CENTRE HISTORIQUE DES ARCHIVES NATIONALES
ÉTAT DES SOURCES DE LA PREMIERE MODERNITE
(1589-1661)
CONSERVEES DANS LES ARCHIVES ET BIBLIOTHEQUES PARISIENNES
par
Françoise HILDESHEIMER et Michèle BIMBENET-PRIVAT
Conservateurs en chef aux Archives nationales
2006
INTRODUCTION
S’attachant à définir « l’esprit des institutions » de la France d’Ancien Régime, Denis
Richet avait été amené à distinguer trois étapes chronologiques et à caractériser la
première en ces termes : « Une première modernité, qui commence vers 1450 et se
poursuit au moins jusqu’en 1640, sinon 1680 (selon les régions et selon les secteurs).
Puissante expansion démographique, progrès de l’économie de marché, réforme des
églises, conquête de l’État centralisé par la bourgeoisie d’offices en passe de devenir une
noblesse. Mais aussi maintien des vieilles techniques d’occupation du sol, plafonnement
des subsistances, résistance de vieilles structures mentales1. » La recherche historique de
ces dernières décennies a consacré une large part de son activité à approfondir notre
connaissance de ce temps qui précède et prépare la classique affirmation absolutiste (ou
autoritaire) de Louis XIV2 et est issu du véritable tournant pris par les institutions
monarchiques au milieu du XVIe siècle3. Pour notre part, nous avons plus strictement
limité la « première modernité » de notre enquête archivistique aux années 1589-1661,
tranche chronologique qui correspond à l’affirmation absolutiste incarnée par Henri IV,
Louis XIII et le jeune Louis XIV, assistés de leurs ministres, en l’espèce Sully, Richelieu
et Mazarin.
Dans ce contexte, l’idée de cet ouvrage est née d’une constatation, voire d’une
frustration partagée par ses auteurs avec nombre de chercheurs : la pauvreté des fonds des
Archives nationales précisément pour cette période. Celle-ci s’explique par l’histoire
même des archives des administrations centrales de la monarchie française, une histoire
dont on ne soulignera jamais assez combien elle est importante à connaître pour
l’utilisateur des documents d’archives qui y trouve un fil conducteur à ses investigations ;
en effet, la fabrique des archives conditionne directement la fabrique de l’histoire. C’est
ce conducteur que le présent volume entend aider à parcourir pour les seules années 1589
(qui marque l’apparition de secrétariats d’État spécialisés)-1661 (qui voit la prise de
pouvoir personnel de Louis XIV), période clef tant pour l’affirmation absolutiste que, sur
un mode mineur, pour la constitution des pôts d’archives et la naissance de
l’archivistique4. La culture et le pouvoir de l’écrit incluent sa conservation et les deux
choses se conjuguent dans la pratique bureaucratique d’une monarchie devenue
« administrative » ; celle-ci tend à imposer à son organisation et à son travail
administratif une rationalisation croissante qui s’impose peu à peu aux procédures floues
et incertaines qui font le charme et la difficulté de l’époque antérieure, et donc de ce
guide. Affirmer cette logique suppose ici un détour par l’histoire des collections, et,
paradoxalement, celui-ci va revenir à prendre conscience de l’existence de deux logiques
très largement opposées.
1 Denis RICHET, L’esprit des institutions, Paris, 1973, p. 13. À cette première modernité succèdent,
toujours selon Richet, un âge classique et une étape des Lumières.
2 Voir infra la bibliographie.
3 Michel ANTOINE, « Un tournant dans l’histoire des institutions monarchiques : le règne de
Henri II », dans Colloque franco-suédois, Paris, 9-11 octobre 1978, Paris, 1979.
Antérieurement : Georges PAGÈS, « Essai sur l’évolution des institutions administratives en France
du commencement du XVIe siècle à la fin du XVIIe siècle », dans Revue d’histoire moderne, 1932,
p. 4-12.
4 Robert-Henri BAUTIER, « La phase cruciale de l’histoire des archives : la constitution des dépôts
d’archives et la naissance de l’archivistique (XVIe-début XIXe s.) », dans Archivum, XVII, 1968,
p. 139-149.
2
I
LE LEGS DE LHISTOIRE
Du Trésor des chartes à la multiplication des dépôts administratifs
Malgré sa conscience de l’utilité des archives considérées comme des titres5, l’Ancien
Régime monarchique s’est toujours avéré incapable d’en réaliser une conservation
centralisée. La situation des archives dans la France de l’Ancien Régime fut généralement
marquée par une grande dispersion : à l’image des institutions, on procédait par
juxtaposition et sédimentation, davantage que par créations et rattachements. À partir du
XVe siècle, on a assisté à une véritable explosion documentaire, aboutissant à une
multiplication de dépôts particuliers.
Une éventuelle centralisation de la conservation aurait pu être rapportée au Trésor des
chartes des rois de France. En effet, comme tout grand seigneur, ce dernier conservait son
chartrier itinérant jusqu’à ce qu’à la bataille de Fréteval en Vendômois en 1194, Philippe
Auguste, vaincu par Richard Cœur de Lion, ait été dépossédé de ses archives. La décision
fut alors prise non seulement de les reconstituer sous la direction du chancelier Guérin,
évêque de Senlis, mais encore de les établir en un lieu fixe qui fut d’abord le Louvre,
puis, sous saint Louis, un bâtiment annexe situé du côté nord de la Sainte-Chapelle. Mais
ce « Trésor des chartes » ne centralisa pas pour autant l’ensemble des archives royales
pour lesquelles la dispersion resta la règle durant tout l’Ancien Régime. Son caractère
essentiellement domanial et familial ne le rendait en effet pas apte à intégrer les archives
administratives qui se multiplient en dehors de lui. On y trouve une collection des titres
de propriété et de gestion, les documents se rapportant à l’exploitation du domaine, à la
diplomatie, aux alliances matrimoniales et aux cessions de terres, ainsi que les archives
médiévales de la Chancellerie (actes émanés du roi régulièrement enregistrés depuis la
seconde moitié du règne de Philippe le Bel jusqu’en 1568). En 1367, avait d’ailleurs été
créé un office de garde des rôles et registres de la Chancellerie.
À l’époque moderne, le Trésor des chartes se révèle incapable de centraliser les
archives administratives de l’État ; coupé de ses enrichissements naturels, il se referme
sur le Moyen Age et doit même subir, de Richelieu à Colbert en passant par Fouquet, la
concurrence éphémère de plusieurs projets de constitution de dépôts rivaux dont aucun ne
connaît de réalisation durable6. La création des secrétaires d’État en 1547, qui n’y versent
pas leurs archives, mais les gardent par-devers eux, et la recréation en 1568 de l’office de
garde des archives de la Chancellerie sanctionnent ce tarissement. Le vieux dépôt passe
du droit à l’histoire et continuera à subsister en vase clos et à développer des liens avec
l’érudition naissante; ceux-ci auront pour conséquence, entre autres, son pillage dans le
cadre de la constitution de collections de documents, ou la alisation de copies. Car ce
5 « Chartes, tiltres, papiers et registres de nostredite couronne » (édit de janvier 1582), « titres du
domaine » (édit de mars 1635). Dans tous les cas, l'assimilation des archives aux titres
s'accompagne d'une fonction d'expédition et se trouve liée à l'authentici assurée par la
conservation des documents en un dépôt public. La conservation des archives est une fonction
administrative et juridique fondée sur l'idée de preuve authentique basée sur une conservation
assurée par la puissance publique. Amédée OUTREY, « Sur la notion d'archives, en France, à la fin
du XVIIIe siècle », dans Revue historique de droit français et étranger, 1953, p. 277-286.
6 C'est bien l'absence de centralisation qui est caractéristique de la situation des archives françaises,
en retard en cela sur nombre d'autres pays européens. Plusieurs projets d'ensemble ont pourtant été
élaborés autour du Trésor des chartes sans être jamais réalisés : en 1628, un projet d’arrêt du 23
septembre qui n’a jamais reçu d’exécution ordonnait l’enregistrement par les secrétaires d’État de
tous les actes concernant les affaires d’État et le versements des originaux au Trésor des chartes.
En 1714 encore, Henri-François Daguesseau, procureur général du Parlement de Paris et, en tant
que tel, responsable du Trésor des chartes, présentait au roi un projet d'archives centrales du
royaume. Sa proposition ne rencontre pas davantage d'écho.
3
sont bien souvent les antiquaires ou les érudits qui, comprenant l’intérêt des anciens
documents, les réunissent au sein de leurs cabinets, les Petau, Pithou, Dupuy, de Thou,
Béthune, Loménie de Brienne7 Les grandes collections de documents qui nous sont
parvenues et sont aujourd’hui conservées, ainsi qu’on va le voir, au département des
manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (où on retrouve Béthune, Du Tillet,
Pithou, Godefroy, Colbert, Dupuy, Joly de Fleury, Clairambault...) s’abreuvent, d’une
manière ou d’une autre, à cette source.
Le moderne développement de l’administration royale s’accompagne donc de
nouvelles pratiques d’écritures et, en conséquence, d’une multiplication de production
d’archives. La question ainsi posée en terme de pouvoir et de production écrite se
dédouble aussitôt : les princes ont certes recours à l’écrit pour affirmer leurs prérogatives
souveraines, mais ont-ils immédiatement les moyens d’affirmer aussi leur contrôle sur le
personnel politique qui produit ces écritures multipliées ? Ainsi, les secrétaires d’État,
titulaires de départements ministériels, qui traitaient les affaires en leur hôtel conservent,
on l’a dit, leurs papiers qu’ils considèrent comme personnels, imités en cela par tous les
officiers royaux. Autrement dit, à la multiplication des papiers d’État ne répond pas
immédiatement, en France, la création d’archives d’État8. Ce n’est qu’à terme que la
montée en puissance de l’État monarchique et la multiplication des administrations et
juridictions trouvent leur traduction dans la création de dépôts autonomes.
Car ce n’est que peu à peu que s’affirment, à l’égard de ces papiers, les droits de l’État
aboutissant à dégager la notion d’archives publiques : en 1535, à la mort du chancelier
Duprat, François Ier avait fait saisir ses archives mais les avait aussitôt rendues à son
successeur ; Richelieu agit de même à l’égard de Villeroy, puis du garde des sceaux
Caumartin, mais les papiers du Cardinal demeurent dans sa famille et ne seront saisis
qu’en 1705. Dans certains cas, la transmission s’effectue d’elle-même, ainsi pour Mazarin
qui lègue ses papiers à Colbert qui les transmet à Seignelay9, mais dans d’autres la
succession est illogique; ainsi Louvois ne reçoit-il pas les papiers de Le Tellier qui vont à
son frère, l’archevêque de Reims, collectionneur de documents historiques. Et, si
Louis XIV se soucie de mettre fin à ces errements, c’est pour assurer la transmission des
archives au successeur, non leur versement au Trésor des chartes. À partir des années
1670 toutefois, l’habitude est prise de mettre la main sur les papiers des grands commis
de l’État décédés.
L’organisation des dépôts ministériels peut alors découler de ces nouvelles pratiques :
les archives de la Maison du Roi dans les années 1670, puis celles des Affaires
étrangères, avec celles de la Guerre, celles de la Marine (et des colonies) s’organisent à la
fin du siècle, peu avant celles du Contrôle général des finances, au début du XVIIIe siècle.
Au total, on peut dire qu’aucun département ministériel n’avait d’archives lorsque Louis
XIV prit le pouvoir, tandis qu’à la fin de son règne, aucun n’en était dépourvu. Mais, pour
en rester à notre période 1589-1661, c’est l’incertitude qui est la règle sur le sort et le
statut des « papiers de fonction » ; elle doit être prise en compte pour leur recherche
aléatoire qui doit s’effectuer en de multiples lieux ils peuvent se retrouver conservés à
titre de papiers privés ou publics.
On pourrait faire des constatations analogues portant sur l’absence de plan d’ensemble
à l’endroit des archives des cours et juridictions. Ainsi les volumineuses séries d’archives
du Parlement étaient conservées au Palais greffes civil et criminel disposaient de
chambres particulières à l’usage des greffiers, des commis et des archives. Quant au
Grand Conseil, tribunal au XVe siècle au sein du Conseil du Roi, il voit ses archives,
7 Voir à titre d’exemple L. C. de BELLEVAL, Table alphabétique des fonds d’archives d’où sont
tirées les copies de chartes de la collection Moreau, 1890.
8 À titre de comparaison, voir La culture de l’écrit. Troisième table ronde organisée par l’École
française de Rome, l’École des chartes et l’Institut historique allemand de Paris, Paris, septembre
2003, à paraître.
9 Rappelons que l’héritage administratif de Colbert fut démembré en trois départements
ministériels : la maison du roi avec la marine revinrent à son fils Seignelay, le contrôle général à
Le Peletier, la surintendance des bâtiments à Louvois.
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d’abord itinérantes à sa suite, se fixer dans un grenier du couvent des Grands-Augustins,
puis à son greffe à l’hôtel d’Aligre à la fin du XVIIe siècle.
À Paris, à la fin de l’Ancien Régime, les principaux dépôts d’archives
d’administrations, dont aucun n’avait le statut d’établissement central ou centralisateur,
étaient :
le Trésor des chartes, conservé au Palais de justice sous la garde du procureur
général du Parlement de Paris.
Le dépôt du Louvre contenant essentiellement les minutes du Conseil des finances,
à compléter par trois autres dépôts pour le même conseil des finances et le conseil privé
(Sainte-Croix de la Bretonnerie), le conseil des dépêches (Grands-Augustins).
3° Le dépôt de la chancellerie de France (couvent des Célestins).
4° Les dépôts particuliers des secrétariats d’État (Marine dans un pavillon du jardin du
couvent des Petits-Pères, Guerre et Affaires étrangères à Versailles, Maison du Roi au
Louvre et aux Grands-Augustins).
5° Contrôle général.
6° Trésor royal.
7° Administration du domaine (aux Petits-Pères).
Les dépôts du Parlement au Palais (criminels, civils, requêtes du palais,
chancellerie).
9° Les dépôts de la Chambre des comptes (avec une annexe aux Cordeliers).
10° Le dépôt de la Cour des aides.
11° Les dépôts du Châtelet et des autres juridictions établis au greffe de chacune.
12° La bibliothèque et dépôt de législation, histoire et droit public rattaché à la
Chancellerie de France.
13° La Bibliothèque royale considérée comme « le supplément de toutes les archives
et chartriers »10.
Comme le montre cette énumération, à la veille de la Révolution, on peut admettre
qu’on distinguait grosso modo deux grandes catégories documentaires :
Les archives, titres ou actes au sens précis d’instruments juridiques, authentiques et
conservés dans des dépôts dits publics pour l’usage des ayants droit, des hommes de loi et
des officiers publics. Selon nos catégories d’aujourd’hui, des archives vivantes à la
disposition du pouvoir qui viendront constituer les dépôts d’archives publics créés par la
Révolution.
Les monuments historiques, conservés dans les dépôts de manuscrits, actes
authentiques tombés en désuétude ou simples copies dotés d’une valeur non plus
juridique, mais documentaire. Autrement dit, des archives administrativement mortes à la
disposition des érudits.
On doit cependant constater que les deux catégories et les deux logiques qui les sous-
tendaient s’interpénétraient ; que les politiques eux-mêmes travaillaient au rassemblement
des matériaux de l’érudition et parfois encourageaient les travaux de cette dernière,
laquelle était très largement au service de la monarchie11. L’État moderne et l’érudition
naissante se conjuguent pour donner sa figure particulière à la première modernité,
période de tous les balbutiements archivistiques, d’une dispersion de la production
documentaire, mais aussi d’une rationalisation administrative d’où naîtront bientôt les
dépôts d’archives spécialisés.
Le moment Colbert et les collections de la Bibliothèque nationale
C’est pourquoi l’histoire des archives, considérées comme sources de la connaissance
historique, ne peut, pour cette époque, ignorer celle des bibliothèques, passage
10 Selon un rapport de Camus publié en annexe VI du Rapport adressé à S. Exc. Le Ministre
d’État, par Félix RAVAISSON, Paris, 1862, p. 259-315.
11 A. OUTREY, art. cit, , p. 210.- Blandine BARRET-KRIEGEL, Les historiens de la monarchie, 4 vol.,
Paris, 1988.
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