1
L’AUDIT DE LETHIQUE DES AFFAIRES,
CROISEMENT DE LAUDIT SOCIAL ET DU CONTROLE INTERNE
Michel JORAS CIRCEE Centre de recherche de lesce
Enseignant chercheur à lEcole Supérieure du Commerce Extérieur
Administrateur du CEA Cercle d’éthique des affaires
Vice-Président dhonneur de lIAS Institut international de l’audit social
RESUME : Confrontée à la mondialisation, l’éthique des affaires portée par les sciences de la
pensée et des sciences de laction saffirme être le quatrième volet du développement durable
et son application à la responsabilité sociétale de lentreprise (RSE) (CEE, 2001).
Croisement de laudit social1 et du contrôle interne2, laudit de l’éthique des affaires3
émerge et sannonce omniprésent dans la gouvernance des organisations, système par lequel
elles sont dirigées et contrôlées (Parrat, 2000), laudit qualéthique est un des premiers
exemples dapplication en France.
MOTS CLEFS : audit éthique social contrôle interne
I.
II.
Le contexte
Emmenée dans le mouvement actuel de la mondialisation « réalité tangible, indivisible,
irrévocable » (Medef, 2006), l’économie libérale de marché simpose selon un paradigme
global qui naît du triple croisement des principes du développement durable (Rio, 1992),
des impératifs de la responsabilité sociale de lentreprise (Igalens & Joras, 2002) et des
fondamentaux de l’éthique des affaires (Ballet & de Bry, 2001).
Le déploiement de ce nouveau modèle économique et social, sous la pression de la
fusion des espaces et des temps (Joras, 2005) trace les contours dune société de
linformation4 et de limmatériel (Futsec, 2007). Ce nouvel ensemble qui ébauche un « pacte
global » (ONU 2000) se donne comme finalité de satisfaire la performance économique et
financière (le profit), le progrès social (le peuple) et la sauvegarde de lenvironnement (la
planète).
III. Le socle scientifique
L’économie du XXIème siècle émergente sappuie sur deux pôles scientifiques : les
sciences de la pensée et les sciences de laction et des relations.
Les sciences de la pensée, qui témoignent du métissage des idées, des idéologies, des
cultures, de la philosophie morale et de la psychologie morale, aident à la réflexion sur des
valeurs universelles pour une morale des consciences.
Les sciences de laction, sollicitées pour proposer une unicité des systèmes de pilotage
et de régulation des organisations, trouvent dans le droit, l’économie, la gestion, la sociologie
1 selon les définitions du référentiel IAS 2000 (www.audit-social.com)
2 selon les définitions de lInstitut de laudit interne IFACI (www.ifaci.com)
3 en anglais business ethics
4 thème de la Conférence mondiale de lONU à Tunis en janvier 2005
2
et les disciplines du chiffre les éléments pour suggérer un format universel dun système de
management pour une morale de laction.
Les « sciences de la pensée » travaillent à la détermination consensuelle des
fondamentaux de la morale individuelle (le bien, le mal, la sagesse) et collective (les Droits
de lHomme5, des travailleurs6) qui se traduisent par des « attitudes, conduites et pratiques »
cadrées selon des éthiques appliquées aux activités commerciales et sociales des
organisations, des professions.
Les « sciences de laction et des relations », dans leur recherche dun modèle
universel applicable à lensemble du management, semblent avoir trouvé dans larchitecture
de la norme ISO 9000/2000 loutil adéquate. Ce système de management, exprimé selon une
démarche en processus politique, plan, do, check, act (cf. figure 1), offre dans les phases
check et act, les moyens aux dirigeants (politique, plan) danalyser, de contrôler, d’évaluer,
dauditer les activités (do) des forces vives opérationnelles mobilisées (ateliers, bureaux,
sous-traitants, fournisseurs) et de prendre les mesures de corrections et daméliorations
décelées (act).
Pour donner à cette phase check une assurance de qualité, de performance, le
management aura recours en interne, au contrôle de gestion, à laudit interne, à laudit du
contrôle interne et en externe, à laudit financier et aux divers audits opérationnels (Joras,
1996).
Les sciences de laction, aident à lexpression de cette démarche daide au pilotage
quest laudit ; les sciences de la pensée désignent cette exigence, associée l’éthique
appliquée aux affaires.
IV. L’éthique à auditer
Dans la chaîne sémantique « morale, éthique, éthiques », l’éthique appliquée aux affaires (Stükelberger,
2004) trouve sa légitimité dans des fondamentaux de la morale.
Les fondamentaux universels :
A partir de la philosophie morale et de la psychologie morale sont stipulées les bases :
de la conscience individuelle à l’égard du bien et du mal et édictent les règles à
lindividu pour ses rapports à autrui (sagesse, politesse, décence, responsabilité)
des consciences collectives, selon des valeurs humaines universelles, tangibles et
partagées : les Droits de lHomme (ONU, 1948) et les Droits des Travailleurs (Organisation
Internationale du Travail, 1998) servent de cadre réglementaire et implicite.
de l’éthique des affaires, traduction simpliste du terme « business ethics » pour être
comprise par les sciences de gestion est souvent exprimée sous le terme (Cardot, 2006)
5 ONU, Déclaration universelle des Droits de lHomme, 1948
6 ILO/OIT, directives et conventions, 1998
F
IGURE
1
: Modèle de gestion universelle ISO 9000
/2000
PDCA
Politique, vision,
valeurs, enjeux, mises, objectifs,
orientation, principes directeurs (gouvernance)
act : 1. préoccupation constante, vers plan 2. si écarts importants, interpellation du niveau politique
Plan
, prévoir, planifier, définir,
spécifier des résultats attendus,
guides, programmes, budget, agenda
P
D
Do
, mettre en œuvre
(en maîtrisant),
guides opérationnels
Check
, analyser, vérifier,
mesurer, surveiller,
évaluation, audit
Act 1
, corriger pour améliorer
en continu et progresser
Act 2, prévenir, revue
A
C
3
« l’éthique de lentreprise » (ou société, collectivité, association). Celle-ci sexprime par
une volonté et un engagement appuyés par une aptitude, une capacité, une compétence à
assurer le respect de la conformité tant aux règles édictées implicites qu’à ses propres
standards et attentes et lassurance de la mise sous contrôle interne et externe de cette
conformité (compliance). L’éthique est lart et la manière de maîtriser les risques inéthiques
pouvant affecter dune part la réalisation des objectifs, dautre part lintégrité des ressources
et patrimoines, tout particulièrement la capital éthique dimage et de réputation.
de l’éthique pour une organisation qui est loptimisation légale, légitime, économe de
ressources dans la limite dune morale partagée et du respect des intérêts actuels et futurs
dautrui (ce.ds).
En reprenant les propositions de la Banque Mondiale (WorldBank, 2007), la richesse
des nations est un ensemble constitué par un capital produit, un capital naturel et
environnemental ainsi quun capital intangible. Ce dernier étant lui-même laddition de la
qualité des institutions, de la gouvernance et du capital humain mobilisé.
V. De l’audit social à l’audit éthique
Laudit social, tel que défini par lInstitut de lAudit Social dans son référentiel IAS
2000 a pour champ privilégié les ressources humaines quelles soient mobilisées en interne
(lentreprise) ou en externe (sous-traitants, fournisseurs). Le Directeur des Ressources
Humaines, et éventuellement le Directeur des relations sociales, sont chargés doptimiser et
sécuriser les ressources humaines, constituant principal du capital humain, en sefforçant de
respecter et faire respecter les valeurs humaines universelles ; en Europe, la chartre des droits
fondamentaux de lUnion Européennes reprise dans le traité de Maastricht de 1992.
Laudit éthique a pour lobjectif principal de donner lassurance que les ressources
humaines par leurs attitudes, conduites et pratiques naffectent pas négativement le capital
produit, le capital naturel et/ou le capital intangible ; et quelles ne portent pas préjudice aux
parties prenantes concernées par les activités commerciales et sociales.
Deux conceptions se côtoient dans le monde économique et social, lune veut
privilégier les actionnaires et les investisseurs (anglo-saxons), lautre les Hommes et la
Nature (France).
La première concerne particulièrement une gouvernance axée sur les intérêts des
actionnaires (corporate governance), la seconde sur la qualité de la gouvernance dentreprise
(business governance). La corporate governance ayant pour souci principal la réduction du
risque pour préserver la valeur ; la business governance devant être un système dorganiser
pour se préparer à la création de valeur, pour le métier de lentreprise et y affecter les
ressources ad oc (Academie7, 2006).
Laudit de l’éthique des affaires, assimilée à une bonne gouvernance à l’égard des
investisseurs (corporate governance) et des parties prenantes (business governance) devra
trouver ses concepts et ses méthodologies conjointement dans laudit social et dans laudit du
contrôle interne.
Laudit social permettra de donner lassurance que les règles, les engagements sont
conformément observés, maîtrisés (compliance audit), après avoir demandé à lauditeur en
accord avec le déontologue (CEA, 2005) de rassembler les éléments du référentiel éthique
spécifique à chaque entreprise.
Plus particulièrement destiné à la gestion des ressources humaines mobilisées en
interne, la gestion des ressources humaines mobilisées en externe (Responsabilité Sociale de
lEntreprise), laudit social devra, en matière d’éthique, demander aux dirigeants des
différentes fonctions de justifier la mise en œuvre de dispositifs de contrôle interne focalisés
7 www.lacademie.info
4
sur les éventuels pratiques et conduites inéthiques. Le contrôle interne est ce qui assure que
les tâches qui composent les processus senchaînent correctement dun acteur à lautre tandis
que la maîtrise des risques est une démarche qui apporte lassurance que les objectifs sont
réalisables, cest-à-dire que des évènements extérieurs ne viendront pas en perturber la
réalisation (Academie, 2007).
Laudit de l’éthique des affaires consistera très spécialement à donner une assurance
raisonnable que la capital éthique est bien gouverné, cest-à-dire dirigé et contrôlé.
Aussi la gestion du capital éthique devrait être confiée à un « responsable de conformité
(compliance officer) » qui aura pour tâche principale :
- de développer, promouvoir et faire respecter la politique éthique de lorganisation,
- de former, assister et conseiller lensemble des acteurs, parties prenantes concernées,
- dorganiser la circulation et le traitement de linformation,
- dassurer le suivi, l’évaluation des systèmes daudit et de contrôles internes.
Ces systèmes de contrôle interne sont à la charge de chaque responsable dun département ou
dune fonction.
Nouvelle responsabilité, la mission de la fonction éthique des affaires est double,
garantir dune part le respect selon le code du travail à l’égard des intérêts des personnels et
assurer dautre part la protection de lorganisation des conduites et des pratiques inéthiques
éventuelles émanant de ses personnels et de ceux mobilisés par les parties prenantes
concernées.
VI. Un audit d’éthique des affaires en action
En sappuyant sur les concepts, les principes et les directives de la mise en œuvre dune
part daudits sociaux (audit GRH gestion des ressources humaines ou audit RSE
responsabilité sociale de lentreprise), tels que définis par lInstitut de lAudit Social (norme
IAS 2000) et le Centre de Certification International des Auditeurs Spécialisés8, et dautre
part des dispositions concernant lexercice du « responsable de la conformité et du contrôle
interne », imaginé par lAutorité des Marchés Financiers (AMF) et homologué par
publication au Journal Officiel du 21 mars 2006.
Le Cercle dEthique des Affaires (CEA) a mis en oeuvre pour la labellisation dun
engagement qualéthique9 un dispositif daudit « évaluation de lengagement qualéthique ».
Cette démarche repose sur :
- la concrétisation documentée dun référentiel qualéthique pour le labellisable,
- un champ d’évaluation de préoccupations éthiques,
- une méthodologie ad hoc d’évaluation in situ et de certification.
Le label Engagement qualéthique ®
Le Cercle dEthique des Affaires met en œuvre la labellisation dentreprises et de
collectivités qui sengagent à respecter un référentiel qualéthique. Lengagement qualéthique
repose sur un concept qualéthique qui peut être compris comme un engagement dune bonne
gouvernance de l’éthique dune organisation. Ce label est porté par le Cercle dEthique des
Affaires et soutenu par lONG Red ethique. Lengagement qualéthique labellisable fait
référence au respect par lentreprise de six exigences et dune gouvernance éthique selon cinq
domaines prioritaires.
8 CCIAS, www.ccias.org
9 le concept qualéthique a été initié par Michel Joras dans la revue qualitique de mai 2005 « Vers la
qualéthique » ; le logo engagement qualéthique a été déposé au nom du CEA
5
A. Le concept
Le concept qualéthique est lexpression dune recherche permanente de la performance
par des décisions et actions englobant quatre valeurs essentielles :
La qualité : réponse à lexigence des besoins et des attentes des personnes, clients,
personnels, consommateurs, actionnaires et autres parties prenantes (le bon).
L’éthique : tout au long des prestations fournies et des décisions prises assurance
prouvée du respect des valeurs humaines universelles à l’égard dautrui (le bien).
Lesthétique : ajout aux biens et aux services d’éléments esthétiques autour de limage,
du discours, de la relation, de la présentation, forme, couleur, équilibres, harmonies (le beau).
L’éco-efficience : recherche constante de création de valeurs dans un soucis de gestion
économe des ressources naturelles utilisées (le bénéfique).
B. Les exigences imposées à lentreprise labellisable
Lengagement qualéthique consiste à respecter les exigences suivantes :
- la proclamation dun engagement qualéthique de lentité candidate,
- la désignation dun « chargé de mission éthique » (compliance),
- lengagement du respect des obligations réglementaires et conventionnels.
- la réalisation dune cartographie des parties prenantes et des risques,
- le choix dau moins une action éthique annuelle,
- lengagement de fournir un rapport éthique annuel sur le contrôle interne,
Les thèmes de lengagement sont :
- le respect de la personne humaine,
- la sauvegarde de lenvironnement, des ressources et du milieu naturel,
- les rapports à largent,
- la prise en considération des valeurs culturelles et intellectuelles,
- la qualité de linformation et de la communication.
C. Laudit ou évaluation qualéthique
La mission est menée par un évaluateur habilité par le Cercle dEthique des Affaires, et
mandaté par un organisme tiers indépendant de certification (ISO 45012) (ex. : Red éthique,
Véritas). La mission sexerce en deux phases in situ :
1. Une mission dite de cadrage , confiée à un délégué du CEA pour préparer le futur
labellisable à intégrer les concepts, les exigences, les méthodes de contrôle interne et à
préparer la démarche suivante.
2. Une démarche d’évaluation de la réalité de lopérationalité de lengagement, qui est
menée selon les directives proposées par la norme ISO 19011. L’évaluateur devra
constater que chacun des engagements est concrétisé par des directives, des processus,
des plans daction ad hoc, dont lanalyse, la mesure sont éclairés, documentés, prouvés
par des indicateurs spécifiques.
D. Labellisation
Sur un rapport positif de l’évaluateur, lorganisme certificateur habilité donne un avis
favorable au Cercle dEthique des Affaires qui décide et administre le label, valable pour
trois années et renouvelable.
Conclusion
Laudit de l’éthique des affaires, dont les concepts se formalisent autour des
préoccupations du « pacte mondial » visant à minimiser les risques environnementaux
sociaux et éthiques, devrait prendre toute sa place dans les disciplines de la gouvernance,
1 / 6 100%