblaient prometteuses comparativement aux interventions de type psychosocial. Cependant, il a pris le soin de souligner que le nombre de publications sur le sujet est encore trop réduit pour se prononcer de façon catégorique et que d’autres recherches sont nécessaires. En conclusion, le conférencier a souligné l’importance d’inscrire les interventions dans un processus continu. Discrimination La dernière conférence offerte par le Dr Christian Voirol a porté sur les problématiques et les interventions en santé au travail en regard du genre des participants. Le conférencier a d’abord expliqué comment les différences hommes-femmes peuvent être soumises d’abord aux normes professionnelles implicites en milieu de travail. Ainsi ces différences sont difficilement prises en compte si elles mettent en danger ces normes. De telles situations sont source de conflits et présentent des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Il est donc difficile de gérer la prévention en tenant compte des différences de genre sans risquer des plaintes pour discrimination. La dernière partie de la journée a rassemblé un panel composé de Carmel Laflamme, Vice-présidente, santé et sécurité du travail, Conseil du patronat du Québec, Danielle Legault, Vice-présidente aux communications et aux questions régionales, Syndicat des employées et employés de service (sqees-ftq), Alain Marchand, Ph. D. et Victor Y. Haines III, Ph. D. École de relations industrielles, Université de Montréal, animé par Robert Richards, de la revue Travail et santé. Le sujet discuté par les panélistes était « La santé au travail : un genre particulier ? ». L’assistance composée de plus de 80 personnes a pu entamer un dialogue avec les panellistes, ce qui a donné lieu à des échanges animés sur le sujet. Les présentations des conférenciers sont disponibles sur le site de l’Équipe de recherche en santé mentale au travail de l’irspum à l’Université de Montréal (ertsm) [http://www.ertsmconference2012.com/ index.html]. TRAVAIL ET SANTÉ MARS 2013 VOL.29 No 1 3