Les penseurs de la laicité, Voltaire et la religion

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CONFÉRENCE DU FORUM DES SAVOIRS
“Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.”
Voltaire
VOLTAIRE ET LA RELIGION
Les penseurs de la laïcité
CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
Voltaire peint part Quentin de la Tour vers 1735.
Association ALDÉRAN Toulouse
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MAISON DE LA PHILOSOPHIE
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conférence N°1000-156
VOLTAIRE ET LA RELIGION
Les penseurs de la laïcité
conférence d’Éric Lowen donnée le 18/11/2015
à la Maison de la philosophie à Toulouse
Par ses positions philosophiques à l’égard de la religion, ses combats contre l’intolérance
(affaires du chevalier de la Barre, Calas, Sirven, etc.), Voltaire est un des penseurs majeurs
aboutissant à la laïcité, même si le mot «laïcité» n’avait pas encore été inventé. Cela, autant
de son vivant qu’après sa mort, en fonction de la manière dont les défenseurs de la laïcité
s’inscriront dans son héritage et l’enrôleront dans leur propre combat. Un aspect méconnu de
l’oeuvre de cet immense esprit.
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VOLTAIRE ET LA RELIGION
Les penseurs de la laïcité
PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
“N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages
n’en aient pas ? Il faut être prudent, mais non pas timide.“
Voltaire (1694 - 1778)
Pensées détachées de M. l’Abbé de St-Pierre
I
VOLTAIRE PENSEUR DE LA LAÏCITÉ
1 - La loi de 1905 fondant la laïcité de l’état, conséquence d’une longue histoire
2 - Bien avant cette de loi 1905, des penseurs de la laïcité même s’ils ignorent la chose
3 - Parmi ces penseurs méconnus de la laïcité : Voltaire
4 - La référence voltairienne va accompagner tous les combats laïcistes en France
5 - Mais un penseur de la laïcité étonnant : qui ignore le mot «laïcité» et la notion de neutralité
6 - Un retour s’impose donc sur la pensée de Voltaire pour comprendre sa philosophie et son rôle
II
VOLTAIRE, UN DÉISTE CONTRE LES RELIGIONS
1 - La double face de la pensée de Voltaire : convictions religieuses et critique à l'égard des religions
2 - La religion de Voltaire, un auteur déiste et un philosophe de la nécessité religieuse
3 - Une pensée critique contre les religions de son temps et dans le temps
4 - Les principales œuvres de Voltaire consacrées à la critique des religions
5 - Les engagements de Voltaire dans les affaires d’intolérance religieuse de son temps
- L'affaire Calas (1762-1765)
- L’affaire Sirven (1764)
- L’affaire du Chevalier de la Barre (1765)
III
LA CRITIQUE VOLTAIRIENNE DES RELIGIONS
1 - La lutte contre la superstition, la déraison et l’anti-raison
2 - Une dénonciation de tout ce qui porte atteinte à la liberté de penser et à la raison humaine
3 - Une critique systématique du christianisme, de ses croyances, de son dogmatisme, de ses rites,
de son cléricalisme
4 - Il oppose l'esprit de tolérance des religions polythéistes antiques au fanatisme des religions
monothéistes révélées
5 - La lutte contre le fanatisme et l’obscurantisme : “Écrasons l'Infâme !”
6 - Un combat plus particulier pour libérer l’histoire humaine de l’emprise du théocratisme chrétien
7 - Il demande la soumission des religions à l’égard de l’état et non la séparation ou la neutralité
8 - Au besoin, il appelle quand cela est nécessaire, d’user de la force de l’État pour l’imposer aux
religions
IV
LES RAISONS DE CES POSITIONS VOLTAIRIENNES
1 - Une conséquence de son déisme, de son rationalisme et de son progressisme
2 - Une conception laïque de l’histoire, sans Providence
3 - Le progrès humain est dû aux seules lumières de la raison et de l’esprit humain
4 - Les religions sont une des principales entraves au progrès de l’Humanité
5 - Une histoire dominée jusque-là par les conflits entre politique et religion et les guerres de religion
6 - La nécessité d’un état fort, capable d’assurer la paix civile et religieuse en mettant au pas les
religions
7 - Des principes politiques qui sont à relier à son adhésion au despotisme éclairé
8 - L'importance de la tolérance religieuse, garante de la paix religieuse
9 - L'utilité sociale des religions pour moraliser l'homme, mais religion sans dogme
10 - Une morale dominée par la sensibilité à la souffrance et l’amour de l’humanité
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V
VOLTAIRE DANS LES COMBATS AUTOUR DE LA LAÏCITÉ
1 - La réduction du voltairianisme à sa critique religieuse, de 1815 à 1870
2 - La réhabilitation voltairienne des années 1870 lors de la troisième République et du centenaire
de sa mort en 1878
3 - Voltaire reconnu comme un des pères de la laïcité, par les pro comme les anti laïcité
4 - Il est un modèle militant, un modèle de combat anti-clérical
5 - Voltaire fournisseur d’arguments contre le cléricalisme et le théocratisme plus qu’une théorie de
la laïcité
6 - Les affaires où il est intervenu est une démonstration des méfaits des justices sous influence
religieuse
7 - Une réflexion sur la suprématie de l'État, qui rappelle les combats de la troisième République
8 - L’éducation comme rempart contre la superstition, le fanatisme et l’intolérance des religions
VI
CONCLUSION
1 - Voltaire ne fut pas un acteur de la laïcité, mais de la laïcisation de la société française
2 - Un des acteurs de cette évolution des idées
3 - Un rôle qui explique sa place dans l'histoire de la laïcité française
4 - Un élément de l'universalité de Voltaire
ORA ET LABORA
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Document 1 : Livres de Voltaire en relation avec la critique des religions, classés par ordre chronologique :
- La Henriade (1720) - sur Henri IV et l’édit de Tolérance
- Les Lettres philosophiques (1733)
- Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète (1742)
- Le Siècle de Louis XIV (1752)
- Poème sur le désastre de Lisbonne (1756)
- L'essai sur les moeurs et l'esprit des nations (1756)
- Candide (1758)
- Le Traité sur la tolérance (1763)
- Dictionnaire philosophique (1764) ou La Raison par alphabet
- Petite digression, ou Les aveugles juges des couleurs (1766)
- Le DÎner du comte de Boulainvilliers (1767)
- Les droits de l'homme et les usurpations des autres (1768)
- L’Epitre aux Romains (1768)
- Les Guèbres ou la Tolérance (1768)
- Eloge historique de la raison (1774)
Document 2 : Exemples de sa critique du théocratisme chrétien et de l’église catholique, source de
d’intolérance et de violence (fanatisme, guerres de religions, inquisition...)
C’est le plus cruel tyran de l’empire des ombres :
il vient, le Fanatisme est son horrible nom
Enfant dénaturé de la Religion.
Ces monstres furieux, de carnage altérés,
Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères,
Et, le bras tout souillé du sang des innocents,
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.
Voltaire (1694-1778)
La Henriade, 1720
Voltaire (1694 - 1778)
La Saint-Barthélemy, 1723
L'inquisition est, comme on sait, une invention admirable et tout à fait chrétienne pour
rendre le pape et les moines plus puissants et pour rendre tout un royaume hypocrite.
On regarde d'ordinaire Saint Dominique comme le premier à qui l'on doit cette sainte
institution. En effet, nous avons encore une patente donnée par ce grand saint, laquelle
est conçue en ces propres mots : «Moi, frère Dominique, je réconcilie à l'Église le nommé
Roger, porteur des présentes, à condition qu'il se fera fouetter par un prêtre trois
dimanches consécutifs depuis l'entrée de la ville jusqu'à la porte de l'église, qu'il fera
maigre toute sa vie, qu'il jeûnera trois carêmes dans l'année, qu'il ne boira jamais de vin,
qu'il portera le san-benito [Tunique de couleur, jaune ou noire frappée d'une croix rouge
signe d'infamie] avec des croix, qu'il récitera le bréviaire tous les jours, dix pater dans la
journée, et vingt à l'heure de minuit; qu'il gardera désormais la continence, et qu'il se
présentera tous les mois au curé de sa paroisse, etc., tout cela sous peine d'être traité
comme hérétique, parjure et impénitent.»
Quoique Dominique soit le véritable fondateur de l'inquisition, cependant Louis de
Paramo, l'un des plus respectables écrivains et des plus brillantes lumières du SaintOffice, rapporte, au titre second de son second livre, que Dieu fut le premier instituteur du
Saint-Office, et qu'il exerça le pouvoir des frères prêcheurs contre Adam. D'abord Adam
est cité au tribunal :
Adam, ubi es ? [Adam, où es-tu ?] et en effet, ajoute-t-il, le défaut de citation aurait rendu
la procédure de Dieu nulle.
Les habits de peau que Dieu fit à Adam et à Eve furent le modèle du san-benito que le
Saint-Office fait porter aux hérétiques. Il est vrai que par cet argument on prouve que
Dieu fut le premier tailleur; mais il n'est pas moins évident qu'il fut le premier inquisiteur.
Adam fut privé de tous les biens immeubles qu'il possédait dans le paradis terrestre: c'est
de là que le Saint-Office confisque les biens de tous ceux qu'il a condamnés. [...]
On connaît assez toutes les procédures de ce tribunal; on sait combien elles sont
opposées à la fausse équité et à l'aveugle raison de tous les autres tribunaux de
l'univers. On est emprisonné sur la simple dénonciation des personnes les plus infâmes;
un fils peut dénoncer son père, une femme son mari; on n'est jamais confronté avec ses
accusateurs ; les biens sont confisqués au profit des juges : c'est ainsi du moins que
l'inquisition s'est conduite jusqu'à nos jours : il y a là quelque chose de divin ; car il est
incompréhensible que les hommes aient souffert ce joug patiemment.
Voltaire (1694 - 1778)
Dictionnaire philosophique
Article “Inquisition”, publié en 1769
Gravure représentant la condamnation de la Compagnie de Jésus le 6 août 1762.
Voltaire applaudira cette mesure, l’Etat s’imposant enfin contre la religion. D’un point
de vue politique, Voltaire a toujours gardé à l’esprit les conséquences historiques des
rois faibles : influences des confesseurs, frondes, guerres civiles, ...
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Document 3 : Exemple de ses positions contre la croyance et le dogmatisme catholique, en faveur de la
libre pensée.
LIBERTÉ DE PENSER
Vers l'an 1707, temps où les Anglais gagnèrent la bataille de Saragosse, protégèrent
le Portugal, et donnèrent pour quelque temps un roi à l'Espagne, milord Boldmind,
officier général, qui avait été blessé, était aux eaux de Barèges. Il y rencontra le comte
Médroso, qui, étant tombé de cheval derrière le bagage, à une lieue et demie du
champ de bataille, venait prendre les eaux aussi. Il était familier de l'inquisition; milord
Boldmind n'était familier que dans la conversation, un jour, après boire, il eut avec
Médroso cet entretien :
BOLDMIND
Vous êtes donc sergent des dominicains ? Vous faites là un vilain métier.
MÉDROSO
Il est vrai; mais j'ai mieux aimé être leur valet que leur victime, et j'ai préféré le
malheur de brûler mon prochain à celui d'être cuit moi-même.
BOLDMIND
Quelle horrible alternative ! Vous étiez cent fois plus heureux sous le joug des Maures,
qui vous laissaient croupir librement dans toutes vos superstitions, et qui, tout vainqueurs
qu'ils étaient, ne s'arrogeaient pas le droit inouï de tenir les âmes dans les fers.
MÉDROSO
Que voulez-vous ? Il ne nous est permis ni d'écrire, ni de parler, ni même de penser. Si
nous parlons, il est aisé d'interpréter nos paroles, encore plus nos écrits. Enfin, comme
on ne peut nous condamner dans un autodafé pour nos pensées secrètes, on nous
menace d'être brûlés éternellement par l'ordre de Dieu même, si nous ne pensons pas
comme les jacobins. Ils ont persuadé au gouvernement que si nous avions le sens
commun, tout l'État serait en combustion, et que la nation deviendrait la plus
malheureuse de la terre.
BOLDMIND
Trouvez-vous que nous soyons si malheureux, nous autres anglais qui couvrons les mers
de vaisseaux, et qui venons gagner pour vous des batailles au bout de L'Europe ? Voyezvous que les hollandais, qui vous ont ravi presque toutes vos découvertes dans l'Inde, et
qui aujourd'hui, sont au rang de vos protecteurs, soient maudits de Dieu pour avoir donné
une entière liberté à la presse, et pour faire le commerce des pensées des hommes ?
L'empire romain en a-t-il été moins puissant parce que Cicéron a écrit avec liberté?
MÉDROSO
Quel est ce Cicéron ? Je n'ai jamais entendu parler de cet homme-là; il ne s'agit pas ici
de Cicéron, il s'agit de notre saint-père le pape et de saint Antoine de Padoue, et j'ai
toujours ouï-dire que la religion romaine est perdue si les hommes se mettent à penser.
BOLDMIND
Ce n'est pas à vous à le croire; car vous êtes sûr que votre religion est divine, et que les
portes de l'enfer ne peuvent prévaloir contre elle. Si cela est, rien ne pourra jamais la
détruire.
MÉDROSO
Non, mais on peut la réduire à peu de chose, et c'est pour avoir pensé que la Suède, le
Danemark, toute votre île, la moitié de l'Allemagne gémissent dans le malheur
épouvantable de n'être plus sujets du pape. On dit même que si les hommes continuent à
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suivre leurs fausses lumières, ils s'en tiendront bientôt à l'adoration simple de Dieu et à la
vertu. Si les portes de l'enfer prévalent jamais jusque-là, que deviendra le Saint-Office ?
BOLDMIND
Si les premiers chrétiens n'avaient pas eu la liberté de penser, n'est-il pas vrai qu'il n'y eût
point eu de christianisme ?
MÉDROSO
Que voulez-vous dire ? Je ne vous entends point.
BOLDMIND
Je le crois bien. Je veux dire que si Tibère et les premiers empereurs avaient eu des
jacobins qui eussent empêché les premiers chrétiens d'avoir des plumes et de l'encre; s'il
n'avait pas été longtemps permis dans l'empire romain de penser librement, il eût été
impossible que les chrétiens établissent leurs dogmes. Si donc le christianisme ne s'est
formé que par la liberté de penser, par quelle contradiction, par quelle injustice voudrait-il
anéantir aujourd'hui cette liberté sur laquelle seule il est fondé ?
Quand on vous propose quelque affaire d'intérêt, n'examinez-vous pas longtemps avant
de conclure ? Quel plus grand intérêt y a-t-il au monde que celui de notre honneur ou de
notre malheur éternel ? Il y a cent religions sur la terre, qui toutes vous damnent si vous
croyez à vos dogmes, qu'elles appellent absurdes et impies; examinez donc ces dogmes.
MÉDROSO
Comment puis-je les examiner ? Je ne suis pas jacobin.
BOLDMIND
Vous êtes homme, et cela suffit.
MÉDROSO
Hélas ! vous êtes bien plus homme que moi.
BOLDMIND
Il ne tient qu'à vous d'apprendre à penser; vous êtes né avec de l'esprit ; vous êtes un
oiseau dans la cage de l'inquisition ; le Saint-Office vous a rogné les ailes, mais elles
peuvent revenir. Celui qui ne sait pas la géométrie peut l'apprendre; tout homme peut
s'instruire : il est honteux de mettre son âme entre les mains de ceux à qui vous ne
confieriez pas votre argent osez penser par vous-même.
MÉDROSO
On dit que si tout le monde pensait par soi-même ce serait une étrange confusion.
BOLDMIND
C'est tout le contraire. Quand on assiste à un spectacle, chacun en dit librement son avis,
et la paix n'est point troublée; mais si quelque protecteur insolent d'un mauvais poète
voulait forcer tous les gens de goût à trouver bon ce qui leur paraît mauvais, alors les
sifflets se feraient entendre et les deux partis pourraient se jeter des pommes à la tête,
comme il arriva une fois à Londres. Ce sont ces tyrans des esprits qui ont causé une
partie des malheurs du monde. Nous ne sommes heureux en Angleterre que depuis que
chacun jouit librement du droit de dire son avis.
MÉDROSO
Nous sommes aussi fort tranquilles à Lisbonne, où personne ne peut dire le sien.
BOLDMIND
Vous êtes tranquilles, mais vous n'êtes pas heureux, c'est la tranquillité des galériens, qui
rament en cadence et en silence.
MÉDROSO
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Vous croyez donc que mon âme est aux galères ?
BOLDMIND
Oui; et je voudrais la délivrer.
MÉDROSO
Mais si je me trouve bien aux galères ?
BOLDMIND
En ce cas vous méritez d'y être.
Voltaire (1694 - 1778)
Dictionnaire philosophique, article "Liberté de penser"
Document 4 : Exemple de ses critiques au vitriol du ritualisme des religions, notamment là à l’encontre de la
Messe et de la communion.
Un gueux qu'on aura fait prêtre, un moine sortant des bras d'une prostituée, vient pour
douze sous, revêtu d'un habit de comédien, me marmotter dans une langue étrangère ce
que vous appelez une messe, fendre l'air en quatre avec trois doigts, se courber, se
redresser, tourner à droite et à gauche, par devant et par derrière, et faire autant de dieux
qu'il lui plaÎt, les boire et les manger, et les rendre ensuite à son pot de chambre !
Voltaire (1694 - 1778)
Le DÎner du comte de Boulainvilliers, 1767
Document 5 : Si la critique de Voltaire est d’abord centrée sur l’église catholique, en raison de son
importance historique et politique, sa critique vaut en fait pour toutes les religions.
Tant qu'il y aura des fripons et des imbéciles, il y aura des religions. La nôtre est sans
contredit la plus ridicule, la plus absurde, et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le
monde.
Lettre à Frédéric Il, roi de Prusse, datée du 5 janvier 1767
BABOUC, FORT INCERTAIN SUR CE QU'IL DEVAIT PENSER de Persépolis, résolut de
voir les mages et les lettrés : car les uns étudient la sagesse, et les autres la religion ; et il
se flatta que ceux-là obtiendraient grâce pour le reste du peuple. Dès le lendemain matin
il se transporta dans un collège de mages (3). L'archimandrite (4) lui avoua qu'il avait
cent mille écus de rente (5) pour avoir fait voeu de pauvreté, et qu'il exerçait un empire
(6) assez étendu en vertu de son voeu d'humilité; après quoi il laissa Babouc entre les
mains d'un petit frère (7), qui lui fit les honneurs.
Tandis que ce frère lui montrait les magnificences de cette maison de pénitence, un bruit
se répandit, qu'il était venu pour réformer (8) toutes ces maisons. Aussitôt il reçut des
mémoires (9) de chacune d'elles; et les mémoires disaient tous en substance :
Conservez-nous, et détruisez toutes les autres. À entendre leurs apologies (10), ces
sociétés étaient toutes nécessaires. À entendre leurs accusations réciproques, elles
méritaient toutes d'être anéanties. Il admirait comme il n'y en avait aucune d'elles qui,
pour édifier l'univers, ne voulût en avoir l'empire (11). Alors il se présenta un petit homme
qui était un demi-mage (12) et qui lui dit : «je vois bien que l'oeuvre va s'accomplir : car
Zerdust (13) est revenu sur la terre; les petites filles prophétisent, en se faisant donner
des coups de pincettes par-devant et le fouet par-derrière(14). Ainsi nous vous
demandons votre protection contre le Grand-Lama (15)».
- Comment ! dit Babouc, contre ce pontife-roi qui réside au Tibet ?
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- Contre lui-même.
- Vous lui faites donc la guerre, et vous levez contre lui des armées ?
- Non, mais il dit que l'homme est libre, et nous n'en croyons rien; nous écrivons contre lui
de petits livres qu'il ne lit pas à peine a-t-il entendu parler de nous; il nous a seulement
fait condamner comme un maître ordonne qu'on échenille (16) les arbres de ses jardins.
Babouc frémit de la folie de ces hommes qui faisaient profession de sagesse, des
intrigues de ceux qui avaient renoncé au monde, de l'ambition et de la convoitise
orgueilleuse de ceux qui enseignaient l'humilité et le désintéressement; il conclut qu'Ituriel
avait de bonnes raisons pour détruire toute cette engeance.
Voltaire (1694 - 1778)
Le monde comme il va, CH. VII
Notes :
1. Objets inutiles.
2. Réfléchi.
3. Un monastère.
4. Le supérieur du monastère.
5. Revenu.
6. Pouvoir.
7. jeune moine.
8. Modifier tes usages et les règles.
9. Écrits.
10. Discours élogieux.
11. Pour répandre la foi, ne voulut diriger le monde.
12. Demi-religieux.Voltaire fait allusion ici aux jansénistes, ennemis des jésuites.
13. Allusion cachée à jésus.
14. Allusion aux pénitences que s'infligeaient tes Jansénistes
15. Équivalant du pape
16. Enlève les chenilles.
Document 6 : Mais Voltaire nullement athée pour autant. C’est même en vertu de sa conception déiste de
dieu que toutes les turpitudes et manipulations humaines des religions lui paraissent insupportables.
PRIÈRE À DIEU
Ce n'est plus aux hommes que je m'adresse; c'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous
les mondes et de tous les temps : s'il est permis à de faibles créatures perdues dans
l'immensité et imperceptibles au reste de l'Univers, d'oser te demander quelque chose, à
toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne
regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature; que ces erreurs ne fassent point
nos calamités.
Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; fais
que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d'une vie pénible et
passagère; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles
corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes
nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si
égales devant toi; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés
Hommes, ne soient pas des signaux de haine et de persécution; que ceux qui allument
des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière
de ton soleil; que ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire qu'il faut
t'aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire;
qu'il soit égal de t'adorer dans un jargon formé d'une ancienne langue ou dans un jargon
plus nouveau; que ceux dont l'habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une
petite parcelle d'un petit tas de boue de ce monde et qui possèdent quelques fragments
arrondis d'un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu'ils appellent "grandeur et
richesse", et que les autres les voient sans envie, car tu sais qu'il n'y a dans ces vanités,
ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères ! Qu'ils aient en horreur, la
tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui vainc par la
force le fruit du travail et de l'industrie paisible. Si les fléaux de la guerre sont inévitables,
ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix
et employons l'instant de notre existence à bénir également en mille langages divers
depuis Sion jusqu'à Californie ta bonté qui nous a donné cet instant.
Voltaire (1694 - 1778)
Traité de la tolérance, 1763
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1502 200-02
Quelques livres sur le sujet
- Le tremblement de terre de Lisbonne, de Jean-Paul Poirier, Odile Jacob, 2005
- Dictionnaire général de Voltaire par lui-même, sous la direction de Raymond Trousson et Jérome
Vercruysse, Champion, 2003
- Voltaire : "Écrasons l'infâme !", Jean Marie Goulemot, In l'Histoire, N°289, juillet-août 2004
- Visages de Voltaire, XVlllème-XXème siècle, R. Trousson, Honoré Champion, 2001
- Les Ennemis des philosophes, D. Masseau, Albin Michel, 2000
- La Libre-Pensée en France, 1848-1940, J. Lalouette, Albin Michel, 1997
- Inventaire Voltaire, J. M. Goulemot, A. Magnan, D. Masseau , Gallimard, « Quarto », 1995
- La tolérance au risque de l'histoire, de Voltaire à nos jours, Sous la direction de J. Corna ton, Aléas, 1995
- Voltaire avocat, Rémy Bijaoui, Tallandier, 1994
- Voltaire, L'Affaire Calas et autres affaires, édition de J. Van Den Heuvel, Gallimard, 1975
- Voltaire et l'islam, D. Hadidi, Publications des orientalistes de France, 1974
- La Religion de Voltaire, René Pomeau, Nizet, 1969
- Politique de Voltaire, René Pomeau, Armand Colin, 1963
Association ALDÉRAN © conférence 1000-156 : “Les penseurs de la laïcité : Voltaire et la religion” - 26/06/2005 - page 12
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