17-Journal-02-11:Mise en page 1 22/01/11 16:26 Page 198 Journal Le jeune Truffaut, qui venait d’achever son troisième film, Jules et Jim, s’est bien rendu à Hollywood pour convaincre son idole de lui accorder cinquante heures d’interview afin d’en tirer un livre. Comme dans la pièce, Hitchcock s’est d’abord montré très réticent. Truffaut l’a convaincu et ces entretiens restent, aujourd’hui encore, le plus riche, le plus formidable, le plus passionnant – bref, le meilleur – de tous les livres jamais écrits sur le cinéma2. Dans ce livre, Hitchcock raconte à Truffaut certaines blagues qu’il a faites et d’autres qu’il avait envie de faire – et fera d’ailleurs plus tard. Le canular inventé par Alain Riou et Stéphane Boulan traduit parfaitement le caractère d’Hitchcock. Comme son interprète, un comédien excellent écossais , Joe Sheridan, réussit à en être le savoureux sosie. Avec un jeune acteur prometteur (Mathieu Bisson) dont le profil ressemble étrangement à celui de Truffaut et une comédienne ambiguë et très drôle (Patty Hannock) dans le rôle de madame Hitchcock, Hitch est un spectacle hitchcockien qui devrait ravir aussi bien les cinéphiles que les théâtrophiles. FEYDEAU À LA FOLIE Une lente consécration par le théâtre public Il y a des années que Feydeau (1862-1921) est entré dans le théâtre public et n’est plus spontanément mis en scène comme du vaudeville. Vaudeville, voilà un mot quasiment censuré dans le théâtre français dès lors que la République aimait l’esprit de sérieux et réservait le vaudeville aux boulevards. Le républicain, même s’il se moquait des valeurs catholiques, défendait en bon bourgeois les vertus de la famille et faisait des secrets de famille des affaires à la marge, des histoires de vaudeville qui étaient à la même époque le principal terrain de chasse du docteur Freud. Le monde hypocrite et coincé dans ses désirs de la IIIe République, celui que regarde et scrute Feydeau, celui où il vaque avec sa conscience malheureuse, avait donc décrété que la scène publique ne devait pas se prostituer avec les mauvaises mœurs. C’est pourquoi une tragédienne comme Sarah Bernhardt incarnait à elle seule le sérieux du théâtre à l’époque1. Claude-Marie Trémois Feydeau, un vaudevilliste ! Pourtant au Théâtre français, celui de Molière dont on peut voir en cette deuxième semaine de janvier le fauteuil vide du Malade imaginaire sur la 1. Ce texte puise dans les articles du numéro des Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française consacré à Feydeau, novembre 2010. La première partie porte sur l’ancrage historique (la IIIe République du théâtre de Feydeau), la deuxième sur les ressorts du vaudeville, et la troisième sur les mises en scène successives de Feydeau. 2. Sorti en 1966 sous le titre le Cinéma selon Hitchcock, il a été réédité plusieurs fois sous le titre actuel Hitchcock-Truffaut, Paris, Robert Laffont. 198