Troubles envahissants du développement et rapports à l`espace

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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
Troubles envahissants du développement et rapports à
l’espace
Toute reproduction, même partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions
suivantes : Courteix S., 2009, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace,
LAF-ENSAL, Lyon, inédit, 35 p.
Laboratoire d’Analyse des Formes -Ecole Nationale
Supérieure d’Architecture de Lyon
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon - Sept. 2009Stéphan COURTEIX Architecte
D.P.L.G.
Dr en Psychopathologie et Psychologie Clinique Préambule
Face au débat existant au sein de la communauté scientifique sur l’étiologie des troubles
précoces du développement, et plus particulièrement des troubles de type autistique, entre les
tenants d’un syndrome déficitaire (point de vue neuropsychologique et organiciste) et ceux d’un
syndrome défensif (approche psychanalytique), il semble de plus en plus pertinent de
considérer ces deux dimensions de façon dynamique et dialectique ; les formations
psychopathologiques se constituent bien souvent comme moyens de réponse face aux
difficultés rencontrées du fait des déficits biologiques… le terrain organique pouvant également
se trouver oblitéré par des troubles psychoaffectifs précoces massifs.
Une approche globale de la problématique autistique et plus largement des troubles
envahissants du développement apparaît donc préférable pour une bonne compréhension de
ses implications sur le versant environnemental.
En ce domaine, les spécialistes constatent que, « de façon générale, les troubles envahissants
du développement se caractérisent par une incapacité à constituer une relation affective et à
répondre aux stimuli provenant de l’environnement. Ainsi, certaines situations
environnementales et stimuli sensoriels peuvent déclencher [chez les personnes autistes] des
réponses au stress inattendues ou anormalement élevées, tant sur un plan biologique, que
comportemental, avec une difficulté voire une impossibilité à mettre en place des stratégies ou
des mécanismes de régulation adaptés pour faire face à des situations perçues comme
stressantes » (Tordjman, Charras, 2007).
L’hétérogénéité des tableaux cliniques laisse cependant apparaître au sein du syndrome
autistique quelques éléments dominants, en lien avec la problématique spatiale : • retrait autistique (repli sur soi, absence / fuite de contact avec l’environnement extérieur)
• troubles de la perception (sensibilité particulière, déficit d’intégration)
• besoin d’immuabilité (stabilité de l’environnement, conduites ritualisées)
• stéréotypies comportementales et/ou idéiques (avec, souvent, troubles du langage) Or, les difficultés d’une personne « ne résultent pas seulement des déficiences et des troubles
qu’elle présente, mais aussi de la non-adaptation de l’environnement physique et de soins dans
lequel elle évolue. Aussi, […] une approche thérapeutique complémentaire issue de la
psychologie environnementale consisterait à adapter l’environnement, dans ses dimensions
physiques et sociales, aux besoins psychologiques, en apportant par exemple un
environnement contenant et sécurisant susceptible de diminuer les angoisses et les stress des
personnes » (Tordjman, Charras, 2007)
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L’objet de ce document est d’ouvrir quelques pistes de réflexion, à partir d’un état des
connaissances sur la spécificité du rapport à l’espace chez les personnes atteintes de troubles
envahissants du développement, pouvant contribuer à la mise en place d’un référentiel en vue
de promouvoir un aménagement adapté à leur prise en charge.
Cet état des savoirs est cependant difficile à réaliser, tant les informations sont rares et éparses
; les travaux pour l’essentiel centrés sur l’autisme (le plus souvent sur l’enfant), bien que rares
en la matière, sont les seuls présents dans la littérature en lien avec la question architecturale.
Constat que semble confirmer
K. Charras (2008) qui s’est heurté, dans sa tentative de dresser un état des lieux de la
recherche européenne et nord-américaine sur la problématique environnementale en lien avec
les TED et l’autisme, à de nombreux obstacles, dus pour l’essentiel à une grande rareté des
travaux sur le sujet, et à un manque de structuration du champ de la recherche et de diffusion
de l’information. Dans une première partie, nous commencerons par dresser un tableau susceptible de restituer
le rapport au monde chez la personne atteinte de troubles envahissants du développement,
sans nous arrêter toutefois sur les différentes formes cliniques ni sur les hypothèses
étiologiques qui ne sont pas l’objet de ce travail, afin de repérer ce qui caractérise sur le plan
sensoriel d’une part, et au niveau du fonctionnement psychique, d’autre part, l’univers dans
lequel évoluent ces personnes. Cela nous amènera, dans une deuxième partie, à proposer
quelques pistes de réflexion et préconisations sous forme d’un référentiel, pour prendre en
compte les capacités et les déficits de ces personnes dans l’aménagement d’espaces adaptés
à leur prise en charge.
Partie 1 .
Le rapport au monde chez la personne atteinte de TED
1.1 La sensorialité et les troubles du rapport à l’espace
Les déficits de la sphère sensorielle liée à l’environnement, chez les personnes présentant des
troubles massifs et précoces du développement, et plus particulièrement les troubles de type
autistique, semblent au cœur de leurs troubles comportementaux. Processus de traitement de
l’information sensorielle et modalités d’ajustement comportemental au contexte présentent des
particularités que de nombreux chercheurs en neurobiologie ont mis en lumière. De leur côté, des personnes autistes, témoignant de leur rapport au monde (Temple Grandin,
Donna Williams, Gunilla Gerland, par ex.), décrivent toutes une perception très parcellaire des
objets et des espaces, un débordement par des sources de stimulation trop nombreuses, la
difficulté à se concentrer sur plus d’une modalité perceptive à la fois, et l’incapacité d’apprécier
un contexte relationnel et/ou social pour y répondre de façon adaptée.
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a. Hypersensibilité et hyposensibilité
Les troubles de type autistique présentent une caractéristique commune, selon la plupart des
recherches : la difficulté, voire l’impossibilité, de filtrer, d’ordonner et de donner sens aux
informations sensorielles. D’où la sensation d’être submergé par un trop-plein de stimuli
perceptifs, dont l’intensité perçue semble bien souvent supérieure à ce qu’elle serait chez un
sujet ne présentant pas ce type de déficit.
Certains travaux de recherche en neurobiologie menés récemment ont montré que le traitement
transmodal des perceptions ne fonctionne pas correctement chez les personnes présentant des
troubles de nature autistique (Zilbovicius, 2004), que les processus d’analyse de l’information
sociale et des stimuli environnementaux permettant une adaptation comportementale au
contexte sont défaillants du fait d’un développement limité de l’amygdale (Schultz, 2005).
S’en suit une difficulté voire une impossibilité de traiter de manière intégrative l’ensemble des
informations perceptives issues de chaque canal sensoriel (vue, ouïe, toucher, odorat,
informations posturales…) relatives à un environnement donné (espaces, objets qui le
constituent et/ou qu’il contient, individus…). Les divers espaces sensoriels (visuel, acoustique,
olfactif, tactile…) apparaissent ainsi comme isolés les uns les autres, chacun saturé de stimuli,
exposant le sujet à un chaos sensoriel, un envahissement massif, extrêmement anxiogène.
Sentiment de confusion, ou au contraire de fascination, peuvent ainsi s’en suivre.
Certains comportements visuels altérés, défauts de perception visuelle et d’intégration du
mouvement oculaire peuvent par exemple constituer des stratégies pour fuir une sollicitation
excessive, en recourant à « la vision périphérique, par le simple fait qu’elle réduit l’excitation
fovéale et par la même occasion les informations visuelles parasitant l’objet de focalisation »
(ibid.).
Contraindre une personne à focaliser son attention sur un objet en particulier peut par exemple
contribuer à accroître chez elle le sentiment de confusion et de débordement dû à un trop-plein
de stimuli visuels et amplifier son angoisse.
« Si la pression environnementale est perçue comme intolérable, non maîtrisable ou
menaçante, le seul moyen d’y faire face est de mettre en œuvre des comportements disruptifs
dans l’objectif d’une réduction de l’angoisse et d’une reprise ou d’un sentiment de reprise de
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contrôle des systèmes sensori-perceptifs » (Charras, 2008, p. 183). Tordjman (2001) évoque à
cet égard le rôle joué par les facteurs environnementaux, et notamment des stimulations
sensorielles perçues comme trop intenses, non compréhensibles et non maîtrisables, dans le
renforcement de conduites d’automutilation comme mécanisme de réponse au stress.
Stéréotypies motrices, autostimulation, offrant une voie de décharge de la surexcitation
provoquée, passages à l’acte, permettant d’en supprimer l’origine présumée, se présentent
comme des voies de dégagement les plus souvent observées pour contenir les effets de cette
hypersensibilité. Adopter des conduites de retrait ou d’évitement, se couper de ses sensations
perceptives en forment d’autres, menant à une hyposensibilité que l’on pourrait qualifier de
réactionnelle, quand elle n’est pas structurelle, s’accompagnant parfois de troubles pouvant
avoir des conséquences dramatiques : indifférence aux stimuli aversifs, asymbolie à la douleur.
b. Hyper-sélectivité
Cette hypersensibilité se double généralement d’une hypersélectivité, autrement appelée
"pensée en détails" puisqu’elle se caractérise par la prépondérance donnée à certains détails
perçus dans l’environnement, dont les motifs de choix électifs et les significations qui leur sont
associées relèvent d’une logique propre au sujet, difficilement accessible le plus souvent. Une
focalisation extrême sur ces détails peut dès lors limiter le sujet dans sa vie quotidienne, quand
leur absence ne conduit pas à une incapacité à reconnaître le contexte général d’une situation,
ou à lui donner la signification souhaitée.
H. De Clerq (2005) rapporte par exemple le vécu de son fils autiste, Thomas, qui ne peut la
reconnaître et se la représenter comme étant sa mère qu’à la seule condition qu’elle porte
toujours la même paire de boucles d’oreilles.
c. Non contextualisation
« L’autisme se caractérise par une singularité dans le traitement du dispositif perceptif »
(Renoux, 2006). L’interprétation perceptive des stimuli est à la fois sélective et absolue,
s’ancrant sur un certain nombre de caractéristiques discriminantes de l’environnement, dont la
permanence est nécessaire pour que soit appréhendée et reconnue l’entité perçue.
La contextualisation de la situation perçue (le fait qu’une des caractéristiques soit
momentanément absente du champ perceptif, du fait d’un élément conjoncturel) est très
difficilement appréhendée. L’interprétation perceptive probabiliste et inductive "standard", qui
renseigne et filtre les stimuli, à l’aune des événements, des contextes de relations sociales…
n’est pas accessible aux personnes présentant des troubles de type autistique. Ainsi, la
disparition d’un élément de l’environnement ne permet pas, ou très difficilement et dans un vécu
de grande angoisse, de reconnaître cet environnement, d’en percevoir la permanence : ainsi,
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un objet déplacé, un changement de couleur… ne sont pas perçus comme liés à un évènement
n’affectant pas la globalité de la scène perçue (utilisation momentanée de l’objet, réfection d’un
local) du fait de l’impossibilité de lier percepts actuels et contextualisation (objet emporté par le
soignant le matin-même… travaux du peintre, la veille). De ce fait, « les personnes autistes perçoivent l’ensemble des détails d’une situation sans les
hiérarchiser quant à leur pertinence explicative du contexte. Ne filtrant pas leurs perceptions,
les autistes sont submergés par les stimuli, sauf à s’en abstraire en focalisant leur concentration
sur un centre d’intérêt ou une source prévisible de stimuli » (Renoux, 2006). La personne
autiste est donc caractérisée par une hypersensibilité perceptive, avec pour conséquence, des
conduites de sélection face à l’environnement, pour fuir « une cacophonie qui rapidement la
saturerait et l’agresserait » (ibid), avec pour conséquence fâcheuse de rendre indispensables
ces détails, objets d’une fixation sensorielle sécurisante.
d. De la dimension neurobiologique à l’approche clinique
L’appareil psychique se construit dans et par la relation à l’Autre, dans le cadre d’interactions
entre des facteurs endogènes et l’environnement. Le concept de pulsion, définie par Freud
dans Trois essais sur la théorie sexuelle, se situe à l’articulation entre le substrat somatique et
le psychisme ; la mise en place des circuits pulsionnels est fondamentale dans la construction
de l’appareil psychique. Les sensations intéroceptives (sensations internes) ou extéroceptives
(stimuli externes) constituent la source des pulsions ; ancrées dans le corporel, elles génèrent
une poussée (d’où le terme de pulsion), un état de tension qui demande à être abaissé voire
supprimé. Et c’est dans le cadre des relations intersubjectives, que ce but pourra être atteint :
grâce à l’objet investi par le sujet, (objet, entendu ici au sens psychanalytique, c'est-à-dire la
personne ou l’aspect de la personne investie) pour satisfaire sa pulsion.
Dans les tout premiers mois de sa vie, pour peu que ces expériences s’accompagnent d’une
sensation de plaisir, elles permettent peu à peu au bébé de tolérer et "traiter" ces éprouvés
initialement désagréables, en même temps qu’il prend conscience de l’existence d’une réalité
extérieure, indépendante de lui, mais suffisamment bienveillante à son égard. C’est le cas par
exemple lorsque le sein donné par la mère au bébé apaise sa faim, en même temps qu’il se
rassure progressivement, par la répétition de cette expérience, sur la possibilité d’être de
nouveau rassasié quand réapparaîtra cette sensation déplaisante, grâce à un Autre (la mère)
dont il dépend, et en qui il peut avoir confiance. Qu’en a-t-il été de cette expérience chez les personnes atteintes de troubles envahissants du
développement, considérant les déficits sensoriels massifs que l’on vient de décrire ? Meltzer,
cité par H. Ray Flaud, parle du psychisme des personnes autistes comme le résultat d’un «
démantèlement du Moi en ses capacités perceptuelles séparées ; le voir, le toucher, l’entendre,
le sentir… qui, au bout du compte réduisent ce Moi en une multiplicité d’évènements
unisensoriels dans lesquels, animé et inanimé deviennent indistinguables », de même
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qu’intérieur et extérieur, pourrions-nous ajouter (2008, p.184).
L’approche clinique, on le voit, rejoint les travaux évoqués plus hauts en neurobiologie
concernant les déficits sensoriels de la personne présentant des troubles de type autistique : «
tout se passe comme si [elle] juxtaposait des sensations les unes à côté des autres dans une
sorte de patchwork qui n’a ni profondeur ni relief » (Houzel, 2006, p. 59), et qui ne peuvent être
articulées et acquérir un sens pour être intégrées de façon constructive dans l’histoire et le
psychisme du sujet. Les premières étapes de la construction psychique visant à permettre au
bébé de supporter des éprouvés désagréables liés aux pulsions qui l’habitent, et à constituer
une limite différenciatrice et protectrice entre lui et l’extérieur, sont mises à mal. « Tout se passe
pour l’autiste comme si la relation à autrui ne lui avait pas permis de donner sens à ses
expériences, qui restent au niveau de sensations éparses, sempiternellement répétées à
l’identique et faisant obstacle à la découverte du monde… » (ibid., p. 63).
Ainsi, que les déficits neurobiologiques soient inauguraux ou qu’ils leur soient consécutifs, la
non-construction ou la déconstruction des éléments fondamentaux de la structure et du
fonctionnement du psychisme apparaissent centraux dans le tableau clinique des personnes
présentant des troubles envahissants du développement. 1.2 Permanence et contenance : des limites floues entre soi et le monde
a. Une problématique de la différenciation et de la représentation
« Pour reconnaître que l’autre n’est pas confondu avec nous et que nous ne sommes pas
confondus avec l’autre, nous avons besoin à la fois d’établir une frontière qui délimite ces deux
espaces (l’intérieur de l’objet et l’intérieur de soi) et de franchir l’intervalle ainsi créé pour
communiquer avec l’objet » (Houzel, 2006,
p. 59). Individuation et différenciation par constitution d’une réalité extérieure distincte de soi,
représentation de soi et d’autrui, mise en place des premières formes de l’intersubjectivité se
trouvent affectées, rendant précaire le déploiement d’un univers interne (celui de l’imaginaire
puis des pensées), distinct mais en lien avec la réalité extérieure et les autres sujets qui
l’occupent.
Se conjuguent ici déficit de la structuration du psychisme et des fonctions de traitement des
informations perceptives qui amènent la personne autiste à se replier dans un « espace clos et
retourné sur lui-même » (ibid).
F. Tustin (1972) a entre autres formulé l’hypothèse qu’une telle position aurait pour fonction de
lutter contre un éprouvé angoissant massif, un vécu de "catastrophe autistique", consistant à
ressentir toute prise de conscience qu’autrui (la mère en l’occurrence, ou la personne en charge
des tous premiers soins maternels) est corporellement séparé de soi comme un sentiment
d’arrachement, de perte irrémédiable d’une partie de soi-même. Ressenti conforté par le fait
que l’autre peut s’absenter : non seulement n’être pas ou que peu disponible psychiquement,
dans la relation, mais encore être physiquement absent, du moins momen­tanément. Les
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angoisses de séparation d’avec la mère, dans ce contexte, sont vécues comme une menace de
désorganisation, d’anéantissement ou de mort (Tardjman et Ferrari, 2001 ; Charras, 2008).
Notre rapport au temps, à la temporalité linéaire dans laquelle s’inscrit notre existence
biologique, est aussi immature à la naissance que notre rapport à l’espace. Cette double
construction s’échafaude dans l’expérience que nous faisons des tous premiers soins reçus,
faite de séquences (présence, absence, retour… des pulsions, des désirs, des frustrations, des
êtres chers…). Survivre à l’expérience de l’absence de l’autre, que fait tout bébé au cours de la
construction de son appareil psychique, passe par la mise en place d’une représentation de
l’autre en soi : faire exister, pour soi, en soi, l’autre absent, jusqu’à son retour, permet de tolérer
ce qui autrement, serait vécu comme une perte irrémédiable. La dimension spatiale se déploie
ainsi, dans une temporalité tolérable, mettant aux prises une aire intérieure imaginaire distincte
de la réalité extérieure ; une aire sur laquelle se trouve assuré le sentiment de permanence de
l’autre pendant son absence, quand il se trouve en dehors du champ perceptif immédiat.
Or, chez la personne autiste, l’autre ne peut être perçu dans sa différence radicale, sauf à
s’éprouver comme amputé ; la violence de cette expérience catastrophique fait barrage à toute
tentative de subjectivation et à tout accès au travail de la représentation. Ajoutons que cette
situation catastrophique inaugurale d’une angoisse de la perte de la mère rend toute situation
de séparation synonyme d’amputation de soi : ce qui touche aussi bien aux personnes qu’aux
vêtements, aux objets personnels, et même à ses propres déchets. A la problématique touchant
le référentiel spatial, se greffe donc une incapacité ou une grande difficulté pour la personne
d’accéder à la possibilité d’intégrer une temporalité, faite d’un avant, un pendant et un après. Là
encore, les constats formulés dans les champs de la neurobiologie et de la psychologie
clinique, peuvent nous permettre de comprendre ce qui fait obstacle à un tel processus.
En effet, être capable de se représenter mentalement, psychiquement, autrui en son absence
est une expérience rendue d’autant plus aléatoire chez l’enfant souffrant de troubles
autistiques, que sa perception et sa représentation de l’espace sont caractérisées par un déficit
dans l’acquisition de la notion de permanence, sur le plan cognitif.
Les travaux de Piaget ont en effet permis de montrer que l’exploration sensori-motrice liée au
développement de la pensée est seule garante de la capacité que va avoir l’enfant de se
représenter intérieurement le monde réel, à partir de ses perceptions et d’un travail
d’abstraction mené sur celles-ci. Ainsi, pour ne pas rester prisonnier du seul règne de la sensorialité, l’enfant doit être capable de
rassembler, d’ordonner et de lier entre eux les différents stimuli perceptifs relatifs à une
situation donnée (par extension : à un environnement, à un objet, à une personne…) en faisant
l’expérience de changer de point de vue sur cette situation. Or, dans son rapport à l’espace, le
sujet souffrant de TED, est mis en échec dans ses tentatives :
• pour acquérir la notion de permanence des objets et des espaces, alors même que les
stimuli perceptifs qui leurs sont liés changent au cours de l’expérience exploratoire, et qu’il ne
peut les lier et les interpréter ; • pour unifier ces perceptions afin d’intégrer une image abstraite de l’environnement en
faisant mentalement cette expérience de changement de point de vue, tout d’abord à partir de
l’exploration réelle de l’environnement, puis sans même avoir à bouger.
Aux déficits présentés par les fonctions sensorielles et dans la construction psychique d’un soi
différencié, se conjuguent ainsi les difficultés rencontrées dans la mise en place des outils
cognitifs visant les capacités d’action et d’abstraction de l’environnement. Chez le sujet autiste,
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pour qui les limites et la différenciation Moi / non-Moi ne sont pas établies, se décentrer est
impossible, si ce n’est dangereux, car cela revient à devoir adopter le point de vue de l’autre –
donc à reconnaître l’autre comme différent –, et à tolérer de prendre sa place et son regard
sans se perdre, sans perdre le sentiment de soi.
Les ratés du travail de représentation s’avèrent donc intimement liés à l’échec de la
différenciation entre soi et l’extérieur (l’environnement, ses objets et les autres). Se représenter
l’espace réel externe, et ce/ceux qui l’occupe(nt), dans le monde interne est donc une
expérience compromise, vouant à l’échec toute tentative de déploiement d’une vie
fantasmatique, imaginaire et symbolique interne riche et sécurisante. Tout au contraire, la
personne atteinte de TED est plus souvent en proie à un sentiment angoissant,
quasi-permanent, de n’être pas séparé, distinct de ce qui l’entoure.
b. Une enveloppe défaillante : limite et contenance à l’épreuve
Les troubles envahissants du développement se traduisent ainsi, entre autres, par un défaut
d’enveloppe psychique caractérisée par une très grande difficulté, voire une impossibilité,
d’établir une limite différenciatrice avec l’extérieur, fondatrice de l’instauration des différences
fondamentales (dedans / dehors, Moi / non-Moi, différences générationnelles et sexuelles).
Cette différenciation insuffisante, qui rend caduque toute tentative de représentation /
intériorisation de l’extérieur, place de fait l’ensemble des transactions avec le monde
environnant (individus, objets, espaces) sous le primat des stimuli perceptifs immédiats ; nous
en avons vu plus haut les conséquences.
Ne pas pouvoir s’éprouver comme sujet unifié et séparé fait vivre la personne atteinte de TED
dans une grande souffrance, et plus encore une grande terreur due à une confusion extrême
entre dedans et dehors non séparés, à des perceptions d’origine non identifiable (ressenti
interne ? stimulus externe ?). Les cliniciens décrivent ainsi des éprouvés de désorganisation, de
morcellement, de liquéfaction, d’expansion des contenus internes vers l’extérieur, ou a contrario
des vécus d’intrusion, d’effraction de la réalité extérieure en soi.
On assiste alors soit à un désinvestissement massif et systématique du monde extérieur, par
crainte de ne pouvoir le contrôler, soit à un surinvestissement très ritualisé et partiel de celui-ci
pour mieux en assurer la maîtrise ; conduites visant un même objectif : ne pas être en proie, sur
la scène psychique interne, au perpétuel mouvement et changement auquel confronte le monde
extérieur, perçu comme anxiogène et morcelant, du fait de ce défaut de limite entre
dedans/dehors (limite seule à même de permettre au sujet d’éprouver un sentiment d’unité et
de stabilité de sa personnalité, face à la diversité des personnes, des situations, des lieux, et de
leurs changements propres).
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Houzel (2008), à la suite des travaux de Meltzer, évoque le ruban de Moebius pour décrire le
vécu du sujet autiste dans son rapport confus à un espace interne / externe indifférencié.
« Sur une telle surface on ne peut plus distinguer […] une face interne et une face externe […]. Dès que
Sous l’effet de la torsion, l’enveloppe, dès lors qu’elle pourrait se constituer, échouerait donc à
distinguer un dedans d’un dehors, à établir une limite jouant rôle d’interface et susceptible de
servir de siège et de contenant pour des éprouvés et des pensées.
Dans le même esprit, Anzieu et ses suiveurs se sont attachés à expliquer la défaillance des
fonctions de contenance à partir de la notion de Moi-Peau et de ses déficits. Anzieu, à l’origine
de cette notion de Moi-Peau, la définit comme la « figuration dont le Moi de l’enfant se sert au
cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi
contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps » (1974,
p. 207).
Il s’agit d’un concept-métaphore qui permet de comprendre comment s’opère la construction du
Moi, et son fonctionnement chez le sujet ; il s’agit de l’instance intégrative et synthétique de la
personnalité, en charge d’assurer une mise en relation la plus harmonieuse possible entre les
désirs du sujet et les contraintes de la réalité extérieure. Pour que la vie psychique puisse se
déployer en marge et en lien avec l’extérieur, il est indispensable que les contenus psychiques
(désirs, angoisses, fantasmes, pensées, imaginaire…) puissent être consciemment et/ou
inconsciemment localisés en soi. Le Moi-Peau représente ce contenant, qui se constitue en
appui sur les éprouvés corporels eux-mêmes contenus dans notre corps, dont notre peau
constitue l’enveloppe interface avec le monde extérieur. De même que la peau constitue la limite entre le dehors et l’intérieur du corps, siège de
sensations physiologiques, le Moi-Peau s’érige en réceptacle pour la vie psychique, distinct de
la réalité extérieure et de la vie psychique des autres sujets (leurs pensées, leurs désirs, leurs
angoisses qui ne sont pas les siennes…). De même que la peau forme "le sac" contenant et
soutenant squelette, organes et muscles, le Moi-Peau assure le maintien (le holding
winnicottien) et la contenance (le handling winnicottien) des contenus psychiques. 9 / 24
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De même que la couche superficielle de l’épiderme reçoit des excitations exogènes et protège
l’organisme des stimuli externes et des agressions physiques, le Moi-Peau a pour fonction de
défendre le psychisme contre l’effraction pulsionnelle en « traitant les stimuli endogènes et
exogènes » (Séchaud, 2007, p. 28). Fonction du Moi autrement repérée et désignée par Freud
sous le terme de pare-excitation. De même que la peau contribue sur le plan physiologique à définir notre identité (grain, couleur,
texture, odeur, marques…), le Moi-Peau remplit une fonction d’individuation, « il apporte le
sentiment d’être unique et la possibilité de se reconnaître et de s’affirmer comme individu
différencié et différent » (Ciccone, Lhopital, 2001, p.133).
On conçoit dès lors que la difficulté à rassembler, ordonner et lier les éprouvés corporels pour
percevoir l’unité du corps-propre et la fonction de contenance et de limite assurée la peau
puisse grever les chances pour une personne souffrant de TED de constituer un Moi-Peau
efficient. Chez les personnes autistes, il a par exemple été clairement identifié des « déficits du
Moi-peau entraînant de profondes angoisses primitives de "chute sans fin", de "liquéfaction" »
(Charras, 2008, p. 264), mettant en jeu ses fonctions de maintenance et de contenance.
Et c’est bien parce que la vie psychique trouve dès lors des zones de prolongement à l’extérieur
de soi, du fait d’un corps et d’une psyché en mal de structuration, non perçu comme contenant
de la vie biologique et psychique, que ce qui se produit à l’extérieur peut être vécu
douloureusement comme attaque ou bouleversement du sujet.
c. Le besoin d’immuabilité (sameness)
Kanner, quand il fait la description en 1943 de l’autisme infantile, caractérise cet état par deux
symptômes majeurs : l’isolement social (aloneness) et le besoin d’immuabilité (sameness), qu’il
définit comme un besoin impérieux de maintenir stable et inchangé l’environnement habituel ;
attitude qui a pour objet de limiter toute confrontation à des situations non maîtrisables, du fait
des déficits sensoriels et psychiques décrits précédemment. « L’organisation de
l’environnement semble […] jouer un rôle majeur et la réaction à la nouveauté, des personnes
avec autisme, se vit de façon très angoissante » (Charras, 2008, p. 148).
Résistances au changement, recours à des routines ou rituels, se présentent comme autant de
moyens de rendre « l’environnement, sinon permanent, du moins aussi prévisible que possible,
malgré ses inévitables changements qui doivent être réduits ici au strict minimum supportable »
(Georgieff, 2008, p. 17). Attitudes qui peuvent porter aussi bien sur l’espace physique (sécurité
et stabilité du territoire) que sur l’espace interpersonnel (prévisibilité de la présence et des
comportements d’autrui). L’immuabilité est le meilleur garant contre l’envahissement par des
stimuli perceptifs nouveaux ou changeants, non maîtrisables, ou contre l’angoisse d’un
éparpillement de ses propres contenus psychiques dans une réalité extérieure vécue comme
potentiellement menaçante.
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Partie 2 .
Référentiel spatial pour des espaces adaptés
La personne autiste « souffre de n’être qu’un corps, mais de ne pas l’habiter. Les espaces
doivent l’amener à "habiter la maison de son corps", lui permettre de se rassembler. […] Les
espaces doivent donc être conçus pour rendre l’environnement prévisible afin de [lui] éviter de
vivre dans de trop fortes angoisses en lui donnant des repères qu’il n’a pas intériorisés »
(Perocheau N., p. 48-49)
Toutefois, il semble important d’aboutir à un délicat équilibre entre prise en compte de la
symptomatologie des troubles envahissants du développement, pour aménager des espaces
les moins anxiogènes possibles, sans définir exagérément certaines caractéristiques de
l’aménagement spatial en rapport avec tel ou tel déficit ou mode de défense ; le risque serait
grand alors de n’offrir à la personne que peu de possibilités de se confronter à une réalité autre
que celle qu’elle vit, sans perspective d’évolution, et pour certaines, d’intégration dans un
environnement plus banalisé (milieu ordinaire, lieu de vie…) face auquel elle ne serait pas
armée pour une telle confrontation.
Pour atteindre cet équilibre, force est cependant de constater que la littérature reste encore peu
prolixe en la matière ; nous trouverons donc appui sur quelques travaux théoriques ainsi que
sur le retour de multiples expériences institutionnelles, qui nous permettront, en lien avec ce
que l’on vient d’examiner sur l’univers de la personne atteinte de TED dans la partie
précédente, de repérer un certain nombre d’axes de réflexion et de point de vigilance à
observer dans la conception d’un environnement adapté.
Il s’agit ici, non pas de promouvoir une quelconque qualité thérapeutique de l’aménagement
spatial, mais plutôt d’examiner dans quelle mesure certains paramètres environnementaux
pourraient servir de "prothèses externes", supports de processus comportementaux adaptatifs,
sinon moins disruptifs.
2.1 Quel environnement de vie collective ?
a. La gageure de la prise en charge institutionnelle : le sujet aux prises avec le groupe
La prise en charge de personnes atteintes de troubles envahissants du développement et
présentant d’importants troubles du comportement a ceci de particulier, dans le cadre
institutionnel, qu’elle sollicite ces personnes à l’endroit même de leurs troubles psychiques :
dans la mise à l’épreuve de leurs limites défaillantes, d’une subjectivation en souffrance, par la
rencontre et la confrontation à l’Autre qu’impose notamment la vie de groupe.
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
Il s’agira alors d’éviter les grands groupes, particulièrement anxiogènes, générateurs de
phénomènes de co­excitation, notamment par le sentiment d’envahissement psychique qui peut
découler d’une cohabitation d’un trop grand nombre de personnes (ce que met particulièrement
en lumière le Référentiel du Conseil Général de l’Isère, 2005). Une certaine unanimité se
dégage des travaux sur le sujet et des retours d’expérience, tous les auteurs s’accordant à dire
que la capacité d’une unité prenant en charge des personnes présentant des troubles
envahissants du développement devrait être d’environ 8 personnes, encore plus quand elles
présentent d’importants troubles du comportement : « la taille doit permettre une viabilité du
projet d’établissement, et pour cela ne semble pas devoir excéder un nombre de personnes,
par groupe, se situant entre 6 et 8 » (Charras, 2008, p. 310). Une telle capacité, si elle ne va
pas sans poser question notamment en matière de moyens en personnels, semble en effet
constituer un seuil en deçà duquel les comportements disruptifs tendent à s’amenuiser en
fréquence et en intensité.
b. Plusieurs façons d’être ensemble…
Le primat de la sphère sensorielle dans les transactions avec l’environnement et le difficile voire
l’impossible accès au sentiment de permanence des êtres et des objets en dehors de leur
perception immédiate, pose la question de la capacité d’être seules des personnes atteintes de
TED, tout autant que celle de supporter la présente de l’Autre, des autres (résidents/patients et
éducateurs/soignants).
Être ensemble… cela doit pouvoir s’éprouver de multiples façons. Il importe de permettre, dans
/ par les aménagements spatiaux, à la personne autiste de faire l’expérience d’une ébauche de
séparation / individuation tolérable ; cela nécessite la mise en place de lieux et de temps de
séparation qui ne soient pas vécus comme rupture mortifère. Se mettre à distance ou en retrait
du groupe suppose pour le sujet de pouvoir trouver des moyens de réassurance contre la
disparition de l’autre (le soignant, le plus souvent), vécue comme immédiate et définitive dans
une sorte de répétition de la séparation catastrophique inaugurale. Face au risque de
l’éloignement ou de l’absence, intolérable pour la personne car ressentie comme disparation et
arrachement d’une partie de soi, il s’agit bien de mettre en place les conditions d’une
préservation du lien, autre que proximal.
Dans cette perspective, proposer à ces personnes des possibilités de mise à distance
relationnelle, où l’autre est absent de / dans la relation immédiate, mais peut rester présent
dans le champ perceptif, c’est permettre au sujet de faire l’expérience d’une séparation non
catastrophique, d’une opportunité de vivre l’expérience d’une transaction possible dedans /
dehors, d’une différenciation psychique a minima non dangereuse. Le maintien d’un contact
visuel semble pouvoir offrir à ces personnes un étayage continu sur la présence rassurante des
soignants, pour expérimenter la capacité d’être seul, sans l’être jamais vraiment. Cela suppose
bien évidemment que l’environnement soit traité de façon à tenir compte des troubles de la
sphère sensorielle qui caractérise le syndrome autistique.
Ainsi, « la variabilité et la quantité des espaces [collectifs] est importante » (Charras, 2008, p.
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
251). Selon nous, ils devraient présenter une conformation offrant au moins trois catégories de
sous-espace :
• la première que l’on qualifierait d’espace de l’être ensemble, où l’on peut se côtoyer sans
que ne soient nécessaires ou obligatoires les interactions entre les personnes présentes, • la deuxième renvoyant à un espace du faire ensemble, où l’activité partagée (même
passivement, en tant qu’observateur) induit un usage spécifique du lieu, • la troisième, l’espace de repli, propose une aire de mise en retrait de la situation groupale –
qu’il s’agisse d’être ou de faire ensemble – aménagée de façon à préserver un lien visuel
depuis au moins un emplacement stratégique vers la vie de groupe, offrant un espace de liberté
contenu et contenant, entre participation / sollicitation active et isolement, axé sur une
distanciation non anxiogène où le lien peut cependant perdurer.
Ce qui semble important, à la lecture des différents propos sur le sujet, c’est de « garder de
façon systématique et d’augmenter la lisibilité environnementale d’un lieu » en le dotant de
caractères stables, spécifiques à son usage, et suffisamment différenciés d’avec les autres,
pour faciliter « l’accession à une cohérence centrale, souvent citée comme une caractéristique
déficitaire des personnes avec autisme » (ibid).
Cette dialectique qui pourrait s’instaurer dans l’espace serait ainsi susceptible de se doubler
bien évidement d’un mouvement dynamique dans le temps, permettant au sujet d’expérimenter
l’alternance entre les temps de sollicitation externe et les temps de réassurance interne, les
moments où la prise de risque (à sortir, à s’éloigner, à découvrir de la nouveauté, à
expérimenter la relation ou sa cessation plus ou moins durable) n’est tolérable voire
recherchée, que parce que les temps de repli et de ressourcement sont respectés et cadrés,
même dans leurs manifestations pathologiques les plus difficiles à gérer au sein de l’institution.
Il importe donc de rechercher un équilibre entre le respect de l’espace personnel et le risque de
l’isolement inhérent aux problématiques de type autistique aboutissant au renforcement des
défenses pathologiques des sujets face à la montée de l’angoisse.
c. Fuir la situation groupale
Si la participation permanente du sujet, qu’elle soit active ou passive, à la vie du groupe relève
d’une forme de maltraitance institutionnelle, car ne lui préservant pas d’espace de liberté pour
exprimer son besoin de retrait, on constate tout autant que les configurations facilitant l’errance
et/ou l’isolement, pour fuir la situation groupale trop excitante ou intrusive, peuvent s’avérer
fortement anxiogènes. Les promoteurs de certains aménagements spécifiques aux populations
âgées présentant des démences de type Alzheimer en ont fait l’expérience, peu concluante. De
même pour les personnes autistes, favoriser la déambulation « accentuer[ait] l’agitation
probablement par le fait de n’atteindre aucun but. […] Le fait d’agencer l’environnement de cette
manière augmente[rait] la fréquence de ces comportements » (Charras, 2008,
p. 241).
S’il ne faut pas rejeter, au risque d’en nier les fonctions étayantes et défensives pour la
personne, de tels comportements d’errance et besoins d’isolement, il s’avère important de lui
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
permettre de les vivre de manière suffisamment structurante, afin qu’aller et venir d’un lieu à
l’autre contribue à faire effectivement l’expérience de la fiabilité du lien plus que de sa fragilité
anxiogène.
Plus qu’un simple besoin de liberté, d’échappée face à la situation de groupe ou de
confrontation à autrui, cette mise à distance pour être structurante et bénéfique pour la
personne qui la recherche, ne doit pas déboucher sur une ritualisation anxiogène.
Mais quelle que soit la réponse spatiale apportée, la problématique de l’errance et/ou de
l’isolement doit également être entendue dans ce qu’elle pose comme question à l’endroit de la
dimension collective de la prise en charge institutionnelle, et au caractère mortifère de l’unicité
de lieu qu’elle impose le plus souvent à la vie des personnes accueillies.
d. Des espaces collectifs contenants pour faciliter la rencontre de l’autre
Au cours de ses travaux de recherche, K. Charras (2008) s’est particulièrement intéressé à la
qualité des espaces collectifs destinés à la prise en charge de personnes autistes.
Les multiples entretiens qu’il a menés avec différentes catégories de professionnels lui ont
permis de mettre en évidence que « la limitation des stimuli et le volume des pièces, le contrôle
de l’environnement, le confinement des espaces, semblent être retenus par beaucoup […]
comme ayant une influence sur le comportement des personnes avec autisme ». Il cite ainsi
certains extraits des propos recueillis : « les espaces trop grands et trop hauts rendent difficile
la centration » ; un espace « ne doit pas être trop ouvert car [il] ne laisse pas de contrôle sur ce
qui se passe »… (p. 221).
La notion de contenance des espaces collectifs est au cœur de ces préoccupations, non
seulement dans le sens d’une réduction et d’une meilleure maîtrise des stimulations
sensorielles, mais encore en matière de contrôle des interactions groupales, si ce n’est
sociales. « Il semble évident au vu de nos données qu’une organisation en "espace ouvert"
(open space) ne soit pas pertinente » (p. 263). « Des environnements contenants permettraient
à l’individu avec autisme de s’y sentir suffisamment à l’aise et sécurisé pour pouvoir adopter
des comportements exploratoires » (p. 265). C’est ce qu’il a voulu vérifier dans un cadre
expérimental, afin d’évaluer l’impact de l’environnement sur l’autisme, plus spécifiquement les
effets d’une amélioration de la contenance dans l’aménagement des espaces collectifs.
Reprenant à son compte les principes de la méthode TEACCH, qui préconise une structuration
de l’environnement permettant de réduire l’impact des stimuli externes pour faciliter la
centration du sujet par une contenance mieux étayée sur l’espace concret, Charras émet
l’hypothèse qu’un espace ouvert « et par conséquent pas assez contenant, fréquenté par de
nombreux individus et ne comportant pas assez de barrières physiques, puisse provoquer un
excès de stimulation qui, de par la confusion / désorientation qu’elle provoquerait, donnerait lieu
à des comportements non-organisés, une aggravation des troubles inhérents à la
symptomatologie autistique et un amoindrissement des comportements adaptatifs à la situation
» (p. 275).
La vérification de cette hypothèse a donné lieu à la mise en place d’un dispositif expérimental,
visant le réaménagement d’un espace collectif ouvert au moyen de cloisonnements, pour créer
des sous-espaces plus contenants allant dans le sens d’une réduction des stimuli
environnementaux et d’un meilleur contrôle du niveau d’interaction. Différents outils d’évaluation
et grilles d’observation adaptés pour l’occasion* ont été exploités afin de mesurer avant
transformation, en fin de période d’aménagement (3 mois) et après le retrait des
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
cloisonnements pour un retour à la situation initiale (6 mois), les effets sur les résidents, tant sur
le plan somatique, psychologique que comportemental.
Nous ne rapporterons ici que les principaux résultats de cette expérimentation.
Un aménagement dont les facteurs d’ambiance sont mieux maîtrisés, permettant de réduire les
stimulations environnementales, paraît « faciliter les processus de traitement de l’information
[…] et par conséquent l’utilisation de la communication verbale et, de ce fait, les relations
sociales » (p. 298), ce qui semble corroborer les résultats d’autres recherches (Noens et Van
Berckelaer-Onnes, 2004).
Après une période de 3 mois, l’auteur observe sur les différents paramètres d’évaluation « une
diminution sur les échelles troubles de l’orientation, troubles de l’attention, craintes et
obsessions, troubles de l’énergie, troubles gastro-intestinaux et troubles neurologiques » (p.
284) ; troubles s’aggravant significativement à l’issue de l’expérience, suite au retrait des
cloisons.
* Système AMPP-4 et 5, CARS (Chilhood Autism Rating Scale), PL-ADOS (Pre-Linguistic
Autism Diagnostic Observation Schedule), ECAA-ECHA (Echelle de Conduites Auto-Agressives
et Echelle de Conduites Hétéro-Agressives)
Par ailleurs, « au niveau des conduites auto-agressives pour le groupe expérimental, nous
observons une diminution significative sur l’item "se taper, se cogner la tête ou le corps" […] et
remarquons également une tendance à la diminution non négligeable de l’item "se mordre" » (p.
285). La encore, ces conduites s’accentuent de nouveau après la levée du dispositif
expérimental. Les grilles d’observation quant à elles font état d’une amélioration de l’état
d’apaisement apparent, d’une diminution des déplacements non-organisés et des conduites
stéréotypées, à l’issue de la période d’aménagement des espaces collectifs, suivie d’une
dégradation de ces acquis dès lors qu’ils recouvrent leur état initial. On dénote également,
après amélioration, un abaissement du niveau d’adaptation des comportements des résidents
en réponse aux attentes et demandes des soignants.
Enfin, une meilleure contenance spatiale dans un cadre résidentiel en petit groupe permet de
noter « une diminution de la sévérité des troubles gastro-intestinaux […], considérés comme
une des données somatiques cliniques prédominantes du syndrome autistique » (Charras,
2008, p. 300).
L’amélioration de la contenance des espaces partagés semble donc constituer un axe fort du
travail de conception architecturale, afin de contrer les effets anxiogènes de la vie en
collectivité, susceptible de produire certains gains sur le plan neurobiologique et
comportemental.
2.2 Une modularité compatible avec un impérieux besoin d’immuabilité ?
L’accompagnement au quotidien de ces personnes dont la pathologie entraîne une dépendance
plus ou moins grande à autrui, et pour qui tout changement, vécu passivement, génère un vécu
angoissant car les mettant à la merci de l’évènement, va consister à lutter contre la tendance
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
naturelle d’évitement de tout changement, de toute expérience de rencontre du nouveau. Dans cette perspective, la prise en charge institutionnelle peut a minima s’appuyer sur le cadre
spatial qui en constitue la dimension la plus stable et continue, permettant de faire l’expérience
de la reconnaissance des limites, de la différenciation, de l’épreuve du changement (de lieu, de
situation, de contexte relationnel) avec pour points d’appui la présence et la parole rassurante,
contenante, humanisante des soignants. Mais cette stabilité et cette continuité de
l’aménagement spatial revient-elle à inscrire le besoin défensif d’immuabilité de la personne
autiste dans les lieux de prise en charge ?
Depuis le terrain de la pratique, il semble opportun de limiter les effets d’une "modularité"
effrénée de certains espaces (cloisons mobiles, supposées offrir une grande polyvalence
fonctionnelle aux locaux), de même que le recours à des matériaux et autres traitements de
surface contribuant à dématérialiser plus ou moins les limites entre espaces (vitrages
importants, parfois anxiogènes car non appréhendables du fait des troubles cognitifs et/ou
psychiques des personnes).
Toutefois l’usage exclusif d’un lieu pour une activité ne doit pas aboutir à conforter les
personnes dans leur besoin d’immuabilité. Faire l’expérience du changement permet au sujet
de développer ses capacités d’adaptation. « Depuis l’article fondateur de Kanner (1943),
l’autisme n’a cessé d’être représenté comme la concrétisation du besoin impérieux de maintenir
l’immuabilité de leur environnement. […] Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est
possible que l’environnement, s’il reste statique, risque de renforcer les ritualisations et les
comportements non-adaptatifs » (Charras, 2008, p. 265). S’appuyant sur les travaux de
Schneider (2006), l’auteur ajoute que « l’effet de l’enrichissement de l’environnement par la
modulation de ses aménagements aurait tendance à diminuer certains des symptômes
inhérents à l’autisme relatifs à la sphère sociale » (ibid.). Il apparaît donc que la cohérence dans
l’usage des lieux, plus que leur immuabilité et leur mono-fonctionnalité, soit à assurer : les lieux
d’activités à visée rééducative ou thérapeutique, dont l’accès et l’usage sont cadrés ne
devraient pas se confondre avec des espaces de la vie quotidienne (type salle de séjour,
salon…) à moins d’en constituer par exemple un sous-espace spécifique, n’en spoliant pas les
occupants habituels dès lors qu’une activité s’y met en place…
La polyvalence des locaux portant sur des usages trop différents devrait donc être écartée au
profit d’une spécialisation des espaces ; leur occupation contribuera ainsi à l’assimilation des
repères spatiaux et temporels par le sujet, suffisamment structurés et structurants. C’est ainsi
que le Réseau Autisme interprofessionnel du Bas-Rhin évoquait récemment la nécessité, «
pour ce qui est de l’architecture, de la
différenciation des espaces, en espace de travail, de repos, en lieu où l’on mange… [autant de]
configurations adaptées à la problématique autistique (moins de confusion entre les temps, les
lieux et leurs fonctions, présence de repères qui facilitent leur compréhension) » (Journée
d’études, juin 2006).
Une association systématique et non confusionnante entre un type d’espace et une activité,
voire également un horaire, peut ainsi contribuer à permettre au sujet de faire l’expérience de
changements non catastrophiques dans ce qui se produit dans une situation, dans la relation.
On rejoint bien évidemment là les travaux cliniques menés autour de la notion de cadre (Bion),
sensé figer un certains nombre de paramètres pour qu’un processus (notamment
thérapeutique) puisse y advenir. La morphologie, le choix des matériaux, le traitement de la
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
lumière et des couleurs, peuvent concourir à conférer une identité et une cohérence à chaque
espace et ses usages, à générer des typologies simples de locaux, au service d’une meilleure
compréhension des lieux, et d’une plus grande autonomie dans l’expérience spatiale du fait
d’un repérage facilité. 2.3 Quelles précautions face à une sensorialité exacerbée ?
Face au chaos de stimuli perceptifs, qui constitue bien souvent l’univers sensoriel des
personnes atteintes de troubles envahissants du développement, comment répondre sur le plan
architectural et technique ?
Précisons d’entrée de jeu que l’objectif n’est pas de produire un environnement pauvre en
stimulations sensorielles, mais de faire en sorte d’aboutir à une richesse qui soit structurée par
un traitement spécifique des espaces, ce qui non seulement évitera les effets de
sur-stimulation, mais encore contribuera au repérage et à la différenciation des lieux par des
expériences sensorielles variées, selon les préférences de tel ou tel individu, la nature de ses
troubles ou son humeur du moment. Même si l’on connaît la préférence très fréquemment
observée de ces personnes pour les stimulations sensorielles proximales (toucher, goût,
odorat) par rapport aux stimulations sensorielles distales (vue, audition), ces dernières mettant
plus particulièrement le sujet en échec dans la compréhension des liens de causalité des stimuli
perçus, il importe de s’adresser à tous les sens du sujet.
a. Le confort acoustique
La multiplication des sources sonores, que la personne autiste ou présentant des TED ne sait
bien souvent ni localiser efficacement, ni discriminer, contribue à façonner un univers sonore à
la fois pénible et potentiellement terrifiant pour elle. Il importe donc d’apporter un réel confort
sur ce plan, d’autant plus qu’il est impossible pour un individu d’assurer la maîtrise de son
environnement sonore (sauf en se bouchant les oreilles). Dans cette perspective
l’insonorisation des lieux notamment collectifs (avec limitation des configurations et des choix
de matériaux réverbérants) et l’isolation acoustique des espaces privatifs (chambres) sont à
assurer efficacement.
b. Le confort visuel
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Selon la destination d’un local, il importe de prendre en compte les difficultés de focalisation et
d’interprétation des stimuli visuels des personnes, en limitant autant que possible les
sollicitations parasites dès lors qu’il s’agit d’une activité demandant un effort de centration. Les
études et compte-rendu d’expériences sur le terrain incitent également à éviter les espaces
totalement dégagés exposant au regard de l’autre (grandes pièces rectangulaires, longs
couloirs), pour privilégier des espaces contenants où le contact visuel est plus cadré. On
remarquera que bien souvent cette préconisation va à l’encontre de l’attente des personnels
soignants qui attendent de la configuration des locaux, si elle ne doit pas être pour autant
panoptique, qu’elle favorise la surveillance.
c. Les ambiances lumineuses
Toute réflexion sur les ambiances lumineuses doit impérativement amener à proscrire les
dispositifs luminescents instables, type éclairages fluorescents. Ceux-ci entraînent une
excitation fovéale intense due à l’effet stroboscopique provoqué par la basse fréquence de
l’alimentation électrique, notamment sur les tubes à ballast ferromagnétique, que les autistes
distinguent avec une grande acuité en générant chez eux un très grand inconfort. Les
éclairages de type incandescent ne présentent pas cet inconvénient et confèrent un aspect plus
résidentiel et une ambiance plus chaleureuse (du fait notamment de leur température de
couleur plus chaude). L’éclairage indirect (appliques, plutôt que plafonnier) permettra de limiter
les situations d’éblouissement, lié aux conduites d’évitement visuel et/ou à l’adoption d’une
position allongée au sol fréquente chez ce type de personnes, et permettra de créer des
ambiances lumineuses diversifiées.
Enfin, la possibilité de faire varier les ambiances lumineuses pourra apporter un réel bénéfice
dans l’usage de certains locaux, en fonction des personnes et des moments de la journée, de
l’activité accueillie : variateurs d’intensité, veilleuses, occultations (obscurité complète ou
lumière filtrée). La commande de tels dispositifs devrait semble-t-il rester du seul ressors des
professionnels (pour limiter les comportements obsessionnels, ritualisés), mais la possibilité
pour la personne de solliciter par exemple une ambiance plus lumineuse ou plus obscure peut
contribuer à faire émerger en elle le sentiment de pouvoir agir sur son environnement extérieur,
et de ne plus être agie par lui, via des stimulations sensorielles qui s’imposent à elle tant en
nature qu’en amplitude.
d. L’espace tactile et les matériaux
Comme le soulignent notamment les travaux de Tustin, « on peut facilement observer de
nombreux enfants se coller à des objets durs qui impriment une sensation tactile au niveau
d’une zone étendue du corps » (Ciccone, Lhopital, p. 46). C’est la sensation de dureté qui est
recherchée car elle répond comme par "prothèse" aux déficits d’un corps appréhendé comme
mou, non maintenu (cf. les travaux de G. Haag) et non contenu (cf. le Moi-Peau). Il semble
toutefois important de proposer des "ambiances" tactiles diversifiées permettant au sujet de
faire l’expérience de sensations tactiles et kinesthésiques variées. 18 / 24
Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
2.4 Appropriation de l’espace de la chambre et construction du sujet
« La personnalisation de l’environnement privatif est aussi un vecteur de renforcement
identitaire par l’inclusion des composantes familiales et culturelles » même si, « comme pour
les stimulations, il semble important de garder un aspect équilibré de la personnalisation afin
que celle-ci ne devienne pas objet de ritualisation » (Charras, 2008, p. 260) C’est un équilibre
difficile à trouver que celui qui consiste à favoriser l’appropriation d’un espace tel que la
chambre par un sujet, en tenant compte de ses modes pathologiques de relation aux objets,
pouvant renforcer des conduites disruptives, sans pour autant interdire toute personnalisation
confinant au dénue­ment et à l’uniformisation si caractéristique de l’univers asilaire.
Pour la personne autiste, « l’espace privé est considéré comme un lieu de retranchement […]
pouvant revêtir une dimension restauratrice et rassurante par un aspect contenant et familier »
(Charras, 2008, p. 259) ; or, pour revêtir de telles caractéristiques, le sujet doit pouvoir y trouver
à travers ses objets des points d’ancrage de son expérience spatiale et de son histoire, aussi
ténue soit la conscience qu’il en a.
S. Tisseron rappelle, dans une exploration des fonctions psychiques des objets, que « l’esprit
se structure à partir de l’appropriation progressive des objets peuplant le monde, véritables
supports de nos identités et auxiliaires de nos processus psychiques » (1999).
Une recherche ancienne, portant sur l’appropriation de l’espace par les objets chez les patients
d’un hôpital psychiatrique (Leroy, Bedos, 1970), montre comment l’investissement de l’espace
de leur chambre par les patients au moyen de leurs effets personnels, répond à des liens de
sens qu’il est intéressant de décrypter pour mieux cerner leur rapport au monde. Première
observation : les objets forment des réseaux par catégories, et leur positionnement et leur
usage dans la chambre répond à un différents besoins (sécurisation sur un mode régressif,
contenance, protection). Deuxième observation : le niveau de décoration et d’ordre est lié à la
nature des troubles des patients, soit sur un mode projectif, soit sur un mode défensif
particulièrement étayant. La relation et/ou le travail thérapeutique peut alors s’appuyer sur la
médiation par les objets du patient et leur usage. J.P. Fievet, dans la lignée des travaux de Tisseron, se livre à une clinique des objets et des
lieux, et s’interroge en ces termes : « ne devrions-nous pas, avant que d’intervenir, le plus
souvent de manière aseptisante et normalisante sur l’environnement de nos patients, tenter
d’en décrypter le sens, afin d’en saisir les prolongements les plus intimes et d’y retrouver une
parole ? ».
Plusieurs pistes peuvent être explorées pour favoriser la personnalisation et l’appropriation des
espaces. Les portes des chambres, tout d’abord, peuvent comporter des supports imagés
personnalisables plutôt que de se voir attribuer des numéros, permettant de faciliter le repérage
et l’identification, depuis l’extérieur.
Des panneaux d’affichage ou des niches aménagées dans les cloisons, moins dangereuses
que des étagères saillantes, peuvent accueillir les objets que la personne souhaite garder à sa
disposition. Les études précédemment évoquées plaideraient pour l’installation de niches en
des endroits stratégiques de la chambre : proche de la porte d’entrée (accueillant des objets
considérés comme protecteurs, dont l’usage contribue parfois à la résorption ou la réduction
des angoisses au moment de l’endormissement), à proximité du lit (pour les objets renvoyant à
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
la sphère péri-corporelle, et à l’univers maternel, d’avec lesquels le sujet redoute la séparation
comme menace d’une perte de soi ou de perforation de sa propre enveloppe), sur une cloison à
l’opposé du lit (regroupant les objets de l’univers social et familial élargi). Si, pour des raisons
médicales ou pour limiter les conduites disruptives, l’accès à l’ensemble de ses effets
personnels ne peut être laissé au résident/patient, le placard peut être doté d’un compartiment
librement accessible.
Ajoutons enfin que l’appropriation peut être envisagée au niveau collectif dans les locaux
partagés, à partir « de certains des effets personnels [des résidents] qu’ils accepteraient de
prêter dans cet objectif. Il est possible que certains de ces objets puissent avoir une fonction
transitionnelle pour les personnes avec autisme, et qu’ils facilitent le passage d’un lieu à un
autre ou d’une activité à une autre, qu’il s’agisse d’une activité de la vie quotidienne, de loisir ou
éducative » (Charras, 2008, p. 253).
2.5 Les espaces pour contenir l’irruption de la violence
Dans un service accueillant des personnes présentant des troubles importants du
comportement, il faut parfois faire face à l’irruption de la violence, à l’échec de la fonction de
contenance et de pare-excitation (des professionnels, puis des murs). Il faut alors pouvoir
recourir à un lieu permettant la contention (au sens clinique du terme) des débordements
pulsionnels du sujet, pour lui permettre un retour à l’apaisement. L’expérience montre en effet
que face à des conduites auto- et/ou hétéro-agressives parfois intenses, la capacité de
résistance du cadre matériel est mise à l’épreuve par le sujet, qui recherche une limite à sa
propre destructivité. Le retour à l’apaisement y est bien souvent conditionné.
Mais les réponses à cette situation peuvent être variées : si l’on se doit disposer d’espaces pour
contenir les troubles du comportement violent, il peut s’avérer fructueux d’en offrir d’autres pour
tenter de les prévenir. Pour cela, 2 dispositifs : la chambre d’isolement (que l’on n’évoquera pas
ici, puisqu’abondamment traitée dans la littérature psychiatrique sur le sujet), et l’espace
d’apaisement.
L’expérience montre que l’usage de ces 2 catégories d’espaces est complémentaire. La
chambre ou l’espace d’apaisement est ainsi utilisé différemment de la chambre d’isolement,
dont l’usage répond à des situations et un protocole non seulement bien cadrés sur le plan
réglementaire, mais également dans une démarche qui relève bien souvent de la contrainte. Il
s’agit d’un espace qui peut être investi de façon volontaire ou négociée par/avec le sujet, qui lui
permet de trouver dans cette démarche l’opportunité de s’éprouver agissant face à ses
débordements pulsionnels, et non plus en position d’en subir les effets dans un état d’angoisse
accru, du fait même de ne pouvoir les maîtriser. La chambre de la personne peut dès lors
recouvrer sa vocation d’espace privatif, de lieu de l’intime.
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2.6 S’aventurer au-delà des murs : quels aménagements extérieurs ?
Quel traitement proposer au-delà des murs du service ou de l’unité de vie ? Cette interrogation
est d’autant plus importante que le traitement des espaces extérieurs est d’abord une question
de limites, qui peuvent être particulièrement floues et plus ou moins éloignées, de ce fait trop
peu structurées et contenantes pour étayer des limites dedans/dehors, moi/monde, par trop
vacillantes chez les personnes autistes.
Car il est toujours ici question d’un dedans et d’un dehors : l’intérieur et l’extérieur du bâtiment /
l’intérieur d’un jardin ou d’une cour et l’extérieur (le parc, le reste de l’institution, le domaine
public…). Et au-delà de la question du traitement de la limite (la clôture) qui a certes son
importance, c’est à l’aménagement même de ces espaces extérieurs qu’il faut accorder une
grande attention.
« Le cadre de l’environnement extérieur doit garder une certaine contenance afin de faciliter
leur accession par les personnes avec autisme sans qu’elles se sentent menacées ou en
danger » (Charras, 2008, p. 256).
Quand on pense espace extérieur contenant, c’est bien souvent l’espace du patio qui se
présente comme la réponse optimale ; pour être intéressant, à l’attention de certaines
personnes, car potentiellement plus sécurisant, le patio n’épuise pas toutes les réponses
possibles, ni tous les aspects de la question. La configuration offerte par le patio présente en
effet l’inconvénient de générer un espace du dehors, en dedans, un espace extérieur enclos à
l’intérieur du bâtiment ; configuration pouvant faire écho à la problématique d’inclusion /
renversement entre intériorité/extériorité au cœur du syndrome autistique… configuration
pouvant ainsi renforcer l’état de confusion dans lequel peut être plongé un sujet en grande
difficulté pour établir ses propres limites avec l’extérieur, et s’assurer que sa vie psychique ne
peut pas se "diluer" à l’extérieur, ni l’extérieur (les autres autant que les objets inanimés) le
contaminer ou le pénétrer.
Aussi, des espaces extérieurs diversifiés s’avèrent-ils pertinents (terrasse, jardin, parc) dont le
traitement n’est cependant pas indifférent… Peu bornés, trop vastes, ils favoriseront sans doute
peu l’autonomisation de la personne dans sa quête d’un espace personnel extérieur, par
manque de contenance (abolition ou éloignement des limites physiques, support d’une
enveloppe psychique de prothèse). Nombreuses sont les expériences d’aménagement de
vastes parcs paysagers désertés par des usagers qui restent d’eux-mêmes confinés non loin
des espaces familiers, fournissant les repères nécessaires à l’expérimentation du manque de
limites externes, sans que cela n’impacte la fragilité des limites internes.
Certains espaces, à proximité des locaux collectifs, pourront présenter une configuration
relativement enveloppante : au moyen de parois latérales dont certaines opaques et pleines,
d’autres à clairevoies par exemple ; ou à la périphérie ouverte mais dont le caractère de
contenance sera conféré par une avancée de toiture pas trop haute.
D’autres, plus éloignés, pourront présenter une configuration plus ouverte pour favoriser les
comportements exploratoires de sujets plus autonomes, ou dans le cadre d’un
accompagnement par un soignant apportant la sécurisation sur le plan relationnel, là où elle est
moins assurée au niveau spatial. Des espaces de pause, plus contenants, pourront agrémenter
un jardin très ouvert, pour ponctuer un parcours ou s’offrir comme un objectif, espace
21 / 24
Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
sécurisant et rassurant à atteindre pour expérimenter jusqu’à lui sa capacité à arpenter un
espace peu ouvert et peu contenant. Ces séquences peuvent reposer sur des jardins à
dominante minérale, autour de l’élément eau, sur des jardins sensoriels (couleur et parfum des
végétaux, textures de sol)… 2.7 Une expérience singulière : « la machine à serrer »
Temple Grandin, Pr à l’Université du Colorado, autiste atteinte du syndrome d’Asperger, s’est
attachée à rendre compte de son vécu intérieur, qui reste en grande partie énigmatique pour la
plupart des autistes. A travers de nombreuses communications, écrits et travaux de recherche
sur la prise en compte de l’expérience sensorielle très spécifique que font les personnes
autistes de leur environnement, elle apporte un témoignage précieux.
« J’ai un système auditif qui fonctionne comme un amplificateur au maximum de sa puissance.
[…] J’ai deux choix : je poursuis l’écoute et me laisse envahir par un déluge de sons, ou je me
coupe de la source des sons. […] Je ne peux pas moduler les stimuli auditifs qui m’arrivent.
Alors j’ai découvert que je pouvais me fermer à ces sons douloureux en inventant un
comportement autistique, rythmique et stéréotypé ».
Sur le versant tactile, elle ajoute : « un jupon qui frotte devenait comme du papier de verre qui poncera
m’excitait ». De ce constat lui est venue l’idée, adolescente, d’une machine susceptible de lui apporter ré
L’intérieur de la machine, enduit de mousse caoutchoutée susceptible d’être mise en pression
par un dispositif d’air comprimé, peut ainsi appliquer une pression ferme sur une grande partie
du corps. Selon elle, « l’utilisation régulière de la machine à serrer aide à modifier une partie
22 / 24
Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
des anomalies biochimiques provoquées par le manque de stimulations calmantes de la petite
enfance ». Et le dispositif de commande présente entre autres l’avantage de permettre à la
personne de maîtriser elle-même le niveau de stimulation souhaité.
Plusieurs de ses machines sont actuellement en service dans les cliniques d’intégration
sensorielle pour personnes autistes en Amérique du Nord.
Entre 1995 et 1997, T. Grandin a développé un projet de fauteuil dérivé de sa machine, avec le design
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Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
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