LA THEORIE ATOMIQUE VUE PAR LES ANCIENS
par
M.
GABRIEL
HUN
Membre titulaire
Dans tous les traités de physique, on trouve cités, à propos
de la théorie atomique, les noms de plusieurs philosophes de l'An-
tiquité, comme des précurseurs des idées actuellement admises et
définitivement établies; je voudrais aujourd'hui vous entretenir
pendant quelques instants des théories de ces penseurs qui sous
l'acception générale de philosophes, s'intéressaient en réalité,
aussi bien à toutes les sciences qu'aux disciplines littéraires.s
les premiers philosophes se posa la question de la substance-mère*
l'hypothèse la plus immédiate fut évidemment de rechercher dans
l'eau l'origine de toutes choses. Le premier philosophe qui semble
avoir éprouvé quelque intuition de la structure discontinue de la
matière, au sens où nous l'entendons maintenant est Empedocle
(484 à 424 avant Jésus-Christ selon certains auteurs), à la fois
ingénieur, hygiéniste, philosophe, thaumaturge et poète. Empedo-
cle était d'Agrigente ville située sur la côte sud de la Sicile non
loin de la moderne Girgenti.
Empedocle en effet selon Jean Voilquin réunissait « l'univers
à quatre éléments que deux forces, la Haine et l'Amitié combi-
naient diversement; tous les corps n'étaient que le résultat de la
combinaison des particules ou germes homogènes, irréductibles,
invariables, insécables, éternelles ».
Les analogies avec la physique atomique se font déjà sensi-
blement sentir.
Mais,
cependant les 4 éléments étaient le feu,
l'air,
l'eau, la
terre se transformant suivant le processus feu <=^ air *± eau ±±
terre.
Ces quatre éléments n'étaient peut-être que l'explication
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THÉORIE ATOMIQUE
VUE PAR LES
ANCIENS
d'un fait d'observation journalière; les corps ne sont-ils pas ou
solides (terre) ou liquides (eau) ou gazeux (air), ou encore dans
cette situation assez difficile à expliquer pour les anciens, l'état
d'incandescence.
Gomme l'écrit P. Rousseau « ces quatre éléments sont peut-
être les vestiges lointains de la religion préhistorique: aux yeux
des primitifs, les forces de l'Univers et les principaux phénomè-
nes naturels étaient incarnés par les Dieux; le dieu Vent, le dieu
Tonnerre, le dieu Pluie, le dieu Foudre. G'est par une sorte de
décantation en abandonnant peu à peu, sur la route des âges
leur vêtement surnaturel, que ces dieux déchurent finalement au
rang des simples éléments, dans l'intelligence, fougueuse, positive
et fantaisiste d'Empédocle ».
Anaxagore (né dans les premières années du ve siècle et mort
vers 428) à Lampsaque semble aussi avoir eu quelques lumières
sur la constitution interne de la matière.
Puisqu'il en est ainsi, dit-il, il nous faut penser que dans
tous les composés, il y a des parties nombreuses et de toutes sortes,
semences
(d^sp^Ta)
de toutes choses présentant des formes, des
couleurs, et des saveurs de toute espèce.
Mais il croit que le nombre de ces germes est infini, chaque
chose contiendrait donc en elle toutes les espèces de susbstances,
et par cette erreur, mémorable, Anaxagore s'écarte de nos actuel-
les conceptions. Anaxagore d'autre part n'admet pas le vide,-
cessaire pour toute théorie raisonnable de l'atomisme.
Il n'en est plus de même de Democrite. Les théories de De-
mocrite ne peuvent d'ailleurs être séparées de celles de Leucippe
(originaire de Milet ou d'Elée, élève de l'école de Parmenide et lui-
même fondateur d'une école à Abdère).
Il est difficile de faire la part exacte de ce qui appartient à
Leucippe (auteur du Grand Système du Monde et du traité de
l'Esprit et de ce qui revient à son disciple Democrite) ; ce philoso-
phe était originaire d'Abdère, une des colonies ioniennes (Abdère
étant une colonie grecque en Thrace au Nord de la Mer Egée à l'Est
du fleuve Nestos), la date de sa naissance peut être fixée entre 500
et 457, celle de sa mort entre 404 et 359.
Il aurait, dit-on effectué de très longs voyages et il en serait
revenu fort pauvre, au point d'en avoir été réduit à vivre de la
charité de son frère.
Contemporain des Sophistes et de Socrate il est mort très
vieux: de son œuvre très considérable, il reste fort peu de chose,
LA THÉORIE ATOMIQUE VUE PAR LES ANCIENS 161
mais sa renommée demeurera longtemps et conféra à sa personne
un exceptionnel prestige.
Quoiqu'il en soit, sa conception de la matière présente une
singulière analogie avec la nôtre.
Il aboutit, en effet, à l'existence d'atomes indivisibles,
(<XTO[/.O;
[non coupé, insécable]), en nombre infini, les atomes sont
tous de même nature, ils ne peuvent être divisés ils sont essentiel-
lement d'une solidité indissoluble
(CTSPPOTTJÇ)
et indéformables,
assez petits pour être rigoureusement invisibles.
Les différentes substances s'expliquent par les divers assem-
blages des atomes par la manière dont ils se réunissent, les posi-
tions relatives qu'ils occupent.
Ces atomes diffèrent par la forme (puc^o?) anguleux ronds
concaves ou convexes, par l'ordre (SiaOïyn) par la position (TpoTrn).
Il est impossible de savoir s'il les considérait comme doués
de poids.
Toute la doxographie considère, en effet, que ces atomes
n'ont pas de pesanteur.
Mais Aristote et Théophraste, mentionnent leur poids qui-
pendrait de leur grandeur ou plutôt de l'excès de cette grandeur.
Sans doute dans la pensée de Democrite le poids provenait-il
du mouvement et du choc des atomes (comme la pression dans
notre actuelle théorie cinétique des gaz).
Et Georges Urbain a pu écrire:
a
Les atomes de Democrite sont les filles capricieuses d'un
esprit généreux et brillant, mais qui ignorait tout des disciplines
expérimentales, ce qui ne diminue, ni son mérite, ni son génie
lequel plus poétique que scientifique devait trouver sa forme la
plus convenable dans l'immortel poème de Lucrèce».
Mais Democrite a nettement envisagé la coexistence des ato-
mes et de l'espace vide interatomique qui les sépare, il distingue
le quelque chose Ssv, les atomes et le non quelque chose ^Blv ouSsv
le vide. (C'est d'ailleurs la première affirmation du vide ce qui
constitue un considérable progrès dans l'abstraction).
Il n'a pas ignoré les chocs des atomes avec effleurements, se-
cousses et rebondissements, des entrelacements, des formations
d'amas, des tourbillons d'atomes peuvent se pr^ùuire, des triages
se réaliser.
On ne manquera pas d'admirer l'intuition qui avait présidé
à l'élaboration de ces théories, si on n'oublie pas qu'à la même
162 LA THÉORIE ATOMIQUE VUE PAR LES ANCIENS
époque on considérait la Terre comme un cylindre plat maintenu
par sa largeur suspendue au-dessus de
l'air.
Mais si on considère
par ailleurs la nature des instruments d'observation alors en usa-
ge on ne s'étonnera pas trop de voir à la fois émettre des théories
générales et commettre des hérésies monumentales en ce qui traite
des faits que l'observation quotidienne révèle aujourd'hui au com-
mun. Peu importe d'ailleurs, dit Tannevy, que la science des pre-
miers philosophes n'ait été qu'un tissu d'erreurs ou qu'un écha-
faudage d'hypothèses inconsistantes, l'erreur est le chemin de
l'ignorance à la vérité, l'hypothèse autant qu'elle peut être vérifiée
est le moyen d'acquérir la certitude ».
Il n'en demeure pas moins d'ailleurs, que comme le dit Aris-
tote pour les atomistes toutes choses étaient comprises par les
nombres et venaient des nombres: c'était là une vue nouvelle
pleine d'intuition et qui apportait à la pensée scientifique un ins-
trument de tout premier ordre.
L'atomisme de Democrite fut d'ailleurs repris par Epicure
(né sans doute à Samos 341 ans avant l'ère chrétienne) Epicure
avait étudié les enseignements d'Anaxagore, de Democrite et d'Ar-
chélaüs (de Milet) précepteur de Socrate. Il professa ses principes
à Métylène, à Lampsaque puis à Athènes.
Les fragments de l'œuvre d'Epicure découverts dans les rui-
nes d'Herculanum, et arrachés aux laves et aux cendres du Vésuve
qui les ensevelissaient depuis 17 siècles, montrent qu'Epicure,
disciple de Democrite, fut le maître de Lucrèce qui dans son ou-
vrage. « De natura rerum » reproduisit souvent point par point les
thèses de son illustre devancier Epicure et à la forme et à la gran-
deur des atomes déjà précisées ajoute leur pesanteur.
Lucrèce, né en 659, 95 ans avant l'ère chrétienne, de Rome,
fut le contemporain de Cicerón.
A Athènes où il se rendit, selon la coutume, du moins selon
les traditions des hommes cultivés de son époque, il fut initié par
le philosophe Zenon, aux doctrines des philosophes et en particu-
lier à celle d'Epicure.
Lucrèce transmit à la postérité et dans le langage des Muses
le vaste système d'Epicure.
s le chant premier, Lucrèce nous décrit les atomes après
nous avoir affirmé l'existence du vide
:
nam que est in rébus inane
v. 330 Corpora sunt porro partim primordia rerum partim conci-
lio quae constant principiorum vers 483 et 484. Dans les corps, on
LA THÉORIE ATOMIQUE VUE PAR LES ANCIENS 163
distingue les éléments premiers des choses et les objets formés par
la réunion de ces principes. Tum parro, quoniam est extrenum
quodque cacumen corporis illius quod nostri cunere sensus jam
nequeunt v. 599 et 600.
Il y a un sommet extrême où aboutit ce corps qui déjà lui-
même cesse d'être perceptible à nos sens.
Ces atomes sont insécables, et sont l'extrême division de la
matière.
Esse ca quae nullis jam pradita partibus exstent et minima
constent natura vers 625 et 626.
Mais c'est dans le Chant deuxième que Lucrèce développe ses
théories.
Les éléments nombreux sont en perpétuel mouvement et se
heurtent par de multiples chocs.
Nam quoniam per mane vagantur cuncta, necesse est aut gra-
vitate sua ferri primordia rsrum, aut ictu forte alterius vers
83 et 84.
Ils ne connaissent aucun repos « nulla quies est » v. 95. Agités
d'un mouvement incessant et divers, les uns après
s'être
heurtés
se repoussent à de grands intervalles, d'autres aussi s'entrecho-
quent sans s'écarter beaucoup. Leur nombre est infini nam quum
sit corum copia tanta, ut neque finis, uti docui, neque summa
sit ulla v. 338 à 340 puisque la masse en est telle qu'elle n'a, com-
me je l'ai enseigné, ni fin, ni total.
Je passe sur des considérations au sujet des substances agréa-
bles au goût formées d'atomes lisses et ronds ou des substances
amères comme l'absinthe qualifiée de répugnante et supposée
constituée d'atomes crochus qui déchirent les voies d'accès de nos
sens et maltraitent nos organes en enfonçant l'entrée.
Les atomes qui sont d'une simplicité absolue et massive che-
minent à travers le vide parfait aussi doivent-ils jouir d'une vi-
tesse sans égale.
A propos de ces atomes Lucrèce, en passant, formule le fa-
meux principe de la conservation de la matière qui fut jusqu'à
une époque récente le dogme de la Chimie.
La masse de la matière se conserve, rien ne vient s'y ajouter,
rien ne s'en perd.
Nam ne que adaugescit quicquam, neque diperit inde vers
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