Les trajectoires de radicalisation
religieuse au Sahel
Notes de l’Ifri
Février 2017
Mathieu PELLERIN
Programme
Afrique
subsaharienne
LIfri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, dinformation
et de débat sur les grandes questions internationales. Créé en 1979 par Thierry de
Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilité publique (loi de 1901). Il
nest soumis à aucune tutelle administrative, définit librement ses activités et
publie régulièrement ses travaux. LIfri associe, au travers de ses études et de ses
débats, dans une démarche interdisciplinaire, décideurs politiques et experts à
léchelle internationale. Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri
simpose comme un des rares think tanks français à se positionner au cœur même
du débat européen.
OCP Policy Center est un think tank « policy oriented » qui a pour objectif, à
travers des productions analytiques indépendantes, un réseau de partenaires et de
chercheurs associés de premier plan et lorganisation de débats, de contribuer à
fonder la connaissance et à éclairer la réflexion sur des questions économiques et
de relations internationales centrales pour le futur du Maroc et plus largement
pour le continent Africain. OCP Policy Center se veut être une plateforme ouverte
de discussion et déchange, un incubateur didées et une source proactive de
propositions dactions pour les décideurs politiques et économiques, et plus
largement pour lensemble des parties prenantes au processus de croissance et de
développement.
Les opinions exprimées dans ce texte nengagent que la responsabilité de lauteur.
Cette note a été réalisée dans le cadre du partenariat entre lInstitut français
des relations internationales (Ifri) et lOCP Policy Center.
ISBN : 978-2-36567-687-8
© Tous droits réservés, Ifri, 2017
Comment citer cette publication :
Mathieu Pellerin, « Les trajectoires de radicalisation religieuse au Sahel »,
Notes de lIfri, Ifri, février 2017.
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Auteur
Mathieu Pellerin est chercheur associé au sein du programme Afrique
subsaharienne de lIfri. Ses travaux de recherche portent depuis 2010 sur le
Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso), le Lac Tchad et Madagascar.
Il travaille depuis juin 2015 pour le Centre pour le dialogue
humanitaire (HD) comme conseiller spécial en charge du dialogue intra-
islamique. Parallèlement, il est consultant international pour des
organisations publiques et privées (Banque mondiale, Union européenne,
ONGs, etc.). Il est également rédacteur en chef adjoint de la revue Sécurité
& Stratégie.
Sommaire
INTRODUCTION .................................................................................... 4
DE LA RADICALISATION RELIGIEUSE AU SAHEL ................................ 6
Du salafisme au djihadisme ..................................................................... 6
Prédispositions religieuses locales........................................................ 10
Le poids des facteurs extérieurs dans le processus de radicalisation .. 17
DES TRAJECTOIRES PLURIELLES DE RADICALISATION ................... 20
Les ralliements objectivement motivés ................................................ 20
Les ralliements socioéconomiques........................................................ 25
Les ralliements « innocents » ............................................................... 26
CONCLUSION ...................................................................................... 29
Introduction
La problématique de la radicalisation religieuse sest imposée au rang des
priorités des États du Sahel depuis le milieu des années 2000 sous leffet
conjugué de deux dynamiques dont il nest pas aisé didentifier
précisément les liens. La première tient à lémergence de mouvements
islamiques dits « réformistes1 », quil sagisse de lécole hanbalite et de sa
réinterprétation wahhabite2, dont linfusion au Sahel est allée crescendo
depuis le début du XXe siècle via lArabie Saoudite3, ou bien de la Jamaat
Tabligh qui depuis les années 1980 sétend dans lensemble des pays du
Sahel avec plus ou moins dintensité. La seconde est lémergence du
salafisme-djihadisme, trop souvent présenté comme le prolongement
naturel du développement des mouvements réformistes, selon un
continuum linéaire qui irait du wahhabisme au djihadisme. Si ce
continuum peut effectivement trouver à se vérifier dans certains contextes,
en faire une règle immuable revient à avoir une vision étriquée du
salafisme et du djihadisme. Comme nous le verrons à travers le cas du
Sahel, le salafisme est loin dêtre la spécificité des wahhabites. Il concerne
également lécole malékite, dominante au Sahel. Surtout, il apparaît que
lanalyse des trajectoires de radicalisation au Sahel dément très largement
lidée que le djihadisme serait le prolongement du wahhabisme dans cet
espace.
Notre propos, qui ne porte que sur le Sahel, fait ici écho aux analyses
récentes dOlivier Roy qui parlait « dislamisation de la radicalité » pour
décrire à léchelle de la France un phénomène « de radicalisation djihadiste
[qui] nest pas la conséquence mécanique de la radicalisation religieuse,
[constatant] que la plupart des terroristes sont […] sans itinéraire religieux
de long terme4 ». Lobjet de cette contribution est dexpliquer comment les
1. Les mouvements réformistes, inspirés décrits dintellectuels musulmans du XIXe siècle (dont
Jamalal-Din Al-Afghani) pensent « quil faut effectuer un retour sur les Textes, par-delà la
tradition qui les alourdit et forme ». Voir O. Roy, LAfghanistan. Islam et modernité politique,
Paris, Seuil, 1985.
2. Voir S. Lacroix, « Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en
question », Revue des mondes musulmans de la diterranée, juillet 2008.
3. Chanfi Ahmed démontre le le des Sahéliens eux-mêmes dans limportation du wahhabisme,
indépendamment de la politique saoudienne dexportation du wahhabisme. Voir C. Ahmed, West
African Ulamâ and Salafism in Mecca and Medina: Jawâb al-Ifrî, the Response of the
African, Leiden/Boston, Brill, 2015, 213 pages.
4. « Djihadisme : Olivier Roy répond à Gilles Kepel », Le Nouvel Obs, 15 juillet 2016.
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