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Direction Générale du Trésor
et de la Politique Économique
1. Les indicateurs de retournement visent à
combler une lacune dans la lecture tradi-
tionnelle des enquêtes
Chaque mois, les instituts de statistiques des douze
pays de la zone euro interrogent les chefs d'entreprise
de l'industrie manufacturière sur leur appréciation de
la conjoncture récente et des évolutions prévisibles
dans un avenir proche ; les instituts résument ensuite
ces réponses à travers des soldes d'opinion ; la Com-
mission Européenne rassemble et présente chaque
mois ces résultats, ce qui permet de disposer de don-
nées précieuses pour lire la conjoncture de la zone.
La plupart des indicateurs résumant l'information
contenue dans les enquêtes sont construits comme
une combinaison linéaire (une moyenne pondérée) de
plusieurs de ces variables. On sait bien les relier aux
grandeurs quantitatives qu'on cherche à prévoir et la
plupart du temps, le diagnostic issu de leur évolution
est suffisant. Pourtant, ils ne permettent pas de signa-
ler de façon évidente les retournements conjoncturels,
même si un graphique rétrospectif montre une bonne
adéquation de l’indicateur synthétique aux cycles
d’activité :
•Un étalonnage est une équation économétri-
que qui traduit les soldes d'opinion issus des
enquêtes en prévisions de croissance d'une
grandeur quantitative, prévision que l'on peut
réaliser à différents horizons (pour le trimestre en
cours dès qu'il est entamé, ou le suivant). Cette
méthode est bien connue et couramment utilisée
en conjoncture. Toutefois, elle ne permet pas for-
cément d'anticiper ou de refléter les retournements
en temps réel : les étalonnages se trompent plus
aux moments où la conjoncture se retourne car les
équations sont construites pour assurer une cer-
taine stabilité au diagnostic, notamment en tenant
compte des enquêtes passées et pas uniquement de
la dernière disponible, et aussi en tenant compte de
plusieurs séries de soldes d'opinion simultanément.
• Pourtant, en examinant une série longue de soldes
d'opinion, on peut facilement définir des pics ou
des creux conjoncturels, ce qui est d'ailleurs utile
pour les lectures rétrospectives ; cependant cette
définition n'est possible que bien plus tard, quand
on constate qu'un point est plus élevé ou plus bas
que tous ceux qui le précèdent et qui le suivent
pendant plusieurs mois. Or à ce moment-là, les
données quantitatives sont largement disponibles.
Une littérature initiée en France par Stéphane Gregoir
et Fabrice Lenglart2 a montré qu'il est possible d'obte-
nir en temps réel à partir des enquêtes un signal quali-
tatif sur l'état dans lequel se trouve l'économie. Ce
sont les indicateurs dits «de retournement» : ils résu-
ment chaque mois l'information d'un nouveau point
d'enquête de façon très simple («le plus probable est
que l'économie soit dans un état haut, moyen, ou
bas»). Malgré tout, cette simplicité de présentation dis-
simule un traitement sophistiqué de l'information, si
bien qu'ils sont mal connus et trop peu utilisés. Pour
la zone euro, l’INSEE d’une part, et la Direction
Générale du Trésor et de la Politique Economique
d’autre part, utilisent ce type de modélisation :
– l'INSEE utilise le modèle proposé par Gregoir
et Lenglart, et publie les résultats de ce modèle
concernant la zone euro dans un numéro
d'«informations rapides» mensuel sur les enquê-
tes de conjoncture dans la zone euro,
– la DGTPE a publié un document de travail3
présentant son propre modèle, utilisé au sein de
la Direction pour le diagnostic conjoncturel.
Ce type d’indicateur ne doit pas être confondu
avec les indicateurs synthétiques, qui sont en fait
des moyennes pondérées des soldes d’opinion
des enquêtes et que certains organismes appel-
lent parfois aussi «indices de retournement».
2. Des indicateurs probabilistes, avec de
petites variantes possibles, mais qui
mènent à des résultats proches et décri-
vent bien les retournements de la produc-
tion industrielle
2.1 Une formalisation sophistiquée, mais qui
met en forme une démarche intuitive
Les deux indicateurs obéissent au même principe de
construction : on modélise la dynamique temporelle
propre à chaque série ; cela permet, à chaque point
nouveau, de quantifier la «surprise», en comparant ce
qui est réalisé à ce qu'aurait été le nouveau point si la
série avait évolué de façon «neutre» ; on suppose alors
que cette surprise est due à une variable qualitative
sous-jacente représentant un nombre limité d'états
d'activité (haut, bas, éventuellement moyen), et on cal-
cule la probabilité d'occurrence de chacun de ces états
compte tenu des diverses surprises observées sur
l'ensemble des séries par rapport à leurs caractéristi-
ques «habituelles», qui peuvent être définies de diffé-
rentes façons.
D'une façon générale, la probabilité obtenue sera celle
que l'économie se trouve en phase de conjoncture
haute, basse, ou éventuellement moyenne ; un
«retournement» de conjoncture sera alors associé à
une évolution de cette probabilité, car elle révèlera un
changement d'état.
2. Gregoir Lenglart (2000): «Measuring the Probability of a Business
Cycle Turning Point by Using a Multivariate Qualitative Hidden
Markov Model», Journal of Forcasting, 19 (2000).
3. Hélène Baron et Guillaume Baron : «Un indicateur probabiliste de
retournement conjoncturel dans la zone euro», Économie et Statis-
tique N°359-360 (avril 2003).