sont bien souvent les antiquaires ou les érudits qui, comprenant l’intérêt des anciens
documents, les réunissent au sein de leurs cabinets, les Petau, Pithou, Dupuy, de Thou,
Béthune, Loménie de Brienne7… Les grandes collections de documents qui nous sont
parvenues et sont aujourd’hui conservées, ainsi qu’on va le voir, au département des
manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (où on retrouve Béthune, Du Tillet,
Pithou, Godefroy, Colbert, Dupuy, Joly de Fleury, Clairambault...) s’abreuvent, d’une
manière ou d’une autre, à cette source.
Le moderne développement de l’administration royale s’accompagne donc de
nouvelles pratiques d’écritures et, en conséquence, d’une multiplication de production
d’archives. La question ainsi posée en terme de pouvoir et de production écrite se
dédouble aussitôt : les princes ont certes recours à l’écrit pour affirmer leurs prérogatives
souveraines, mais ont-ils immédiatement les moyens d’affirmer aussi leur contrôle sur le
personnel politique qui produit ces écritures multipliées ? Ainsi, les secrétaires d’État,
titulaires de départements ministériels, qui traitaient les affaires en leur hôtel conservent,
on l’a dit, leurs papiers qu’ils considèrent comme personnels, imités en cela par tous les
officiers royaux. Autrement dit, à la multiplication des papiers d’État ne répond pas
immédiatement, en France, la création d’archives d’État8. Ce n’est qu’à terme que la
montée en puissance de l’État monarchique et la multiplication des administrations et
juridictions trouvent leur traduction dans la création de dépôts autonomes.
Car ce n’est que peu à peu que s’affirment, à l’égard de ces papiers, les droits de l’État
aboutissant à dégager la notion d’archives publiques : en 1535, à la mort du chancelier
Duprat, François Ier avait fait saisir ses archives mais les avait aussitôt rendues à son
successeur ; Richelieu agit de même à l’égard de Villeroy, puis du garde des sceaux
Caumartin, mais les papiers du Cardinal demeurent dans sa famille et ne seront saisis
qu’en 1705. Dans certains cas, la transmission s’effectue d’elle-même, ainsi pour Mazarin
qui lègue ses papiers à Colbert qui les transmet à Seignelay9, mais dans d’autres la
succession est illogique; ainsi Louvois ne reçoit-il pas les papiers de Le Tellier qui vont à
son frère, l’archevêque de Reims, collectionneur de documents historiques. Et, si
Louis XIV se soucie de mettre fin à ces errements, c’est pour assurer la transmission des
archives au successeur, non leur versement au Trésor des chartes. À partir des années
1670 toutefois, l’habitude est prise de mettre la main sur les papiers des grands commis
de l’État décédés.
L’organisation des dépôts ministériels peut alors découler de ces nouvelles pratiques :
les archives de la Maison du Roi dans les années 1670, puis celles des Affaires
étrangères, avec celles de la Guerre, celles de la Marine (et des colonies) s’organisent à la
fin du siècle, peu avant celles du Contrôle général des finances, au début du XVIIIe siècle.
Au total, on peut dire qu’aucun département ministériel n’avait d’archives lorsque Louis
XIV prit le pouvoir, tandis qu’à la fin de son règne, aucun n’en était dépourvu. Mais, pour
en rester à notre période 1589-1661, c’est l’incertitude qui est la règle sur le sort et le
statut des « papiers de fonction » ; elle doit être prise en compte pour leur recherche
aléatoire qui doit s’effectuer en de multiples lieux où ils peuvent se retrouver conservés à
titre de papiers privés ou publics.
On pourrait faire des constatations analogues portant sur l’absence de plan d’ensemble
à l’endroit des archives des cours et juridictions. Ainsi les volumineuses séries d’archives
du Parlement étaient conservées au Palais où greffes civil et criminel disposaient de
chambres particulières à l’usage des greffiers, des commis et des archives. Quant au
Grand Conseil, tribunal né au XVe siècle au sein du Conseil du Roi, il voit ses archives,
7 Voir à titre d’exemple L. C. de BELLEVAL, Table alphabétique des fonds d’archives d’où sont
tirées les copies de chartes de la collection Moreau, 1890.
8 À titre de comparaison, voir La culture de l’écrit. Troisième table ronde organisée par l’École
française de Rome, l’École des chartes et l’Institut historique allemand de Paris, Paris, septembre
2003, à paraître.
9 Rappelons que l’héritage administratif de Colbert fut démembré en trois départements
ministériels : la maison du roi avec la marine revinrent à son fils Seignelay, le contrôle général à
Le Peletier, la surintendance des bâtiments à Louvois.