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L’oxygène à deux visages
Chapitre I
L’oxygène est indispensable pour notre vie sur Terre. Au niveau de la cellule
(mitochondrie), il est transformé en molécules d’eau. Cette transformation
s’accompagne d’une importante production d’énergie qui est utilisée par
la cellule pour assurer toutes ses fonctions. C’est ce qui nous permet de
vivre. Toutefois, cette transformation n’est pas parfaite à 100% car des
espèces oxygénées activées (EOA) aux propriétés oxydantes sont produites.
Pourquoi et comment l’oxygène est-il une
source de vie ?
Au moment où vous vous adonnerez à la lecture de ce livre, vous effec-
tuerez un mouvement naturel et inconscient mais tellement indispensable à
votre vie : celui de respirer. Ce phénomène se décompose en deux phases :
l’inspiration, qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de ce livre,
et l’expiration. L’inspiration a pour but d’amener l’oxygène contenu dans l’air
jusqu’à nos poumons. Via des alvéoles pulmonaires richement vascularisées,
l’oxygène diffuse dans la circulation sanguine où il se fixe à l’hémoglobine
des globules rouges. C’est ainsi que l’oxygène sera acheminé jusqu’à tous
nos organes et les cellules qui les composent. L’oxygène est l’élément essen-
tiel qui nous permet de vivre, ce qui fait de nous des êtres vivants dits aéro-
bies. Un cerveau non approvisionné en oxygène pendant 3 à 4 minutes
conduit à une mort cérébrale pratiquement irréversible. C’est ainsi que s’ex-
pliquent les effets mortels de ce tueur silencieux qu’est le monoxyde de
carbone (CO) provenant d’une combustion incomplète des composés carbo-
nés. En se fixant plus rapidement que l’oxygène sur l’hémoglobine, le CO
empêche celui-ci d’être acheminé en quantité suffisante au cerveau.
Ce qui est souvent ignoré, c’est que l’oxygène n’a pas toujours existé sur
Terre. Selon la théorie du Bing Bang, l’origine de l’Univers remonte à 13,7
milliards d’années. La Terre dans sa structure actuelle date d’il y a 4,5 milliards
d’années et des traces de vie sous forme de bactéries apparaissent aux envi-
rons de 3,5 milliards d’années sans que les scientifiques en connaissent
encore l’origine. Ces êtres vivants sont dits anaérobies car ils n’avaient pas
CONCEPTS MODERNES DU STRESS OXYDANT ET DES ANTIOXYDANTS
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besoin de l’oxygène pour vivre. Celui-ci n’apparaît dans l’atmosphère de la
Terre que bien plus tardivement aux environs de 2,5-3 milliards d’années. Les
scientifiques s’accordent pour dire que son apparition est liée au développe-
ment dans les eaux terrestres d’algues bleu-vert ou cyanobactéries qui, via le
processus de la photosynthèse, vont acquérir la capacité de transformer l’eau
en oxygène gazeux. La concentration de celui-ci va rapidement augmenter
dans l’atmosphère pour atteindre les 21% actuels, ce qui permettra le déve-
loppement de formes plus évoluées de la vie grâce à une production accrue
d’énergie au niveau de nos cellules. Toutefois, l’accumulation de l’oxygène à
la surface de la Terre ne s’est pas faite sans conséquence pour l’environne-
ment écologique existant à l’époque. En réalité, l’oxygène peut être considéré
comme le premier polluant toxique que la Terre ait connu. En effet, en raison
de son caractère particulièrement oxydant, l’oxygène deviendra un véritable
poison pour les premiers organismes anaérobies. Ceux-ci n’auront dès lors le
choix qu’entre trois solutions : se retirer, par exemple, dans les profondeurs
des océans où l’oxygène est pratiquement inexistant, disparaître purement et
simplement ou s’adapter à vivre avec l’oxygène via le développement de ces
systèmes protecteurs que sont les antioxydants. Bien des siècles plus tard,
c’est grâce à cette troisième solution que vous profitez aujourd’hui de la vie.
L’Histoire a retenu que c’est le chimiste anglais Joseph Priestley qui a
découvert en 1774 ce composé gazeux qu’est l’oxygène même si le Suédois
Carl Wilhem Scheele l’avait déjà mis en évidence un an plus tôt. Initialement
appelé air déphlogistiqué, ce gaz qui permet la combustion fut rebaptisé
quelques mois plus tard oxygène par le Français Antoine Laurent de Lavoisier
qui est considéré comme le père de la chimie moderne. Ce n’est qu’au milieu
du siècle passé que les scientifiques ont pu élucider les mécanismes par
lesquels l’oxygène était intimement lié au développement de la vie sur Terre.
Les sucres ou carbohydrates, les graisses et les protéines que nous puisons
dans notre alimentation sont nos principales sources d’énergie. Une fois ingé-
rés, tous ces nutriments sont dégradés via des réactions extrêmement
complexes en intermédiaires énergétiques mais non disponibles. Ces réac-
tions connues sous le nom de cycle de Krebs se déroulent dans nos cellules
au niveau d’un organite appelé mitochondrie qui est de structure très proche
de celle d’une bactérie. Afin extraire l’énergie des intermédiaires formés lors
du cycle de Krebs, ceux-ci sont injectés dans la mitochondrie au niveau d’une
chaîne respiratoire qui produit d’une part des protons (H+) et, d’autre part,
quatre électrons (e-) dont l’oxygène est l’accepteur final selon la réaction
suivante :
O2 + 4 e- + 4 H+ à 2 H2O
Dans les années 1960, l’Anglais Peter Mitchell démontrera que cette réac-
tion finale dans la mitochondrie s’accompagne (et ceci pour un seul glucose
L’oxygène à deux visAges
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injecté dans le cycle de Krebs) de la production de 36 à 38 molécules éner-
gétiquement très riches et directement disponibles pour l’organisme (figure
1). Ces molécules connues sous le nom d’adénosine triphosphate ou ATP
permettent à la cellule d’assurer toutes ses fonctions vitales. Les premiers
organismes anaérobies apparus sur Terre qui utilisaient l’azote comme source
d’énergie ne produisaient seulement que 2 molécules d’ATP. C’est donc grâce
à cet énorme apport énergétique dans lequel l’oxygène joue un rôle incon-
tournable que la vie telle nous la connaissons a pu finalement se développer
sur la Terre. Cette découverte fondamentale connue sous le nom de « phos-
phorylation oxydative » valut à Peter Mitchell le prix Nobel de chimie en 1978.
Sans la mitochondrie et l’oxygène, la vie sur Terre n’est donc tout simplement
pas possible. Nous verrons plus tard qu’il existe des pathologies comme les
myopathies qui sont liées à un mauvais fonctionnement des mitochondries
maladies mitochondriales » comme le syndrome de Leigh ou les
cardiomyopathies).
O2
H2O
4e-
4H+
E
N
E
R
G
I
E
36 ATP
Figure 1 – Rôle de la mitochondrie et de l’oxygène dans la production d’énergie par la
cellule. La mitochondrie est un organite situé dans le cytoplasme de chaque cellule qui
en compte plus de 1500. C’est au niveau de sa membrane interne que sont produits
les quatre électrons (e-), particules élémentaires de charge négative, nécessaires pour
transformer l’oxygène en eau et produire au nal des molécules d’adénosine triphosphate
(ATP) énergétiquement très riches. D’une façon imagée, les mitochondries peuvent être
comparées à une centrale électrique qui produit, conserve et distribue l’énergie dont
la cellule a besoin. Sans la mitochondrie et l’oxygène, la vie n’est donc simplement pas
possible.
CONCEPTS MODERNES DU STRESS OXYDANT ET DES ANTIOXYDANTS
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Quel est le prix à payer pour vivre sur Terre ?
Si l’oxygène est nécessaire à la vie, il y a toutefois un revers à la médaille.
Dame Nature nous a fait payer au prix fort le développement de la vie
puisque chacun sait que l’oxygène est doté de puissantes propriétés
oxydantes souvent néfastes. Quelques exemples simples pour illustrer celles-
ci. Le fer rouille au contact de l’air en formant un oxyde de fer de couleur
rouge. Le cuivre subit le même sort avec la formation de l’oxyde de cuivre
d’une couleur vert de gris très caractéristique. D’une manière générale, tous
les métaux sauf l’or s’oxydent en présence d’oxygène. Au niveau alimentaire,
les hommes ont utilisé dès l’Antiquité divers procédés empiriques comme
l’enfumage ou les macérations tannantes pour empêcher la dégradation des
denrées alimentaires mises au contact de l’air. Croquez dans une pomme et
laisser la sur une table ; la chair de la pomme brunit en quelques minutes. Le
beurre composé de matières grasses rancit s’il n’est pas mis à l’abri de l’air.
Sa couleur vire du jaune clair à un jaune plus foncé. Un beurre ranci, et donc
oxydé, est totalement impropre à la consommation. Les qualités sensorielles
des poissons (apparence, odeur, texture et goût) s’altèrent très rapidement
suite à l’oxydation des acides gras polyinsaturés de type Ω3 qu’ils contiennent.
En laboratoire, des expériences ont montré que le maintien d’animaux à 100
% d’oxygène pendant 60 heures entraîne des lésions pulmonaires mortelles.
Un autre exemple concret montrant la réactivité de l’oxygène est celui des
bébés prématurés placés en couveuse en raison de poumons peu développés.
Le complément indispensable d’oxygène pur qui leur est apporté pour se
maintenir en vie peut entraîner des troubles de la vision en raison d’une
dégénérescence oxydative de la rétine de l’œil.
Tel Janus, ce dieu romain à une tête mais aux deux visages opposés, l’oxy-
gène présente donc deux faces : indispensable à la vie, il est en même temps
très toxique par ses réactions d’oxydation néfastes. C’est là tout le paradoxe
de l’oxygène : ange et démon à la fois.
Les espèces oxygénées activées
Les lois de la chimie quantique nous apprennent que ce n’est pas sous sa
forme fondamentale (O2) que l’oxygène est réactionnel. C’est via la formation
d’intermédiaires appelés espèces oxygénées activées ou EOA (Reactive
Oxygen Species ou ROS dans la terminologie anglo-saxonne) qu’il exerce ses
effets délétères. Afin de comprendre ces mécanismes, il convient de rappeler
brièvement quelques notions élémentaires de chimie.
La molécule d’oxygène bien connue sous le symbole O2 est formée de
deux atomes d’oxygène (O). Autour de chacun d’entre eux gravitent 6 élec-
trons qui sont des particules élémentaires chargées négativement. Un élec-
L’oxygène à deux visAges
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tron d’un atome d’oxygène s’associera avec un électron de l’autre atome
pour former une liaison chimique, véritable ciment qui unira les deux atomes
d’oxygène pour former ainsi la molécule d’oxygène ou O2 (le chiffre 2 en
indice indique la présence de deux atomes). Pour des questions de stabilité
énergétique, tous les électrons dans les molécules chimiques sont toujours
liés (ou appariés) deux par deux (paire d’électrons). Comme le montre la
figure 2, la molécule d’oxygène présente toutefois cette particularité unique
de conserver sur chaque atome d’oxygène un électron seul dit électron libre
ou célibataire (non apparié). C’est cette particularité qui est in fine à la base
de la réactivité de l’oxygène via la formation des espèces oxygénées activées
(ce terme étant souvent répété, nous utiliserons pour des raisons de facilité
le sigle EOA).
. . . . .
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. .
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répartition des électrons autour de chaque atome d’oxygène (O)
représentation conventionnelle de la molécule d’oxygène (O2)
.
. ----
Figure 2 – Structure chimique de l’oxygène (O2). Autour de chaque atome d’oxygène (O)
gravitent en permanence 6 électrons. Quatre d’entre eux sont appariés deux par deux
pour former un doublet (—). Chaque atome d’oxygène (O) met en commun un électron
an de former une liaison chimique (----) qui unit les deux atomes d’oxygène dans la
molécule d’oxygène (O2). Sur chaque atome d’oxygène, il reste donc un électron dit libre
ou célibataire.
Pour être réduit en molécules d’eau dans la mitochondrie, l’oxygène molé-
culaire doit subir l’attaque simultanée de 4 électrons. Suite à des imperfec-
tions, la mitochondrie n’assure toutefois cette transformation correctement
que pour 98 % d’oxygène. Les 2% restants d’oxygène sont réduits étape par
étape, c’est-à-dire électron par électron, ce qui conduit à la formation des
fameuses EOA. Ce sont à l’Américain Britton Chance, l’Allemand Helmut Sies
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