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François Arago, l’océanographe
Guy JACQUES
AVEC LA CONTRIBUTION DE BRUNO
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OITURIEZ
Les prémices d’une conférence
« Parler de M. Arago est une difficulté pour tout le monde peut-être d’ici à
quelques années encore, surtout si l’on avait la prétention de le juger à la fois
comme savant, comme professeur et comme homme public, en s’attachant à démêler
en lui avec précision les diverses capacités dont il était pourvu et les influences
générales qu’il a exercées ou subies. Pour moi, qui n’ai pas même l’honneur de
comprendre et de lire dans leur langue les Mémoires de haute science il s’est
montré inventeur, ces considérations sur les profondes et fines parties de l’optique
et du magnétisme il a gravé son nom ; qui n’ai eu que le plaisir de l’entendre
quelquefois, soit dans ses Cours à l’usage des profanes, soit dans les séances
publiques de l’Académie, je ne puis ici que m’approcher respectueusement de lui par
un aspect ouvert à tous ; je ne puis que l’aborder, si ce n’est point abuser du mot,
par son côté
littéraire
». C’est ce qu’écrit Charles-Augustion Sainte-Beuve, dans
ses
Causeries du lundi
le 20 mars 1854.
Dès que je pris conscience de l’étendue des œuvres complètes d’Arago qui
comptent dix-sept volumes, publiés de manière posthume en 1857 par Jean
Augustin Barral (annexe 2), je me décidais à modifier le titre que je comptais
donner à ce mémoire. Ce ne serait pas « François Arago, le savant » mais « François
Arago, l’océanographe », me si j’irai parfois au-delà de ce seul aspect. Après une
trentaine d’années passées au Laboratoire Arago à Banyuls, il fallut la conférence
d’un collègue sur le Gulf Stream pour que je prenne conscience que j’ignorais tout
de ce savant ; je venais d’apprendre qu’Arago avait donné, le premier, le schéma de
la circulation océanique générale que nous dénommons maintenant « le tapis
roulant ». Je rechercherai dans les dires d’Arago, reflet de recherches et de
réflexions personnelles ou transcription des savoirs d’autrui (par sa curiosité et son
activité de Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences) les éléments qui
dénotent une vision pionnière ou, au contraire, se sont avérés des erreurs ou des
aberrations.
François Arago, l’océanographe
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Océanographes et climatologues apprécieront qu’Arago se soit parfaitement
rendu compte de la nécessité de mesures à long terme dans ce domaine : « Il faut
en effet songer à pourvoir nos sciences de termes de comparaison dont nous
manquons nous-mêmes ». Cette profession de foi le conduit à demander du zèle aux
officiers des navires pour mesurer la pression atmosphérique, la température de
l’air et de l’eau de mer. La métrologie est l’un de ses soucis constant puisqu’il émaille
ses discours de descriptions d’appareillages et de techniques. On doit donc porter à
son crédit le souci de la qualité des mesures et la nécessité de comparaison des
instruments ainsi que, pour la météorologie, la régularité des horaires de mesure.
Cette recherche estompe le seul souvenir, négatif, que j’avais de ce savant :
son opposition farouche autant qu’infondée au chemin de fer (figure 1). Devant la
Chambre des députés, il termine son invective contre le projet d’un tunnel à Paris
par cette phrase « J’en appelle à tous les médecins pour décider si un abaissement
subit de quarante-cinq à huit degrés de température n’amènera pas des
conséquences fatales ? ».
Figure 1 – L’ancêtre passe son
premier tunnel vers 1830
.
Ténèbres, escarbilles, émotion.
Avant de me lancer dans l’écriture et après avoir médité près de statue
d’Arago place du même nom à Perpignan (figure 2), je voulus me plonger dans
l’ambiance parisienne pour admirer, place de l'ile de Sein le méridien de Paris
coupe le boulevard Arago, la magnifique statue d’Arago figurant dans des écrits
anciens. Déception ! Seul demeure son piédestal, la statue en bronze ayant été
fondue en 1942, comme sa sœur d’Estagel (figure 3) pour les besoins de la guerre.
Triste destin pour un Ministre de la Marine puis de la Guerre…
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Figure 2 Statue de François Arago sur
la place du même nom à Perpignan.
Inaugurée en 1879, ce monument d’Antoine
Mercié est orné de trois bas-reliefs
représentant les études d’Arago en
Roussillon, les barricades de 1848 et ses
derniers travaux à l’Observatoire tandis
qu’il dicte ses mémoires à sa nièce, Lucie
Laugier.
Figure 3 - Statue d’Arago par le
sculpteur catalan Alexandre Oliva
inaugurée devant l’Observatoire de Paris
le 11 juin 1893 par Jules Ferry…et la
même en 1941.
L’enthousiasme renaît rapidement, à deux pas de là, avenue Denfert-
Rochereau, mon pied se posant sur un petit disque en bronze d’une dizaine de
centimètres de diamètre scellé dans le sol et qui rend hommage à Arago (figure 4).
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Figure 4 Médaillon Arago matérialisant le
méridien de Paris.
Un doute m’envahit. Suis-je encore dans
le souvenir d’Arago ou dans le Da Vinci
Code parlant de la
Ligne Rose
qui mène au
Saint Graal, le long de l’axe nord-sud du
méridien de Paris ?
Cet hommage à François Arago, rendu par l’artiste néerlandais Jan Dibbets en
1984, avec 135 médaillons sur les 17 kilomètres séparant la Porte Montmartre de la
Cité universitaire
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, est particulièrement opportun tant l’envol scientifique de ce
savant est liée au ridien de Paris qui demeura le méridien origine jusqu’à la
Conférence internationale de Washington en 1884 ou Greenwich lui est préféré
après d'âpres discussions entre français et anglais.
Le méridien de Paris, un fil conducteur
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http://www.parissweethome.com/parisrentals/art_fr.php?id=31
La vie scientifique de François Arago est intimement associée au méridien de
Paris défini le 21 juin 1667 par les mathématiciens de l’Académie. Cette méridienne
passant par l’Observatoire de Paris et allant, en France, de Dunkerque à Prats-de-
Mollo-la Preste (Pyrénées-Orientales) est dessinée, pour la première fois, entre
1669 et 1718 par Jean-Dominique Cassini, premier directeur de l’Observatoire, son
fils, Jacques Cassini, et Philippe de la Hire. À la demande de la Convention, elle est
de nouveau mesurée entre 1792 et 1798 par deux astronomes, Jean-Baptiste
Joseph Delambre et Pierre Méchain pour servir de base à la termination exacte
du mètre en 1799, la dix millionième partie du quart du ridien terrestre, ce qui
conduira à la construction du mètre étalon déposé au pavillon de Breteuil à Sèvres.
Pour cette mesure, ces scientifiques utilisent les règles de Borda composées
de deux tiges jointes, l’une en laiton et l’autre en platine, afin de calculer la
variation de la longueur de la règle due à la dilatation lors des changements de
température. Delambre et Méchain mesurent seulement un arc suffisamment long
et, par proportionnalité, ils calculent la longueur de tout le quart de méridien.
Premier signe du destin. Pierre Méchain, chargé de le mesurer dans le sud de la
France, rencontre François Arago à Estagel, ville dont son père est le maire. La
vocation d’Arago pour l’astronomie est née. Quelques années plus tard, en
François Arago, l’océanographe
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compagnie de Jean-Baptiste Biot, Arago prolonge ces mesures jusqu’aux Baléares.
Mais en 1808 la guerre d’indépendance de l’Espagne éclate, Madrid se soulevant
contre l’armée de Napoléon qui y était stationnée. Considéré comme un espion,
Arago rejoint Alger pour revenir en France ; à quelques encablures de Marseille,
son navire est arraisonné et il est ramené en Espagne. La pression du Dey d’Alger
conduit à sa libération et à celle de ses compagnons d’infortune. Sans que l’on puisse
affirmer que sa vocation d’océanographe soit née à ce moment, un coup de mistral
sévit alors qu’il est en vue de Marseille et, après cinq jours d’épreuves, il
débarque…à Bougie. Sa vie est encore menacée quad il traverse la Kabylie avant qu’il
regagne enfin la France en 1809.
L’Institut, frappé de tant de courage, d’intelligence et de dévouement lui
ouvre immédiatement ses portes. Le 18 septembre de la même année, il est élu en
section d’astronomie à 23 ans ; il en deviendra le Secrétaire perpétuel en 1830.
Quoi de plus logique après ses travaux de mesure du méridien de Paris, qu’il
devienne également, en 1834, directeur des observations du Bureau des longitudes,
un recrutement d’une ampleur nouvelle dans un site rénové devenant une véritable
« fabrique de savants ». Ce méridien fascine encore comme l’a montré le projet de
l'architecte Paul Chemetov d’une « Méridienne Verte » pour les cérémonies de l'an
2000 en France. Le méridien de Paris est matérialisé en plantant des arbres tout
au long de son tracé. Le 14 juillet 2000, un pique-nique géant se déroule le long de
cette Méridienne Verte qui, dans les Pyrénées-Orientales, traverse Caudiès-de-
Fenouillèdes, Fuilla, Mosset, Conat, Rabouillet, Villefranche-de-Conflent, Serdinya,
Escaro, Sahorre, Py et Prats-de-Mollo-la-Preste.
Polytechnique, de l’éloge à la critique
Entré au sixième rang à Polytechnique à 17 ans en 1803 (le concours étant, à
l’époque, décentralisé, il fut major parmi ceux se présentant à Toulouse) il y fut
nommé professeur en astronomie par Napoléon en 1810 et il y professa jusqu’en
1830.
La plupart des hommages à François Arago le place sur un piédestal aussi bien
comme homme politique que comme savant. Jean-Paul Poirier, membre de l’Académie
des sciences, dans son hommage « Arago, un savant et un homme généreux » rendu
le 10 juin 2003 à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de sa mort écrit :
« Je voudrais m’attacher également à l’homme Arago, esprit indépendant et curieux
touchant à tous les domaines de la science, mais aussi enthousiaste et généreux ».
Il souligne aussi que, dans l’introduction de l’édition posthume de ses œuvres
complètes, son ami de quarante-quatre ans, Alexander von Humboldt, grand savant
et voyageur prussien, admire « Le soin critique qu’il apporte à la recherche des
faits, l’impartialité des jugements, la lucidité des expositions scientifiques, une
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