Dossier Physiopathologie des infections invasives à méningocoque Ala-Eddine Deghmane, Muhamed-Kheir Taha Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Institut Pasteur, unité postulante des infections bactériennes invasives, 28, rue du Docteur Roux, 75724 Paris cedex 15 <[email protected]> Neisseria meningitidis, le méningocoque est une bactérie strictement humaine, commensale du tractus respiratoire. Dans des conditions mal élucidées, cette bactérie pourrait être responsable d’infections systémiques qui posent un sérieux problème de santé publique, à cause de leur potentiel épidémique et de la gravité des séquelles que peuvent générer ces infections. Les études épidémiologiques ont montré que les isolats invasifs diffèrent génotypiquement et phénotypiquement des isolats du portage asymptomatique. Dans ces conditions, les infections méningococciques constituent un processus multifactoriel qui implique à la fois des facteurs liés à l’hôte et d’autres liés à la bactérie. L’analyse du comportement des souches invasives et des souches de portage, ainsi que les bases moléculaires impliquées dans les étapes séquentielles de leurs interactions avec l’hôte, permettra de mieux comprendre cette infection. Mots clés : Neisseria, physiopathologie, méningite, septicémie doi: 10.1684/mtp.2010.0283 N mtp Tirés à part : A.E. Deghmane eisseria meningitidis (le méningocoque) est une bactérie capsulée à multiplication extracellulaire qui colonise habituellement le rhinopharynx humain, à la fois son habitat naturel et sa porte d’entrée. Très souvent, suite à cette colonisation, le méningocoque va entretenir une relation commensale avec le rhinopharynx qui se manifeste par un portage asymptomatique, présent dans 10-15 % de la population générale [1]. Cette spécificité d’hôte suggère que l’acquisition et la transmission interhumaine s’effectuent par voie aérogène. À partir de sa porte d’entrée, le méningocoque peut occasionnellement générer des infections invasives, parfois dévastatrices (méningococcémies, méningites, arthrites et péricardites septiques) [2, 3]. Ces infections, notamment les formes les plus fulminantes de la méningococcémie (purpura fulminans), sont extrêmement dangereuses en vertu de la progression rapide de la mt pédiatrie, vol. 13, n° 2, mars-avril 2010 maladie vers une urgence médicale, menaçant le pronostic vital en quelques heures, et à cause de leur potentiel épidémique. Seules les bactéries portées au rhinopharynx sont transmissibles. L’infection invasive à méningocoque (IIM) constitue une impasse dans le cycle de la transmission de la bactérie. La capsule du méningocoque est de nature polysaccharidique. L’immunospécificité de cette capsule permet de classer les méningocoques en plusieurs sérogroupes. Ce sont les sérogroupes A, B, C, Y et W135 qui sont le plus souvent retrouvés dans les cas d’infection invasive à méningocoque. Facteurs favorisant l’infection Les éventuels facteurs de risque de survenue d’une IIM sont multiples. Certains facteurs sont liés à la bactérie et d’autres sont liés à l’hôte. 117 Physiopathologie des infections invasives à méningocoque Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Facteurs liés à la bactérie (virulence des souches) 118 Le méningocoque est le plus souvent une espèce commensale de la voie respiratoire. Les facteurs bactériens qui favorisent le développement d’une IIM concernent essentiellement l’introduction d’un nouveau clone virulent au sein d’une population immunologiquement naïve, d’où l’importance majeure de la caractérisation génotypique des souches de méningocoque [4, 5]. La virulence d’une souche peut être définie par le nombre de cas qui développent la maladie au sein d’une population après l’acquisition de cette souche [1, 6, 7]. Les études épidémiologiques ont clairement montré que les souches isolées de malades diffèrent génotypiquement et phénotypiquement des souches isolées du portage asymptomatique. En effet, la plupart des cas épidémiques et sporadiques des IIM sont provoqués par un nombre restreint de lignées génétiques appelées « les complexes clonaux hyperinvasifs ». Ces complexes clonaux se distinguent phénotypiquement et génotypiquement des souches isolées du portage asymptomatique qui, en revanche, provoquent rarement la maladie [1, 6, 8-11]. Plusieurs facteurs de virulence de la bactérie jouent ici un rôle qui doit être étroitement coordonné tels que la capsule, les pili, les protéines de membrane externe, les structures de la paroi bactérienne et l’endotoxine Une étude récente a montré que la virulence d’un clone épidémique (le complexe clonal ST-11) est associée avec sa capacité à provoquer la mort cellulaire programmée (apoptose) in vitro, comparé aux isolats du portage asymptomatique. Cet effet cytopathogène est lié à la modulation différentielle de la réponse inflammatoire [12]. Les facteurs liés à l’hôte Les facteurs de sensibilité liés à l’hôte sont essentiellement ceux responsables de l’altération des défenses immunologiques et l’homéostasie respiratoire. Les facteurs de sensibilité aux IIM peuvent être : – d’origine endogène telle que l’immuno-immaturité du nouveau-né, l’immuno-sénescence chez les patients âgés, des déficits génétiques (déficience en composants tardifs du complexe lytique du complément, la déficience en properdine, des altérations des récepteurs pour le Fc des IgG ou encore le mannose-binding lectin) [13, 14]. Le polymorphisme de certains gènes impliqués dans la réponse inflammatoire et la cascade de la coagulation (notamment les gènes codant pour l’IL-10 et le TNF-α), influence le type et la gravité de ces infections [14]. Cependant, ces déficits génétiques sont rares et des études plus poussées sont nécessaires pour clarifier leurs rôles majeurs ; – de nombreux facteurs d’origine iatrogène (tels que les modifications des défenses immunitaires suite aux traitements immuno-suppressifs) ; – d’origine exogène (tels que des facteurs « environnementaux », socio-économiques ou comportementaux, liés à l’agression par des polluants atmosphériques) [15], sont suspectés mais non démontrés. Le rôle délétère de cofacteurs infectieux altérant l’immunité de l’hôte, notamment les facteurs viro-induites, a fait l’objet de plusieurs investigations. Il est de plus en plus pressenti que les infections virales favorisent la survenue des infections bactériennes. En effet, les études épidémiologiques ont montré la survenue séquentielle de syndromes « grippaux » et bactériens, principalement à pneumocoque et à méningocoque [16, 17]. Les interactions entre virus et bactéries des voies respiratoires sont complexes. La colonisation et l’adhérence bactérienne du rhinopharynx sont favorisées par les infections virales grâce à la destruction épithéliale, notamment de l’épithélium cilié, ou encore l’effet que pourrait jouer la neuraminidase virale qui peut agir sur la capsule bactérienne composée d’acide polysialique (sérogroupes B, C, Y et W135) et pourrait ainsi favoriser l’adhésion (et donc la colonisation) des cellules épithéliales par le méningocoque [18]. Enfin, la multiplication bactérienne est facilitée par la diminution du chimiotactisme et de l’activité phagocytaire des macrophages, suite à l’infection virale [16]. Physiopathologie des infections invasives à méningocoque La méningococcémie et la méningite représentent les formes les plus sévères des IIM. La physiopathologie de cette infection comporte différentes étapes successives : – colonisation et translocation de la muqueuse rhino-pharyngées vers le sang ; – résistance aux défenses de l’organisme et multiplication dans le sang ; – traversée de la barrière hémato-méningée et multiplication dans le LCR. Colonisation de la muqueuse rhino-pharyngée L’adhésion des bactéries sur les cellules épithéliales de la muqueuse rhinopharyngée puis et les cellules endothéliales vasculaires est la première étape qui va aboutir au passage sanguin pour provoquer une méningococcémie. Cette interaction induit des cascades de signalisations complexes, qui seraient responsables de l’invasion cellulaire puis du passage sanguin. L’adhésion du méningocoque est initialement médiée par les pili, des appendices filamenteuses qui s’étendent au-delà de la capsule polysaccharidique et interagissent avec la protéine de surface MCP/CD46 [19]. Cependant, le rôle du CD46 comme récepteur des pili reste controverse [20-23]. Ce contact initial abouti à la formation de mt pédiatrie, vol. 13, n° 2, mars-avril 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. microcolonies à la surface des cellules infectées et déclenche une augmentation transitoire du Ca2+ cytosolique à partir du stock intracellulaire [24], ainsi que la réorganisation spécifique du cytosquelette membranaire, responsable de l’internalisation intracellulaire de la bactérie [25-28]. Après 8 à 16 heures d’infection, les bactéries s’étendent à la surface cellulaire, perdent leurs pili, et leur niveau de capsule baisse pour permettre un attachement plus intime avec la membrane cytoplasmique cellulaire [29, 30]. Plusieurs structures de la membrane externe bactérienne sont impliquées dans cette adhésion intime. L’interaction des protéines bactériennes Opa et Opc avec respectivement des membres de la famille des récepteurs cellulaires CEACAM/CD66 et des intégrines sont les plus documentées [31-33]. Deux processus majeurs modulent le passage de l’adhésion initiale vers l’adhésion intime. Le premier est la dispersion bactérienne à la surface cellulaire et la rétraction des pili grâce au phénomène de twitching motility, médié par la protéine PilT [29, 30]. Le second correspond à une diminution de l’expression des pili et de la capsule par un mécanisme de régulation transcriptionnelle. Certains facteurs de virulence jouent un rôle important pour favoriser l’établissement des bactéries à la surface de la muqueuse et la survie intracellulaire, tels que l’IgA1 protéase, responsable du clivage spécifique de l’IgA1 humain et l’interférence avec la maturation du phagosome, le compartiment terminal de dégradation dans la voie endosomale [34, 35]. La phase septicémique Les études expérimentales et la comparaison des prélèvements chez les malades ont montré que toute forme d’IIM est précédée d’une bactériémie [36, 37], ce qui suggère l’absence de passage direct du méningocoque de la muqueuse rhinopharyngée vers les espaces méningés. Toutefois, le mécanisme responsable du passage sanguin reste insuffisamment connu. La survie et la multiplication des méningocoques pendant la phase septicémique sont d’une part liées à la disponibilité de certains nutriments qui jouent un rôle primordial dans les fonctions métaboliques de la bactérie, et, d’autre part, à sa capacité d’échapper aux systèmes de défenses immunitaires, en particulier la phagocytose et l’action lytique du complément. La disponibilité en Fer (Fe+3) libre fait défaut in vivo et représente donc un facteur limitant pour la croissance du méningocoque [38]. Sa concentration dans les tissus biologiques est de l’ordre de 10-18 M et ceci en raison de sa liaison à la transferrine et la lactoferrine dans le compartiment extracellulaire. Afin de se procurer ce nutriment indispensable à sa croissance, le méningocoque a su développer des systèmes protéiques permettant la fixation spécifique des protéines humaines de type sidérophores comme la transferrine, la lactoferrine et l’hémoglobine [39-41]. La survie du méningocoque pendant la phase septicémique est essentiellement accomplie grâce à la capsule polysaccharidique, représentant la couche la plus externe de la bactérie. La capsule en masquant les structures sous-jacentes permet à la bactérie d’échapper à la phagocytose par les phagocytes. Par ailleurs, les isolats de méningocoques capsulés sont plus résistants à l’activité bactéricide du sérum que les isolats non capsulés [42-44]. Le mécanisme par lequel la capsule polysaccharidique serait impliquée dans la résistance contre le sérum n’est pas entièrement compris, mais il semble être lie à l’acide sialique. En effet, la structure polysaccharidique de la capsule riche en acide polysialique présente une forte affinité pour le facteur H, un inhibiteur puissant de la C3 convertase au cours de la cascade d’activation du complément. Cette capsule serait donc impliquée dans l’inactivation de la voie alterne du complément [42]. De plus, la capsule évite la bactériolyse en empêchant l’insertion des composants lytiques du complément (le complexe d’attaque membranaire) dans la membrane bactérienne [45]. Par ailleurs, le méningocoque exprime une protéine liant spécifiquement le facteur H humain (factor H-binding protein [FhbP]). La fixation spécifique du facteur H par le Fhbp inhibe l’assemblage du complexe d’attaque membranaire à la surface de la bactérie et bloque par conséquence la lyse bactérienne [46]. Le méningocoque peut fixer à sa surface d’autres régulateurs négatifs du complément [45]. Certains isolats de méningocoque libèrent de façon brutale des fragments de membrane externe (« blebbing »), riches en lipopolysaccharides (LOS), l’endotoxine bactérienne majeure [37]. L’induction des voies de signalisation dépendantes du récepteur TLR4 (toll-like receptor 4) par le LOS est à l’origine de l’activation des cascades inflammatoires (complément, bradykinine, cytokines proinflammatoires) et des facteurs de coagulation au sein de l’environnement intravasculaire ou le système nerveux central [47, 48]. Une activation dérégulée de ces systèmes hémodynamiques peut rapidement évoluer vers des formes fulminantes de méningococcémies (purpura fulminans) avec une défaillance hémodynamique et polyviscérale qui menace le pronostic vital en quelques heures. Il existe une corrélation entre la quantité d’endotoxine libérée et la gravité du tableau clinique [48, 49]. Plusieurs études ont montré que le méningocoque dépourvu de LOS induit également l’activation des cytokines par voie de signalisation dépendante de TLR2 [50]. Cependant, le potentiel inflammatoire de ces mutants semble être moins important que les souches exprimant LOS [50]. Atteinte des espaces méningés La bactériémie à méningocoque peut conduire à l’ensemencement des espaces méningés dans plus de 30 % des cas atteints de ces infections invasives. La barrière hémato-méningée est composée de deux mt pédiatrie, vol. 13, n° 2, mars-avril 2010 119 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Physiopathologie des infections invasives à méningocoque 120 structures distinctes. La première structure constituée par l’endothélium des capillaires méningés est caractérisée par l’existence de jonctions serrées entre les cellules endothéliales, pauvres en vésicules de pinocytose qui témoignent de la faible activité en transcytose de ces cellules. La deuxième structure est représentée par les plexus choroïdes, lieu de synthèse du LCR, située au niveau des ventricules. Elle est formée de cellules épithéliales à jonctions serrées reposant sur une membrane basale et accompagnée de cellules endothéliales [28]. Le passage préférentiel pour le méningocoque par l’une ou l’autre de ces deux structures n’a pas encore été établi. L’activation vasculaire est à l’origine du recrutement des polymorphonucléaires neutrophiles (PMN), dont le passage à travers l’endothélium est facilité par l’induction de cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IL-1, IL-6 et IL-8) et d’autres médiateurs (par exemple NO) [51, 52]. L’action synergique de l’IL-1 et du TNF-α conduit à l’augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-méningée, facilitant le passage des bactéries et la production d’un œdème méningé, le largage des métalloprotéases et l’induction de la mort cellulaire par apoptose [52, 53]. Une fois dans le LCR, les moyens de défense sont limités et le méningocoque va pouvoir se développer sans rencontrer d’obstacles majeurs. L’altération de cette barrière entraîne un œdème cérébral, une hypertension intracrânienne et une vascularite avec thrombose persistante même après stérilisation du LCR [54, 55]. Variation héritables et variations non héritables des facteurs de virulence déclenche la transmission et l’échange de signaux moléculaires responsables de la régulation coordonnée de l’expression de certains gènes [30, 57]. Conclusion Des progrès récents sur l’interaction du méningocoque avec son hôte ont été réalisés. De nouvelles adhésines et leurs récepteurs putatifs ont été caractérisés. D’autres facteurs impliqués dans l’interaction de cette bactérie avec le système immunitaire ont été également déterminés, et dont certains font actuellement l’objet de nouvelles cibles vaccinales en cours du développement. Cependant, la grande diversité qui caractérise le méningocoque impose une grande vigilance quand à la distribution et l’expression de ces cibles vaccinales à travers une population en évolution permanente qui génère de nouveaux variants à potentiel épidémique plus ou moins important, ou capable d’échapper au système immunitaire. Ainsi, l’analyse du comportement différentiel des isolats invasifs et des isolats issus du portage asymptomatique est nécessaire pour mieux cerner les bases moléculaires qui gèrent l’infection par une bactérie habituellement commensale de l’homme, mais occasionnellement responsable d’infections parfois foudroyantes. Par conséquent, le développement d’un modèle animal fiable, capable de mimer les étapes séquentielles de cette infection strictement humaine, est un atout majeur qui aidera à mieux comprendre la physiopathologie de cette infection et développer de nouvelles stratégies antiméningococciques. Remerciements et autres mentions. Le potentiel de variabilité structurelle du méningocoque est très remarquable. Le méningocoque peut en effet moduler qualitativement ou quantitativement l’expression de ces facteurs de virulence qui influencent l’évolution de la virulence/transmissibilité des souches. Ces variations sont de deux types : – des variations héritables : dues à des réarrangements génétiques et génomiques, notamment des transferts horizontaux d’ADN par transformation et recombinaison, des variations de phase et des variations antigéniques et à l’insertion/excision d’un élément génétique mobile dont plusieurs copies sont réparties dans le génome de la bactérie [56]. Ces variations ont pour conséquence la génération de nouveaux variants antigéniques ou l’émergence et l’expansion d’un nouveau clone épidémique, capables d’échapper temporairement à l’immunité de l’hôte ; – des variations non héritables : ce sont des variations globales qui surgissent sur toute la population bactérienne afin de réguler l’expression des facteurs de virulence en réponse à un signal spécifique, tel que le contact cellulaire. En effet, l’adhésion du méningocoque aux cellules Financement : aucun. Conflit d’intérêts : aucun. Références 1. Yazdankhah SP, Kriz P, Tzanakaki G, et al. Distribution of serogroups and genotypes among disease-associated and carried isolates of Neisseria meningitidis from the Czech Republic, Greece, and Norway. J Clin Microbiol 2004 ; 42 : 5146-53. 2. Rosenstein NE, Perkins BA, Stephens DS, Popovic T, Hughes JM. Meningococcal disease. N Engl J Med 2001 ; 344 : 1378-88. 3. Vienne P, Ducos-Galand M, Guiyoule A, et al. 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