Diagnostics Prévisions
et Analyses Économiques
Direction Générale du Trésor
et de la Politique Économique
N° 98 – Fév. 2006
Direction Générale du Trésor
et de la Politique Économique
Les indicateurs de retournement : des compléments utiles
à l'analyse conjoncturelle1
1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique et ne reflète pas nécessairement
la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.
Détecter les retournements de conjoncture est l'un des objectifs majeurs assignés au
conjoncturiste. De ce point de vue, les données dites «dures» (PIB, production industrielle,…)
ont le gros inconvénient d'être disponibles tardivement. Les enquêtes, et notamment celles
auprès des chefs d'entreprise de l'industrie, sont disponibles plus tôt et elles permettent de pré-
voir de manière satisfaisante la production industrielle à l'aide de relations économétriques cou-
ramment appelées étalonnages. Mais ces étalonnages ont souvent tendance à détecter avec un
certain retard les points de retournement.
C'est pourquoi ont été construits à partir de ces enquêtes, en 1998 pour la France et en
2000 pour la zone euro, des indicateurs dits «de retournement» dont l'objet est juste-
ment la détection des périodes au cours desquelles la conjoncture se retourne. À cet
effet, on définit à partir de ces enquêtes un signal -positif ou négatif- lorsque les acteurs écono-
miques qui répondent à ces enquêtes modifient substantiellement et dans le même sens leurs
réponses aux questions qui leur sont posées.
Les indicateurs de retournement ainsi construits à partir des enquêtes européennes
dans l'industrie indiquent généralement bien, et avant les indicateurs plus quantitatifs
(étalonnages d'enquêtes notamment), les changements de régime de croissance de la
production industrielle qui sont en train ou sont sur le point de se produire.
Ces indicateurs de retournement complètent donc, mais sans pour autant les rempla-
cer, les outils plus classiques d'analyse de la conjoncture. Même s'il est possible de
détourner de leur usage premier les indicateurs de retournement pour prévoir la production
industrielle, leur performance se révèle en effet en moyenne moins bonne que celle des étalon-
nages plus classiques.
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Janv. 2006 n°97 Bilan des finances locales depuis 1980, Julie Marcoff
n°96 Mondialisation et marché du travail dans les pays développés, Nadia Terfous
n°95 Les interventions de change japonaises semblent faire s’apprécier l’euro à court terme,
Benjamin Delozier
Déc. 2005 n°94 Croissances et réformes dans les pays arabes méditerranéens, Jacques Ould-Aoudia
n°93 L'Asie émergente et la libéralisation du compte de capital, Pierre Mongrué, Marc Robert
n°92 Influence de la fiscalité sur les comportements d’épargne, Maud Aubier, Frédérier Cherbon-
nier, Daniel Turquety
Nov. 2005 n°91 La présence française en Asie, Stéphane Cieniewski
n°90 Prix de l’Immobilier Résidentiel et Sphère Financière, Sébastien Hissler
n°89 Un bilan de l’émission des obligations françaises indexées sur l’inflation, Benoît Coeuré,
Nicolas Sagnes
Oct. 2005 n°88 Perspectives d’élargissement de la zone euro, Vanessa Jacquelain
n°87 Les externalités budgétaires dans la zone euro, Benjamin Carton
n°86 Le rôle du raffinage dans l’évolution récente des prix à la pompe, Julie Muro
Sept. 2005 n°85 La situation économique mondiale à l’automne 2005, Nathalie Fourcade
n°84 Taux d’actualisation public et calcul économique, Fabien Delattre, Adrien Véron
n°83 Évolution de l’emploi public en France et au Royaume-Uni depuis 1980 : éléments de
comparaison, Patrick Taillepied
n°82 Pourquoi le solde commercial américain a-t-il continué de se dégrader depuis 2002 mal-
gré la dépréciation du dollar ? Pierre Beynet, Éric Dubois, Damien Fréville, Alain Michel
n°81 Politique familiale et taille de la famille, Maryse Fesseau, Layla Ricroch
Août 2005 n°80 Y-a-t’il un excès de liquidité ? Benjamin Delozier, Sébastien Hissler
Juil. 2005 n°79 Performances de la France à l’international : état des lieux et enjeux à moyen terme,
Bruno Valersteinas
n°78 La hausse du prix des matières premières vue d’Asie, Hubert Frédéric
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des derniers numéros parus
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1. Les indicateurs de retournement visent à
combler une lacune dans la lecture tradi-
tionnelle des enquêtes
Chaque mois, les instituts de statistiques des douze
pays de la zone euro interrogent les chefs d'entreprise
de l'industrie manufacturière sur leur appréciation de
la conjoncture récente et des évolutions prévisibles
dans un avenir proche ; les instituts résument ensuite
ces réponses à travers des soldes d'opinion ; la Com-
mission Européenne rassemble et présente chaque
mois ces résultats, ce qui permet de disposer de don-
nées précieuses pour lire la conjoncture de la zone.
La plupart des indicateurs résumant l'information
contenue dans les enquêtes sont construits comme
une combinaison linéaire (une moyenne pondérée) de
plusieurs de ces variables. On sait bien les relier aux
grandeurs quantitatives qu'on cherche à prévoir et la
plupart du temps, le diagnostic issu de leur évolution
est suffisant. Pourtant, ils ne permettent pas de signa-
ler de façon évidente les retournements conjoncturels,
même si un graphique rétrospectif montre une bonne
adéquation de l’indicateur synthétique aux cycles
d’activité :
Un étalonnage est une équation économétri-
que qui traduit les soldes d'opinion issus des
enquêtes en prévisions de croissance d'une
grandeur quantitative, prévision que l'on peut
réaliser à différents horizons (pour le trimestre en
cours dès qu'il est entamé, ou le suivant). Cette
méthode est bien connue et couramment utilisée
en conjoncture. Toutefois, elle ne permet pas for-
cément d'anticiper ou de refléter les retournements
en temps réel : les étalonnages se trompent plus
aux moments où la conjoncture se retourne car les
équations sont construites pour assurer une cer-
taine stabilité au diagnostic, notamment en tenant
compte des enquêtes passées et pas uniquement de
la dernière disponible, et aussi en tenant compte de
plusieurs séries de soldes d'opinion simultanément.
Pourtant, en examinant une série longue de soldes
d'opinion, on peut facilement définir des pics ou
des creux conjoncturels, ce qui est d'ailleurs utile
pour les lectures rétrospectives ; cependant cette
définition n'est possible que bien plus tard, quand
on constate qu'un point est plus élevé ou plus bas
que tous ceux qui le précèdent et qui le suivent
pendant plusieurs mois. Or à ce moment-là, les
données quantitatives sont largement disponibles.
Une littérature initiée en France par Stéphane Gregoir
et Fabrice Lenglart2 a montré qu'il est possible d'obte-
nir en temps réel à partir des enquêtes un signal quali-
tatif sur l'état dans lequel se trouve l'économie. Ce
sont les indicateurs dits «de retournement» : ils résu-
ment chaque mois l'information d'un nouveau point
d'enquête de façon très simple («le plus probable est
que l'économie soit dans un état haut, moyen, ou
bas»). Malgré tout, cette simplicité de présentation dis-
simule un traitement sophistiqué de l'information, si
bien qu'ils sont mal connus et trop peu utilisés. Pour
la zone euro, l’INSEE d’une part, et la Direction
Générale du Trésor et de la Politique Economique
d’autre part, utilisent ce type de modélisation :
l'INSEE utilise le modèle proposé par Gregoir
et Lenglart, et publie les résultats de ce modèle
concernant la zone euro dans un numéro
d'«informations rapides» mensuel sur les enquê-
tes de conjoncture dans la zone euro,
la DGTPE a publié un document de travail3
présentant son propre modèle, utilisé au sein de
la Direction pour le diagnostic conjoncturel.
Ce type d’indicateur ne doit pas être confondu
avec les indicateurs synthétiques, qui sont en fait
des moyennes pondérées des soldes d’opinion
des enquêtes et que certains organismes appel-
lent parfois aussi «indices de retournement».
2. Des indicateurs probabilistes, avec de
petites variantes possibles, mais qui
mènent à des résultats proches et décri-
vent bien les retournements de la produc-
tion industrielle
2.1 Une formalisation sophistiquée, mais qui
met en forme une démarche intuitive
Les deux indicateurs obéissent au même principe de
construction : on modélise la dynamique temporelle
propre à chaque série ; cela permet, à chaque point
nouveau, de quantifier la «surprise», en comparant ce
qui est réalisé à ce qu'aurait été le nouveau point si la
série avait évolué de façon «neutre» ; on suppose alors
que cette surprise est due à une variable qualitative
sous-jacente représentant un nombre limité d'états
d'activité (haut, bas, éventuellement moyen), et on cal-
cule la probabilité d'occurrence de chacun de ces états
compte tenu des diverses surprises observées sur
l'ensemble des séries par rapport à leurs caractéristi-
ques «habituelles», qui peuvent être définies de diffé-
rentes façons.
D'une façon générale, la probabilité obtenue sera celle
que l'économie se trouve en phase de conjoncture
haute, basse, ou éventuellement moyenne ; un
«retournement» de conjoncture sera alors associé à
une évolution de cette probabilité, car elle révèlera un
changement d'état.
2. Gregoir Lenglart (2000): «Measuring the Probability of a Business
Cycle Turning Point by Using a Multivariate Qualitative Hidden
Markov Model», Journal of Forcasting, 19 (2000).
3. Hélène Baron et Guillaume Baron : «Un indicateur probabiliste de
retournement conjoncturel dans la zone euro», Économie et Statis-
tique N°359-360 (avril 2003).
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2.2 Des choix différents qui mènent finalement à
des indicateurs proches
Ces principes étant posés, le modélisateur peut faire
plusieurs choix dans la construction de l'indicateur
mais aussi dans sa présentation finale4. Les indicateurs
de l'INSEE et de la DGTPE diffèrent ainsi sur plu-
sieurs points, la principale source de différence étant
le choix du nombre d'états :
2.2.1 Choix du nombre d'états…
On peut faire le choix parcimonieux de ne retenir que
deux états (haut ou bas), comme l'INSEE, qui s'inté-
resse ensuite à la différence de probabilité des deux
états ; on peut préférer retenir trois états (haut, bas,
moyen), comme la DGTPE, qui met ensuite en avant
l'état le plus probable.
La présentation finale diffère finalement peu : certes,
l'INSEE présente une courbe variant entre –1 (l'«état
est bas») et +1 (l'«état est haut»), tandis que les choix
effectués par la DGTPE peuvent se représenter par
trois états différents, sous forme d'aires de couleurs
différentes selon que l'état le plus probable est le
«haut», le «moyen» ou le «bas». Par convention,
l'INSEE considère que le message est positif si l'indi-
cateur est supérieur à 0,33, négatif, s'il est inférieur à –
0,33, et neutre sinon. On voit graphiquement
(cf. graphique 1) que dès lors, les deux indica-
teurs délivrent sensiblement le même message
décliné en trois possibilités : notamment, aucun
des deux indicateurs n'est systématiquement
avancé par rapport à l'autre.
Plus précisément, les états bas et haut auxquels fait
référence l'indicateur utilisé à la DGTPE sont bien
associés aux mêmes états par l'indicateur utilisé à
l'INSEE. En revanche, les états moyens ne mènent
pas toujours au même diagnostic : le fait que l'indica-
teur de retournement de la DGTPE suppose trois
états permet une association plus fréquente à l'état
moyen, alors que l'indicateur utilisé à l'INSEE (qui
suppose deux états) ne diagnostique cet état que briè-
vement, lors de passage d'un état bas à haut (ou inver-
sement), comme au second semestre 1994 ou à la mi-
2003, ou lors de phases d'incertitude marquée, comme
fin 2002. L'indicateur de retournement modélisé avec
deux états peut donc se montrer plus stable dans son
diagnostic : l'activité est bien orientée ou pas. Il peut
permettre aussi de mettre en évidence plus rapide-
ment les retournements si l'indicateur passe brutale-
ment d'une valeur proche de 1 à une valeur proche de
1 (ou inversement).
Comme ce sont bien les retournements que l'on cher-
che à diagnostiquer, on pourrait en conclure que la
modélisation avec trois états fait perdre de l'informa-
tion. De fait, en 2003 et 2004 par exemple, l'alternance
d'états moyens et hauts rendait l'interprétation diffi-
cile. Toutefois, ce n'est pas forcément le cas, notam-
ment lorsque le retournement ne se fait pas
brusquement : à titre d'exemple, au premier semestre
1998 ou au second semestre 2000, le passage de l'indi-
cateur de la DGTPE par un état moyen anticipait cor-
rectement l'état bas qui a ensuite été diagnostiqué ;
l'indicateur de l'INSEE, quant à lui, signalait alors tou-
jours un état d'activité élevé, même si la probabilité
associée à cet état diminuait.
4. Afin d'étudier l'impact de ces différents choix, nous avons utilisé le
modèle DEREC, routine développée sous GAUSS par J. Bardaji et
F. Tallet (notes n° 225/G121 et 127/G145 de l’INSEE).
Graphique 1 : comparaison des états d’activité retranscrits à travers les indicateurs de retournement de l’INSEE
et de la DGTPE pour la zone euro
Source : INSEE, DGTPE
-1,0
-0,3
0,3
1,0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
état bas (DGTPE) état moyen (DGTPE) état haut (DGTPE) Indicateur INSEE
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2.2.2 Choix du moment de l'agrégation
Pour la zone euro, l'INSEE utilise tous les soldes
d'opinion des 6 principaux pays de la zone euro
(30 variables) pour construire son indicateur de
retournement. La modélisation utilisée à la DGTPE
repose sur les cinq soldes d'opinion se rapportant à
l'ensemble de la zone euro , les soldes d'opinion étant
pondérés en fonction notamment de leur poids éco-
nomique au sens de la production industrielle. Aucune
des deux méthodes n'est a priori meilleure que l'autre ;
on peut d'ailleurs montrer que cela ne provoque fina-
lement pas de différence de résultats majeure.
2.2.3 Choix de qualification de la «surprise
conjoncturelle»
Pour chaque série, la variable de «surprise» (que l'on
appelle l'innovation conjoncturelle) peut être mesurée
par rapport à son propre comportement récent, avec
l'hypothèse qu'il existe un lien temporel entre les
variations (c'est le choix fait par l'INSEE), ou en fonc-
tion de l'ampleur des variations rapportée à ce que l'on
observe sur l'ensemble du passé et non uniquement
sur le passé récent (c'est le choix fait par la DGTPE).
On peut montrer que ce choix, comme tous ceux
mentionnés précédemment, mène à des résultats pro-
ches. C'est donc que l'essentiel de l'information que
les indicateurs de retournement délivrent est bien dans
leur principe de construction, qui consiste à extraire
une information qui n'est pas directement exprimée
par les entrepreneurs interrogés, mais qui est révélée
par l'écart aux régularités observées dans leur compor-
tement de réponse.
2.2.4 Choix des variables qui participent à l'analyse
Enfin, on peut aussi choisir de retenir différentes
séries de soldes d'opinion dans l'analyse. Afin
d'exploiter le maximum d'information, les deux
modèles (INSEE et DGTPE) utilisent cinq soldes
d'opinion5. Néanmoins, on peut se demander si des
modèles n'intégrant que les soldes prospectifs réagi-
raient plus tôt que les autres. Appliqué à la Zone Euro,
un test statistique (test de Banerji6) montre que cette
avance n'est globalement pas significative.
2.3 Les retournements de la production indus-
trielle sont bien décrits par les indicateurs
ainsi construits
Nous avons caractérisé le rythme de croissance de
l’Indice de la Production Industrielle (IPI)7 en trois
états, en définissant des bornes de taux de croissance
de telle sorte qu'un tiers des observations appartienne
à chaque état. Nous avons ainsi déterminé des régimes
de croissance faibles (lorsque le taux de croissance tri-
mestriel de la production est inférieure à +0,1%) et
élevées (lorsque ce taux de croissance est supérieur à
+0,9%). On peut montrer (cf. tableau, construit à par-
tir de l'indicateur de la DGTPE8) que lorsque les indi-
cateurs obtenus se modifient pour s'installer
durablement dans un nouvel état, haut ou bas, cela se
produit en général au cours du trimestre précédent le
changement du rythme de croissance de l'IPI.
5. Tendance passée de la production, Perspectives de production, Car-
nets de commandes globaux, Carnets de commandes étrangers,
Niveau des stocks.
6. Anirvan Banerji : «The lead profile and other non-parametric tools
to evaluate survey series as leading indicators», 24th CIRET confe-
rence, 1999.
7. À la différence de la France, les comptes trimestriels pour la Zone
Euro ne présentent pas de production dans l'industrie (seule la
valeur ajoutée est présentée), c'est pourquoi nous comparons les
indicateurs de retournement à l'IPI.
8. La même étude, basée sur l'indicateur de retournement de l'INSEE,
mène à des résultats proches.
Graphique 2 : indicateur de retournement de la DGTPE et taux de croissance de la production industrielle
pour la zone euro
Source : INSEE, DGTPE
Note de lecture : les traits en pointillés représentent les bornes du taux de croissance trimestriel de la production industrielle qui permettent de
délimiter un taux de croissance soutenu, moyen ou faible.
-2%
-1%
0%
1%
2%
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004
état bas (DGTPE) état moyen (DGTPE)
état haut (DGTPE) Taux de croissance de l'IPI
1 / 8 100%