Re v u e f la sh N eu ro lo g i e . com 20 1 0 ; 2 ( 7 ) : 1 79- 82 Camptocormie : que faire ? Camptocormia: what to do? Pour la pratique on retiendra Julien Praline1 Sybille Pellieux2 Service de neurologie et de neurophysiologie clinique 2 Service de médecine physique et réadaptation, CHRU, Tours <[email protected]> 1 Mot s c l é s Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. camptocormie, myopathie, muscle, imagerie, diagnostic, maladie de Parkinson Ke y w o rd s bet spine syndrome, myopathy, muscle, imaging, diagnosis, Parkinson’s disease La camptocormie est une cyphose thoraco-lombaire réductible par insuffisance des muscles extenseurs spinaux, très souvent responsable de lombalgies. Les causes sont multiples. La démarche diagnostique est guidée par un examen clinique soigneux et les résultats d’examens complémentaires : bilan biologique, électro-neuromyogramme, imagerie rachidienne et musculaire. Le traitement étiologique doit être réalisé quand il est possible. La prise en charge symptomatique est à la fois fonctionnelle, physique et orthopédique. Abstract The word camptocormia is used to describe an abnormal thoracolumbar kyphosis caused by a weakness of the erector spinal muscles. This abnormal curvature, also called bent spine syndrome, cause frequently low back pain. Several etiologies must be suspected and diagnostic approach is based on clinical examination and results of investigations such as biological tests, electroneuromyography, spinal and muscle imaging. Therapeutic management depends on the cause and specific treatment is first initiated when possible. General symptomatic approach includes physiotherapy and orthopedic management. H istoriquement, la camptocormie a tout d’abord été considérée comme une manifestation hystérique, notamment chez les soldats de la première guerre mondiale. Le terme a été utilisé pour la première fois par Souques et Rosanoff en 1915 à la Société neurologique de Paris [1]. Après la description de quelques autres cas psychiatriques, l’association avec des affections neuromusculaires ou neurodégénératives comme la maladie de Parkinson a été soulevée. Cependant, aucune donnée épidémiologique n’est clairement établie, la camptocormie restant un signe clinique souvent négligé qui peut résulter de différents processus pathologiques [2]. Même si la plainte principale du patient est souvent une lombalgie, le neurologue a une place particulière dans la recherche d’une étiologie, étape indispensable pour orienter la prise en charge thérapeutique. Définition Le terme « camptocormie » provient étymologiquement des termes grecs « kamptein » (je fléchis) et « kormos » (tronc). Il correspond donc à une Camptocormie : que faire ? Le terme de camptocormie désigne une courbure du dos qui fait pencher le sujet en avant en position debout. Elle est la conséquence d’une faiblesse des muscles rachidiens qui peut être causée par différentes maladies. DOI : 10.1684/nro.2010.0216 cyphose thoraco-lombaire progressive entraînant une projection du tronc vers l’avant. La camptocormie se définit cliniquement par une posture anormale du tronc réductible, s’aggravant lors de la marche et disparaissant en position allongée [3-5]. Sa fréquence est difficile à évaluer, peu d’études ayant été publiées dans la littérature depuis l’introduction de cette terminologie. Démarche diagnostique Elle repose avant tout sur l’examen clinique qui permettra de confirmer la camptocormie et de rechercher des signes orientant vers une étiologie spécifique qui pourra être soutenue par les examens complémentaires. Le patient consulte le plus souvent pour lombalgie mais une douleur abdominale, conséquence d’une contracture ou d’une dystonie des muscles abdominaux (le plus souvent grand droit) peut aussi se rencontrer. Parfois, les complications (insuffisance respiratoire, chutes) constituent le motif de consultation. Examen clinique À l’inspection, le patient se présente avec une attitude en rétroversion du bassin, légère flexion des hanches et des genoux et bascule du haut du tronc en arrière ou une antéflexion majeure du tronc. Le caractère totalement réductible en décubitus permet d’éliminer les cyphoses d’origine ostéo-articulaire. Il devra être aussi recherché par les manœuvres de redressement autonomes (grâce à un support antérieur ou l’appui des mains sur la face antérieure des cuisses) ou l’extension passive par l’examinateur. Dans les formes frustres, la camptocormie peut être révélée uniquement lors du port de charge ou de l’élévation simultanée des membres supérieurs. neurologie.com | vol. 2 n°7 | septembre 2010 179 Des troubles de la statique rachidienne (scoliose de l’adolescence ou dégénérative) et des éléments pour un canal lombaire rétréci associés à la camptocormie sont à prendre en considération. À l’examen neurologique, il est important de chercher particulièrement des signes de la triade parkinsonienne, un syndrome pyramidal ou des signes sensitifs et une diminution ou abolition des réflexes ostéotendineux. La trophicité et la force dans les différents territoires (membres, face, tronc) ainsi que l’existence de fasciculations ou de fluctuations seront précisées. Il est important aussi de ne pas méconnaître une altération de l’état général ou encore la survenue de signes cutanés (orientant notamment vers une dermatomyosite). Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Examens complémentaires La demande d’examens complémentaires sera orientée en fonction des données cliniques et des pistes étiologiques éventuellement retenues. La liste suivante n’est pas exhaustive mais correspond aux examens les plus couramment réalisés. - Les radiographies du rachis lombaire, souvent réalisées, montrent des lésions de discarthrose et d’arthrose interapophysaire postérieure étagées, peu spécifiques et fréquentes chez les personnes âgées. Elles n’ont donc que peu d’intérêt, hormis pour l’exploration des cyphoses osseuses ou articulaires dont la présentation clinique n’est pas celle d’une camptocormie. - L’imagerie musculaire par scanner ou IRM montre une involution adipeuse (hypodensité tomodensitométrique ou hypersignal T2 en IRM) des muscles paravertébraux (figure 1). Elle doit comporter des coupes en D9 et L3 au sommet de la lordose pour une meilleure visualisation des muscles paravertébraux avec description du degré d’involution adipeuse (échelle de Mercuri et al. par exemple [6], tableau 1) de l’ensemble des muscles (multifidus, longs extenseurs spinaux) interprété en fonction de l’âge, une description topographique des anomalies précisant ses caractères homogènes ou non, symétrique ou non. Figure 1. Coupe de scanner passant par L3 montrant une involution adipeuse des muscles paravertébraux avec respect des psoas dans le cadre d’une campto­ cormie idioapathique. Tableau 1. Échelle de Mercuri : grades d’atteinte musculaire selon l’aspect en IRM (d’après [6]). Grade Aspect IRM 1 Aspect normal 2 Atteinte discrète : aspect mité avec petites zones d’hypersignal dispersées ou discrètement confluentes et représentant moins de 30 % du volume du muscle étudié 3 Atteinte modérée : aspect mité avec de nombreuses zones d’hypersignal, confluentes et représentant 30 à 60 % du volume du muscle étudié 4 Atteinte sévère : aspect délavé et flou en raison de plages d’hypersignal confluentes ou à un stade très sévère, un remplacement du tissu musculaire par du tissu conjonctif et de la graisse hyperintenses bordés d’un fascia avec des structures neurovasculaires identifiables Les coupes doivent permettre de voir les muscles abdominaux, les psoas, les carrés des lombes ; l’analyse de la charnière lombosacrée, souvent difficile, doit être évitée. - L’électro-neuromyogramme peut identifier une neuropathie, des signes en faveur d’une atteinte de la jonction neuromusculaire ou du motoneurone et bien sûr confirmer un processus myopathique. L’examen ne doit donc pas être limité à l’étude myographique des muscles paravertébraux qui est de réalisation et d’interprétation délicates. - Un bilan biologique minimum doit comprendre dosage des CPK, bilan phosphocalcique, dosages de 25-hydroxyvitamine D3, TSH et recherche de syndrome inflammatoire biologique. Ce bilan simple est essentiel, la correction des troubles métaboliques pouvant permettre une amélioration de la camptocormie. - Une biopsie musculaire pourra être réalisée dans les muscles paravertébraux pour conforter une hypothèse diagnostique. Cependant, elle montre très souvent des anomalies aspécifiques qui auront un impact incertain sur la prise en charge. D’autre part, pour garantir une interprétation correcte, elle doit être réalisée sur un muscle ayant une trophicité préservée. Si un processus myopathique plus diffus est suspecté, le siège de la biopsie pourra être plus conventionnel (deltoïde, quadriceps) et guidé par l’imagerie musculaire. Étiologies et caractéristiques particulières La camptocormie doit être considérée comme le symptôme d’une pathologie plus générale dont la nature peut être extrêmement variable. Le tableau 2 reprend pour les principales étiologies et les résultats attendus des examens complémentaires. Une camptocormie a aussi été rapportée dans des polyradiculonévrites inflammatoires chroniques, des dystonies primaires ou secondaires, des myopathies à bâtonnets, des amyotrophies spinales et des déficits en carnitine [2, 4, 7]. La camptocormie est un symptôme qui a été particulièrement étudié dans la maladie de Parkinson. Longtemps supposée conséquence d’un phénomène dystonique, ce mécanisme semble rare en pratique. Les différentes équipes 180 neurologie.com | vol. 2 n°7 | septembre 2010 Tableau 2. Étiologies et éléments d’orientation. Étiologies Éléments évocateurs CPK EMG Imagerie musculaire Biopsie musculaire Affections neurodégénératives Maladie de Parkinson (et autres syndromes parkinsoniens) Asymétrique, syndrome parkinsonien Normales Myopathique Œdème avec prise de contraste à un stade précoce (IRM), involution adipeuse ensuite Aspect myopathique Sclérose latérale amyotrophique Mode évolutif, Fasciculations, perte de poids, crampes Normales ou peu élevées Neurogène (atteinte corne antérieure) Atrophie des muscles déficitaires Aspect de dénervation-réinnervation Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Affections neuromusculaires Myasthénie Fluctuations, atteinte oculomotrice ou palpébrale Normales Décrément Normale Normale Dermato- ou polymyosite Déficit moteur proximal, atteinte faciale et bulbaire, signes cutanés, syndrome inflammatoire (+) Élevées ou normales Myopathique avec activité spontanée anormale, parfois neurogène Hypersignal en séquence STIR Foyers de nécrose focale et de régénération des fibres musculaires, infiltrats inflammatoires Myosite à inclusions Début après 50 ans, déficit moteur des ceintures avec myalgies, troubles de la déglutition possibles Élevées ou normales Neurogène ou myogène (avec polyneuropathie sensitive axonale) Involution adipeuse de la tête du muscle jumeau interne Infiltrats inflammatoires ; vacuoles bordées ou non ; dépôts amyloïdes Dystrophie des ceintures et FSH Déficit moteur proximal Élevées Myopathique Topographie de l’atteinte variable selon l’étiologie Aspect dystrophique et éléments propres à chaque étiologie Maladie de Steinert Myotonie, cataracte précoce, atteinte faciale et cardiaque Normales ou peu élevées Myopathique avec décharges myotoniques Atteinte prédominante sur les muscles soléaire, vaste interne et la tête des muscles jumeaux. Aspect myopathique Dystrophie myotonique proximale (PROMM) Déficit moteur proximal, cataracte Normales ou peu élevées Myopathique avec décharges myotoniques à rechercher dans les muscles proximaux Atteinte sélective des grands et érecteurs du rachis Aspect myopathique Myopathie paravertébrale primitive Contexte familial, prédominance féminine Normales Myopathique Involution adipeuse symétrique Aspect myopathique Maladie de Pompe Insuffisance respiratoire, déficit moteur proximal Modérément élevées Myopathique ou neurogène Involution adipeuse des muscles paravertébraux et des ceintures Atrophie prédominant sur les fibres de type 1, vacuoles cytoplasmiques contenant du glycogène Myopathies mitochondriales Signes oculomoteurs, intolérance à l’effort Normales Myopathique Normale Prédominance de fibres de type 1, fibres rouges déchiquetées, réduction de l’activité COX Ostéomalacie Myalgies, hypocalcémie, hypophosphorémie, 25-OH vitamine D3 basse Normales Absence de donnée Absence de donnée Absence de donnée Hypothyroïdie Myalgies, myoœdème, TSH haute Normales ou élevées Normal ou myopathique Absence de donnée Aspécifique Affections métaboliques neurologie.com | vol. 2 n°7 | septembre 2010 181 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. qui ont pratiqué l’analyse histologique des muscles paravertébraux de patients parkinsoniens présentant une camptocormie s’accordent sur l’identification d’un processus myopathique dont la physiopathologie fait encore l’objet d’une discussion [8]. Les formes dites idiopathiques correspondent à une myopathie tardive et isolée des muscles paravertébraux, apparaissant généralement à la 7e décade et s’inscrivant dans un contexte familial avec une prédominance féminine. Décrite pour la première fois en 1991, cette entité est maintenant reconnue [1]. L’atteinte musculaire est cliniquement et radiologiquement limitée aux muscles paravertébraux et s’aggrave avec le temps en corrélation avec la douleur et le handicap. L’examen neurologique est par ailleurs normal. Les CPK sont souvent normales mais parfois légèrement augmentées. L’imagerie des muscles paravertébraux montre une involution adipeuse prédominant sur les multifidus, maximale à l’étage lombaire (L1 à L3) et corrélée à la durée d’évolution [9]. La biopsie musculaire révèle des anomalies de type myopathie avec irrégularité de diamètre des fibres, fibrose et involution adipeuse [10]. Le corset sur-mesure avec appui sternal est préconisé lorsque la camptocormie entraîne douleurs, risque de chute et un champ de vision réduit. Il permet de redresser le haut du tronc et de relordoser le rachis lombaire, limitant ainsi l’évolution de la déformation et soulageant souvent la douleur [5]. Il doit être réalisé dans un matériau plus rigide que le coutil baleiné mais plus souple que le corset traditionnel. L’objectif est d’assurer ainsi un compromis entre efficacité de redressement, antalgie et confort car ce type d’appareillage est souvent mal supporté. Il permet aussi une autorééducation par rappel de posture. Le rollator permet un déplacement plus sécuritaire et un redressement lorsque ce dernier est possible de façon autonome. Conflit d’intérêts Aucun. Références Prise en charge Le traitement étiologique, quand il est possible, est primordial car il peut apporter un bénéfice clinique très net, par exemple dans la myasthénie ou dans une polyradiculoneuropathie démyélinisante chronique [7] ou encore dans une myopathie inflammatoire [11], à condition de ne pas débuter le traitement à un stade où l’involution adipeuse est déjà importante. Dans la maladie de Parkinson ou lorsqu’un syndrome parkinsonien est mis en évidence, la réponse à la lévodopa doit être testée. Cependant, un redressement total est rarement obtenu et les différentes études menées en ouvert n’ont pas prouvé l’efficacité de la lévodopa ou de la stimulation sous-thalamique. De même, le traitement chirurgical ne prévient pas l’apparition d’une camptocormie[8]. Les patients sont orientés en médecine physique et réadaptation pour adaptation de la prise en charge en fonction de l’hypothèse étiologique et du retentissement fonctionnel et orthopédique. La kinésithérapie doit être axée sur l’assouplissement des courbures, un travail en délordose et de verrouillage du bassin, la lutte contre les rétractions myotendineuses et les attitudes vicieuses et sur les méthodes antalgiques. Le renforcement musculaire doux est tenté en particulier selon le degré et l’importance de l’atteinte musculaire et le plus précocement possible. 182 neurologie.com | vol. 2 n°7 | septembre 2010 1. Lenoir T, Guedj N, Boulu P, Guigui P, Benoist M. Camptocormia: the bent spine syndrome, an update. Eur Spine J 2010 (sous presse). 2. Serratrice G, Pouget J, Pellissier JF. Bent spine syndrome. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1996 ; 60 : 51-4. 3. Umapathi T, Chaudhry V, Cornblath D, Drachman D, Griffin J, Kuncl R. Head drop and camptocormia. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2002 ; 73 : 1-7. 4. Azher SN, Jankovic J. Camptocormia: pathogenesis, classification, and response to therapy. Neurology 2005 ; 65 : 355-9. 5. Mayoux-Benhamou MA. La camptocormie. Ann Readapt Med Phys 2007 ; 50 : 60-61. 6. Mercuri E, Pichiecchio A, Allsop J, Messina S, Pane M, Muntoni F. Muscle MRI in inherited neuromuscular disorders: past, present, and future. J Magn Reson Imaging 2007 ; 25 : 433-40. 7. Terashima M, Kataoka H, Sugie K, Horikawa H, Ueno S. Coexistence of chronic inflammatory demyelinating polyneuropathy and camptocormia. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2009 ; 80 : 1296-7. 8. Margraf NG, Wrede A, Rohr A, et al. Camptocormia in idiopathic Parkinson's disease: A focal myopathy of the paravertebral muscles. Mov Disord 2010 ; 25 : 542-51. 9. Ricq G, Laroche M. Acquired lumbar kyphosis caused in adults by primary paraspinal myopathy. Epidemiology, computed tomography findings, and outcomes in a cohort of 23 patients. Joint Bone Spine 2000 ; 67 : 528-32. 10. Laroche M, Delisle MB, Aziza R, Lagarrigue J, Mazieres B. Is camptocormia a primary muscular disease? Spine (Phila Pa 1976) 1995 ; 20 : 1011-6. 11. Kuo SH, Vullaganti M, Jimenez-Shahed J, Kwan JY. Camptocormia as a presentation of generalized inflammatory myopathy. Muscle Nerve 2009 ; 40 : 1059-63.