Pas malade et en forme : une expérience de psychologie positive

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Santé GLOBALe
Pas malade et en forme :
une expérience de psychologie positive
Jac ques Perron, professeur hon ora i re
Dépar tem ent de psyc hologi e
Université de Montréal
Cet article résume l’atelier présenté lors du dernier colloque de l’ASSTSAS « La santé, histoires de passion ». Dans
l’optique de la psychologie positive, l’approche préconise une conception fondée sur un ensemble d’indicateurs probants de bien-être et de
santé psychologique. Les actes du colloque sont disponibles sur notre
site Internet (www.asstsas.qc.ca).
E
n 1948, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré
que « la santé mentale est un état complet de bienêtre physique, mental et social, et ne consiste pas seulement
en une absence de maladie ». Cette notion est intéressante à
deux titres : d’abord, elle propose une vision positive de la
santé mentale, ensuite, elle appuie clairement le fondement
de la santé mentale sur plusieurs formes de bien-être.
Le domaine de la psychologie n’a pas réagi rapidement à
cette proposition. Dans l’optique du modèle médical, la psychologie clinique a continué de centrer son intérêt de recherche et ses interventions sur les psychopathologies.
La psychologie de la santé et du travail s’est, elle aussi, davantage consacrée aux aspects maladifs du comportement.
Depuis sa fondation en 1996, le Journal of Occupational
Health Psychology a consacré 90 % de ses articles à des pro­
blèmes comme les maladies cardio-vasculaires, les accidents
du travail, l’épuisement professionnel, la violence sur les lieux
de travail, les conflits travail/famille, le harcèlement et l’abus
de drogues. Les interventions en milieu de travail ont porté
17 fois plus souvent sur l’anxiété, l’épuisement et la dépression que sur la motivation, la satisfaction et l’estime de soi.
La quête du positif
En parallèle, quelques chercheurs ont approfondi la notion
de bien-être ou ont déterminé des composantes positives de
la santé mentale. Lors des années 50, la notion de « bien-être
subjectif » est apparue. Elle a été définie par la satisfaction
générale dans la vie combinée à un ensemble d’affects posi­
tifs et négatifs1. Elle a fait l’objet de plusieurs recherches,
particulièrement en rapport avec le travail et avec la santé2.
Dans le cas du travail, les liens significatifs ont été établis
avec l’efficacité, l’assiduité, la durée de l’emploi, la satisfaction de la clientèle, la profitabilité, la productivité et un taux
de roulement plus faible.
Les interventions en milieu de travail
ont porté 17 fois plus souvent sur
l’anxiété, l’épuisement et la
dépression que sur la motivation,
la satisfaction et l’estime de soi.
De 1960 à 1980, des chercheurs et des praticiens3, 4, 5 ont
tenté de décrire de façon positive la personne en santé mentale et ont élaboré les concepts de « la personne pleinement
fonctionnelle », « la personnalité mature » ou « la personne
actualisée ».
Durant les années 80, on voit apparaître la notion du
« bien-être psychologique » défini grâce à six critères : ac­
ceptation de soi, croissance personnelle, buts dans la vie, maîtrise de l’environnement, autodétermination, relations interpersonnelles positives. Depuis le début des années 2000, la
tendance « positive » s’est accentuée et prend maintenant la
forme d’une « psychologie positive ». Elle propose, d’abord,
une manière globale d’évaluer la santé mentale en prenant
en considération simultanément ses aspects négatifs et
positifs. Ensuite, elle suggère des interventions destinées à la
prévention primaire et secondaire de la maladie et aussi de la
santé mentale.
Au Québec, une étude réalisée avec un échantillon de 495
employés d’une commission scolaire6 a démontré que le
« bien-être subjectif » résulte aussi bien des aspects négatifs
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(inconfort, tension, pénibilité) que positifs (motivation, satisfaction, sentiment de compétence, perception d’efficacité
personnelle, identification au travail, attitudes organisationnelles, qualité de la vie familiale) de la santé psychologique.
Ainsi, le bien-être est une bonne combinaison de difficultés,
d’échecs, de succès et de satisfaction. D’autre part, l’analyse
a permis de définir quatre regroupements distincts de personnes : « grande forme » 25 % des employés, « bonne forme »
33 %, « forme mitigée » 26 % et « forme précaire » 16 %.
Transformer la recherche
en une intervention préventive
La commission scolaire a décidé de poursuivre l’expérience
en y attachant une intervention auprès de ses employés. Cha­
que année depuis 2004, elle offre gratuitement un « bilan de
bien-être et de santé psychologique » à 80 de ses employés
choisis au hasard. Le but est autant de soutenir les ressources
en grande et bonne forme que de venir en aide aux personnes
en difficulté (en forme mitigée et précaire).
Les participants au bilan se présentent à deux rendez-vous.
Le premier leur permet de remplir par ordinateur un questionnaire qui sera géré par un système expert pour produire
un rapport individualisé et confidentiel. Ensuite, lors d’une
rencontre privée, un psychologue leur transmet leurs résultats (90 minutes). L’entretien porte sur les mécanismes de la
personne pour assurer et préserver sa santé mentale ou, en
cas de précarité, sur ses signaux d’alerte et ses besoins de
soutien. Le psychologue évalue aussi le cheminement de la
personne du début à la fin de l’entrevue.
Ces observations démontrent que la grande majorité des
participants (82,7 %) progressent vers ou se maintiennent à
un niveau élevé d’autodétermination définie par
des attitudes et des comportements d’explora­
tion, de­détermination, d’engagement et de dynamisme. Les psychologues n’assurent pas de
suivi individuel et doivent référer la personne en
besoin au Programme d’aide aux employés ou à
une autre ressource professionnelle.
Ainsi, le bien-être est une
bonne combinaison de difficultés,
d’échecs, de succès et
de satisfaction.
instrument de monitorage et de préservation de la santé psychologique des travailleurs.
•
Références
ALLPORT, G. W. Pattern and Growth in Personality, Holt, Rinehart & Winston,
New York, 1963.
DIENER, E. “Subjective Well-Being”, Psychological Bulletin, 95, 1984, p. 542575.
DIENER, E., et al. “Subjective Well-Being : Three Decades of Progress”, Psy­cho­
logical Bulletin, 125, 1999, p. 276-302.
MASLOW, A. H. Motivation and Personality, 2nd ed., Harper & Row, New York,
1970.
ROGERS, C. R. Toward Becoming a Fully Functioning Person. Perceiving,
Behaving, Becoming, Combs (Ed.), Yearbook of the Association for Supervision
and Curriculum Development, Washington, DC, 1962.
PERRON, J., P. LAMOTHE, J.-P. DAOUST. Bien-être et santé au travail d’un
échantillon du personnel de la Commission scolaire du Chemin-du-Roy,
Rapport à la Commission scolaire du Chemin-du-Roy, 2003, 58 p.
La démarche est suffisamment satisfaisante et
efficace pour que la commission scolaire poursuive le programme. Il serait tout à fait envisa­
geable qu’il puisse être adapté au secteur de la
santé et des services sociaux et devienne un
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Illustration : Rémy Simard
À la fin du processus, les participants remplissent de façon volontaire et anonyme un bref
questionnaire d’évaluation de leur expérience.
Les analyses de ces données montrent des ni­
veaux très élevés de satisfaction en ce qui concerne la qua­lité de l’intervention des psychologues (92,8 %), les aspects techniques des bilans (82,6 %) et leurs effets bénéfiques et
préventifs (80,1 %).
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