physiologie comparée du chêne vert et du chêne pubescent

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REVUE F O R E S T I È R E
FRANÇAISE
PHYSIOLOGIE COMPARÉE
DU CHÊNE VERT
ET DU CHÊNE PUBESCENT
PAR
L-J. ROUSSEL
Ingénieur en Chef des Eaux et Forêts
à Vesoul
C'est toujours avec beaucoup d'intérêt que Ton prend connaissance
des travaux de « l'Ecole ¿'Innsbruck ». Nous avons signalé
récemment dans cette Revue même, les résultats auxquels étaient
arrivés déjà, pour les résineux de haute et moyenne montagne,
PISEK, TRANQUILLINI et WINKLER, grâce à l'ingénieux appareil
URAS, dont les étonnantes possibilités sont bien loin d'être épuisées.
C'est cette fois dans la région du Lac de Garde (Italie), que
l'un des chercheurs de cette Ecole (LARCHER 1-2-3) vient d'opérer.
Dans ce secteur intermédiaire, les xérophytes, de climat a étés
chauds et secs, se développent en mélange avec les mésophytes, de
climat chaud également, mais plus humide. C'était donc une excellente occasion pour étudier simultanément le comportement du
chêne vert (Quercus ilex L.) et du chêne pubescent (Quercus pubese ens Willd.). En réalité, les travaux de LARCHER ont également
porté sur l'olivier (Olea europea L.) ; mais cet arbre n'est pas, spécifiquement, forestier, et nous insisterons surtout sur les résultats
obtenus avec les deux chênes.
Des rameaux de ces deux arbres, garnis de feuillages, sont prélevés très tôt le matin, et, placés dans des linges humides avec
une double enveloppe de nylon, sont transportés immédiatement à
Innsbruck, où ils arrivent dans les 6 heures. Là, ils sont remis
immédiatement dans de l'eau à une température voisine de celle de
leur région d'origine, et leur fonctionnement physiologique est minutieusement observé. Pour le chêne vert, à feuilles persistantes,
les prélèvements s'échelonnent tout au long de l'année. Pour le
chêne pubescent, à feuilles caduques, ils sont limités à la période
de foliaison- Cette méthode, bien que susceptible d'étonner des
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botanistes pointilleux, se révèle, en réalité, très satisfaisante. Voici,
sommairement exposés, les principaux résultats obtenus:
I o Influence de la teneur en eau
des appareils foliacés
La notion dominante, dans ces sortes d'études, est le W.S.D.
(Wassersättingungsdefizit). Il caractérise le déficit en eau des rameaux par rapport à leur poids total à l'état de saturation. La transpiration et l'assimilation chlorophyllienne débutent dès que le
W.S.D. est de Tordre de 2 %. Leur maximum très accusé se manifeste pour un W.S.D. de 8 % pour le chêne vert et de 5 à 6 %
pour le chêne pubescent. Ensuite, les stomates commencent à se
fermer, et leur occlusion est complète pour un W.S.D. de 16 %
dans le cas du chêne vert et de 18 %, dans le cas du chêne pubescent.
A ce moment, les échanges gazeux apparents des deux arbres sont
nuls, mais l'on admet que, dans les chambres stomatiques bien
closes, le gaz carbonique rejeté par la respiration est réabsorbé
par l'assimilation chlorophyllienne. La transpiration continue, de
façon très réduite chez le chêne vert, à travers la cuticule relativement imperméable (3 % environ du maximum), mais elle se maintient assez active, chez le chêne pubescent (30 % environ du
maximum). Il semble donc que, de ce point de vue, cette dernière essence forestière soit défavorisée, car les pertes en eau qu'elle
peut subir arrivent à devenir dommageables en période de sécheresse
prolongée.
En conditions difficiles, les relations entre l'assimilation chlorophyllienne et la transpiration sont complexes : elles peuvent être
caractérisées, selon STOCKER (1956) par le fait que les végétaux
« louvoyent, alors, entre la faim et la soif », afin de durer le
plus longtemps possible.
2° Influence de la température des appareils foliacés,
et de la lumière incidente
Les expériences font, en général, varier la lumière de 3 000 à
50 000 Lux, et la température des feuilles, de + 5 à + 40°. Par
contre, la teneur en gaz carbonique est maintenue à un taux de
3,4/10 000, et, facteur très important à ne pas perdre de vue, l'alimentation en eau est toujours optimale.
Sous un éelairement de 10 000 Lux (pris par l'auteur comme
moyenne des divers types de temps, et de la situation variable des
feuillages, dans les cimes), le maximum d'assimilation nette du
^az carbonique a lieu vers + 1 4 / + 16° pour le chêne vert (et également pour l'olivier), et vers + 2 2 / + 24° pour le chêne pubescent. Cette différence de comportement est étonnante, à première
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REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE
vue, et l'auteur ne manque pas de la relever. Les chiffres sont ici
rapportés à l'unité de poids de matière sèche des appareils foliacés.
A une température des feuilles de + 22°, le chêne vert a une
assimilation chlorophyllienne par unité de surface, qui croît jusque
vers 40 000 ou 50 000 Lux; le chêne pubescent profite de cet
accroissement de l'éclairement bien au-dessus. Là encore, on peut
trouver quelque sujet de surprise.
Une observation très intéressante, et qui vient, en quelque sorte,
corroborer ce que d'autres chercheurs·, PISEK et WINKLER en particulier, ont déjà obtenu pour l'épicéa et le pin cembro, est la suivante: il existe une sorte de rythme annuel, pour les végétaux à
aiguilles ou à feuilles persistantes, tant en ce qui concerne la faculté d'assimiler, en conditions égales, le gaz carbonique de l'air
par la photosynthèse, que celle de le rejeter, en conditions égales
aussi, par la respiration. Ces deux mouvements généraux sont
dirigés en sens inverse, de telle sorte qu'en été, les arbres étudiés
assimilent plus et respirent moins et, qu'en hiver, ils assimilent au contraire moins et respirent davantage. On peut peutêtre voir là une amorce de thermorégulation, par modification du
rythme des réactions exo- et endothermiques. Il est bien précisé
que ces résultats sont obtenus dans des conditions de température
et de lumière toujours constantes.
3° Essai de comparaison des bilans photosynthétiques
du chêne vert et du chêne pubescent
L'auteur se demande s'il est possible, en supputant les conditions
de lumière et de température moyennes, pendant toute une année,
au Lac de Garde, d'établir la comparaison entre la quantité de
carbone absorbé par le chêne vert et par le chêne pubescent. Il
trouve, moyennant un certain nombre d'approximations, que, à condition que l'alimentation en eau soit toujours optimale, le chêne
pubescent, bien qu'il ne possède des feuilles que pendant la moitié
de l'année, est susceptible de fixer plus de carbone atmosphérique,
que le chêne vert qui reste toujours feuille. Mais, si l'alimentation
en eau, pendant une partie de la période estivale, devient déficiente
(et c'est le cas du climat méditerranéen typique), la comparaison
tourne à l'avantage du chêne vert, ceci d'autant plus que la sécheresse est plus prononcée.
Si l'on veut essayer d'effectuer une comparaison entre les intéressants résultats trouvés par LARCHER, et ceux1 obtenus ces dernières années par PISEK, WINKLER et TRANQUILLINI, il est possible
d'arriver à la conception suivante: les arbres à feuillages persistants, comme le chêne vert, ou l'olivier, sont en réalité assez voisins des arbres à aiguilles persistantes, comme l'épicéa ou le pin
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cembro. A condition de ne pas se trouver dans des conditions trop
défavorables, ils conservent, pendant toute Tannée, la faculté d'assimiler le gaz carbonique de l'air. Sous un éclairement de Tordre de
10 000 lux, leur maximum d'absorption se fait à une température
des appareils foliacés assez constante et relativement basse ( + 12
à j+ 16° environ). Ils peuvent donc, en quelque sorte, choisir le
climat saisonnier qui leur est le plus favorable, tout en conservant le pouvoir de lutter contre les facteurs les plus nuisibles :
contre le froid, par Tépaississement des cuticules, la concentration des sucs cellulaires, et la modification du rythme relatif de
leur assimilation chlorophyllienne et de leur respiration...
contre la sécheresse estivale, par Tépaississement et l'imperméabilisation de leurs cuticules, et par la fermeture de leurs stomates,
dès que le W-S.D. atteint des valeurs dangereuses...
A l'opposé, le chêne pubescent, à feuillage caduc en hiver, apparaît comme beaucoup plus spécialisé. S'il est bien alimenté en eau,
son maximum d'assimilation chlorophyllienne se produit à une température estivale élevée ( + 22 à !-{- 24°) ; il semble bien profiter
de la lumière vive. Mais, tous ces brillants avantages s'amenuisent
si l'alimentation en eau devient déficiente, et il devient alors bien
inférieur aux arbres qui présentent, toute Tannée, un feuillage persistent.
BIBLIOGRAPHIE
(1) LARCHER Walter. — Transpiration and photosynthesis of detached leaves
and shoots of Quercus pubescens and Quercus ilex during dessication under standard conditions. Bull. Research Counc. of Israel. Vol.
8 D, p. 213-224 (1960).
(2) LARCHER Walter. — Jahresgang des Assimilations— und Respirationsvermögens von Olea europaea L. S S P sativa Hoff, et Link. Quercus
ilex L. und Quercus pubescens Willd. aus dem nördlichen Gardaseegebiet. Planta, 56, p. 575-606 (1961).
(3) LARCHER Walter. — Zur Assimilationsökologie der Immergrünen Olea
europaea und Quercus ilex und der Sommergrünen Quercus pubescens
in nördlichen Gardaseegebiet. Planta, 56, p. 607-617 (1961).
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