2 - Texte - La philosophie médiévale

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TREIZIÈME SUJET
THOMAS D’AQUIN ET LE CHRISTIANISME ARISTOTÉLICIEN
On appelle sagesse la connaissance des réalisés divines,
et science la connaissance des réalités humaines et créées.
Saint Thomas d’Aquin
Somme théologique
I
PRÉSENTATION
1 - Le plus grand théologien scolastique médiéval
2 - Le second théologien philosophisant après Augustin d'Hippone
3 - Un auteur du 13ème siècle, profondément lié à son temps
4 - Une révolution aristotélicienne dans une ère platonicienne
II
ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES (1225-1274)
1 - Thomas d'Aquin : 1225-1274
2 - Origine et milieu
3 - Sa formation intellectuelle (1230-1256)
A - Ses études primaires (1230-1239
B - Ses études supérieures à Naples, au Studium Regni (1239-1245)
C - Ses études à Paris (1245-1248)
D - Ses études auprès d’Albert le Grand à Cologne (1248-1252)
E - Ses études de théologie à Paris (1252-1256)
4 - Il entre dans l’ordre des dominicains en 1245
5 - Le début de son enseignement parisien (1256-1259)
6 - Son premier séjour italien, entre Oviéto et Rome (1259-1268)
7 - Son retour à Paris (1268-1272), le début des querelles universitaires
8 - Son second séjour italien (1272-1273)
9 - Sa vision mystique de 1273 et sa mort en 1274
10 - La condamnation de ses oeuvres en 1277
11 - Mais sa réhabilitation et sa canonisation en 1323
12 - La Somme théologique, synthèse de la pensée de Thomas d'Aquin
III
PRINCIPALES THÈSES DE LA PENSÉE THOMASIENNE
1 - Les rapports de la foi et de la raison : leur compatibilité
A - La distinction entre théologie naturelle et théologie révélée
B - Les vérités de la foi et de la raison peuvent être harmonisées
2 - Les relations entre Ratio Naturalis et Révélation
A - Les relations entre la raison naturelle et la révélation
B - La ratio naturalis comme terrain commun de l’humanité
C - L’insuffisance de la raison, le besoin de la révélation et de la foi
D - Les connaissances révélables (revelabil) et les connaissances révélées (revelatum)
E - Surtout que la raison humaine est confrontée au péché
3 - Les relations entre théologie (doctrine sacrée) et philosophie (ratio naturalis)
A - La distinction entre philosophie et théologie
B - Une différence d’objet et de méthode
C - L’incontradiction de la foi et de la raison, la convergence des deux discours
D - La double vérité, les vérités de la raisons sont englobées dans celles de la révélation
E - Il n’y a pas de rupture entre les deux, mais collaboration hiérarchisée
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4 - L'autonomie subordonnée de la Philosophie à l’égard de la théologie
A - Une place pour la raison philosophique
B - Une raison philosophique subordonnée à Dieu
C - Mais la création doit être considérée dans son autonomie
D - L'homme raisonnable et libre, dans une nature elle-même raisonnable,
peut connaître par la raison naturelle
E - La philosophie a son domaine propre et peut s'enseigner
F - La philosophie comme servante de la théologie : Philosophia ancilla theologiae
5 - La connaissance est une abstraction à partir du matériel vers le spirituel
A - La connaissance est fondée sur les sens
B - Une position aristotélicienne
C - La foi dans les facultés sensibles de l’homme, créées par Dieu
D - Un réaliste modéré dans la querelle des universaux
6 - La connaissance de Dieu peut s’obtenir par ses effets
A - Une position paulinienne interprété aristotéliciennement
B - La voie naturelle, dite aussi cosmologique de l’existence de dieu
C - Une affirmation de Dieu par la raison, et non plus seulement par la Révélation
D - Par conséquence, la voie de l’analogia entis, ou analogie de proportionnalité
7 - Les cinq voies qui mènent à Dieu, les Quinquae Viae
A - Les 5 voies, les Quinquae viae
B - La méthode : les modes de causalité, de négation et d’éminence
C - Les 5 voies
1 - La voie par le mouvement - Dieu, premier moteur immobile
2 - La voie par la causalité efficiente - Dieu est la cause efficiente première
3 - La voie par la contingence - Dieu est nécessaire en soi, c'est la
première nécessité
4 - La voie par les degrés des êtres - Dieu est le modèle parfait
5 - La voie par l'ordre du monde - Dieu est le guide intelligent de toutes choses
D - La question de son intention
8 - L’importance de la connaissance naturelle du monde
A - La positivation de la connaissance du monde
B - La connaissance naturelle amenant à la connaissance de dieu
9 - L’ontologie thomasienne, la question de l'Être et l'Essence
A - Chaque être est déterminé par son essence
B - Pour qu'il y est un être, il faut qu’une essence existe
C - L'existence n'est pas une essence supplémentaire, elle est un acte
D - L'existence est déterminée par l'essence
E - Essence et existence, conséquences de la création divine
10 - Dieu, au-delà de l'essence et de l'existence, doit être démontré
A - Dieu est un existant
B - Dieu ne saurait être déduit
C - Dieu peut être nié, car il n’est pas une évidence
D - Il faut donc une démonstration rationnelle de Dieu
E - D’ou les cinq voies de Thomas d'Aquin
11 - Le dieu thomasien, un dieu assimilé à l’Être et dieu de métaphysicien
A - Dieu assimilé à l’Être
B - Un dieu de métaphysicien
12 - L'homme selon Thomas d'Aquin, l’anthropologie thomasienne
A - L'homme, une créature privilégiée, car une créature raisonnable dans une création
raisonnable
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B - Un individu existant par son corps et son âme
C - Une réhabilitation du corps, élément égal en importance dans la nature de l'homme
D - La composition aristotélicienne de l’âme
E - La théorie de l’intellect, les débats autour de l’intellect agent
F - La morale thomasienne, inspirée de l’éthique à Nicomaque
G - La liberté, le mal et le salut
H - Une conception positive de l’homme
13 - Dieu est la fin de l'homme, le bien suprême et la béatitude
A - Dieu est la fin de l’homme
B - Dieu comme bien suprême
C - Les biens sont hiérarchisés proportionnellement
D - Ce bien suprême est le bonheur
E - La béatitude
IV
CONCLUSION
1 - Un théologien avant d'être un philosophe
2 - Une pensée chrétienne utilisant des concepts aristotéliciens
3 - La réactualisation dans le monde et dans un esprit chrétiens du clivage Aristote-Platon
4 - Son influence dans l’église, le thomisme et le néo-thomisme
5 - Son influence en philosophie
6 - Thomas d'Aquin et sa préparation involontaire de la modernité
ORA ET LABORA
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Document 1 : Thomas d’Aquin sur l’échelle chronologique du moyen-âge.
1225-1274
!
6ème!
7ème!
8ème!
9ème!
10ème!
11ème!
12ème!
13ème!
14ème!
15ème
Document 2 : Représentations de Thomas d’Aquin du 15ème siècle, une fois qu’il fut canonisé par l’église
catholique. Il fut surnommé « le docteur angélique » à cause de son traité des anges (Somme de théologie,
Ia pars, Q. 50). L’histoire personnelle de Thomas d’Aquin ainsi que sa pensée sont intimement liées à l’ordre
des dominicains, ou ordre des Frères Précheurs, fondé en 1215 par Saint Dominique et don la première
maison fut la maison Seilhan à Toulouse, Après la canonisation du fondateur, saint Dominique, en 1234, les
frères furent progressivement désignés du nom de dominicains, dénomination devenue principale après le
XVIIIème siècle.
Thomas d'Aquin (à droite), saint Dominique et la Vierge Marie à l'enfant, de Fra Angelico, 1420
(Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage).
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Thomas d'Aquin, par Fra Angelico (1395-1455)
Saint Thomas d’Aquin, par Carlo Crivelli, 1476
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Document 3 : Petite bibliographie de Thomas d’Aquin (ne sont pas pris en comptes ses sermons et ses
écrits liturgiques).
Travaux théologiques
•
Scriptum super Sententiis, ou Scriptum super libros Sententiarum, commentaire
du livre des Sentences de Pierre Lombard (1254-1256)
•
Contra impugnantes Dei cultum et religionem - Contre ceux qui combattent le
culte de Dieu et la religion (septembre-octobre 1256)
•
Summa contra Gentiles - Somme contre les Gentils (1258-1265) - Composée à
la demande de Raymond Penàfort qui désirait un ouvrage contre les erreurs
théologiques des infidèles à l'usage des missionnaires dominicains prêchant
contre les musulmans, les juifs et les chrétiens hérétiques.
•
Contra errores Graecorum - Contre les erreurs des Grecs (1263).
•
Summa theologiae - Somme théologique (1266-1273). L'œuvre majeure de
Thomas d'Aquin écrite pour guider les débutants du studium de théologie.
•
De aeternitate mundi - De l'éternité du monde (1271)
Opuscules
Écrits courts destinés à des individus divers, selon diverses circonstances sur des sujets
divers plus de 88 en tout. Les principaux sont les suivants :
•
De ente et essentia - De l'être et de l'essence (1252).
•
De principiis naturae - Des principes de la nature (1253).
•
De articulis fidei et Ecclesiae sacramentis - Des articles de la foi et les
sacrements de l'Église (1261-1265).
•
De rationibus fidei - Des raisons de la foi (1265).
•
De occultis operationibus naturae - Sur les opérations cachées de la nature
(1268-1272).
•
De iudiciis astrorum - Des jugements des astres (1269-1272).
•
Compendium theologiae - Compendium de théologie (1265-1267)
•
De unitate intellectus contra Averroistas - De l'unité de l'intellect contre les
averroïstes (1270).
Questions disputées
Questions disputées à l'université de Paris, puis rédigées et publiées par Thomas d'Aquin.
•
Quaestiones disputatae De veritate (1256-1259). Compte rendu ordonné de 29
questions disputées sur la vérité.
•
Qaestiones disputatae De potentia (1265-1266). 10 questions disputées.
•
Quaestio disputata De spiritualibus creaturis (1267-1268).
•
Quaestiones disputatae De anima (1266-1267). 21 articles disputées sur l'âme.
•
Quaestiones disputatae De malo (1270-1271). 16 questions disputées sur le mal.
•
Quaestio disputata De unione Verbi incarnati (1272) Question disputée L'union
du Verbe incarné
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Question quodlibétiques
•
Quaestiones de quolibet I-XII (12 quodlibets) ou questions disputées universitaires
dont le sujet est proposé par les assistants (1256-1272).
Commentaires d’Aristote
•
Sentencia libri De anima - Commentaire du Livre De l’Âme (1267-1268).
•
Sentencia libri De sensu et sensato - Commentaire du Livre des "sens et
sensations" (1268-1269).
•
Sententia super Physicam - Commentaire de La Physique (1268-1270).
•
Sententia libri Ethicorum - Commentaire du Livre de l'Éthique à Nicomaque
(1271-1272).
•
Sententia libri Politicorum - Commentaire du Livre de La Politique (vers 1272).
•
Sententia super Metaphysicam - Commentaire du Livre de la Métaphysique
(1271-1273).
•
Sententia super Meteora - Commentaire du Livre des Météorologiques
(1269-1271).
•
Expositio libri Peyermenias - Commentaire du Peryermeneias (1270-1271).
•
Expositio libri Posteriorum - Commentaire des Seconds analytiques, traité de
l'interprétation (1271-1272).
•
Sententia super librum De caelo et mundo - Commentaire du Livre du ciel et du
monde (1272-1273).
•
Sententia super libros De generatione et corruptione - Commentaire du Livre de
la génération et corruption (1272-1273).
Commentaire de Proclus
•
Super librum De causis - Commentaire du Livre des Causes (1269-1273).
Commentaire de Boèce
•
Super Boetium De Trinitate - Commentaire sur le De Trinitate (1257-1258)
•
Expositio libri Boetii De ebdomadibus (Vers 1260)
Commentaires Bibliques
•
Expositio super Isaiam ad litteram - Commentaire du prophète Isaïe (1251-1252).
•
Super Ieremiam et Threnos - Commentaire des Lamentations de Jérémie
(1252-1253).
•
Expositio super Iob ad litteram - Commentaire littéral du livre de Job (1263-1265).
•
Glossa continua super Evangelia. Catena aurea - Glose continue des Évangiles.
La chaîne d'or) (1263 à 1264).
•
Expositio et Lectura super Epistolas Pauli Apostoli - Commentaire de la totalité
des lettres de Paul de Tarse (1263-1265).
•
Lectura super Matthaeum - Commentaire de l'Évangile de saint Mathieu (1269-1270).
•
Lectura super Ioannem - Commentaire de l'Évangile de saint Jean (1270-1272).
•
Postilla super Psalmos - Commentaire du livre des psaumes (1273).
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Document 4 : Sa Somme théologique condense et rassemble dans un ouvrage scolastique toutes les idées,
polémiques et connaissances théologiques du moment, et les siennes propres. Son projet est exposé dans
le prologue de la première partie.
Le docteur de la vérité catholique doit non seulement enseigner les plus avancés, mais
aussi instruire les commençants, selon ces mots de l’Apôtre (1 Co 3, 1-2) : “Comme à de
petits enfants dans le Christ, c’est du lait que je vous ai donné à boire, non de la
nourriture solide.” Notre intention est donc, dans cet ouvrage, d’exposer ce qui concerne
la religion chrétienne de la façon la plus convenable à la formation des débutants (...)
nous tenterons, confiants dans le pouvoir divin, de présenter la doctrine sacrée
brièvement et clairement, autant que la matière le permettra.
Thomas d’Aquin (1225-1280)
Somme théologique (1267-1273)
Prologue
Document 5 : Thomas d’Aquin défendra la possibilité d’une connaissance des choses naturelles par
l’association des sens et de l’intellect agent. Ce n’est pas un sensualisme au sens classique, même s’il
contribue bien à une réhabilitation des sens, puisque les facultés sensibles extraient une image sensible
d'une matière et la fournissent à ll'intellect passif par le biais de l'intellect agent qui extrait la forme
conceptuelle de l'image sensible. Il fonde ainsi une distinction entre connaissance rationnelle et la
connaissance relevant de la révélation. L’une étant évidemment subordonnée à l’autre. Le texte suivant de
Thomas d’Aquin nous éclaire sur ses conceptions sur la manière dont l’homme peut connaitre et sur ses
possibilités limitées de connaitre dieu.
Un homme, en tant qu'homme, ne peut pas voir Dieu dans son essence, à moins qu'il
n'ait quitté cette vie mortelle. La raison en est que la manière de connaître est relative à
la nature du sujet connaissant. Or notre âme, au cours de sa vie terrestre, existe dans
une matière corporelle. Elle ne peut donc connaître naturellement que les réalités dont la
forme est liée à une matière, ou bien ce qui peut être connu à partir de ces réalités. Il est
évident que les natures des réalités matérielles ne peuvent faire connaître l'essence
divine; la connaissance de Dieu par analogie avec le créé n'est pas une vision de Dieu. Il
est donc impossible à l'âme humaine de voir, au cours de sa vie terrestre, l'essence de
Dieu. [...]
Notre connaissance naturelle a son origine dans les sens, elle ne peut donc pas
s'étendre au-delà du point où le sensible peut la conduire. En partant des réalités
sensibles, notre intellect ne peut pas parvenir à la vision de l'essence divine. Les
créatures sensibles, parce qu'elles sont les effets de Dieu, n'ont pas le même pouvoir que
leur cause. Il n'est donc pas possible, en partant de la connaissance des réalités
sensibles, de connaître tout le pouvoir de Dieu, ni par conséquent de voir son essence.
Mais parce que les effets dépendent de la cause, ils peuvent nous conduire à savoir que
Dieu est, et à connaître tous les attributs qui lui conviennent nécessairement, au titre de
cause première de tout le réel et supérieure à tous ses effets. Nous connaissons donc de
Dieu son rapport aux créatures, c'est-à-dire qu'il est la cause de toute la création; nous
connaissons aussi la différence entre Dieu et ses créatures, car il ne fait pas nombre
avec les êtres dont il est la cause; et nous savons que la distance qui le sépare des êtres
créés n'est pas en lui un défaut mais un excès.
Thomas d’Aquin (1225-1280)
Somme théologique (1267-1273)
1ère partie, question 12, articles 1, 11 et 12,
traduction de J. Rassam, collection les Grands Textes, PUF, 1964
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Document 6 : L’œuvre théologique novatrice de Thomas d’Aquin va consister en une revisitation de la
philosophie aristotélicienne, notamment par des commentaires d’ouvrages d’Aristote comme par exemple le
De Anima, de l’Ethique à Nicomaque ou de la logique aristotélicienne. Le texte suivant est l’introduction de
Thomas d’Aquin de son commentaire de la logique d’Aristote,
Tous les hommes sont naturellement désireux de savoir. Or savoir est le résultat de la
démonstration, car la démonstration est le syllogisme qui produit le savoir. Pour satisfaire
ce désir naturel dans l’homme, la démonstration devient nécessaire; car l’effet, comme
tel, ne peut pas exister sans la cause. Et comme, ainsi que nous l’avons dit, la
démonstration est le syllogisme, pour la connaître il faut préalablement connaître le
syllogisme. Or, le syllogisme étant un certain tout formé de parties, on ne pourra le
connaître, si l’on ne connaît pas les parties. Donc, pour connaître le syllogisme, il faut
d’abord connaître ses parties. Or des parties du syllogisme quelques-unes sont
prochaines, comme les propositions et la conclusion, qui toutes sont appelées
énonciations. D’autres sont éloignées, comme les termes qui sont les parties de
l’énonciation. Il faut donc traiter de ces choses, à savoir de l’énonciation et des termes,
avant de parler du syllogisme. Or tout terme qui se dit sans complexion signifie la
substance, ou la quantité, ou la qualité, ou quelque chose des autres prédicaments; c’est
pourquoi, avant de traiter de l’énonciation, il faut s’occuper des prédicaments. Et parce
que le prédicament, dans le sens que nous entendons ici, n’est autre chose que la
disposition des choses prédicables dans l’ordre prédicamental, pour connaître les
prédicaments, il faut d’abord connaître les choses prédicables. Donc, pour parvenir à la
science qui est l’objet des désirs de tous, tel doit être l’ordre que nous garderons avec le
secours de Dieu; nous traiterons d’abord des cinq choses prédicables, secondement des
dix prédicaments, troisièmement de l’énonciation, quatrièmement du syllogisme
simpliciter, cinquièmement du syllogisme appliqué à la matière démonstrative ou de la
démonstration. Quant au syllogisme appliqué à la matière probable, lequel appartient à la
partie de la logique appelée dialectique, dont il est question dans le livre des Topiques, et
au syllogisme appliqué à la matière sophistique, qui est opposé au syllogisme dialectique
dont on parle dans le livre Elenchorum, je n’ai pas intention de m’en occuper pour le
moment.
Thomas d’Aquin (1225-1280)
Commentaire de la logique d’Aristote
Traduction Abbé Védrine, Editions Louis Vivès, 1857
Document 7 : Les cinq voies développées par Thomas d'Aquin dans la Somme théologique, 1ère partie,
question 2, article 3 : «Dieu existe-t-il ?» (Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1273. Extrait de F.-J.
Thonnard, Extraits des grands philosophes, Desclée & Cie, 1963, pages 328 à 330).
1 - Dieu, premier moteur immobile
La preuve de l'existence de Dieu peut être obtenue par cinq voies. La première et la plus
manifeste est celle qui part du mouvement. Il est évident, nos sens nous l'attestent, que
dans ce monde certaines choses se meuvent. Or, tout ce qui se meut est mû par un
autre. En effet, rien ne se meut qu'autant qu'il est en puissance par rapport à ce que le
mouvement lui procure. Au contraire, ce qui meut ne le fait qu'autant qu'il est en acte ; car
mouvoir, c'est faire passer de la puissance à l'acte, et rien ne peut être amené à l'acte
autrement que par un être en acte, comme un corps chaud actuellement, tel le feu, rend
chaud actuellement le bois qui était auparavant chaud en puissance, et ainsi le meut et
l'altère. Or, il n'est pas possible que le même être envisagé sous le même rapport, soit à
la fois en acte ou en puissance ; il ne le peut que sous des rapports divers : par exemple,
ce qui est chaud en acte ne peut être en même temps chaud en puissance ; mais il est,
en même temps, froid en puissance. Il est donc impossible que sous le même rapport et
de la même manière quelque chose soit à la fois mouvant et mû, c'est-à-dire qu'il se
meuve lui-même. Donc, si une chose se meut, on doit dire qu'elle est mue par une autre.
Que si, ensuite, la chose qui meut se meut à son tour, il faut qu'à son tour elle soit mue
par une autre, et celle-ci par une autre encore. Or, on ne peut ainsi procéder à l'infini, car
il n'y aurait alors pas de moteur premier, et il s'en suivrait qu'il n'y aurait pas non plus
d'autres moteurs, car les moteurs seconds ne meuvent que selon qu'ils sont mus par le
moteur premier, comme le bâton ne meut que manié par la main. Donc il est nécessaire
de parvenir à un moteur premier qui ne soit lui-même mû par aucun autre, et un tel être,
tout le monde le reconnaît pour Dieu.
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2 - Dieu est la cause efficiente première
La seconde voie se réfère à la notion de cause efficiente. Nous constatons, à observer
les choses sensibles, qu'il y a un ordre, entre les causes efficientes ; mais ce qui ne se
trouve pas et qui n'est pas possible, c'est qu'une chose soit la cause efficiente d'ellemême, ce qui la supposerait antérieure à elle-même, chose impossible. Or il n'est pas
possible non plus qu'on remonte à l'infini dans les causes efficientes ; car, parmi toutes les
causes efficientes en série, la première est cause des intermédiaires et les intermédiaires
sont causes du dernier terme, quoi qu'il en soit du nombre des intermédiaires, qu'ils soient
nombreux ou qu'il n'y en ait qu'un seul. D'autre part, supprimez la cause, vous supprimerez
aussi l'effet. Donc, s'il n'y a pas de premier dans l'ordre des causes efficientes, il n'y aura ni
dernier ni intermédiaire. Or, aller à l'infini dans les causes efficientes, ce serait supprimer la
première ; en conséquence, il n'y aurait ni effet dernier, ni cause efficiente intermédiaire,
ce qui est évidemment faux. Il faut donc nécessairement supposer quelque cause
efficiente première, que tous appellent Dieu.
3 - Dieu est nécessaire en soi, c'est la première nécessité
La troisième voie se prend du possible et du nécessaire, et elle est telle. Parmi les
choses, nous en trouvons qui peuvent être et ne pas être : la preuve, c'est que certaines
choses s'engendrent et se corrompent, et par conséquent sont et ne sont pas. Mais il est
impossible que tout soit de telle nature ; car ce qui peut n'être pas, une fois ou l'autre
n'est pas. Si donc tout peut n'être pas, à une époque donnée il n'y eut rien dans les
choses. Or, s'il en était ainsi, maintenant encore rien ne serait ; car ce qui n'est pas ne
commence d'être que par quelque chose qui est. Si donc alors nul être ne fut, il y eut
impossibilité que rien commençât d'être, et ainsi, aujourd'hui, il n'y aurait rien, ce qu'on
voit être faux. Donc, tous les êtres ne sont pas uniquement possibles, et il y a du
nécessaire dans les choses. Or, tout ce qui est nécessaire, ou bien tire sa nécessité
d'ailleurs, ou bien non. Et il n'est pas possible d'aller à l'infini dans la série des
nécessaires ayant une cause de leur nécessité, pas plus qu’il ne l'est quand il s'agit des
causes efficientes comme on l'a prouvé. On est donc contraint de supposer quelque
chose qui soit nécessaire par soi-même, ne prenant pas ailleurs la cause de sa
nécessité, mais fournissant leur cause de nécessité aux autres nécessaires.
4 - Dieu est le modèle parfait
La quatrième voie procède des degrés qu'on remarque dans les choses. On voit en effet
dans les choses du plus ou moins bon, du plus ou moins vrai, du plus ou moins noble, et
ainsi d'attributs semblables. Or, le plus et le moins se disent des choses diverses selon
que diversement ces choses se rapprochent de ce qui réalise le maximum ; par exemple,
on dira plus chaud ce qui se rapproche davantage du maximum de chaleur. Il y a donc
quelque chose qui est souverainement vrai, souverainement bon, souverainement noble,
et par conséquent aussi souverainement être, car, comme le fait voir Aristote dans la
Métaphysique, ce qui est souverain en vérité est aussi souverain quant à l'être. D'autre
part, ce qu'on dit souverainement tel, en genre quelconque, est cause de tous les cas de
ce genre, comme le feu, chaud au maximum est cause de la chaleur de tout le reste,
ainsi qu'il est dit au même livre. Il y a donc quelque chose qui est pour tous les êtres,
cause d'être, de bonté et de toute perfection. C'est ce que nous disons Dieu.
5 - Dieu est le guide intelligent de toutes choses
Enfin, la cinquième voie remonte à Dieu par le gouvernement des choses. Nous voyons
que les choses privées de connaissance comme les corps naturels agissent en vue d'une
fin, ce qui nous est manifesté par ceci que toujours, ou le plus souvent, ils agissent de la
même manière de façon à réaliser le meilleur : d'où il apert que ce n'est point par hasard,
mais en vertu d'une tendance déterminée qu'ils parviennent à leur fin. Or, ce qui est privé
de connaissance ne peut tendre à une fin que dirige par un être connaissant et intelligent,
comme la flèche par le sagittaire. Il y a donc quelque être intelligent, par lequel toutes
choses naturelles sont orientées vers leur fin et cet être, nous le disons Dieu.
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Document 8 : Illustration de la querelle à propos d’Aristote entre Thomas d’Aquin et Averroes sur la
question de l’inttellect agent. Saint Thomas d'Aquin confond Averroès, par Giovanni di Paolo, 1445 (SaintLouis, Art museum). Thomas d'Aquin développe sa théorie de la connaissance intellectuelle à partir du De
Anima d’Aristote, dans des traductions avec les commentaires d’auteurs musulmans, notamment
d'Averroès. Il s'oppose à l’interprétation d'Averroès, pour qui l'intellect humain serait un étant séparé et
commun à tous, un Intellect divin commun à tous les hommes qui pense et se pense lui-même dans les
hommes, indépendamment des sensations qu'ont les hommes. Pour Averroes, l'homme est par lui-même
incapable de "penser", il n'a que l'imagination et doit nécessairement être "illuminé" par l'Intellect unique
pour penser à l'occasion de la sensation. Il écrira même un ouvrage spécifiquement sur cette question, le
Contre Averroes. Voici un extrait de son introduction :
Depuis longtemps beaucoup d'esprits se sont laissé surprendre par l'erreur d'Averroès,
qui s'efforce de prouver que l'intellect, qu'Aristote reconnaît comme possible, par une
dénomination fausse, est une espèce de substance séparée du corps quant à l'essence,
et qui lui est unie, d'une certaine façon quant à la forme ; et de plus, qu'il est possible qu'il
n'y ait qu'un intellect commun pour tous : depuis longtemps nous avons réfuté cette
erreur.
Contre Averroes
préface
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Document 9 : L’abbaye de Fossanova en Italie où il mourut le 7 mars 1274. Il fut d’abord inhumé dans
l’église abbatiale, puis en 1368, sur ordre du pape Urbain V il fut exhumé pour être enseveli au couvent des
frères prêcheurs de Toulouse, première maison de l’ordre. Il reposa là jusqu’en 1791 puis il fut déplacé à
Saint-Sernin où il demeura jusqu’en 1974, date à laquelle ses reliques furent déposées au cloitre des
jacobins.
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Document 10 : Reliquaire de Thomas d’Aquin aux Jacobins à Toulouse.
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POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS
Sources d’époque sur Thomas d’Aquin
- Guillaume de Tocco, l'Histoire de saint Thomas d'Aquin (1323), introduction et notes par Claire Le BrunGouanvic, Cerf, 2005
Livres sur la pensée de Thomas d’Aquin
- Le Thomisme, introduction à la philosophie de saint Thomas d'Aquin, Étienne Gilson, Éditions VRIN, 2005
- Thomas d'Aquin et la controverse sur "L'Éternité du monde", Cyrille Michon, GF Flammarion, 2004
- Le Vocabulaire de saint Thomas d'Aquin, Michel Nodé-Langlois, Ellipses, 1999
- Saint Thomas d'Aquin, maître spirituel. Initiation 2, Jean-Pierre Torrell, Les Éditions du Cerf - Éditions
Universitaires, 1996
- Initiation à saint Thomas d'Aquin. Sa personne et son œuvre, Initiation 1, Jean-Pierre Torrell, Les Éditions
du Cerf - Éditions Universitaires, 1993
- Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, Introduction, René-Antoine Gauthier, Éditions
universitaires, 1993
- Thomas d'Aquin et Maïmonide. Un dialogue exemplaire, A. Wohlman, Cerf, 1988
- Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, Marie-Dominique Chenu, Éditions Vrin, 1950
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