François Arago, l’océanographe Guy JACQUES AVEC LA CONTRIBUTION DE BRUNO VOITURIEZ Les prémices d’une conférence « Parler de M. Arago est une difficulté pour tout le monde peut-être d’ici à quelques années encore, surtout si l’on avait la prétention de le juger à la fois comme savant, comme professeur et comme homme public, en s’attachant à démêler en lui avec précision les diverses capacités dont il était pourvu et les influences générales qu’il a exercées ou subies. Pour moi, qui n’ai pas même l’honneur de comprendre et de lire dans leur langue les Mémoires de haute science où il s’est montré inventeur, ces considérations sur les profondes et fines parties de l’optique et du magnétisme où il a gravé son nom ; qui n’ai eu que le plaisir de l’entendre quelquefois, soit dans ses Cours à l’usage des profanes, soit dans les séances publiques de l’Académie, je ne puis ici que m’approcher respectueusement de lui par un aspect ouvert à tous ; je ne puis que l’aborder, si ce n’est point abuser du mot, par son côté littéraire ». C’est ce qu’écrit Charles-Augustion Sainte-Beuve, dans ses Causeries du lundi le 20 mars 1854. Dès que je pris conscience de l’étendue des œuvres complètes d’Arago qui comptent dix-sept volumes, publiés de manière posthume en 1857 par Jean Augustin Barral (annexe 2), je me décidais à modifier le titre que je comptais donner à ce mémoire. Ce ne serait pas « François Arago, le savant » mais « François Arago, l’océanographe », même si j’irai parfois au-delà de ce seul aspect. Après une trentaine d’années passées au Laboratoire Arago à Banyuls, il fallut la conférence d’un collègue sur le Gulf Stream pour que je prenne conscience que j’ignorais tout de ce savant ; je venais d’apprendre qu’Arago avait donné, le premier, le schéma de la circulation océanique générale que nous dénommons maintenant « le tapis roulant ». Je rechercherai dans les dires d’Arago, reflet de recherches et de réflexions personnelles ou transcription des savoirs d’autrui (par sa curiosité et son activité de Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences) les éléments qui dénotent une vision pionnière ou, au contraire, se sont avérés des erreurs ou des aberrations. 1 François Arago, l’océanographe Océanographes et climatologues apprécieront qu’Arago se soit parfaitement rendu compte de la nécessité de mesures à long terme dans ce domaine : « Il faut en effet songer à pourvoir nos sciences de termes de comparaison dont nous manquons nous-mêmes ». Cette profession de foi le conduit à demander du zèle aux officiers des navires pour mesurer la pression atmosphérique, la température de l’air et de l’eau de mer. La métrologie est l’un de ses soucis constant puisqu’il émaille ses discours de descriptions d’appareillages et de techniques. On doit donc porter à son crédit le souci de la qualité des mesures et la nécessité de comparaison des instruments ainsi que, pour la météorologie, la régularité des horaires de mesure. Cette recherche estompe le seul souvenir, négatif, que j’avais de ce savant : son opposition farouche autant qu’infondée au chemin de fer (figure 1). Devant la Chambre des députés, il termine son invective contre le projet d’un tunnel à Paris par cette phrase « J’en appelle à tous les médecins pour décider si un abaissement subit de quarante-cinq à huit degrés de température n’amènera pas des conséquences fatales ? ». Figure 1 – L’ancêtre passe son premier tunnel vers 1830. Ténèbres, escarbilles, émotion. Avant de me lancer dans l’écriture et après avoir médité près de là statue d’Arago place du même nom à Perpignan (figure 2), je voulus me plonger dans l’ambiance parisienne pour admirer, place de l'ile de Sein où le méridien de Paris coupe le boulevard Arago, la magnifique statue d’Arago figurant dans des écrits anciens. Déception ! Seul demeure son piédestal, la statue en bronze ayant été fondue en 1942, comme sa sœur d’Estagel (figure 3) pour les besoins de la guerre. Triste destin pour un Ministre de la Marine puis de la Guerre… 2 Figure 2 – Statue de François Arago sur la place du même nom à Perpignan. Inaugurée en 1879, ce monument d’Antoine Mercié est orné de trois bas-reliefs représentant les études d’Arago en Roussillon, les barricades de 1848 et ses derniers travaux à l’Observatoire tandis qu’il dicte ses mémoires à sa nièce, Lucie Laugier. Figure 3 - Statue d’Arago par le sculpteur catalan Alexandre Oliva inaugurée devant l’Observatoire de Paris le 11 juin 1893 par Jules Ferry…et la même en 1941. L’enthousiasme renaît rapidement, à deux pas de là, avenue DenfertRochereau, mon pied se posant sur un petit disque en bronze d’une dizaine de centimètres de diamètre scellé dans le sol et qui rend hommage à Arago (figure 4). 3 Figure 4 – Médaillon Arago matérialisant le méridien de Paris. Un doute m’envahit. Suis-je encore dans le souvenir d’Arago ou dans le Da Vinci Code parlant de la Ligne Rose qui mène au Saint Graal, le long de l’axe nord-sud du méridien de Paris ? Cet hommage à François Arago, rendu par l’artiste néerlandais Jan Dibbets en 1984, avec 135 médaillons sur les 17 kilomètres séparant la Porte Montmartre de la Cité universitaire1, est particulièrement opportun tant l’envol scientifique de ce savant est liée au méridien de Paris qui demeura le méridien origine jusqu’à la Conférence internationale de Washington en 1884 ou Greenwich lui est préféré après d'âpres discussions entre français et anglais. Le méridien de Paris, un fil conducteur La vie scientifique de François Arago est intimement associée au méridien de Paris défini le 21 juin 1667 par les mathématiciens de l’Académie. Cette méridienne passant par l’Observatoire de Paris et allant, en France, de Dunkerque à Prats-deMollo-la Preste (Pyrénées-Orientales) est dessinée, pour la première fois, entre 1669 et 1718 par Jean-Dominique Cassini, premier directeur de l’Observatoire, son fils, Jacques Cassini, et Philippe de la Hire. À la demande de la Convention, elle est de nouveau mesurée entre 1792 et 1798 par deux astronomes, Jean-Baptiste Joseph Delambre et Pierre Méchain pour servir de base à la détermination exacte du mètre en 1799, la dix millionième partie du quart du méridien terrestre, ce qui conduira à la construction du mètre étalon déposé au pavillon de Breteuil à Sèvres. Pour cette mesure, ces scientifiques utilisent les règles de Borda composées de deux tiges jointes, l’une en laiton et l’autre en platine, afin de calculer la variation de la longueur de la règle due à la dilatation lors des changements de température. Delambre et Méchain mesurent seulement un arc suffisamment long et, par proportionnalité, ils calculent la longueur de tout le quart de méridien. Premier signe du destin. Pierre Méchain, chargé de le mesurer dans le sud de la France, rencontre François Arago à Estagel, ville dont son père est le maire. La vocation d’Arago pour l’astronomie est née. Quelques années plus tard, en 1 http://www.parissweethome.com/parisrentals/art_fr.php?id=31 4 François Arago, l’océanographe compagnie de Jean-Baptiste Biot, Arago prolonge ces mesures jusqu’aux Baléares. Mais en 1808 la guerre d’indépendance de l’Espagne éclate, Madrid se soulevant contre l’armée de Napoléon qui y était stationnée. Considéré comme un espion, Arago rejoint Alger pour revenir en France ; à quelques encablures de Marseille, son navire est arraisonné et il est ramené en Espagne. La pression du Dey d’Alger conduit à sa libération et à celle de ses compagnons d’infortune. Sans que l’on puisse affirmer que sa vocation d’océanographe soit née à ce moment, un coup de mistral sévit alors qu’il est en vue de Marseille et, après cinq jours d’épreuves, il débarque…à Bougie. Sa vie est encore menacée quad il traverse la Kabylie avant qu’il regagne enfin la France en 1809. L’Institut, frappé de tant de courage, d’intelligence et de dévouement lui ouvre immédiatement ses portes. Le 18 septembre de la même année, il est élu en section d’astronomie à 23 ans ; il en deviendra le Secrétaire perpétuel en 1830. Quoi de plus logique après ses travaux de mesure du méridien de Paris, qu’il devienne également, en 1834, directeur des observations du Bureau des longitudes, un recrutement d’une ampleur nouvelle dans un site rénové devenant une véritable « fabrique de savants ». Ce méridien fascine encore comme l’a montré le projet de l'architecte Paul Chemetov d’une « Méridienne Verte » pour les cérémonies de l'an 2000 en France. Le méridien de Paris est matérialisé en plantant des arbres tout au long de son tracé. Le 14 juillet 2000, un pique-nique géant se déroule le long de cette Méridienne Verte qui, dans les Pyrénées-Orientales, traverse Caudiès-deFenouillèdes, Fuilla, Mosset, Conat, Rabouillet, Villefranche-de-Conflent, Serdinya, Escaro, Sahorre, Py et Prats-de-Mollo-la-Preste. Polytechnique, de l’éloge à la critique Entré au sixième rang à Polytechnique à 17 ans en 1803 (le concours étant, à l’époque, décentralisé, il fut major parmi ceux se présentant à Toulouse) il y fut nommé professeur en astronomie par Napoléon en 1810 et il y professa jusqu’en 1830. La plupart des hommages à François Arago le place sur un piédestal aussi bien comme homme politique que comme savant. Jean-Paul Poirier, membre de l’Académie des sciences, dans son hommage « Arago, un savant et un homme généreux » rendu le 10 juin 2003 à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de sa mort écrit : « Je voudrais m’attacher également à l’homme Arago, esprit indépendant et curieux touchant à tous les domaines de la science, mais aussi enthousiaste et généreux ». Il souligne aussi que, dans l’introduction de l’édition posthume de ses œuvres complètes, son ami de quarante-quatre ans, Alexander von Humboldt, grand savant et voyageur prussien, admire « Le soin critique qu’il apporte à la recherche des faits, l’impartialité des jugements, la lucidité des expositions scientifiques, une 5 François Arago, l’océanographe chaleur qui grandit à mesure que le sujet s’éveille. Ces qualités imprègnent les discours qu’il a prononcés dans les assemblées politiques, où il occupait un rang si éminent par la noblesse et la pureté de ses convictions ». Beaucoup indiquent également qu’il fut un « passeur d’idées ». Lorsqu’il devient à son tour « mandarin », Arago utilise avec générosité son influence pour mettre en avant les jeunes scientifiques dont les travaux l’enthousiasment. Certains furent ses amis, comme Augustin Fresnel. D’autres, moins proches, bénéficient de ses idées, de ses conseils, de son soutien : André-Marie Ampère où encore Hippolyte Fizeau qu’il pousse à s’intéresser à la vitesse de la lumière et Léon Foucault dont il présente le pendule à l’Observatoire. C’est également Arago qui, en 1845, lance Urbain le Verrier à la recherche des anomalies du mouvement de la « troublante Uranus » découverte par William Herschel le 13 mars 1781. Cette recherche le conduit à la découverte de Neptune. Petit à petit Urbain Le Verrier devient son pire ennemi…sans doute marri que cette nouvelle planète ne porte pas son nom. Figure 5 - Arago donnant un cours à l’Observatoire et quelques médaillons sauvegardés de cet amphi : horloge, lunette méridienne, cercle vertical, télescope Herschel. Aussi, ai-je été surpris par le ton de l’article « François Arago et l’École polytechnique » publié en 1989 par Émmanuel Grison, professeur honoraire à cette école (Sabix :http://sabix.org). Cet auteur paraît peu complaisant à l’égard de celui dont il rappelle d’emblée les louanges de ses panégyristes : « Enfant chéri de l’École polytechnique », « peut-être la plus grande gloire de l’École », etc. Contentons-nous de citer le paragraphe Un « mythe » Arago ? : « Mémoire fidèle donc, mais de plus en plus floue, les années passant ; dès qu’on veut y regarder d’un peu plus près, surgissent des contradictions multiples. Arago grand physicien et illustre professeur à l’École polytechnique ? Mais c’est la géométrie et les mathématiques appliquées qu’il y enseigna, et jamais la physique. Arago, grand savant ? Mais il y a bien des physiciens et même des astronomes plus célèbres que lui et, dès son temps, l’Académie des sciences comptait parmi ses membres des savants, anciens 6 François Arago, l’océanographe polytechniciens comme lui, dont l’œuvre et le rayonnement scientifique furent plus illustres. Sa célébrité n’est-elle pas bien tardive, puisqu’il n’y a guère qu’une soixantaine d’années, lorsque la mode se répandit de baptiser bâtiments et locaux, qu’on lui dédia ‘l’amphi Arago’ ? Un peu plus loin, Frison indique : « Autre abus dans le culte polytechnicien : on fera d’Arago une sorte d’archétype des polytechniciens, un abrégé des vertus supposées de ceux-ci ». C’est Michel Chevalier, économiste, qui lance l’idée lors de la cérémonie de 1865 : « L’ascendant qui lui a appartenu pendant toute sa vie venait de ce qu’il offrait la variété la meilleure du type polytechnicien ». Comme s’il y avait un « type », un « produit » de l’École polytechnique, dont Arago serait le modèle vivant….Lorsqu’il débute en politique, en 1830, il a en mains pendant quelques semaines la direction de l’École et prône une réforme assez importante. Mais, presque toutes les mesures sont peu après rapportées et, de fait, elles n’étaient pas toutes des plus heureuses. En 1848, ministre puis chef de l’exécutif de la Seconde République, il n’intervient en rien dans la marche de l’École : bien au contraire, celle-ci lui tourne le dos au début du Second Empire sous l’influence hostile d’ Urbain Le Verrier (figure 6). Figure 6 – Urbain Jean Joseph Le Verrier (1811-1877), astronome et mathématicien français spécialisé en mécanique céleste. Il ne pardonna pas à Arago de n’avoir pas tenu sa promesse que son nom soit donné à la planète qu’il estime avoir découvert et qui devint « Neptune ». Basse vengeance ? Le Verrier fit détruire la « salle Arago » après sa mort pour y installer ses appartements ! Personne ne nie par contre qu’Arago, redoutable orateur capable de défaire les plus brillants contradicteurs, est aussi un grand pédagogue-vulgarisateur. Il donne aussi, de 1813 à 1846, un cours public d'astronomie qui remporte un immense succès. Après sa mort, son assistant, Jean-Augustin Barral, publie 7 François Arago, l’océanographe d’ailleurs Astronomie populaire, le cours qu’Arago professa pendant dix-huit années. Moins célèbre sans doute que celui de son épigone Camille Flammarion, le traité d’Arago est bien plus pédagogique. Rappelons ce qu’Arago écrivait à ce sujet : « Je me suis décidé pour des leçons que tout le monde puisse comprendre. J’ai pensé, moi, au plus grand nombre et je me suis décidé pour le parti le plus radical. Je ferai donc le cours sans supposer à mes auditeurs aucune connaissance mathématique quelconque. Le cours sera complet quand au fond et élémentaire seulement par sa forme ». Un de ses élèves indique : « À l’École polytechnique, Arago avait professé tour à tour la géodésie, la géométrie, la théorie des machines, l’astronomie et la physique en s’astreignant, sans sécheresse et sans vaine subtilité, à la savante et solide rigueur que le jeune auditoire peut supporter et qu’il attend de ses maîtres. Le cours d’astronomie professé à l’Observatoire, au nom du Bureau des longitudes, demandait des qualités bien différentes. Au lieu d’approfondir, il fallait effleurer. L’entrée était libre ; et si le public mérite toujours d’être instruit, il rend souvent la tâche difficile à ceux qui osent l’entreprendre : les auditeurs, pour la plupart incapables d’une étude lente et profonde, voulaient sans fatigue, sans ennui, occuper leurs loisirs pendant une heure ou deux. Il fallait leur mesurer en quelque sorte les vérités, sans exiger d’eux un temps qu’ils ne pouvaient donner et une patience qui leu eût bien vite échappée. L’esprit flexible d’Arago, également capable de descendre et de s’élever, savait éclairer les auditeurs les moins préparés sans cesser de satisfaire les plus doctes. C’est en se faisant toujours comprendre qu’il se faisait toujours admirer, et son enseignement net et lumineux sans être dogmatique, en habituant les gens du monde aux grandes idées scientifiques, a puissamment contribué à leur imprimer le goût des vérités abstraites et sérieuses ». « À la différence de ces orateurs qui parlent sur tout et qui ne savent, les trois-quarts du temps, ce qu’ils disent, Arago ne parle que sur les questions préparées qui joignent à l’attrait de la science l’intérêt de la circonstance. Ses discours ont ainsi de la généralité et de l’actualité, et ils s’adressent en même temps à la raison et aux passions de son auditoire. Aussi ne tarde-t-il pas à le maîtriser. À peine est-il entré en matière, il attire et concentre sur lui tous les regards. Le voilà qui prend, pour ainsi dire, la science entre ses mains ! Il la dépouille de ses aspérités et de ses formules techniques, et il la rend si perceptible, que les ignorants sont aussi étonnés que charmés de le comprendre. Sa pantomime expressive anime tout l’orateur. Il y a quelque chose de lumineux dans ses démonstrations, et des jets de clarté semblent sortir de ses yeux, de sa bouche et de ses doigts. Il coupe son discours par des interpellations mordantes, qui défient la réponse, ou par quelques piquantes anecdotes qui se lient à son thème et qui l’ornent sans le surcharger. Lorsqu’il se borne à narrer les faits, son élocution n’a que les grâces naturelles de la simplicité. Mais si, face 8 François Arago, l’océanographe à face de la science, il la contemple avec profondeur pour en visiter les secrets et pour en étaler les merveilles, alors son admiration commence à prendre un magnifique langage, sa voix s’échauffe, sa parole se colore, et son éloquence devient grande comme son sujet ». Arago et Humboldt Une longue amitié Dans une note publiée en 1999, Davis associe Arago et Alexandre de Humboldt (1769-1859) dans la découverte des lois régissant la température des nappes phréatiques et des puits artésiens. Les liens entre ces deux savants sont très étroits et portent sur des thèmes bien plus divers. C’est sous l’impulsion d’Humboldt, grand voyageur s’il en fût, qu’Arago s’intéresse de près aux océans et rédige en quinze jours ses Instructions pour la Physique du globe (1835) pour préparer la mission autour du monde de La Bonite en 1836-37 qui n’était en rien un navire océanographique. On doit même parler d’amitié puisque, sachant Arago malade, Humboldt prie Achille Valenciennes, naturaliste et ichtyologiste, de solliciter Lucie Laugier, nièce d’Arago et femme de l’astronome Paul Auguste Ernest Laugier (qui est l’élève d’Arago en astronomie), « De me donner quelques nouvelles consolantes sur Arago » et il souligne aussi : « Tant de manuscrits d’Arago resteront-ils perdus. Daignez m’écrire ce que Lucie ne voudra pas me dire, si l’on dicte encore, si vous croyez à une publication ». C’est encore à Humboldt qu’Arago narre en 1840 les attaques dont il est l’objet en tant que secrétaire de l’Académie des sciences avec cette magnifique phrase « Calomniez, calomniez toujours, il n’en restera rien ». À cette époque, les liens entre les savants du monde et leurs voyages lointains sont monnaie courante. En 1804, à son retour de cinq années d’expédition en Amérique du Sud (Cuba, Équateur, Mexique, Pérou), Humboldt côtoie, à Paris, Berthollet, Laplace et Gay-Lussac avec qui il effectue un voyage en Italie où il rencontre Simon Bolivar. Polyvalent, comme nombre de savants d’alors, Humboldt (botanique, géologie, géophysique, électricité, astronomie, géographie, ethnologie) croise la route d’Arago en 1809 lors de son retour à Paris après quatre années passées comme Chancelier du roi à Berlin. Il avait déjà vécu dans la capitale de 1796 à juin 1799, date de son départ pour une expédition en Amérique du Sud en compagnie du naturaliste Aimé Bonpland, son compagnon et secrétaire. Humboldt et Bonpland sont les premiers à effectuer une exploration scientifique digne de ce nom avec l’ambition de découvrir l'interaction des forces de la nature et des influences qu'exerce l'environnement géographique sur la vie végétale et animale. Même si son retour à Paris en 1809 a pour but de faire baisser les indemnités de guerre de son pays, il reprend son œuvre scientifique, Paris étant alors la capitale intellectuelle du monde. Son amitié avec Humboldt 9 François Arago, l’océanographe n’empêche pas Arago, déjà républicain quand il était à Polytechnique, de ne pas mettre son drapeau dans sa poche comme le montre la conduite qu’il tint en 1814 face au roi de Prusse. Quel rapport direz-vous avec Alexander von Humboldt ? Il ne faut pas oublier que le baron Alexander von Humboldt, frère cadet du linguiste et ministre de Prusse Wilhelm von Humboldt, est Chambellan du roi à Berlin et qu’en 1827, il sera nommé Conseiller du roi de Prusse. Un jour, Humboldt informe Arago que le roi aimerait qu’il lui fasse visiter l’Observatoire, ce qu’il refuse n’ayant nul désir de rencontrer un roi qui avait envahi la France. Quelques jours plus tard, Humboldt arrive à l’Observatoire en compagnie d’un ami en habit de voyage pour faire ses adieux à Arago avant de partir pour Londres. Il en profite pour demander à Arago de faire faire un tour de l’Observatoire à son ami. Arago accepte et, au bout d’un moment, la conversation étant arrivée sur le terrain de la politique, Arago ne fait pas mystère de son opinion sur les souverains étrangers. Fort mal à l’aise, Humboldt prend Arago à part et lui demande de modérer son langage : « Vous parlez au roi », dit il. « C’est bien ce que je pensais » rétorque Arago. « C’est pourquoi j’ai été si franc ! ». Cette liberté de ton est la marque d’Arago qui en fit souvent preuve à la Chambre, notamment pour défendre la recherche. Le 5 juin 1837, s’élevant contre l’antipathie contre la science d’une partie de l’administration de la Marine (Ndlr : il fut lui-même ministre de la Guerre et de la marine après la révolution de 1848) : « J’ai entendu de mes oreilles un ministre de la marine dire, dans une occasion solennelle : ’La marine est empestée de science et cela quoiqu’il fut lui même une preuve éclatante du contraire’ ». Température des eaux souterraines Davis (1999) dans son article Humboldt, Arago, and the temperature of groundwater estime insuffisante la reconnaissance internationale pour leur travail commun sur les nappes phréatiques, avec l’appui de Jean Baptiste Joseph Fourier (1768-1830) qui établit les bases mathématiques de la conduction de chaleur. Nous pouvons d’ailleurs admirer ce passage de son mémoire de 1824 avec une introduction limpide à la question de la température de a Terre : « La chaleur du globe terrestre dérive de trois sources qu’il est d’abord nécessaire de distinguer. 1° La terre est échauffée par les rayons solaires, dont l’inégale distribution produit la diversité des climats. 2° Elle participe à la température commune des espaces planétaires étant exposée à l’irradiation des astres innombrables qui environnent de toutes parts le système solaire. 3° La terre a conservé dans l’intérieur de sa masse une partie de la chaleur primitive, qu’elle contenait lorsque les planètes ont été formées ». Avant eux, des hypothèses conflictuelles tentent d’expliquer la température des eaux souterraines. Beaucoup d’intellectuels avancent une 10 François Arago, l’océanographe grande variabilité de ces températures à toutes les profondeurs et estiment que leurs variations sont inversement liées à la température de surface de la terre, alors que Pierre Perrault (1611-1680) a montré la constance de la température de la cave de l’Observatoire royal de Paris. La chaleur dégagée par certaines sources chaudes fait l’objet d’autres théories, avec une idée populaire : l’existence d’un « feu » universel à faible profondeur. Ce serait de l’eau de mer qui fluerait à l’intérieur de la terre et serait vaporisée par ce feu, la vapeur se condensant pour former les sources chaudes. Perrault réfute cette hypothèse incapable d’expliquer les sources froides et, surtout, l’absence d’accumulation de sel. Deux illustres savants contemporains, Siméon Denis Poisson (1781-1840) et Charles Lyell (1797-1875), ne croient pas que la terre elle-même constitue une source profonde de chaleur ce que suggèrent les premières mesures d’Arago et de Humboldt. En septembre 1799, Humboldt visite, au Venezuela, une grotte habitée par des milliers d’oiseaux presque aveugles. S’il s’intéresse à ces oiseaux, il n’oublie cependant pas de mesurer la température de l’eau souterraine plusieurs degrés plus froide que la température annuelle moyenne locale ; c’est le contraire des observations conduites en Europe où la température croît avec la profondeur. Il avance qu’une part de l’eau qui circule dans la grotte provient d’horizons supérieurs et qu’elle n’a pas eu le temps de s’ajuster. Il mesure également la température de sources chaudes à l’ouest de Caracas : 90,3 °C pour de l’eau circulant dans du granite loin de tout volcanisme. Il conclut que cette eau atteint cette température élevée en circulant en profondeur. En se basant sur des gradients mesurés en Europe (32,8 m pour 1 °C) il calcule que cette eau provient de 2 176 m. Humboldt et Arago multiplient les mesures dans des mines profondes et dans des puits artésiens. Ils établissent en 1821 le gradient géothermique à 29,4 m pour 1 °C. Arago continue les mesures dans le puits de Grenelle au centre de Paris ; il calcule qu’à 500 m de profondeur, la température devrait être de 29,4 °C soit 18,8 °C au-dessus de la température moyenne de surface (Arago, 1835). Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences depuis 1830, il a tout loisir d’informer régulièrement de l’avancement du forage de Grenelle et des découvertes sur les eaux souterraines et les sources chaudes en Europe. Avec ces données, Joseph Fourier sait maintenant calculer de façon irréfutable le « flux de chaleur », pour parler en termes modernes, provenant de l’intérieur de la Terre à partir de l’augmentation de la température quand on s’enfonce dans le sol et d’une estimation de la conductivité thermique du sol. Avec un accroissement de 1 °C par 30 à 40 m, comme l’ont mesuré Arago et Humboldt, Fourier estime que « l’excès de température que la surface terrestre a présentement en vertu de cette source intérieure est très petit [par rapport à la température qui résulte de l’échauffement par le Soleil] ; il est vraisemblablement au-dessous d’un trentième de degré centésimal ». Fourier, Arago et Humboldt arrivent à la même conclusion : la chaleur interne de la Terre 11 François Arago, l’océanographe ne joue aujourd’hui qu’un rôle négligeable dans le bilan thermique de la surface. Rappelons qu’au XVIIIe siècle, on pensait qu’il s’agissait de l’effet dominant. Arago en dit ceci : « Mairan, Buffon, Bailly évaluent, pour la France, la chaleur qui s’échappe de l’intérieur de la Terre, à 29 fois en été, et à 400 fois en hiver, celle qui nous vient du Soleil »….. Arago et Humboldt ont mis fin à de fausses conceptions. Ils ont prouvé que les variations saisonnières des eaux souterraines ne se répercutaient pas en profondeur. Ils montrent que les gradients géothermiques, reflétés par la température des eaux, sont similaires, au minimum, dans toute l’Europe de l’Ouest. Par contre, ils ne résolvent pas le problème du flux de chaleur total. Pour beaucoup, la Terre est une masse molle se refroidissant progressivement, d’où le gradient observé. Cette hypothèse, qui ne résiste pas à une analyse du temps géologique depuis la création de notre planète sera démentie seulement avec la découverte de la radioactivité qui fournit assez de chaleur pour maintenir en permanence le gradient géothermique constaté. La valeur du travail d’Arago et de Humboldt tient à la multiplication des mesures de terrain, à la puissance de leur raisonnement et à l’audience dont ils disposent, notamment pour Humboldt, sans doute le savant le plus connu par le public averti en Europe durant la seconde moitié du XIXe siècle. Climatologue plutôt que météorologiste Je choisis ce titre en raison de cette déclaration on ne peut plus claire d’Arago : « Jamais une parole, sortie de ma bouche, ni dans l’intimité, ni dans les cours que j’ai professés pendant quarante années, jamais une ligne publiée avec mon assentiment, n’ont autorisé personne à me prêter la pensée qu’il serait possible, dans l’état de nos connaissances, d’annoncer avec quelque certitude le temps qu’il fera une année, un mois, une semaine, je dirai même un seul jour d’avance ». Cependant la situation évolue rapidement quand le successeur d’Arago à la tête de l’Observatoire de Paris, Urbain Le Verrier, se voit confier la mission de déterminer si la tempête qui a détruit quarante et un navires à Sébastopol le 14 novembre 1851 aurait pu être prévue. S’il ne croit guère aux prévisions météorologiques, Arago a quelques arguments solides car il milite pour la répétition d’observations de qualité ce qui n’était pas alors le cas. Rappelons que les commissaires de l’Académie des sciences avaient alors pu comparer la température de l’hiver 1776 à Paris à celle de l’hiver 1709 grâce à un thermomètre non gradué conservé à l’Observatoire sur lequel le minimum atteint en 1709 avait été marqué d’un trait ! Humboldt et Arago sont les premiers à militer pour une approche synoptique du climat sur toute l’étendue du globe terrestre (figure 7) avec une 12 François Arago, l’océanographe invitation à l’égard des navigateurs pour réaliser, en mer et dans les ports, des relevés météorologiques fréquents et avec des équipements bien réglés. Ce souci constant de l’amélioration des observations s’exprime dans cette déclaration : « Il n’est presque pas de contrée où, maintenant, on ne trouve des météorologistes ; mais, il faut l’avouer, ils observent ordinairement à des heures choisies sans discernement et avec des instruments inexacts ou mal placés ». Figure 7 – Isothermes d’une partie du globe d’après Humboldt et Arago (moyennes annuelles en degrés Celsius). Même si, dans Astronomie populaire, cette carte porte l’indication « d’après la projection de M. Arago », elle est bien due à Humboldt. Bien sur, on peut également relever chez Arago des visions erronées, comme chez tous ces touche-à-tout du XIXe siècle. S’appuyant sur des relevés météorologiques à Paris, Metz et Marseille, Arago constate une liaison entre les vents de différents secteurs et la pression atmosphérique : « Ainsi, tandis qu’à Paris le vent de sud-ouest maintient le baromètre notablement en dessous de la moyenne, à Marseille, son influence est positive ». Il se trompe : c’est la différence de pression atmosphérique entre deux régions qui génère le vent et non l’inverse. Les météorologues actuels, même s’ils connaissent ce contexte, tendent à avaliser la vision d’Arago quand ils indiquent « mistral et tramontane chasseront les nuages ». Mais non, comme Jacques Kessler (2007) le rappelle à ses collègues, c'est la sécheresse de l'atmosphère, liée à une élévation de la pression atmosphérique qui provoque la résorption des nuages. Quand la dépression se situe sur le golfe de Gènes, la pression atmosphérique monte sur les rivages du golfe du Lion donnant un ciel de plus en plus clair. La différence de pression entre le continent et la Méditerranée engendre secondairement mistral et tramontane. Souvent, dans la consultation des œuvres d’Arago, j’ai du vérifier les dates de certaines découvertes. Dans un premier temps, je me suis enthousiasmé à la 13 François Arago, l’océanographe lecture du passage qu’il consacre aux alizés : « D’après les explications des vents alizés le plus généralement adoptées, il doit y avoir constamment, entre les tropiques, un vent supérieur dirigé en sens contraire de celui qui souffle à la surface du globe ». J’allais oublier que George Hadley, avocat et météorologue amateur anglais, avait expliqué dès 1735 par la rotation de la Terre l’existence des alizés et la présence d’une cellule de circulation atmosphérique avec un vent d’altitude dirigé vers l’est. Finalement, c’est plutôt un sentiment de déception qui prédomine à la fin de la lecture des deux pages consacrées par Arago aux alizés, notamment de ce passage : « Ainsi il n’est point vrai, quoi qu’on en ait dit, qu’au nord de l’équateur ces vents soufflent constamment du nord-est ; qu’au sud ils soufflent constamment du sud-est. Les phénomènes ne sont pas les mêmes dans les deux hémisphères. En chaque lieu ils changent d’ailleurs avec les saisons ». À l’inverse de nous, même s’il cite les travaux de Hadley, Arago ne bénéficiait ni du recul ni de la critique internationale. Il recommande aux marins de La Bonite de profiter d’une escale à Hawaï pour gravir les 4 200 m du volcan Mauna Loa en mesurant, au cours de l’ascension, la direction du vent pour constater éventuellement le « vent supérieur » qui serait dirigé en sens contraire des vents de basse altitude « d’après l’explication des vents alisés le plus généralement adopté ». Ce contrevent d’altitude, qui boucle la cellule de circulation de Hadley, a d’ailleurs été mis en évidence, selon Arago, par le déplacement de nuages très élevés, par la chute, à la Barbade, de poussières émises par le volcan de l’île Saint-Vincent située à 200 kilomètres à l’ouest et par des observations directes du capitaine Basil et de Humboldt au sommet du pic de Ténériffe. Donnons un autre exemple de la clairvoyance d’Arago à propos de la répartition de la température en fonction de la latitude, qu’il aborde dans le chapitre Observations destinées à caractériser l’état actuel du globe sur le rapport de la température. À cette époque les discussions sont vives sur la relation entre rayonnement solaire et latitude, certains météorologues avançant que le soleil échauffe plus fortement dans les hautes que dans les basses latitudes…Arago conseille tout d’abord de mesurer la température au-dessus de la mer loin des côtes pour éviter toute action de l’environnement (montagne nue ou boisée, lac, etc.). Il fait également preuve d’une idée juste du rôle d’écran refroidissant des nuages : « Un écran placé entre des corps solides quelconques et le ciel, empêche qu’ils ne se refroidissent, parce que cet écran intercepte leurs communications rayonnantes avec les régions glacées du firmament. Les nuages agissent de la même manière : ils tiennent lieu d’écran ». Remarquable et il serait trop facile de sourire de termes comme ‘les communications rayonnantes’. 14 François Arago, l’océanographe Arago, le premier océanographe français ? L’importance des « phénomènes de la mer » dans l’œuvre d’Arago mérite que la question soit posée. Il faut pourtant préciser, qu’à la différence d’autres champs scientifiques, Arago n’apporte pas de mesures nouvelles en océanographie. Il discute les données et les concepts d’autrui, ce qui cadre avec son rôle de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. La formation d’Arago explique pourquoi l’essentiel de ses réflexions touche à l’océanographie physique et chimique, la biologie étant presque absente. Une exception cependant, sa discussion autour de la « Mer de Varec » ou mer des Sargasses (le varech se nomme sargazzo en espagnol). Pour expliquer l’immobilité apparente des fucus, il milite pour une des trois solutions avancées : « À mesure que les courants (Ndlr : le Gulf Stream) entraînent les fucus flottants hors des limites ordinaires de la mer Herbeuse, des fucus détachés du fond vont les remplacer à la surface ». Si l’explication de la concentration de ces algues flottantes par les courants est exacte (de nombreux déchets s’y concentrent également, emportés par la circulation à partir des côtes européennes et américaines), il ne s’agit pas d’algues arrachées au fond mais de véritables algues flottantes, d’où les appellations « floating jungle » ou « floating désert » données à la mer des Sargasses. Dissolution des gaz dans l’eau de mer Tout océanographe, tout chimiste connaît la « loi de Henry » formulée en 1803 par William Henry (figure 8) qui définit la solubilité d'un gaz dans un solvant avec lequel ce gaz est en contact. À température constante et à saturation, la quantité de gaz dissous dans un liquide est proportionnelle à la pression partielle qu’exerce ce gaz sur le liquide. Ainsi, dans une eau située à dix mètres de profondeur, la pression étant le double de la pression atmosphérique, chaque gaz de l’air pourrait se dissoudre deux fois mieux qu’en surface. Ceci explique le problème des plongeurs : en profondeur, l’azote de l’air que le plongeur stocke, puisque ces cellules utilisent seulement l’oxygène, tend à se dissoudre dans le sang. S’il remontre trop rapidement, l ‘azote dissous se dilate rapidement, ce qui peur créer des bulles dans les vaisseaux et une mort par embolie gazeuse. Arago connaissait-il les travaux de Henry ? Il est délicat de répondre à cette question car, aujourd’hui, les articles sont diffusés sur la toile parfois avant même leur parution…. D’autre part, le temps fait œuvre de tri et rien ne permet de savoir si la « loi de Henry » faisait alors autorité. Examinons donc les propos d’Arago à l’aune de nos connaissances. 15 François Arago, l’océanographe Figure 8 – William Henry (1775-1836), chimiste anglais qui énonce en 1803 la loi de dissolution des gaz, dite « loi de Henry » : CG = K . PG CG étant la concentration du gaz dissous, PG la pression partielle dans la phase gazeuse en équilibre avec le liquide et K la constante de Henry. À propos de la solubilité des gaz, ce que dit Arago, dans un langage classique du XIXe siècle est exact. « Cette absorption s'opère par une véritable affinité chimique qui s'exerce sur les différents gaz… » s’exprimerait de cette manière, dans un langage moderne : l'oxygène présente un coefficient de solubilité plus élevé (1,67 mmol • kg–1 • atm–1 à 0 °C) que celui de l'azote (0,794 mmol • kg– 1 • atm–1 à 0 °C) et que, de ce fait, l'eau en équilibre avec l'atmosphère se trouve enrichie en oxygène en valeur relative par rapport à l'azote : 350 µmol • kg–1 d'eau pour l'oxygène contre 619 µmol • kg–1 d'eau pour l'azote. En effet, la solubilité d'un gaz dans un liquide est le résultat du produit du coefficient de solubilité de ce gaz par la valeur de la pression partielle de ce gaz au dessus du liquide (environ 0,21 atmosphère pour l'oxygène et 0,78 atmosphère pour l'azote). En faisant le rapport 350/(350 + 619) on trouve 36 % dans l'eau contre 21 % dans l'air. Prendre les valeurs de solubilité pour l'eau de mer, comme nous venons de le faire, et non pour l'eau douce et pour une température de 0 °C modifie très peu les résultats. On ne peut donc en aucun cas expliquer la différence avec la fourchette de 29 à 32 % d'oxygène observée par MM. Humboldt et Gay-Lussac dans les eaux naturelles. Rappelons les propos d’Arago : « En effet, des expériences très-exactes, faites par MM. De Humboldt et GayLussac, ont prouvé que l’eau de pluie, l’eau de Seine, et l’eau de neige, renferment un mélange d’oxygène et d’azote qui, pour 100 parties de son volume, contient depuis 29 jusqu’à 32 parties d’oxygène tandis que, dans l’air atmosphérique, en tous temps et en tous climats, la proportion d’oxygène est constamment égale à 21 parties. MM. de Humboldt et Provençal ont, en outre, déterminé le volume absolu du mélange gazeux contenu dans l’eau, près de la surface ; et ils ont trouvé qu’il était 1/36e du volume de l’eau ». Cette différence correspond sans doute en grande partie à ce que les hydrologues nomment « l'UAO » ou 16 François Arago, l’océanographe utilisation apparente de l’oxygène. Il s’agit de la différence entre la solubilité de l’oxygène déduite de la température et de la salinité de l’échantillon et la concentration réelle ; l’UAO représente la consommation biologique d’oxygène, phénomène particulièrement marqué dans les eaux de la Seine ! Le chimiste d’aujourd’hui s’étonne aussi quand il lit sous la plume d’Arago : « Des expériences directes nous apprennent que l'eau, mise en contact avec des gaz comprimés en absorbe le même volume que s'ils étaient soumis à la simple pression d'une seule atmosphère de sorte que le poids absorbé en devient proportionnellement plus fort ». Ne dit-il pas dans cette phrase une chose et son contraire ? Probablement non, car dans son esprit, il s'agit de volumes de gaz « déjà » comprimés. Voilà encore un bel exemple de confusion quand on utilise les volumes au lieu des masses. Il faudrait réécrire cette phrase ainsi : « Des expériences directes nous apprennent que l'eau mise en contact avec des gaz comprimés en absorbe le même volume que s'ils étaient soumis à la simple pression d'une seule atmosphère, mais ce volume se trouve soumis, non pas à la pression d’une atmosphère, mais à la pression de l'expérience, de sorte que le poids de gaz absorbé en devient proportionnellement plus fort : dix fois plus fort pour dix atmosphères que pour une, cent fois plus pour cent atmosphères ». Finalement, peu importe finalement car la suite du raisonnement est farfelue ! L'équilibre entre l'océan et l'atmosphère se fait à l'interface air-mer, c'est-àdire à la pression atmosphérique. Imaginer que le gradient de pression existant au sein de l'océan puisse faire « aspiration pour les gaz » est une idée sans fondement. Des sursaturations locales apparaissent certes dans certaines conditions. Ainsi, par mauvais temps, si les vagues emprisonnent des paquets de mer et propulsent des bulles d'air à 1 m de profondeur (pression in situ de 1,1 atm) et que ces bulles s'équilibrent avec les eaux environnantes, cela provoque une sursaturation de 10 % en oxygène comme en azote. Si des émanations de fluides chargés en espèces dites gazeuses (parce qu'elles seraient effectivement gazeuses à la pression atmosphérique) entrent en contact avec les eaux de mer dans les fonds marins, là il y aura bien équilibre à la pression in situ et possibilité d'énormes sursaturations. Et c'est tout ! Et tant pis pour l'ingénieuse bouteille de prélèvement d'Arago. Aurait-elle jamais marché ? Elle rappelle la bouteille sous pression utilisée il y a peu par un microbiologiste marseillais pour préserver ses précieuses bactéries profondes des ravages de la décompression : un leurre… Couleur de la mer Dans un ouvrage que je viens de publier, Les puits de carbone, j’écris ceci : « En dehors d’aires côtières influencées par les fleuves et le lessivage continental, qui couvrent seulement un centième de la surface océanique, la couleur 17 François Arago, l’océanographe de la mer dépend uniquement de sa teneur en chlorophylle : une eau pauvre en phytoplancton est bleue, voire violette pour les plus oligotrophes comme au large de l’île de Pâques, une eau eutrophe est verte ». Je me suis donc précipité sur les quelques pages du paragraphe ‘Couleur de la mer’ ». Après avoir rappelé les termes utilisés par les navigateurs pour qualifier la couleur de la mer (bleu outre-mer pour les mers polaires, du plus bel indigo au bleu céleste pour la Méditerranée, azur vif pour l’Atlantique tropical), Arago pose cette question : « Le bleu céleste plus ou moins foncé semblerait devoir être toujours la teinte de l’Océan. Pourquoi n’en estil pas ainsi ? » Il avance l’idée que la présence d’animaux explique les anomalies de coloration : eaux vertes, rouges, couleur de lait. S’il pointe les méduses pour les bandes vertes des eaux polaires, il indique une remarque du physicien et chimiste britannique Sir Humphry Davy (1778-1829) à propos des eaux des lacs suisses : « Quand la teinte d’un lac passe du bleu au vert, c’est que ses eaux se sont imprégnées de matières végétales ». On s’étonne par contre de la fascination d’Arago pour les hauts-fonds dans différents chapitres. Dans celui consacré à la couleur de la mer, Arago écrit : « La teinte bleu céleste de la mer se trouve modifiée, ou même quelquefois totalement changée, dans les parages où l’eau est peu profonde. C’est qu’alors la lumière réfléchie par le fond, arrive à l’œil confondue avec la lumière naturelle de l’eau ». Quand il s’aventure de manière pus intime sur la couleur de la mer, il s’engage sur des voies erronées. Il écrit ainsi : « L’eau se trouve dans les conditions de tous les corps que les physiciens, les chimistes et les minéralogistes ont tant étudiés, et qui possèdent deux sortes de couleur : une certaine couleur transmise, et une couleur réfléchie totalement différente de la première. L’eau paraît bleu par réflexion ». Interrogé à ce sujet, André Morel, un des meilleures spécialistes d’optique marine, rappelle que rien de consistant n’a été écrit sur l’optique marine avant 1923, le début des travaux des deux collègues indiens Raman Chandrashekhara Venkata, l’homme de « l’effet Raman » (diffusion inélastique d'un photon, phénomène physique par lequel un milieu peut diffuser de la lumière en modifiant légèrement sa fréquence) et Ramanathan Kalpathi Ramakrishna sur la diffusion moléculaire de la lumière dans l’eau. Cette faiblesse des travaux antérieurs s’applique aux réflexions d’Arago sur la couleur de la mer. Pour comprendre les erreurs commises à cette époque, il faut rappeler qu’aucune distinction n’était alors faite entre la lumière transmise et la lumière rétrodiffusée (partie de l'onde incidente retournée dans la direction d'où elle a été émise). Or, dans les eaux océaniques transparentes, qu’Arago qualifie de « diaphanes », l’une et l’autre sont bleues mais la lumière rétrodiffusée, qui est à l’origine de la couleur que nous percevons est « encore plus bleue puisqu’elle rediffuse cette longueur d’onde d’une façon très hautement sélective. C’est tellement simple….lorsque l’on sait que les photons ont d’autant moins de chances 18 François Arago, l’océanographe d’être rétrodiffusés qu’ils ont de chances d’être absorbés : autrement dit, les photons aisément absorbés, comme les rouges, les jaunes (les mois absorbés étant les bleus et les violets) ont donc moins de chance d’être rétrodiffusés. Parfois perspicace, Arago n’a pas vu clair dans ce problème ; cependant, même avec de l’intuition, l’état des connaissances ne permettait pas de trouver la bonne explication à cette époque. Dans un autre écrit, Arago affirme qu’une grande différence d’absorption de la chaleur existe entre les eaux diaphanes et celles chargées de particules ou colorées. Ce n’est pas faux même si cet effet est léger. Approximativement 55 % de l’énergie solaire se situe dans le domaine infrarouge, 45 % dans le visible. La partie infrarouge est absorbée dans les deux premiers mètres, quelle que soit la turbidité de l’eau. La partie visible se transforme elle aussi tôt ou tard en chaleur : comme 1 % seulement de la lumière visible arrivant en surface atteint le bas de la couche euphotique qui varie…entre 1 et 130 m c’est que 99 % a été absorbé. Une eau chargée en particules organiques ou minérales ou mortes absorbera beaucoup plus rapidement cette partie visible du spectre et atteindra donc une température légèrement plus élevée qu’une eau transparente. Distribution verticale des température et plongées d’eau Arago se réfère aux données du navire Predpriyatiye entre 1823 et 1826. Entreprise pour renforcer la présence russe en Kamchatka, l’expédition visite également les îles de la Société, la Californie, Hawaii, les Mariannes et les Philippines et découvre Bikini. Lenz, médecin-naturaliste de l’expédition, s’intéresse à la température de l’eau de mer, ses données étant analysées par l’un de ses collègues, le physicien estonien Georg Friedrich Parrot (1767-1852). Un profil réalisé à 32,6° de latitude nord dans le Pacifique indique une température de 21,4 °C en surface, de 13,3 à 175 m, de 6,5 à 417 m, de 3,7 à 877 m et de 2,2 °C à 1 155 m. Parrot croit que le fond solide de la mer est à 0 °C, ce qui explique le gradient vertical constaté. Le naturaliste français François Péron (1775-1810) partage ce point de vue (« les abîmes des mers sont recouvertes de glaces éternelles »), ce qui irrite Arago qui fait confiance aux mesures d’Horace Bénédict de Saussure (1740-1799), alpiniste et naturaliste suisse montrant que « Dans toutes les saisons de l’année, la température du fond des lacs est, sinon parfaitement, du moins à très-peu près celle où l’eau acquiert son maximum de densité » et, plus loin : « De là paraît résulter la conséquence que les eaux froides des régions tropicales sont amenée aux petites latitudes de l’Océan par des courants sous-marins venant des pôles ». « La température des couches inférieures de l’Océan entre les tropiques, est de 22° à 25° centigrades au-dessus du plus bas point auquel les navigateurs aient observé le thermomètre à la surface ». On peut même ajouter que nulle part cette température du fond de la mer Méditerranée ne 19 François Arago, l’océanographe paraît devoir descendre au-dessous de la température moyenne du lieu. Si cette dernière circonstance vient à se confirmer, il en résultera qu’aucune partie du flux glacial venant des pôles, ne franchit le seuil du détroit de Gibraltar ». Cette vision d’Arago à propos de la température des eaux de fond est pertinente alors que les premières mesures systématiques en profondeur datent seulement du « tour du monde » du Challenger entre 1872 et 1876. Cela conduit Arago à recommander au Ministre de la Marine de demander au commandant Bérard, chargé de l’hydrographie des côtes du Maroc, de déterminer la température de la mer à toutes les profondeurs. D’autres écrits du Voyage de La Vénus autour du monde (1836-1839), navire commandé par Abel Aubert Du Petit Thouars avec, à son bord, l’ingénieur hydrographe Urbain Dortet de Tessan, soulignent même qu’Arago comprend une part essentielle de ce que l’on appelle maintenant le « tapis roulant océanique » ! Il s’emporte d’abord contre ceux qui estiment que nulle part, les eaux profondes ne peuvent atteindre de températures inférieures à 4,1 °C : « Il faut donc espérer que le fameux nombre + 4°.1, si étourdiment emprunté aux observations comparatives faites à la surface et au fond des lacs d’eau douce de Suisse, cessera de paraitre dans des dissertations ex professo, comme la limite au-dessous de laquelle la température du fond des mers ne saurait jamais descendre ». S’il attache tant d’importance à ce que les températures les plus basses puissent atteindre 2 °C en profondeur dans la zone intertropicale c’est parce qu’il est persuadé que ces eaux ne se forment pas sur place mais que des courants sous-marins transportent jusqu’à l’équateur les « eaux inférieures des mers glaciales ». C’est ce qu’il indique en écrivant : « Ces quelques degrés peuvent porter le dernier coup à la théorie suivant laquelle les eaux froides du fond des mers, même sous l’équateur, ne seraient autre chose que les eaux correspondantes de la surface, refroidies d’abord par voie de rayonnement ou d’évaporation, et précipitées ensuite à raison de leur excès de pesanteur spécifique ». Densité de l’eau de mer et point de congélation Au passage, Arago s’intéresse à la densité de l’eau de mer et à sa congélation qui constituent des propriétés capitales pour la circulation et les plongées d’eau. La solution expérimentale à ces questions peut nous sembler facile mais il ne faut pas oublier combien l’eau est une molécule étonnante, moins dense solide que liquide (c’est pourquoi la glace flotte sur l’eau) et présentant un maximum de densité à 4 °C alors que, généralement, la densité diminue quand la température augmente. Ce maximum de densité de l’eau douce vers 4 °C explique l’observation précitée d’une température systématique de 4,1 °C au fond des lacs. La densité maximale de l’eau douce superficielle à cette température la conduit à gagner par gravité les profondeurs. Arago a donc raison quand il avance qu’il n’en est pas de même pour 20 François Arago, l’océanographe l’eau de mer qui doit atteindre des températures plus basses en profondeur. Si des températures superficielles de —1,7 °C, très proches du point de congélation, sont observées en surface dans les mers polaires, le mélange des eaux de surface qui plongent avec les eaux sous-jacentes moins froides conduisent à des températures des eaux de fond océaniques supérieures à cette limite théorique. L’eau de fond de la mer de Weddell, une des composantes de la future eau de fond antarctique, sans doute la plus froide de l’océan mondial présente une température de —0,88 °C. Arago écrit : « On a vu précédemment que sir Charles Blagden (1748-1820) a cru reconnaître que la dissolution d’une certaine quantité de chlorure de sodium dans l’eau abaisse également le point de congélation et celui du maximum de densité : en sorte que le dernier est toujours de 4 degrés centigrades au-dessous du précédent ». Je me suis donc retourné vers les recherches de ce médecin et chimiste anglais, secrétaire de la Royal Society et son article Sur le Refroidissement de l’eau au-dessous du terme de la congellation publié dans les ‘Annales de Chimie, ou Recueil de Mémoires concernant la Chimie et les Arts qui en dépendent’ où il aborde la question du point de congélation. Quand il dissout à saturation du sel marin, ou muriate de soude, la congélation intervient à —1,8 °C. On sait aujourd’hui qu’une eau de mer de salinité 35, moyenne pour l’océan, commence à geler à —1,91 °C. Figure 9 – Maximum densité et température congélation de l’eau fonction de sa salinité. de de en Les courbes rouges, graduées de 0 à 30, représentent la densité. Deux faits incontestables sont connus à cette époque : la densité de l’eau de mer dépend de la salinité et de la température et plus une eau est salée, plus elle est dense. Une remarque de Blagden est également exacte : la présence de sels abaisse à la fois la température de congélation et celle du maximum de densité. Mais si les températures de congélation et du maximum de densité s’abaissent toutes les deux avec une augmentation de la salinité, elles ne le font pas « également » comme il l’avance. Les deux courbes se croisent pour une salinité de 21 François Arago, l’océanographe 25. À la salinité moyenne de l’océan, soit 35, le maximum de densité de l’eau de mer se situe à une température inférieure au point de congélation (figure 9). Dans les ‘Annales de Chimie et de Physique’ éditées par Gay-Lussac et Arago en 1839, on lit dans Recherches sur le Maximum de Densité des Dissolutions aqueuses : « On connaissait déjà un mémoire de Blagden, dans lequel ce savant anglais prétendait que le maximum baisse comme le point de congélation, en restant à une distance égale à celle qui, dans l’eau pure, le sépare de ce dernier point (Ndlr : du maximum de densité). On ne se rend pas bien compte de la manière dont Blagden a été conduit à cette conséquence, qui est en opposition avec toutes les expériences faites, dont aucune n’indique pour l’eau de mer un maximum de densité au dessus de la congélation. S’il nous est permis de dire notre pensée, le savant anglais a plutôt exprimé une opinion qu’un fait ». Ah, l’amitié franco-anglaise ! La formation en mer d’une banquise est bien plus difficile que dans un lac. Sur un lac, les eaux proches du point de congélation, plus légères que celles un peu plus chaudes (maximum de densité à 4 °C) restent en surface et gèlent donc dès que la température devient négative. En mer, la densité maximale de la phase liquide est atteinte au point de congélation ; il faut donc un refroidissement très rapide pour que la banquise se forme. Circulation superficielle « Les courants les plus remarquables étudiés par les navigateurs sont, dans l’Atlantique : - le courant dit équinoxial2, qui coule invariablement de l’est à l’ouest, des deux côtés de l’équateur, entre l’Afrique et l’Amérique. - le courant qui, après avoir débouché du golfe du Mexique par le détroit de Bahama, coule à une certaine distance de la côte des États-Unis, dans la direction du nord-est, jusqu’au banc de Nantucket, où il s’infléchit. Ces courants, quelle en est la cause » ? Arago est fasciné par les grands courants océaniques superficiels, au premier rang desquels le Gulf Stream sur lequel nous allons revenir. En fonction de la date des articles qu’il publie, leur nombre s’étoffe. Dans Le voyage de la Vénus, il reconnaît d’abord les moyens limités pour les décrire et en mesurer la vitesse (essentiellement l’écart entre le point estimé et le point réel qui indique la dérive due au courant). Puis il indique avoir probablement découvert un quatrième courant superficiel majeur aux côtés du Gulf-Stream, du courant chaud qui longe le banc des Agullas (appelé maintenant courant des Aiguilles) près du cap de BonneEspérance et du courant froid qui, provenant de l’Antarctique, longe les côtes du Chili en direction du nord (courant de Humboldt du nom de celui qui le découvrit en 1800). Il écrit : « La Vénus n’aurait-elle pas découvert un quatrième de ces 2 On dirait aujourd’hui « équatorial » 22 François Arago, l’océanographe courants, à température chaude, dans le sud-sud-est de la terre de Van-Diemen ? Cette rivière a-t-elle la permanence des trois courants que nous avons déjà cités ? Ce sera aux navigateurs futurs à le décider ». Il décrit en fait le courant estaustralien qui boucle, à l’ouest du Pacifique, la circulation anticyclonique, prolongeant le courant sud-équatorial et longe la Tasmanie, anciennement nommée terre de Van-Dienen. Le courant de Humboldt Figure 10 – Le courant de Humboldt fascine encore… …à en croire ces deux ouvrages d’Aaron Sachs, l’un paru en 2006 chez Viking (New York) avec le sous-titre « Exploration au XIXe siècle et les racines de l’environementalisme américain » l’autre, en 2007, édité par les presses de l’Université d’Oxford, avec le soustitre « Un explorateur européen et ses disciples américains ». À propos du courant de Humboldt (figure 10), Arago montre son sens aigu de la vulgarisation puis de la réflexion, en indiquant : « Par exemple, il a été souvent question dans cette enceinte de l’immense courant d’eau froide qui venant de l’océan Antarctique, rencontre la côte occidentale de l’Amérique vers le parallèle de Chiloé, remonte ensuite le long des côtes du Chili et du Pérou avec l’empreinte tellement manifeste d’une basse température empruntée aux régions polaires, que dans le port de Lima (au Callao), les Espagnols, peu de temps après la conquête de l’Amérique, reconnurent déjà que pour rafraîchir leurs boissons, il fallait les plonger dans l’eau de la mer ». Un peu plus loin, on peut lire : « Un courant d’eau froide ne semble pas pouvoir être dans les mers tempérées, un courant superficiel. Si l’eau froide n’existait qu’à la surface, elle se serait précipitée au fond en vertu 23 François Arago, l’océanographe de son excès de pesanteur spécifique ». Constatant qu’une ligne de sonde de 1 100 brasses (Ndlr : 2 012 m) est restée verticale en dépit du fort courant de surface, il en conclut que la veine d’eau froide est épaisse : « Le courant chilien ne peut donc plus être considérée comme une simple rivière superficielle d’eau froide. Il est produit par une section considérable des mers polaires, marchant majestueusement du sud au nord. La masse liquide qui s’avance ainsi à la rencontre de la ligne équatoriale, n’a pas moins de 1 780 mètres de profondeur ». Arago montre à nouveau qu’il néglige l’influence des vents. En effet, les eaux froides qui baignent les côtes du Chili et du Pérou sont dues à des remontées d’eaux « profondes » donc froides sous l’influence des alizés même si ces eaux se sont formées des centaines d’années auparavant dans l’Antarctique. Dans ses écrits, Arago a conscience de ce que les océanographes appelleront pus tard les « propriétés conservatives » de l’eau de mer, sa salinité et sa température puisqu’il écrit cette phrase remarquable : « Les eaux d’une certaine région, quand elles sont transportées par un courant dans une région plus ou moins voisine de l’équateur, ne perdent dans le trajet qu’une partie de leur température primitive ». Le Gulf Stream Figure 11 – Version française de la carte du Gulf Stream par Benjamin Franklin et Timothy Folger édité en 1783 à Paris par Georges-Louis Le Rouge. Pour le Gulf Stream, il n’y a pas à s’étonner de la précision de cette description car Arago écrit ses lignes (rappelons qu’elles ont été publiées de manière posthume) entre les années 1820 et 1830 alors que Timothy Folger, baleinier de Nantucket, et Benjamin Franklin dessinent la première carte d’ensemble du Gulf Stream en 1769-70 (figure 11) remarquablement semblable à la vision que nous en donne aujourd’hui les satellites. Benjamin Franklin avait été « obligé » de s’intéresser à ce courant en raison des plaintes qu’il recevait en temps que ministre des Postes de la 24 François Arago, l’océanographe part de nombreux clients américains qui comprenaient mal que les lettres qu’ils recevaient de leurs collègues européens mettent une quinzaine de jours de plus que des États-Unis vers l’Europe ! Bien avant cette carte, quelques explorateurs surent utiliser ce courant, comme Herman Cortez (1485-1547) et Juan Ponce de Léon (1474-1521). En 1513, ce dernier quitte Porto-Rico avec trois navires en direction du nord-ouest. Ses navires sont entraînés par le Gulf Stream et Ponce découvre alors la route la plus rapide pour rejoindre l'Europe depuis les Amériques. Dans la recherche des causes des courants, Arago prend conscience d’un phénomène que je ne croyais pas si tôt découvert, l’accumulation d’eau (chaude) à l’ouest des océans tropicaux. Examinons comment Arago raconte ce phénomène : « Les alizés, nous dit-on, en soufflant constamment dans l’océan Indien, de l’est à l’ouest, doivent produire près de l’équateur, une intumescence liquide sur la côte orientale d’Afrique. Cette eau accumulée se déverse sans cesse du nord au sud par le détroit de Mozambique ». Si l’exemple de l’océan Indien n’est pas idéal puisqu’il se caractérise par l’alternance de moussons, ce phénomène, net dans l’Atlantique et, surtout, dans le Pacifique nous paraît maintenant évident avec la mise en lumière de la hauteur de la mer par les satellites (altimétrie satellitaire). Mais poursuivons la lecture d’Arago à propos du Gulf Stream : « Le courant atlantique équinoxial doit produire une grande accumulation de liquide le long de la première côte qui se présente à lui comme une barrière ; cette côte est celle d’Amérique. De là un mouvement général de la mer des Caraïbes vers le détroit qui sépare la pointe orientale du Yucatan de la pointe occidentale de Cuba ; de là une élévation du niveau de la mer dans le golfe du Mexique ; de là enfin cette sorte de cascade que forme le liquide accumulé dans le golfe, lorsqu’il s’échappe par le détroit de Bahama, et dont le prolongement est le Gulf-Stream ». S’il décrit le phénomène, il ne rejoint pas les explications de Benjamin Franklin et de James Rennell (1742-1830), le « père » de l’océanographie pour certains : « Je vais entreprendre de prouver qu’aucune observation, qu’aucune mesure, qu’aucune expérience ne les justifie assez complètement pour que les doutes ne soient pas légitimes ». Il base son argumentaire sur une minoration du rôle des alizés : « Les alizés sont des vents constants, mais leur force est très médiocre. Ainsi les dénivellations qu’ils peuvent occasionner doivent être faibles. Or, il semble difficile de croire qu’une chute verticale d’un mètre, par exemple, et même de deux mètres, puisse produire des courants qui ne seraient pas amortis après un trajet de plusieurs centaines de lieues »… « J’irai plus loin maintenant : je prouverai, en point de fait, que les mers d’où les courants paraissent émaner, sont exactement, ou à peu près, au niveau de celles que ces courants vont sillonner ». Arago serait probablement sidéré par l’observation de la hauteur de la mer par les capteurs Topex-Poséidon (lancé en 1992), Jason 1 (2001) et Jason 2 (2008) qui démontre que 25 François Arago, l’océanographe des différences de hauteurs de quelques dizaines de centimètres d’un bord à l’autre d’un océan suffisent à engendrer la circulation générale (figure 12). Arago confond quelque peu les dénivellations d’un bord à l’autre d’un océan dues aux vents avec la marée. Il est vrai qu’alors l’estimation des hauteurs comparées des mers paraissait une gageure. Arago cite des ingénieurs « qui traversèrent l’Amérique dans sa moindre largeur afin de savoir définitivement ce qu’il fallait croire de la position relative des deux océans ». Figure 12 – Hauteur de la mer. Les satellites Topex-Poséidon et Jason mesurent la hauteur de la mer. Des différences de quelques dizaines de centimètres d’un bord à l’autre du Pacifique (à gauche) suffisent à engendrer des courants majeurs. Les tourbillons cycloniques et anticycloniques du Gulf Stream sont parfaitement visibles (figure du haut) comme ils le seraient sur une carte des températures superficielles. 26 François Arago, l’océanographe Les hauts-fonds Je ne m’attarderai pas sur les digressions d’Arago sur les Températures sur les hauts-fonds et dans les atterrages à une époque où domine une hypothèse dont on perçoit mal les fondements. Arago indique ainsi : « La remarque ayant été depuis confirmée par MM. De Humboldt et John Davy, les physiciens ont cru pouvoir la généraliser. Maintenant ils tiennent pour complètement acquis que, sans aucune exception, l’eau est sensiblement plus froide sur un haut-fond qu’en pleine mer ». Plus perspicace que ses collègues, il conclut : « Ces quelques chiffres sont la condamnation définitive des théories d’où résulte la conséquence que l’eau doit toujours être plus froide sur un banc qu’en pleine mer », mais il termine cependant ce passage en indiquant : « Ils ne laissent de place qu’aux explications plus modestes : à celles qui prétendent seulement établir qu’un refroidissement est la conséquence ordinaire du voisinage d’un banc, et que certaines causes peuvent masquer ce premier effet ». On pourra s’étonner qu’un physicien ne prenne pas conscience qu’en été, le phénomène inverse dominera : la température sera souvent plus élevée par petit fonds en raison du moindre volant thermique. Il est cependant probable que la température est un peu plus souvent plus basse sur les hauts-fonds qu’en mer ouverte pour une raison différente : les courants profonds, nécessairement froids, tendent à remonter le long de la pente de monts sousmarins amenant ainsi des eaux froides près de la surface. Voici ce que l’encyclopédie libre Wikipedia dit à propos des monts sous-marins : « En plus de fournir simplement une présence physique dans cette zone, le mont sous-marin lui même peut détourner des courants profonds et créer de l'upwelling ». La Méditerranée Arago s’intéresse aux échanges entre Méditerranée et Atlantique par le détroit de Gibraltar. Il souligne que le courant sortant se traduit par une modification de la structure thermique à l’ouest immédiate de Gibraltar, ce fait étant connu dès le début du XVIIIe siècle. Dans les observations qu’il prescrit à Dumont d’Urville à l’occasion du premier voyage de L’Astrolabe, il indique : « Le courant polaire se trouve complètement refoulé par le courant sous-marin dirigé de la Méditerranée vers l’Océan et dont l’existence est appuyée sur divers événements de mer ». Il n’ignore pas non plus l’entrée d’eau atlantique vers la Méditerranée : « Passons à la Méditerranée. Ici l’abaissement prétendu du niveau de cette mer, cause présumée du courant qui de l’Océan se dirige vers le détroit de Gibraltar, est, dit-on, le résultat d’une énorme évaporation annuelle que ne compensent pas les masses d’eau apportées par le Nil, par le Rhône, par le Pô, etc. Des preuves directes et démonstratives de cette absence de 27 François Arago, l’océanographe compensation, manquent, il est vrai, complètement ». Ces propos ne dénotent pas une adhésion franche à cette hypothèse et Arago revient sur son hypothèse de la nécessité d’une grande différence de niveau entre les deux entités : « Cela doit suffire, en effet, si la cause indiquée (Ndlr : une évaporation marquée en Méditerranée) engendre entre les niveaux des deux mers une différence trèssensible ». Il s’agit là d’une vision quelque peu statique mais cette tendance à une différence de niveau entre Méditerranée et Atlantique induit bien l’entrée de l’eau superficielle atlantique avec un débit d’un million de mètres cubes par seconde (le Gulf Stream présente un flux trente fois supérieur !). Par triangulations successives l’ingénieur Jean-Baptiste Corabœuf mesure les dénivellations respectives entre le pic Crabère, dans les Pyrénées centrales et, respectivement, l’Atlantique et la Méditerranée ; il confirme le niveau plus bas de la Méditerranée…. pour 73 cm. Cette valeur est proche de la réalité mesurée aujourd’hui par les satellites mais c’est un hasard, d’autant que le niveau de la Méditerranée varie assez fortement d’une saison à l’autre. La cartographie de l’anomalie du niveau de la mer met en évidence une amplitude de variation saisonnière de l’ordre de 20 cm avec un maximum du niveau en octobre/novembre, une descente rapide en janvier/février avec un minimum en mars ; la moitié de ce signal est due aux effets stériques de dilatation et de contraction des eaux de surface sous l’action du flux de chaleur à l’interface océan-atmosphère. Le détroit de Gibraltar, les « colonnes d’Hercule » de l’Antiquité, minuscule porte de communication (large au minimum de 14 km et profonde de 300 m) laisse entrer de l’eau atlantique peu salée (36,2) et sortir de l’eau méditerranéenne très salée (37,9), qui représente 1,4 % du volume total du bassin. La veine entrante atteint une vingtaine de mètres d’épaisseur tout comme la veine méditerranéenne sous-jacente, car ces flux doivent équilibrer simultanément les budgets en eau, en énergie thermique et mécanique. Si le détroit de Gibraltar était fermé, le niveau de la mer s’abaisserait, chaque année, de 0,5 à 1 m. Un travail de Ross et al. (2000) montre la pertinence des vues avancées par Arago sur la différence de niveau entre la Méditerranée occidentale et l’Atlantique proche de Gibraltar. Le niveau de la Méditerranée occidentale est, en moyenne, une quinzaine de centimètres en dessous de celui de l’Atlantique nord-est. Les échanges par le détroit sont bien pilotés par un excès d‘évaporation et un certain refroidissement en Méditerranée entraînant la sortie d’eau dense et salée sous l’eau atlantique entrante. Cet écart s’est atténué de 40 % entre 1994 et 1997 en raison notamment d’une élévation assez rapide du niveau de la Méditerranée occidentale de 10 mm par an, d’où une diminution des échanges. Ces données confirment aussi qu’une dizaine de centimètres de différence altimétrique suffit à des modifications importantes des courants et des flux d’échange. 28 François Arago, l’océanographe Épilogue J’espère que cette histoire, une partie de la vie de François Arago, vous aura intéressés. Elle rappelle d’abord qu’un savant du début du XIXe siècle était, pour certains aspects, l’opposé de ce qu’il est à notre époque d’hyperspécialisation : un touche-à-tout. De juger et de rapporter les travaux d’autrui comme Secrétaire de l’Académie des sciences a poussé à l’extrême ce trait chez Arago à tel point que dans la masse de ses écrits, il est difficile de juger ce qui tient à des recherches qu’il a effectué (sans doute assez peu), à ses propres réflexions et raisonnements et à ce qu’il puise chez ses collègues. Quant à l’aspect océanographique, au cœur de notre propos, il doit beaucoup à son collègue et ami Humboldt. Lui jeter la pierre pour certaines erreurs, parfois même grossières, serait oublié l’état embryonnaire des connaissances à son époque dans certains domaines ; nous l’avons souligné à propos de l’optique marine. C’est probablement par son rappel permanent et sans équivoque de la nécessité de la qualité et de la répétitivité des mesures qu’il a le plus servi les sciences de l’univers qui lui doivent aussi sa vision pionnière de l’intérêt d’observations synoptiques qu’illustre parfaitement sa carte mondiale des isothermes. Mais dans le cadre d’une conférence publique, je me dois également indiquer que le premier vulgarisateur de France est certainement Arago, ce que bien peu savent. Il fut un « passeur de savoir » précurseur, un pionnier de la vulgarisation que quelques scientifiques d’aujourd’hui, heureusement de moins en moins nombreux, remisent au second plan. Je souhaite aussi que cette conférence incite des collègues à se lancer sur les traces d’Arago dans d’autres domaines scientifiques. 29 François Arago, l’océanographe Références bibliographiques Arago DJF (1835). Température de la terre croissante avec la profondeur. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1 : 501-502. Arago DJF (1836). Température du puits foré de Grenelle. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 2 : 501-502. Daumas M (1987). Arago. La jeunesse de la science. Belin : 304 p. Davis, SN (1999). Humboldt, Arago, and the temperature of groundwater. Hydrogeology Journal, 7 : 501-503. Faye H (1897). François Arago (1780-1853). Livre du centenaire de l’École Polytechnique. Gauthier-Villard et fils. Grison E (1989). François Arago et l’école Polytechnique. Bulletin de la Société des amis de la bibliothèque de l’École Polytechnique, 4 : 1-28. Hahn R (1970). Arago Dominique François Jean. In Gillispie CC éd. Dictionary of scientific biography, vol. 1. Charles Scribner’s Sons, New York : 200-203. Kessler J (2007). Les secrets du temps. Guide France Info, 116 p. Lequeux J (2008). François Arago, un savant généreux. EDP Sciences, L’Observatoire de Paris. Marty N, Lange C (2008). Les Arago, acteurs de leur temps. Colloque de Perpignan et Estagel, 2003 Poirier JP (2003). Arago, un savant et un homme généreux. Académie des sciences. Ross T, Garrett C, Le Traon PY (2000). Western Mediterranean sea-level rise: changing exchange flow through the Strait of Gibraltar. Geophysical Research Letters, 27 (18) : 2949-2952. Théodoridès J (1965). Une amitié de savants au siècle dernier : Alexander von Humboldt et Achille Valenciennes. Biologie médicale, Hors série : cxxix p. 30 François Arago, l’océanographe Annexe 1 Contenu des Œuvres complètes de François Arago Les « Œuvres complètes de François Arago », secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences publiées d’après son ordre sous la direction de M. J.-A. Barral » ont été imprimées entre 1854 et 1858 par les éditeurs Gide et J. Baudry à Paris (Tomes 1 à 6), Gide (à partir du Tome 7) et T. O. Weigel à Leipzig. Ces dix-sept volumes se décomposent ainsi : trois volumes (tomes 1 à 3) constituant les "Notices biographiques" sur les vies et les œuvres d'Augustin-Jean Fresnel, Alexandre Volta, Thomas Young, Joseph Fourier, James Watt, Lazare Carnot, André-Marie Ampère, Caritat de Condorcet, Jean-Sylvain Bailly, Gaspard Monge, Siméon-Denis Poisson, Joseph-Louis Gay-Lussac, Étienne-Louis Malus. Elles sont suivies de notices sur les 29 « principaux astronomes » de l'histoire (d’Hipparque à Laplace), puis de notices sur Pierre de Fermat, Niels Henrik Abel, JeanBaptiste Lislet-Geoffroy et Molière, de discours funéraires, et précédées d'une introduction d'Alexandre de Humboldt rédigée 1853 sur l'œuvre d'Arago et d'une première partie autobiographique de ce dernier ; cinq "Notices scientifiques" (tomes de 4 à 8) sur la météorologie, le magnétisme, les machines à vapeur, les chemins de fer, la navigation, les phares, les fortifications, les puits forés, la scintillation, le soleil et les étoiles, les éclipses, la lumière, le daguerréotype, la prédiction du temps, l’influence de la lune, le rayonnement de la chaleur, la formation de la glace, l’état thermométrique de la terre, etc. ; un volume (tome 9) "Voyages scientifiques" où sont abordés des questions de météorologie et de physique du globe, les voyages de L'Uranie, de La Coquille, de La Chevrette, de La Bonite, de La Vénus, les tableaux des régions arctiques, d'une partie de l'Abyssinie, d'une partie de l'Afrique, des Terres Australes, les voyages aéronautiques, les phénomènes de la mer ; deux volumes (tomes 10 et 11) "Mémoires scientifiques" traitant de la lumière, de l’optique, de la photométrie, de l’astronomie, des phénomènes d'optique, etc. ; un volume (tome 12) "Mélanges" s’intéressant à la météorologie et à des rapports divers ; un volume (tome 13) "Tables analytiques" comportant le discours de Flourens aux funérailles d'Arago (1853), la Notice chronologique sur les œuvres d'Arago par J.-A. Barral, l’index des auteurs et personnages cités dans les œuvres d'Arago, un index géographique et un index thématique. Enfin, quatre volumes composent l’ouvrage de vulgarisation « Astronomie populaire » (tomes 14 à 17). Pour le travail qui m’intéressait, examiner la validité des affirmations scientifiques de François Arago soit à titre personnel soit comme rapporteur des travaux d’autrui devant l’Académie des Sciences, mes recherches se sont limitées aux cinq « Notices scientifiques », au tome 9 consacré aux « Voyages scientifiques », aux deux « Mémoires scientifiques » et, enfin au tome 12 « Mélanges ». 31 François Arago, l’océanographe Je ne porte pas de jugement sur le bien-fondé et les limites du travail de numérisation de travaux anciens que commence à effectuer Google. J’indique seulement que dans le Journal du CNRS de septembre 2005, Jean-Michel Salaün, responsable du réseau CNRS « Documents et contenus : création, indexation, navigation », tout en reconnaissant l’hégémonie américaine prône de s’allier et négocier pour développer la numérisation des fonds européens. Quoi qu’il en soit, sans la disponibilité et le téléchargement aisé des œuvres complètes d’Arago, je n’aurai jamais entrepris ce travail… Examinons le sommaire des volumes intéressantnotre propos : Tome quatrième publié en 1854 : Le tonnerre (54 chapitres), Électro-magnétisme (8), Électricité animale (3), Magnétisme terrestre (22) et Aurores boréales (16). Tome cinquième publié en 1855 : Notice historique sur les machines à vapeur (7 chapitres), Explosions des machines à vapeur (19), Les chemins de fer (8), Sur les chaux, les mortiers et le ciment hydraulique (8), Navigation (16). Tome sixième publié en 1856. Les phares (8 chapitres), Les fortifications (37), Les puis forés (22) mais également des notes sur les établissement publics, les brevets d’invention, etc. Tome septième publié en 1858 : De la scintillation (20 chapitres), Constitution physique du soleil et des étoiles, Notice sur les éclipses (23), Sur la polarisation de la lumière (14), Le Daguerréotype (15), Sur l’action calorique et l’action chimique de la lumière (4), Sur les théories de l’émission des ondes (10). Tome huitième publié en 1857 : Sur la prédiction du temps (5 chapitres), De l’influence de la Lune sur les phénomènes terrestres (13), Sur le rayonnement de la chaleur à travers l’atmosphère (14), Sur la formation de la glace (8), Sur l’état thermométrique du globe terrestre (41). Tome neuvième publié en 1857 : Questions à résoudre concernant la météorologie, la physique du globe, l’hydrographie et l’art nautique avec 9 chapitres dont ceux qui suivent m’ont particulièrement intéressé : Chapitre II – Phénomènes météorologiques Chapitre V - Des vents et particulièrement des vents alizés Chapitre VI - Phénomènes de la mer Chapitre VIII - Appendice relatif à diverses questions de la physique terrestre § 6 Courants sous-marins Voyage de l’Uranie VI VII Voyage de La Coquille VII VIII – Voyage de la Vénus IV V VI – VII – VIII – IX – Sur les phénomènes de ma mer Hydrographie Météorologie Météorologie Marées Hydrographie Marées Observations météorologiques Météorologie optique Courants Observations détachées 32 François Arago, l’océanographe Tome dixième publié en 1858 avec de courts articles sur des sujets variés d’optique. Tome douzième publié en 1859 comprenant une série de rapports sur des sujets divers touchant aux météores : les hygromètres, les vents, ouragans et trombes, la pression atmosphérique, la pluie, la grêle, etc. 33 François Arago, l’océanographe Annexe 2 Florilège de titres de chapitres des œuvres d’Arago Mesure de la distance du bord inférieur de la bande supérieure de Jupiter au bord supérieur de la planète (apparences). Sur une prétendue jeune fille électrique. Tonne-t-il jamais par un temps parfaitement serein ? Mémoire sur un moyen très-simple de s’affranchir des ERREURS PERSONNELLES dans les observations des passages des astres au méridien. Remarques sur les effets que le fluide qui humecte la cornée peut produire sur les observations astronomiques. De la visibilité des images dont les positions relatives doivent conduire à la solution de la question posée. Les corps des hommes et des animaux frappés par la foudre se putréfient-ils lentement ? Nécessité d’empêcher les compagnies de relever leurs tarifs immédiatement après les avoir abaissés. Juste après le discours funéraire de Gay-Lussac…De l’utilité des pensions accordées aux savants, aux littérateurs, aux artistes. Sur l’état de l’atmosphère près des cascades. Est-on frappé de la foudre avant de voir l’éclair ? Sur les inconvénients de l’établissement de deux chemins de fer de Paris à Versailles. Les dépenses exigées par les fortifications ne sont-elles pas supérieures aux résultats qu’on peut en attendre ? Fusils à vapeur. Recherches sur la fabrication des essieux de l’artillerie. Ventilation des cellules de prison. La température moyenne de la Palestine ne paraît pas avoir changé depuis Moïse. De la pêche à la baleine. Instrument propre à faire voir les écueils. Sur l’utilité des nattes dont les jardiniers couvrent les plantes durant la nuit. Sur le transport des poussières à de grandes distances par le vent. De l’influence du déboisement sur les climats. Sur les prétendues pluies de crapaud. Y a-t-il quelque moyen de découvrir depuis combien de siècles la Terre se refroidit ? De la pluie, en tant qu’elle est modifiée par la distance de la Lune à la Terre. 34