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CANCER BRONCHIQUE
Diagnostic
Bilan pré-thérapeutique
Philippe Girard,
Département Thoracique, Institut Mutualiste Montsouris, Paris
A. Epidémiologie
Dans le monde, environ 1.500.000 de personnes meurent chaque année de cancer bronchique, et
l’incidence augmente d’environ 0,5% par an(1). Depuis la fin des années 1980, le cancer bronchique est
devenu la première cause de mortalité par cancer chez la femme (devant le cancer du sein) dans des pays
comme les Etats-Unis ou l’Ecosse.
En France, le cancer bronchique, avec près de 30.000 décès par an en France, est la première cause de
mortalité par cancer chez l’homme, et désormais la 2è cause de décès par cancer chez la femme, derrière
les cancers du sein et devant les cancers colorectaux. Alors que l’incidence du cancer bronchique diminue
chez les hommes depuis une dizaine d’années, l’importante augmentation de l’incidence chez les femmes
explique l’augmentation persistante de l’incidence globale du cancer bronchique. Toutefois, comme chez
les hommes, la diminution du tabagisme chez les femmes pourrait faire espérer une baisse de l’incidence
chez les femmes (et donc une baisse de l’incidence globale) à partir de 2015 (2).
B. Facteurs de risque
Le tabac reste de très loin le facteur de risque le plus évident (risque relatif (RR) de l’ordre de 15 à 20).
La consommation quotidienne, la durée d’exposition, l’inhalation de la fumée, la teneur élevée en
goudrons et la précocité du début du tabagisme sont des facteurs aggravants.
Le risque relatif diminue après l’arrêt du tabagisme, mais ne revient pas à 1 (RR de l’ordre de 6 à 7 entre 5
et 10 ans, et 2 à 5 entre 15 et 20 ans après l’arrêt(3).
Le risque relatif lié au tabagisme passif est estimé, suivant les études, entre 0,8 et 3,5. Il est estimé en
moyenne à 1,3 (femmes non fumeuses de maris fumeurs) (3, 4).
Les facteurs de risque professionnels reconnus par la loi française sont l’amiante, l’arsenic, le chrome
(acide chromique, chromate et bichromate de zinc), le nickel, le fer (sidérose), le bis-chlorométhyl-éther,
et les radiations ionisantes (radon des mines de fer et uranium). Pour l’amiante et probablement pour le
radon, les effets de l’exposition se multiplient avec ceux du tabac (amiante + tabac : RR estimé à 80 !).
Les émissions des moteurs diesel viennent d’être reconnues comme certainement carcinogènes par l’OMS
2
(http://press.iarc.fr/pr213_E.pdf ), avec un risque relatif pour le cancer pulmonaire de l’ordre de 1,2 à 1,4
(5, 6).
L’alimentation riche en légumes et fruits semble associée à une réduction du risque de cancer chez les
fumeurs. Cet effet « protecteur » éventuel est cependant très limité.
Enfin, le risque de cancer bronchique est 2 à 3 fois plus élevé chez les parents au premier degré de sujets
atteints de cancer bronchique. Les facteurs de risque génétiques associés au cancer bronchique, du moins
ceux identifiés jusqu’à présent, sont très rares et avec des RR très faibles (7).
C. Dépistage
Bien que certains de ces résultats aient été récemment « revisités » (8), les conclusions de 4 études
prospectives randomisées réalisées dans les années 1970 et utilisant la radiographie thoracique et la
cytologie de l’expectoration comme moyen de dépistage des cancers bronchiques, étaient unanimes : des
cancers de stades plus précoces étaient diagnostiqués, la proportion de patients opérés était plus
importante, la survie était améliorée, mais aucun effet significatif n'était détecté sur la mortalité spécifique,
c'est-à-dire par cancer bronchique. Un dépistage de masse utilisant ces méthodes n’est donc pas justifié(9).
Cette attitude est confortée par les résultats très récents de l’étude PLCO sur plus de 150.000 sujets (10).
Le dépistage de masse utilisant un scanner spiralé « faible dose » a récemment été proposé comme un
moyen très sensible de détection des cancers bronchiques, et pourrait se révéler prometteur. Cette
technique cependant a le désavantage paradoxal d’être trop sensible : dans l’étude en cours de la Mayo
Clinic, sur 1520 personnes incluses (plus de 50 ans, au moins 20 paquets-années), un total de 2244
nodules non calcifiés ont été identifiés chez 1000 patients dans la première année, pour seulement 25
cancers bronchiques identifiés(11). L’actualisation de ces résultats confirme les recommandations de
prudence exprimées dans l’article de 2002 (12). L’étude IELCAP a confirmé que le dépistage par scanner
permettait de dépister de plus petites tumeurs, avec un taux de survie particulièrement élevé : 485 cancers
ont ainsi été détectés chez 31.567 sujets, 412 (85%) étaient des stades I, avec un taux de survie à 10 ans de
88%(13). Cependant, d’autres auteurs, s’ils trouvent bien une augmentation significative de la proportion
de cancers de stade précoce grâce au dépistage par scanner, ne trouvent aucune modification détectable de
la mortalité par cancer bronchique dans cette population, le nombre de cancers de stade avancé détectés
par le scanner étant exactement identique à celui attendu dans la même population sans dépistage (14). Les
biais possibles expliquant l’inefficacité du dépistage (biais « lead-time », « length-time » et sur-diagnostic)
ont fait l’objet de remarquables revues(15).
En fait, seules des études randomisées contrôlées (par exemple, scanner contre radiographie thoracique),
dont le critère principal d’évaluation serait la mortalité spécifique (par cancer bronchique), permettront de
savoir si cette méthode de dépistage est cliniquement efficace.
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Les résultats de l’étude américaine National Lung Screening Trial (NSLT) (www.nci.nih.gov/nlst), qui a
inclus 50.000 sujets fumeurs ou anciens fumeurs, montre, pour la première fois, une diminution
significative (-20%) de la mortalité par cancer bronchique dans le groupe de 25.000 patients ayant eu un
scanner par an pendant 3 ans (354 décès par cancer bronchique) par rapport au groupe de même taille où
le dépistage était réalisé par une radiographie thoracique par an pendant 3 ans (442 décès par cancer
bronchique) (16). La gestion des « faux positifs » (nodules non cancéreux), dont la prévalence peut aller
jusqu’à 50%, reste un problème non résolu. La mise en œuvre d’une stratégie utilisant la mesure
automatisée du volume nodulaire est a priori intéressante, avec une valeur prédictive négative de 99.9%
dans l’étude NELSON, dont les résultats définitifs sont attendus en 2016 (17) .
L’application de ces résultats à la pratique courante, notamment en France, ne peut cependant pas encore
se traduire en termes de recommandations, mais seulement d’information « individuelle » des sujets
demandeurs par les médecins confrontés à des demandes de ce type (18).
D. Démarche diagnostique
La démarche diagnostique d’un cancer bronchique suspecté a deux buts :
(a) obtenir un diagnostic histologique, et
(b) réaliser un « bilan d’extension » qui autorisera une stadification TNM « clinique » (cTNM).
Ces deux éléments, (diagnostic histologique et cTNM), constitueront les bases quasi-exclusives des
décisions thérapeutiques initiales, modulées seulement par l’état clinique du patient et d’éventuelles
comorbidités. La pertinence des traitements proposés dépendra de la fiabilité (et donc de la rigueur) des
procédures diagnostiques réalisées.
On peut admettre, pour certains patients sélectionnés, que le diagnostic histologique ne soit obtenu que
lors d’une intervention chirurgicale (qui peut alors être à la fois diagnostique et thérapeutique). En
revanche, la détermination pré-thérapeutique d’un stade cTNM fiable ne doit souffrir aucune exception.
1. Etablir le diagnostic
Séparer les étapes de diagnostic (cyto et/ou histologique) et la détermination du stade cTNM est un peu
artificiel : dans la majorité des cas, elles sont simultanées. On propose donc ici une courte revue des
moyens diagnostiques en termes de sensibilité et spécificité. Leur utilisation, qui dépend du contexte
clinique, sera abordée dans le chapitre « bilan d’extension ». On retiendra cependant une règle simple :
toujours privilégier les méthodes les moins invasives.
a. Cytologie de l’expectoration
L’examen cytologique de l’expectoration reste une méthode acceptable du diagnostic de cancer
bronchique, mais sa sensibilité est médiocre, globalement de l’ordre de 66% (19), et cette valeur est
4
vraisemblablement surestimée, car les études sur lesquelles elle repose sont anciennes (seulement 3 études
sur 17 ont été publiées après 1985), et les tumeurs proximales symptomatiques sont sans doute sur-
représentées dans ces études(19). On notera de plus qu’aucune de ces études, toutes antérieures à 2003,
n’a exploré la faisabilité (et la fiabilité) de la recherche de biomarqueurs sur ce type de prélèvements.
En fait, les recommandations de l’INCa considèrent que cet examen « n’est pas indiqué en raison de sa
faible sensibilité » (20).
b. Endoscopie bronchique, mini-sonde échographique, navigation electromagnétique
De très nombreuses études ont rapporté la sensibilité et la spécificité de la fibroscopie bronchique
(fibroscope souple) dans le diagnostic des tumeurs pulmonaires. Les auteurs des récentes
recommandations de l’American College of Chest Physicians (ACCP) en citent 35 (soit un total de plus de
4500 patients) pour les tumeurs dites proximales, et 34 études (5742 patients) pour les tumeurs
« périphériques ». La sensibilité globale est de 88% pour les tumeurs proximales, 78% pour les tumeurs
périphériques(19). Cette dernière valeur (encourageante…) doit être relativisée par le fait que l’immense
majorité des études utilisait en routine un repérage radiologique (amplificateur de brillance).
Les sensibilités des différents types de prélèvements réalisés pendant l’examen ont également été
analysées : les biopsies ont la meilleure sensibilité dans les 2 groupes (74% pour les tumeurs proximales,
57% pour les tumeurs périphériques), devant les « brosses » (61% et 54% respectivement), très peu
utilisées en France (à juste titre), et les « lavages bronchiques », également très peu utilisés (47% et 43%).
La combinaison à des ponctions endo- ou trans-bronchiques (hors échographie endobronchique) améliore
un peu la sensibilité qui cependant ne dépasse pas 65% dans les tumeurs périphériques. Là encore, ces
chiffres peuvent être surestimés par une sélection des patients et des biais de publications qui favorisent
les « bons » résultats ». Enfin, même dans le groupe des tumeurs « périphériques », la sensibilité de
l’endoscopie varie évidemment avec la taille de la lésion : elle est seulement de l’ordre de 35% pour les
tumeurs périphériques de moins de 2cm.
La combinaison de la fibroscopie avec des prélèvements guidés pas une mini-sonde échographique radiale
introduite pas le canal opérateur de l’endocope (radial endobrochial ultrasonography, ou R-EBUS)
augmente considérablement la sensibilité de l’endoscopie souple dans les petites (<2cm) tumeurs
périphériques. Une méta-analyse récente rapporte des chiffres de sensibilité de l’ordre de 56% (21). Cet
examen est encore très peu disponible en France.
Les prélèvements sous « navigation électromagnétique », enfin, permettent d’obtenir un diagnostic positif
dans 50 à 90% des cas. Ces valeurs varient en fonction de la taille et du siège de la lésion, mais aussi en
fonction de la présence ou non d’un pathologiste pendant l’examen (« rapid on-site cytologic evaluation »
5
ou « ROSE »), et de certaines caractéristiques de la tumeur sur le scanner (« signe de la bronche ») (19). Il
s’agit, là encore, d’un examen peu disponible en routine en France.
c. Cytologie de liquide pleural, biopsies pleurales à l’aiguille
Cet examen extrêmement simple doit être réalisé devant tout épanchement pleural chez un patient porteur
ou suspect de cancer bronchique. Sa sensibilité globale est de l’ordre de 63% (22, 23). Le volume de
liquide prélevé influence peu la sensibilité, mais la répétition (2è ponction) l’augmente un peu. Rappelons
qu’une cytologie pleurale positive suffit à classer la maladie M1a (24)(tableaux 1 et 2), et fait récuser tout
geste chirurgical à visée curatrice.
Une cytologie pleurale positive associée à une immuno-histo-chimie de bonne qualité permet d’affirmer
un diagnostic de cancer bronchique et le plus souvent son caractère à petites cellules ou non. Une
caractérisation histologique plus précise (épidermoide ou adénocarcinome) et la recherche de bio-
marqueurs comme une mutation d’EGFR (gène du récepteur de l’Epidermal Growth Factor) peuvent
nécessiter, en cas de matériel peu abondant ou dégradé, des prélèvements plus larges et donc une
biopsie(19).
La biopsie pleurale « aveugle » sous anesthésie locale à l’aiguille (Castelain, Abrams) a une sensibili
inférieure à la cytologie. La méthode diagnostique « de référence » des épanchements pleuraux
néoplasiques est la réalisation de biopsies sous thoracoscopie, avec une sensibilité >95% (25, 26).
d. Biopsies trans-pariétales guidées sous scanner ou échographie
Le terme parfois employé de « cytoponction », qui sous-entend un prélèvement pour cytologie, est
inadapté. Le matériel utilisé doit permettre l’obtention d’une histologie (figure 1).
La « biopsie sous scanner » est l’examen de loin le plus utilisée en France lorsque l’endoscopie souple ou
d’autres moyens diagnostiques plus simples n’ont pas permis d’obtenir un diagnostic(20). De multiples
études ont évalué sensibilité et spécificité, permettant la réalisation de plusieurs méta-analyses. La
sensibilité globale est de 90% (intervalle de confiance (IC) à 95% :88-91%), pour une spécificité de 97%
(IC à 95% : 96-98%)(19).
Concernant les complications de la biopsie trans-thoracique sous scanner, dans une remarquable analyse
de 15.865 patients adultes ayant bénéficié d’une biopsie trans-thoracique sous scanner de nodules
parenchymateux, le risque d’hémoptysie cliniquement significative est de l’ordre de 1% (dont environ
18% nécessitant une transfusion), et le risque de pneumothorax était évalué à environ 15%, dont environ
la moitié (7% du total des ponctions) nécessitait un drainage(27). Les pneumothorax nécessitant un
drainage étaient bien sûr plus fréquemment observés en cas de BPCO, et ils sont également moins bien
tolérés qu’en l’absence de BPCO.
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