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Transversal n° 40 janvier-février repères
selon laquelle les personnes âgées n’auraient plus de
sexualité. « Or, contrairement aux générations précé-
dentes, les baby-boomers conservent une activité
sexuelle », note Sylvie Cheneau, psychologue clinicienne
au service des maladies infectieuses de l’hôpital Bicêtre.
Ce que met en évidence la récente enquête nationale sur
la sexualité des Fraais
2
: près de 90 % d’entre eux ont
une activité sexuelle après 50 ans. Une sensible évolution,
puisqu’en 1972, seuls 60 % des couples déclaraient avoir
encore des rapports sexuels. Par ailleurs, différentes
études étrangères soulignent le manque dinformation
ciblée dont moignent les seniors. Au Canada, 27 % des
personnes de plus de 65 ans s’estiment mal informées
sur les moyens de prévention contre le VIH. Aux États-
Unis, la majorité des plus de 50 ans déclarent ne pas
recevoir suffisamment d’information sur ce virus. En
France, aucune enquête équivalente n’a été mee au
plan national. Mais seuls 6,5 % des appelants de Sida
Info Service sont âs de plus de 50 ans (alors que les
plus de 60 ans représentent 21 % de la population en
2007 selon les données Insee).
decins réticents. Peu conscients de cette évolution ou
sous l’emprise de préjugés, les médecins traitants propo-
sent peu le dépistage du VIH à leurs patients âgés de plus
de 50 ans. « Certains confrères ont vraiment beaucoup
de mal à se figurer qu’une vie sexuelle puisse perdurer,
alors que nous avons déjà annoncé leur séropositivité à
des gens parfois âgés de plus de 70 ans », souligne ainsi
Denis Méchali, chef de service des maladies infectieuses
et tropicales à l’hôpital Delafontaine (Saint-Denis). Or un
âge surieur à 50 ans est souvent associé à une décou-
verte tardive de la séropositivité, une fois atteint le stade
sida. En effet, l’immunité naturelle décline avec les années
repères par Sandra Mignot
Mortelle omerta
sur la sexualité des seniors
Quasiment invisibles dans l’épidémie de VIH en France, les plus de 50 ans représentent
pourtant quelque 15 % des nouveaux diagnostics de séropositivité. Une omerta
liée au tabou que représente la sexualité des seniors. Et un chiffre qui pourrait encore
augmenter si une prévention spécifique n’est pas rapidement mise en place.
1
21 % des dépistages positifs du VIH en Guadeloupe.
2
Enquête réalisée par l’Inserm, l’Ined et l’ANRS publiée
en 2007 (lire Transversal n° 36, mai-juin 2007, p. 7).
«C’est une maladie de jeunes, on pense qu’on ne peut
pas lavoir », s’étonne encore Jeanne, 68 ans, dont
l’infection au VIH a été dépistée en 1997. Originaire de la
République démocratique du Congo, cette aimable grand-
mère fréquentant la maison d’Ikambere à Saint-Denis
(Seine-Saint-Denis) pense que sa séropositivité est consé-
cutive à une transfusion. « De toute façon, avant la mala-
die, javais déjà abandonné toute relation sexuelle : à
mon âge, vous comprenez… » Ils sont pourtant nombreux
en France ceux qui, comme elle, ont été touchés par le
virus alors qu’ils ne s’estimaient plus concernés.
Entre 2003 et 2006, quelque 15 % de l’ensemble des
dépistages positifs
1
(source InVS) ont été enregistrés chez
les plus de 50 ans. Des chiffres qui ne tiennent pas
compte de la sous-déclaration que les scialistes esti-
ment importante parmi cette population.
Patients mal infors. Chaque médecin a un jour ren-
contré ces patients, souvent considérés un peu hors
normes. Quand on leur pose la question, tous fouillent
ainsi dans leurs dossiers pour se remémorer les situations.
«Ce ne sont pas des patients que nous voyons très fré-
quemment dans notre service, explique Jacques Gasnault,
neurologue et responsable de l’unité fonctionnelle de soins
de suite et de réadaptation à l’hôpital Bitre (Kremlin-
Bicêtre). Nous voyons surtout des personnes contaminées
depuis longtemps qui vieillissent avec le virus. » Avant de
répondre sur l’âge précis du patient, tous soulignent éga-
lement une interrogation : à partir de quand celui qui vient
consulter est-il vraiment considéré comme âgé ? Car si les
plus de 50 ans sont relativement nombreux parmi les nou-
veaux diagnostiqs, les plus de 60 ans représentent à
peine 5 % des nouveaux cas.
Ce basculement dans la catégorie « senior » n’est pas sans
importance, puisque persiste dans notre socté lidée
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Transversal n° 40 janvier-février repères
et l’évolution de l’infection semble s’accélérer. « Parmi ceux
que j’ai rencontrés, beaucoup étaient en animation »,
précise Sylvie Cheneau, qui note un autre point commun
entre ses patients : « Une sexualité vécue comme margi-
nale, honteuse, parce qu’il s’agissait de pratiques homo-
sexuelles extraconjugales, de rapports avec un partenaire
beaucoup plus jeune ou initiés sur des lieux de drague. »
Ce qui reve d’un pjugé plus large de nos soctés :
«Même lorsqu’il s’agit de rapports hétérosexuels entre
deux personnes de plus de 60 ans, la sexualité est sou-
vent vécue dans la culpabili. » Jean-Pascal Iorio, psy-
chologue au Kiosque, confirme : « Les personnes que j’ai
reçues en consultation avaient été contaminées par voie
sexuelle, mais vivaient leur sexualité avec une telle cul-
pabili que la prévention n’était pas systématique. » Une
situation qui complique également la révélation de la séro-
positivité à l’entourage. Denis Méchali, dont les patients
sont souvent d’origine étrangère, souligne notamment :
«Il n’est pas usuel que les enfants, quel que soit leur âge,
aient un regard sur la sexualité de leurs parents. » Sil
faut en plus annoncer une relation extraconjugale, des
rapports homosexuels ou bisexuels alors que l’on est père
de famille… « Pour ceux qui ont transmis à leurs enfants
une idée très conformiste de la sexualité, il sera d’autant
plus difficile de parler de leur “déviance” présumée »,
sume Jean-Pascal Iorio.
Prévention inadaptée. Pourtant, selon une récente étude
de la société Senior Strategic, 26 % des 50-65 ans cla-
rent « vouloir mettre du piment dans leur vie sexuelle »
en y ajoutant une tierce personne. « La sexualité se modi-
fie avec l’âge, mais compte tenu des dysfonctions érec-
tiles qui apparaissent chez les hommes, le préservatif est
très peu utilisé, poursuit Sylvie Cheneau. Il y a donc un
risque réel sur lequel les pouvoirs publics devraient se
mobiliser en adaptant les messages de prévention. » Une
évolution que Michel Ohayon, de Sida Info Service,
confirme aussi chez les hommes gays : « Avec les années,
il y a une exploration différente de la sexuali, éven-
tuellement sans pénétration, mais par exemple avec par-
tage d’un même lubrifiant, ce qui n’est pas sans risque. »
Pour Sylvie Cheneau, les moyens de prévention sont en
fait peu adaptés au corps des personnes âgées : fragilité
de l’érection, diminution de la lubrification vaginale, voire
descente d’organes, etc. « Même difficilement vécue, cette
sexualité des personnes âes existe, renchérit Michel
Ohayon. Il faudrait commencer par la réhabiliter afin que
les personnes s’autorisent pleinement à la vivre et puis-
sent se protéger. »
Carine Favier, médecin du Mouvement français pour le
planning familial, souligne le manque d’information des
femmes qui changent de vie après un divorce et une
longue vie commune. « La prévention actuelle étant sur-
tout ciblée sur les jeunes ou les populations à risque, les
femmes ne se sentent pas concernées tant qu’elles sont
en couple stable. » Médecins traitants et gynécologues
n’abordent que rarement la question avec leurs patientes,
me lors de consultations de contraception. « Or, si tout
au long de la vie, on commençait par poser la question
du risque au lieu de partir des moyens quand on parle
contraception, il serait possible de maintenir un certain
niveau d’information et une familiarité avec le préserva-
tif. Il faut à chaque fois repartir du mode de vie et non
d’un type de population prédéterminé », insiste-t-elle. Et
ne jamais négliger d’évoquer la vie sexuelle d’un patient
quel que soit son âge. « Le regard du soignant est capital,
conclut Denis Méchali. Il faut être toujours à l’écoute,
sans jugement, afin de permettre à tout patient qui nous
consulte d’aborder sa vie sexuelle. »
Davantage de risques
pour les femmes
Les femmes ménopaues sont davantage expoes au
VIH, en raison de la diminution de la lubrification vagi-
nale et de l’amincissement des parois vaginales causé par
les modifications hormonales. La muqueuse est donc
plus sujette aux microtraumatismes qui peuvent interve-
nir durant le rapport sexuel, ce qui accroît le risque de
contamination. Associant par ailleurs plus généralement
le préservatif à un moyen de contraception, les femmes
de plus de 50 ans l’utilisent moins souvent comme moyen
de prévention.
À lire : « HIV/aids in older adults. A case report
and literature review», Inelmen E.M., Gasparini G., Enzi G.,
Geriatrics, vol. 60 – n° 9 – 2 005.
© Stockxpertcom
Transversal n° 40 janvier-février repères
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repères par Sandra Mignot
La troisième vie de Jane
Depuis 1995, Jane Fowler organise colloques et
conférences aux États-Unis afin de montrer son
visage, celui d’une grand-mère comme les autres,
mais vivant avec le VIH.
Un matin de janvier 1991, la mauvaise nouvelle arrive
par la poste. Une lettre mentionnant une « anomalie san-
guine significative » alarme Jane, alors âgée de 55 ans.
La compagnie d’assurances à laquelle elle souhaitait
souscrire lui enjoint de contacter directement son méde-
cin traitant pour en savoir plus. Au cabinet, ce dernier
lui annonce sa ropositivité : « Je suis restée assom-
mée, abasourdie par cette nouvelle. Je n’étais pas un
homme gay, je n’avais jamais consommé de drogue ni
subi de transfusion sanguine… Ma vie avait été plutôt
tranquille et conventionnelle : mare vierge et rese
fidèle au long de 23 ans de vie commune, jusqu’à mon
divorce au début des années 1980. » Remontant le fil
de sa vie, de ses bilans médicaux et des quelques ren-
contres qui ont emmaillé sa vie de femme alors que le
VIH n’était encore pour elle qu’une mystérieuse mala-
die affectant la population homosexuelle, elle retrouve
celui qui a été à l’origine de sa contamination. « Ensuite,
je suis restée 4 ans dans la honte. C’est une maladie tel-
lement stigmatisante à mon âge. Et je ne connaissais
personne dans mon entourage proche ou éloigné qui en soit atteint. » Une période où cette mère divorcée ne reste
toutefois pas isoe. « J’en ai immédiatement parlé à mon fils et à mes parents, qui avaient alors 80 ans. Ils n’ont
montré ni colère ni déception. Leur seule crainte était de me voir mourir avant eux. Il faut dire qu’à l’époque, les
antirétroviraux nétaient pas encore prescrits. » Jane peut également compter sur ses amis les plus proches. Puis
en 1995, elle décide de sortir de son silence. « L’homme qui m’avait transmis le virus est mort. Je ne savais pas
ce qui m’attendait, j’ai pensé que j’allais peut-être mourir moi aussi. Alors je me suis dit qu’il fallait faire quelque
chose de bien en montrant un autre visage de la séropositivité. » Depuis, elle a participé à la fondation du collec-
tif National Association on HIV Over Fifty avant de créer son propre programme HIV Wisdom for Older Women en
2002. Sans relâche, Jane parcourt le pays d’est en ouest et du nord au sud. « Je participe à toutes les conférences
où l’on m’invite, qu’elles soient destinées au grand public, aux spécialistes, aux personnes séropositives ou aux
étudiants en médecine… Les soignants sont encore très surpris quand je leur dis que leurs parents et leurs grands-
parents pourraient être contaminés lors de rapports sexuels. Les personnes âgées elles-mêmes pensent qu’elles
n’ont rien à craindre. Moi je les encourage à demander le test de dépistage, à prendre cette initiative. Car trop de
médecins leur disent encore, comme pour moi avant 1991 : “Oh non, le test, ce n’est pas pour vous !” »
Être séropositif aux États-Unis n’est pas forment plus aisé aujourd’hui. « Il reste difficile d’en parler à cause de
la nature de cette maladie et de son mode de transmission, assure Jane. En général, les plus âgés le disent à peine
à leur entourage le plus proche. J’imagine que c’est un peu plus facile pour ceux qui sont contaminés plus jeunes. »
Et l’ancienne journaliste, désormais âgée de 72 ans, de reconnaître que la stigmatisation à l’égard des personnes
atteintes a, malgré tout, globalement diminué parmi la population. « Les Américains en savent davantage sur les
modes de transmission, donc ils ont moins peur. Mais le rejet reste très fort, surtout envers les personnes âgées
parce qu’on considère qu’elles ne devraient pas avoir de relations sexuelles. Mais je sais que je n’aurais pas pu
faire ce que je fais actuellement en 1991. »
http://www.hivoverfifty.org/ http://www.hivwisdom.org/
Jane Fowler © XXXXXX
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