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Par son lien direct avec le transport, une réflexion sur l’après-pé-
trole passe inévitablement par un regard neuf sur l’aménagement du
territoire et la localisation des activités économiques à travers l’es-
pace. Tout d’un coup, de vieux rêves d’écologistes semblent à portée
de main : une ville compacte, l’arrêt de la consommation d’espaces
ruraux par l’urbanisation sans n, une mobilité plus centralisée et
collective. Le marché soumis aux contraintes d’une énergie chère,
voire rare, réussira-t-il la politique de planification a échoué ?
Répondre à cette question nécessite de comprendre les liens existant
entre l’énergie et l’aménagement du territoire, l’énergie et la localisa-
tion des ménages, l’énergie et les choix de localisation des entreprises.
Il sera alors possible d’émettre quelques hypothèses concernant les
comportements spatiaux futurs et leur impact sur la structuration
des territoires.
Rareté du pétrole,
rareté de lespace
> MORITZ LENNERT
Moritz Lennert est géographe à l’Institut de Gestion de l’Environnement
et dAménagement du Territoire (IGEAT) de l’ULB. Ses domaines
de recherches sont la géographie économique, sociale et urbaine,
ainsi que laménagement du territoire. Il coordonne actuellement un
projet sur des scénarios territoriaux dans le cadre de l’Observatoire
en Réseau de lAménagement du Territoire Européen.
moritz.lennert@ulb.ac.be
ÉTOPIA | APS LE PÉTROLE | 128
La pression de la fin du pétrole
Limpact de la déplétion pétrolière et de la raréfaction progressive des
énergies fossiles, évoquées ailleurs dans cette revue, ne restera pas sans
conséquence sur notre rapport à lespace et aux territoires. Pour s’en con-
vaincre une fois encore, il suffit de rappeler quen Europe, le pétrole et le
gaz (dont le prix suit l’évolution de celui du pétrole) représentent ensem-
ble 60% de lapprovisionnement en énergie. Bien r, différentes possi-
bilités existent pour éviter la pénurie dénergie, ou du moins la rendre
moins catastrophique.
Première piste : les économies dénergie. Dans son livre vert sur léner-
gie, la Commission Européenne estime qu’on pourrait diminuer de 20%
la consommation dénergie de l’Europe rien que par des mesures d’éco-
nomie. Les deux secteurs les plus concernés sont les ménages et le trans-
port. Mais ailleurs dans le monde, il y a également encore de très fortes
potentialités de réduction de consommation dans lindustrie.
Deuxième piste : des avancées dans les technologies disponibles pour
augmenter lefficience des cellules photovoltaïques, des éoliennes... Mais
le potentiel de croissance des énergies renouvelables n’est pas sans n
non plus. Actuellement, seuls 6% de la production de l’énergie en Europe
se font avec des renouvelables, dont 4% par de grandes centrales hydroé-
lectriques pour lesquelles on arrive à saturation des capacités. Pour sim-
plement atteindre 15% de la production en renouvelables, il faudrait donc
multiplier par cinq la production actuelle hors énergies hydrauliques !
Troisième piste, plus lointaine: de nouvelles technologies comme la
fusion nucléaire, ou encore des systèmes de production de l’hydrogène
utilisant l’énergie solaire ou biologique, ou encore dautres technologies
non-prévisibles actuellement. Mais ici, la question sera surtout celle du ti-
ming. Ces nouvelles technologies seront-elles utilisables à grande échelle
à temps pour empêcher une crise énergétique ? Enfin, dans tout ce débat,
il est capital de ne pas confondre les sources et les vecteurs d’énergie. La
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voiture roulant à lhydrogène sera peut-être une solution contre la pol-
lution et leffet de serre, mais l’hydrogène n’est pas une source déner-
gie. Au contraire, à lheure actuelle, sa production demande de grandes
quantités d’énergie.
L’espace consommateur et producteur d’énergie
Mais au-delà de limpact sur loffre dénergie, la raréfaction des
énergies fossiles est à penser dans son impact sur lespace et sur les
interactions entre lhumain et lespace. Cette question est à traiter
dun triple point de vue. Primo, il y a le point de vue de la localisation,
c’est-à-dire la distribution à travers lespace des activités humaines et
naturelles. Secundo, cette localisation différence provoque la ca-
tion de liens et de réseaux entre différentes parties de lespace. Il s’agit
de combler les distances par différentes formes de communication et
de mobili. Tertio, lespace est aussi une ressource limie autour de
laquelle des conflits peuvent naître et dont l’appropriation peut deve-
nir un facteur de différentiation sociale.
Comment lénergie se marque-t-elle alors dans lévolution du terri-
toire ? Pour reprendre les trois axes développés ci-dessus, on peut com-
mencer par le fait que la localisation des activités dans lespace peut dé-
terminer la quantité dénergie nécessaire pour ces activités. Cela peut
commencer par le simple fait que la température extérieure détermine
les besoins de chauffage ou de refroidissement. En outre, les formes de
construction et daménagement (par exemple, un habitat groupé ou dis-
persé) peuvent avoir une influence non-négligeable sur lefficience dans
lutilisation de lénergie. La localisation créant des réseaux, elle provoque
également la mobilité et donc les transports. Presque un tiers de la de-
mande énergétique finale en Europe provient du secteur du transport (un
peu moins en Belgique - voir tableau). Finalement, et nous touchons
à la question des ressources limitées, lespace peut aussi représenter une
source dénergie, que ce soit sous forme de mines de charbon, de champs
ÉTOPIA | APS LE PÉTROLE | 130
déoliennes ou de colza pour biocarburants. Toute réflexion sur le terri-
toire dans un contexte énergétique doit en tenir compte.
Industrie Ménages,
commerces
dont
nages Transport dont routes Total
EU25(Mtoe)
(%)
317,2
(28,03)
470,0
(41,53)
300,5
(26,56)
344,4
(30,43)
285,4
(25,22)
1131,6
(100)
Belgique
(Mtoe) (%)
13,3
(34,91)
14,6
(38,32)
9,9
(25,98)
10,1
(26,51)
8,2
(21,52)
38,1
(100)
[Tableau: Consommation finale d’énergie par secteur 2003, source: Eurostat]
Comment l’énergie influence-t-elle la localisation de l’économie ?
La question principale qui nous préoccupe ici est destimer les impacts
d’une éventuelle crise énergétique sur laménagement du territoire en néral
et sur la localisation des activités économiques en particulier. Toute produc-
tion a besoin d’énergie. Laccès à l’énergie est donc primordial. Néanmoins,
les réseaux transeuropéens d’énergie sont déjà assez avancés aujourd’hui et
permettent un approvisionnement plus ou moins égal à travers le territoire.1
A ce constat de disponibili généralisée de l’énergie, il faut ajouter le fait
que pour les entreprises, les dépenses en énergie ne représentent qu’une peti-
te partie de leurs achats totaux. me dans le secteur le plus consommateur
d’énergie, l’industrie extractive, l’énergie ne repsentait que 9% des achats
en 2000 en Belgique. Pour l’industrie manufacturière dans son ensemble,
cette part était de 3,1%2. Plus fondamentalement encore, la majeure partie
de la production économique en Europe, et particulièrement en Belgique, est
une production de services qui est donc encore moins dépendante de l’éner-
gie que l’industrie manufacturière.
Le transport est souvent ci comme étant le maillon le plus sensible à une
hausse des prix de l’énergie. Mais ici aussi, il faut tenir compte du fait que
le transport ne représente quune faible partie des coûts dans les chaînes de
production mondialisées. En prenant lexemple bien connu de la chaussure
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de sport, on voit que le transport et les taxes, pris ensemble, ne représentent
que 5% du prix total3. Quand on sait par ailleurs, que le différentiel de salaire
entre l’Allemagne et la Chine est de 40 à 1, on comprend qu’une hausse des
coûts de transport ne va pas fondamentalement changer les flux mondiaux.
Ajoutons à cela le fait que l’Europe est malgré tout une économie relative-
ment fermée et que les flux commerciaux extra-européens (exportations et
importations) ne représentent que 14% du PIB (mesuré en valeur ajoutée)4.
Le gros desux commerciaux se fait donc entre pays européens et par consé-
quent sur de relativement courtes distances.
Quels sont les facteurs qui influencent la localisation des entreprises ?
Lenquête dun grand opérateur immobilier réalisée auprès des 15.000 plus
grandes entreprises européennes donne une indication. On voit que le trans-
port semble plus une question d’opportuni(sous la forme d’accessibilité)
que de coût. Reste évidemment à savoir quel impact une hausse sensible des
prix va avoir sur cette accessibilité, mais on peut estimer que la faiblesse ac-
tuelle de la part du transport dans les penses des entreprises permet une
certaine élasticité, avec une compensation en interne d’éventuels surcoûts
(par exemple par une pression sur les salaires).
Secteurs Industrie Commerce Service
Echantillon 207 102 192
Accès aux marchés 58% 65% 60%
Accès à la main dœuvre 62% 51% 55%
Liens de transport vers d’autres villes 59% 47% 47%
Qualité des télécommunications 48% 42% 57%
Coût de la main d’œuvre 39% 24% 31%
[Tableau: Facteurs le plus souvent cités par les grandes entreprises comme
déterminant le choix de leur localisation; source: Cushman & Wakefield Healey
& Baker, European Cities Monitor 2005]
Évidemment, ces facteurs de localisation pendent de léchelle à
laquelle agissent les entreprises, mais on peut raisonnablement sup-
poser que celles dont le rayon daction est plus local dépendent encore
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