Troubles envahissants du développement et rapports à l`espace

Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace
Troubles envahissants du développement et rapports à
l’espace
Toute reproduction, même partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions
suivantes : Courteix S., 2009, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace,
LAF-ENSAL, Lyon, inédit, 35 p. Laboratoire d’Analyse des Formes -Ecole Nationale
Supérieure d’Architecture de Lyon
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon - Sept. 2009Stéphan COURTEIX Architecte
D.P.L.G.
Dr en Psychopathologie et Psychologie Clinique Préambule
Face au débat existant au sein de la communauté scientifique sur l’étiologie des troubles
précoces du développement, et plus particulièrement des troubles de type autistique, entre les
tenants d’un syndrome déficitaire (point de vue neuropsychologique et organiciste) et ceux d’un
syndrome défensif (approche psychanalytique), il semble de plus en plus pertinent de
considérer ces deux dimensions de façon dynamique et dialectique ; les formations
psychopathologiques se constituent bien souvent comme moyens de réponse face aux
difficultés rencontrées du fait des déficits biologiques… le terrain organique pouvant également
se trouver oblitéré par des troubles psychoaffectifs précoces massifs.
Une approche globale de la problématique autistique et plus largement des troubles
envahissants du développement apparaît donc préférable pour une bonne compréhension de
ses implications sur le versant environnemental.
En ce domaine, les spécialistes constatent que, « de façon générale, les troubles envahissants
du développement se caractérisent par une incapacité à constituer une relation affective et à
répondre aux stimuli provenant de l’environnement. Ainsi, certaines situations
environnementales et stimuli sensoriels peuvent déclencher [chez les personnes autistes] des
réponses au stress inattendues ou anormalement élevées, tant sur un plan biologique, que
comportemental, avec une difficulté voire une impossibilité à mettre en place des stratégies ou
des mécanismes de régulation adaptés pour faire face à des situations perçues comme
stressantes » (Tordjman, Charras, 2007).
L’hétérogénéité des tableaux cliniques laisse cependant apparaître au sein du syndrome
autistique quelques éléments dominants, en lien avec la problématique spatiale : 
• retrait autistique (repli sur soi, absence / fuite de contact avec l’environnement extérieur)
• troubles de la perception (sensibilité particulière, déficit d’intégration)
• besoin d’immuabilité (stabilité de l’environnement, conduites ritualisées)
• stéréotypies comportementales et/ou idéiques (avec, souvent, troubles du langage) 
Or, les difficultés d’une personne « ne résultent pas seulement des déficiences et des troubles
qu’elle présente, mais aussi de la non-adaptation de l’environnement physique et de soins dans
lequel elle évolue. Aussi, […] une approche thérapeutique complémentaire issue de la
psychologie environnementale consisterait à adapter l’environnement, dans ses dimensions
physiques et sociales, aux besoins psychologiques, en apportant par exemple un
environnement contenant et sécurisant susceptible de diminuer les angoisses et les stress des
personnes » (Tordjman, Charras, 2007)
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L’objet de ce document est d’ouvrir quelques pistes de réflexion, à partir d’un état des
connaissances sur la spécificité du rapport à l’espace chez les personnes atteintes de troubles
envahissants du développement, pouvant contribuer à la mise en place d’un référentiel en vue
de promouvoir un aménagement adapté à leur prise en charge.
Cet état des savoirs est cependant difficile à réaliser, tant les informations sont rares et éparses
; les travaux pour l’essentiel centrés sur l’autisme (le plus souvent sur l’enfant), bien que rares
en la matière, sont les seuls présents dans la littérature en lien avec la question architecturale.
Constat que semble confirmer
K. Charras (2008) qui s’est heurté, dans sa tentative de dresser un état des lieux de la
recherche européenne et nord-américaine sur la problématique environnementale en lien avec
les TED et l’autisme, à de nombreux obstacles, dus pour l’essentiel à une grande rareté des
travaux sur le sujet, et à un manque de structuration du champ de la recherche et de diffusion
de l’information. 
Dans une première partie, nous commencerons par dresser un tableau susceptible de restituer
le rapport au monde chez la personne atteinte de troubles envahissants du développement,
sans nous arrêter toutefois sur les différentes formes cliniques ni sur les hypothèses
étiologiques qui ne sont pas l’objet de ce travail, afin de repérer ce qui caractérise sur le plan
sensoriel d’une part, et au niveau du fonctionnement psychique, d’autre part, l’univers dans
lequel évoluent ces personnes. Cela nous amènera, dans une deuxième partie, à proposer
quelques pistes de réflexion et préconisations sous forme d’un référentiel, pour prendre en
compte les capacités et les déficits de ces personnes dans l’aménagement d’espaces adaptés
à leur prise en charge.
Partie 1 .
Le rapport au monde chez la personne atteinte de TED
1.1 La sensorialité et les troubles du rapport à l’espace
Les déficits de la sphère sensorielle liée à l’environnement, chez les personnes présentant des
troubles massifs et précoces du développement, et plus particulièrement les troubles de type
autistique, semblent au cœur de leurs troubles comportementaux. Processus de traitement de
l’information sensorielle et modalités d’ajustement comportemental au contexte présentent des
particularités que de nombreux chercheurs en neurobiologie ont mis en lumière. 
De leur côté, des personnes autistes, témoignant de leur rapport au monde (Temple Grandin,
Donna Williams, Gunilla Gerland, par ex.), décrivent toutes une perception très parcellaire des
objets et des espaces, un débordement par des sources de stimulation trop nombreuses, la
difficulté à se concentrer sur plus d’une modalité perceptive à la fois, et l’incapacité d’apprécier
un contexte relationnel et/ou social pour y répondre de façon adaptée.
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a. Hypersensibilité et hyposensibilité
Les troubles de type autistique présentent une caractéristique commune, selon la plupart des
recherches : la difficulté, voire l’impossibilité, de filtrer, d’ordonner et de donner sens aux
informations sensorielles. D’où la sensation d’être submergé par un trop-plein de stimuli
perceptifs, dont l’intensité perçue semble bien souvent supérieure à ce qu’elle serait chez un
sujet ne présentant pas ce type de déficit.
Certains travaux de recherche en neurobiologie menés récemment ont montré que le traitement
transmodal des perceptions ne fonctionne pas correctement chez les personnes présentant des
troubles de nature autistique (Zilbovicius, 2004), que les processus d’analyse de l’information
sociale et des stimuli environnementaux permettant une adaptation comportementale au
contexte sont défaillants du fait d’un développement limité de l’amygdale (Schultz, 2005).
S’en suit une difficulté voire une impossibilité de traiter de manière intégrative l’ensemble des
informations perceptives issues de chaque canal sensoriel (vue, ouïe, toucher, odorat,
informations posturales…) relatives à un environnement donné (espaces, objets qui le
constituent et/ou qu’il contient, individus…). Les divers espaces sensoriels (visuel, acoustique,
olfactif, tactile…) apparaissent ainsi comme isolés les uns les autres, chacun saturé de stimuli,
exposant le sujet à un chaos sensoriel, un envahissement massif, extrêmement anxiogène.
Sentiment de confusion, ou au contraire de fascination, peuvent ainsi s’en suivre.
Certains comportements visuels altérés, défauts de perception visuelle et d’intégration du
mouvement oculaire peuvent par exemple constituer des stratégies pour fuir une sollicitation
excessive, en recourant à « la vision périphérique, par le simple fait qu’elle réduit l’excitation
fovéale et par la même occasion les informations visuelles parasitant l’objet de focalisation »
(ibid.).
Contraindre une personne à focaliser son attention sur un objet en particulier peut par exemple
contribuer à accroître chez elle le sentiment de confusion et de débordement dû à un trop-plein
de stimuli visuels et amplifier son angoisse.
« Si la pression environnementale est perçue comme intolérable, non maîtrisable ou
menaçante, le seul moyen d’y faire face est de mettre en œuvre des comportements disruptifs
dans l’objectif d’une réduction de l’angoisse et d’une reprise ou d’un sentiment de reprise de
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contrôle des systèmes sensori-perceptifs » (Charras, 2008, p. 183). Tordjman (2001) évoque à
cet égard le rôle joué par les facteurs environnementaux, et notamment des stimulations
sensorielles perçues comme trop intenses, non compréhensibles et non maîtrisables, dans le
renforcement de conduites d’automutilation comme mécanisme de réponse au stress.
Stéréotypies motrices, autostimulation, offrant une voie de décharge de la surexcitation
provoquée, passages à l’acte, permettant d’en supprimer l’origine présumée, se présentent
comme des voies de dégagement les plus souvent observées pour contenir les effets de cette
hypersensibilité. Adopter des conduites de retrait ou d’évitement, se couper de ses sensations
perceptives en forment d’autres, menant à une hyposensibilité que l’on pourrait qualifier de
réactionnelle, quand elle n’est pas structurelle, s’accompagnant parfois de troubles pouvant
avoir des conséquences dramatiques : indifférence aux stimuli aversifs, asymbolie à la douleur.
b. Hyper-sélectivité
Cette hypersensibilité se double généralement d’une hypersélectivité, autrement appelée
"pensée en détails" puisqu’elle se caractérise par la prépondérance donnée à certains détails
perçus dans l’environnement, dont les motifs de choix électifs et les significations qui leur sont
associées relèvent d’une logique propre au sujet, difficilement accessible le plus souvent. Une
focalisation extrême sur ces détails peut dès lors limiter le sujet dans sa vie quotidienne, quand
leur absence ne conduit pas à une incapacité à reconnaître le contexte général d’une situation,
ou à lui donner la signification souhaitée.
H. De Clerq (2005) rapporte par exemple le vécu de son fils autiste, Thomas, qui ne peut la
reconnaître et se la représenter comme étant sa mère qu’à la seule condition qu’elle porte
toujours la même paire de boucles d’oreilles.
c. Non contextualisation
« L’autisme se caractérise par une singularité dans le traitement du dispositif perceptif »
(Renoux, 2006). L’interprétation perceptive des stimuli est à la fois sélective et absolue,
s’ancrant sur un certain nombre de caractéristiques discriminantes de l’environnement, dont la
permanence est nécessaire pour que soit appréhendée et reconnue l’entité perçue.
La contextualisation de la situation perçue (le fait qu’une des caractéristiques soit
momentanément absente du champ perceptif, du fait d’un élément conjoncturel) est très
difficilement appréhendée. L’interprétation perceptive probabiliste et inductive "standard", qui
renseigne et filtre les stimuli, à l’aune des événements, des contextes de relations sociales…
n’est pas accessible aux personnes présentant des troubles de type autistique. Ainsi, la
disparition d’un élément de l’environnement ne permet pas, ou très difficilement et dans un vécu
de grande angoisse, de reconnaître cet environnement, d’en percevoir la permanence : ainsi,
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un objet déplacé, un changement de couleur… ne sont pas perçus comme liés à un évènement
n’affectant pas la globalité de la scène perçue (utilisation momentanée de l’objet, réfection d’un
local) du fait de l’impossibilité de lier percepts actuels et contextualisation (objet emporté par le
soignant le matin-même… travaux du peintre, la veille). 
De ce fait, « les personnes autistes perçoivent l’ensemble des détails d’une situation sans les
hiérarchiser quant à leur pertinence explicative du contexte. Ne filtrant pas leurs perceptions,
les autistes sont submergés par les stimuli, sauf à s’en abstraire en focalisant leur concentration
sur un centre d’intérêt ou une source prévisible de stimuli » (Renoux, 2006). La personne
autiste est donc caractérisée par une hypersensibilité perceptive, avec pour conséquence, des
conduites de sélection face à l’environnement, pour fuir « une cacophonie qui rapidement la
saturerait et l’agresserait » (ibid), avec pour conséquence fâcheuse de rendre indispensables
ces détails, objets d’une fixation sensorielle sécurisante.
d. De la dimension neurobiologique à l’approche clinique
L’appareil psychique se construit dans et par la relation à l’Autre, dans le cadre d’interactions
entre des facteurs endogènes et l’environnement. Le concept de pulsion, définie par Freud
dans Trois essais sur la théorie sexuelle, se situe à l’articulation entre le substrat somatique et
le psychisme ; la mise en place des circuits pulsionnels est fondamentale dans la construction
de l’appareil psychique. Les sensations intéroceptives (sensations internes) ou extéroceptives
(stimuli externes) constituent la source des pulsions ; ancrées dans le corporel, elles génèrent
une poussée (d’où le terme de pulsion), un état de tension qui demande à être abaissé voire
supprimé. Et c’est dans le cadre des relations intersubjectives, que ce but pourra être atteint :
grâce à l’objet investi par le sujet, (objet, entendu ici au sens psychanalytique, c'est-à-dire la
personne ou l’aspect de la personne investie) pour satisfaire sa pulsion.
Dans les tout premiers mois de sa vie, pour peu que ces expériences s’accompagnent d’une
sensation de plaisir, elles permettent peu à peu au bébé de tolérer et "traiter" ces éprouvés
initialement désagréables, en même temps qu’il prend conscience de l’existence d’une réalité
extérieure, indépendante de lui, mais suffisamment bienveillante à son égard. C’est le cas par
exemple lorsque le sein donné par la mère au bébé apaise sa faim, en même temps qu’il se
rassure progressivement, par la répétition de cette expérience, sur la possibilité d’être de
nouveau rassasié quand réapparaîtra cette sensation déplaisante, grâce à un Autre (la mère)
dont il dépend, et en qui il peut avoir confiance. 
Qu’en a-t-il été de cette expérience chez les personnes atteintes de troubles envahissants du
développement, considérant les déficits sensoriels massifs que l’on vient de décrire ? Meltzer,
cité par H. Ray Flaud, parle du psychisme des personnes autistes comme le résultat d’un «
démantèlement du Moi en ses capacités perceptuelles séparées ; le voir, le toucher, l’entendre,
le sentir… qui, au bout du compte réduisent ce Moi en une multiplicité d’évènements
unisensoriels dans lesquels, animé et inanimé deviennent indistinguables », de même
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