ÉTÉ 14
LES DERNIERS JOURS
DE L’ANCIEN MONDE
Sous la direction de Frédéric Manfrin
et Laurent Veyssière
avec la collaboration de Thomas Cazentre,
François Lagrange, Jean-Philippe Lamy,
Guillaume Lebailly et Michèle LePavec
Ministère de la Défense
Secrétaire général pour l’administration
CGA Jean-Paul Bodin
Directeur de la Mémoire,
du Patrimoine et des Archives
Philippe Navelot
La direction de la Mémoire, du Patrimoine
et des Archives (DMPA) est une direction
du ministère de la Défense, placée sous l’autorité
du secrétaire général de ce ministère. La DMPA
a notamment en charge la politique culturelle
du ministère au travers des collections
de ses musées, de ses services d’archives
et de ses bibliothèques. Elle détermine et finance
les actions nécessaires à la gestion et à la
valorisation de ce riche patrimoine. C’est dans
cette perspective que la DMPA développe également
une politique de publication et de soutien aux
productions audiovisuelles permettant à un large
public de découvrir l’histoire et le patrimoine
du ministère de la Défense.
Bibliothèque nationale de France
Président
Bruno Racine
Directrice générale
Jacqueline Sanson
Directeur des Collections
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Directeur de la Diffusion culturelle
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Directeur du département des Expositions
et des Manifestations
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Délégué à la Communication
Marc Rassat
Chef du service de presse
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Déléguée au Mécénat
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Édition
Direction éditoriale
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Suivi éditorial
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Suivi commercial et administratif
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Correction
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Suivi iconographique
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Coordination reprographique
Laurianne Bossis, Frédérique Savona
Conception graphique et mise en pages
Patricia Chapuis
a
© Bibliothèque nationale de France / Ministère de la Défense DMPA, 2014
ISBN : 978-2-7177-2564-3
PRÉFACES
9 Jean-Yves LeDrian
11 Bruno Racine
INTRODUCTION
17 Un été comme les autres ?
Antoine Prost
LE MONDE D’HIER
27 L’Europe à la veille de la guerre
Serge Berstein
L’EUROPE AU CŒUR DES ÉCHANGES
41 Sociétés impériales
et empires multinationaux
Christophe Charle
LA GUERRE À L’HORIZON ?
53 Le Concert européen en 1914
Georges-Henri Soutou
63 Avant 1914: la guerre inimaginable
John Horne
PACIFISMES, BELLICISMES
75 Les pacifismes avant 1914
Rémi Fabre
89 La IIeInternationale face à la guerre
Jean-Louis Robert
95 De LAppel au soldat à LAppel des armes
Vital Rambaud
103 Imaginaires guerriers de l’avant-1914…
Stéphane Audoin-Rouzeau
TU SERAS SOLDAT !
115 Militaires en société
Jean-François Chanet
PRÉPARER LA GUERRE
129 Des bibliothèques pour les troupes
Benjamin Gilles
137 Les militaires et la décision politique
Gerd Krumeich
149 Préparer la guerre dans les états-majors
Frédéric Guelton
159 Les plans de guerre des armées
François Cailleteau
167 LES DERNIERS JOURS DE L’ANCIEN MONDE
23juillet –4 août 1914. Chronologie
MOBILISATIONS
197 Les réactions des populations
à la mobilisation
Jean-Jacques Becker
LE CHOC
211 Le basculement dans la guerre
Philippe Nivet
227 Gérer les morts
Béatrix Pau
237 Voir et faire voir 1914
Annette Becker
245 Histoires et politiques. Les « origines »
et les « responsabilités » de la Grande Guerre
Nicolas Offenstadt
253 Se souvenir de l’entrée en guerre
Jay Winter
ANNEXES
264 Autres pièces exposées
271 Aperçu bibliographique
272 Sources des citations et notices des documents
reproduits dans la chronologie
275 Les auteurs
278 Index des noms de personnes
L’attentat de Sarajevo
Il n’y a pas d’images
d’archives de l’assassinat
de l’archiduc François-
Ferdinand. Ainsi la presse
est-elle contrainte
de composer des
reconstitutions: celle-ci,
sans doute la plus connue,
a illustré bon nombre
de manuels d’histoire.
Assassinat de l’archiduc héritier
d’Autriche et de la duchesse
sa femme à Sarajevo LePetit
Journal. Supplément illustré,
12juillet 1914 In-folio
BNF, Philosophie, Histoire,
Sciences de l’homme,
Fol-Lc2-3011
01
SOMMAIRE
Antoine Prost ttt Un été comme les autres ? ttt 17
L’entrée en guerre de 1914 est très diffé-
rente de celle de 1939. En 1939, l’Europe sen-
tait venir la guerre depuis un an au moins et le
fait de la déclarer ne marque d’ailleurs qu’une
rupture partielle: la drôle de guerre prolonge
l’avant-guerre.
Rien de tel en 1914. L’attentat de Sarajevo,
le 28juin, a été considéré comme un fait divers
qui n’aurait guère de conséquences. Il faut
attendre l’extrême fin du mois de juillet pour
que l’opinion prenne la mesure de la crise.
Le dimanche26, le refus par l’Autriche de la
réponse pourtant conciliante de la Serbie à l’ulti-
matum qu’elle lui avait adressé fait brusquement
monter les enjeux. La Grande-Bretagne propose
une conférence internationale, que l’Allemagne
rejette. Le 28, l’Autriche déclare la guerre à la
Serbie et la Russie commence sa mobilisation.
Le dimanche 2août, la France mobilise. En une
semaine, l’Europe a basculé dans la guerre. La
rupture est soudaine autant que brutale.
L’été 1914 s’annonçait, en effet, comme un été
ordinaire, semblable à ceux qui l’avaient pré-
cédé. La vie continuait, avec ses travaux et ses
jours. Les paysans faisaient la moisson après
les foins sans se douter qu’une guerre menaçait.
Dans de nombreux villages français, quand le
tocsin sonna la mobilisation, les hommes accou-
rurent avec des seaux pensant qu’ils étaient
appelés pour éteindre un incendie. Les usines
tournaient comme d’habitude, sans programmes
d’armement particuliers. Dans les classes
supérieures de la société, qui bénéficiaient de
vacances, les uns avaient pris leurs quartiers
d’été à la campagne, d’autres faisaient leur cure
dans une station thermale, éventuellement à
l’étranger. René Cassin revient ainsi en hâte à
Paris le 30juillet, de Suisse, où sa compagne fai-
sait une cure. D’autres encore étaient à la plage,
sur la Côte d’Azur, en Bretagne ou ailleurs, à
Ostende par exemple, comme Stefan Zweig, qui
nous les décrit:
Les gens heureux de leurs congés étaient
allongés sur la plage sous leurs tentes bario-
lées ou se baignaient ; les enfants lâchaient
des cerfs-volants ; devant les cafés, les jeunes
gens dansaient sur la digue. Toutes les
nations imaginables se trouvaient rassem-
blées en paix, on entendait beaucoup parler
allemand 1.
Les journaux avaient bien suivi les péripé-
ties de la crise et leurs manchettes s’étaient faites
plus menaçantes au fur et à mesure que les jours
passaient. Mais on n’y prêtait guère attention.
6
5
Voir et complimenter
l’armée française
Il y a foule à la revue du
14juillet 1914 et beaucoup
jouent d’ingéniosité pour
mieux voir le défilé.
Certains montent
dans les arbres ou aux
réverbères. Ce couple
a choisi d’entremêler
ses bicyclettes.
Agence Meurisse, LaRevue
du 14Juillet: en équilibre
sur deux bicyclettes, 1914 BNF,
Estampes et Photographie, Ei-13
Page précédente
Orson Byron Lowell, Eight Belles
(illustration pour les mois de juillet
et août du Life’s Calendar, 1914)
31,7×39,2cm BNF,
Estampes et Photographie,
Pamat-4-Boîte Fol
Antoine Prost
UN ÉTÉ COMME LES AUTRES ?
La guerre de 1914 a saisi l’Europe par surprise. Jusqu’à la dernière semaine
de juillet, beaucoup pensaient que la crise ouverte par l’attentat de Sarajevo
se réglerait pacifiquement. L’opinion était consciente de la possibilité d’une
guerre mais elle ne s’en inquiétait guère. Cet été, commencé comme les
autres, se termine donc de façon abrupte et prématurée, par un saut dans
l’inconnu: l’entrée dans une guerre dont personne n’imagine ce qu’elle sera.
1. Stefan Zweig, LeMonde d’hier, Paris, Belfond, 1993 (1reéd. Stockholm, 1944), p.260.
Antoine Prost ttt Un été comme les autres ? ttt 19
18
ttt ÉTÉ 14 ttt Introduction
futur mari de nature à le discréditer et à la désho-
norer. Elle fut acquittée le 30, alors que la crise
diplomatique approchait de son dénouement.
Pour nous, qui connaissons la suite de la
guerre industrielle qui débute et l’hécatombe
sinistre qui ouvre le tragique xxesiècle, cette
sérénité tient de l’aveuglement. Comme cette
exposition en donne de multiples exemples,
les signes annonciateurs d’un conflit ne man-
quaient pas. La crise d’Agadir, ouverte en 1911
par l’Allemagne pour s’opposer au passage du
Maroc sous influence française, s’était dénouée
diplomatiquement, grâce à Caillaux précisé-
ment et au soutien du Royaume-Uni, mais il s’en
était fallu de peu que les canons n’entrent en
action. Dans les Balkans, on s’était battu pour
de bon en1912 et1913. Au même moment, les
Allemands avaient augmenté les effectifs de leur
armée permanente et, en réponse, la France
avait maintenu sous les drapeaux les soldats qui,
ayant achevé leurs deux ans, auraient dû être
libérés en 1913 ; puis elle avait adopté en 1913
une loi portant de deux à trois ans la durée du
service militaire. Cette loi avait été au centre
des élections législatives d’avril-mai 1914 et la
majorité semblait s’être prononcée en faveur
de son retrait. Mais le débat avait bel et bien
tourné autour de l’éventualité d’une guerre
avec l’Allemagne. Si elle n’avait pas fait partie du
champ des possibles proches, il eût été absurde
On voyait s’assombrir les visages des
gens qui achetaient les journaux, mais ce
n’était jamais que pour quelques minutes.
Après tout, nous connaissions depuis
des années ces conflits diplomatiques ; ils
s’étaient heureusement toujours apaisés à
temps, avant que cela ne devînt sérieux.
Pourquoi pas cette fois encore ? Une demi-
heure après, on voyait déjà les mêmes per-
sonnes s’ébrouer de nouveau joyeusement
et barboter dans l’eau 2.
L’opinion ne s’inquiétait guère. Les gens du
peuple lisaient peu, et moins encore en cette
période de gros travaux ; les hebdomadaires ou
bihebdomadaires qu’ils lisaient surtout leur
apportaient les nouvelles avec un retard ras-
surant. Quant au public informé, pourquoi
se serait-il alarmé ? L’empereur Guillaume II
n’était-il pas parti sur son yacht pour une croi-
sière dans la Baltique comme il avait l’habitude
de le faire chaque année ? En France s’ouvrait
une actualité autrement passionnante: le pro-
cès de MmeCaillaux, la femme du leader radical,
naguère président du Conseil et ministre des
Finances. Elle comparaissait le 20juillet devant
la cour d’assises, pour avoir revolverisé le direc-
teur du Figaro, qui publiait des lettres à son
8
Aux Dames de France, place Nationale et 2, 4, 6 rue Sabatier –Castres:
saison d’été 1914 Affiche lithographiée, 160×120cm BNF, Estampes
et Photographie, Ent Do-1 (Mahn, A.)-Grand Roul
9
Chemin de fer du Nord. Saison balnéaire. Service temporaire et gratuit
de prise &de remise des bagages à domicile dans Paris, 1910 Affiche
lithographiée, 105×73cm BNF, Estampes et Photographie, Ent Dn-1
(Minot, J.)-Ft6
10
Jules Chéret, Exposition internationale de Lyon. 1ermai –1ernovembre 1914,
1913 Affiche lithographiée, 100×75cm BNF, Estampes
et Photographie, Ent Dn-1 (Chéret, Jules/ 14)-Ft6
7
Henri Gray, Chemin de fer du Nord. Boulogne s.mer, 1905
Affiche lithographiée, 110×73cm Paris, musée national
de la Marine, 2009.34.1
L’art au service
de la publicité
La Belle Époque
constitue un véritable
âge d’or de l’affiche,
marqué par de grands
artistes comme Chéret,
Steinlen, Mucha…
Si les courbes et les
motifs végétaux du
style 1900 dominent,
les premiers traits
de l’Art déco
commencent
à apparaître.
2. Ibid., p.261.
Georges-Henri Soutou ttt Le Concert européen en 1914 ttt 59
58
ttt ÉTÉ 14 ttt La guerre à l’horizon ?
de1912 et1913, Berlin ne conseilla pas à l’Au-
triche la modération mais la soutint, de peur
de voir son dernier allié gravement affaibli. La
Russie décida le 25juillet de soutenir la Serbie,
Paris de son côté ne lui donnant pas de réels
conseils de modération, à la différence des crises
précédentes, par crainte de compromettre l’al-
liance franco-russe. Le 28, Vienne déclarait
la guerre à la Serbie, le 29, Saint-Pétersbourg
mobilisait contre l’Autriche et le 30, les Russes,
les premiers, décidaient une mobilisation géné-
rale. C’était très grave, car dès lors, personne
ne voulant être en retard dans sa propre mobi-
lisation, l’engrenage de la guerre devenait
impossible à enrayer, malgré les efforts de la
Grande-Bretagne pour susciter, encore le 30juil-
let, une conférence européenne. Le 1eraoût, le
Reich mobilisait à son tour et déclarait la guerre
à la Russie, adressait un ultimatum à la Belgique
pour qu’elle laissât passer les forces allemandes
et déclarait la guerre à la France le 3août. Le
4août, à cause de la violation de la neutralité
belge, Londres déclarait la guerre à l’Allemagne.
Ajoutons cependant, pour mieux comprendre
l’apparence inéluctable de cet enchaînement,
que les enjeux n’avaient pas aux yeux des res-
ponsables de l’époque la tragique importance
que nous savons aujourd’hui: personne n’ima-
ginait une guerre de cinq ans ; on pensait à
un rapide « coup de torchon », après lequel on
Aboiements dans le chenil européen
Cette célèbre caricature anglaise tranche avec les représentations héroïques des débuts
de la guerre, même si la vigueur du bulldog anglais et du caniche français est exaltée,
et que la responsabilité du conflit est imputée au teckel allemand.
Hark ! Hark ! The dogs do bark !, 1914 Lithographie, 56×76cm BNF, Estampes et Photographie, Ent Do-1
(Johnson)-Ft6
établirait un nouvel équilibre européen, certes
fort pénible pour les vaincus.
L’échec du Concert européen
La raison la plus couramment invoquée à
l’époque pour expliquer l’échec du Concert euro-
péen était celle de la corruption du système par
la volonté bismarckienne, après 1871, de consti-
tuer une alliance permanente dès le temps de
paix contre la France, ce qui était tout à fait
contraire à l’esprit de collaboration entre les
grandes puissances à la base du Concert euro-
péen et devait entraîner, par réactions succes-
sives, la division du continent en deux alliances
rivales. Il est vrai que l’existence de deux
alliances opposées, fondées sur des textes gar-
dés secrets et reposant toutes deux sur des
systèmes militaires qui donnaient une prime
considérable à celui qui mobilisait le premier et
donc anticipait l’irréparable, était en soi profon-
dément déstabilisante.
Outre cette explication relevant de la diplo-
matie et de la technique militaire, qui garde sa
valeur, il faut bien constater que les arrière-pen-
sées de part et d’autre dépassaient la capacité
du Concert européen à gérer les crises. Les inté-
rêts en cause étaient trop importants:obsession
de la survie pour l’Autriche-Hongrie, obsession
pour Berlin de perdre son dernier allié et de se
retrouver seul devant une alliance franco-russe
de plus en plus puissante ; ampleur des objec-
tifs de la Russie, qui supposaient la défaite du
Reich, de l’Autriche-Hongrie et de l’Empire otto-
man, et qui répondaient aussi aux problèmes
de politique intérieure d’un régime tsariste en
crise depuis la révolution de 1905 ; craintes de
la France devant la puissance croissante de
Les familles royales d’Angleterre et de Russie (NicolasII, ÉdouardVII),
vers 1908 Photographie argentique, 15,32×21cm BNF, Estampes et Photographie,
Ne-101 (NicolasII)
Agence Rol, GeorgeV, roi d’Angleterre et le tsar de Russie [NicolasII, en
pied, se tenant par le bras], 1910 BNF, Estampes et Photographie, Ei-13
Souverains russes et anglais en famille
Autant que la sociabilité estivale entre familles parentes
et adeptes de régates, ces photographies évoquent
le rapprochement entre l’Angleterre et la Russie au sein
de la Triple-Entente, suite à un accord signé en 1907.
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