RICSP, 2010, n. 3-4, p. 73-86
74 | D. Douyère
Si la communication sociale se manifeste comme l’ensemble des processus d’échanges
et de diffusion médiatique ou institutionnelle dans la société, la notion reste toutefois
protéiforme, désignant à la fois la communication à travers les médias de masse dans
la société, la communication institutionnelle et publique, la communication ayant le
« social » pour objet, la communication associative, les phénomènes de communication
interpersonnelle dans une société (Fiedler, 2007) étudiés dans une perspective de
psychologie sociale, un type spécique de communication « horizontale » entre les
personnes fondée sur une égalité des parties (Collet, 1985, p. 74), la communication dans
une société en lien avec la mondialisation (IAMCR, 1984) ou l’ensemble des phénomènes et
processus communicationnels dans la société. Aussi la notion de communication sociale est
parfois donnée, de façon générique, pour la communication dans son ensemble, quels que
soient ses supports et ses médiations (Hernáiz Blázquez, 1999). Si elle est nous semble-t-il
peu mobilisée en France (hormis Rouquette, 1998 ; Collet, 2004 ; Michel, 2004) — et plutôt
dans des contextes professionnels ou professionnalisants —, où on lui préfère l’expression
de communication et société, communication associative, publique, voire communication
et espace public, la notion de communication sociale connaît un certain succès au Québec,
en Italie (Gadotti, 2001 ; Cucco, Pagani, Pasquali, 2005), en Espagne, en Amérique latine,
notamment. Il nous semble par conséquent pertinent de nous interroger sur l’histoire et la
diffusion de cette notion, an de tenter d’en saisir de façon plus précise quelques-uns des
sens.
L’introduction de la notion protéiforme de « communication sociale » dans les
sciences de l’information et de la communication (Sic) françaises ne s’est pas faite sans
difculté, et nous voudrions ici rééchir sur ce qui a été probablement la première d’entre
elles. « Communication sociale » : le terme se glisse lors d’une réunion préparatoire, au
printemps 1979, du 2e congrès de la jeune Société française des sciences de l’information
et de la communication (Sfsic) qui doit se tenir à Bordeaux en 1980. Il fait l’objet d’une
remarque dubitative sur son « ambiguïté », puis d’un silence sur sa portée théorique, qui se
transforme en recherche et écriture. Le terme fait en effet l’objet d’une charge dénonciatrice1
de l’enseignant et chercheur Jean Devèze dans un numéro ultérieur du bulletin de la
société, l’auteur s’y demandant « comment cette création terminologique propre à l’Église
catholique a pu se frayer une voie jusqu’à se glisser dans le titre de notre congrès » (Devèze,
1980), récusant ainsi le titre initial du congrès « Inforcom » de Bordeaux (1980), « Les
obstacles à la communication sociale », dont les actes partiels (Sfsic, 1981) paraîtront sous
un titre différent, Les Obstacles à l’information, dépourvu de l’épithète litigieux, et dont
les communications annoncées ou publiées portent, hormis deux d’entre elles (Guerreschi
et al. ; Cayrol, 1981), peu trace de la notion. La « face cachée du titre » du colloque, pour
reprendre l’expression de Jean Devèze, c’est pour celui-ci la création catholique de la
notion de « communication sociale », effectuée selon lui an de nommer différemment la
politique d’évangélisation de l’Église et de maquiller la notion de « propagande de la foi »
par un changement de discours. Cette « mise à jour » du discours vêtirait en quelque sorte
le prosélytisme catholique d’habits neufs. Un glissement lexical, auquel Devèze confère
une charge sémantique et politique particulière, se serait donc opéré en Sic, qui serait
préjudiciable à la scienticité de la discipline.
Cette critique, qui a sa pertinence, et qui a été nalement peu reprise (hormis
Linares, 1985 ; Michel, 2004, p. 93 ; Collet, 2004, p.98), mais qui a laissé quelques traces
mémorielles dans la communauté scientique française, nous semble sufsamment originale
pour être remise en lumière, analysée, discutée et commentée. Elle nous introduit également
1. Qui viserait, selon un témoignage que nous avons pu recueillir, le chercheur en sciences de la communication
Armand Mattelart (né en 1936) qui avait alors eu recours à cette notion, et avait été enseignant à l’université catholi-
que du Chili, à Santiago-du-Chili.